Notes
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[1]
L’espace de qualification désigne le processus de différenciation et de hiérarchisation des qualités acquises et requises dans le travail ainsi que les systèmes de classement qui en résultent. Cette notion a initialement été proposée par Pierre Rivard et ses co-auteurs (1979).
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[2]
Nous parlons de la scène du marché du travail dans la mesure où le recrutement requiert de la part des candidats une « mise en scène » de leur valeur sociale (Dubernet, 1996). Il constitue le lieu où se vend la force de travail entre des individus a priori libres et égaux, par opposition à celui où l’acheteur en fait usage (Marx ([1867] 1969).
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[3]
Le recrutement est un processus de construction de « conventions de compétences » (Eymard-Duvernay, Marchal, 1997). Ces conventions, qui légitiment les transactions et donnent accès à l’emploi, peuvent avoir des effets prédictifs qui se révèlent dans la durée. C’est la raison pour laquelle nous parlons de « processus d’habilitation » en nous référant à Marcelle Stroobants (1993) : l’habilitation s’inscrit dans une temporalité plus dilatée que l’opération de recrutement elle-même, en ce qu’elle autorise « à acquérir et exercer un certain type d’habileté ». Nous considérons donc que le recrutement est l’une des scènes sur lesquelles se produisent les processus d’habilitation qui permettent le développement de compétences, non seulement conventionnelles mais effectives dans l’emploi.
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[4]
La MRS, qui était proposée dans les plateformes de vocation (PFV) de Pôle emploi, relève désormais d’agences de services spécialisés (ASS).
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[5]
Ces employés sont recrutés sur la base du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) jusqu’au brevet de technicien supérieur (BTS), selon la taille et le prestige de l’établissement.
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[6]
La part des artisans et chefs d’entreprise est d’ailleurs deux fois plus élevée dans le secteur HCR que dans l’ensemble de l’économie. Source : Insee, Enquêtes Emploi, 2012-2014, exploitation Céreq-PSB, secteur hôtels-cafés-restaurants, en ligne : http://www.cereq.fr/articles/PSB-articles/PSB-du-tertiaire, consulté le 23 janvier 2019.
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[7]
Sur les registres d’appellation d’emploi, voir l’analyse d’Emmanuelle Marchal (2015).
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[8]
Rappelons que les rapports sociaux, contrairement aux relations sociales qui sont « immanentes » aux individus, sont abstraits et opposent des groupes sociaux autour d’un enjeu, tel que la division du travail ou la répartition des richesses. Sur cette notion, voir Kergoat (2000).
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[9]
Mais qui résultent en réalité d’une socialisation extérieure aux arènes des métiers, dans l’espace domestique ou en dehors de l’espace national.
-
[10]
Ce rapport social entre générations peut également être qualifié de patriarcal dans la mesure où le patriarcat renvoie aux situations spécifiques dans lesquelles l’organisation « se fonde sur l’autorité exercée par les pères et les époux sur les épouses et les enfants, et par les hommes âgés sur les plus jeunes » (Cockburn, 2004, p. 115).
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[11]
Leur capacité d’accueil est en moyenne trois fois supérieure à celle des hôtels indépendants, les chaînes possédant près du quart des hôtels de France métropolitaine mais la moitié des chambres offertes. Par ailleurs, 30 % des hôtels indépendants font partie d’un réseau (Favre, 2015).
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[12]
Selon l’expression de Xavier Denamur (2015), restaurateur en croisade contre l’industrialisation des plats servis en restaurant.
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[13]
De fait, dans la restauration rapide, près de 80 % des employés ont moins de 30 ans, ce qui est trois fois plus important que dans le reste de l’économie (Source : Insee, Enquêtes Emploi, 2012-2014, exploitation Céreq-PSB, secteur hôtels-cafés-restaurants, en ligne : http://www.cereq.fr/articles/PSB-articles/PSB-du-tertiaire).
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[14]
À l’instar de ce qu’a observé Gabrielle Schütz (2006) pour les hôtesses d’accueil.
-
[15]
Dans la chaîne de cafétérias enquêtée, 40 % des managers sont issus de la promotion interne.
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[16]
L’enquête Offre d’emploi et recrutement (Ofer ) de 2005 montre ainsi que les employeurs de l’HCR demandent plus fréquemment que la moyenne aux candidats de leur fournir des références (38 % contre 32 %). La première édition de cette enquête a été réalisée en 2005 à l’initiative de la Dares, de l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi), du CEE (Centre d’études de l’emploi) et du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), sur la base de 4 052 entretiens auprès d’entreprises ayant recruté ou essayé de recruter (hors intérim) au moins un salarié au cours des douze mois écoulés (Fondeur, de Larquier, 2012).
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[17]
Historiquement, le tâcheron, payé pour une tâche, était un sous-entrepreneur chargé de recruter et de payer la main-d’œuvre requise pour la réalisation d’une tâche déterminée, ce qui générait des formes d’entr’exploitation (Didry, 2016). Ici, les salariés peuvent enrôler des membres de leur entourage mais ils ne sont pas en situation de les rétribuer directement.
-
[18]
Selon nos interlocuteurs de l’observatoire de l’hôtellerie-restauration, ce taux d’évaporation, issu de l’observatoire régional des métiers de la Région Alsace de 2012, peut, à l’échelle nationale et selon les années, s’élever jusqu’à 70 %.
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[19]
Comme l’indique ce proviseur à la tête d’un lycée professionnel : « Il faut qu’ils se posent des questions sur la manière dont ils fonctionnent, sur comment ils payent les gens, etc. […] Moi j’ai eu des élèves dans des restaurants étoilés, la convention était signée, 39 heures, et voilà et après, on discutait avec le jeune et il faisait 50, 52, 54 heures, alors je veux dire, bon ! Comment vous voulez attirer des jeunes ! »
-
[20]
Les employeurs peuvent alors être amenés, comme Xavier Denamur (2015, p. 96), à durcir leurs propres pratiques, par exemple en faisant constater devant huissier toute faute justifiant une rupture de contrat.
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[21]
Toujours selon l’expression de Lucien Karpik (1996).
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[22]
L’échantillon stratifié de l’enquête Ofer, qui a été constitué en fonction de la taille et du secteur d’activité, rassemble 11,3 % d’établissements relevant des hôtels-cafés-restaurants (HCR), soit 319 au total (Fondeur, de Larquier, 2012).
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[23]
D’après Ofer (2005), dans les établissements du secteur qui ont tenté de recruter, il y a eu recours aux candidatures spontanées et à l’ANPE dans respectivement 60 % et 40 % des cas.
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[24]
Dans les cafétérias, les recruteurs reçoivent volontiers les candidatures recommandées par les habitués. Mais les directions des ressources humaines organisent également des campagnes de publicité sur le lieu de vente (PLV) pour recruter.
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[25]
Les jugements analytiques permettent de fouiller l’examen des qualités des candidats. Ils reposent sur une diversification des critères d’appréciation, ce qui permet d’engager une négociation de ses compétences avec le candidat (Monchatre, Salognon, 2012).
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[26]
Dans la PFV du Bas-Rhin, en 2010, 69 % des candidats ont été évalués positivement pour les postes d’employé polyvalent de restauration, mais 31 % ont été finalement recrutés, soit 45 % des reçus par les employeurs en entretien (Monchatre, Woehl, 2012).
1 Comment caractériser les échanges sur le marché du travail non qualifié et plus particulièrement les opérations de recrutement qui s’y déroulent ? La question se pose d’autant plus que d’importantes inégalités semblent se former ici, si l’on en juge par le résultat des transactions à l’œuvre. Les individus les moins qualifiés sont, plus fréquemment que les autres, dans des emplois de courte durée ou en situation de sous-emploi et leur précarité s’accompagne de conditions de travail marquées par la pénibilité et d’importantes exigences de disponibilité temporelle. Le « travail non qualifié » tend ainsi à constituer un « segment de main-d’œuvre à part » (Amossé, Chardon, 2006, p. 205), tendance qui se retrouve dans l’hôtellerie-restauration. Réputé pour la difficulté de ses conditions de travail et d’emploi, ce secteur se caractérise en outre par une double hétéronomie : celle de son marché du travail – il peine à attirer en situation de bonne conjoncture – et celle de son marché des produits, soumis à d’importantes variations saisonnières. Les employeurs cherchent à conjurer l’importante rotation des salariés par des stratégies de gestion « domestique » de la main-d’œuvre, qui passent par la constitution de noyaux durs composés de « salariés de confiance » (Forté, Monchatre, 2013, p. 134).
2 La question est alors de savoir comment se construit la confiance sur ce segment de marché du travail. On peut en effet considérer avec Jacques Freyssinet (2004, p. 10-11) que le travail non qualifié rassemble des catégories sociales qui sont moins dépourvues de qualifications que positivement qualifiées pour rejoindre ce segment : il constitue à la fois une « porte d’entrée » dans le salariat – il permet d’échapper à des statuts infériorisés ou à risque d’exclusion – et une voie d’accès au marché du travail pour les jeunes diplômés. Le travail non qualifié est ainsi un lieu de brassage social. De plus, la part importante de non-diplômés dans les fonctions d’encadrement de l’hôtellerie-restauration laisse penser que la qualification peut s’acquérir légitimement sur le tas, ce qui suppose la détection de jeunes recrues susceptibles d’être fidélisées. Notre hypothèse est que ce brassage et ces attentes implicites ont des incidences sur les typifications, émergentes ou préétablies (Marchal, 1999), qui servent de support aux jugements des recruteurs. De fait, le travail non qualifié ne saurait être analysé isolément. Il gagne à être resitué dans les espaces de qualification [1] dans lesquels il se situe et qui n’ont, en l’occurrence, rien d’homogène, les sources de la confiance oscillant schématiquement entre deux pôles.
3 Lorsque la qualification est certifiée par des titres ou des réseaux pourvoyeurs -d’informations jouant un rôle de présélection (Marchal, Rieucau, 2010), la confiance tend à préexister à l’échange. La « scène [2] » du marché du travail devient le lieu d’évaluation de « valeurs déjà-là » (Vatin, 2009), établies sur la base de jugements préalablement construits et cristallisés. À l’inverse, quand la qualification ne peut être garantie en amont, par des tiers ou des certifications, la confiance est amenée à se construire à l’occasion même des transactions. La scène du marché du travail met alors les recruteurs en présence de candidats vierges de tout pré-jugement, mais faisant l’objet d’appréciations en situation qui sont susceptibles de conduire, ou non, à des processus d’habilitation [3] (Stroobants, 1993). Dans ces conditions, la dépendance des recruteurs envers un marché du travail pourvoyeur de candidats dépourvus des signaux habituels de la qualification détermine leur propension à choisir des profils a priori improbables.
4 Nous proposons d’examiner les conditions de mise en œuvre de ce processus d’habilitation à la lumière de nos travaux dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants (HCR dans la suite du texte) et, plus particulièrement, de ceux que nous y avons réalisés sur le recrutement des employés (encadré). Nous présenterons dans un premier temps deux grands espaces de qualification de ce secteur, à savoir son « pôle professionnel » et son « pôle commercial », pour dégager le rapport social dans lequel s’inscrit la non-qualification au sein de chacun d’eux. Nous présenterons ensuite les pratiques de recrutement dans le pôle professionnel, ce qui nous amènera à souligner les stratégies des recruteurs pour recourir à ce que nous identifions comme des « dispositifs de confiance personnelle » au sens de Lucien Karpik (1996), qui leur évitent de se confronter à des candidats inconnus. Nous aborderons dans un troisième temps les recrutements dans le pôle commercial, où la dépendance des recruteurs envers le marché du travail non qualifié est plus forte que dans le pôle professionnel. La moindre possibilité qu’ils ont de recourir aux réseaux les conduit à davantage investir la procédure de recrutement, ce qui peut s’avérer propice à l’émergence de « conventions de compétences » (Eymard-Duvernay, Marchal, 1997) inattendues.
Présentation des matériaux
Cet article s’appuie sur nos travaux dans le secteur de l’hôtellerie-restauration (Monchatre, 2010) ainsi que sur deux enquêtes spécifiquement réalisées sur la thématique du recrutement. La première a eu lieu dans le cadre d’un projet coordonné par Yannick Fondeur et Guillemette de Larquier (2012) pour la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Elle a été menée dans le secteur hôtelier, en 2010 et 2011, en Alsace avec Michèle Forté, et en région parisienne. Elle repose sur 25 entretiens avec des acteurs institutionnels (représentants d’employeurs et acteurs de la formation initiale et continue), des intermédiaires publics et privés de l’emploi, des employeurs indépendants et des exploitants appartenant à des chaînes d’hôtellerie, de restauration de type cafétéria et de restauration rapide. Nous avons en outre réalisé deux observations participantes de séances de recrutement dont l’une concernait le recrutement d’« employés polyvalents de restauration » à l’aide de la méthode de recrutement par simulation (MRS). Nous nous appuyons enfin sur une autre enquête, réalisée en 2011 et 2012, avec des étudiants, dans le cadre d’un partenariat entre la faculté de sciences sociales de l’université de Strasbourg et l’agence de services spécialisés [4] de Pôle emploi du Bas-Rhin, sur la perception de la MRS par les employeurs et les candidats (Monchatre, Woehl, 2012).
De quoi la non-qualification est-elle le nom ?
5 Le secteur hôtelier tend à être associé à un monde d’employés d’autant plus indifférenciés qu’ils renvoient à l’univers de la domesticité (Monchatre, 2010). Les catégories statistiques ne manquent pas de conforter la représentation d’un « groupe féminin » pour lequel les qualifications sont imprécises et les hiérarchies peu présentes (Amossé, 2004). Les employés du secteur hôtelier constituent, pourtant, une catégorie qui n’a rien d’homogène. Leur hiérarchisation au sein de la convention collective de l’hôtellerie-restauration distingue les emplois « sans grade » ni formation requise d’étage ou de plonge, soustraits au regard de la clientèle, de ceux qui y sont exposés [5]. Mais en pratique, cette frontière n’a rien d’étanche, des passages de plongeur à cuisinier ou de femme de chambre à serveuse pouvant se produire. L’existence de ces segments suppose alors d’interroger la manière dont les qualifications sont produites et hiérarchisées. Nous inscrivant dans l’approche relativiste de la qualification de Pierre Naville (1956), nous présenterons les processus de différenciation des qualifications, entendues ici dans leur double sens de processus et de résultat d’un classement (Alaluf, 1986). Cette approche de la qualification – et de la « non-qualification » – comme rapport social invite à identifier les catégories qui sont mises en rapport et les modalités de construction des jugements de compétences qui, en l’occurrence, se différencient selon les pôles professionnel et commercial du secteur.
Dans le pôle professionnel, la qualification dans tous ses états
6 Le pôle professionnel de l’hôtellerie-restauration est dominé par des logiques de métiers. Il relève d’un processus de fermeture du marché du travail au sens de Catherine Paradeise (1988, p. 13) : la qualification y est définie, construite et entretenue pour des tâches bien définies, de telle sorte que se créent les conditions d’une faible substituabilité de la main-d’œuvre. Ce pôle se compose, tout d’abord, d’établissements de petite taille d’inspiration artisanale appartenant à des indépendants [6], la mise à son compte constituant un horizon de promotion sociale particulièrement prisé dans le secteur. Il comprend également les micro-groupes régionaux de restauration traditionnelle, aux mains d’investisseurs qui, s’ils ne sont pas des professionnels, tendent à s’entourer « de gens qualifiés pour s’occuper de leurs différents sites » (Rudy Gardin, responsable recrutement « service restaurant » d’un micro-groupe régional, bac professionnel restauration, 35 ans). Il rassemble, enfin, des chaînes hôtelières de quatre et cinq étoiles avec restauration gastronomique, qui recrutent essentiellement des professionnels issus des formations hôtelières ou ayant une expérience reconnue dans des établissements similaires. La présence de responsables ressources humaines ne change rien à l’affaire, les réseaux de professionnels demeurent le principal canal d’approvisionnement en candidatures :
« On a recruté un chef de partie pâtissier, alors on n’a pas eu le temps de mettre d’annonce, c’est aussi du bouche-à-oreille. […] On connaît déjà, c’est une personne qui est dans la cuisine, qui connaît cette personne, qui sait déjà qu’il a des qualités qui pourraient correspondre à ce qu’on recherche et pour le coup, il a rencontré le chef, ça collait, je l’ai rencontré aussi, j’ai eu une bonne impression, ma directrice pareil. »
(Hélène Mercart, responsable ressources humaines, hôtel de chaîne trois étoiles, BTS tourisme)
8 Dans ce pôle professionnel, le vocabulaire des emplois à pourvoir emprunte essentiellement au registre des métiers [7] : on recrute un cuisinier, un pâtissier, un serveur, une serveuse. Lorsqu’ils activent des canaux formels de recrutement, les recruteurs sont amenés à afficher un niveau d’exigences considéré comme particulièrement élevé par les intermédiaires du marché du travail. Ainsi que l’indique ce responsable hôtellerie-restauration de Pôle emploi : « Bon, il ne faut pas avoir un CAP pour être plongeur, mais on va avoir des entreprises qui vont nous dire “je veux quelqu’un qui a déjà travaillé dans le métier”, parce que c’est plutôt pour se garantir une connaissance du secteur plutôt que se garantir une vraie compétence à faire la vaisselle. » C’est précisément parce qu’ils sont tributaires de ces critères « royaux » (Dubernet, 1996) que représentent le diplôme et l’expérience, emblématiques d’une qualification attestée, que les recruteurs apparaissent démunis face à des candidats dépourvus des signaux qui leur sont familiers.
9 La non-qualification ne fait pas partie de leur vocabulaire : « Tous [nos] métiers, on a beau dire “ben tiens, voilà, tout le monde sait le faire”… alors que non ! C’est un vrai métier » (Guy Dutillot, patron d’un hôtel-restaurant familial, CAP de cuisine, 38 ans). Le « métier » semble ainsi s’acquérir avec le temps, il est d’ailleurs présenté comme accessible aux étudiants qui ne font que les saisons : « Moi j’ai vu des étudiants qui ont fait des séries de sept ou huit restaurants, peut-être sur des petites périodes […] pour compléter leur fin de mois et en même temps ils deviennent professionnels » (Rudy Gardin). Pour autant, l’espace de qualification ne s’inscrit pas uniquement dans un continuum entre débutants et confirmés.
10 De fait, certaines activités apparaissent résolument à part. Une division « morale » du travail se donne à voir dans les restaurants, avec la prise en charge des tâches relevant du sale boulot. Le « plongeur, le garçon c’est un Noir […]. C’est la personne qui en prend plein la gueule […], le gars […] qui fait les tâches ingrates » (Guy Dutillot). Cette catégorie évincée du vocabulaire du professionnalisme désigne les emplois occupés par une main-d’œuvre spécifique et spécifiée, souvent d’origine étrangère, comme l’indique ce patron ayant repris le restaurant de ses parents : « On a toujours eu… des Algériens, mes parents ont eu des Tunisiens, je veux dire, on a toujours eu… […] pour des boulots de plonge, ben maintenant, aujourd’hui, voilà, on a un Gabonais » (Guy Dutillot). Il en va de même dans les hôtels pour les emplois de femmes de chambre : « On a énormément de filles qui ne sont pas françaises dans les étages […] [qui] viennent d’Afrique du Nord » (Hélène Mercart).
11 Ces emplois, qui constituent des enclaves dont il est difficile de sortir, font de l’hôtellerie-restauration « un énorme melting-pot », mais essentiellement « dans les postes les plus bas », au sein desquels le vocabulaire du professionnalisme fait place à celui de la loyauté : « Dans la maison [X], c’est un Black, un Arabe, le plus ancien employé et c’est le plongeur. Qui est d’une fidélité absolue. […] Il vient du Maghreb, évidemment, mais je ne saurais pas dire d’où au juste » (Anne-Lise Herquin, directrice d’hôtel indépendant trois étoiles, niveau BTS hôtelier).
12 Ces emplois sans perspective mobilisent donc avant tout des « filles » ou des étrangers, travailleurs sans qualité reconnue en dehors de leur « fidélité », voire de l’affection dont ils se montrent capables : ainsi, « [ce plongeur] passe fréquemment nous voir à l’hôtel, me faire des bisous… oh, j’ai toujours eu des rapports avec la vieille génération [d’immigrés]… extraordinaires » (Anne-Lise Herquin). La féminisation et l’infantilisation de ces « travailleurs altérisés » (Scrinzi, 2013), considérés comme étrangers au système professionnel, font d’eux d’éternels obligés, assignés à des emplois subalternes dont ils ne sauraient s’extraire.
13 Le déni de qualification s’inscrit dans un rapport social genré et racisé [8], qui distingue les dépositaires de l’autorité et leurs obligés – femmes, enfants et main-d’œuvre ethnicisée. La consubstantialité des rapports sociaux de classe, de sexe et de race (Kergoat, [2009] 2012) se donne ici pleinement à voir : elle produit des états professionnels naturalisés [9] dans lesquels les salariés stagnent, jusqu’à, comme nous le verrons, être considérés comme des objets de transaction. À l’inverse, le rapport social qui est à l’œuvre entre générations de professionnels [10] a pour enjeu la qualification d’une relève. La transmission du métier s’effectue alors entre des maîtres et des apprentis, considérés comme des professionnels en herbe, dont la qualification est en devenir. Reste que pour ces deux catégories de salariés (les travailleurs altérisés et la relève), la qualification n’a rien d’énigmatique, elle renvoie à un état socioprofessionnel qu’il s’agit de mobiliser tel quel ou de former.
Dans le pôle commercial, l’énigme de la qualification
14 Il n’en va pas de même dans l’autre pôle du secteur de l’hôtellerie-restauration, que nous qualifierons de commercial. Ici, l’ordre matériel et symbolique repose sur des conventions marchandes (Boltanski, Thévenot, 1991) et l’offre de services sur des standards de qualité. L’organisation du travail permet la mobilisation d’une main-d’œuvre substituable, ce qui confère à ce pôle les caractéristiques d’un marché du travail beaucoup plus ouvert que le précédent. Ce pôle rassemble les établissements de chaînes d’hôtels de basse et moyenne gamme, synonymes de prestations rapides, dont la capacité d’accueil est plus importante que celle des indépendants [11]. Il comprend également les cafétérias et autres établissements de restauration rapide, accusés de « malbouffe [12] » et intégrés ou affiliés à de grandes chaînes, avec ou sans service à table. Il se compose, enfin, des bars ou brasseries qui proposent une offre plus thématique, basée sur la création d’atmosphères (ou « concepts ») et la mise en avant de produits pour « dynamiser les ventes » – comme ce micro-groupe du monde de la nuit de notre corpus qui, avec sa pizzeria sur le thème du cinéma, sa péniche avec bar de plage ou encore son bar de nuit avec ambiance américaine, revendique une ambiance différente pour chacun de ses établissements.
15 Les établissements de ce pôle commercial fonctionnent comme des « centres de cérémonie » au sens de James P. Spradley et Brenda J. Mann (1979). Les employés y sont recrutés pour un travail productif mais également pour un travail de représentation. Dans les chaînes de restauration, ils sont censés être polyvalents sur des tâches parcellaires qui requièrent des temps de formation réduits : « Pour travailler chez [Y], il ne faut pas grand-chose. On forme les gens, c’est pas un métier » (Joanna Thabaut, directrice de restaurant, restauration rapide, bac + 4 biologie, 25 ans). Le vocabulaire du professionnalisme est toutefois réinvesti pour désigner les différentes fonctions au sein des établissements : « Il y a le métier de la salle, de la grillade, de la fabrication chaude, la caisse […] et quand un employé rentre chez nous, on va le former d’abord sur un métier mais l’objectif c’est […] qu’il ait une poly-compétence » (Florence David, responsable recrutement, chaîne de cafétérias, Institut d’études politiques et école de commerce, 37 ans).
16 Mais ici, les emplois à pourvoir sont décrits dans le vocabulaire des activités. Ils ciblent la jeunesse car « c’est quand même physique, c’est pas un poste d’employé de bureau » (Fabienne Castelau, adjointe de direction, cafétéria, non diplômée, 57 ans). De fait, l’activité s’inscrit dans des « valeurs liées au sport », telles que « l’entraînement avant le match », « la mise en place du restaurant avant le rush », « de la performance, de la qualité, des objectifs, du résultat », qui « parlent bien à notre cible prioritaire qui sont des personnes entre 18 et 25 ans [13] » (Jérôme Debarois, responsable recrutement groupe, restauration rapide, diplômé d’école hôtelière).
17 Les qualités requises tendent à être naturalisées et au-delà de la résistance physique, l’apparence joue un rôle central (Hidri, 2011). L’activité est spontanément classée parmi les « métiers d’accueil et de contact » et :
« – Qui dit contact client dit avoir un minimum de tenue, et vestimentaire, et physiquement, rentrer dans certains critères que peuvent nous transmettre notre société… [sic]
– Et lesquels en l’occurrence ?
– C’est facile à définir. Vous ouvrez un magazine, et voilà. »
(Gregory Merteuil, directeur d’un micro-groupe du pôle commercial, master de management, 37 ans)
19 La conformité requise aux standards de beauté n’est d’ailleurs pas sans contribuer à la réassurance des identités sexuées [14] :
« Peu importe la couleur de peau, c’est pas un critère dominant, mais c’est surtout le côté “on est beau” ou on ne l’est pas et on s’en approche ou on ne s’en approche pas, et voilà, malheureusement, on est toujours dans ces critères aujourd’hui. »
(Gregory Merteuil)
21 L’employabilité relève donc ici de qualités physiques attachées à un potentiel de séduction et de performance faisant de la jeunesse la catégorie productive par excellence. Son éclat et son énergie sont d’autant plus prisés qu’ils sont associés à une importante disponibilité temporelle. Les étudiants sont en outre recherchés pour leur potentiel évolutif vers les fonctions de management qui peinent à être pourvues en externe [15].
22 Dans ces conditions, la qualification pour les emplois de ce secteur présente une dimension énigmatique, elle relève d’attributs qui ne se détectent dans aucune labellisation antérieure : « Personne ne sort déjà formé pour venir chez nous, donc tout le monde est… toute embauche démarre à zéro et on a tout à leur apprendre » (Joanna Thabaut). Contrairement au pôle professionnel, les prescripteurs brillent par leur absence. Nulle école de formation ne certifie en amont les qualités du candidat qu’il s’agit par conséquent de détecter dans le face-à-face du recrutement. Parce qu’ils peinent, dès lors, à les objectiver, les recruteurs tendent à désigner par le terme de « motivation » cet ensemble de dispositions à incarner et à défendre les standards de la marque : « Ça ne va pas forcément être l’expérience… mais des gens motivés, qu’on ressente que c’est pas le tout de dire motivé, il faut qu’on voie qu’ils ont envie de venir » (Joanna Thabaut).
23 Les réseaux susceptibles de leur apporter une information pertinente sur ce point sont donc a priori plus limités. Ils se réduisent à leurs collègues de l’enseigne, notamment lorsqu’ils sont face à des candidats ayant déjà une expérience dans d’autres établissements : « Ça se fait souvent, ça, entre nous, on s’appelle – mais on ne le fait pas avec la concurrence » (Julie Brulidon, directrice, restauration rapide, bac + 4 commerce et management, 31 ans). Les recruteurs se montrent davantage dépendants des opérateurs publics de placement pour renouveler leurs stocks de candidatures, et ceci d’autant plus qu’ils sont confrontés à des taux de rotation élevés du personnel. La définition de la qualification repose avant tout sur leur appréciation, ce qui ouvre la voie à des paris sur des candidatures improbables.
Habiliter la relève, embaucher des obligés
24 Dans le pôle professionnel, les intermédiaires du marché du travail ne sont sollicités qu’à la marge, lorsque les réseaux de proximité se tarissent (Forté, Monchatre, 2013). Le recrutement passe essentiellement par l’activation de canaux informels, les candidatures spontanées étant le plus souvent acheminées par des systèmes de relations interpersonnelles similaires aux « réseaux-échanges » décrits par L. Karpik (1989). Ces derniers ne jouent pas seulement un rôle de présélection en fournissant les informations appropriées, ils participent également à la construction des jugements de compétences dans le cadre d’une véritable gestion collective de la main-d’œuvre. Si l’importance des transactions hors marché qui en résultent profite largement aux postulants à « la relève » des professionnels, en particulier dans les établissements haut de gamme de la « zone de concurrence par la qualité » (Éloire, 2010, p. 481), il n’en va pas de même pour la main-d’œuvre subalterne altérisée.
Concurrence par la qualité et réseaux de solidarité
25 Les candidats de la relève (apprentis, stagiaires ou jeunes diplômés) font l’objet d’un processus collectif d’habilitation de la part des employeurs. La solidarité entre ces derniers se manifeste dans les lettres de recommandation qu’ils écrivent pour les salariés qui les quittent [16] et les appels téléphoniques qu’ils se passent pour contrôler les curriculum vitæ (CV) des candidats se présentant chez eux. Mais cette solidarité va plus loin, comme le montre le cas des restaurateurs engagés dans une « concurrence par la qualité », qui entretiennent entre eux des relations étroites :
« Les autres restaurateurs ? Soit j’ai travaillé pour eux, soit on était à l’école ensemble, soit par connaissances de restaurateurs, bon, le cercle est assez petit. […] En règle générale, on va manger chez l’un ou chez l’autre et on se voit et on discute, tiens, celui-ci est parti de là, tiens, celui-là est parti là. »
(Rudy Gardin)
27 Les « visites de “courtoisie” » (Éloire, 2010, p. 494) qu’ils se rendent régulièrement sont également propices à des formes de « coopération entre concurrents » (ibid., p. 481). Cette coopération passe notamment par le partage de leurs candidatures en stock : « Parfois on s’appelle en disant “oh, t’as pas une candidature pour me dépanner ? Là j’en ai une qui m’a collé un mois d’arrêt”. » (Anne-Lise Herquin). La mutualisation des candidatures contribue à faire circuler en circuit fermé l’information sur les postes à pourvoir et peut se doubler d’une mutualisation des candidats eux-mêmes. De fait, le prêt de main-d’œuvre entre établissements est une pratique courante, tant pour dépanner que pour assurer une continuité d’activité à certains salariés :
« J’avais un jeune qui […] travaille très bien, sur une période qui était très calme, donc par connaissances, je l’ai envoyé travailler dans un autre restaurant, en s’arrangeant sur nos plannings à nous, pour qu’il puisse travailler sur deux restaurants, il gagnait un petit peu plus […]. C’est le genre de services qu’on se rend. »
(Rudy Gardin)
29 Pour les emplois subalternes altérisés, en revanche, le recrutement se réalise de façon rudimentaire, sans sélection ni choix, au point que recruter et embaucher peuvent se confondre. Les prescripteurs sont ici les salariés en place, qui peuvent même se retrouver en situation de quasi-tâcherons [17]. Pourvoyeurs de main-d’œuvre, ils peuvent mobiliser leur entourage pour les besoins de l’activité. C’est ainsi que dans cet hôtel trois étoiles :
« Tout passe par le bouche-à-oreille, j’en ai une qui fait les petit-déj, c’est la sœur du bagagiste électricien que j’avais embauché ponctuellement. […] [Titou], qui est du Bangladesh, a des copains qui parfois peuvent le remplacer quand il manque un bagagiste aussi, ou bien la sœur de Vera [réceptionniste], sa sœur vient nous prêter main-forte… c’est rare qu’on soit en panne. Et quand il y a panne, il y a [moi]. »
(Anne-Lise Herquin)
31 À ces pratiques d’enrôlement de l’entourage s’ajoute le prêt de main-d’œuvre entre employeurs. Les salariés deviennent alors des objets de transaction non marchande : « J’ai même prêté mon veilleur de nuit à l’hôtel [Z] un soir parce qu’il [mon collègue] était dans une misère absolue, c’est génial quoi » (Anne-Lise Herquin). Ces formes de prêt de main-d’œuvre se pratiquent également pour les serveuses, sollicitées pour la réalisation d’extras. Les « visites de courtoisie » entre restaurateurs constituent des occasions de repérage de personnel qu’ils sollicitent pour leurs propres besoins : « Parce que comme les patrons sont un peu copains, ils se disent “tiens, je vais t’emprunter un peu ta serveuse”. » (Louise Wimmer, 31 ans, BEP [brevet d’études professionnelles] hôtellerie-restauration et niveau CAP cuisine, ex-maître d’hôtel, employée de service). Les serveuses sont donc également des objets de transactions relevant d’arrangements entre employeurs. Elles y trouvent le moyen d’accéder à des compléments de revenus mais ceux-ci sont non déclarés. Elles tendent alors, dans la durée, à considérer ces formes d’emprunt comme une exposition à l’arbitraire des patrons, qu’elles soupçonnent de vouloir se dérober à leurs responsabilités d’employeurs en faisant appel à ce qui s’apparente à un marché noir du travail. Dès lors, si le prêt de main-d’œuvre constitue, pour la relève, une forme d’habilitation permettant de renforcer un savoir-faire, des revenus et une réputation, il contribue aussi à maximiser les usages de la main-d’œuvre à moindre coût.
Aux marges des réseaux professionnels, l’énigme du recrutement
32 La gestion collective des viviers destinés à assurer la relève ne fonctionne guère pour les établissements qui n’ont ni la taille ni l’emplacement ni la réputation des précédents et se situent, par conséquent, aux marges de la zone de concurrence par la qualité. Ici, « le bouche-à-oreille et les réseaux, ça ne marche pas. Parce que quand on en a un bon, on le garde ! » (Esther Colanet, directrice d’hôtel-restaurant indépendant, master de gestion hôtelière, 42 ans) et entre restaurateurs « On ne se dit pas toujours la vérité » (Guy Dutillot). Les recruteurs sont ici d’autant plus isolés qu’ils ne bénéficient pas des viviers des écoles hôtelières, captés par les établissements haut de gamme qui, contrairement à eux, attireraient les « meilleurs éléments » en leur laissant, selon leurs propres expressions, « les moins bons » : « Parce que nous ne sommes pas un grand groupe, on n’est pas un hôtel quatre étoiles, on n’est pas situé au Canada ou je ne sais où… » (Esther Colanet). Pour autant, leur niveau d’exigence les expose à ne pas trouver de candidats : « Là on essaie de faire un recrutement pour la cuisine, […] on a eu trois CV et sur les trois CV, aucun qui était du métier » (Guy Dutillot). Ils se plaignent alors de ce qu’ils attribuent à un déficit de vocation des publics issus des formations professionnelles du secteur : « C’est vrai qu’on a un gros problème avec les jeunes, c’est qu’aujourd’hui, les jeunes sont moins motivés que nous on était avant. »
33 L’hôtellerie-restauration peine, de fait, à retenir la relève formée à ses métiers ; plus de 50 % de ses jeunes diplômés l’ont quittée cinq ans après leur sortie de formation [18]. Non seulement l’enseignement professionnel court fait l’objet d’une orientation par défaut et est considéré comme une filière de relégation pour des jeunes en échec scolaire (Palheta, 2012) mais les difficultés d’encadrement, voire les pratiques abusives des employeurs [19], accroissent les risques de défection mais également de contestation. Il en résulte un durcissement des relations de travail qui sont jugées, par les employeurs précocement socialisés au métier, plus conflictuelles qu’auparavant :
« À l’époque, j’avais jamais entendu parler de prud’hommes à un patron. On disait voilà, j’ai un problème, je ne sais pas moi, est-ce que je peux avoir une augmentation… alors qu’aujourd’hui là, on est sur des conflits aujourd’hui, des prud’hommes qui sont assez “phénoménales” [sic], etc. »
(Guy Dutillot)
35 Les employeurs déplorent « l’esprit de transaction » qui se développerait parmi les employés, suite à des licenciements que ces derniers jugeraient abusifs ou à des heures supplémentaires non payées [20]. Malgré – ou en raison de – ces difficultés au sein des relations de travail, le recrutement est considéré par les employeurs comme une épreuve, un moment redouté, reposant sur des explicitations jugées inutiles voire coûteuses. Les entretiens avec les candidats ne durent pas plus de « cinq minutes », les recruteurs préférant leur demander de « venir faire un essai, parce que… je veux dire, là on sait… » (Guy Dutillot). Pour eux, l’épreuve de vérité se situe dans la pratique, la mise en situation et la validation par le collectif de travail – ce qui les rend particulièrement vigilants aux durées des périodes d’essai. Mais en général, « j’y vais au feeling, et si la personne me plaît, je l’embauche. Et comme je vous dis, je me plante. Mais bon, on apprend » (Esther Colanet). Leurs jugements de compétence se construisent de fait de manière synthétique, sur la base d’une réduction des exigences du poste à quelques indices rapidement visibles (Monchatre, Salognon, 2012).
36 Pour résoudre le problème que représente pour eux le recrutement de la relève, les recruteurs peuvent être amenés à modifier leurs critères d’âge : « C’est vrai que maintenant, j’ai tendance à recruter des gens plus âgés » (Esther Colanet). Ils tendent à rechercher des seniors ou des actifs en reconversion : « des femmes plus âgées ou des personnes en reclassement. […] Quelqu’un qui se retrouve en difficulté, ou quelqu’un qui se dit “je ne sais pas quoi faire maintenant parce que je me retrouve à la rue”, y a un potentiel par rapport à nos activités » (Guy Dutillot). Leur intérêt pour les seniors repose sur le pari d’une plus grande loyauté, pari d’autant plus facilement tenté qu’il est encouragé par des politiques publiques en faveur de cette catégorie de demandeurs d’emploi : « Je ne vous le cache pas, on base aussi nos recrutements sur les différentes possibilités que l’État offre, euh, sur le recrutement de certaines personnes » (Rudy Gardin).
Supprimer ou déléguer les transactions pour l’emploi subalterne
37 La sécurisation des recrutements passe enfin par le recours à des réseaux de proximité élargis à des cercles de sociabilité situés à la périphérie du métier. Les recruteurs renchérissent ainsi dans le recours aux « dispositifs de confiance personnelle » en sollicitant des proches. Ils font appel à leurs salariés de confiance voire « aux copains » pour les remplacements d’été : « [Le fils de mon informaticien] cherchait un job pendant trois mois, j’avais besoin de quelqu’un, allez hop ! Et je l’ai embauché, je ne l’avais pas vu. Mais connaissant le père, je savais que ça n’allait pas être la foire » (Esther Colanet). Mais compte tenu de l’étroitesse des viviers accessibles par ce canal, les recruteurs sont amenés à changer de cible, pour les remplacements d’été mais également pour les emplois subalternes altérisés.
38 Les recrutements de femmes de chambre sont pour eux particulièrement problématiques : « Au début, j’avais des femmes de chambre intégrées à l’hôtel […] mais quand j’embauchais, je préparais le contrat, vous venez demain à telle heure… et, c’est bizarre […], il y en avait une sur dix qui venait. » Esther Colanet se défend pourtant d’avoir fait preuve d’exigences particulières : « Je ne demande absolument rien. Aucune qualification. La seule chose, c’est de parler un tout petit peu français pour pouvoir comprendre les quelques directives qu’on doit donner. C’était le seul truc. » À l’instar de ce qui a été souligné pour les femmes de ménage dans les services à la personne (Devetter, Rousseau, 2011), les recrutements reposent moins sur des appréciations de compétences professionnelles que sur des extrapolations effectuées à partir des propriétés sociales des candidats. Les recruteurs font l’économie de jugements négociés : leur évaluation n’autorise pas de discussion de ses compétences avec le candidat et leur jugement est en quelque sorte sans appel – au risque d’être infructueux.
39 Dans ces conditions, les patrons du pôle professionnel tentent de réduire leur dépendance envers le marché du travail non qualifié. Ils mettent en œuvre deux types de stratégies qui ont des incidences directes sur l’emploi subalterne altérisé. La première consiste à modifier la division du travail pour ne pas avoir à recruter. Ils internalisent ainsi certains postes comme la plonge, qui est confiée aux cuisiniers en poste : « Aujourd’hui, on n’a plus de plongeurs, tout le monde fait ça, c’est une politique interne » (Guy Dutillot). Ils sont alors amenés à majorer leurs exigences professionnelles en exigeant « du respect » pour cette tâche « ingrate » (Guy Dutillot) qui n’est plus un emploi en tant que tel. Une autre manière de procéder consiste, à l’inverse, à externaliser les recrutements, en ayant recours à la sous-traitance. L’opération est confiée à des prestataires, comme dans le cas des femmes de chambre. Esther Colanet a ainsi été amenée à se débarrasser du « problème », à la suite d’expériences non concluantes : « Depuis quelques années, je suis passée au système extérieur. » Ces pratiques s’inscrivent dans un mouvement plus large de sous-traitance des emplois d’étage. Elles permettent aux recruteurs d’inverser le rapport de force sur le marché du travail, en devenant donneurs d’ordres – et non plus demandeurs de travail.
Dans le pôle commercial : sélectionner ou habiliter ?
40 Le recours au marché du travail est plus nettement assumé dans le pôle commercial, qui se montre davantage organisé face aux opérations de recrutement. Ne disposant pas de viviers leur assurant une quelconque relève ni de réseaux de solidarité entre professionnels, les recruteurs ne peuvent a priori compter que sur les candidats inconnus qui se présentent à leur porte, ce qui, compte tenu de la faible attractivité de leur activité, s’avère particulièrement aléatoire quand le marché du travail est dynamique (Monchatre, 2014). Pour réduire l’incertitude qui pèse sur les volumes de candidatures et la qualité des transactions, les chaînes mettent à la disposition de leurs établissements des « dispositifs de confiance » qui sont cette fois plus impersonnels que dans le pôle professionnel [21]. Outre qu’elles nouent des partenariats avec les inter-médiaires du marché du travail, les chaînes se dotent également d’instruments nécessaires à la réalisation d’un « travail du marché » mis en évidence par Franck Cochoy et Sophie Dubuisson-Quellier (2000), tant pour gérer la rencontre entre une offre et une demande que pour les opérations de sélection. Parce qu’elles cherchent à grossir l’afflux de candidatures en élargissant l’aire de recrutement, les chaînes créent tout à la fois les conditions de recrutements sélectifs et improbables.
Quand le marché du placement s’impose…
41 D’après l’enquête Ofer [22], l’HCR fait partie des secteurs qui dépensent le moins pour faire appel au marché du placement : dans 82 % des cas, le recrutement ne coûte rien. En dehors des relations, les candidatures spontanées sont le principal canal mobilisé par ce secteur et ce, avant celui que représente l’agence publique [23] (ANPE hier, Pôle emploi aujourd’hui). Cet élément doit être mis en relation avec l’importance des volumes de recrutement qui sont pratiqués dans le pôle commercial. Le problème est en effet particulièrement aigu dans la restauration rapide, où le turnover est si élevé que les établissements peuvent être amenés à renouveler la quasi-totalité de leurs employés dans l’année, ce qui est vécu comme un obstacle à l’efficacité du travail car « ça prend du temps de former ». Le turnover est entretenu par les flux de main-d’œuvre étudiante et la difficulté de constituer un noyau dur de salariés permanents, les étudiants restant « deux ans en moyenne ». Les risques de défection sont ici majeurs, notamment dans les chaînes : « Il y a une partie des étudiants qui n’ont pas forcément la notion du travail, et pour eux ça va vraiment être juste un loisir, on va dire, donc il y a de l’absentéisme, c’est très dur à gérer » (Joanna Thabaut).
42 Les recruteurs cherchent alors à sécuriser leurs recrutements par le recours aux réseaux d’informations à leur portée. Ils se tournent vers leur clientèle [24] ou vers les enfants, amis, cousins et autres relations de leur personnel : « On part du principe que du moment que quelqu’un recommande une personne […], quelque part vous avez une forme d’engagement, une forme de responsabilité vis-à-vis de la personne que vous allez envoyer » (Gregory Merteuil). Mais ce canal présente vite des limites : « Pour les familles, machin et tout, c’est un peu réservé. […] Ça reste difficile de travailler dans l’entreprise et d’avoir des liens familiaux » car « quand ça va, c’est bien mais quand il y a des embrouilles, ça ne va plus » (Fabienne Castelau). L’enjeu est d’éviter les tensions sur le lieu de travail, de prévenir les risques de vol de produits, voire les connivences avec la clientèle. Les recruteurs sont donc amenés à éviter les liens forts entre salariés : « J’accepte le CV en provenance d’un équipier en qui j’ai confiance, oui, mais je le propose à un collègue » (Julie Brulidon).
43 Les limites du recours aux réseaux de proximité viennent également des modes de recrutement des managers au sein des chaînes. L’accès à des responsabilités est généralement associé à une mobilité géographique. Dans ces conditions, les managers ne disposent pas d’un ancrage local propice aux recommandations via les réseaux locaux. Ils se tournent donc plus volontiers vers les opérateurs publics de placement, comme les chaînes les y encouragent. De fait, l’enquête Ofer indique que l’agence publique a été le canal de recrutement effectif dans 20 % des recrutements effectués dans l’HCR, soit davantage que dans les autres secteurs d’activité. Les chaînes du pôle commercial ne manquent pas de nouer des partenariats avec Pôle emploi autour de la MRS. Elles incitent leurs managers à recourir au marché du travail par des canaux formels, ce qui peut se traduire, dans le cadre de politiques de diversité, par une collecte centralisée de candidatures mises à disposition des établissements visant la prévention du risque juridique de discrimination (Monchatre, 2014).
Une sélection sur les qualités physiques et morales
44 Ce risque de discrimination, bien réel dans le secteur comme tendent à le montrer les résultats de testings (Cédiey et al., 2008 ; Foroni et al., 2016), est d’autant plus élevé que la sélection repose sur des critères de présentation proches de ceux qui sont prohibés par la loi. Un premier tri des candidatures s’effectue le plus souvent à partir d’un dépôt de CV sur place. Les candidats sont d’emblée jugés sur leur hexis corporelle (Cartier, 2001). « On aime bien avoir une photo, parce qu’on se fait une image tout de suite » (Fabienne Castelau) et ceci d’autant plus que le recrutement mobilise plusieurs responsables. La première sélection s’effectue donc largement sur des critères physiques et les entretiens ne conduisent pas toujours à les relativiser. Les employés sont en effet appelés à incarner la marque dans le cadre d’un véritable « travail esthétique » (Warhurst, Nickson, 2007). C’est pourquoi, dans les chaînes, la présentation est importante « même pour ceux qui sont affectés en production », au nom de la polyvalence. Les postulants doivent être « souriants », « à l’aise » et faire preuve de « dynamisme » car « on est dans du commerce », comme le disent les recruteurs du secteur.
45 Les critères physiques peuvent toutefois être relativisés : « Quelqu’un qui est très très dynamique, on va accepter qu’il soit entre guillemets un petit peu moins dans les stéréotypes de beauté » (Gregory Merteuil). De tels critères peuvent même être jugés contre-productifs : « Avoir que des bombes en caisse, à un moment, ça n’a aucun intérêt » (Jérôme Debarois). Ils peuvent également faire l’objet de débats au sein des équipes de managers, comme l’indique Fabienne Castelau :
« [L’adjoint qui me dit] “Elle est super bien cette nana, parce qu’elle est super jolie, elle est super souriante”, mais moi à l’entretien, je me suis rendu compte que c’est peut-être une fille qui est super souriante, super jolie, mais qui, physiquement, risque de ne pas faire le poids parce qu’elle n’a jamais travaillé de sa vie. »
47 Aux yeux des directeurs et directrices des ressources humaines (DRH), les recruteurs de terrain évalueraient « au feeling » et se montreraient peu attentifs aux singularités individuelles. En réalité, leur jugement peut emprunter les chemins d’une évaluation « analytique [25] » combinant une multiplicité de critères (Marchal, 2015). Ils recherchent les indices complémentaires d’une « motivation » qui ne serait pas que déclarative et d’une personnalité qui ne serait pas que de façade, sachant que « trouver quelqu’un de fiable par un entretien, c’est… c’est pas évident » (Joanna Thabaut). Outre l’examen des activités extraprofessionnelles, comme « faire partie d’un club de sport, ça montre déjà qu’il y a une certaine rigueur », ils cherchent à évaluer la docilité des candidats, afin de voir « si c’est quelqu’un qui est constamment en conflit, qui n’est pas d’accord avec certaines règles » (Julie Brulidon). Comme l’indique cette jeune directrice, sa propre expérience de recruteuse l’amène « à plus cibler les gens qui vont être, peut-être, trop à l’aise à l’entretien » pour les écarter car « ça va être les premiers à nous dire merde, donc ça ne va pas aller » (Joanna Thabaut).
48 Les recruteurs sont globalement plus jeunes et davantage dotés en capital scolaire que dans le pôle professionnel, où l’expérience compte plus que le niveau d’éducation en tant que tel. Ils sont également davantage diplômés que les candidats et se montrent sensibles aux « signes extérieurs de soumission » (Balazs, Faguer, 1979, p. 52). L’enjeu étant pour eux que les nouvelles recrues se plient aux sujétions de l’emploi, ils cherchent à faire du recrutement le moment d’une explicitation de leurs exigences : « C’est pas tout de passer des produits en caisse, c’est aussi vendre et le nettoyage représente 70 % du travail. » Ils le font d’autant plus qu’ils sont appelés à travailler avec les candidats qu’ils recrutent et à identifier « s’il y a des lacunes » car « les lacunes, nous, on peut les combler » (Joanna Thabaut). On rencontre également chez eux une propension à rechercher l’effet Pygmalion, dans le cadre d’un contrat tacite d’éducabilité qui les conduit à privilégier les jeunes sans expérience, ainsi que le suggère Gregory Merteuil :
« Nous, on se base plus sur l’humain que sur ses compétences à proprement parler. […] Ça se traduit par le fait qu’on va embaucher des gens qui n’ont aucune compétence […] parce qu’il est plus facile d’apprendre ce métier-là à quelqu’un qui n’en a pas, qui est vierge de tout et qui est ouvert à la discussion. »
50 Cette priorité donnée à la virginité professionnelle participe d’un échange tacite de promesses qui se construit dans l’interaction, et ceci, comme on va le voir, pas uniquement avec les jeunes.
Des jugements d’employabilité improbables
51 Les recruteurs se montrent attentifs aux « qualités morales » (Dubernet, 1996, p. 10) des candidats. Ils font la chasse aux « trous de CV » qui, en dehors des maternités, relèvent, à leurs yeux, d’une inactivité disqualifiante – ils peuvent être amenés à traquer les candidats qu’ils soupçonnent de chercher à intégrer, par « opportunisme » et dans le seul but de « profiter du système », les chaînes réputées « faire du social » (Fabienne Castelau). Ils se montrent globalement méfiants envers les candidatures proposées par les intermédiaires publics, qui leur enverraient « des gens à problèmes » voire des « repris de justice », avec des « problématiques lourdes qui nous dépassent, on n’est pas formés pour, […] on n’est pas des éducateurs spécialisés ! » (Julie Brulidon). Le rejet des demandeurs d’emploi associés à l’image d’« assistés » peut même les amener à passer des annonces dans le Bon Coin car « ceux qui vont dans le Bon Coin, c’est que déjà ils font la démarche de chercher quelque chose » (Esther Colanet).
52 On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, de la réserve exprimée par les recruteurs envers la MRS. Cette méthode de recrutement opère une présélection de candidats sur la base d’exercices permettant d’évaluer leurs habiletés à tenir le poste à pourvoir et les employeurs s’engagent à les recevoir lors d’entretiens de motivation sans CV. Mais ils en font ici un usage modéré : ils l’utilisent essentiellement pour des opérations programmables à caractère saisonnier ou pour des ouvertures de restaurants et se montrent particulièrement sélectifs lors des entretiens de motivation [26], ce qu’ils justifient par l’inadéquation des candidats à leurs attentes : « Les gens qui réussissent les tests ne sont pas forcément les gens qu’on peut recruter en resto. » Ils estiment notamment qu’« au niveau comportement, ça ne correspondait pas du tout à ce qu’on cherchait, il y a des gens qui ne s’exprimaient pas correctement », et que le « minimum » demandé, « puisqu’on les forme derrière », fait défaut : « Ce minimum-là, je n’arrive pas forcément à le retrouver quand je passe par le recrutement par simulation » (Joanna Thabaut).
53 Reste que la MRS ne produit pas uniquement des jugements d’inemployabilité. Les « typifications préétablies » (Marchal, 1999, p. 47) associées à certaines catégories de main-d’œuvre peuvent être révisées. Ainsi que l’a observé cette responsable de plateforme de vocation de Pôle emploi, une recruteuse réputée privilégier les « Français » a retenu à l’issue de l’entretien un « monsieur [qui] devait être malgache, donc sur la couleur de peau » et alors qu’elle devait lui proposer un contrat à durée déterminée (CDD), elle lui a proposé un contrat à durée indéterminée (CDI) en invoquant le fait « qu’il a des charges de famille, il vient d’avoir un bébé ». Si le pauvre se définit comme celui à qui l’on porte assistance (Simmel, 1998), l’emploi fourni à ce candidat au nom de sa situation familiale relève de l’acte caritatif. Mais la recruteuse peut, par la même occasion, s’assurer des formes de loyauté dont elle a besoin.
54 De telles transactions ne font que prolonger les arrangements en vigueur avec les salariés en poste, qui s’observent dans le pôle professionnel comme dans le pôle commercial. Les employeurs revendiquent en effet de « faire un travail, hmm, social » qui n’est pas gratuit : « J’attends un retour aussi de l’autre côté…, si un jour, je vois que je suis trop juste et que j’ai besoin de monde, je sais que j’ai plusieurs numéros à appeler et il y en a qui viendront parce que je les ai dépannés certains jours » (Rudy Gardin). Le recrutement reflète ce système d’arrangements et les formes de redevabilité qui en résultent. La conciliation vie familiale-vie professionnelle est ainsi mise en avant pour l’embauche de « dames » d’une « quarantaine d’années » sur des horaires qui leur permettent d’« arranger derrière leur vie de famille » (Fabienne Castelau). Le même enjeu conduit à l’embauche d’étudiants qui, parce qu’ils sont victimes de discriminations sur le marché du travail correspondant à leur filière d’études, sont de bons candidats à l’« éternisation » (Pinto, 2014, p. 253) dans ce type d’emploi. De la même façon, le recrutement de personnes en situation de handicap permet aux recruteurs de se mettre en conformité avec la loi tout en s’assurant d’une main-d’œuvre stable sur certains postes fixes relevant de tâches dépréciées dans la division morale du travail (Monchatre, 2014).
55 Mais le moment du recrutement peut également conduire à l’habilitation de semblables (Hidri, 2009) ou reconnus comme tels. Les recruteurs sont en effet d’autant plus enclins à sélectionner des candidats hors norme qu’ils sont eux-mêmes des « transclasses » (Jaquet, 2014). Leur propre expérience du déplacement social et des bifurcations les conduit à miser sur la capacité de conversion des candidats. Dans le pôle commercial, la nécessité d’entretenir l’afflux de candidatures les amène à prendre au sérieux même les plus improbables. Ainsi, alors que dans le pôle professionnel, les recruteurs n’imaginent pas prêter attention à des candidats ayant un passé industriel (« Je conçois difficilement d’embaucher quelqu’un qui aura travaillé vingt ans, je ne sais pas, je vais dire n’importe quoi, dans la métallurgie. C’est pas possible, c’est pas logique » [Hélène Mercart]), à l’inverse, Gregory Merteuil, à la tête d’un micro-groupe du monde de la nuit, se félicite d’avoir recruté un ancien ouvrier au chômage sur un poste de serveur. La dépendance de cet employeur envers le marché du travail est telle qu’elle le conduit à investir le recrutement pour en faire le moment d’une « rencontre ». Il y voit l’opportunité de déjouer les verdicts sociaux et de faire « des choses assez exceptionnelles… [comme recruter] quelqu’un qui était manutentionnaire dans une boîte en Allemagne, qu’on avait licencié, qui n’avait jamais fait de service de sa vie, à qui on a donné un temps plein et qui aujourd’hui s’épanouit dans ce métier ». Gregory Merteuil se considère lui-même comme totalement « atypique ». Diplômé d’un master de management après des études de physique, il est, de son propre aveu, totalement étranger au monde de la restauration – au point de recruter ses professionnels de cuisine par des agences d’intérim. Pour autant, il se montre ici disposé à transformer le recrutement en un moment « magique » : « Je suis plus à créer un poste par rapport à une rencontre que j’ai faite, c’est-à-dire “tiens, j’ai vu cette personne-là, ben je vais lui créer un poste” », non sans céder à l’illusio de faire de nécessité vertu.
56 Cette analyse montre que le moment du recrutement est inégalement investi par les recruteurs selon les espaces de qualification dans lesquels s’inscrit l’emploi non qualifié. Lorsque la qualification est considérée comme un état, issu de la formation ou de l’expérience, comme c’est le cas dans le pôle professionnel du secteur HCR, l’emploi non qualifié renvoie à une forme d’altérité et tend, par extension, à être assimilé à une condition sexuée ou racisée. L’opération de recrutement n’est pas considérée comme une épreuve pertinente pour juger de cet état, qui ne peut qu’être certifié par des réseaux de prescripteurs en amont de la transaction. Le recrutement passe en effet par la mobilisation de « dispositifs de confiance personnelle » (Karpik, 1996), construits dans la durée grâce à un ancrage local soigneusement entretenu. Il repose sur l’activation de réseaux de proximité dans une temporalité dilatée, il n’est donc pas le seul instant décisif et n’est pas investi en tant que tel. Mais lorsque les réseaux viennent à manquer, comme c’est le cas pour les emplois subalternes altérisés, les recruteurs apparaissent relativement démunis. Ils tentent alors d’échapper à l’épreuve du recrutement, en incorporant ce qu’ils considèrent comme du « sale boulot » dans la définition des métiers – comme c’est le cas avec la plonge – voire en externalisant la gestion de cette main-d’œuvre – via le recours à des prestataires privés, comme cela peut se produire pour les femmes de chambre.
57 À l’inverse, dans le pôle commercial, la qualification est moins définie a priori. Ici, l’enjeu de « tenir la marque » (Ughetto, 2006, p. 215) de l’enseigne repose sur la mobilisation d’une main-d’œuvre sans qualité distinctive et structurellement instable, que peu de tiers de confiance sont en mesure de labelliser en amont du recrutement. La forte dépendance des recruteurs envers le marché du travail les oblige à composer avec des opérateurs publics de placement pour s’approvisionner en candidatures. Le recrutement est alors investi comme un lieu où peuvent émerger des typifications susceptibles d’osciller entre jugements de conformité aux exigences de la marque et habilitations improbables. Dans ce dernier cas, peuvent se produire des opérations de « sauvetage social », à l’instar de ce qu’a observé Stéphane Beaud (1999) lors de son enquête en mission locale. Les recruteurs y semblent d’autant plus disposés que leur socialisation les expose à l’expérience de l’altérité. Leur position d’étranger, au sens simmelien du terme, peut les amener à réaliser de véritables paris en échange de promesses de loyauté. Ils donnent ainsi à voir un autre visage de l’hôtellerie-restauration. Au-delà des discriminations qui s’y pratiquent, ce secteur est aussi un lieu où peuvent être déjoués des verdicts d’inemployabilité.
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Mots-clés éditeurs : qualification, recrutement, hôtellerie-restauration, emploi non qualifié
Mise en ligne 10/05/2019
https://doi.org/10.4000/travailemploi.8646Notes
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[1]
L’espace de qualification désigne le processus de différenciation et de hiérarchisation des qualités acquises et requises dans le travail ainsi que les systèmes de classement qui en résultent. Cette notion a initialement été proposée par Pierre Rivard et ses co-auteurs (1979).
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[2]
Nous parlons de la scène du marché du travail dans la mesure où le recrutement requiert de la part des candidats une « mise en scène » de leur valeur sociale (Dubernet, 1996). Il constitue le lieu où se vend la force de travail entre des individus a priori libres et égaux, par opposition à celui où l’acheteur en fait usage (Marx ([1867] 1969).
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[3]
Le recrutement est un processus de construction de « conventions de compétences » (Eymard-Duvernay, Marchal, 1997). Ces conventions, qui légitiment les transactions et donnent accès à l’emploi, peuvent avoir des effets prédictifs qui se révèlent dans la durée. C’est la raison pour laquelle nous parlons de « processus d’habilitation » en nous référant à Marcelle Stroobants (1993) : l’habilitation s’inscrit dans une temporalité plus dilatée que l’opération de recrutement elle-même, en ce qu’elle autorise « à acquérir et exercer un certain type d’habileté ». Nous considérons donc que le recrutement est l’une des scènes sur lesquelles se produisent les processus d’habilitation qui permettent le développement de compétences, non seulement conventionnelles mais effectives dans l’emploi.
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[4]
La MRS, qui était proposée dans les plateformes de vocation (PFV) de Pôle emploi, relève désormais d’agences de services spécialisés (ASS).
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[5]
Ces employés sont recrutés sur la base du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) jusqu’au brevet de technicien supérieur (BTS), selon la taille et le prestige de l’établissement.
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[6]
La part des artisans et chefs d’entreprise est d’ailleurs deux fois plus élevée dans le secteur HCR que dans l’ensemble de l’économie. Source : Insee, Enquêtes Emploi, 2012-2014, exploitation Céreq-PSB, secteur hôtels-cafés-restaurants, en ligne : http://www.cereq.fr/articles/PSB-articles/PSB-du-tertiaire, consulté le 23 janvier 2019.
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[7]
Sur les registres d’appellation d’emploi, voir l’analyse d’Emmanuelle Marchal (2015).
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[8]
Rappelons que les rapports sociaux, contrairement aux relations sociales qui sont « immanentes » aux individus, sont abstraits et opposent des groupes sociaux autour d’un enjeu, tel que la division du travail ou la répartition des richesses. Sur cette notion, voir Kergoat (2000).
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[9]
Mais qui résultent en réalité d’une socialisation extérieure aux arènes des métiers, dans l’espace domestique ou en dehors de l’espace national.
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[10]
Ce rapport social entre générations peut également être qualifié de patriarcal dans la mesure où le patriarcat renvoie aux situations spécifiques dans lesquelles l’organisation « se fonde sur l’autorité exercée par les pères et les époux sur les épouses et les enfants, et par les hommes âgés sur les plus jeunes » (Cockburn, 2004, p. 115).
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[11]
Leur capacité d’accueil est en moyenne trois fois supérieure à celle des hôtels indépendants, les chaînes possédant près du quart des hôtels de France métropolitaine mais la moitié des chambres offertes. Par ailleurs, 30 % des hôtels indépendants font partie d’un réseau (Favre, 2015).
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[12]
Selon l’expression de Xavier Denamur (2015), restaurateur en croisade contre l’industrialisation des plats servis en restaurant.
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[13]
De fait, dans la restauration rapide, près de 80 % des employés ont moins de 30 ans, ce qui est trois fois plus important que dans le reste de l’économie (Source : Insee, Enquêtes Emploi, 2012-2014, exploitation Céreq-PSB, secteur hôtels-cafés-restaurants, en ligne : http://www.cereq.fr/articles/PSB-articles/PSB-du-tertiaire).
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[14]
À l’instar de ce qu’a observé Gabrielle Schütz (2006) pour les hôtesses d’accueil.
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[15]
Dans la chaîne de cafétérias enquêtée, 40 % des managers sont issus de la promotion interne.
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[16]
L’enquête Offre d’emploi et recrutement (Ofer ) de 2005 montre ainsi que les employeurs de l’HCR demandent plus fréquemment que la moyenne aux candidats de leur fournir des références (38 % contre 32 %). La première édition de cette enquête a été réalisée en 2005 à l’initiative de la Dares, de l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi), du CEE (Centre d’études de l’emploi) et du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), sur la base de 4 052 entretiens auprès d’entreprises ayant recruté ou essayé de recruter (hors intérim) au moins un salarié au cours des douze mois écoulés (Fondeur, de Larquier, 2012).
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[17]
Historiquement, le tâcheron, payé pour une tâche, était un sous-entrepreneur chargé de recruter et de payer la main-d’œuvre requise pour la réalisation d’une tâche déterminée, ce qui générait des formes d’entr’exploitation (Didry, 2016). Ici, les salariés peuvent enrôler des membres de leur entourage mais ils ne sont pas en situation de les rétribuer directement.
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[18]
Selon nos interlocuteurs de l’observatoire de l’hôtellerie-restauration, ce taux d’évaporation, issu de l’observatoire régional des métiers de la Région Alsace de 2012, peut, à l’échelle nationale et selon les années, s’élever jusqu’à 70 %.
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[19]
Comme l’indique ce proviseur à la tête d’un lycée professionnel : « Il faut qu’ils se posent des questions sur la manière dont ils fonctionnent, sur comment ils payent les gens, etc. […] Moi j’ai eu des élèves dans des restaurants étoilés, la convention était signée, 39 heures, et voilà et après, on discutait avec le jeune et il faisait 50, 52, 54 heures, alors je veux dire, bon ! Comment vous voulez attirer des jeunes ! »
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[20]
Les employeurs peuvent alors être amenés, comme Xavier Denamur (2015, p. 96), à durcir leurs propres pratiques, par exemple en faisant constater devant huissier toute faute justifiant une rupture de contrat.
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[21]
Toujours selon l’expression de Lucien Karpik (1996).
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[22]
L’échantillon stratifié de l’enquête Ofer, qui a été constitué en fonction de la taille et du secteur d’activité, rassemble 11,3 % d’établissements relevant des hôtels-cafés-restaurants (HCR), soit 319 au total (Fondeur, de Larquier, 2012).
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[23]
D’après Ofer (2005), dans les établissements du secteur qui ont tenté de recruter, il y a eu recours aux candidatures spontanées et à l’ANPE dans respectivement 60 % et 40 % des cas.
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[24]
Dans les cafétérias, les recruteurs reçoivent volontiers les candidatures recommandées par les habitués. Mais les directions des ressources humaines organisent également des campagnes de publicité sur le lieu de vente (PLV) pour recruter.
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[25]
Les jugements analytiques permettent de fouiller l’examen des qualités des candidats. Ils reposent sur une diversification des critères d’appréciation, ce qui permet d’engager une négociation de ses compétences avec le candidat (Monchatre, Salognon, 2012).
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[26]
Dans la PFV du Bas-Rhin, en 2010, 69 % des candidats ont été évalués positivement pour les postes d’employé polyvalent de restauration, mais 31 % ont été finalement recrutés, soit 45 % des reçus par les employeurs en entretien (Monchatre, Woehl, 2012).