Notes
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Réseau pédagogique, né au milieu des années 1990 à Coutances, dans la Manche, à l’initiative d’une enseignante en histoire-géographie, Bernadette Fleury. Il a été à l’origine de nombreuses publications dont deux ouvrages : Fleury, B., (coord.), (2010), Enseigner autrement, pourquoi, comment ? Dijon, France : Éducagri éditions et Fleury, B., Fabre, M., (2017), Peut-on enseigner autrement ? Une expérience de formation d’enseignants, Paris, France : Éditions L’Harmattan.
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BTSA GPN : Brevet de technicien supérieur agricole Gestion et protection de la nature
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Pour lire la fiction pédagogique, URL : https://adt.educagri.fr/fileadmin/user_upload/pdf/tiers_temps/formations_TT/haies_formation/Recit_fiction_PGH.pdf
Introduction
1L’enseignement agricole technique est depuis longtemps confronté aux questions de durabilité et à leur enseignement (Laidin, 2007 ; Marshall, 2008, Gibert, 2019). Depuis 2014, le projet agroécologique pour la France [1] est décliné, dans l’enseignement agricole, via le projet stratégique « enseigner à produire autrement » [2]. Celui-ci vise à mettre en cohérence de nouveaux contenus et objectifs d’enseignement avec de nouvelles manières d’enseigner.
2Engagée dans le dispositif national d’appui (DNA) à l’enseignement agricole technique sur les questions d’accompagnement des transitions, tant pédagogiques qu’agroécologiques, j’ai pu mesurer combien cette prescription embarrassait les équipes. En effet, cette orientation bouscule les enseignants ayant pris conscience des ruptures que l’agroécologie promeut dans les situations de travail des futurs agriculteurs, quant aux modes de raisonnement à développer avec leurs élèves et quant à la manière de penser les processus d’enseignement-apprentissage que les deux premières ruptures engagent.
3Dans une visée d’accompagnement des équipes, l’une de mes préoccupations était d’imaginer un(des) dispositif(s) de formation le(s) plus adéquat(s) possible(s) pour favoriser le développement professionnel des enseignants dans la perspective de l’accompagnement de la transition agroécologique (TAE). Le présent article porte sur la conception d’un instrument de formation : la fiction pédagogique (Fleury & Fabre, 2009).
4Deux dispositifs ont nourri ce travail : une formation-action avec une douzaine d’équipes pédagogiques engagées dans l’enseignement de la gestion de haies multifonctionnelles (Peltier & Gaborieau, 2017), et une recherche doctorale portant sur la manière dont des enseignants s’approprient « enseigner à produire autrement » et mettent en œuvre cette prescription (Gaborieau, 2019).
5Après avoir rapidement retracé le contexte, notamment prescriptif, de l’enseignement agricole technique, le cadre théorique mobilisé et ma posture d’accompagnement, cet article se propose de préciser ce qu’est une fiction pédagogique, les principes et les raisons de telles fictions ainsi que la manière dont trois d’entre-elles ont été conçues. Leur utilisation en formation-accompagnement d’enseignants et leurs effets ne rentrent en revanche pas dans le cadre de cet article.
Un contexte en mutation
6Les enseignants de l’enseignement agricole font face à de nombreuses mutations. Mutations des métiers auxquels ils forment mais aussi mutations de leur propre métier. Cet environnement, « en transition », avec sa part d’inconstruit, de flou, génère des difficultés pour l’enseignement.
7D’une part, l’agroécologie ne recouvre pas une réalité unique et homogène mais se réfère à des mondes de l’agroécologie (Bellon & Doré, 2019) dont certains renvoient à une durabilité forte et d’autres à une durabilité faible. Pour David & al., (2011), « L’agroécologie propose une révision des modes de production, révision qui repose sur l’utilisation des principes et concepts issus de l’écologie afin de répondre à un double objectif. Le premier est d’optimiser la productivité sur la base de concepts écologiques, tout en renforçant leur capacité de résilience face à de nouvelles incertitudes imposées par le changement climatique et la volatilité des prix agricoles et alimentaires. Le second consiste à maximiser les services écologiques susceptibles d’être fournis par les agrosystèmes et à en limiter les impacts négatifs, en particulier par une moindre dépendance aux ressources fossiles. L’agroécologie se réfère alors à un ensemble de pratiques agricoles dont la cohérence repose sur l’utilisation des processus écologiques, et la valorisation de l’(agro)biodiversité. » Mais l’agroécologie n’est pas que champ de pratiques agricoles. Elle est aussi mouvement social et discipline scientifique. Elle échappe ainsi à toute simplification et les définitions qui s’y rattachent sont multiréférentielles : techniques, éthiques et politiques. Pour les enseignants, accompagner la transition agroécologique suppose ainsi de s’être construit des repères pour s’y retrouver dans ce paysage hétéroclite.
8D’autre part, l’agroécologie implique un défi cognitif en termes de production de connaissances, mais aussi et surtout en matière d’apprentissage et d’éducation des capacités de penser, de décider et d’agir (Mayen, 2013, 2016). Parce que les solutions sont nécessairement adaptées aux caractéristiques biophysiques et socioéconomiques des milieux dans lesquelles elles s’inscrivent, l’accompagnement de la transition agroécologique se situe plus dans l’accompagnement à l’autonomie de pensée des futurs agriculteurs que dans la démonstration de pratiques universellement éprouvées ou dans l’incantation à changer. Cela complexifie et transforme les exigences en matière de compétences des enseignants qui doivent passer de l’exhortation à tendre vers la durabilité à l’accompagnement de processus de décision en situation professionnelle et de l’intention pour leurs élèves à l’expérimentation, avec eux, d’hypothèses de solutions.
9Enfin, ces changements se font dans le cadre d’une réforme capacitaire des diplômes, débutée en 2008-2009 mais approfondie avec les dernières rénovations. Cette approche capacitaire s’appuie sur des capacités professionnelles adossées à des situations professionnelles significatives mais, surtout, elle rend la tâche des enseignants de plus en plus discrétionnaire. C’est en effet à eux qu’incombe de construire une partie des enseignements à l’initiative des établissements (environ 15 à 20% des horaires des référentiels rénovés), c’est aussi à eux que revient de coordonner leurs disciplines respectives dans le cadre de modules interdisciplinaires et à eux, enfin, qu’il revient de prendre en charge non seulement la transposition didactique interne (le curriculum réel des élèves) mais aussi la transposition didactique externe (le curriculum formel qui relève des concepteurs des programmes à l’Éducation nationale). En effet, certains savoirs étant spécifiques aux situations et aux problèmes rencontrés, ils ne peuvent figurer en tant que tels dans les référentiels de formation. C’est donc aux enseignants qu’il revient non seulement de transposer, d’adapter des savoirs scientifiques, techniques et/ou d’expérience, mais aussi de les rechercher.
10Les enseignants sont ainsi insérés dans un système de tensions qui peut rendre difficile leur travail voire inhiber leur activité. C’est dans ce contexte, tout à la fois de complexité, de discontinuités et de responsabilité que s’exerce l’accompagnement des enseignants.
Cadre théorique et posture d’accompagnement
11Pour éclairer les pratiques enseignantes, je mobilise deux cadres de référence. Le premier est la pédagogie constructiviste bachelardienne problématisée (Fleury & Fabre, 2017, 2005; Fleury, 2010, 2009) qui s’appuie sur la psychanalyse de la connaissance (Bachelard, 1938/2004), la problématisation (Dewey, 1938/2006; Fabre, 2011, 2016) et la conceptualisation (Barth, 1987/2013; Astolfi, 2008). Cette approche suppose pour les enseignants comme pour leurs accompagnateurs de prendre en compte une triple révolution (Astolfi, 2010) :
- l’apprentissage ne s’opère ni par copie, ni par exposition au savoir, mais il requiert l’activité autonome du sujet ;
- les savoirs n’énumèrent pas des faits, mais proposent des réponses à des problèmes théoriques, ce sont des construits ;
- la formation ne relève pas de la simple transmission mais suppose des dispositifs didactiques. Elle nécessite une ingénierie didactique cohérente avec les objectifs visés et les éventuels obstacles à franchir, notamment les obstacles épistémologiques qui fonctionnent comme autant de conceptions ou d’évidences qui bloquent la pensée.
13Le second cadre théorique se réfère à la didactique professionnelle (Pastré, 2011; Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006; Mayen, Olry, Pastré, 2017) en tant qu’elle part de l’idée que, pour concevoir des formations professionnelles, il est nécessaire de bien connaître le travail. L’approche instrumentale (Rabardel, 1995 ; Rabardel & Pastré, 2005), en particulier la genèse instrumentale, est notamment mobilisée en tant qu’elle éclaire le processus d’instrumentation, dirigé vers le sujet dont les schèmes d’usage évoluent et celui d’instrumentalisation, dirigé vers l’artefact, et par lequel l’utilisateur élabore un instrument. Cette approche permet de penser tout à la fois la visée – tant dans l’accompagnement des enseignants que des élèves – et l’usage des artefacts. Ces deux cadres théoriques sont par ailleurs compatibles en ce qu’ils ont des épistémologies proches, qu’ils mettent au premier plan la relation des savoirs aux problèmes dont ils sont issus. Ils ont également en commun de chercher à élucider la logique des pratiques professionnelles, les schèmes qui sous-tendent l’activité. Ils ont enfin tous deux comme idéal le praticien réflexif – en capacité d’analyser les raisons et les effets de son action – (Schön, 1994) et s’intéressent à l’émancipation des professionnels et futurs professionnels en renforçant leurs capacités à penser par eux-mêmes.
14La conjonction de ces deux cadres met l’accent sur les savoirs-instruments comme source de compréhension du monde, comme pouvoir d’agir et sur l’identification des obstacles qui grèvent ce pouvoir d’agir et qui est au cœur du dispositif d’accompagnement. Celui-ci cherche à articuler la praxis c’est-à-dire la « théorie pratique » fondée sur l’autonomie de la personne, et qui permet de construire constamment un nouveau savoir, du sens et des valeurs et la poïesis qui renvoie à la production d’objet mais qui protège toute démarche d’accompagnement de se réduire à un seul « effet de rencontre » (Paul, 2004). Il s’agit donc, en formation-accompagnement des enseignants, de dialectiser deux postures en jouant tout à la fois du modèle expert (dans une logique sociotechnique, scientifique, soucieuse d’objectivité) et du modèle facilitateur (dans une logique de sollicitude, centrée sur la relation). L’accompagnement vise alors à problématiser la pratique des enseignants ; les rendre sujets actifs de leur parcours, les laisser acteurs de l’accompagnement tout en leur donnant les moyens de conduire et d’orienter leur trajet en les laissant libres de leurs choix. Le dispositif d’accompagnement recherché vise ainsi à remonter aux raisons qui fondent l’action des enseignants, à accéder aux obstacles les plus usuels de leurs pratiques, et à ouvrir, avec eux, la voie à d’autres possibles.
La fiction pédagogique comme transposition d’une situation professionnelle en situation d’apprentissage
15Une fiction pédagogique est un récit construit à partir de l’analyse d’un ou de plusieurs cas réel(s). Utilisée initialement dans le réseau pédagogique « Enseigner autrement » [3] de l’enseignement agricole, elle fait l’objet, en formation-accompagnement, d’une analyse – instrumentée – en groupes, puis collectivement. Elle peut prendre deux formes :
- Elle peut retracer un parcours, un itinéraire, une trajectoire, le plus souvent sur plusieurs années. La première fiction pédagogique construite dans le réseau « enseigner autrement », visait ainsi à « mettre en scène l’itinéraire d’une équipe d’enseignants enlisée au départ dans de nombreux obstacles, tombant dans les confusions habituelles autour de l’idée de “problématique” et qui, après quelques errances caractéristiques, accède progressivement à une approche problématisée » (Fleury & Fabre, 2009). En ce cas, elle « permet de repérer précisément les habitus pédagogiques, les représentations obstacles, les impasses qui bloquent le processus d’évolution, mais aussi les étapes de la longue marche vers la problématisation [des pratiques et des savoirs] » (Ibid.). Le récit est alors découpé en épisodes dont un état initial, un état final et des épisodes intermédiaires mettant en scène ces errances.
- Elle peut aussi retracer une ou des expérience(s), et non une trajectoire. La fiction pédagogique vise alors à rendre compte des systèmes de représentation et d’action qui représentent la manière personnelle dont un praticien s’ajuste à la situation. Pour une même famille de situations, la construction de plusieurs fictions pédagogiques permet de comparer entre les manières de faire, singulières, d’enseignants.
17La fiction pédagogique constitue donc le support d’une situation didactique conçue comme « l’ensemble des conditions que l’enseignant ou le chercheur réunit pour confronter l’apprenant à des objets nouveaux ou à des propriétés nouvelles de ces objets » (Pastré & al., 2006). Il s’agit d’utiliser des situations de travail pour servir le développement des professionnels. Pour reprendre Pastré & al., la fiction pédagogique est une simulation, c’est-à-dire une démarche d’apprentissage, qui met en scène une ou des situations favorisant l’acquisition de compétences professionnelles mobilisées dans l’activité. Des données factuelles sont recueillies puis éventuellement réélaborées de manière à servir de matériau pour l’analyse du travail, en vue de provoquer des apprentissages. Parce que le matériau est trié, épuré et retravaillé, la fiction pédagogique est bien fiction et non étude de cas. Pour faire d’une ou de plusieurs situations de travail une situation d’apprentissage, il parait en effet nécessaire de la transformer, c’est-à-dire de la simplifier, de supprimer certaines variables en écartant tous les faits insignifiants ou bien de choisir des cas prototypiques. Elle se distingue aussi de la situation-problème en ce qu’il n’y a pas dévolution d’un problème aux enseignants-stagiaires. Il y a en revanche un travail de problématisation en ce sens qu’elle vise à permettre aux praticiens, via l’analyse instrumentée de ces récits, d’identifier la manière dont un enseignant, ou une équipe d’enseignants, conçoit un problème, le traite, les ressources qu’il mobilise pour y répondre, les schèmes qui sous-tendent son activité. Ce faisant, elle permet de remonter aux raisons du problème, de le construire et ainsi de retrouver de la puissance d’agir. Il n’y a donc pas d’auto-analyse mais une analyse réflexive qui ne peut avoir lieu que s’il y a identification des enseignants-stagiaires avec la fiction proposée.
18Le rôle de l’accompagnateur est double : construire une fiction permettant cette identification et diriger l’analyse après-coup en identifiant avec les enseignants-stagiaires le problème duquel la pratique est la solution et en construisant le problème, c’est-à-dire en élaborant une gamme de solutions portant sur ce même problème. Dans tous les cas, ces récits ne peuvent être construits qu’après une analyse du travail. Analyse didactique du travail qui repose, pour Patrick Mayen, sur quatre focales interdépendantes : l’analyse du contexte et des évolutions du travail ; l’analyse des manières de penser et d’agir ; l’analyse de la situation donnée et l’analyse de l’activité (Mayen & Lainé, 2014).
Fonctions et usages des fictions pédagogiques
19Les fictions pédagogiques permettent de faire « miroir », d’interroger – indirectement – les pratiques des enseignants-stagiaires. La fiction pédagogique, résultat d’une analyse du travail, par sa dimension réflexive, est ici utilisée en tant qu’instrument d’apprentissage. L’analyse du travail permet en effet, après analyse des discours et actions, d’en extraire les concepts organisateurs, ceux qui organisent les diagnostics de situation et hiérarchisent les buts visés. Ils constituent la structure conceptuelle de la situation. La fiction pédagogique, quant à elle, propose une interprétation personnelle qu’un praticien se fait de la structure conceptuelle de la situation. Cette perception et ce traitement correspond à son modèle opératif. La fiction pédagogique vient, via son analyse, interroger le modèle opératif des enseignants-stagiaires. Le modèle opératif scénarisé peut être compatible avec ceux des enseignants-stagiaires ou bien, s’il y a contradiction entre les deux, les enseignants-stagiaires vont devoir élargir le leur grâce à des modèles théoriques plus englobant.
20En proposant une fiction pédagogique, l’animatrice et fondatrice du réseau « Enseigner autrement », a tablé sur deux processus psychologiques de « concrétisation et d’identification » (Fleury, Fabre, 2009). En mettant en scène un apprentissage tâtonnant de la problématisation, elle propose aux enseignants une « surface de projection » censée leur permettre de se reconnaître dans leur démarche et de prendre conscience des obstacles qui les grèvent ; il s’agit pour elle d’une sorte de « profil épistémologique narrativisé ». L’analyse des fictions se fait au regard d’outils intellectuels. Elle porte en général sur 3 relations :
- la relation curriculaire (les liens entre les enseignants et les savoirs ; leurs finalités, buts, choix des savoirs scientifiques et/ou professionnels ; la transposition didactique qui en est faite) ;
- la relation d’enseignement (les interactions entre élèves et enseignants) ;
- la relation d’apprentissage (les liens entre le savoir et les élèves dans la situation didactique).
22Instrumentées, les analyses permettent aussi de mettre en évidence la portée opératoire d’outils théoriques et d’ouvrir à d’autres possibles. Les fictions pédagogiques retraçant des itinéraires permettent aussi de mettre en évidence que la professionnalisation est un processus, que les erreurs et tâtonnements sont parties intégrantes de ce cheminement, que les changements nécessitent du temps long, qu’ils peuvent être aidés par la volonté de se professionnaliser mais que c’est bien aussi l’équipe avec laquelle on travaille, et le hasard parfois, qui déterminent les avancées.
23L’analyse de plusieurs équipes ayant utilisé ces fictions pédagogiques montre cependant qu’il est nécessaire d’en répéter l’utilisation, comme « s’il fallait plusieurs étapes pour passer d’une attention à quelques éléments épars et périphériques à la saisie du fondement de la démarche, à savoir l’accès à la problématisation » (Fleury & Fabre, 2009). L’utilisation d’une fiction pédagogique sur une thématique donnée ne peut suffire à dépasser certains obstacles. Leur utilisation ne fonctionne que si elle est répétée et si elle permet à l’enseignant-stagiaire de confronter son cas particulier et spécifique à celui d’un autre praticien.
Analyse du travail et construction des fictions
24Pour qu’une fiction pédagogique soit crédible et qu’elle permette aux enseignants de s’identifier, elle doit partir d’une ou de plusieurs expérience(s) ré-elle(s) et être adossée à une analyse du travail en amont de manière à avoir identifié les erreurs, les difficultés et les obstacles auxquels les enseignants se trouvent confrontés et qu’il est nécessaire de pointer ainsi que les prises de risques qu’ils ont osées ou les leviers qu’ils ont utilisés.
25Les trois fictions sur lesquelles s’appuie cet article sont issues de deux recueils de données différents. Ces recueils s’adossent à une analyse du contexte et des évolutions du travail en lien avec « Enseigner à produire autrement » (Gaborieau & Peltier, 2017) et sur des analyses de pratiques pédagogiques et de l’activité enseignante et/ou d’enseignement. Avec Masselot & Robert (2007), nous distinguons ici les concepts de pratique et d’activité : « Le terme “pratique” est utilisé pour qualifier tout ce qui se rapporte à ce que l’enseignant pense, dit ou ne dit pas, sur un temps long, que ce soit avant ou après les séances de classes. Le mot “activité” est réservé à des moments précis de ces pratiques, référé à des situations spécifiques dans le travail enseignant : activités en classe, activités de préparation, voire d’élaboration de contrôle pour les élèves, activités de concertation. » Le concept de pratique est donc englobant, général et se réfère au discours de l’enseignant quand celui d’activité est situé, référé à une classe de situation et, dans le cas d’une séance avec les élèves, lié aux processus d’enseignement-apprentissage comme travail interactif entre enseignants et élèves.
Une fiction sur le cheminement d’une équipe, construite à partir d’une formation-action de 3 ans
26La première est une fiction pédagogique intitulée « Récit-fiction “Gestion des haies multifonctionnelles en BTSA GPN [4]” ». Cette fiction illustre le cheminement d’une équipe sur plusieurs années. Elle est issue d’un travail engagé avec deux groupes distincts d’enseignants et de directeurs d’exploitations agricoles de 2016 à 2019 (Peltier & Gaborieau, 2017). Il s’agissait alors pour les accompagnateurs (doctorants en sciences de l’éducation et animateurs des réseaux thématiques biodiversité et performance énergétique des exploitations) de comprendre comment des enseignants, s’emparant de l’objectif de la multifonctionnalité des haies sur une exploitation de lycée agricole, parviennent à engager des jeunes dans un projet apprenant sur le sujet. L’accompagnement vise notamment à identifier d’éventuels obstacles chez les enseignants, à imaginer des situations permettant de les dépasser et, parallèlement, à réaliser un état de l’art sur la multi-fonctionnalité des haies tant en termes scientifiques que par des entretiens avec des professionnels. La formation-action cherche à mettre en évidence les savoirs mobilisés ou à mobiliser pour 1) porter un diagnostic, 2) hiérarchiser les fonctions des haies à valoriser au regard des fonctionnalités présentes et/ou facilement développables, 3) formaliser ces orientations conceptuelles et opérationnelles dans un plan de gestion des haies (PGH). Les groupes de travail se rencontrent respectivement deux fois par an et nous mettons à discussion ce qui nous parait constituer les concepts-clefs, pragmatiques et/ou pragmatisés, pour viser un plan de gestion durable des haies. Ce bouclage avec les enseignants est fondamental pour dégager, avec eux, ce qui est enseignable. Nous mobilisons avec les enseignants l’instruction au sosie telle que revue par Bernadette Fleury (2012), afin de permettre une analyse, collective, des pratiques pédagogiques. Nous nous appuyons donc non sur une observation de l’activité en situation mais sur ce que les enseignants nous disent de leurs pratiques d’enseignement à partir d’une ou de plusieurs séances. Notre analyse porte sur ce que les enseignants veulent que leurs élèves apprennent (le pourquoi), sur leurs relations, sur la manière dont ils conçoivent l’organisation des séances (le comment), sur ce qui est institutionnalisé voire remobilisé. Lors des accompagnements nous nous appuyons essentiellement sur la pratique interdisciplinaire de deux enseignants d’un même établissement, l’une enseignante en biologie-écologie, l’autre enseignant en sciences économiques et de gestion. Nous analysons, avec le groupe de travail, leur pratique avec leurs étudiants de 1ère année de BTSA GPN en année n, puis n+1. Nous continuons ensuite cette analyse de pratique, non plus au sein du groupe de travail national mais dans le cadre d’un accompagnement spécifique et sur site de l’équipe de BTSA GPN de cet établissement avec une dizaine d’enseignants sous l’égide du coordinateur de filière pour analyser leurs nouvelles pratiques et leur activité de concertation. C’est ainsi que nous avons pu suivre durant quatre années consécutives l’évolution de leur module « Étude de cas autour de la gestion de haies multifonctionnelles » proposé chaque année en 1ère avec des étudiants différents.
27Ces différentes analyses mettent en évidence plusieurs « nœuds » qui relèvent pour certains d’obstacles épistémologiques, et qui, pour d’autres relèvent de difficultés liées à l’activité de conception pluridisciplinaire des enseignements. Le premier obstacle identifié et partagé par les autres équipes constituant le groupe de travail national, est la confusion entre diagnostic et inventaire qui, pourtant, répondent à deux logiques différentes, le premier pointant la détermination du problème auquel des hypothèses de solutions pourront répondre, le second visant la connaissance plus que la décision d’action. Le second nœud auquel nous avons affaire est lié au passage du choix des fonctions à privilégier aux décisions d’action au regard de l’état de la haie. Un troisième obstacle apparait qui relève de la difficulté, pour ces enseignants, à aborder la complexité avec leurs étudiants : en année n, ils leur demandent de réaliser le PGH de l’ensemble des haies de l’exploitation et devant leur difficulté à le réaliser, en année n+1, ils renoncent et leur demandent de réaliser des panneaux de vulgarisation sur l’intérêt des haies. Enfin, une dernière difficulté a trait à la construction, en équipe, d’un véritable projet pédagogique L’observation de l’activité de concertation entre enseignants, montre qu’elle vise d’abord et avant tout l’organisation temporelle (qui peut être présent sur telle ou telle plage horaire ?) ainsi que l’organisation des activités des étudiants, les tâches qui leur sont proposées plus que les apprentissages visés.
28Dans l’accompagnement des deux groupes de travail nationaux et dans celui de l’équipe en établissement, nous pointons ces différents obstacles et cherchons des instruments susceptibles d’aider les équipes. Nous amenons ainsi, pour ébranler l’obstacle de la confusion entre inventaire et diagnostic, le triangle de l’expertise (Fleury & Fabre, 2007) qui met en évidence que la logique scientifique et technique ne peut être déconnectée de celle des acteurs non plus que de la logique juridique et politique. Par ailleurs, lors d’un entretien avec un professionnel de la haie, nous lui demandons ce qu’il regarde pour juger de la fonction de support de la biodiversité de la haie. Il nous précise alors : « la largeur de la haie, car plus elle est large, plus il y a d’habitats. Si elle fait moins d’un mètre, je cherche alors à discuter des outils d’entretien utilisés pour veiller à l’élargir un peu ». Il met ainsi en évidence que pour une fonction donnée, il ne cherche pas à collecter de nombreuses informations (des inventaires) mais il mobilise un critère – la largeur – et un indicateur – plus ou moins 1 mètre pour juger de sa fonctionnalité. Le couple fonction-fonctionnalité nous apparait alors comme structurant, la fonctionnalité étant le « caractère de ce qui est fonctionnel, de ce qui répond à une fonction déterminée » (SPN, 2014). Mis à l’épreuve lors d’une nouvelle rencontre du groupe national, au pied de la haie, ce couple fonction-fonctionnalité apparait opératoire pour les enseignants pour aider à prendre des décisions d’action. Quant à la difficulté des enseignants à aborder la complexité avec leurs étudiants nous cherchons à distinguer, avec eux, ce qui peut être attendu d’un professionnel aguerri (les grands traits d’un plan de gestion des haies sur une exploitation) et ce qui peut l’être d’un élève/étudiant (un travail sur quelques haies autour d’une ou deux parcelles en vue de réaliser des apprentissages, une sorte de plan de gestion néophyte). Enfin, avec l’équipe pédagogique du BTSA GPN en établissement, nous travaillons à repérer des conditions pour concevoir une étude de cas apprenante et notamment la définition, en collectif, de l’objectif d’apprentissage, la recherche des savoirs-clefs, les articulations possibles entre les différentes disciplines et la formalisation des apprentissages visés par les tâches proposées aux étudiants.
29Forts de ce matériau – les obstacles les plus récurrents, ce que les enseignants nous disent de leurs errances et difficultés, ce que leur renvoient leurs étudiants et de ces quelques instruments permettant de travailler ces obstacles – nous pouvons construire la fiction pédagogique. Celle-ci prend la forme d’un récit en quatre étapes mettant en scène leur trajectoire autour de ces obstacles et prenant appui sur les propos des différents protagonistes [5] :
- Dans la première étape, des enseignants, participant à une même étude de cas dans un diplôme à visée naturaliste (BTSA GPN), organisent diverses interventions de professionnels et d’associations. Ils demandent aux étudiants de réaliser un plan de gestion des haies sur l’exploitation de l’établissement, créent des groupes de travail et leur donnent des protocoles pour inventorier la biodiversité. Les étudiants en restent aux inventaires. À l’issue du travail, ils n’ont pas interrogé leurs représentations premières, ils proposent des mesures de préservation de l’habitat de l’une des espèces menacées sur le territoire mais ne construisent pas de plan de gestion.
- Les étudiants n’ayant pas réussi à construire le plan de gestion et n’ayant pas vu l’utilité de leur travail, l’année suivante, les enseignants leur demandent de proposer une animation nature autour de l’intérêt des haies. Les étudiants réalisent par groupe des panneaux et des dossiers documentaires composés d’inventaires. Le plan de gestion est externalisé chez un professionnel. La complexité n’est plus abordée.
- Déçus malgré tout de n’avoir pas « équipés » leurs étudiants d’instruments leur permettant de penser un plan de gestion, en année 3, les enseignants décident de monter un collectif et de travailler ensemble les savoirs essentiels (diagnostic finalisé via le triangle de l’expertise, couple fonction-fonctionnalité notamment).
- En année 4, ils retournent, toujours avec leurs étudiants de 1ère année, au pied de la haie ; le directeur d’exploitation leur demande d’envisager la gestion de deux haies sur une parcelle, en favorisant pour chacune d’entre-elles deux fonctions (un plan de gestion néophyte). Les étudiants sont mis en enquête, accompagnés par les enseignants qui savent à quoi ils souhaitent aboutir en termes d’apprentissages, des scénarii sont construits et discutés avec le directeur d’exploitation.
31La fiction s’appuie ainsi sur les nœuds rencontrés par les enseignants, met en scène leurs difficultés et les moyens qu’ils ont mis en œuvre pour les surmonter. Construit à partir de verbatim, choisis, des enseignants, le récit devient crédible et permet une identification. Utilisée dans diverses formations, cette fiction pédagogique a deux usages essentiels. Utilisée avec des enseignants-stagiaires intéressés par la question des plans de gestion de haies multifonctionnelles, elle sert à travailler la dimension opératoire de savoirs-instruments tels que le triangle de l’expertise ou le couple fonction-fonctionnalité. Utilisée en accompagnement d’une équipe pédagogique en établissement, elle sert à bousculer la manière dont, souvent, la concertation est réalisée (le plus souvent dans une visée organisationnelle) et à pointer l’importance d’un travail en amont, tant sur la visée éducative, les transformations intellectuelles à réaliser que sur ce que chaque discipline peut apporter en propre et sur les activités à proposer pour générer les apprentissages recherchés.
Deux autres fictions qui donnent à voir la manière, singulière, dont des enseignants s’emparent d’« enseigner à produire autrement »
32Les deux autres fictions pédagogiques dont traite cet article sont issues d’une recherche doctorale, conduite en parallèle des accompagnements, et qui analyse, pour le comprendre, le travail d’enseignants en baccalauréat professionnel CGEA (Conduite et gestion de l’entreprise agricole), la manière dont ils s’approprient « enseigner à produire autrement » et mettent en œuvre cette prescription avec leurs classes respectives (Gaborieau, 2019). L’activité d’enseignants est analysée au travers quatre cas d’étude. Chaque cas a fait l’objet d’un entretien préalable à la séance d’enseignement avec le(s) enseignant(s), d’une observation en situation d’enseignement-apprentissage et d’entretiens avec trois ou quatre élèves à l’issue de la séance. L’analyse de la manière, singulière, dont les enseignants s’approprient « enseigner à produire autrement » et mettent en œuvre la prescription a permis de relever des éléments de leur modèle opératif et celle des entretiens avec les apprenants de relever des effets sur leurs apprentissages. Cette recherche a notamment permis de mettre en évidence de grands systèmes de représentations et d’action chez les enseignants des quatre cas, des interrelations entre leurs modèles mentaux et leurs stratégies d’action. Elle a par ailleurs donné lieu à une proposition de structure conceptuelle de la situation « enseigner à produire autrement » en bac pro CGEA, structure conceptuelle qui met en évidence que, pour développer la puissance d’agir des jeunes dans une perspective agroécologique, le noyau conceptuel à prendre en compte relève de trois dimensions :
- une dimension épistémique en lien avec le concept d’agroécologie, celui de transition et avec les savoirs spécifiques utiles pour certaines familles de situations ;
- une dimension « pratiques d’enseignement » en lien avec la visée éducative, celle des tâches proposées aux élèves, la mobilisation de situations professionnelles et l’étayage des apprentissages ;
- une dimension psycho-relationnelle qui pose la question de la légitimité que s’octroient, ou non, les enseignants au regard de leurs élèves, de leurs collègues mais aussi des professionnels agricoles et celle de l’éducabilité de leurs élèves.
34L’analyse du travail et de l’activité de ces enseignants a donné lieu à deux fictions-pédagogiques qui s’appuient en grande partie sur les deux premiers cas étudiés (Gaborieau & Mayen, 2018). En effet, ceux-ci, modifiés à la marge, paraissent prototypiques de deux conceptions de la transition agroécologique (dimension épistémique), de l’enseignement (dimension « pratiques d’enseignement ») et de la légitimité que s’accordent les enseignants (dimension psycho-relationnelle). Dans le premier cas, les enseignants, d’agronomie et de sciences économiques et de gestion, assument de traiter d’agroécologie et donnent à voir des pratiques allant dans ce sens. Ils se sentent légitimes à le faire et agissent sur la situation d’enseignement-apprentissage (ils en pensent le dessein et le dessin). Leur modèle de la transition agroécologique est centré sur la transition et les voies pour y accéder. Ils en déduisent que leur but est d’interroger les systèmes de connaissances de leurs élèves pour les amener à une pensée plus formelle. Pour cela, ils définissent un savoir à enseigner, le modèle ESR (efficience – substitution – reconception (Hill, 1985 ; Hill & MacRae, 1995)) et se fixent comme objectif de le leur faire reconstruire pour raisonner sur un problème de gestion parasitaire notamment. Dans le second cas, les enseignants, des mêmes disciplines, pensent leurs élèves assez peu au courant des enjeux de durabilité. Pour des raisons diverses, ils sont contraints par la situation plus qu’ils ne la maîtrisent. Ils n’ont pas construit le concept d’agroécologie et parlent d’agriculture durable. De ces éléments, ils déduisent leurs buts : présenter les enjeux de la durabilité à leurs élèves et les préparer à l’une des épreuves de leur examen. Ils se fixent ainsi comme objectif de permettre aux jeunes de réaliser un diagnostic de durabilité de leur exploitation de stage. Les savoirs à enseigner sont multiples : le développement durable, l’agriculture durable et la grille du RAD (Réseau agriculture durable). Ils définissent ainsi les grandes notions puis appliquent avec leurs élèves la méthode du RAD. Les calculs que celle-ci nécessite font vite basculer une activité qui se voulait constructive vers une activité essentiellement productive de résultats (les calculs).
35Les fictions sont construites toutes deux sur le même modèle, elles mettent en évidence le contexte, la séquence dans laquelle s’insère la séance, le(s) objectif(s) des enseignants, les grandes étapes de la séance, les tâches proposées aux élèves, leur activité, ce qui est institutionnalisé dans les classeurs et la manière dont les jeunes ont vécu ces séances. Surtout, bien que retravaillées et simplifiées, elles prennent appui sur les mots des enseignants, tels que retranscrits après les entretiens et les séances et ce qu’en ont dit les élèves. L’analyse de ces deux fictions permet de mettre des mots sur le modèle opératif des enseignants et sur leurs effets sur les apprentissages des jeunes. Leur comparaison permet quant à elle de nommer les conditions pour qu’« Enseigner à produire autrement » soit plus efficace. Cette comparaison permet ainsi de reconstruire, avec les enseignants-stagiaires, la structure conceptuelle de la situation et d’y référer, voire d’interroger, leurs propres pratiques.
Conclusion
36L’utilisation des fictions pédagogiques peut ainsi se faire à des fins différentes. Même si le propos de cet article n’est pas d’en analyser l’utilisation, il découle cependant de celle-ci que les fictions permettent de mettre en évidence:
- des obstacles épistémologiques en lien avec un objet ;
- des biais dans l’activité d’enseignement comme le(s) rôle(s) conféré(s) au(x) tâche(s) scolaire(s) ;
- des obstacles qui relèvent plus du travail en équipe et/ou de la conception de séances/modules interdisciplinaires.
38Ce faisant, elles permettent d’engager un travail sur ces questions. Par ailleurs, elles permettent aussi :
- d’identifier et d’interroger différents modèles opératifs, ce qui, en situation de transition, parait intéressant pour favoriser la réflexivité des enseignants quant à leur manière de penser et d’agir et quant aux savoirs mobilisés et pour ouvrir à d’autres possibles non encore conscientisés ;
- de favoriser une culture partagée en sciences de l’éducation, base nécessaire pour construire un projet pédagogique d’équipe qui soit cohérent.
40L’une des spécificités de la formation adulte est de travailler avec, par et pour le travail. Ce dispositif de simulation, construit à partir d’une analyse du travail, est compatible avec la visée du praticien réflexif, si tant est qu’il soit réalisé dans le cadre d’un accompagnement au long cours et non dans celui d’une formation ponctuelle, unique. Il est en outre en cohérence avec ma vision de l’accompagnement, en ce qu’il part du vécu professionnel des enseignants pour comprendre et améliorer leurs compétences professionnelles (l’analyse du travail en amont, y est fondamentale pour pointer les obstacles) et en ce qu’il vise à remonter aux raisons qui fondent l’action des enseignants et à imaginer, avec eux, des voies possibles d’amélioration.
41L’utilisation en accompagnement ou formation des fictions pédagogiques montre qu’il y a bien identification des enseignants-stagiaires à la pratique analysée et nous sommes d’ailleurs souvent surpris que, quoique les titres précisent qu’il s’agit de récit-fiction, ceux-ci l’oublient généralement. Pour autant, les simulations sont insuffisantes et, pour qu’il y ait perlaboration, ce travail sur soi de construction d’un sens, l’accompagnement doit être poursuivi par une analyse des pratiques pédagogiques propres aux enseignants-stagiaires.
42Si l’analyse des pratiques professionnelles, basées sur des entretiens d’explicitation, sont des outils formidables au service du développement professionnel, elles peuvent parfois sembler intrusives pour les enseignants. L’utilisation de fictions pédagogiques a cet autre intérêt qu’il bouscule moins ceux qui ne sont pas prêts à réfléchir sur leur pratique, ou tout au moins, pas en collectif. L’analyse de leurs pratiques pédagogiques suppose que les enseignants acceptent d’aller sur des terrains parfois fragiles voire douloureux. L’utilisation de la fiction pédagogique est une manière de rendre lucide, par effet miroir, tout en bousculant, mais de manière plus légère, un peu décalée, leurs représentations. Une simulation médiatisée à l’aide d’une fiction pédagogique, permet, lors des accompagnements, de penser l’altérité et d’éviter l’altération.
43Ce dispositif me parait d’autant plus opératoire en cette période de transition pour l’enseignement agricole, notamment au regard du nouveau plan « enseigner à produire autrement, pour les transitions et l’agroécologie » (EPA2) dans la mesure où il permet de mettre en scène ce qui se joue tout à la fois du côté des savoirs, des pratiques enseignantes mais aussi de la posture au regard des autres (apprenants, collègues, mondes professionnels).
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Mots-clés éditeurs : Ingénierie de formation, Formation enseignants, Enseigner à produire autrement, Simulation, Fiction pédagogique
Date de mise en ligne : 01/04/2021
https://doi.org/10.3917/ta.020.0093Notes
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Réseau pédagogique, né au milieu des années 1990 à Coutances, dans la Manche, à l’initiative d’une enseignante en histoire-géographie, Bernadette Fleury. Il a été à l’origine de nombreuses publications dont deux ouvrages : Fleury, B., (coord.), (2010), Enseigner autrement, pourquoi, comment ? Dijon, France : Éducagri éditions et Fleury, B., Fabre, M., (2017), Peut-on enseigner autrement ? Une expérience de formation d’enseignants, Paris, France : Éditions L’Harmattan.
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BTSA GPN : Brevet de technicien supérieur agricole Gestion et protection de la nature
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Pour lire la fiction pédagogique, URL : https://adt.educagri.fr/fileadmin/user_upload/pdf/tiers_temps/formations_TT/haies_formation/Recit_fiction_PGH.pdf