Notes
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[1]
Federación de Trabajadores Independientes de Comercio (Fédération des travailleurs indépendants du commerce). Nous présenterons les caractéristiques de ce syndicat dans la suite de l’article.
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[2]
Pour une présentation des modalités de représentations du personnel en Espagne, voir encadré 3.
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[3]
CCOO est l’abrévation de Comisiones Obreras (Commissions ouvrières). Ce syndicat occupe dans l’espace syndical espagnol une position similaire à celle de la Confédération générale du travail (CGT) en France.
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[4]
La Cour suprême est la juridiction la plus élevée, à l’image de la Cour de cassation et du Conseil d’État en France. Le contrôle de la conformité des lois, ou d’autres normes juridiques, à la Constitution est par ailleurs assuré par la Cour constitutionnelle.
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[5]
Nous avons réalisé l’entretien avec Carmen dans le cadre de nos contributions au site www.abusospatronales.es (voir note 6). C’est à la suite de plusieurs témoignages comme celui-ci que nous avons décidé d’entreprendre une recherche sur la répression syndicale et les syndicats maison dans le secteur du commerce.
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[6]
Nous entendons par « syndicats maison » ceux qui sont contrôlés, soutenus et utilisés par l’entreprise pour renforcer son contrôle de la main-d’œuvre et pour empêcher la représentation d’autres organisations syndicales moins dociles. La législation espagnole interdisant aux entreprises la création ou le soutien à des syndicats dans le dessein de les contrôler, ces organisations se présentent comme indépendantes et refusent publiquement toute étiquette de syndicats maison. C’est pourquoi l’attribution du qualificatif de « maison » est toujours le produit d’un jugement extérieur au syndicat. Nous pensons que les témoignages et documents que nous avons réunis dans notre recherche nous autorisent pleinement à qualifier les deux organisations dont nous parlons – Fasga (Federación de Asociaciones Sindicales de Grandes Almacenes – Fédération des associations syndicales des grands magasins) et Fetico – de syndicats maison.
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[7]
Le site (www.abusospatronales.es) a été créé par des chercheurs en sciences sociales et des militants. Il est alimenté par le travail bénévole de ses membres et par les contributions du groupe de recherche Desigualdad social y dominación en Andalucía (Inégalité sociale et domination en Andalousie). Son objectif est aussi bien de réunir toute l’information possible sur les abus patronaux afin de les faire connaître, que de servir de point de contact et d’information pour les travailleurs qui en sont victimes.
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[8]
Cf., en France, l’Observatoire de la discrimination et de la répression syndicales (http://observatoire-repression-syndicale.org/) ; cf., en Allemagne, le rapport Union-busting in Deutschland (« L’anti-syndicalisme en Allemagne ») de la Fondation Otto Brenner (Rügemer, Wigand, 2014) ou le site aktion.arbeitsunrecht.de.
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[9]
En espagnol, « pasar a alguien por la piedra » (« passer quelqu’un par la pierre ») signifie en langage familier « l’humilier », « le soumettre ».
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[10]
La loi considère comme « représentatifs » les syndicats qui totalisent : a) sur l’ensemble du territoire espagnol, au moins 10 % des délégués du personnel et membres de CE ; b) dans une région donnée, au moins 15 % des délégués du personnel et membres de CE ; c) dans un secteur d’activité et un territoire donnés (par exemple dans le secteur de l’hôtellerie de la province de Séville), au moins 10 % des délégués du personnel et membres de CE.
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[11]
La CCOO a réuni des données sur cette discrimination et a gagné plusieurs procès qui ont condamné El Corte Inglés : cf. par exemple Tribunal Constitucional S. 74/1998 ; Tribunal Superior de Justicia de Madrid, Sala de lo Social, no 459/1998 et no 363/2008.
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[12]
En lui promettant de futures promotions ou améliorations de ses conditions de travail, la hiérarchie peut convaincre un employé de communiquer à la direction les noms des candidats inscrits sur la liste d’un syndicat « ennemi ». Désormais les syndicats font signer la candidature sur une feuille où ne figure aucun autre nom. La répression atteint donc un pic pendant les quinze jours qui séparent la présentation officielle des candidatures de la tenue des élections.
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[13]
Depuis les premières élections syndicales, El Corte Inglés a changé sa politique de recrutement : alors qu’il refusait l’embauche de membres de la famille ou du conjoint de ses employés, il l’utilise désormais comme un moyen de pression en menaçant les syndicalistes et leurs proches.
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[14]
Si le syndicaliste démontre au procès que son licenciement est dû à son activité syndicale, le licenciement est déclaré « nul » et le syndicaliste a le droit à revenir à son poste de travail. Cela arrive très rarement : d’une part parce que l’entreprise a de nombreux « témoins » assurant de la solidité des « motifs » du licenciement ; d’autre part, parce que le syndicaliste n’a pas intérêt à retourner dans l’entreprise où l’attendent des conditions de travail particulièrement pénibles.
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[15]
Lors de notre enquête, nous avons ainsi vu des documents montrant qu’une syndicaliste de la CCOO, membre du comité d’entreprise, avait obtenu 300 000 euros nets pour quitter El Corte Inglés dans la seule ville d’Andalousie où la CCOO avait la majorité dans le comité.
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[16]
Et ce, bien que les grands magasins aient aussi très tôt utilisé des contrats temporaires ou à temps partiel.
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[17]
Par exemple, Fetico n’est entré chez Aki que lorsque la chaîne a été rachetée par Leroy Merlin en 2003 et a alors intégré l’Anged. On voit bien la symbiose entre Fetico et l’Anged dans le cas des supermarchés : le syndicat domine la représentation du personnel dans les supermarchés possédés par des entreprises de l’Anged ; par contre, il n’est pas représenté dans les autres chaînes de supermarché, adhérentes de l’Asedas (Asociación Española de Distribuidores, Autoservicios y Supermercados, Association espagnole de distributeurs, libres-services et supermarchés – association patronale opposée à l’Anged, notamment s’agissant des horaires d’ouverture). Ces chaînes sont contre l’ouverture le dimanche et les jours fériés, qui augmente leurs coûts d’exploitation mais pas leurs ventes.
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[18]
Cette plus grande flexibilisation du travail a d’ailleurs contribué à l’attractivité du secteur pour des entreprises qui n’en faisaient préalablement pas partie : C&A, dépendant auparavant de la convention collective du vêtement, ou Feu Vert, de celle de la métallurgie, ont ainsi favorisé la mise en place d’un syndicat Fetico en leur sein, afin (grâce à sa signature) de pouvoir rejoindre la convention collective de l’Anged.
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[19]
Les changements de service et la variation constante des horaires empêchent les employées de tenir le compte exact de leurs heures de travail. Elles dépendent de leurs supérieurs même pour connaître et toucher le montant de leurs heures supplémentaires réalisées. Le magasin utilise cette incertitude horaire pour renvoyer des syndicalistes en exigeant qu’elles fournissent le décompte précis des heures de présence sur les trois ou quatre derniers mois, ce qui est presque impossible.
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[20]
Source : rapports d’activité de Fetico des années 1990 (IIe Congrès fédéral), 1995, 1996, 1997, 1998 (IIIe Congrès fédéral), 1998-1999. Ils nous ont été fournis par le fondateur et ex-secrétaire général du syndicat (de 1978 à 2001).
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[21]
Le processus que suit la négociation de la convention collective permet aux deux syndicats maison d’essayer de sauver la face : la proposition initiale de l’Anged est sciemment bien plus radicale que ce qu’elle sait pouvoir obtenir ; Fetico et la Fasga s’y opposent afin que la convention finale ne contienne pas les aspects les plus durs de la proposition de départ. Ils présentent ainsi le résultat de la négociation comme une difficile conquête des droits pour les travailleurs. Une tactique complémentaire consiste à intégrer aux conventions collectives signées des lois récemment approuvées, qui donnent plus de droits aux salariés, ce que les deux syndicats affichent comme une avancée issue de leurs revendications.
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[22]
L’imprécision des fiches de postes donne de plus une grande marge de manœuvre pour sanctionner les employés rétifs à exercer telle ou telle tâche qu’ils considèrent comme ne faisant pas partie de leurs attributions.
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[23]
Rapport annuel de l’Anged 2010 (www.anged.es, consulté le 12 janvier 2012, non disponible en ligne actuellement).
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[24]
Entre 1987 et 2007, le taux d’activité des mères d’enfants de moins de 6 ans est passé de 32 % à 65 % (Cebrián, Moreno, 2008).
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[25]
L’Audiencia Nacional est une juridiction particulière dont le fonctionnement rappelle celui d’une haute cour ou d’une juridiction d’exception. Elle est composée de différentes chambres au périmètre de compétences circonscrit : la chambre criminelle s’occupe par exemple de terrorisme tandis que la chambre sociale traite, par exemple, de la contestation des conventions collectives dont le territoire d’application concerne ou bien plusieurs régions ou bien l’ensemble du territoire national.
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[26]
Juzgado de lo Social num. 7 (Tribunal des affaires sociales no 7) de Murcia, jugement du 7 mars 2003.
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[27]
Sa situation est présentée dans un article d’El País (26 juin 2004).
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[28]
Pour le cadre de l’Anged interviewé par Carlos Prieto, c’était le principal problème du secteur.
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[29]
Dans les années 2000, on trouve beaucoup plus de décisions de justice concernant la loi sur la conciliation que sur la répression syndicale dans les grandes surfaces commerciales. Les résultats sont aussi très différents, car la plupart des salariées ont gagné leur procès. Les jugements montrent que dans nombre d’établissements, les mères en service horaire du matin grâce à la loi sur la conciliation représentent plus de 10 % des employés.
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[30]
La loi de 2007 sur l’égalité hommes-femmes renforce la protection des mères contre le licenciement et étend le droit à réduire la journée de travail pour conciliation des vies familiale et professionnelle jusqu’aux 8 ans de l’enfant.
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[31]
Pour saisir ces pratiques, il faut les inscrire dans une perspective dynamique (Giraud, 2009) : les stratégies des entreprises s’élaborent à partir de la législation et de l’état du marché du travail, mais aussi des actions passées (les leurs comme celles des syndicats), qui se répondent et se succèdent, se modifiant tour à tour (Edwards, 1990).
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[32]
Sur ce point, comme sur d’autres, la situation est similaire à celle mise en avant par Baptiste Giraud, Jérôme Pélisse et Étienne Penissat (2014) dans des entreprises de services, avec des travailleurs peu qualifiés.
1 Carmen a commencé à travailler dans les services financiers – gestion de prêts et d’assurances pour les clients – d’un hypermarché en Andalousie en 1995. Elle n’a alors aucune expérience syndicale. Comme elle s’entend très bien avec ses collègues, un délégué du syndicat Fetico [1] lui propose un jour de poser sa candidature aux élections [2]. Elle accepte, est élue et devient déléguée. Pendant plusieurs années son mandat se limite à résoudre les problèmes quotidiens de ses collègues de travail. Au fur et à mesure qu’elle se forme à la législation du travail, Carmen comprend que les responsables de la Fetico l’empêchent de déposer des plaintes contre l’entreprise ou d’informer les salariés sur leurs droits. Malgré ces problèmes, elle devient responsable syndicale dans son établissement et participe aux réunions avec la direction. Elle y est témoin d’arrangements entre le syndicat et la direction : alors que la direction dicte à Fetico les revendications qu’il peut porter, les responsables de ce dernier lui communiquent les listes de travailleurs susceptibles de former ou de soutenir des candidatures d’autres syndicats.
2 Carmen refusant de donner des noms, les autres délégués de la Fetico l’isolent progressivement. Au bout de quelques mois elle quitte ce syndicat et en rejoint un autre, la CCOO [3], qui n’est alors pas représenté dans l’établissement. Alors qu’elle s’emploie à organiser en secret la candidature de la CCOO aux élections syndicales, la direction en est informée. Très connue et populaire parmi ses collègues, Carmen a rapidement obtenu les signatures nécessaires pour établir sa liste. La direction convoque alors les candidates – les emplois du secteur sont essentiellement occupés par des femmes – et les menace. La plupart renoncent : « Elles venaient en pleurant : “Carmen, enlève-moi de la liste, je ne veux pas de problèmes” » (entretien réalisé le 10 septembre 2008). Celles qui maintiennent leur candidature sont mises à l’écart, obligées de changer de poste ou surveillées en permanence.
3 Devant la menace brandie par la direction de licencier les salariés qui voteraient pour la CCOO, la plupart de ses collègues refusent désormais de lui parler. Carmen doit refaire les listes de candidates quatre fois, enregistrant plus de vingt désistements, mais parvient finalement à réunir les signatures nécessaires le dernier jour du dépôt des listes. Malgré un cadre légal censé interdire de telles pratiques (encadré 1), la Fetico tente de s’opposer au dépôt de la liste de la CCOO, arguant que les signatures de trois employées alors en congé de maternité sont fausses. Après avoir reçu des appels téléphoniques quotidiens menaçants de la part de l’entreprise, celles-ci sont contraintes à se présenter en personne dans l’établissement pour ratifier leur candidature. Elles sont accompagnées par les militants de la CCOO mobilisés pour l’occasion.
Le droit encadrant la liberté syndicale en Espagne
Pendant la dictature franquiste (1939-1975), la représentation syndicale était officiellement monopolisée par l’Organización Sindical Española (Organisation syndicale espagnole), seul syndicat autorisé. En avril 1977, dans le cadre de la transition démocratique, la loi du Droit d’association syndicale accorde le droit de constituer des syndicats et protège les travailleurs contre toute discrimination liée à l’appartenance syndicale.
Le même mois, l’État espagnol signe deux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) : les conventions no 87 sur la liberté syndicale et no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective. Cette dernière affirme que tout travailleur doit être protégé contre les pratiques de discrimination syndicale. En particulier, elle indique que cette protection s’applique aux actes ayant pour but de « congédier un travailleur ou [de] lui porter préjudice par tous autres moyens [sic], en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales ». Elle interdit aussi aux employeurs, ou organisations d’employeurs, de créer des syndicats ou de les soutenir « dans le dessein de les contrôler ».
La Constitution espagnole de 1978 intègre le droit à la liberté syndicale, par la suite développé dans le Estatuto de los Trabajadores (Code du travail) de 1980 puis dans une loi qui lui est consacrée en 1985, reprenant les conventions de l’OIT. Plusieurs décisions du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) et du Tribunal Supremo (Cour suprême [4]) ont précisé les pratiques d’entreprises jugées contraires à la liberté syndicale : licenciement, sanction ou modification des conditions de travail d’un travailleur en raison de son affiliation (ou de sa non-affiliation) à un syndicat, de ses activités syndicales ou du fait d’être candidat ou représentant syndical ; conditionnement du recrutement à une affiliation syndicale (ou à une absence d’affiliation) ; inégalité des chances de promotion entre les salariés syndiqués ou représentants syndicaux et les autres ; entrave à l’activité syndicale (droit d’information, de réunion, entrave aux campagnes syndicales lors des élections, etc.) ; différences de traitement entre les organisations de travailleurs ; refus de négociation avec les représentants du personnel, création ou soutien de syndicats afin de les contrôler.
Nous utiliserons l’expression de « pratiques anti-syndicales » pour nous référer à toutes ces pratiques. La plupart relèvent de ce que l’on peut qualifier de répression syndicale, à savoir harceler, sanctionner, licencier (ou menacer de le faire) des travailleurs pour leur affiliation, leur vote ou leurs activités syndicales.
4 En dépit des menaces de la direction et des multiples faveurs obtenues par la Fetico pour les salariés avant les élections – passage d’un contrat à temps partiel à un contrat à temps complet, changement d’horaires, etc. –, la CCOO gagne les élections. Mais les pressions continuent. Plusieurs déléguées changent de poste : deux salariées du service clientèle sont mutées, l’une sur un poste isolé et l’autre aux caisses ; une troisième déléguée est transférée sur un poste où elle doit porter des charges lourdes alors qu’elle souffre de problèmes de dos. Toutes finissent par négocier leur licenciement. Une autre déléguée encore renonce, en échange d’un changement d’horaire. Carmen quant à elle continue à résister, alors même que l’on a essayé de la licencier plusieurs fois, que ses conditions de travail se sont dégradées et que son département – cinq personnes – est pénalisé : il y est désormais impossible de permuter les horaires entre collègues en cas de besoin.
5 Le cas de Carmen est exemplaire d’une réalité très répandue dans les grandes surfaces commerciales en Espagne [5] : la coexistence de « syndicats maison [6] » et d’une forte répression envers les autres syndicats. L’objectif de cet article est de décrire ces pratiques et de prendre en compte plusieurs éléments permettant de comprendre pourquoi elles sont à ce point courantes.
6 Les pratiques anti-syndicales des entreprises ne sont guère étudiées par la sociologie du travail, sauf dans quelques pays, comme les États-Unis, ou la France, comme le montre le numéro précédent de la revue Travail et Emploi. Un tel manque tient à des raisons d’ordre méthodologique, tant il est difficile d’objectiver des pratiques habituellement cachées par les entreprises (Clément, 2013). Il tient également et surtout, selon nous, à des raisons d’ordre politique, la répression syndicale n’étant pas reconnue comme un « problème social » par les gouvernements qui, en conséquence, ne financent pas de recherches sur ce sujet (Penissat, 2013). Le cas de l’Espagne est, à cet égard, exemplaire puisqu’il n’existe pas, à notre connaissance, de recherche sociologique sur la répression syndicale. S’il existe quelques descriptions de telles situations dans des monographies d’entreprises ou de secteurs, elles ne constituent jamais le cœur de l’analyse. Pourtant, la répression syndicale est loin d’être rare : le nombre de dénonciations d’abus patronaux enregistrés sur le site abusospatronales est ainsi en augmentation constante depuis 2008 [7]. En Espagne, à la difficulté méthodologique et à la dimension politique s’ajoute le fait que les principales organisations syndicales n’ont pas tenté de construire la répression syndicale comme « problème social » : il n’y a pas d’observatoires ou de rapports sur la répression syndicale comme en France ou en Allemagne [8].
7 Mobilisant un vaste matériau empirique (encadré 2), cet article entend donc initier un courant de recherche sociologique sur la répression syndicale en Espagne. Notre approche consiste à inscrire les pratiques anti-syndicales dans le cadre général du répertoire de moyens de contrôle de la main-d’œuvre (Yon, Béroud, 2013). Nous reprenons le terme « répertoire » car ces pratiques se construisent historiquement, sont le produit d’un travail d’invention, de tentatives successives, d’accumulation d’expériences. Les stratégies s’élaborent en fonction de la législation, de l’état du marché du travail, mais aussi de l’histoire des entreprises et des syndicats, qui se répondent et s’influencent mutuellement. Comme nous le verrons, les pratiques anti-syndicales visent à contrôler la main-d’œuvre en lien avec les évolutions de l’organisation du travail : leur extension et leur efficacité ne peuvent se comprendre en dehors d’un système autoritaire de dons et contre-dons, qui assure l’assujettissement des travailleurs dans la conduite de leur activité ; elles se concentrent sur les horaires de travail, principal enjeu du contrôle de la main-d’œuvre dans le commerce. À la différence de l’activité industrielle, les flux de production ne peuvent en effet y être anticipés car ils dépendent de la présence de la clientèle. La capacité d’ajustement temporel de la main-d’œuvre au flux de clients – la flexibilité horaire – devient par conséquent un élément central du pouvoir dans les surfaces de vente (Prunier-Poulmaire, 2000). S’y ajoute l’allongement des horaires d’ouverture, l’un des principaux facteurs de concurrence entre grandes surfaces commerciales et magasins du petit commerce. La flexibilisation et l’extension des horaires dépendent de la capacité de l’entreprise à les imposer à des employés qui perdent ainsi une part de leur autonomie temporelle. Les horaires sont de fait l’objet principal des tensions entre entreprise et employés dans la grande distribution commerciale (Alonzo, 1998). Grâce à deux exemples de lutte autour des horaires de travail – la « guerre des dimanches » et les enjeux de conciliation pour lesquels la législation offre des protections très différentes aux travailleur.euse.s –, nous mettrons précisément en évidence les coûts et profits générés par les pratiques syndicales (Freeman, Kleiner, 1990 ; Kleiner, 2001 ; Fantasia, Voss, 2004).
8 Nous commencerons par présenter la genèse et le développement des syndicats maison dans une enseigne emblématique du commerce espagnol, le grand magasin El Corte Inglés, ainsi que les pratiques anti-syndicales qui y règnent. Puis, nous verrons la diffusion de ces syndicats dans les plus grandes enseignes du secteur, notamment dans les hypermarchés, et les principaux avantages que les entreprises tirent de leur hégémonie. Nous aborderons ensuite plus spécifiquement l’enjeu de contrôle de la main-d’œuvre que constitue le temps de travail, et le rôle des syndicats maison dans les luttes concernant les horaires. En conclusion, nous soulignerons l’importance de la prise en compte de la dimension historique des processus à l’œuvre et du rôle de l’État pour comprendre la persistance et l’extension des pratiques anti-syndicales.
Méthodologie de l’enquête
Pour cette recherche, nous avons combiné analyse d’entretiens et recherche documentaire. Nos données sont issues des sources suivantes :
– vingt-huit entretiens individuels et six collectifs réalisés entre 2008 et 2014. Au total, nous avons interrogé quarante-trois personnes en Andalousie, à Madrid et en Catalogne, pour la plupart des syndicalistes CCOO, UGT (Unión General de Trabajadores ; Union générale des travailleurs) et Fetico, mais aussi des salariés n’ayant pas de responsabilité syndicale. Le fondateur et ex-secrétaire général de la Fetico (1979-2001), trois personnes ayant siégé à la direction du syndicat ainsi que sept de ses ex-délégués, trois responsables syndicaux nationaux de la CCOO à Carrefour et deux syndicalistes (UGT et CCOO) ayant négocié des conventions collectives, se trouvent parmi nos enquêtés. Les personnes interrogées ont travaillé à El Corte Inglés (16), Carrefour (11), Continent (5), Auchan (3), Leroy Merlin (2), IKEA (1), C&A (1) et Aki (2). Deux entretiens témoignent également de l’implantation de la Fetico dans d’autres entreprises (Starbucks et Feu Vert) ;
– sept entretiens, un groupe de discussion avec des caissières de Carrefour et un entretien avec un cadre de l’Asociación Nacional de Grandes de Empresas de Distribución (Association patronale des entreprises de la grande distribution ; Anged), matériau fourni par Carlos Prieto qui a été collecté pour une recherche publiée en 2008 (Prieto et al., 2008) ;
– divers documents (gazettes syndicales, actes de congrès, données d’élections syndicales, jugements, etc.) communiqués par les personnes enquêtées ;
– des informations tirées des sites internet et des blogs de l’association patronale Anged, de la Fetico, de la Fasga, des sections syndicales CCOO et UGT de différentes entreprises de grande distribution commerciale, de forums de salariés et de blogs sur la grande distribution commerciale ;
– des récits et des commentaires envoyés sur le site http://www.abusospatronales.es, auquel nous participons ;
– des articles portant sur l’actualité économique d’une part, et sur les conflits du travail d’autre part, publiés par la presse généraliste (El País, El Mundo) et économique (Cinco Días, Expansión), corpus établi à partir des requêtes effectuées sur les moteurs de recherche des sites des journaux cités ;
– des documents juridiques : conventions collectives, législation du travail et du commerce, etc. ;
syndicale (droit d’information, de réunion, entrave aux campagnes syndicales lors des élections, etc.) ; différences de traitement entre les organisations de travailleurs ; refus de négociation avec les représentants du personnel, création ou soutien de syndicats afin de les contrôler.
– des décisions juridiques sur les conflits du travail, la discrimination et la répression syndicale dans la grande distribution commerciale, récupérées dans les bases de données juridiques vlex.es et www.leylaboral.com. Plus précisément, nous avons utilisé les moteurs de recherche de ces sites avec des mots-clés ayant un rapport avec la répression syndicale, avec les noms des syndicats Fasga et Fetico, ou des entreprises membres de l’Anged. Selon le même principe, nous avons également interrogé ces deux bases au sujet des horaires de travail et de la loi de conciliation en lien avec Fasga et Fetico, ou des entreprises de l’Anged.
Seuls les faits et les pratiques que nous avons pu documenter par différentes sources sont rapportés dans l’article.
L’émergence d’un modèle de relations sociales à El Corte Inglés
9 Les syndicats maison de la grande distribution sont nés en 1978 dans les magasins de la chaîne El Corte Inglés. Pour comprendre l’essor et l’efficacité des stratégies anti-syndicales dans l’entreprise, il faut d’abord comprendre comment s’y sont organisées les relations de travail.
10 Dans les années 1970, El Corte Inglés s’impose comme principale enseigne de la grande distribution commerciale, avec un autre grand magasin, Galerías Preciados, dans un contexte où le petit commerce traditionnel prédomine et les hypermarchés restent très peu nombreux (Cuesta, 2004). Avec son très grand choix de produits et un service délivré au client particulièrement soigné, l’enseigne s’adresse aux classes moyennes et aisées. Sa politique interne s’appuie sur un système de vente traditionnel où un employé est considéré comme productif s’il délivre au client un service de qualité, critère difficile à standardiser qui interdit un contrôle taylorien de la force de travail. El Corte Inglés soigne le processus de sélection des employés au moment du recrutement et prévoit systématiquement un stage de formation. L’entreprise offre des salaires supérieurs aux rémunérations habituelles dans le commerce. En échange, elle exige un dévouement total : l’employé doit toujours être disponible et prêt à allonger sa journée de travail, à renoncer à des jours de repos ou à déplacer ses vacances quand les supérieurs le lui demandent.
11 La gestion de la main-d’œuvre combine puissant système de surveillance hiérarchique et individualisation des relations de travail. Les nombreux niveaux hiérarchiques concourent à la formation d’un système de surveillance directe : chaque chef évalue en permanence les personnes sous ses ordres et entretient la concurrence entre elles. Les salaires sont totalement individualisés grâce aux commissions sur les ventes. S’y ajoute dans les années 1970 le système dit de « la pierre [9] » (Cuartas, 1992, p. 615) : une fois par an, chaque employé passe devant un « jury » composé de ses chefs et de quelques hauts responsables qui évaluent son comportement, le félicitent ou lui font des reproches et lui attribuent, ou non, de façon discrétionnaire un complément de salaire individuel. Un marché interne du travail offre aux employés la possibilité de progresser dans la longue échelle des emplois, mais sans aucune règle objective partagée par tous : tout dépend des critères retenus par les supérieurs hiérarchiques. L’existence de faveurs accordées selon leur bon vouloir constitue un autre élément central de la gestion de la main-d’œuvre. Les horaires, les congés, l’affectation à un secteur plus rentable en commissions dépendent de la soumission du salarié aux ordres de ses supérieurs, de la réalisation de tâches au-delà des obligations contractuelles ou encore de la renonciation à des droits prévus par la loi. Ces faveurs ne sont pas codifiées dans un règlement intérieur : l’employé doit toujours être disponible. En échange, l’entreprise concède des contre-dons : récompenses salariales, autorisation de changement d’horaires, etc. Les conditions de travail et les salaires échappent ainsi à toute règle clairement établie, ce qui constitue un puissant levier pour soumettre les employés.
12 Nous désignons ce « système de faveurs » (Benquet, 2013) par l’expression paradoxale de « système autoritaire de dons et contre-dons ». L’échange est présenté par les supérieurs comme symétrique et non codifié : les dons et contre-dons sont échangés volontairement, le contre-don n’ayant pas à être immédiat parce que l’échange se déroule dans le temps long et engage dans une relation de confiance – exiger le contre-don immédiatement signifierait refuser la confiance – et enfin, les dettes sont « morales » (Bourdieu, 1980, p. 6-8). Mais c’est aussi un échange autoritaire, car c’est le supérieur qui décide quand il faut faire les dons et quelle est leur valeur. Son caractère paradoxal est au cœur du système : il permet aux supérieurs d’échapper à toute codification des faveurs échangées, qui sinon deviendraient des « droits », et de présenter les dons exigés comme des faveurs volontaires qui sont des gages de bonne foi, des preuves que l’on est un employé « de confiance », un travailleur de « la maison ». Comme nous le verrons, ce système autoritaire de dons et contre-dons joue un rôle essentiel dans les tactiques anti-syndicales de l’entreprise : le travailleur qui fréquente de « mauvais » syndicats ne sera plus considéré comme un travailleur « de confiance » et n’obtiendra plus de contre-dons ; ses conditions de travail se dégraderont fortement sans besoin de sanction explicite.
Premières élections syndicales et naissance des syndicats maison
« Dans ce secteur le syndicalisme a été très particulier. Son origine y est ancienne, les syndicats UGT et CCOO étaient contre l’extension des horaires et les entrepreneurs se sont défendus […]. Cela a produit quelque chose qui n’est pas courant dans d’autres secteurs, une force énorme du syndicalisme indépendant. »
(Cadre supérieur de l’Anged, entretien réalisé par Carlos Prieto en 2005)
14 Les premières élections syndicales démocratiques après la mort de Franco ont lieu en 1977 (pour une présentation des modalités de représentation du personnel en Espagne, voir encadré 3). Afin de bien comprendre les enjeux syndicaux dans le secteur de la grande distribution, il faut savoir que l’association patronale Anged, créée en 1965 et regroupant alors treize entreprises – El Corte Inglés est la plus importante –, réussit à obtenir une convention collective séparée du reste du secteur du commerce. Pour les autres entreprises du secteur, les conventions collectives restent négociées au niveau de chaque province. Sans cette convention collective autonome, les grandes entreprises n’auraient pas eu de poids parmi la multitude de petites entreprises dont la position sur les horaires d’ouverture, principal objet de lutte dans le secteur, était opposée à la leur.
Représentation des travailleurs en Espagne
Le Code du travail espagnol distingue deux types de représentation des travailleurs : la représentation unitaire, qui concerne tous les travailleurs de l’établissement, et la représentation syndicale, qui se rapporte aux adhérents d’un syndicat particulier.
La représentation unitaire est assurée dans l’établissement par des salariés formellement élus. Dans les entreprises de moins de 50 travailleurs, elle passe par les délégués du personnel (DP). Dans les entreprises de 50 salariés et plus, les comités d’entreprise (CE), uniquement composés des représentants des travailleurs (l’employeur n’est pas représenté), ont ce rôle.
Cette représentation n’est obligatoire qu’à partir du moment où les travailleurs en font la demande. Les élections peuvent être réclamées par la majorité des travailleurs, par les syndicats dits représentatifs [10] ou par ceux qui comptent au moins 10 % de membres dans l’entreprise. Dans le cas des CE, toute liste de candidatures doit comprendre au moins autant de membres que de postes à pourvoir. Cette règle est la plus utilisée par les entreprises qui veulent se débarrasser des listes indésirables et qui menacent pour cela les candidats afin qu’ils renoncent à se présenter et qu’une liste complète ne puisse ainsi être constituée.
Les représentants élus ont trois fonctions principales : recevoir et transmettre aux salariés des informations sur l’entreprise, notamment sur les contrats et les conditions de travail ; veiller à l’application des normes légales dans l’entreprise ; négocier des accords dans l’établissement. Les représentants de chaque établissement participent aussi, au prorata du poids de l’établissement dans l’entreprise ou le secteur, à la négociation des conventions d’entreprise ou de secteur.
La représentation syndicale, quant à elle, concerne seulement les adhérents à un syndicat. Les syndicats représentatifs dans l’entreprise peuvent désigner des « délégués syndicaux » qui ont les mêmes droits et missions que les représentants unitaires sauf pour la négociation qui, ici, ne s’applique qu’aux membres affiliés au syndicat.
Les représentants unitaires et syndicaux ont toute une série de protections juridiques dont le but est d’empêcher que l’entreprise ne fasse pression sur eux. Ces protections cessent un an après la fin de leur mandat.
Les deux syndicats les plus importants en Espagne sont l’Unión General de Trabajadores (Union générale de travailleurs ; UGT), fondé par le parti socialiste, et les Comisiones Obreras (Commissions ouvrières ; CCOO), ayant à l’origine entretenu des liens avec le parti communiste espagnol. Leur position dans le champ syndical espagnol est similaire à celle de la CFDT et de la CGT, respectivement.
15 Pour les entreprises de l’association patronale Anged, les syndicats les plus importants étaient la CCOO et l’UGT. Ce sont alors des années de fortes mobilisations politiques et syndicales : la période 1976-1979 concentre le plus grand nombre de grèves de l’histoire de l’Espagne (Garcia-Calavia, 2008). Dans ce contexte, un nouveau syndicat, Unión Profesional (Union professionnelle ; UP) apparaît soudain à El Corte Inglés, soutenu par l’entreprise et avec de nombreux cadres parmi les candidats.
16 Les élections syndicales dans le secteur des grands magasins ont lieu en février 1978. À El Corte Inglés, l’UP obtient 171 des 501 représentants. Les syndicats CCOO et UGT ont donc ensemble la majorité des voix, et négocient la convention collective. Les syndicats y intègrent une revendication très populaire parmi les travailleurs : les entreprises renoncent à rallonger la journée de travail, sauf pour les deux jours annuels de préparation des soldes et les deux jours d’inventaire. En 1979, la CCOO et l’UGT gagnent encore les élections, mais pour la dernière fois (tableau 1).
Tableau 1 : Résultats des élections syndicales à El Corte Inglés, 1978-2010
Tableau 1 : Résultats des élections syndicales à El Corte Inglés, 1978-2010
18 En effet, en 1978, UP s’allie avec un autre syndicat « indépendant » de Galerías Preciados pour donner naissance à la Fasga, qui limitera son champ d’action aux entreprises d’El Corte Inglés. Parallèlement, en rassemblant plusieurs candidatures « indépendantes » de différentes entreprises de l’Anged, un travailleur d’El Corte Inglés fonde la Fetico, qui s’étendra à toutes ces entreprises. Depuis 1980, et jusqu’à nos jours, ces deux syndicats obtiennent la majorité absolue aux élections syndicales de l’Anged et signent toutes les conventions collectives. D’après notre enquête, ce succès tient essentiellement au fait que les autres syndicats ne parviennent pas à réunir les candidats nécessaires pour se présenter aux élections : les entreprises ont utilisé tous les moyens à leur portée pour empêcher la présence d’autres syndicats dans leurs établissements. À El Corte Inglés, CCOO obtient 29,2 % des délégués en 1978 mais 5,7 % en 1986 ; UGT passe quant à lui de 17,7 % à 6,6 %. Ils ne retrouveront jamais les scores obtenus en 1978.
Répression syndicale contre les syndicats « ennemis » et contrôle de la main-d’œuvre
« – Si tu lâches la CCOO pour la Fasga ou la Fetico, je t’augmente de tant. Si tu restes à la CCOO, emmerdes et marginalisation.
Enrique Martin-Criado – Quelles pressions utilisaient-ils ?
– D’abord, montrer clairement à tous que quiconque s’approche de la CCOO n’obtiendra plus rien après. Tu as besoin de changer ton heure d’arrivée ? Non. Tu as besoin de changer un jour ? Non. Tu as besoin de… ? Non. Une augmentation hors convention collective ? Non. Être muté dans un meilleur secteur ? Non. Muter pour un secteur moins bon ? Oui. Surveillance permanente du chef pour te trouver n’importe quelle faute ? Oui. »
(Salarié d’El Corte Inglés depuis 1976, syndicaliste CCOO, entretien du 29 avril 2009)
20 À El Corte Inglés, l’objectif central de la politique syndicale menée par la direction est d’empêcher toute candidature qui ne soit pas de la Fasga ou de la Fetico. Il s’agit donc d’éviter qu’un groupe de personnes ou même une seule personne puisse organiser, soit la présence stable d’un syndicat « ennemi » dans l’établissement, soit sa candidature aux élections. Sans concurrence, les deux syndicats maison peuvent alors monopoliser les postes dans les comités d’entreprise, négocier les conventions collectives et demeurer la seule présence syndicale à laquelle les travailleurs peuvent demander de l’information ou de l’aide.
21 Pour atteindre cet objectif, l’entreprise s’appuie sur les ressorts principaux de sa politique de contrôle de la main-d’œuvre : sa chaîne hiérarchique serrée et son système autoritaire de dons et contre-dons. La première sert à repérer des « suspects » et à exercer un contrôle continu sur les travailleurs proches des syndicats « ennemis ». Le second permet de discriminer le personnel – salaires, horaires, type de contrat, promotions – en fonction de l’appartenance syndicale [11]. Les promotions, voire l’obtention d’un contrat à durée indéterminée (CDI), dépendent de l’affiliation à la Fasga ou à la Fetico, gage de loyauté pour la direction. Devenir délégué syndical de ces syndicats est l’un des moyens d’obtenir une promotion et de bonnes conditions de travail, d’horaires et de salaire. Les syndicalistes et sympathisants de la CCOO ont au contraire les horaires les plus malcommodes, travaillent dans les départements de vente les plus difficiles et n’obtiennent jamais d’autres promotions ou hausses de salaire que celles légalement établies.
22 Le moment le plus aigu de la répression syndicale est la présentation des candidatures pour les élections au comité d’entreprise. Les cadres et délégués de la Fasga et de la Fetico ont pour mission de repérer tout candidat potentiel d’un autre syndicat [12]. Aussitôt identifié, le suspect est convoqué au service des ressources humaines, où l’attendent plusieurs supérieurs. L’entretien commence par des reproches tels que « tu ne sais pas ce que tu as fait, tu vas t’embarquer avec des gens à problèmes… ». Puis le travailleur est mis devant une alternative : ou bien il renonce à sa candidature en échange de quelques avantages ou bien, s’il refuse, il court le risque d’avoir de moins bons horaires, de n’obtenir aucune faveur ni promotion, voire d’être licencié. Les menaces peuvent de plus ne pas se limiter au candidat, mais s’adresser également à quelqu’un de sa famille salarié de l’entreprise [13]. Le poids symbolique d’une telle situation, où un employé est isolé dans les bureaux de la direction et entouré de supérieurs, assure le succès de l’opération : il suffit de cibler les candidats les plus vulnérables pour empêcher le syndicat de réunir les signatures nécessaires.
23 Les nombreux entretiens que nous avons pu recueillir montrent que la personne qui résiste voit sa situation se dégrader sans qu’aucune décision formelle ne lui soit notifiée. La plupart des conditions de travail n’étant pas codifiées, un employé peut voir les siennes se détériorer sans aucune sanction explicite : il est tout simplement écarté du système de dons et contre-dons. Ses supérieurs ne lui permettent plus les changements d’horaires grâce auxquels il est possible de concilier travail et famille, voire lui attribuent les créneaux les plus malcommodes : fins de journée, week-ends, etc. Le salarié doit également lutter pour le maintien de ses droits. On le surveille constamment afin de découvrir des motifs pour le licencier et l’on va jusqu’à solliciter des agences de détectives privés pour là encore trouver des causes de renvoi ou des informations utilisables dans le cadre d’un chantage. On essaie de l’humilier publiquement, de le faire sortir de ses gonds et de le pousser à la faute. Parfois, on téléphone à son domicile pour « informer » le conjoint de la situation.
24 Ces pressions sont très efficaces. Elles nécessitent de la part des salariés une très forte détermination personnelle pour résister. Dans ce cas ultime, l’entreprise peut finir par offrir de grosses sommes d’argent ou licencier les syndicalistes les plus rebelles, quitte à prendre le risque de se faire ensuite condamner. Le licenciement, même illégal, sert de punition exemplaire pour les autres employés : il éloigne le syndicaliste de son lieu de travail au moins deux ans et permet de maintenir la pression sur l’ensemble du collectif de travailleurs [14]. La dimension financière ne pose pas nécessairement de problème, l’entreprise pouvant dépenser des sommes très importantes pour maintenir un fort contrôle sur sa main-d’œuvre [15].
25 Ces moyens de pression servent aussi à isoler les candidats des autres salariés, en rendant dangereux tout contact avec eux. La plupart des syndicalistes utilisent la même métaphore pour décrire cette expérience : ils deviennent « invisibles » ; les collègues passent à côté d’eux sans les regarder. Cette mise à l’isolement de fait n’est que l’une des déclinaisons de la stratégie mise en œuvre par la direction pour empêcher que ses employés entrent en contact avec des syndicats « ennemis » : elle empêche aussi l’entrée des membres des autres syndicats dans ses établissements lors des campagnes électorales ou les fait suivre de près pour voir qui parle avec eux.
26 La combinaison de toutes ces pratiques est efficace. Dans la plupart des établissements, seules la Fasga et la Fetico sont présentes, détenant ainsi un quasi-monopole de fait sur la représentativité syndicale au niveau national. Comme nous le verrons ensuite, cela permet à l’entreprise de s’assurer le contrôle des conventions collectives et de maintenir son pouvoir discrétionnaire dans la gestion de la main-d’œuvre.
La diffusion des syndicats maison dans les grandes enseignes du secteur
27 En Espagne, le premier hypermarché ouvre en 1973 mais la forte expansion de ces établissements est légèrement plus tardive : elle date des années 1980 et 1990 (Cuesta, 2004). La période est également marquée par d’importantes réformes du Code du travail (généralisation des contrats à durée déterminée [CDD], développement des temps partiels, flexibilisation du temps de travail) et des lois du commerce (extension des horaires d’ouverture).
28 Dans les hypermarchés, l’organisation du travail est fondée sur une forte taylorisation et standardisation de l’activité. La vente ne se base plus sur les compétences relationnelles du vendeur. La majorité du personnel est composée d’employés de libre-service et de caissières qui apprennent leur travail en quelques jours et sont plus facilement remplaçables que les vendeurs spécialisés des grands magasins tels que El Corte Inglés. Les bénéfices de l’entreprise dépendent en grande partie des prix qu’elle propose, ce qui accroît la pression à la baisse des salaires et surtout, la nécessité d’un ajustement maximal du volume de main-d’œuvre aux flux de clientèle. En centralisant l’information fournie par les caisses, le scanner, dont l’utilisation se répand entre 1985 et 1995, permet de programmer avec précision le nombre d’employés nécessaire à chaque moment de la journée (Prunier-Poulmaire, 2000). Les hypermarchés optimisent de plus au mieux les possibilités de flexibilisation que leur offre la législation. La recherche conduite il y a vingt-cinq ans environ par Carlos Prieto dans un magasin de Madrid le montre : 72 % des caissières y travaillaient à temps partiel, dont 43 % avec des horaires variables (Prieto, 1990).
29 La généralisation des CDD sert aussi à maintenir un fort contrôle de la main-d’œuvre. Les contrats d’embauche sont temporaires et à temps partiel ; ils concernent surtout les fins de journée et de semaine. Si l’employée – ce sont essentiellement des femmes – est disposée à travailler plus tard et à faire varier ses horaires, son contrat sera renouvelé, pour autant qu’elle ne demande pas de congé pour maladie ou qu’elle ne tombe pas enceinte. Si au bout de trois ans, elle fait toujours preuve de bonnes dispositions, elle accédera à un CDI à temps partiel. Le contrat à temps plein est donc l’issue d’une longue période de disponibilité temporelle totale (Barranco, 2010 ; Lago, 2008).
Pénétration de la Fetico dans les hypermarchés, une diffusion du contrôle observé à El Corte Inglés
30 En dépit d’une organisation du travail différente de celle des grands magasins [16], les hypermarchés voient aussi se développer le syndicat Fetico, qui connaît une importante expansion dans les années 1980 et 1990 et devient le principal syndicat du secteur. Ici, le rôle de l’association patronale Anged semble crucial : le développement du syndicat dans les différentes entreprises suit leur entrée dans l’Anged [17]. On peut l’expliquer par l’alternative offerte aux entreprises du secteur du commerce : d’un côté, adhérer aux conventions collectives provinciales du commerce dominées par le petit commerce et les syndicats UGT et CCOO ; de l’autre, suivre la convention collective de l’Anged, qui intègre une flexibilisation des journées de travail beaucoup plus forte [18].
31 Le contrôle de la main-d’œuvre dans les hypermarchés ne s’exerce pas seulement par le biais des contrats temporaires, de la taylorisation des tâches et de la technologie qui permet la mesure exacte de la productivité. On y trouve également un système autoritaire de dons et de contre-dons, comme à El Corte Inglés (Benquet, 2013). Les conditions de travail des caissières dépendent en grande partie des supérieurs hiérarchiques : affectation à une caisse plutôt qu’à une autre (plus ou moins fréquentée ou près des réfrigérateurs), attribution d’autres tâches comme le rangement de vêtements (qui rompt la monotonie de l’activité en caisse), délai de réponse de la caisse centrale pour accorder telle ou telle demande (par exemple pour aller aux toilettes), etc. L’organisation du travail peut être utilisée pour récompenser et/ou punir.
« Le chef te dit : “Il faut que tu viennes deux heures plus tôt demain pour faire telle chose”… Et tu lui dis : “D’accord, tu me rendras deux heures samedi.” Et il répond : “Ça, on en reparlera”… Ça, c’est la pratique habituelle. Et souvent les jours s’accumulent ; dix, quinze jours, pour les heures que tu fais. Des fois tu en perds la moitié, des fois on te les donne, mais quand ils veulent, si tu t’entends bien avec le chef. »
(Ancien salarié de Carrefour en Andalousie, entretien du 15 mai 2010)
33 Le temps est l’un des cadeaux ou l’un des châtiments privilégiés mobilisés par l’entreprise. Ainsi, pour une salariée à temps partiel avec des horaires variables, obtenir un service continu du lundi au vendredi ou une stabilité horaire est la récompense ultime qui consacre une soumission sans faille aux demandes de sa hiérarchie (par exemple, accepter de prolonger sa journée de travail). Les horaires peuvent aussi servir de sanction. Les employées avec charge de famille échangent souvent leur service avec des collègues pour concilier leur travail avec les imprévus de leur vie personnelle. Habituellement tolérante avec ces arrangements, la direction peut les interdire quand une employée a tendance à se rapprocher des « mauvais » syndicats. Elle peut aussi les utiliser comme motif de licenciement [19]. L’entreprise dispose ainsi de multiples moyens de pression pour faire obstacle aux syndicats non-maison.
34 Les hypermarchés reproduisent ainsi les pratiques anti-syndicales que nous avons observées à El Corte Inglés. Il y a néanmoins une différence : si, pendant les premières années de la démocratie espagnole, les employés des grands magasins avaient des CDI, les hypermarchés se développent au moment où la législation du travail ouvre l’éventail des formes possibles de CDD. Pour une partie importante de la main-d’œuvre, le renouvellement du contrat de travail dépend donc de la bonne volonté de ses supérieurs. De fait, les contrats courts sont utilisés pour maintenir l’hégémonie de la Fetico lors de l’ouverture de nouveaux établissements : avec l’appui de la direction, les délégués du syndicat essaient d’affilier le plus grand nombre d’employés et parallèlement, la direction fait obstacle à la présence d’autres syndicats. La loi exige la tenue d’élections six mois après l’ouverture d’un établissement. Elles ont lieu alors que la presque totalité des salariés est en CDD, si bien qu’aucun d’entre eux n’ose être candidat pour un autre syndicat. La Fetico est ainsi en situation de monopole au sein du comité d’entreprise (voir tableau 2 pour la répartition des sièges au sein de différents comités d’entreprise du secteur) : bien installé dans l’établissement, il pourra facilement, toujours avec l’appui de la direction, maintenir sa suprématie face à des syndicats présentés comme « étrangers » à l’établissement et « dangereux » pour les salariés.
Tableau 2 : Membres des comités d’entreprise dans différentes entreprises de l’Association nationale des grandes entreprises de distribution (Anged)
Tableau 2 : Membres des comités d’entreprise dans différentes entreprises de l’Association nationale des grandes entreprises de distribution (Anged)
Note : le total des pourcentages n’est pas toujours 100 %, parce qu’il y a d’autres syndicats minoritaires. Dans les cas d’IKEA et de Leroy Merlin, nous avons seulement les données des années pendant lesquelles ces entreprises étaient adhérentes de l’Anged. Continente a été intégré à Carrefour lors de la fusion de 1999.36 Entre 1980 et 1998, la représentation de la Fetico est ainsi passée de 11,2 % à 51,2 % des délégués syndicaux des entreprises de l’Anged, avec une majorité absolue dans la plupart des entreprises de l’association [20].
Le rôle des syndicats maison dans le contrôle des conventions collectives
37 Outre l’objectif de contrôle direct de la main-d’œuvre, la présence des syndicats maison vise à assurer la mainmise des employeurs sur les conventions collectives de branche et d’entreprise.
38 Depuis 1980, les conventions collectives de l’Anged sont signées par la Fasga et la Fetico. Même si ces conventions intègrent parfois des propositions d’autres syndicats, les points les plus importants sont ceux souhaités par les entreprises [21]. Ces dernières ont ainsi pu imposer légalement une flexibilisation temporelle et fonctionnelle beaucoup plus poussée que dans d’autres secteurs. Les employés ne peuvent pas prendre de vacances pendant les périodes hautes de vente (convention de 1995) ; les caissières, majoritairement à temps partiel, n’ont plus un planning annuel mais mensuel, qui ne leur est donné que dix jours avant le début de chaque mois (convention de 1997) ; les catégories de salariés ne sont plus qu’au nombre de cinq, ce qui permet davantage de flexibilité fonctionnelle et ainsi d’intensifier le travail et de réduire les effectifs [22] (convention de 1997) ; la semaine de travail inclut le dimanche (convention de 2001), etc.
39 La récente crise économique a pleinement révélé le rôle central des syndicats maison en matière de négociation collective. Entre 2007 et 2010, la plupart des entreprises de l’Anged subissent une importante perte de chiffre d’affaires [23]. Outre l’adoption de diverses mesures pour diminuer les coûts (réduction des effectifs, augmentation de la polyvalence, adaptation des horaires aux besoins de l’entreprise), l’Anged signe en 2009 une nouvelle convention avec la Fasga et la Fetico, qui introduit une disposition fondamentale : les entreprises peuvent réorganiser complètement les horaires des salariés à la suite d’un accord préalable conclu avec les comités centraux d’entreprise. Or ces derniers se réunissent rapidement. Grâce à la position hégémonique des deux syndicats, les entreprises imposent leurs souhaits : concentration des présences les soirs, samedis et jours fériés ; multiplication des heures et des journées supplémentaires à la période de Noël ; fragmentation des horaires en tant que de besoin, en changeant éventuellement chaque semaine, voire chaque jour.
Le temps : enjeu crucial dans le secteur du commerce
40 Le temps est l’enjeu le plus important des rapports de travail dans les grandes surfaces commerciales. Comme nous l’avons indiqué, pour les entreprises, il est capital d’étendre les jours et heures d’ouverture, et d’ajuster le nombre de travailleurs aux flux des clients afin d’attirer des acheteurs et de maximiser les profits. C’est pourquoi elles ont profité de toutes les formes de flexibilisation temporelle permises par la législation – flexibilisation qui entraîne une perte de contrôle des travailleurs sur leur propre temps.
41 Plusieurs changements ont contribué à accroître la tension autour des horaires de travail depuis les années 1970. Premièrement, les horaires d’ouverture des magasins ont été légalement étendus. En 1976, la loi interdit d’ouvrir le dimanche et limite à 60 le nombre d’heures d’ouverture hebdomadaires. Une succession de lois (en 1985, 1993, 2000 et 2004) libéralise les horaires commerciaux, amplifiant les heures et jours d’ouverture. Ainsi, depuis 1985, il est possible d’ouvrir un nombre de dimanches et de jours fériés, fixé à l’avance et variable selon les régions, généralement entre 8 et 12 par an. Deuxièmement, les réformes du Code du travail (en 1984, 1986, 1994, 1998) flexibilisent les contrats et le temps de travail. Dans ce contexte, l’augmentation du travail féminin, en particulier celui des mères de famille depuis les années 1980 [24], génère une opposition croissante entre les horaires d’achat de la plupart des familles – soirs et fins de semaine – et ceux souhaités par les employées du commerce, qui sont elles-mêmes de plus en plus souvent des mères de jeunes enfants.
42 Le temps est donc, dans ce secteur, tout particulièrement au cœur de l’opposition entre entreprises et salariés. Deux luttes – la guerre des dimanches et la loi sur la conciliation – illustrent le rôle qu’y ont joué les syndicats « maison ». Ces deux conflits ont connu leurs moments les plus forts pendant les années 1990 et 2000.
La guerre des dimanches à El Corte Inglés
43 La libéralisation des horaires dans le secteur du commerce fait de l’ouverture les dimanches et jours fériés l’un des principaux points d’opposition entre salariés et entreprises : rassemblements et manifestations se succèdent pendant plusieurs années et une grève unitaire, événement unique au cours des dernières décennies, a lieu dans l’ensemble du secteur en 2000 pour protester contre la libéralisation des horaires prévue par la loi votée la même année. Le front le plus acharné de cette lutte se situe à El Corte Inglés, du fait sans doute de son ancienneté et de son modèle social. L’expansion des hypermarchés en Espagne dans les décennies de 1980 et 1990 a coïncidé avec la libéralisation des horaires et les réformes du Code de travail favorisant la flexibilité des contrats : les contrats à temps partiel, notamment de fin de semaine, se sont de fait massivement développés dans ces magasins. À l’inverse, la présence à El Corte Inglés de salariés en CDI à temps complet et sans contrat prévoyant de travailler le dimanche ou les jours fériés a rendu la libéralisation des horaires plus problématique. L’entreprise a dû utiliser d’autres leviers, en s’appuyant pour cela sur la Fasga et la Fetico.
44 El Corte Inglés intègre dans ses contrats à partir de 1992 l’obligation de travailler le dimanche, ce qui ne permet pas d’assurer l’ouverture les jours fériés. En 1995, l’entreprise signe avec la Fasga et la Fetico un « accord de modification horaire » : les employés qui ont du mal à s’adapter aux nouveaux horaires d’ouverture – plus d’heures les soirs et les samedis – ont la possibilité de passer à temps partiel en échange d’horaires plus conciliants. L’objectif de l’accord est de réduire le travail des salariés qui ont de l’ancienneté pour le substituer par celui des salariés dont le contrat intègre l’obligation de travailler le dimanche. Ces mesures ne suffisant pas, à partir du milieu des années 1990, l’entreprise embauche des travailleurs à temps partiel pour couvrir les jours fériés. Or le travail fourni par un vendeur expérimenté n’est pas si facilement remplaçable :
« Comme ils venaient seulement le dimanche, ils ne savaient pas se débrouiller et les clients ont commencé à râler : “Faut pas aller à El Corte Inglés les dimanches, ils ne savent pas bien s’occuper de toi.” »
(Salarié de El Corte Inglés en Andalousie depuis 1987, entretien du 19 octobre 2009)
46 Le magasin tente alors de convaincre les employés expérimentés en leur offrant un supplément de 10 000 pesetas (l’équivalent de 85 à 90 euros actuels) par dimanche travaillé et un jour de repos.
« J’avais souvent dû faire trois ou quatre heures de travail extra qu’ils ne m’ont pas payées après. Après avoir refusé, ce qui était très mal vu […], ils commencèrent à ouvrir les dimanches mais je n’allais pas travailler les dimanches quand ils les payaient 10 000 pesetas et un jour de congé. Je préférais rester en famille. Ils essayèrent de faire le vide autour de moi et que plus personne ne me parle. »
(Salarié de El Corte Inglés depuis 1985 en Andalousie, syndicaliste CCOO, entretien du 15 juillet 2008)
48 La pression monte encore d’un cran avec le décret-loi de 2000, qui accroît la libéralisation des horaires dans le commerce. L’entreprise modifie les horaires des salariés, contrevenant à la convention collective de 1997. L’UGT porte plainte et gagne son procès en 2002, mais la modification a entre-temps été entérinée dans la convention de 2001. Cette convention, signée seulement par la Fasga et la Fetico, est essentielle. Elle établit que les journées de travail peuvent s’effectuer du lundi au dimanche et stipule un nombre maximal de dimanches travaillés (six sur huit dimanches d’ouverture) pour les employés engagés après 1992. Une disposition transitoire modifie les conditions d’emploi des salariés dont les contrats n’intègrent pas le travail du dimanche : ils ont la possibilité d’adopter les conditions du nouveau contrat et de toucher un supplément par jour férié travaillé (privilège qu’ils perdent en 2002). Dans les établissements où au moins 40 % des salariés ont des contrats sans obligation de travail du dimanche, ils peuvent y être contraints cinq jours fériés par an, en 2002 et 2003. L’UGT et la CCOO dénoncent cette disposition transitoire au tribunal. À l’issue d’une succession de jugements, l’Audiencia Nacional (Audience nationale [25]) leur donne raison en mars 2002. Jusqu’à cette décision, les délégués de la Fasga et de la Fetico soutiennent la position de l’entreprise lorsque les travailleurs les consultent.
« Ils me disent que je dois venir cinq dimanches […]. Je suis allé voir le gars de la Fasga et il m’a dit que je devais venir. Et je vais voir M. de la CCOO et il me dit : “Bien sûr que non ! Tu ne dois pas forcément travailler le dimanche. Regarde, c’est là, article 33. Tu fais une lettre à l’entreprise et tu gardes une copie pour toi.” C’est là que je me suis rendu compte qu’ils nous mentaient. »
(Salarié de El Corte Inglés en Andalousie depuis 1987, entretien du 19 octobre 2009)
50 L’entreprise fait en parallèle pression sur les employés embauchés avant 1992 pour qu’ils renoncent au droit de ne pas travailler le dimanche. Convoqués individuellement dans les bureaux de la direction et menacés, les plus réticents sont transférés dans les secteurs à faible commission de vente et sont même parfois poussés au licenciement.
« Les gens signaient sous pression et s’ils ne signaient pas, ils les changeaient de département. À El Corte Inglés, il y a les secteurs-punition. […] Un gars n’avait pas signé pour les dimanches, et chaque fois qu’il y avait une ouverture de dimanche ils l’enquiquinaient avec ça : “Tu vas venir ce dimanche ?” ; “Non, je veux pas travailler le dimanche.” De temps en temps le chef du personnel l’appelait : “Tu travailles pas le dimanche ? Tu fais partie des feignants ?” Une fois ils l’ont appelé au bureau, il pensait que c’était encore pour le réprimander, mais ils avaient préparé son licenciement. […] C’était un guet-apens, ils ne l’ont même pas laissé sortir : “Avant de signer, laissez-moi parler avec ma femme ! – Tu sortiras d’ici qu’avec l’avis de licenciement signé !” »
(Salarié de El Corte Inglés depuis 1985 en Andalousie, syndicaliste CCOO, entretien du 15 juillet 2008)
52 Les syndicats portent plainte contre ces manœuvres, parfois sans succès, par exemple à Murcia où le juge déboute leur demande contre l’avis de l’inspecteur du travail qui avait rassemblé des témoignages de pressions exercées sur les travailleurs [26]. Dans d’autres cas, le juge reconnaît le harcèlement, comme pour cette travailleuse sévillane qui refusait le travail du dimanche. Les patrons n’avaient de cesse de retarder son heure de sortie et la transférèrent même au sous-sol, ce qui fit dire à ses collègues : « Tu es punie ? Ne sois pas stupide, signe et tu verras que tout va s’arranger. » Elle essuya insultes et humiliations constantes et finit par sombrer dans « un état dépressif sévère [27] ». Dans l’incapacité de compter sur des témoins, les plaignants gagnent peu de procès. Ainsi dissuadés, la majorité des travailleurs les plus anciens finissent par adhérer « volontairement » au nouveau régime contractuel.
Le conflit autour de la loi sur la conciliation
53 En 1999 est votée la loi sur la conciliation de la vie familiale et professionnelle, qui introduit pour les salariés le droit de réduire la durée de leur journée de travail pour raisons familiales, notamment lorsqu’ils doivent assurer la prise en charge d’enfants de moins de 6 ans. La personne qui réduit son temps de travail quotidien a le droit de décider de son nouveau régime horaire.
54 Cette loi met en péril la stratégie des entreprises du commerce, qui vise à adapter le nombre des travailleurs au flux de clients. Parce que leur main-d’œuvre compte une proportion croissante de travailleuses mères de famille, elles sont confrontées à une très forte demande pour les heures du matin, du lundi au vendredi, heures auxquelles il y a le moins d’acheteurs [28]. Ne pouvant introduire d’exceptions à la loi dans les conventions collectives, les entreprises utilisent différents stratagèmes pour limiter son application sur les lieux de travail.
55 Le premier stratagème suivi par les entreprises consiste, avec les délégués de la Fasga et de la Fetico, à tenter de duper les mères, afin qu’elles ne demandent pas à choisir leurs horaires.
« La Fetico m’apprenait à ne pas créer d’attentes chez les travailleuses. Par exemple pour les réductions d’horaires pour maternité, si une personne me dit : “Carmen, je veux un service du matin”, ils veulent que je réponde : “C’est pas possible.” Ils utilisent la Fetico pour éviter que tu réclames tes droits. »
(Ex-déléguée de la Fetico à Carrefour en Andalousie, entretien du 10 septembre 2008)
57 Deuxième stratagème : éviter d’embaucher des mères de famille, ou bien ne pas renouveler les CDD des travailleuses enceintes (Lago, 2008).
58 Troisième stratagème : comme nous l’avons vu à l’encontre des syndicalistes, il s’agit d’affecter aux secteurs à faible commission ou aux postes les plus pénibles les travailleuses qui résistent et refusent le travail du soir et de fin de semaine.
« Ils changent les mères de département. Par exemple, trois collègues sont dans le sous-sol, aux soldes, où il n’y a pas de commission. On les envoie là-bas pour voir si elles s’usent et renoncent à demander le service de matin. »
(Ex-délégué de la Fetico à El Corte Inglés en Andalousie, entretien du 1er avril 2011)
60 Le quatrième stratagème s’appuie sur une interprétation de la loi favorable aux intérêts de l’entreprise. Comme la loi donne le droit de choisir ses horaires « dans le cadre de sa journée habituelle », les employeurs considèrent que si celle-ci inclut des soirs et des fins de semaines, la réduction demandée doit aussi les intégrer.
61 Ces manœuvres se sont heurtées aux décisions des juges. Quelques salariées font appel à la justice et la plupart gagnent leur procès. Par une dynamique d’entraînement (Chappe, 2013), cela encourage de nombreuses autres mères à recourir à la justice [29]. Le 8 février 2007, un jugement de l’Audience nationale, applicable à toutes les entreprises de l’Anged, a ainsi déclaré que les employées – nous le rappelons, ce sont essentiellement des femmes – qui ont demandé la réduction de leur journée de travail en vertu de la loi sur la conciliation ne sont pas obligées de modifier leur horaire ou de prolonger leur journée pendant les périodes d’inventaire et de préparation des soldes. Malgré ces décisions, nombre d’établissements persistent à faire obstacle au droit d’accès aux horaires du matin. Beaucoup de mères continuent donc d’engager des procédures, y compris en appel, et des procès sont encore en cours actuellement.
62 Ainsi, si les grandes entreprises du commerce ont gagné la guerre des dimanches, elles ont pratiquement perdu celle de la loi sur la conciliation. Les fortes protections données par cette loi ont constitué un obstacle très efficace aux stratégies des entreprises [30]. Malgré l’opposition de ces dernières, soutenue et renforcée par les délégués de la Fasga et de la Fetico, de nombreuses mères de famille ont bénéficié de la réduction d’horaires sur les services du matin.
63 La Fasga et la Fetico ont joué un rôle crucial dans le contrôle de la main-d’œuvre, s’agissant de l’affiliation syndicale comme de la flexibilisation des horaires, pour les grandes surfaces commerciales en Espagne. Elles ont permis aux principales enseignes d’avoir des conventions collectives de branche et d’entreprise très favorables et d’exercer, par un système autoritaire de dons et de contre-dons, une très forte main mise sur les travailleurs de leurs établissements. Deux éléments sont essentiels pour comprendre l’importance et la persistance de ces syndicats maison.
64 Premièrement, les conditions de travail sont très peu codifiées si bien qu’elles dépendent en grande partie de la bonne volonté des supérieurs. En cela, elles sont un formidable outil pour écraser toute résistance des salariés. Or l’hégémonie des syndicats maison a permis la perpétuation de ce système. D’une part, les délégués syndicaux de la Fasga et de la Fetico sont intégrés dans le système de dons et contre-dons comme des intermédiaires entre les travailleurs et l’entreprise : leur rôle est partiellement justifié par l’octroi de « faveurs » qu’ils contribuent à légitimer. D’autre part, ces organisations signent des conventions collectives dans lesquelles les conditions de travail continuent à être très peu décrites et codifiées. Deuxièmement, les syndicats ont été particulièrement impliqués dans la régulation des horaires. Dès lors que les contrats et les horaires sont flexibilisés, ce à quoi les deux syndicats ont activement contribué, ils peuvent être utilisés pour récompenser ou pour punir, faisant partie intégrante du système de dons et contre-dons servant à asservir la main-d’œuvre.
65 Selon nous, une telle situation est une illustration parfaite des théories qui expliquent les pratiques anti-syndicales par le calcul rationnel des entreprises : les bénéfices à en tirer dépassent largement les coûts potentiels. Les coûts sont en effet très réduits pour les entreprises. Même si la législation en Espagne protège en principe la liberté syndicale, les entreprises sont rarement condamnées. Et lorsque le travailleur gagne son procès, le versement des salaires dus, auquel s’ajoute une indemnité, et sa réadmission sur son lieu de travail s’il le désire (ce qui est rare) représentent finalement peu de chose, comparativement à la « leçon » que cet exemple donne aux autres travailleurs, dont l’entreprise s’assure ainsi la soumission. De plus, les profits sont élevés, notamment grâce à la signature d’une convention collective séparée du reste du commerce : le contrôle des syndicats dans chaque entreprise permet le contrôle des conventions collectives. Cela accroît considérablement les bénéfices à tirer des pratiques anti-syndicales et des syndicats maison, par rapport aux entreprises dont les conventions collectives sont négociées à l’échelle du secteur et réunissent des centaines ou des milliers d’entreprises.
66 Cependant, ce calcul coûts/bénéfices n’est que partiel et ne suffit pas à expliquer le modèle de relations professionnelles observé. En fait, en dehors des grandes surfaces de l’Anged, on ne trouve pas de syndicats maison de la taille de la Fetico et de la Fasga dans les grandes entreprises – même commerciales – en Espagne. Ici l’histoire joue un rôle déterminant. Nous avons ainsi affaire à un exemple de dépendance de sentier, ou path-dependency (Pierson, 2004 ; Jervis, 1998) : les pratiques anti-syndicales et les syndicats maison sont l’un des résultats possibles de circonstances historiques particulières ; une fois établies, par un effet de rétroaction, ces situations créent les conditions de leur perpétuation [31]. La répression syndicale ainsi exercée vise précisément à éviter que les travailleurs soient informés de l’illégalité de certaines conditions d’emploi ou de travail. La logique du droit ne parvient alors pas à contrer celle, bien installée, du don et du contre-don.
67 Comme nous l’avons vu, les syndicats maison furent créés dans une conjoncture exceptionnelle : lors des premières élections syndicales démocratiques qui eurent lieu après quatre décennies sans liberté syndicale, dans une période historique (1976-1979) qui concentre la plus grande mobilisation syndicale et le plus grand nombre de grèves de l’histoire espagnole. Cette situation a peut-être quelques points communs avec celle vécue en France en 1968 (Vigna, 2013). Comme de nombreuses entreprises en France, en Espagne, El Corte Inglés – qui avait un fort pouvoir de contrôle sur sa main-d’œuvre – a cherché à se « protéger » d’un risque de cogestion avec des syndicats alors perçus comme très combatifs. Dans son répertoire de pratiques connues, l’entreprise a essayé de recréer avec la Fasga et la Fetico son expérience des syndicats « verticaux » (sindicatos verticales) de l’époque franquiste. Quand les multinationales de la grande distribution sont arrivées en Espagne, elles ont pu bénéficier de cette structure syndicale professionnelle et d’une association patronale – l’Anged – négociant des conventions collectives autonomes et favorables à leurs intérêts.
68 Une fois implantés, les syndicats maison n’ont qu’à maintenir leur pouvoir par une répression syndicale sans faille à l’égard des syndicats « ennemis ». Privés de présence sur les lieux de travail, ces derniers ne peuvent construire les réseaux d’interconnaissance et de solidarité qui sont déterminants dans les élections syndicales (Lawler, 1990 ; Gall, McKay, 2001 ; Nissen, 1998). Par ailleurs soumis à une forte répression, ils n’ont d’autres ressources que le recours au droit [32] et durcissent parfois leur position, quitte à être perçus comme trop conflictuels. Les syndicats maison, à l’inverse, circulent librement sur les lieux de travail et, par leur entente avec la direction, se présentent comme ceux qui peuvent vraiment obtenir des résultats, comme des intermédiaires qui réussissent à arracher des concessions aux patrons, contrairement aux autres syndicats, dénoncés comme systématiquement contestataires.
69 Répression syndicale et syndicats maison font donc système avec une illégalité routinière (Vaughan, 1999) dans la gestion de la main-d’œuvre par les entreprises. Mais l’extension de cette illégalité ne dépend pas que des entreprises. La législation du travail et l’intervention de l’État jouent un rôle capital. On le voit dans la nette différence entre la guerre, perdue, des dimanches et celle, gagnée, de la conciliation. Cette différence témoigne selon nous de l’une des évolutions les plus marquantes des dernières décennies dans l’importance accordée aux différentes inégalités : à l’image de ce qu’a montré Roland Pfefferkorn (2007) pour la France, en Espagne, les inégalités de classe s’effacent des discours et des lois en même temps que les inégalités de genre y prennent de plus en plus d’ampleur ; alors que les lois sur la conciliation (1999) et l’égalité entre les hommes et les femmes (2007) ont essayé de réduire les inégalités de genre, les réformes du Code du travail ont donné de plus en plus de pouvoir aux entreprises aux dépens des salariés. La renonciation de l’État à exercer le monopole de la violence légitime au sein des entreprises leur laisse le champ libre pour exercer leur propre violence sur les travailleurs.
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Mots-clés éditeurs : répression syndicale, contrôle de la force de travail, syndicats maison, commerce, temps de travail
Mise en ligne 12/03/2017
https://doi.org/10.4000/travailemploi.7022Notes
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[1]
Federación de Trabajadores Independientes de Comercio (Fédération des travailleurs indépendants du commerce). Nous présenterons les caractéristiques de ce syndicat dans la suite de l’article.
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[2]
Pour une présentation des modalités de représentations du personnel en Espagne, voir encadré 3.
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[3]
CCOO est l’abrévation de Comisiones Obreras (Commissions ouvrières). Ce syndicat occupe dans l’espace syndical espagnol une position similaire à celle de la Confédération générale du travail (CGT) en France.
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[4]
La Cour suprême est la juridiction la plus élevée, à l’image de la Cour de cassation et du Conseil d’État en France. Le contrôle de la conformité des lois, ou d’autres normes juridiques, à la Constitution est par ailleurs assuré par la Cour constitutionnelle.
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[5]
Nous avons réalisé l’entretien avec Carmen dans le cadre de nos contributions au site www.abusospatronales.es (voir note 6). C’est à la suite de plusieurs témoignages comme celui-ci que nous avons décidé d’entreprendre une recherche sur la répression syndicale et les syndicats maison dans le secteur du commerce.
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[6]
Nous entendons par « syndicats maison » ceux qui sont contrôlés, soutenus et utilisés par l’entreprise pour renforcer son contrôle de la main-d’œuvre et pour empêcher la représentation d’autres organisations syndicales moins dociles. La législation espagnole interdisant aux entreprises la création ou le soutien à des syndicats dans le dessein de les contrôler, ces organisations se présentent comme indépendantes et refusent publiquement toute étiquette de syndicats maison. C’est pourquoi l’attribution du qualificatif de « maison » est toujours le produit d’un jugement extérieur au syndicat. Nous pensons que les témoignages et documents que nous avons réunis dans notre recherche nous autorisent pleinement à qualifier les deux organisations dont nous parlons – Fasga (Federación de Asociaciones Sindicales de Grandes Almacenes – Fédération des associations syndicales des grands magasins) et Fetico – de syndicats maison.
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[7]
Le site (www.abusospatronales.es) a été créé par des chercheurs en sciences sociales et des militants. Il est alimenté par le travail bénévole de ses membres et par les contributions du groupe de recherche Desigualdad social y dominación en Andalucía (Inégalité sociale et domination en Andalousie). Son objectif est aussi bien de réunir toute l’information possible sur les abus patronaux afin de les faire connaître, que de servir de point de contact et d’information pour les travailleurs qui en sont victimes.
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[8]
Cf., en France, l’Observatoire de la discrimination et de la répression syndicales (http://observatoire-repression-syndicale.org/) ; cf., en Allemagne, le rapport Union-busting in Deutschland (« L’anti-syndicalisme en Allemagne ») de la Fondation Otto Brenner (Rügemer, Wigand, 2014) ou le site aktion.arbeitsunrecht.de.
-
[9]
En espagnol, « pasar a alguien por la piedra » (« passer quelqu’un par la pierre ») signifie en langage familier « l’humilier », « le soumettre ».
-
[10]
La loi considère comme « représentatifs » les syndicats qui totalisent : a) sur l’ensemble du territoire espagnol, au moins 10 % des délégués du personnel et membres de CE ; b) dans une région donnée, au moins 15 % des délégués du personnel et membres de CE ; c) dans un secteur d’activité et un territoire donnés (par exemple dans le secteur de l’hôtellerie de la province de Séville), au moins 10 % des délégués du personnel et membres de CE.
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[11]
La CCOO a réuni des données sur cette discrimination et a gagné plusieurs procès qui ont condamné El Corte Inglés : cf. par exemple Tribunal Constitucional S. 74/1998 ; Tribunal Superior de Justicia de Madrid, Sala de lo Social, no 459/1998 et no 363/2008.
-
[12]
En lui promettant de futures promotions ou améliorations de ses conditions de travail, la hiérarchie peut convaincre un employé de communiquer à la direction les noms des candidats inscrits sur la liste d’un syndicat « ennemi ». Désormais les syndicats font signer la candidature sur une feuille où ne figure aucun autre nom. La répression atteint donc un pic pendant les quinze jours qui séparent la présentation officielle des candidatures de la tenue des élections.
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[13]
Depuis les premières élections syndicales, El Corte Inglés a changé sa politique de recrutement : alors qu’il refusait l’embauche de membres de la famille ou du conjoint de ses employés, il l’utilise désormais comme un moyen de pression en menaçant les syndicalistes et leurs proches.
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[14]
Si le syndicaliste démontre au procès que son licenciement est dû à son activité syndicale, le licenciement est déclaré « nul » et le syndicaliste a le droit à revenir à son poste de travail. Cela arrive très rarement : d’une part parce que l’entreprise a de nombreux « témoins » assurant de la solidité des « motifs » du licenciement ; d’autre part, parce que le syndicaliste n’a pas intérêt à retourner dans l’entreprise où l’attendent des conditions de travail particulièrement pénibles.
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[15]
Lors de notre enquête, nous avons ainsi vu des documents montrant qu’une syndicaliste de la CCOO, membre du comité d’entreprise, avait obtenu 300 000 euros nets pour quitter El Corte Inglés dans la seule ville d’Andalousie où la CCOO avait la majorité dans le comité.
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[16]
Et ce, bien que les grands magasins aient aussi très tôt utilisé des contrats temporaires ou à temps partiel.
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[17]
Par exemple, Fetico n’est entré chez Aki que lorsque la chaîne a été rachetée par Leroy Merlin en 2003 et a alors intégré l’Anged. On voit bien la symbiose entre Fetico et l’Anged dans le cas des supermarchés : le syndicat domine la représentation du personnel dans les supermarchés possédés par des entreprises de l’Anged ; par contre, il n’est pas représenté dans les autres chaînes de supermarché, adhérentes de l’Asedas (Asociación Española de Distribuidores, Autoservicios y Supermercados, Association espagnole de distributeurs, libres-services et supermarchés – association patronale opposée à l’Anged, notamment s’agissant des horaires d’ouverture). Ces chaînes sont contre l’ouverture le dimanche et les jours fériés, qui augmente leurs coûts d’exploitation mais pas leurs ventes.
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[18]
Cette plus grande flexibilisation du travail a d’ailleurs contribué à l’attractivité du secteur pour des entreprises qui n’en faisaient préalablement pas partie : C&A, dépendant auparavant de la convention collective du vêtement, ou Feu Vert, de celle de la métallurgie, ont ainsi favorisé la mise en place d’un syndicat Fetico en leur sein, afin (grâce à sa signature) de pouvoir rejoindre la convention collective de l’Anged.
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[19]
Les changements de service et la variation constante des horaires empêchent les employées de tenir le compte exact de leurs heures de travail. Elles dépendent de leurs supérieurs même pour connaître et toucher le montant de leurs heures supplémentaires réalisées. Le magasin utilise cette incertitude horaire pour renvoyer des syndicalistes en exigeant qu’elles fournissent le décompte précis des heures de présence sur les trois ou quatre derniers mois, ce qui est presque impossible.
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[20]
Source : rapports d’activité de Fetico des années 1990 (IIe Congrès fédéral), 1995, 1996, 1997, 1998 (IIIe Congrès fédéral), 1998-1999. Ils nous ont été fournis par le fondateur et ex-secrétaire général du syndicat (de 1978 à 2001).
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[21]
Le processus que suit la négociation de la convention collective permet aux deux syndicats maison d’essayer de sauver la face : la proposition initiale de l’Anged est sciemment bien plus radicale que ce qu’elle sait pouvoir obtenir ; Fetico et la Fasga s’y opposent afin que la convention finale ne contienne pas les aspects les plus durs de la proposition de départ. Ils présentent ainsi le résultat de la négociation comme une difficile conquête des droits pour les travailleurs. Une tactique complémentaire consiste à intégrer aux conventions collectives signées des lois récemment approuvées, qui donnent plus de droits aux salariés, ce que les deux syndicats affichent comme une avancée issue de leurs revendications.
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[22]
L’imprécision des fiches de postes donne de plus une grande marge de manœuvre pour sanctionner les employés rétifs à exercer telle ou telle tâche qu’ils considèrent comme ne faisant pas partie de leurs attributions.
-
[23]
Rapport annuel de l’Anged 2010 (www.anged.es, consulté le 12 janvier 2012, non disponible en ligne actuellement).
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[24]
Entre 1987 et 2007, le taux d’activité des mères d’enfants de moins de 6 ans est passé de 32 % à 65 % (Cebrián, Moreno, 2008).
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[25]
L’Audiencia Nacional est une juridiction particulière dont le fonctionnement rappelle celui d’une haute cour ou d’une juridiction d’exception. Elle est composée de différentes chambres au périmètre de compétences circonscrit : la chambre criminelle s’occupe par exemple de terrorisme tandis que la chambre sociale traite, par exemple, de la contestation des conventions collectives dont le territoire d’application concerne ou bien plusieurs régions ou bien l’ensemble du territoire national.
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[26]
Juzgado de lo Social num. 7 (Tribunal des affaires sociales no 7) de Murcia, jugement du 7 mars 2003.
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[27]
Sa situation est présentée dans un article d’El País (26 juin 2004).
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[28]
Pour le cadre de l’Anged interviewé par Carlos Prieto, c’était le principal problème du secteur.
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[29]
Dans les années 2000, on trouve beaucoup plus de décisions de justice concernant la loi sur la conciliation que sur la répression syndicale dans les grandes surfaces commerciales. Les résultats sont aussi très différents, car la plupart des salariées ont gagné leur procès. Les jugements montrent que dans nombre d’établissements, les mères en service horaire du matin grâce à la loi sur la conciliation représentent plus de 10 % des employés.
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[30]
La loi de 2007 sur l’égalité hommes-femmes renforce la protection des mères contre le licenciement et étend le droit à réduire la journée de travail pour conciliation des vies familiale et professionnelle jusqu’aux 8 ans de l’enfant.
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[31]
Pour saisir ces pratiques, il faut les inscrire dans une perspective dynamique (Giraud, 2009) : les stratégies des entreprises s’élaborent à partir de la législation et de l’état du marché du travail, mais aussi des actions passées (les leurs comme celles des syndicats), qui se répondent et se succèdent, se modifiant tour à tour (Edwards, 1990).
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[32]
Sur ce point, comme sur d’autres, la situation est similaire à celle mise en avant par Baptiste Giraud, Jérôme Pélisse et Étienne Penissat (2014) dans des entreprises de services, avec des travailleurs peu qualifiés.