Couverture de TE_164

Article de revue

Les médecins du football

La fabrique des placements sur un marché du travail incertain

Pages 33 à 57

Notes

  • [1]
    AFP (2014), « Top 14 : après le KO de Fritz, le syndicat Provale demande un médecin indépendant », La Croix, 12 mai.
  • [2]
    « Rugby : les joueurs expriment leur défiance vis-à-vis des médecins des clubs », Libération, 19 janvier 2016.
  • [3]
    À noter également des travaux plus isolés qui portent sur les médecins de club aux États-Unis (Polsky, 1998), et en Nouvelle-Zélande (Anderson, Jackson, 2013).
  • [4]
    Drees, La démographie des médecins (RPPS) au 1er janvier [en ligne]. https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/la-demographie-des-medecins-rpps-au-1er-janvier/, consulté le 7 juin 2022.
  • [5]
    Le recueil de données dans la presse spécialisée n’a pas permis de renseigner plus finement les conditions d’arrivée des six autres « nouveaux » médecins qui ont fait leur apparition dans le groupe des médecins de club depuis 2018. Les clubs concernés ne se situent pas n’importe où dans l’espace du football professionnel : deux d’entre eux ont subi depuis 2018 des relégations sportives, les autres sont situés en bas de la hiérarchie des clubs de L2 et tous connaissent une couverture médiatique bien plus limitée que celle accordée aux clubs les plus prestigieux du championnat.
  • [6]
    La médecine du sport ne constitue pas en France une spécialité médicale. Il s’agit d’une compétence qui vient s’ajouter aux spécialités respectives des professionnels de santé (Viaud, 2009).
  • [7]
    En 2021, au moment de l’écriture de cet article, deux femmes sont devenues médecins d’une équipe professionnelle, mais sur des positions subalternes (elles secondent le médecin en chef).
  • [8]
    Cette hypothèse est d’autant plus forte que l’enquête porte ici exclusivement sur des équipes de football masculines. Une enquête réalisée auprès des médecins d’autres sports professionnels, qui intégrerait à la fois les équipes masculines et féminines, reste à faire.
  • [9]
    Pour les autres, sept travaillaient en contexte hospitalier, un était salarié d’un centre de rééducation et un a toujours été médecin de club depuis l’obtention de son diplôme de médecine.
  • [10]
    C’est aussi ce que repérait I. Waddington (2002, p. 53) dans le cas du football anglais de la fin des années 1990. Les conditions d’emploi des médecins de club varient fortement d’un club à un autre. « Presque tous travaillent sur la base d’un temps partiel. […] Il n’y a pas plus d’une demi-douzaine de médecins à temps plein dans le football anglais. »
  • [11]
    Dispositif qui permet de cumuler une pension de retraite avec un nouveau revenu professionnel d’indépendant sans limite de plafond. « Au 1er janvier 2018, près de 10 % des médecins libéraux ou ayant une activité mixte exercent dans le cadre du dispositif cumul emploi-retraite » (Pla, 2018, p. 1).
  • [12]
    Les travaux de I. Waddington (2002), pourtant plus étayés empiriquement, n’offrent guère de précisions. Ils se font l’écho des médecins qui « considèrent globalement être sous-payés par rapport aux services rendus » (p. 53). Dans son enquête par questionnaire auprès des médecins des 68 clubs de rugby des 4 divisions les plus élevées du championnat anglais, Dominic Malcolm (2006) s’interroge lui aussi sur les gratifications financières. Les 34 réponses obtenues ne fournissent que peu d’indications ; « 3 médecins de club recevaient un salaire ; 23,5 % recevaient des primes de présence sur les matchs ; 28,4 % ne recevaient aucune récompense » (p. 395).
  • [13]
    Hermant A. (2005), « Le staff médical sous contrôle », Le Parisien, 11 novembre. En 2015, le docteur Chalabi revient sur cette période : « J’étais directeur médical du PSG et directeur médical adjoint de la Clinique du sport à Paris, donc probablement le médecin du sport le mieux payé en France. Ce n’est pas un secret, c’était dans les journaux ! On a des salaires confortables, il ne faut pas le nier » (Source : Ouest-France [2015], « Sport. Hakim Chalabi : “On est prêt pour la Coupe du monde 2022” », 31 janvier).
  • [14]
    Forum Jeuxvideo.com (2012), topic « Le salaire du Dr Éric Rolland (du PSG) », 2 septembre. Deux catégories de jugements divisent les contributeurs. Certains estiment que ce salaire est faible relativement à ceux versés dans l’univers du football (GyneDZEKOlogue : « Ce type gagne 16 250 net par mois, alors qu’il a une renommée internationale avec plus de quinze ans d’études derrière lui et qu’il a opéré les plus grands sportifs ; alors que de l’autre côté on a Zoumana Camara, remplaçant au PSG, qui gagne près de 150 000 net par mois. Triste ! ») ; d’autres trouvent ce niveau de revenus élevé au regard des professions de santé (Doggy : « Comparé aux autres praticiens il est bien Éric »). Cette bipartition des opinions est omniprésente sur la toile lorsqu’il s’agit de discuter des salaires des « autres » professionnels du football (entraîneurs, préparateurs physiques, médecins).
  • [15]
    De ce point de vue, les médecins du football ne se distinguent pas de l’ensemble des praticiens possédant une compétence en « médecine du sport », dont une partie importante est d’extraction populaire et distante familialement de la culture médicale (Viaud 2009, p. 399).
  • [16]
    Un autre indicateur de leurs origines modestes est la construction précoce de familles. Ils sont en effet nombreux à avoir eu des enfants avant la fin de leurs cursus médicaux. Bien que nous n’ayons pas les moyens de le montrer ici, nous pourrions interroger en quoi ces constructions familiales précoces – dont les médecins de club parlent très facilement en interview – ont possiblement influencé leur placement dans un univers du football professionnel au sein duquel le familialisme est reconnu et valorisé (Rasera, 2016, p. 211).
  • [17]
    Jacques Tondut, né en 1948, était lui-même médecin généraliste, installé depuis 1978 dans un cabinet du centre-ville d’Angers. Cette proximité à la culture médicale distingue sensiblement Anthony Tondut de ses confrères médecins de club.
  • [18]
    Crozon G. (2020), « Football. Anthony Tondut, comme un médecin de famille pour Angers-SCO », Le Courrier de l’Ouest, 29 août.
  • [19]
    « Le maillot rouge et blanc, Michel le connaît bien. Gardien de but du Stade jusqu’en minimes, c’est toujours avec une certaine émotion qu’il évoque une demi-finale de coupe de Bretagne jouée contre Guingamp, en lever de rideau des “grands”, comme il se surprend à le dire encore… » (Source : « Portrait : Nicolas Didry et Michel Kergastel », Blog de BGTA29, 25 février 2008 [en ligne]. https://bgta29.skyrock.com/1573254356-Portrait-Nicolas-Didry-et-Michel-Kergastel.html, consulté le 7 juin 2022).
  • [20]
    Non signé (2015), « Le médecin des footballeurs est de Saint-Brieuc », Ouest-France, 21 janvier.
  • [21]
    Lelaidier E. (2008), « Portrait de Philippe De Smet, le nouveau “doc” du HAC », site internet du Havre Athletic Club, 11 juillet. http://www.hac-foot.com/actualite/portrait-de-philippe-de-smet-le-nouveau-doc-du-hac.html, consulté le 7 juin 2022.
  • [22]
    D’autres sont aussi dans ce cas comme le docteur Christophe Baudot qui, depuis 2007, est passé par l’OM, l’Olympique lyonnais et plus récemment le PSG, trois clubs majeurs du championnat professionnel français.
  • [23]
    Boisseau M. (2012), « Football. Un Angevin au chevet des Bleus », Ouest-France, 1er août.
  • [24]
    Le Gall F., « Histoire », site internet Le Gall Football Care. https://legallfootballcare.com/histoire/, consulté le 7 juin 2022.
  • [25]
    Long S. (2018), « Coupe du monde de football : ce que vous ne savez (peut-être) pas sur le staff médical des bleus », LeQuotidiendumédecin.fr, 16 juin. https://www.lequotidiendumedecin.fr/hopital/urgences/coupe-du-monde-de-football-ce-que-vous-ne-savez-peut-etre-pas-sur-le-staff-medical-des-bleus, consulté le 7 juin 2022.
  • [26]
    Nous entretenons une longue histoire d’enquête au sein de ce club, nos premières investigations par observations directes datent de 2008.
  • [27]
    Des mécanismes identiques ont été repérés pour d’autres travailleurs de la branche sport, pour lesquels la référence à leur passion du sport est un véritable droit d’accès aux positions convoitées (Hidri Neys, Bohuon, 2008).
  • [28]
    Cette multiplicité des agents recruteurs semblait moins répandue dans le football anglais de la fin des années 1990. Les processus de recrutement semblaient plus étroitement circonscrits au groupe des pairs, et « dans la plupart des cas, [les passages de relais se jouaient dans] des relations de confraternité liées à la pratique par ailleurs de la médecine générale » (Waddington, 2002, p. 55).
  • [29]
    Une telle manière de fonctionner a également été repérée dans le rugby et le football anglais. « Il est fréquent de noter l’absence d’entretien formel d’embauche » (Waddington, 2002, p. 56) ; « Aucun recrutement formel, seuls 14,7 % ont été reçus en entretiens avant l’embauche, d’autres signalent qu’ils ont été recrutés entre deux pintes de bière dans un pub » (Malcolm, 2006, p. 382).
  • [30]
    C’est ici une différence notable avec les processus de recrutement des médecins dans les unités de soins palliatifs. La qualité des candidats est jugée à l’aune de l’expérience engrangée de longue date dans les services, et la certitude de recruter « un bon collègue » est conditionnée à la nécessité d’avoir déjà « fait ses preuves » dans le travail (Castra, Schepens, 2015, p. 61).
  • [31]
    Cette interdiction, liée à des pratiques professionnelles jugées problématiques (dont nous ne souhaitons pas exposer ici le détail) et qui n’a eu aucune conséquence sur le recrutement du docteur Laveste, témoigne de la faible rentabilité des réputations proprement médicales dans l’espace du football professionnel.

1 En 2014, un rugbyman professionnel victime d’un KO s’est vu réintégrer la partie quelques minutes après le choc. Estimant que le médecin de l’équipe avait subi des pressions de l’entraîneur, aux dépens des protocoles portés par la fédération française et la ligue nationale de rugby en matière de commotions cérébrales, le syndicat des joueurs dénonçait alors pour la première fois « les fortes pressions que subissent les encadrements médicaux des équipes pendant les matches », et réclamait « la nomination d’un médecin indépendant sur tous les matches de Top 14 et Pro D2 [1] ». Cette proposition sera réitérée en 2016 : « inquiet face à l’augmentation des blessures, leur syndicat [le syndicat des joueurs] veut “couper le cordon” avec les toubibs de leurs équipes, qu’ils estiment trop dépendants de leur employeur [2] ». Cet épisode interroge la position des médecins dans le sport professionnel, un espace où le corps est l’unique outil de travail (Rasera, 2012), et au sein duquel la réussite des clubs employeurs et la santé des joueurs employés sont à la fois interdépendantes et distinctes (Viaud, Papin, 2012). À distance des cadres les plus habituels de l’exercice médical, les médecines qui s’exportent et offrent la possibilité d’une rémunération versée par un tiers interrogent les conditions dans lesquelles se réalise le travail. Si cette question est régulièrement traitée dans la littérature francophone (Loriol, 1999 ; Cacouault-Bitaud, Picot, 2009 ; Marichalar, 2014), le cas des médecins des clubs professionnels reste peu exploré (Viaud, 2008 ; Viaud, Faucher, 2017). En revanche, dans la lignée d’Howard Becker (1963), des chercheurs nord-américains ont très tôt appliqué le concept de déviance positive pour penser le rapport entretenu à leur propre santé par les sportifs engagés en compétition. Aimer « se faire mal » et pousser l’organisme au-delà du « raisonnable », user de drogues améliorant la performance, sont autant de comportements déviants, adoptés par hyperconformité aux normes du sport de compétition (Ewald, Jiobu, 1985 ; Hugues, Coakley, 1991 ; Curry, 1993 ; Theberge, 2008). Le milieu sportif est alors envisagé comme un réseau d’acteurs dont les relations comme les pratiques sont générées dans et par une « culture du risque ». C’est en suivant ce modèle théorique que les premiers travaux visant à comprendre la participation médicale dans le sport de compétition voient le jour au début des années 1990, en Amérique du Nord. Howard Nixon (1992) et John Hoberman (1992) montrent combien les médecins qui interviennent dans le système sportif se mettent « naturellement » au service de la victoire, au détriment de la santé des athlètes. Les médecins, jouant le jeu d’une « alliance institutionnelle » avec l’ensemble des acteurs du réseau, participent contre toute attente au renforcement de la culture du risque. Cette critique qui fait des médecins les complices d’un système aliénant, bien que nuancée par quelques travaux ultérieurs (Walk, 1997 ; Safai, 2003), restera la source originelle dans laquelle puiseront bon nombre des réflexions et enquêtes menées par la suite. De ce point de vue, les travaux réalisés en Angleterre depuis le début des années 2000 constituent l’apport le plus important pour une sociologie du travail médical au sein des clubs professionnels (Waddington, 2002 ; Malcolm, 2006 ; Malcolm, 2009 ; Waddington et al., 2019) [3]. Les auteurs considèrent les médecins comme victimes ou complices d’un système dévoyé qu’ils subissent ou renforcent (tantôt par crainte de perdre leur place, tantôt par attrait pour la victoire ou par appât du gain). Dans les deux cas, ils participent en actes (par la banalisation de la blessure, la transgression du secret professionnel, ou encore l’instrumentalisation des savoirs experts) à renforcer la culture du risque. D’autres articles cherchent à clarifier les positions des médecins face aux entraîneurs, et interrogent l’ambiguïté de leurs relations professionnelles dans un contexte compétitif (Newman, 1995 ; Blackwell, 2019). Si ces écrits sont utiles et nécessaires pour penser le contenu du travail, ils ne permettent pas de comprendre ce qui pousse des praticiens à envisager d’exercer la médecine au service d’un club professionnel. Saisir les ressorts de l’engagement apparaît pourtant comme un préalable. Qui sont ces professionnels de santé qui trouvent un intérêt au football, objet classiquement dominé (Beaud, Rasera, 2020) et a priori éloigné des ressources légitimes qui fondent le prestige médical ? Et quelles sont leurs trajectoires ?

2 À notre connaissance, seuls les travaux anglo-saxons d’Ivan Waddington (2002) sur le football et de Dominic Malcolm (2006) sur le rugby apportent des éléments pour comprendre l’attraction du sport professionnel sur des médecins. Dans la lignée de ces recherches, nous entendons interroger les conditions sociales qui rendent possibles les placements de médecins au sein du milieu sportif. Sur la base de données récoltées auprès de l’ensemble des clubs professionnels français (encadré), il s’agira d’objectiver les grandes propriétés sociales du groupe à l’échelle nationale. Le partage de caractéristiques communes invite à penser une forme d’homogénéité sociale du groupe. Pour autant, cette vue d’ensemble, utile pour saisir les contours d’une population méconnue, ne doit pas conduire à ignorer les écarts et les dissemblances qui subsistent au sein du groupe. Pour appréhender les mécanismes collectifs qui autorisent une telle diversité, il convient de rétablir l’histoire des placements. Sur la base cette fois de matériaux ethnographiques collectés au sein d’un club professionnel français, nous décrirons les trajectoires des médecins pour comprendre la manière dont ces positions se sont ouvertes. Partant de l’idée selon laquelle un tel placement résulte de la rencontre opportune entre les intérêts socialement situés d’un acteur et d’une institution, cette enquête entend rétablir les stratégies des acteurs en rapportant systématiquement leurs pratiques et représentations à leurs positions sociales, sans sous-estimer les logiques structurelles dans lesquelles se jouent et se rejouent constamment leurs recrutements. Ce faisant, nous entendons interroger la manière dont des ressources biographiques (avoir été footballeur, être « du coin », connaître « du monde ») peuvent ou non constituer un capital utile pour accéder à des positions professionnelles.

Encadré. Méthodologie de l’enquête

Ce travail repose sur deux modalités distinctes de recueil de données, qui imposent des usages et des précautions différenciées. La première a consisté en un balayage des informations disponibles sur les sites internet des clubs, concernant les médecins des 40 clubs français de football professionnel de Ligue 1 et de Ligue 2 pour la saison 2017-2018. Disposer du nom, du sexe et de l’âge du médecin autorise ensuite des recherches ciblées. Les sites de référencement des professionnels du soin permettent alors de connaître leurs spécialités et les conditions dans lesquelles ils exercent le métier. La recension des articles de presse portant sur les acteurs médicaux des 40 clubs de L1 et de L2 s’est avérée utile et fructueuse. En effet, des articles rédigés par les clubs eux-mêmes ou disponibles dans la presse locale présentent les médecins des équipes à l’occasion de leurs récents recrutements ou d’un début de saison [1]. Construits dans une logique hagiographique, ces articles sont ponctués d’anecdotes qui livrent quantité d’éléments biographiques. Les données étant de seconde main, nous avons choisi de ne pas anonymiser les noms des clubs et de leurs médecins lorsque nous mobilisons ce corpus. Cette entreprise présente l’inconvénient d’écraser la dimension temporelle des placements alors même qu’ils relèvent d’histoires différentes.
Nous avons donc souhaité réaliser une seconde collecte de données, qui a consisté cette fois en une analyse approfondie des trajectoires sociales et professionnelles de l’ensemble des médecins ayant travaillé auprès de l’équipe professionnelle du Football Club de Nantes (FCN). Créé en 1943, le FCN devient club professionnel en 1945 et accède à la première division en 1963. Très rapidement, le FCN s’installe parmi les clubs qui comptent, en remportant des titres et en imposant une manière de jouer qui le place en haut de la hiérarchie du football dans la décennie 1970. Avec les brusques changements que connaît ce secteur professionnel autour des années 1980, marqués par une circulation accélérée des joueurs et un emballement financier sans précédent, le FCN entre dans une période plus troublée tant du point de vue des résultats sportifs que de celui de sa stabilité économique, ce qui contribue à « fragiliser la croyance en une singularité nantaise » et participe d’un déclassement progressif (Faure, Suaud, 2011, p. 47). Depuis les années 1990, le FCN occupe plutôt une position intermédiaire dans la hiérarchie financière des clubs de Ligue 1. Nous avons travaillé sur les archives privées du club, pour recenser les acteurs de santé, leurs durées d’exercice, les statuts qu’ils ont occupés. Ici, c’est la profondeur historique des engagements que nous voulions saisir. Sur cette base, nous avons réalisé treize entretiens avec les sept médecins ayant exercé au sein de ce club entre 1987 et 2018. Ces récits se construisent donc sur une période où le club n’occupe plus (durablement) les premiers rangs des clubs professionnels de Ligue 1, et à partir de laquelle « les impératifs de la rationalité économique pénètrent au cœur de la gestion et du fonctionnement des clubs et imprègnent les esprits » (Faure, Suaud, 1994, p. 21). Les données biographiques récoltées nécessitent ici un strict respect de l’anonymat des personnes enquêtées. Tous les noms seront donc modifiés lorsque nous évoquerons les médecins de ce club dans la suite de l’exposé.
  • [1]
    Ce faisant, ils dévoilent les coulisses du club en présentant des acteurs moins exposés. Forum FC Metz (2013), « Ils n’occupent pas le devant de la scène mais leurs noms figurent au générique. Dans l’ombre, ils œuvrent aussi au bon fonctionnement et à la réussite du FC Metz. Premier volet avec André Marie, le médecin des pros », décembre. Dernières Nouvelles d’Alsace (2017), « Homme de l’ombre, le médecin chef de l’AS Monaco passe ses journées au centre d’entraînement de La Turbie ou à accompagner l’équipe en déplacement », 24 mai.

Les propriétés sociales des médecins des clubs professionnels de football

3 Dans les articles de presse qui leur sont consacrés, les médecins reconstruisent leur arrivée au sein d’un club professionnel sur le registre du heureux hasard, d’une opportunité jamais désirée mais toujours saisie. Un tel fil narratif empêche de voir ce que ces appariements doivent aux caractéristiques sociales des praticiens eux-mêmes. Sur la base du recueil de données réalisé à l’échelle des 40 clubs de L1 et de L2 français pour la saison 2017-2018, cette première partie se donne donc pour objectif de mieux saisir qui sont les médecins de club. Le partage de traits communs témoigne d’un ensemble d’attentes et de conditions préalables à l’entrée, et souligne toute l’importance d’une approche dispositionnelle lorsqu’il s’agit de penser la réalité des engagements.

Des hommes « âgés », aux spécialités médicales dominées

4 Le recensement réalisé auprès des 40 clubs professionnels du championnat français nous a confronté à une première difficulté liée à la grande variabilité de l’organisation du travail selon les clubs et leur position dans la hiérarchie des budgets. S’ils ont tous recruté un médecin responsable de l’équipe professionnelle, plusieurs d’entre eux (ceux du haut de la hiérarchie sportive et financière) peuvent compter sur les services de plusieurs praticiens (qui viennent alors seconder le médecin responsable). De même, plusieurs clubs dotés de centres de formation mentionnent la présence d’un autre médecin, spécifiquement dédié à l’encadrement des jeunes footballeurs. Ainsi, certains clubs de L1 ou de L2 peuvent avoir jusqu’à trois ou quatre médecins évoluant sous des statuts divers. Pour faciliter l’analyse, nous limiterons ici la discussion aux 40 médecins responsables des équipes professionnelles des 40 clubs engagés dans les championnats de L1 et de L2 français. L’âge moyen des médecins de club pour la saison 2017-2018 est de 55 ans contre 51 ans pour l’ensemble des médecins français [4]. Sur les 40 médecins principaux des équipes professionnelles, parmi les 38 dont nous connaissons la date de naissance, 12 ont plus de 60 ans et une majorité a dépassé la cinquantaine (8 seulement ont moins de 50 ans). Au sein de ce collectif, il est donc plus fréquent de rencontrer des médecins qui ont dépassé l’âge de la retraite (7 ont plus de 65 ans, le plus âgé a 74 ans), que de croiser de jeunes médecins (3 ont moins de 40 ans). Les données recueillies offrent une représentation précise des trajectoires professionnelles de ces médecins. Si une photographie de la structure des âges pour la saison 2017-2018 montre une population vieillissante, s’intéresser à l’âge qu’ils avaient au moment de leur recrutement permet d’obtenir une image bien différente. Ayant décroché leur poste à un peu plus de 40 ans en moyenne, les médecins accèdent à ce travail assez tôt relativement aux temporalités qui organisent les carrières médicales. Au moment de l’enquête, le temps moyen passé dans les clubs est de quinze ans, ce qui témoigne de la possibilité pour les médecins de s’y installer durablement. Cette durée moyenne d’activité au sein des clubs ne doit en revanche pas laisser supposer que ces placements sont sécurisés. En juin 2021, au moment de la rédaction de cet article, 18 clubs sur les 40 engagés dans les championnats de L1 et L2 en 2017-2018 ont renouvelé le médecin responsable de leur effectif professionnel (un médecin est décédé, deux autres ont pris leur retraite, les 15 restants ont souhaité quitter le club ou ont été remerciés). Si l’on caractérise cet apparent turn-over, il apparaît que parmi les 18 « nouveaux » médecins visibles dans les effectifs des clubs en juin 2021, 5 sont des médecins qui ont déjà exercé dans le championnat professionnel de football (le docteur Baudot était médecin de l’Olympique lyonnais avant de rejoindre le PSG ; le docteur Blanchard a travaillé à l’Olympique de Marseille avant d’être recruté à l’AS Monaco, etc.) et 7 sont des médecins qui étaient déjà présents dans leurs clubs employeurs mais sur des positions subalternes (6 étaient médecins du centre de formation avant d’être « promus » auprès de l’équipe professionnelle, 1 était médecin de l’équipe professionnelle féminine du club) [5]. Ces éléments sont les premiers indices d’un marché du travail médical resserré et concurrentiel, sur lequel les places sont limitées et visiblement recherchées puisque pris dans leur ensemble, les médecins de club s’engagent précocement et durablement dans la fonction. L’attrait de la part de professionnels de haut statut pour un objet que les tenants de la culture légitime placent habituellement en bas de l’espace social n’est pas sans poser question. Qui sont donc ces experts du soin intéressés par le football ? À quelles spécialités ont-ils été formés [6], et sous quels statuts ont-ils exercé la médecine avant de travailler au sein des clubs professionnels ?

5 La caractéristique la plus frappante concerne l’absence de femmes [7]. Une sous-représentation qui n’étonne pas, dans un monde du sport construit par et pour les hommes (Louveau, 2006). Caroline Chimot (2004), dans son travail sur la répartition sexuée des dirigeant·es au sein des organisations sportives, montre que les femmes sont moins nombreuses à occuper les positions les plus valorisées et doivent faire la démonstration de compétences plus nombreuses. Dans le cas des médecins de club, l’absence de femmes peut se lire selon cette même veine analytique [8]. C’est d’ailleurs ce qui conduit I. Waddington (2002, p. 53), à expliquer, dans le cas du football anglais : « Sans surprise, ce sont presque tous des hommes. » Une telle absence est pourtant remarquable si l’on considère la forte féminisation de la profession médicale (Jaisson, 2002a) et l’orientation massive des femmes vers l’exercice salarié du métier. La médecine du travail et la médecine scolaire sont ainsi des secteurs fortement féminisés (Cacouault-Bitaud, Picot, 2009 ; Marichalar, 2014). Leur absence dans le groupe des médecins des équipes professionnelles semble révélatrice d’un marché du travail pénétré des normes qui organisent le monde du sport de compétition (et plus particulièrement encore, du football qui, pris dans son ensemble, « reste un bastion masculin » [Beaud, Rasera, 2020, p. 74]). Les logiques genrées qui organisent le corps médical sont ici peu agissantes : ainsi, bien que 47 % des effectifs de médecins en activité régulière soient des femmes pour l’année 2018, devenir médecin de club reste une affaire d’hommes.

6 Autre trait marquant, comme en Angleterre (Waddington, 2002 ; Malcolm, 2006), la médecine du sport professionnel est une pratique de généralistes. Sur la totalité du groupe, six praticiens seulement exercent une spécialité autre que la médecine générale. Deux sont chirurgiens orthopédistes, quatre sont spécialistes de médecine physique et réadaptation (MPR). Relativement à la hiérarchie symbolique des disciplines médicales, les médecins des clubs professionnels occupent donc des spécialités dominées. La médecine générale reste aujourd’hui encore largement dévalorisée (Jaisson, 2002b ; Schepens, 2014). La MPR est une spécialité récente dont l’assise apparaît fragile : les médecins « rééducateurs » sont peu nombreux en France et souffrent d’un manque criant de reconnaissance (Vautravers, 2007). Enfin, Emmanuelle Zolesio (2012) rappelle que les spécialités chirurgicales ont perdu de leur prestige au profit de spécialités plus rémunératrices et offrant une meilleure qualité de vie. Or la chirurgie orthopédique ne figure pas parmi les spécialités chirurgicales les plus en vue. La MPR et l’orthopédie, quant à elles, sont des disciplines transversales et polyvalentes qui les rapprochent de l’exercice généraliste du métier. Aussi, dans l’ordre des prestiges qui organise et distribue les positions au sein du corps médical, la médecine de club attire des spécialistes du bas de la hiérarchie.

Des libéraux, « toubibs du coin » ?

7 Le milieu du football professionnel n’est pas le seul à offrir des formes de reclassement pour des médecins aux positions professionnelles peu prestigieuses. Florent Schepens (2014), dans son travail sur le recrutement des médecins en unités de soins palliatifs, montre combien ces structures intéressent certains médecins généralistes pour des raisons toutefois bien différentes des clubs de football professionnels. Enfants de salariés, ils y voient l’opportunité de se distancier de l’exercice libéral. Ils ne possèdent pas d’ethos d’indépendant et sont éloignés « du modèle libéral d’exercice de la profession, modèle qu’ils présentent comme une servitude » (Schepens, 2014, p. 56). Les médecins de club, en revanche, sont dans leur très grande majorité des libéraux installés. Vingt-neuf des 38 médecins de club pour lesquels nous disposons de cette donnée pour la saison 2017-2018 ont exercé la médecine générale en cabinet avant d’intégrer le milieu du football professionnel [9]. Pour la plupart, l’entrée en club ne s’est pas traduite par un arrêt de la pratique libérale et la fermeture du cabinet. Si cette caractéristique situe clairement les médecins du football du côté des « libéraux », elle reste en grande partie contrainte par le statut de l’emploi occupé au sein des clubs. Comme le montre le tableau 1, les médecins exercent au sein des clubs de L1 et L2 sous des statuts variés [10]. Onze médecins sur les 36 dont nous connaissons les conditions d’emploi sont salariés à plein temps. Vingt et un ont une activité mixte, dont 17 partagent leur temps de travail entre le club et un cabinet libéral. Enfin, 4 médecins retraités, salariés des clubs, exercent la médecine dans le cadre du cumul emploi-retraite libéralisé [11]. Si la diversité des conditions d’emploi ne dit rien des niveaux de rémunération, leur distribution selon le budget des clubs témoigne des disparités qui organisent le travail médical. Seuls les clubs aux budgets les plus conséquents sont en mesure de s’offrir les services de médecins à plein temps. Ainsi, sur les 10 plus gros budgets du championnat professionnel, 9 clubs salarient leur médecin principal à temps plein. À l’inverse, dans les 10 clubs aux budgets les plus modestes, 8 médecins ont une activité mixte et 2 sont des médecins retraités salariés des clubs.

Tableau 1

Conditions d’exercice des médecins des clubs professionnels de L1 et L2 en 2017-2018 en fonction du budget du club

Rang du club selon le budget et le championnatSpécialité médicaleType d’exercice avant le recrutement dans un club professionnelType d’exercice en 2017-2018
1 – L1Chirurgien orthopédistePraticien hospitalierSalarié du club à plein temps
2 – L1GénéralisteLibéralSalarié du club à plein temps
3 – L1MPR(1)LibéralSalarié du club à plein temps
4 – L1MPRNR(2)Salarié du club à plein temps
5 – L1GénéralisteLibéralSalarié du club à plein temps
6 – L1GénéralisteLibéralSalarié du club à plein temps
7 – L1GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
8 – L1GénéralisteMédecin urgentiste hôpital/SamuSalarié du club à plein temps
9 – L1GénéralisteLibéralSalarié du club à plein temps
10 – L1GénéralisteNC(3) – a toujours été médecin de club à temps pleinSalarié du club à plein temps
11 – L1GénéralisteLibéralRetraité – salarié du club
1 – L2GénéralisteVacations hospitalières au sein d’un service de médecine du sportSalarié du club à plein temps
12 – L1GénéralisteMédecin urgentiste cliniqueNR
13 – L1GénéralisteLibéralRetraité – salarié du club
14 – L1GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
15 – L1GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
16 – L1GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
17 – L1GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
18 – L1GénéralisteNRNR
19 – L1GénéralisteLibéralSalarié du club à plein temps
20 – L1GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
2 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
3 – L2MPRSalarié d’un centre de rééducation fonctionnelleNR
4 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
5 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
6 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
7 – L2GénéralisteTravaille au sein d’un Institut régional de médecine du sportMixte – NR
8 – L2GénéralisteLibéralNR
9 – L2GénéralisteLibéralMixte – centre de médecine du sport
10 – L2Chirurgien orthopédistePraticien hospitalierMixte – clinique privée
11 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
12 – L2GénéralisteLibéralRetraité – salarié du club
13 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
14 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet Libéral
15 – L2MPRPraticien hospitalierMixte – CSSR(4) d’un centre hospitalier
16 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
17 – L2GénéralisteLibéralRetraité – salarié du club
18 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
19 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral
20 – L2GénéralisteLibéralMixte – cabinet libéral

Conditions d’exercice des médecins des clubs professionnels de L1 et L2 en 2017-2018 en fonction du budget du club

(1) MPR : médecine physique et réadaptation.
(2) NR : non renseigné.
(3) NC : non communiqué.
(4) CSSR : Centre de soins de suite et de réadaptation.
Lecture : en 2017-2018, le médecin du club professionnel au budget le plus important (L1) est un chirurgien orthopédiste qui a exercé en tant que praticien hospitalier avant d’être recruté à plein temps par le club.
Champ : les 40 médecins responsables des équipes professionnelles des 40 clubs de football de L1 et de L2 du championnat français.
Source : enquête de l’auteur (encadré).

8 De tels écarts dans les conditions d’emploi peuvent s’expliquer par le coût du travail. Lorsque les médecins sont salariés, « il appartient au club de s’acquitter des cotisations sur les rémunérations versées », alors que ceux qui conservent le statut de travailleur indépendant et sont payés sous la forme de vacations, d’honoraires, doivent « s’acquitter [eux-mêmes] des cotisations sur les rémunérations perçues » (Aumeran, 2014). Bien que recrutés majoritairement dans les rangs des généralistes libéraux, les médecins de club ne font pas preuve d’attachement à leur cabinet ou à leur clientèle préalablement constitués dès lors que se présente l’opportunité d’occuper un poste de salarié à temps plein. Cela dessine une hiérarchie interne au groupe, les médecins du haut de l’espace des clubs professionnels étant ceux qui se sont écartés de l’exercice libéral de la médecine, dont ils sont pourtant le produit. Contrairement aux médecins des unités de soins palliatifs, ce processus n’est pas le résultat de « la volonté de rompre avec la situation de travail antérieure ou de s’en distancier » (Castra, Schepens, 2015, p. 56). Ici, l’existence de très fortes disparités dans le rapport à l’emploi et le possible abandon du statut d’indépendant au profit de celui de salarié pour les médecins des clubs les plus riches du championnat révèle les enjeux économiques sous-jacents, notamment le niveau des rémunérations pratiquées. Scott Polsky (1998), l’un des premiers à écrire sur ce sujet, estimait que « le travail au sein d’une équipe sportive professionnelle [pouvait] offrir des ressources économiques substantielles pour le médecin de l’équipe » (p. 519), sans fournir plus de détails [12]. La question des revenus est peu évoquée dans les médias. En France, seuls les salaires des médecins « stars de la L1 » ont été discutés publiquement. Ainsi, en 2005, le salaire du docteur Chalabi, médecin du PSG, est estimé aux alentours de 19 000 euros mensuels [13]. En 2012, c’est le salaire du docteur Éric Rolland, lui aussi médecin du PSG, qui est débattu, notamment sur divers forums de supporters [14]. Il y est question d’un montant avoisinant les 16 000 euros mensuels. Non seulement les salaires ci-dessus sont parmi les plus élevés du football professionnel et offrent une estimation haute des gains financiers potentiels, mais ils sont également plus élevés que les rémunérations des médecins généralistes (en 2005, le revenu moyen annuel des médecins généralistes s’élevait à 70 770 euros [Attal-Toubert et al., 2009, p. 63] alors que celui du médecin du PSG est estimé alors à plus de 200 000 euros). Une recherche dans la jurisprudence permet de contrôler ces données. En 2006, le RC Lens est poursuivi en justice par un médecin qui réclame réparation pour licenciement abusif. Le médecin, salarié à plein temps du club depuis le début des années 2000, touchait un salaire annuel de 122 663,42 euros, soit plus de 10 000 euros par mois. Enfin, la construction d’une relation d’enquête privilégiée avec un médecin exerçant à temps plein depuis 2008 dans différents clubs professionnels nous a permis de prendre connaissance du montant des gratifications perçues et de leur évolution (nous avons eu accès à l’ensemble de ses contrats de travail). Ce médecin a connu trois clubs professionnels entre 2008 et 2021. Après un premier salaire brut mensuel de 8 000 euros, il a négocié des revalorisations salariales à chaque changement de club, pour atteindre son salaire actuel de 13 346 euros bruts mensuels. À 60 ans, en travaillant dans le football, ce médecin généraliste de formation touche donc un salaire très élevé relativement au groupe des omnipraticiens dont il est issu. Il se situe ainsi au plus haut de la hiérarchie des revenus d’activité perçus par les généralistes libéraux en fin de carrière (en 2017, les généralistes situés dans le 9e décile touchent en moyenne 13 400 euros brut par mois [Salembier, 2020, p. 143]). Comme pour les joueurs, dont certains occupent des emplois précaires et instables (Bertrand, Rasera, 2014), les médecins de club sont cependant loin de tous s’enrichir compte tenu de la diversité des statuts et des très fortes disparités de budget entre les clubs. Pour autant, comme nous venons de le voir, les gratifications financières peuvent être importantes et jouer un rôle déterminant dans leurs engagements, y compris pour ceux, les plus nombreux, qui ne sont pas salariés des clubs à plein temps. Les médecins sur lesquels porte cette enquête sont dans leur grande majorité des généralistes qui possèdent un cabinet en parallèle du travail au sein des clubs. Or, les enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur les revenus des indépendants ont montré que les généralistes en exercice mixte gagnent un revenu 10 % supérieur à celui de leurs confrères libéraux. S’il est sans doute trop radical d’affirmer l’existence d’un ethos économique guidé par le seul profit, relevons simplement que le salariat permet des compléments de revenus qui n’ont rien d’anecdotique.

9 Intéressons-nous à présent aux origines sociales de ces médecins et à ce que nous pouvons en déduire de leur rapport aux gains. Si la collecte de ces matériaux n’a pu être réalisée de manière systématique pour l’ensemble des médecins du championnat 2017-2018, pour autant les éléments biographiques récoltés dans les coupures de presse livrent des indications utiles. D’origines sociales modestes, ils sont pour la plupart les premiers médecins de leur famille [15]. La rapidité avec laquelle ils s’installent sitôt le cursus terminé, par l’ouverture ou le rachat d’un cabinet, révèle un impératif, celui de vivre de son travail médical, et d’une nécessité, celle de convertir rapidement une qualification en un revenu, ce que permet la médecine générale. Le fait que leurs cabinets soient situés dans des zones géographiques proches de leurs lieux de naissance ou de vie lorsqu’ils étaient enfants témoigne par ailleurs d’un localisme souvent caractéristique des personnes aux origines plutôt modestes [16]. Pour la saison 2017-2018, sur les 21 médecins des clubs professionnels qui exercent en activité mixte, 19 sont des médecins généralistes installés dans des cabinets proches des lieux d’entraînement des clubs qui feront ensuite appel à leurs services (17 d’entre eux ont des cabinets situés à moins de dix minutes de voiture du club). Cette proximité n’est pas tant le résultat d’une stratégie de la part des médecins, qui auraient anticipé leur activité au sein des clubs, mais bien plutôt le résultat d’un fort enracinement local. Le fait que la ville d’installation de leur cabinet libéral soit voisine de leur propre origine résidentielle, de même que la participation précoce à la sociabilité locale par les réseaux associatifs (et en particulier sportifs), sont autant de caractéristiques partagées par nombre de ces médecins du football.

10

Le docteur Thierry Delmeule, médecin des Girondins de Bordeaux en 2017-2018, est originaire de la ville et y a passé son enfance. Né en 1962, il ne quittera Bordeaux que le temps de ses études de médecine, avant de revenir y installer son cabinet de médecine générale, deux ans seulement après l’obtention de son diplôme d’État (en 1994). Il intègre les Girondins six ans après, en 2000. Son cabinet libéral est alors situé à une dizaine de minutes de voiture du club.
Le docteur Anthony Tondut est né en 1974 et a passé toute son enfance à Angers. Scolarisé dans des établissements scolaires du centre-ville, il joue au football sur les terrains tout proches de l’Intrépide d’Angers, un club historique de la ville. Entre 1988 et 1994, alors qu’il est au lycée et pendant les premières années de son cursus de médecine, son père, Jacques Tondut, préside l’Angers Sporting Club de l’Ouest (SCO), un club professionnel [17]. Ayant décroché un diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale à la faculté d’Angers en 2002, Anthony Tondut s’installe dès l’année suivante dans un cabinet du centre-ville, à deux pas du centre d’entraînement du SCO, club qu’il rejoindra officiellement en tant que médecin chef de l’équipe professionnelle en 2007. Un tel ancrage local conduira d’ailleurs un journaliste à écrire à son sujet qu’il est « comme un médecin de famille pour Angers-SCO [18] ».
Enfin, le docteur Michel Kergastel, médecin du Stade brestois depuis 1997, est breton d’origine. Né en 1965, le docteur Kergastel s’installe dès la fin de son cursus de médecine générale, en 1992, dans une commune limitrophe de Brest. Il rejoint ensuite le Stade brestois en tant que médecin de l’équipe professionnelle en 1997, club qu’il connaît bien pour y avoir lui-même joué lorsqu’il était enfant [19].

11 Les trois cas ci-dessus, malgré leur évocation rapide et lacunaire, correspondent assez bien à ce qui pourrait être raconté de nombreux médecins de club, dont la plupart sont biographiquement liés au territoire d’implantation du club professionnel dans lequel ils exerceront ensuite la médecine, ce que les articles de presse qui leur sont consacrés ne manquent jamais de rappeler. Louis-Georges Boulard, médecin de l’En avant de Guingamp, « est originaire de Saint-Brieuc [20] » ; Philippe De Smet, médecin du Havre Athletic Club, « est originaire du Nord de la France [21] », etc. La focalisation sur l’ancrage territorial des médecins par la presse est largement guidée par la dimension locale de ces médias, qui ont pour habitude de consacrer des « gens du cru ». Si l’ancrage local semble moins prégnant pour les médecins du haut de l’espace du football professionnel, qui s’inscrivent plus fréquemment dans des mobilités sportives facilitées par le salariat à plein temps, il n’en demeure pas moins que les migrations d’un club vers un autre reposent sur des réseaux de sociabilité directe antérieurement construits et que de tels mouvements n’annulent en rien la force originelle des attaches territoriales.

12

C’est par exemple le cas du docteur Franck Le Gall, actuel médecin de l’équipe de France, qui a occupé successivement le poste de médecin de l’équipe professionnelle des clubs de Lille (LOSC) puis de Marseille (OM). Ce médecin du football, qui « joue » le haut de tableau des clubs de Ligue 1 par des mobilités régulières [22], n’en présente pas moins un ensemble de traits distinctifs du groupe pris dans son ensemble. Né à Angers en 1964, il explique : « Dans ma famille, on naît avec un ballon dans le berceau. Et on est tous supporters du SCO ! On connaît l’histoire du club, on est des vrais passionnés. » Et pour cause, Alphonse Le Gall, son père, est un ancien joueur professionnel (1951-1963), qui a joué huit saisons au SCO (« il fut de l’épopée angevine en Coupe de France 1957 [23] »). Son frère, Christophe, a lui aussi porté le maillot angevin en tant que joueur professionnel de 1983 à 1989. Lui-même, enfin, a joué pour son club de cœur dont une saison en troisième division, mais sans devenir professionnel [24]. Alors qu’il se forme à la médecine, il réalise un stage à Clairefontaine sur l’invitation de l’un de ses enseignants, alors médecin de l’équipe de France. Il y exerce ensuite une quinzaine d’années (1993-2008), en tant que médecin du centre technique national Fernand-Sastre (CNTFS) pour s’occuper des futurs footballeurs. Il croise à cette occasion de nombreux joueurs, dont Rudi Garcia qui, devenu entraîneur du LOSC, le sollicite pour être à ses côtés. Pendant neuf ans, il est le médecin de l’équipe professionnelle, salarié à plein temps, avant de démissionner en 2017, pour suivre Rudi Garcia à l’OM [25].

13 L’exemple du docteur Le Gall permet de saisir ce que ces migrations professionnelles doivent à un ensemble de propriétés sociales déterminantes, au premier rang desquelles figure la construction d’une sociabilité dans le monde du football, dès l’enfance, dans le club des environs. On comprend alors que la figure du « toubib du coin », tout en étant séduisante car elle caractérise le profil idéal-typique du médecin de club, tant ils sont nombreux à présenter des liens de proximité à l’égard d’un club local, est également piégeuse, car elle fait de l’ancrage territorial un attribut central qui n’agit pourtant jamais exclusivement, les réseaux d’interconnaissance étant susceptibles de se construire indépendamment d’une attache résidentielle précoce et durable.

14 Des hommes qui ont rencontré le football dans leur jeunesse, ont développé un fort attachement à un territoire et au club professionnel qui en porte les couleurs et qui, devenus médecins généralistes, se sont installés en cabinet libéral à proximité de leur club « de cœur » – autant de caractéristiques qui pourraient conduire à faire de l’autochtonie le trait principal qui fonde l’identité des médecins du football. Or si les engagements de ces médecins au sein des clubs peuvent présenter tous les traits distinctifs de l’autochtonie, cette dernière ne s’est pas nécessairement constituée en un capital utile « permettant de se positionner avantageusement sur [le marché du football professionnel] » (Renahy, 2010, p. 9). Jean-Noël Retière (2003, p. 139) rappelait ainsi fort justement que « l’enracinement et l’héritage […] n’ont de chances de devenir capital d’autochtonie conférant une puissance (d’accès à des positions, à des titres de reconnaissance, etc.) à son détenteur que pour autant que les autorités locales en reconnaissent ou se trouvent contraintes d’en reconnaître la valeur ». Les propriétés sociales des acteurs n’agissent jamais seules et indépendamment de rapports sociaux historiquement situés, dont il convient désormais de rétablir les contours.

Devenir médecin de club : les conditions sociales de l’engagement

15 Cette seconde partie a pour ambition de dépasser le seul registre des propriétés sociales pour mieux saisir les processus structurels et historiques des engagements. Pour celui qui en dispose, faire valoir son passé de footballeur, « du coin » qui plus est, est à n’en pas douter une ressource utile pour justifier a posteriori son attrait pour la fonction de médecin de club. Mais rien n’indique qu’elle détermine de façon décisive les engagements effectifs de ces médecins au sein des clubs. Pour saisir plus finement les logiques de leurs positionnements dans un espace supposément désiré, nous avons réalisé un travail ethnographique par entretiens, auprès de l’intégralité des médecins passés par le FCN depuis 1988, année du premier contrat signé par un médecin. Nous avons fait le choix de travailler par entretiens semi-directifs répétés et approfondis (treize entretiens réalisés avec sept médecins), avec la volonté d’appréhender la totalité d’une population (tableau 2). Le fait que nous ayons une bonne connaissance du club et de son histoire [26] nous a permis de traiter les données déclaratives avec le recul nécessaire, face au risque bien identifié de reconstruction biographique. Par la réalisation d’un travail intensif sur un nombre limité d’entretiens, nous souhaitions « faire apparaître la cohérence d’attitudes et de conduites sociales, en inscrivant celles-ci dans une histoire ou une trajectoire à la fois personnelle et collective » (Beaud, 1996, p. 234).

Tableau 2

Les médecins du FCN rencontrés en entretiens

NomSpécialitéTravail au FCN
F. AudubonGénéraliste[1987 – 2008] Médecin libéral/salarié sous contrat au FCN (mi-temps)
J. BenzineGénéraliste[1994 – 1998] Médecin libéral/salarié sous contrat au FCN (mi-temps)
G. LavesteGénéraliste[1998 – 2017] Médecin libéral/salarié sous contrat au FCN (mi-temps)
[2017 – …] Retraité, salarié sous contrat au FCN (temps plein)
T. IsignyGénéraliste[2007 – 2008] Médecin libéral/indemnisé par le FCN pour le suivi des matchs à l’extérieur
M. JonasMPR[2008 – 2017] Praticien hospitalier mis à disposition au FCN par le centre hospitalier universitaire (CHU) (deux jours de présence par semaine et suivi d’un match sur trois)
B. JuilletGénéraliste[2008 – 2013] Médecin libéral/rémunéré par le FCN sous forme d’honoraires (deux jours de présence et suivi d’un match sur trois)
S. LenversGénéraliste[2008 – 2009] Médecin libéral/rémunéré par le FCN sous forme d’honoraires (un jour par semaine et suivi d’un match sur trois)

Les médecins du FCN rencontrés en entretiens

L’amour du football, une condition d’accès ?

16 Lorsqu’au gré des entretiens nous évoquons avec les médecins du FCN leurs gratifications et la valeur proprement financière qu’ils accordent à leur rôle de médecin de club, tous ou presque convoquent la nécessaire rétribution du travail effectué (« je n’ai pas fait dix ans d’études pour être bénévole ! ») tout en s’empressant d’en atténuer la portée, par un incessant rappel à la passion (« je ne fais pas ça pour l’argent »). Nourri des propriétés générales de la population des médecins de club pour la saison 2017-2018 et, plus largement, des résultats des enquêtes réalisées sur le travail au sein des organisations sportives (Chimot, Schotté, 2006), nous avons classiquement intégré à notre grille d’entretien une thématique relative au passé sportif des médecins. Bien que ce dernier soit très répandu dans le cas des entraîneurs de L1 et de L2 (Bréhon et al., 2016), rien ne garantit qu’il faille avoir été footballeur pour travailler dans un club. Par exemple, Manuel Schotté (2016, p. 144) a montré que « ce n’est pas au nom d’une carrière sportive antérieure que l’on devient président d’un club de football professionnel ». Qu’en est-il alors des médecins ? Les données de seconde main, comme celles recueillies en entretiens, renforcent le sentiment d’une nécessaire proximité biographique avec le football. Ils sont nombreux à raconter avoir été footballeurs dans leur jeunesse, à avoir eu dans leur entourage des sportifs professionnels et à avoir fréquenté les stades de football.

17 Les biographies des médecins passés par le FCN ne viennent pas contredire les propriétés générales identifiées à l’échelle du groupe des médecins de club. Le docteur Audubon a joué dans les équipes jeunes du FCN et a gardé des liens d’amitié avec un entraîneur emblématique du club ; le docteur Jonas a été international cadet et a intégré pendant trois ans le centre de formation d’un club de L1 voisin du FCN ; les docteurs Isigny et Juillet comptent dans leur environnement familial d’anciens sportifs professionnels (le père de l’un, le grand-père de l’autre) et ont été, enfants, des supporters assidus du FCN. Bien que les rapports entretenus avec le club soient de natures diverses, il est aisé de repérer un fort attachement biographique au football de la part des médecins qui y exercent. Dans un registre vocationnel bien connu en sociologie du sport, leur recrutement est vécu comme une chance mais aussi comme une récompense qui célèbre et reconnaît la force de leurs engagements sportifs antérieurs. Leur passion est invoquée comme déterminant de leurs raisons d’agir et de leur volonté de travailler dans un club [27]. Pourtant, si ce rapport étroit au football caractérise la plupart d’entre eux, certains médecins n’en présentent aucun. Dans le cas du FCN, les docteurs Benzine et Lenvers n’ont jamais pratiqué le football et déclarent « ne rien connaître » à ce jeu au moment de leur recrutement.

18 Plutôt que de penser ces récits comme des « accidents », nous les considérons comme les indices d’un marché du recrutement médical qui ne repose pas sur la seule démonstration que font les candidats d’une passion pour le football. À l’occasion de leurs travaux sur les professionnels du soin palliatif, Michel Castra et Florent Schepens (2015, p. 58) invitaient à se méfier « des représentations du passé et [de la] rhétorique du discours sur soi caractéristiques du groupe, qui constituent un moule narratif grâce auquel l’individu bricole son récit, retrace son parcours et ordonne ses événements ou expériences de vie en fonction d’un sens préétabli ». Face à la permanence dans le discours d’une expérience personnelle douloureuse, les auteurs rappelaient que « tous les soignants sont confrontés à ce type de drame [mais] tous ne s’orientent pas vers les soins palliatifs ! […] Avoir connu un événement dramatique ne suffit pas à devenir professionnel en USP ; encore faut-il être embauché par ce type de service ». Si certains médecins entrent sur le marché du football sans avoir à apporter la preuve d’un quelconque amour du sport, c’est que cet argument n’est pas décisif pour les recruteurs. Ces cas, certes exceptionnels, sont la preuve qu’il n’y a pas lieu de se laisser berner par le registre vocationnel et offrent une occasion d’ouvrir l’analyse aux éléments proprement conjoncturels. Les docteurs Benzine et Lenvers, cités ci-dessus, ne peuvent se prévaloir d’un vécu sportif et présentent cette absence comme un élément distinctif : « Je ne suis pas comme F. Audubon qui a un passé de footballeur, je n’ai pas de CV de sportif de haut niveau », explique le docteur Benzine. Sans possibilité d’actionner ce levier pour penser leur engagement, c’est alors une autre histoire qu’ils racontent, entre opportunités sportives (les possibilités d’emplois étant fortement dépendantes de la réussite sportive et donc économique du club), trajectoires médicales (l’entrée au club leur apparaît légitime à un moment particulier de leur carrière), et jeu d’interrelations amicales et/ou professionnelles (pour être recruté, encore faut-il [se faire] connaître du ou des agent(s) qui a/ont le pouvoir de placer).

19

L’histoire du docteur Benzine est celle d’un médecin à la fois distant et proche du football, qui a passé près de quinze années à graviter autour et dans des réseaux d’interconnaissances susceptibles de lui garantir un accès au club, qui aura tout à la fois pâti et bénéficié de l’actualité sportive du club, et dont l’attirance pour le football professionnel ou le rejet de ce sport n’est pas sans lien avec le déroulement de sa carrière médicale. Le docteur Benzine n’a ainsi jamais joué au football, n’y connaît rien, mais est apparenté par sa femme à l’un des entraîneurs emblématiques du FCN. En 1984, alors qu’il se forme à la médecine du sport, la construction du stade de la Beaujoire lui permet de réaliser un mémoire sur la sécurité du stade et le fait connaître des dirigeants du FCN, ce qui lui offre la possibilité d’y faire ensuite quelques vacations. Au début des années 1990, un changement de président puis les difficultés financières rencontrées par le club compromettent un temps son recrutement ; quelques années plus tard, le durcissement des normes relatives à l’encadrement des joueurs en formation réactualise cette possibilité. À 35 ans, il refuse toutefois le poste de médecin salarié du centre de formation du FCN par peur de perdre sa clientèle libérale, fraîchement constituée et fidélisée, mais révise cette position l’année suivante après s’être rompu le tendon d’Achille et avoir subi un arrêt de travail de plusieurs mois sans avoir contracté d’assurance professionnelle : le salariat en exercice mixte devient alors une perspective louable et souhaitée.
De même, le cas du docteur Lenvers, qui a été pendant un an le médecin de l’équipe professionnelle, permet d’éclairer les mécanismes qui, dans l’histoire de son recrutement, relèvent du contexte sportif, du rôle joué par les réseaux d’interconnaissances, et de l’état de sa carrière médicale au moment où se présente la possibilité d’exercer au sein du club. En 2008, avec la seconde relégation en L2 de son histoire, le club se sépare de son médecin historique, le docteur Audubon, et recrute un nouveau médecin « en chef », le docteur Jonas, qui souhaite être secondé par deux autres médecins. Or le docteur Jonas a été l’enseignant du docteur Lenvers lorsque celui-ci suivait sa formation en médecine du sport et ils sont restés en contact régulier ensuite. Le docteur Lenvers possède alors un cabinet libéral dont il assure seul le secrétariat depuis cinq ans, tâche administrative dont il aimerait se délester. Sa volonté de rejoindre le FCN n’est en rien le résultat d’une sensibilité au football mais découle bien de la possibilité de s’extraire d’un exercice en cabinet libéral dont les contingences quotidiennes sont devenues pesantes. Travailler au club se rapproche plus de l’échappatoire que du sacerdoce.

20 Les travaux de Romain Juston (2017) sur les médecins légistes offrent ici un point de comparaison utile. L’auteur y rappelle que la médecine légale n’est pas une spécialité et que les « médecins proviennent de secteurs différents et de spécialités variées ». Or, de manière assez similaire à ce que donnent à voir les trajectoires de médecins de club, il remarque que « les logiques qui président [aux] parcours [des médecins légistes] présentent un dégradé de motifs d’engagement dans la carrière, depuis les passionnés du droit jusqu’aux désabusés du soin » (Juston, 2017, p. 398). C’est donc bien dans le double rapport au sport et à la médecine qu’il faut chercher les raisons d’agir des médecins du football, sur un marché du travail largement dépendant des saisonnalités sportives et par conséquent incertain.

21 Un tel résultat invite à se méfier de la figure idéal-typique du médecin de club dressée dans la première partie de l’analyse, et à ne pas survaloriser le registre vocationnel pourtant omniprésent dans les déclarations d’une large majorité de médecins. Pour ceux qui possèdent un passé sportif, il est plus gratifiant de se raconter sportif que de revenir sur des éléments de contexte dont la plupart leur échappent largement. Leurs engagements ne sont pourtant pas indépendants de la réalité d’un marché instable et ne s’entendent pas séparément du rapport qu’ils entretiennent à l’exercice du métier. Reprendre avec une telle grille de lecture les récits de recrutements des médecins passionnés de football offre la possibilité d’élargir sensiblement le spectre de l’analyse. Derrière l’écran commun de l’amour du sport, se dissimulent des chemins d’accès singuliers dont la mécanique est un puissant révélateur des logiques qui favorisent leurs placements.

Dépassionner les autonarrations pour penser les ressorts structurels d’un marché du travail médical

22 Penser l’engagement par les ressources offertes par l’autochtonie (avoir été footballeur, être du « coin », connaître du « monde », etc.) conduit à résumer les voies d’accès au poste de médecin de club à une forme bienheureuse de cooptation. C’est d’ailleurs la représentation qu’en ont bon nombre de médecins. Le docteur Jonas, avant de devenir médecin du FCN, résumait les modalités de recrutement de la sorte :

23

« Le médecin d’un club, c’est le copinage intégral. Tu deviens médecin de l’équipe parce que tu connais bien le président ou je ne sais pas qui, et puis ça se fait comme ça ! » Il tient ces propos en 2007, soit environ dix-sept ans après avoir fait ses premières armes au FCN et avoir tenté d’y être embauché sans succès. Il sera finalement recruté l’année suivante, en 2008, mais l’ignore au moment de l’entretien. Proche de la prophétie autoréalisatrice, son propre recrutement lui donne en partie raison. Il ne déposera en effet pas de candidature en réponse à une offre d’emploi et ne passera pas d’entretien(s) d’embauche, mais sera directement contacté par un proche du président afin de « prendre le poste ». Alors que le principe d’un recrutement par cooptation n’a rien d’original et traverse bon nombre de secteurs, ce qui marque ici, c’est l’existence d’une multiplicité d’agents recruteurs. Selon le contexte, les médecins peuvent être approchés puis intronisés par les présidents eux-mêmes, par les directeurs sportifs, par des entraîneurs, parfois, enfin, par des confrères déjà en place au sein du club [28]. Être recruté dans un contexte de crise institutionnelle par un président qui souhaite dans le même temps déstabiliser le médecin en place, être recruté par un entraîneur au titre d’une pratique ancienne et commune dans le monde du football, ou être recruté par le médecin en chef du club pour le seconder dans un contexte de réussite sportive et économique, les logiques à l’œuvre diffèrent largement. Une fois dépassé le vernis vocationnel, les entretiens réalisés avec les médecins « passionnés » du FCN témoignent tous d’un assemblage original entre des possibles sportifs et médicaux.
Se présentant volontiers comme un digne héritier de l’histoire du club et de ses « valeurs », le docteur Audubon fait de son recrutement une « suite logique » : lorsqu’il était jeune, il a en effet joué au FCN dans une équipe encadrée par celui qui deviendra l’entraîneur emblématique et durable de l’effectif professionnel. Pour autant, son entrée au club en tant que médecin est d’abord et avant tout le résultat de possibles qui convergent à un moment précis de l’histoire du FCN, signe que la conversion des réseaux d’appartenance en un capital social utile est le fruit d’un faisceau de contingences. Pour que le passé du docteur Audubon agisse en sa faveur et que les dirigeants du FCN reconnaissent en lui l’homme providentiel, encore fallait-il qu’une place se libère, que l’on pense à lui, et qu’il soit disposé à l’occuper. Son placement relève d’abord d’une opportunité médicale, avec le départ à la retraite du médecin du FCN qui tombe « à pic ». L’année précédente, F. Audubon avait obtenu de l’entraîneur principal du FCN l’autorisation de réaliser des mesures physiologiques sur les joueurs professionnels de l’équipe, dans le cadre de sa thèse de médecine générale. Au moment où le poste se libère, il vient tout juste d’obtenir sa thèse, ne s’est pas encore installé en cabinet et se trouve donc en position favorable pour accepter cette activité. Il ouvrira cependant un cabinet de médecine générale l’année même de son recrutement au FCN, tout en étant salarié du club à mi-temps. Son engagement tient aussi d’une opportunité sportive. Deux ans avant son arrivée, en 1986, un nouveau président est élu dans le contexte de transformation plus générale du football du milieu des années 1980 (Faure, Suaud, 1999). Max Bouyer, jeune homme d’affaires, entreprend alors de faire du FCN une « entreprise ». Le recrutement du docteur Audubon – premier médecin dans l’histoire du FCN à signer un contrat de travail – devient possible alors que la masse salariale du club est en pleine augmentation. « Les effectifs à temps plein du FCN s’accroissent de manière sensible vers la fin des années 1980 : de 25 en 1985, ceux-ci passent à 30 en 1988 pour atteindre les 38 en 1990 » (Faure, Suaud, 1999, p. 171). Enfin, l’accès du docteur Audubon à l’espace du football professionnel relève d’une opportunité stratégique. Le club entretient un rapport étroit avec les collectivités dont le subventionnement est devenu à la fin des années 1980 à la fois nécessaire et contraignant au point de faire du recrutement d’un nouveau médecin un acte très politique. Deux médecins installés briguent ainsi le poste, l’un poussé par des élus de gauche, l’autre par des élus de droite. Le président trouvera dans les conseils de son entraîneur une voie honorable de sortie, en préférant contre toute attente à ces médecins introduits le tout jeune docteur Audubon, pourtant sans expérience médicale.
Parce qu’elle illustre à quel point un recrutement résulte de la combinaison favorable de plusieurs facteurs, l’histoire du docteur Isigny est tout aussi éclairante. Socialisé au football par son grand-père, joueur professionnel dans les années 1940, il est « bercé » par le rythme des saisons du FCN et se présente comme un supporter inconditionnel du club. Lui aussi se rapprochera très tôt du FCN dans sa carrière médicale. Dès le début des années 1980, il y réalise un mémoire universitaire sur le suivi du footballeur sous la direction du docteur Roland, prédécesseur du docteur Audubon. Il aurait aimé ensuite y travailler, mais la place est déjà prise. Plus tard, au milieu des années 1990, sur les conseils d’un kinésithérapeute avec qui il partage son cabinet libéral et qui effectue des vacations au FCN, il fait une nouvelle tentative et appelle l’entraîneur des professionnels. Le docteur Audubon est en place, l’appel reste sans suite. En 2007, soit près de trente ans après ses premières approches, il lit dans la presse que le président du moment trouve « anormal » de ne pas disposer au FCN d’un médecin alloué aux déplacements extérieurs. En effet, le docteur Audubon assure uniquement le suivi des matchs à domicile et est en conflit avec sa direction à ce sujet. Le docteur Isigny y voit une opportunité et envoie un courrier au président, à qui il rappelle combien il est attaché au club. Ce dernier l’invite alors à assister à un match du FCN et le recrute ainsi, sans autre formalité (« je suis allé le soir d’un match, et il m’a dit : c’est OK »).

24 Finalement, les récits ci-dessus révèlent des formes de cooptation singulières car à géométrie variable. Très dépendant de la saisonnalité sportive, l’accès au marché du travail des médecins des clubs professionnels se révèle peu rationalisé, et les recrutements ne s’y font pas uniquement sur la base des compétences médicales. Les présidents comme les entraîneurs n’ont pas les moyens de distinguer ce qui organise la hiérarchie professionnelle des praticiens de santé et qualifient le « bon » médecin autrement que par ses titres et diplômes. Les éloges étant distribués au sein des réseaux d’interconnaissances (Elias, 1985), les recruteurs construisent leurs avis en s’appuyant sur les jugements positifs pris dans leur entourage. C’est ce qui explique le faible recours à des entretiens d’embauche sur ce marché du travail [29]. Lorsque les dirigeants rencontrent le médecin, c’est que le processus de recrutement est généralement bien avancé et l’« entretien d’embauche » perd alors tout son sens. L’envoi d’un CV et d’une lettre de motivation en réponse à une annonce reste une pratique exceptionnelle et, comme le remarquait M. Schotté (2016, p. 113) pour les présidents de club, le médecin « n’a pas forcément besoin de se porter candidat pour accéder à son poste. [Il] est le plus souvent intronisé par la logique de l’entre-soi qui régit le fonctionnement des clubs ».

25 Étonnamment, le recrutement effectué par des pairs ne renverse pas cette logique dans la mesure où les raisons qui guident leurs choix ne tiennent pas toujours compte des compétences médicales [30]. Lorsqu’il recrute le docteur Laveste pour le seconder, le docteur Audubon explique ainsi l’avoir choisi pour le sortir d’une passe difficile. Alors qu’il lui était interdit d’exercer en libéral par la Sécurité sociale [31], il s’agissait de lui permettre de « gagner sa croûte ». Le docteur Jonas, quant à lui, recrute le docteur Juillet en raison de son expérience passée au FCN et au sein d’un club local amateur de haut niveau : « Je le connaissais pas mais je savais qu’il aimait le foot. » Ainsi, la récurrence de recrutements basés sur des critères personnels construit la diversité des engagements et fait de la sociabilité directe, par l’entretien et la mobilisation de réseaux d’interconnaissances, la principale ressource utile des médecins désireux de décrocher un poste dans le football. Pour autant, le récit de leurs entrées, restituées dans leurs dimensions temporelles et enchâssées dans les contraintes structurelles du club, montre également combien la constitution de l’autochtonie en un capital mobilisable reste soumise à des aléas conjoncturels qui rebattent systématiquement les conditions pratiques d’un recrutement. Pour certains, l’engagement relève d’une récompense acquise à l’issue d’un intense travail de placement ; le docteur Jonas explique par exemple : « Depuis toujours j’ai voulu faire ça. » Pour d’autres, il tient plus de l’opportunité saisie « au vol » ; le docteur Lenvers précise ainsi : « Je connaissais rien au foot. Ça m’est tombé dessus ! » Cette cooptation à géométrie variable rend les frontières de cet espace médical particulièrement perméables et génère une forme de dérégulation dès l’entrée, avec pour conséquence que des médecins fans de football peuvent ne jamais réussir à être introduits dans un club, ou seulement après des efforts nombreux et renouvelés, là où d’autres, étrangers à ce sport, peuvent soudainement y être invités sans l’avoir anticipé ni projeté.


26 En conclusion de l’enquête réalisée au sein du championnat anglais de football, I. Waddington (2002, p. 63) « pointe du doigt les lacunes et les faiblesses des procédures de recrutement des médecins dans le monde du football » et estime qu’elles indiquent « un défaut de professionnalisme des clubs professionnels ». Loin de partager un tel constat, nous nous sommes attaché à montrer combien les mécanismes diversifiés de l’engagement sont le miroir du fonctionnement ordinaire d’un marché du travail peu régulé et incertain. Autrement dit, elles ne sont pas tant la conséquence d’une mécanique enrayée ou le signe d’un défaut de réglage, que l’expression en actes d’une institution normée qui attire et retient – sous conditions – des individus disposés à y travailler, au moins un temps. C’est précisément parce que les médecins intéressés par de telles positions ne se recrutent pas n’importe où dans l’espace social (des hommes, d’origines sociales modestes) et médical (des généralistes, les premiers à devenir médecins dans leur famille, disposant d’un fort ethos libéral) que nous avons analysé les intérêts qui les conduisent à occuper de telles positions. Nous avons montré qu’ils pouvaient objectivement attendre de cet exercice médical une rétribution financière importante, même si ces gains sont directement dépendants de la position des clubs dans la hiérarchie des budgets. Nous avons montré également combien l’amour du football était l’un des principaux registres de justification des prétendants à la médecine de club, même si ce rapport affectif au jeu n’est pas l’apanage de tous. Les logiques économiques et vocationnelles sont donc déterminantes dans la construction des positions. Elles ne doivent pas être surestimées pour autant, car elles n’agissent pas seules. Vouloir vivre du football, pour le football, ne suffit pas. Encore faut-il se faire embaucher. De ce point de vue, en pensant leurs placements comme le résultat d’une histoire, celle de la rencontre entre un agent et une institution situés dans un temps et un contexte toujours originaux, l’enquête montre que les voies de l’engagement sont marquées d’une profonde diversité. En effet, les agents recruteurs sont multiples et il n’y a pas de mandataire clairement identifié pour autoriser l’accès et favoriser le placement des médecins au sein des clubs. Introduits par des présidents, des entraîneurs ou des professionnels de santé qui peuvent ne pas être médecins eux-mêmes, ils sont rarement choisis sur leurs seules compétences techniques, mais plutôt en fonction de réputations construites dans divers entre-soi plus ou moins étendus. Pour autant, ces ressources biographiques et relationnelles ne peuvent se constituer en un capital utile qu’à la faveur d’un contexte sportif, et les incertitudes liées à la saisonnalité des résultats en compétition jouent un rôle central dans l’ouverture ou la fermeture des possibles. Par le jeu des contraintes imposées par le calendrier sportif, ces fenêtres d’opportunité se présentent alors à des moments spécifiques des carrières médicales, et un projet de travail dans le football qui pouvait être envisageable un temps, peut s’avérer inopportun plus tard. On comprend donc, à rebours des entretiens conduits avec les médecins et au cours desquels les enquêtés sont prompts à saluer le « hasard » d’une « belle rencontre », combien sont nombreuses les conditions à la fois sociales et structurelles qui rendent possible et concevable l’occupation de telles positions. Cette analyse informe la conditionnalité avec laquelle une ressource biographique peut servir avantageusement un engagement et interroge la force des héritages dans les devenirs. En ce sens, elle se veut être une contribution supplémentaire et originale aux travaux qui entendent saisir les conditions de conversion d’un passé athlétique en un « capital sportif ». Elle n’épuise pas en revanche la question de l’attachement au travail. Si les entrées des médecins au sein des clubs sont objectivement très différentes selon les histoires individuelles – aux prises avec un marché du travail contraignant – nous pouvons imaginer qu’elles auront des effets sur le contenu du travail lui-même et sur les possibilités diversifiées de se maintenir en poste. Une telle analyse reste à mener.

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Mise en ligne 16/12/2022

Notes

  • [1]
    AFP (2014), « Top 14 : après le KO de Fritz, le syndicat Provale demande un médecin indépendant », La Croix, 12 mai.
  • [2]
    « Rugby : les joueurs expriment leur défiance vis-à-vis des médecins des clubs », Libération, 19 janvier 2016.
  • [3]
    À noter également des travaux plus isolés qui portent sur les médecins de club aux États-Unis (Polsky, 1998), et en Nouvelle-Zélande (Anderson, Jackson, 2013).
  • [4]
    Drees, La démographie des médecins (RPPS) au 1er janvier [en ligne]. https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/la-demographie-des-medecins-rpps-au-1er-janvier/, consulté le 7 juin 2022.
  • [5]
    Le recueil de données dans la presse spécialisée n’a pas permis de renseigner plus finement les conditions d’arrivée des six autres « nouveaux » médecins qui ont fait leur apparition dans le groupe des médecins de club depuis 2018. Les clubs concernés ne se situent pas n’importe où dans l’espace du football professionnel : deux d’entre eux ont subi depuis 2018 des relégations sportives, les autres sont situés en bas de la hiérarchie des clubs de L2 et tous connaissent une couverture médiatique bien plus limitée que celle accordée aux clubs les plus prestigieux du championnat.
  • [6]
    La médecine du sport ne constitue pas en France une spécialité médicale. Il s’agit d’une compétence qui vient s’ajouter aux spécialités respectives des professionnels de santé (Viaud, 2009).
  • [7]
    En 2021, au moment de l’écriture de cet article, deux femmes sont devenues médecins d’une équipe professionnelle, mais sur des positions subalternes (elles secondent le médecin en chef).
  • [8]
    Cette hypothèse est d’autant plus forte que l’enquête porte ici exclusivement sur des équipes de football masculines. Une enquête réalisée auprès des médecins d’autres sports professionnels, qui intégrerait à la fois les équipes masculines et féminines, reste à faire.
  • [9]
    Pour les autres, sept travaillaient en contexte hospitalier, un était salarié d’un centre de rééducation et un a toujours été médecin de club depuis l’obtention de son diplôme de médecine.
  • [10]
    C’est aussi ce que repérait I. Waddington (2002, p. 53) dans le cas du football anglais de la fin des années 1990. Les conditions d’emploi des médecins de club varient fortement d’un club à un autre. « Presque tous travaillent sur la base d’un temps partiel. […] Il n’y a pas plus d’une demi-douzaine de médecins à temps plein dans le football anglais. »
  • [11]
    Dispositif qui permet de cumuler une pension de retraite avec un nouveau revenu professionnel d’indépendant sans limite de plafond. « Au 1er janvier 2018, près de 10 % des médecins libéraux ou ayant une activité mixte exercent dans le cadre du dispositif cumul emploi-retraite » (Pla, 2018, p. 1).
  • [12]
    Les travaux de I. Waddington (2002), pourtant plus étayés empiriquement, n’offrent guère de précisions. Ils se font l’écho des médecins qui « considèrent globalement être sous-payés par rapport aux services rendus » (p. 53). Dans son enquête par questionnaire auprès des médecins des 68 clubs de rugby des 4 divisions les plus élevées du championnat anglais, Dominic Malcolm (2006) s’interroge lui aussi sur les gratifications financières. Les 34 réponses obtenues ne fournissent que peu d’indications ; « 3 médecins de club recevaient un salaire ; 23,5 % recevaient des primes de présence sur les matchs ; 28,4 % ne recevaient aucune récompense » (p. 395).
  • [13]
    Hermant A. (2005), « Le staff médical sous contrôle », Le Parisien, 11 novembre. En 2015, le docteur Chalabi revient sur cette période : « J’étais directeur médical du PSG et directeur médical adjoint de la Clinique du sport à Paris, donc probablement le médecin du sport le mieux payé en France. Ce n’est pas un secret, c’était dans les journaux ! On a des salaires confortables, il ne faut pas le nier » (Source : Ouest-France [2015], « Sport. Hakim Chalabi : “On est prêt pour la Coupe du monde 2022” », 31 janvier).
  • [14]
    Forum Jeuxvideo.com (2012), topic « Le salaire du Dr Éric Rolland (du PSG) », 2 septembre. Deux catégories de jugements divisent les contributeurs. Certains estiment que ce salaire est faible relativement à ceux versés dans l’univers du football (GyneDZEKOlogue : « Ce type gagne 16 250 net par mois, alors qu’il a une renommée internationale avec plus de quinze ans d’études derrière lui et qu’il a opéré les plus grands sportifs ; alors que de l’autre côté on a Zoumana Camara, remplaçant au PSG, qui gagne près de 150 000 net par mois. Triste ! ») ; d’autres trouvent ce niveau de revenus élevé au regard des professions de santé (Doggy : « Comparé aux autres praticiens il est bien Éric »). Cette bipartition des opinions est omniprésente sur la toile lorsqu’il s’agit de discuter des salaires des « autres » professionnels du football (entraîneurs, préparateurs physiques, médecins).
  • [15]
    De ce point de vue, les médecins du football ne se distinguent pas de l’ensemble des praticiens possédant une compétence en « médecine du sport », dont une partie importante est d’extraction populaire et distante familialement de la culture médicale (Viaud 2009, p. 399).
  • [16]
    Un autre indicateur de leurs origines modestes est la construction précoce de familles. Ils sont en effet nombreux à avoir eu des enfants avant la fin de leurs cursus médicaux. Bien que nous n’ayons pas les moyens de le montrer ici, nous pourrions interroger en quoi ces constructions familiales précoces – dont les médecins de club parlent très facilement en interview – ont possiblement influencé leur placement dans un univers du football professionnel au sein duquel le familialisme est reconnu et valorisé (Rasera, 2016, p. 211).
  • [17]
    Jacques Tondut, né en 1948, était lui-même médecin généraliste, installé depuis 1978 dans un cabinet du centre-ville d’Angers. Cette proximité à la culture médicale distingue sensiblement Anthony Tondut de ses confrères médecins de club.
  • [18]
    Crozon G. (2020), « Football. Anthony Tondut, comme un médecin de famille pour Angers-SCO », Le Courrier de l’Ouest, 29 août.
  • [19]
    « Le maillot rouge et blanc, Michel le connaît bien. Gardien de but du Stade jusqu’en minimes, c’est toujours avec une certaine émotion qu’il évoque une demi-finale de coupe de Bretagne jouée contre Guingamp, en lever de rideau des “grands”, comme il se surprend à le dire encore… » (Source : « Portrait : Nicolas Didry et Michel Kergastel », Blog de BGTA29, 25 février 2008 [en ligne]. https://bgta29.skyrock.com/1573254356-Portrait-Nicolas-Didry-et-Michel-Kergastel.html, consulté le 7 juin 2022).
  • [20]
    Non signé (2015), « Le médecin des footballeurs est de Saint-Brieuc », Ouest-France, 21 janvier.
  • [21]
    Lelaidier E. (2008), « Portrait de Philippe De Smet, le nouveau “doc” du HAC », site internet du Havre Athletic Club, 11 juillet. http://www.hac-foot.com/actualite/portrait-de-philippe-de-smet-le-nouveau-doc-du-hac.html, consulté le 7 juin 2022.
  • [22]
    D’autres sont aussi dans ce cas comme le docteur Christophe Baudot qui, depuis 2007, est passé par l’OM, l’Olympique lyonnais et plus récemment le PSG, trois clubs majeurs du championnat professionnel français.
  • [23]
    Boisseau M. (2012), « Football. Un Angevin au chevet des Bleus », Ouest-France, 1er août.
  • [24]
    Le Gall F., « Histoire », site internet Le Gall Football Care. https://legallfootballcare.com/histoire/, consulté le 7 juin 2022.
  • [25]
    Long S. (2018), « Coupe du monde de football : ce que vous ne savez (peut-être) pas sur le staff médical des bleus », LeQuotidiendumédecin.fr, 16 juin. https://www.lequotidiendumedecin.fr/hopital/urgences/coupe-du-monde-de-football-ce-que-vous-ne-savez-peut-etre-pas-sur-le-staff-medical-des-bleus, consulté le 7 juin 2022.
  • [26]
    Nous entretenons une longue histoire d’enquête au sein de ce club, nos premières investigations par observations directes datent de 2008.
  • [27]
    Des mécanismes identiques ont été repérés pour d’autres travailleurs de la branche sport, pour lesquels la référence à leur passion du sport est un véritable droit d’accès aux positions convoitées (Hidri Neys, Bohuon, 2008).
  • [28]
    Cette multiplicité des agents recruteurs semblait moins répandue dans le football anglais de la fin des années 1990. Les processus de recrutement semblaient plus étroitement circonscrits au groupe des pairs, et « dans la plupart des cas, [les passages de relais se jouaient dans] des relations de confraternité liées à la pratique par ailleurs de la médecine générale » (Waddington, 2002, p. 55).
  • [29]
    Une telle manière de fonctionner a également été repérée dans le rugby et le football anglais. « Il est fréquent de noter l’absence d’entretien formel d’embauche » (Waddington, 2002, p. 56) ; « Aucun recrutement formel, seuls 14,7 % ont été reçus en entretiens avant l’embauche, d’autres signalent qu’ils ont été recrutés entre deux pintes de bière dans un pub » (Malcolm, 2006, p. 382).
  • [30]
    C’est ici une différence notable avec les processus de recrutement des médecins dans les unités de soins palliatifs. La qualité des candidats est jugée à l’aune de l’expérience engrangée de longue date dans les services, et la certitude de recruter « un bon collègue » est conditionnée à la nécessité d’avoir déjà « fait ses preuves » dans le travail (Castra, Schepens, 2015, p. 61).
  • [31]
    Cette interdiction, liée à des pratiques professionnelles jugées problématiques (dont nous ne souhaitons pas exposer ici le détail) et qui n’a eu aucune conséquence sur le recrutement du docteur Laveste, témoigne de la faible rentabilité des réputations proprement médicales dans l’espace du football professionnel.
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