Notes
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[1]
Cf. Jean-Luc Marion, La rigueur des choses. Entretiens avec Dan Arbib, Paris, Flammarion, 2012, p. 48-54 et p. 103-104.
-
[2]
La réception de la pensée marionienne par la théologie est assez prudente (cf. Vincent Holzer, « Phénoménologie radicale et phénomène de révélation », Transversalités, no 70, 1999, p. 55-68 ; « La foi, ses savoirs et sa rationalité. Esquisse des débats fondamentaux en théologie catholique contemporaine », dans François Bousquet et Philippe Capelle [éd.], Dieu et la raison, Paris, Bayard, 2005, p. 247-264). Pour un jugement plus favorable, cf. Sergio Ubbiali, « L’appello assoluto all’identità soggettiva », dans Nicola Reali (éd.), L’amore tra filosofia e teologia, Città del Vaticano, Lateran University Press, 2007, p. 91-115.
-
[3]
Cf. Jean-Yves Lacoste, « Du Phénomène à la Figure. Pour réintroduire à “La Gloire et la Croix” », Revue thomiste, no 86, 1986, p. 606-616 ; Jean Greisch, « D’un tournant phénoménologique de la théologie », Transversalités, no 63, 1999, p. 78-89 ; Jérôme de Gramont, « Droit au cœur de la théologie », Nunc, no 42, 2016, p. 44-45.
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[4]
« C’est à H. Urs von Balthasar que notre manière de procéder doit tout, hormis les défaillances de sa mise en œuvre » (Jean-Luc Marion, L’idole et la distance, Paris, Grasset, 1977, p. 15).
-
[5]
Cf. Ibid., § 19, La quatrième dimension, p. 294-315.
-
[6]
Le rapport entre Marion et Balthasar a été mis en lumière, de préférence à partir du dispositif théorique général, par Sylvain Camilleri, « De quelques implications phénoménologiques de la notion de figure christique : Hans Urs von Balthasar et Jean-Luc Marion », Dialegesthai, no 9, 2007 ; Tinca Prunea-Bertonnet, « L’univocité de l’amour en question : J.-L. Marion lecteur de H. U. von Balthasar », dans Christian Ciocan et Anca Vasiliu (éd.), Lectures de Jean-Luc Marion, Paris, Cerf, 2016, p. 287-301.
-
[7]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Apokalypse der deutschen Seele. Studien zu einer Lehre von letzten Haltungen, t. III : Die Vergöttlichung des Todes (1939), Einsiedeln, Johannes Verlag, 19982, p. 111-126 ; Jean-Luc Marion, Réduction et donation, Paris, PUF, 1989, p. 123-130.
-
[8]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Phénoménologie de la vérité. La vérité du monde, trad. Robert Givord, Paris, Beauchesne, 1952, p. 34 ; Jean-Luc Marion, L’altérité originaire de l’ego, dans Questions cartésiennes II. L’ego et Dieu, Paris, PUF, 1996, p. 13-48.
-
[9]
Sur la possible comparaison de la Figure balthasarienne avec le phénomène saturé marionien, cf. Vincent Holzer, « L’unité de la christologie. La contribution du théologien Hans Urs von Balthasar à la résolution de la diastase entre “Historie” et “Geschichte” », Revue théologique de Louvain, no 46, 2015, p. 209 ; « La vérité comme Figure. L’histoire comme chair », Transversalités, no 63, 1997, p. 71.
-
[10]
Hans Urs von Balthasar, La théologique, t. II : Vérité de Dieu, trad. Béatrice Déchelotte et Camille Dumont, Namur, Culture et vérité, 1995, p. 192.
-
[11]
Ibid., p. 146. Marion ne souligne pas l’attention que Balthasar donne à son texte, sauf dans un passage autobiographique, qui cependant n’entre pas dans les considérations théoriques (cf. Jean-Luc Marion, La rigueur des choses, op. cit., p. 293).
-
[12]
Jean-Luc Marion, Étant donné. Essai d’une phénoménologie de la donation (1997), Paris, PUF, 20053, p. 329.
-
[13]
« Au cœur de l’esthétique a donc déjà commencé la “dramatique théologique”. Dans l’aperception, disions-nous, il y avait déjà le “ravissement” » (Hans Urs von Balthasar, La dramatique divine, t. I : Prolégomènes, trad. André Monchoux, Paris, Lethielleux, 1984, p. 13).
-
[14]
Hans Urs von Balthasar, Théologie de l’histoire, trad. Robert Givord, Paris, Plon, 1960, p. 86-87. Cf. Jean-Yves Lacoste, Note sur le temps. Essai sur les raisons de la mémoire et de l’espérance, Paris, PUF, 1990, p. 78-81, qui tire des conséquences définitives par rapport à la temporalité.
-
[15]
C’est Marion lui-même qui trouve dans le phénomène du Christ le centre de la théorie balthasarienne et le reconnaît comme point d’ancrage pour une phénoménologie théologique (cf. Jean-Luc Marion, « Le “phénomène du Christ” selon Hans Urs von Balthasar », Revue catholique internationale Communio, no 30, 2005, p. 77-82).
-
[16]
Hans Urs von Balthasar, La gloire et la croix. Les aspects esthétiques de la Révélation, t. 1 : Apparition, trad. Robert Givord, Paris, Aubier, 1965, p. 25.
-
[17]
« La révélation de Jésus peut parfaitement s’appeler un symbole, puisque celui qui s’exprime (le Père) se reconnaît exactement dans son expression (le Fils) » (Hans Urs von Balthasar, Vérité de Dieu, op. cit., p. 299). Étant donné la multiplicité des approches de la question du symbole, il suffit de retenir ici la structure symbolique à partir de son double résultat, de lier deux dimensions différentes tout en servant la marque de leur différence, à savoir de réaliser au niveau de la singularité la structure analogique générale.
-
[18]
Hans Urs von Balthasar, « Existence humaine comme Parole divine », dans La foi du Christ, Paris, Cerf, 1994, p. 163. Il s’agit d’une généralisation de ce que l’auteur exprime déjà par rapport à l’existence chrétienne : « l’être chrétien est figure. Comment ne le serait-il pas, puisqu’il est grâce, possibilité d’existence que nous ouvre ce Dieu qui nous justifie » (Hans Urs von Balthasar, Apparition, op. cit., p. 24).
-
[19]
Cf. Thomas Alferi, « „…Die Unfasslichkeit der uns übersteigendzuvorkommenden Liebe Gottes…“. Von Balthasar als Orientierung für Marion », dans Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz (éd.), Jean-Luc Marion. Studien zum Werk, Dresde, Text & Dialog, 2013, p. 121.
-
[20]
Cf. Jean-Yves Lacoste, « Penser à Dieu en l’aimant. Philosophie et théologie de J.-L. Marion », Archives de philosophie, no 50, 1987, p. 245-270.
-
[21]
Cf. Jean-Luc Marion, Certitudes négatives, Paris, Grasset, 2010, p. 11-28.
-
[22]
Cf. Jean-Luc Marion, « Ce qui ne se dit pas – l’apophase du discours amoureux », dans Le visible et le révélé, Paris, Cerf, 2005, p. 107-129.
-
[23]
Il faut remarquer les similitudes, même terminologiques, entre Karl Barth, L’Épître aux Romains, trad. Pierre Jundt, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 61.83, et Jean-Luc Marion, « La crise cruciale », dans Prolégomènes à la charité (1986), Paris, Grasset, 20184, p. 171-203.
-
[24]
Jean-Luc Marion, « Une fois pour toutes », Revue catholique internationale Communio, no 249, 2017, p. 25.
-
[25]
La critique qu’il pose à la théologie de Barth peut s’appliquer à la théorie de Marion aussi : « l’élément décisif en cela est que l’incarnation, qui est au cœur du christianisme, devient impossible. Là où le divin ne touche le monde que comme la tangente un cercle et où la différence qualitative infinie est réellement l’unique relation de Dieu avec le monde, il n’y a plus de vie possible du Christ, mais seulement vraiment une mort du Christ comme sens et somme de l’incarnation » (Hans Urs von Balthasar, Karl Barth. Présentation et interprétation de sa théologie, trad. Éric Iborra, Paris, Cerf, 2008, p. 118). Ces lignes sont capitales pour les analyses ici proposées si l’on considère que la théologie balthasarienne se développe justement à partir de la nécessité de dépasser l’approche barthienne, jugée en même temps décisive.
-
[26]
Hans Urs von Balthasar, Dramatique divine, t. IV : Le dénouement, trad. Robert Givord et Camille Dumont, Namur, Culture et Vérité, 1993, p. 471. Il faut souligner que cette approche balthasarienne du rapport du temps à l’éternité ne concerne pas seulement la dernière phase de son travail. Il s’agit au contraire d’une réflexion présente dans son œuvre entière, dès le début.
-
[27]
C’est encore une fois à Balthasar (avec Jean Daniélou et Yves Congar parmi d’autres) que l’on doit le tournant christologique du discours eschatologique au xxe siècle ; il reconnaît de façon synthétique le Christ en tant que l’eschaton absolu ; cf. Hans Urs von Balthasar, Eschatologie, trad. Yves-Claude Gélébart, dans Johannes Feiner (éd.), Questions théologiques aujourd’hui, t. II : Dogmatique, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 277-278.
-
[28]
Cf. Emmanuel Gabellieri, Paradoxe, univocité, analogie, dans Philippe Capelle-Dumont (éd.), Philosophie de Jean-Luc Marion. Phénoménologie, théologie, métaphysique, Paris, Hermann, 2015, p. 31-50. L’une des raisons de la difficile préservation d’un espace pour le temps et pour la finitude dans la phénoménologie marionienne réside dans la dette heideggérienne, gardée tout au long de l’ouvrage. Cette approche, encore une fois, définit une distance par rapport à Balthasar, qui se montre bien plus averti des limites de cette philosophie (cf. Cyril o’Regan, « Hans Urs von Balthasar and the Unwelcoming of Heidegger », dans Peter M. Candler et Conor Cunningham [éd.], The Grandeur of Reason : Religion, Tradition and Universalism, Londres, SCM Press, 2010, p. 267 ; Dario Cornati, L’amore che tutto compie, Città del Vaticano, LEV, 2018, p. 93).
-
[29]
Même si elle n’est pas trop mise en lumière par la critique savante – parfois trop intéressée à résoudre son esthétique de façon encore métaphysique –, il est possible de démentir les interprétations qui décrivent Balthasar refusant radicalement la modernité, cf. Massimo Imperatori, H. U. von Balthasar : una teologia drammatica della storia. Per un discernimento dialogico della modernità, Milan, Glossa, 2001, p. 537-581.
-
[30]
Hans Urs von Balthasar, Karl Barth. Présentation et interprétation de sa théologie, op. cit., p. 287.
-
[31]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Théologie de l’histoire, op. cit., p. 65.
-
[32]
« La révélation de Jésus-Christ contient surabondamment la vérité pour chaque époque, donc aussi pour la nôtre. Mais elle ne la contient pas de telle sorte qu’elle tomberait dans les bras des croyants sans qu’ils s’approprient par la réflexion le don de vérité reçu. Il serait indigne aussi bien de la grâce que de l’homme, qu’il en soit autrement » (Hans Urs von Balthasar, Dieu et l’homme d’aujourd’hui, trad. Robert Givord, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 256).
-
[33]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Endliche Zeit innerhalb ewiger Zeit, dans Homo creatus est. Skizzen zur Theologie V, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1986, p. 43 ; Eschatologie in unserer Zeit, op. cit., p. 51.
-
[34]
Cf. Hans Urs von Balthasar, La Dramatique divine, t. III : L’action, trad. Robert Givord et Camille Dumont, Namur, Culture et Vérité, 1990, p. 368.
-
[35]
Jean-Luc Marion, Certitudes négatives, op. cit., p. 301. Ce n’est pas sans raisons que le développement de la structure événementielle correspond à la mise en lumière de plus en plus précise du trait herméneutique de la phénoménologie (cf. Jean-Luc Marion, La donation en son herméneutique, dans Reprise du donné, Paris, PUF, 2016, p. 59-97).
-
[36]
Cf. Marlène Zarader, « L’événement entre phénoménologie et histoire », Tijdschrift voor Filosofie, no 66, 2004, p. 298.
-
[37]
Je me permets de renvoyer à l’approfondissement que j’ai offert dans Francesca Peruzzotti, L’événement critique. La phénoménologie de Jean-Luc Marion entre apocalyptique et eschatologie, dans Andrea Bellantone et Alice de Rochechouart (éd.), Le motif eschatologique dans la pensée contemporaine, Toulouse, Presses universitaires de Toulouse, à paraître (2021), et « Donation, gratuité, louange. La possibilité d’un rapport libre à Dieu dans la philosophie de Jean-Luc Marion », Revista portuguesa de Filosofia, no 76, 2020, p. 761-788, par rapport à la fois à l’événement de la naissance et à celui de la louange.
-
[38]
Jean-Luc Marion, Le phénomène érotique. Six méditations, Paris, Grasset, 2003, p. 322.
-
[39]
Si la phénoménologie de Marion a proposé un renversement de celle de Husserl en raison de la primauté absolue de la saturation sur la signification, elle est toutefois marquée par un manque de concrétude (cf. Carla Canullo, La fenomenologia rovesciata. Percorsi tentati in Jean-Luc Marion, Michel Henry e Jean-Louis Chrétien, Rosenberg & Sellier, Turin 2004, p. 305). Il s’agit maintenant de vérifier que la phénoménologie de la donation elle-même possède des ressources, comme la description de la naissance ou du discours liturgique et érotique qui demeurent en arrière-plan, mais qui peuvent viser à gagner à nouveau l’effectivité, sans perdre l’universalité de la possibilité phénoménologique.
1Les raisons de confronter la pensée de Jean-Luc Marion avec celle de Hans Urs von Balthasar sont nombreuses et significatives. Tout d’abord, il faut envisager la proximité biographique du philosophe français avec le théologien de Bâle : le jeune Marion a été marqué par la démarche balthasarienne [1], d’une part, du point de vue existentiel et spirituel, d’autre part, sur le plan spéculatif. Cependant, le plus grand intérêt réside, non pas dans les points théorétiques communs, mais bien plutôt dans les divergences entre les deux pensées qui, à partir d’un socle tout à fait similaire, apparaissent sur des questions fondamentales et notamment sur celle du temps. En effet, il n’est pas possible de rapprocher ces auteurs en compilant seulement leurs vues ; il s’agit plutôt d’un questionnement spéculatif commun. L’enquête historiographique ouvre pourtant le champ à des questions fondamentales pour la pensée en tant que telle : le rôle associé à la temporalité entraîne des conséquences sur la finitude intersubjective, absolument pas réductible à la dimension ontique, voire acceptable dans une forme absolue et dénuée de temporalité.
2Si on conçoit la mesure de l’humain à partir de sa corrélation avec la temporalité selon sa forme chronologique, historique, événementielle, voire eschatologique, il est alors possible de comprendre l’épaisseur spéculative fournie par les deux auteurs. Ce départ se pose hors de la position classique des rapports philosophico-théologiques qui envisage une distinction a priori des disciplines. La concentration sur la dimension eschatologique coïncide en effet avec une possibilité féconde, celle du dépassement de la dialectique abstraite temps-éternité. Pourtant, elle ouvre un dégagement de la corrélation historique entre l’humain et le divin : soit à la formalisation de la métaphysique classique selon la liaison causale, soit à l’exténuation heideggérienne qui en établit l’impossibilité hors du schéma onto-théologique. La philosophie événementielle de Marion et la théologie eschatologique de Balthasar se proposent comme deux modèles très prometteurs pour vérifier les rapports théoriques entre le fini et l’absolu, le temps et l’éternité, la philosophie et la théologie. Apparaissent pourtant un nouveau positionnement par rapport au tournant théologique imputé à la phénoménologie française et, en même temps, la nécessité d’examiner le rôle joué par la philosophie phénoménologique dans la méthode théologique [2]. La question théorique est en effet inversée quand on considère le christocentrisme propre à la théologie en sa dimension d’événement historique et eschatologique : il ne s’agit pas de dénoncer une dette théologique préalable, mais plutôt de vérifier quel poids est donné à certains aspects incontournables au niveau spéculatif, portant sur une indispensable médiation phénoménologique [3].
La rencontre possible
3Dans un lieu stratégique de sa production – les pages initiales de L’idole et la distance [4] –, Marion avoue sa dette envers la théologie de Balthasar, considérée comme l’un des points de repère majeurs de son parcours. Il ambitionne une approche philosophique de la question théologique qui intègre la dénonciation heideggérienne de l’onto-théologie mais qui n’est pas assujettie à sa conséquence, c’est-à-dire à l’abandon total de la question du divin. Grâce aux ressources de la pensée chrétienne, Marion montre que le dispositif résumé par le concept de distance envisage un rapport entre l’homme et Dieu qui soit capable de garder la radicale différence entre les deux, sans déterminer l’impossibilité de n’importe quel lien. La sagesse biblique désigne ce dispositif en tant qu’amour, dont la figure paradoxale s’accomplit dans la croix, là où Dieu rejoint l’homme. Marion reconnaît que dans la pensée balthasarienne, ceci est développé par une théorie théologique qui identifie le point de départ avec la dimension esthétique, c’est-à-dire l’idée que l’absolu se manifeste sensiblement, un départ d’en haut impliquant une révélation historique dans la singularité de Jésus-Christ.
4Marion admet qu’il est impossible d’accomplir sa quête d’une forme philosophique qui exprime la crédibilité rationnelle de l’amour à partir de la méthode philosophique de la modernité, ses apories résidant dans le solipsisme du cogito qui prédétermine l’objet, voire le monde. L’approche moderne empêche ce que l’amour favorise, à savoir : l’irruption d’une gratuité totale, imprévisible mais instituant en même temps les conditions de sa réception par le sujet [5]. Il s’agit d’un des traits majeurs communs aux deux auteurs : ils souhaitent dépasser une réduction anthropologique du rapport au monde et de sa connaissance pour privilégier une méthode nommable en tant que « départ d’en haut ». Il s’agit de la rupture de l’équilibre corrélatif en faveur de la primauté de la manifestation objective sur la détermination du pôle subjectif. C’est seulement en reconnaissant la forme du sujet comme originairement réceptive que la garantie de sa corrélation à la vérité est trouvée. La démarche commune à Marion et à Balthasar [6] comporte alors une interprétation négative de la phénoménologie husserlienne – jugée comme aporétique parce que dépendante d’une forme moderne et cartésienne de subjectivisme idéaliste [7]. Cette aporie est surmontée à partir du cogitor, forme fondamentale de la réceptivité impliquée dans le rapport de la première personne à la totalité du monde [8]. Les deux auteurs visent à renverser l’équilibre de la corrélation, qu’ils considèrent responsable de la réduction à la conscience. Cette dernière détermine la perte du monde et arrive jusqu’à une universalité qui demeure abstraite, en négligeant le rôle constitutif de l’expérience. Le cogitor n’est pas seulement une figure négative opposée au cogito, il correspond de façon embryonnaire aux qualités personnelles qui vont caractériser l’adonné pour Marion et le Christ en tant que Gestalt pour Balthasar ; c’est la figure apte à se corréler à une manifestation totale, dégagée à partir des concepts de Gloire par Balthasar et de saturation par Marion [9].
5Cependant, c’est à part entière dans ce lieu théorique, où la consonance entre les deux auteurs se montre presque complète, que Balthasar exprime son refus d’être assimilé à la pensée marionienne, c’est-à-dire à l’abandon de l’ontologie en faveur de l’amour :
J.-L. Marion […] paraît faire trop de concessions à la critique de Heidegger et d’autres ; il ne tient pas compte des passages où Siewerth, comme aussi saint Thomas, caractérisant le Bien comme dépassement immanent de l’être, ce qui par ailleurs n’oblige pas […] à laisser tomber l’être (bien compris) comme n’étant qu’une donné transitoire (chose que, de toutes façons, aucune pensée ne peut faire). On doit bien le dire : ce n’est qu’à partir de la bonté absolue de Dieu que l’on peut penser l’idée d’un acte d’être non-subsistant (dans le domaine du fini) ; même si l’on voit cet acte d’être comme une « similitude de Dieu » dans le monde [10].
7Et encore, de façon plus synthétique : « L’amour sans fond n’est pas avant l’être : il est son acte suprême, ce qui amène l’impossibilité de le saisir par intelligence (cf. Ep 3,19 : “connaître l’amour qui surpasse toute connaissance”) [11]. »
8Une explication trop hâtive de cette prise de distance considère que le théologien veut tout simplement rester à l’intérieur du champ de la métaphysique classique, en raison de l’assurance qu’elle fournit, pour éviter la perte des dispositifs qui favorisent l’expression théologique dans le domaine spéculatif. C’est toutefois à partir de cette bifurcation explicite que l’on peut percevoir une polychromie substantielle, très féconde par rapport à la proximité initiale des deux auteurs qui a été naguère tracée. C’est justement à partir des implications de la question de la temporalité que ces spécificités peuvent clairement et complètement se dégager.
Le différend Marion-Balthasar
9Il a été observé que le domaine épistémologique – caractérisé par une proximité de fond due à l’option pour l’absolu – conduisait à des développements qui se différencient sur un point fondamental.
10Il est fort utile d’envisager ce point à partir des lieux topiques et synthétiques de l’œuvre des deux auteurs. Marion peut être localisé dans la primauté phénoménologique de la possibilité sur l’effectivité, une dichotomie qui traverse son entreprise tout entière :
La phénoménologie décrit des possibilités et ne considère jamais le phénomène de révélation que comme une possibilité de la phénoménalité […]. La Révélation (comme effectivité) ne se confond jamais avec la révélation (comme phénomène possible) […]. La phénoménologie, qui doit à la phénoménalité d’aller jusqu’à ce point, ne va pas au-delà et ne doit jamais prétendre décider du fait de la Révélation, ni de son historicité, ni de son effectivité, ni de son sens [12].
12C’est précisément cette division qui est refusée par Balthasar, son approche de renouvellement de la théologie à partir de l’esthétique doit être interprétée à partir de l’action où la dimension historique ne peut pas se mettre entre parenthèses. Plus précisément, il faut concevoir la dimension esthétique dans son lien originaire avec la dimension historico-dramatique [13], jusqu’à comprendre autrement la division classique entre temps et éternité. Cette idée transparaît déjà au commencement de l’œuvre balthasarienne, il s’agit de la détermination analogique de la réalité, elle se résout avec l’explicitation de sa concrétude à partir de la centralité christologique :
Le Christ peut être appelé l’analogia entis concrète, puisqu’il constitue lui-même, dans l’unité de sa nature divine et humaine, la mesure pour toute distance entre Dieu et l’homme. […] Il est tellement ce qu’il y a de plus concret et de plus central qu’on ne peut, en définitive, penser qu’à partir de Lui, et que, ceci posé, toute question cherchant à savoir ce qui existerait s’Il n’existait pas, ou s’Il n’était pas devenu homme, ou s’il fallait penser le monde sans Lui, s’avère parfaitement superflue [14].
14Dans les deux cas, la théorie christologique joue un rôle décisif [15] ; elle est le lieu exemplaire où se dégage l’entrelacs entre la temporalité et la singularité avec des résultats différents ; elle peut recevoir un poids absolu, ou demeurer accidentelle, surmontable en tant que marque d’une finitude qui va se perdre dans la récapitulation absolue.
15Le Christ est le centre de cette structure d’entrelacs parce que, d’après Balthasar, « il est ce qu’il exprime, à savoir Dieu, mais il n’est pas celui qu’il exprime, à savoir le Père [16] », une définition que le théologien propose à nouveau, presque inchangée, à travers une référence explicite à l’idée de symbole [17]. Dans la théologie de Balthasar, le lien dramatique entre le Père et le Fils se tisse dans l’obéissance du Fils au Père, et il correspond en même temps à l’accomplissement de soi et à la manifestation de Dieu. Cela ne se donne pas a priori dans une structure ou dans un système, mais se joue dans le déroulement historique ; ce lien intègre dès lors constitutivement l’histoire finie du monde et des hommes dans la Trinité, à tel point que l’être humain en tant que tel est lui aussi reconnu comme Figure. La facticité humaine expose la même structure symbolique, voire sensible, du Christ : « Si l’homme est langage de Dieu, il ne devient cependant jamais Dieu. Pour connaître Dieu, il doit à la fois se réaliser et se nier. Il est ce que Dieu dit ; il n’est jamais Celui qui le dit [18]. » La différence radicale entre l’homme et Dieu, récapitulée de façon absolue (analogique) dans le Christ, correspond à l’espace pour le développement libre et créatif ouvert à chacun.
16Quand la phénoménologie de Marion rencontre la démarche balthasarienne, elle met en évidence un manque du discours analogique [19]. Il ne s’agit pas d’une absence terminologique, mais d’une attitude théorique conséquente. Elle atteint les aspects divers de sa pensée, de l’épistémologie – déterminée par le thème de l’impossible nomination divine [20] – jusqu’à la considération effective de la singularité : au niveau gnoséologique et méthodologique, l’auteur français revendique l’option pour le paradoxe [21], qui est accompli dans l’aspiration à la dimension négative et apophatique [22] ; du point de vue des conséquences phénoménologiques, la corrélation éclate dans le surcroît caractérisant le donné et l’entrelacs symbolique de la finitude à l’absolu est presque toujours résolu en faveur du second aspect de manière dialectique. Le débat concernant une possible dimension métaphysique encore effacée dans la donation peut de nouveau être abandonné : sa négation est bâtie par Marion avec le choix pour un renversement absolu, mais ses possibilités sont ancrées dans le rôle joué par la fondation de la finitude, dans laquelle la dimension temporelle joue bien entendu un rôle tout à fait capital.
L’épreuve du temps
17La conséquence extrême de ces points originaires vise à un développement qui porte sur le discours eschatologique. Dans la démarche marionienne, on perçoit une forte influence de la première théologie de Karl Barth : l’histoire du Christ est divine, dialectique à l’histoire humaine, sa critique radicale [23]. Si l’histoire du monde n’a de raison d’être que par l’intervention du Christ lui-même dans l’histoire de l’être humain, il reste toutefois difficile de comprendre la distance constitutive entre Dieu et l’homme, donc le rapport indépassable du temps à l’éternité :
Ce qui m’attend, ce n’est rien d’autre que ce à quoi je m’attends – au fond. Non point une autre histoire, mais une sortie de l’histoire. De telle sorte pourtant, que n’entre dans l’histoire et ne la traverse que ce qui peut seul en sortir, venant d’ailleurs. « Nul n’est monté au ciel, que celui qui en est descendu » (Jean 3,13), nul ne sort de notre histoire, ne nous sort de toute cette histoire, que celui qui n’en vient pas, mais lui arrive comme l’ephapax absolu [24].
19L’authenticité du temps est cependant définitive dans l’œuvre balthasarienne [25], elle est compréhensible seulement à partir de la consistance du monde, qui demeure permanente en raison de son enracinement dans la Trinité, qui s’accomplit dans le temps éternel :
Qu’est-ce que Dieu retire du monde ? […] Il y a ce don complémentaire que le Père fait au Fils, mais tout aussi bien le Fils au Père et l’Esprit à l’un et l’autre. C’est un don, car le monde acquiert, par l’agir différent de chacune des Personnes, une participation intime à l’échange de vie divine, il restitue ainsi à Dieu, comme un don divin, ce qu’il a reçu de divin de Dieu, en plus de son être de créature [26].
21Dans les deux cas, le point apical est acquis à travers un parcours qui touche les développements d’une théorie générale de l’événement et de l’histoire. La différence qu’on veut montrer ne peut pas, par conséquent, être limitée ou restreinte à un aspect particulier de la théorie ; au contraire, elle implique une approche interprétative d’ensemble. La confrontation à la thématique eschatologique, en effet, ne signifie pas la restriction à un sujet théologique, voire fidéiste, mais correspond au contraire à l’ouverture sur une question universelle. Il s’agit du rapport de la forme humaine à la temporalité et de la détermination conséquente du lien aux autres et au monde [27]. Tout compte fait, c’est l’eschatologie qui comporte la possibilité de saisir la liaison analogique à partir d’intrigues très fécondes : il s’agit d’une discipline qui permet l’articulation de la dimension absolue à l’existence finie, à partir de la prise en compte d’une temporalité paradoxale en tant que mesure irrévocable de leur connexion. L’eschatologie suscite un différend entre Marion et Balthasar : chez le premier, la donation du phénomène est absolue, bien qu’il existe une même radicalisation de la saturation selon l’événementialité jusqu’à l’instant hors histoire. On peut distinguer une discontinuité de fond entre le temps et l’événement, ce dernier étant à considérer comme le dépassement de la temporalité – encore comprise comme expression d’une dimension tout à fait limitante et limitée. Le risque pour l’événement est d’être dépouillé d’une quelconque forme durative, avec la préférence de l’univocité sur l’analogie, donc le refus de la dimension temporelle du symbole en faveur de la dimension totalement kairologique de l’icône [28].
La mesure eschatologique de l’humanité
22L’idée initiale de réfuter la simple équivalence des parcours respectifs de Marion et de Balthasar, qui conduit à évaluer leur différend et à développer le travail d’enquête à partir des aspects plutôt disjonctifs, ne comprend de choix ni pour une démarche ni pour l’autre, pas plus qu’il ne s’agit de résoudre l’analyse avec la compilation d’un fichier des différences. Les deux propositions confirment, positivement ou par soustraction, une structure qui trace un lien entre la dimension temporelle et la réalisation de la singularité dans une originaire intersubjectivité. Le sujet a un profil insurmontable pour l’apparition de la vérité, il est décisif et en même temps, il n’est pas constitutif. Il se révèle sous sa forme définitive parce qu’il n’est pas du tout destiné à correspondre à une seule phase, fût-elle la dernière ; le temps n’est donc pas le signe d’une finitude passible d’être laissée de côté.
23La dette que Marion concède avoir envers la théologie balthasarienne peut donc servir de clé interprétative de la phénoménologie de la donation : l’angle visuel donné par la considération du poids temporel et historique dans la pensée de Balthasar conduit à envisager son rôle absolu, voire eschatologique, donc à provoquer la théorie marionienne à partir de ce même thème. C’est en raison de leur démarche commune pour une singularité réceptive, capable en même temps de conserver la place définitive de Dieu sans réduire le poids de la subjectivité, qu’on peut envisager la finitude radicale comme le point d’ancrage indépassable pour la phénoménologie.
24En effet, les considérations données à la temporalité par Balthasar [29] stimulent de façon renouvelée la pensée théorique. L’approche de la temporalité est radicale parce que sa fondation trinitaire agit de retour sur la description de la finitude singulière : le Christ, à savoir le concretissimus [30], vit son existence en assumant la temporalité commune en tant que marque de son lien d’obéissance totale au Père [31]. Par conséquent, pour l’humanité, être plongée dans une époque particulière n’est pas insignifiant, le témoignage chrétien ne se réalise pas en évitant de s’engager dans sa propre histoire [32]. L’analyse balthasarienne vise à surmonter l’alternative entre les deux extrémismes d’une réduction de l’humanité de l’homme à son simple lien horizontal au monde ou vertical à Dieu : les deux manifestent une approche simpliste et réductrice, dans laquelle le chrétien est plongé dans le monde selon une dramatique indépassable, déterminée par un rapport absolu à l’absolu dans le Christ qui se réalise seulement en s’adonnant de manière complète et singulière au monde. Cela trouve son point de repère dans la perspective d’eschatologie trinitaire qui détermine le temps comme indépassable : l’éternité n’est absolument pas une absence de temps, ni sa fin – en tant que nunc stans, il est considéré comme diabolique – mais consiste plutôt en une continuelle dilatation [33].
25Ces considérations favorisent et, en même temps, sont fondées sur des choix spéculatifs bien précis : l’obéissance à sa propre époque n’est que l’aspect visible de la structure réceptive singulière, la réponse de l’ego à ce qui détermine son surgissement est à la base de la théologie balthasarienne, qui aboutit à des considérations très fécondes du rapport de la mère à son enfant. À partir de ce lien, la subjectivité se structure, elle n’est pas déterminée dans l’instant, ni de manière solipsiste, mais elle est acquise à partir d’une réponse détendue dans le temps, de l’appel bienveillant de la mère, manifestant la positivité interlocutrice de l’être. La dimension inchoative est fondamentale pour comprendre que l’existence temporelle tout entière n’est autre que la libre réponse en tant que détermination décisive de soi à ce qui surprend et ravit [34].
Le renversement événementiel de la singularité
26Si une première lecture de la structure marionienne peine à parvenir au même avantage que celle de Balthasar par rapport au poids de la finitude temporelle, elle se montre très fructueuse en manifestant un possible renversement de ses prémisses. La saturation peut se considérer non pas à partir du dépassement de l’intentionnalité phénoménologique donnant la relevance absolue au pôle objectif, mais plutôt à partir de la recherche des conditions finies qu’elle autorise. La phénoménologie de la donation se montre marquée par une évolution interne, qui développe la centralité de la saturation jusqu’à envisager l’événementialité dans sa radicalité. Suite à l’événementialité, l’initiale tripartition de la région phénoménale en phénomènes pauvres, phénomènes de droit commun et phénomènes saturés change, pour aboutir à la conclusion qu’« un phénomène se montre d’autant plus saturé, qu’il se donne avec une plus grande événementialité [35] ».
27C’est la phénoménologie de l’événement qu’il faut questionner pour découvrir quelles ressources sont offertes pour dégager une théorie de la finitude qui trouve dans la temporalité son lieu propre et constructif. On peut bien sûr remarquer les risques d’une événementialité sans événement, c’est-à-dire d’une concentration sur l’événement qui est incapable de se confronter avec la figure finie de l’histoire et du temps des hommes en tant que tels [36]. Cependant, il est possible de montrer que certains points de la production de Marion conduisent obligatoirement à une dimension différente.
28La figure formelle de l’adonné, dépassant la réduction subjective de la corrélation à l’objet, se structure à partir de l’entrelacs de l’appel absolu et de la réponse, toujours finie. La possibilité de vérifier que la réponse dégage des traits à la fois absolus et relevant de la charge du temps apparaît comme impliquée par des aspects qui sont contenus dans les pages marioniennes, même si leur auteur n’en est pas toujours averti et n’arrive donc pas à en tirer toutes les conséquences possibles.
29L’adonné en tant que témoin trouve son paradigme à partir du phénomène paradoxal de la naissance et se développe dans le rythme temporel déterminé par la prise de parole en forme de louange dans la liturgie et le rapport amoureux [37]. Il s’agit de deux dimensions particulières où se montre une mise en valeur de la finitude temporelle et de l’effectivité concrète : l’événement demeure imprévisible et indéterminable, mais sa complète gratuité appelle à sa prise en charge créative et personnelle par la singularité.
30La structure de la naissance s’avère analogue à celle de la temporalité eschatologique à peine décrite, où l’événementialité est générative parce qu’elle implique un avenir prometteur, qui trouve dans la détermination du soi la réponse phénoménologiquement première à l’appel de l’origine, sans engendrer aucune fermeture, coupure, voire totalisation du temps. La possibilité de reconnaître ce moment inaugural en tant qu’événement plein de sens est attribuable à la décision de la première personne seulement, en tant que réponse à une origine qui ne demeure jamais tout à fait appropriable.
31La naissance n’a rien de l’instant, elle trouve son sens seulement après, quand la singularité répond à cette ouverture radicale à partir de son engagement concret dans l’histoire. Par rapport à la prise de parole en forme de louange à l’œuvre dans le sacrement et dans le lien d’amour, on peut parler de deuxième naissance parce qu’il s’agit d’une répétition toujours nouvelle, décidée à partir de ce que l’on ne peut ni gérer ni prédéterminer, qui amène le soi à être en totalité, de façon définitive, avec un lien historique à l’origine ouvrant sur son accomplissement.
32Les deux événements sont à considérer en tant que contrepoints nécessaires et conséquents de la primauté de la possibilité sur l’effectivité : l’ouverture totale de la possibilité s’enracine seulement dans la plus radicale effectivité ; est tout à fait sensée la définition par Marion de la naissance comme « impossibilité de l’impossibilité [38] », signifiant que la possibilité n’est pas du domaine de l’éventuel, mais de celui de la plus stricte nécessité, fondée sur la pure liberté caractérisant la finitude humaine.
33La naissance peut se définir comme un événement eschatologique en raison du lien qu’elle détermine entre l’origine et l’ouverture à l’accomplissement et la liturgie en tant que sa prise en charge permanente, pratique eschatologique parce qu’articulation d’un accomplissement qui n’est jamais une totalisation du temps.
34Ce renversement [39] de la phénoménologie de Marion, même s’il n’est pas évident et ne se place pas au premier plan dans ses analyses, ne définit pas la fin de l’histoire et de ses possibilités, mais y enracine les raisons pour la continuer.
Mots-clés éditeurs : théologie, singularité, eschatologie, Marion, naissance, phénoménologie, temporalité, événement, Balthasar
Date de mise en ligne : 26/04/2021
https://doi.org/10.3917/trans.157.0105Notes
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[1]
Cf. Jean-Luc Marion, La rigueur des choses. Entretiens avec Dan Arbib, Paris, Flammarion, 2012, p. 48-54 et p. 103-104.
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[2]
La réception de la pensée marionienne par la théologie est assez prudente (cf. Vincent Holzer, « Phénoménologie radicale et phénomène de révélation », Transversalités, no 70, 1999, p. 55-68 ; « La foi, ses savoirs et sa rationalité. Esquisse des débats fondamentaux en théologie catholique contemporaine », dans François Bousquet et Philippe Capelle [éd.], Dieu et la raison, Paris, Bayard, 2005, p. 247-264). Pour un jugement plus favorable, cf. Sergio Ubbiali, « L’appello assoluto all’identità soggettiva », dans Nicola Reali (éd.), L’amore tra filosofia e teologia, Città del Vaticano, Lateran University Press, 2007, p. 91-115.
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[3]
Cf. Jean-Yves Lacoste, « Du Phénomène à la Figure. Pour réintroduire à “La Gloire et la Croix” », Revue thomiste, no 86, 1986, p. 606-616 ; Jean Greisch, « D’un tournant phénoménologique de la théologie », Transversalités, no 63, 1999, p. 78-89 ; Jérôme de Gramont, « Droit au cœur de la théologie », Nunc, no 42, 2016, p. 44-45.
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[4]
« C’est à H. Urs von Balthasar que notre manière de procéder doit tout, hormis les défaillances de sa mise en œuvre » (Jean-Luc Marion, L’idole et la distance, Paris, Grasset, 1977, p. 15).
-
[5]
Cf. Ibid., § 19, La quatrième dimension, p. 294-315.
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[6]
Le rapport entre Marion et Balthasar a été mis en lumière, de préférence à partir du dispositif théorique général, par Sylvain Camilleri, « De quelques implications phénoménologiques de la notion de figure christique : Hans Urs von Balthasar et Jean-Luc Marion », Dialegesthai, no 9, 2007 ; Tinca Prunea-Bertonnet, « L’univocité de l’amour en question : J.-L. Marion lecteur de H. U. von Balthasar », dans Christian Ciocan et Anca Vasiliu (éd.), Lectures de Jean-Luc Marion, Paris, Cerf, 2016, p. 287-301.
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[7]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Apokalypse der deutschen Seele. Studien zu einer Lehre von letzten Haltungen, t. III : Die Vergöttlichung des Todes (1939), Einsiedeln, Johannes Verlag, 19982, p. 111-126 ; Jean-Luc Marion, Réduction et donation, Paris, PUF, 1989, p. 123-130.
-
[8]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Phénoménologie de la vérité. La vérité du monde, trad. Robert Givord, Paris, Beauchesne, 1952, p. 34 ; Jean-Luc Marion, L’altérité originaire de l’ego, dans Questions cartésiennes II. L’ego et Dieu, Paris, PUF, 1996, p. 13-48.
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[9]
Sur la possible comparaison de la Figure balthasarienne avec le phénomène saturé marionien, cf. Vincent Holzer, « L’unité de la christologie. La contribution du théologien Hans Urs von Balthasar à la résolution de la diastase entre “Historie” et “Geschichte” », Revue théologique de Louvain, no 46, 2015, p. 209 ; « La vérité comme Figure. L’histoire comme chair », Transversalités, no 63, 1997, p. 71.
-
[10]
Hans Urs von Balthasar, La théologique, t. II : Vérité de Dieu, trad. Béatrice Déchelotte et Camille Dumont, Namur, Culture et vérité, 1995, p. 192.
-
[11]
Ibid., p. 146. Marion ne souligne pas l’attention que Balthasar donne à son texte, sauf dans un passage autobiographique, qui cependant n’entre pas dans les considérations théoriques (cf. Jean-Luc Marion, La rigueur des choses, op. cit., p. 293).
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[12]
Jean-Luc Marion, Étant donné. Essai d’une phénoménologie de la donation (1997), Paris, PUF, 20053, p. 329.
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[13]
« Au cœur de l’esthétique a donc déjà commencé la “dramatique théologique”. Dans l’aperception, disions-nous, il y avait déjà le “ravissement” » (Hans Urs von Balthasar, La dramatique divine, t. I : Prolégomènes, trad. André Monchoux, Paris, Lethielleux, 1984, p. 13).
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[14]
Hans Urs von Balthasar, Théologie de l’histoire, trad. Robert Givord, Paris, Plon, 1960, p. 86-87. Cf. Jean-Yves Lacoste, Note sur le temps. Essai sur les raisons de la mémoire et de l’espérance, Paris, PUF, 1990, p. 78-81, qui tire des conséquences définitives par rapport à la temporalité.
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[15]
C’est Marion lui-même qui trouve dans le phénomène du Christ le centre de la théorie balthasarienne et le reconnaît comme point d’ancrage pour une phénoménologie théologique (cf. Jean-Luc Marion, « Le “phénomène du Christ” selon Hans Urs von Balthasar », Revue catholique internationale Communio, no 30, 2005, p. 77-82).
-
[16]
Hans Urs von Balthasar, La gloire et la croix. Les aspects esthétiques de la Révélation, t. 1 : Apparition, trad. Robert Givord, Paris, Aubier, 1965, p. 25.
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[17]
« La révélation de Jésus peut parfaitement s’appeler un symbole, puisque celui qui s’exprime (le Père) se reconnaît exactement dans son expression (le Fils) » (Hans Urs von Balthasar, Vérité de Dieu, op. cit., p. 299). Étant donné la multiplicité des approches de la question du symbole, il suffit de retenir ici la structure symbolique à partir de son double résultat, de lier deux dimensions différentes tout en servant la marque de leur différence, à savoir de réaliser au niveau de la singularité la structure analogique générale.
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[18]
Hans Urs von Balthasar, « Existence humaine comme Parole divine », dans La foi du Christ, Paris, Cerf, 1994, p. 163. Il s’agit d’une généralisation de ce que l’auteur exprime déjà par rapport à l’existence chrétienne : « l’être chrétien est figure. Comment ne le serait-il pas, puisqu’il est grâce, possibilité d’existence que nous ouvre ce Dieu qui nous justifie » (Hans Urs von Balthasar, Apparition, op. cit., p. 24).
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[19]
Cf. Thomas Alferi, « „…Die Unfasslichkeit der uns übersteigendzuvorkommenden Liebe Gottes…“. Von Balthasar als Orientierung für Marion », dans Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz (éd.), Jean-Luc Marion. Studien zum Werk, Dresde, Text & Dialog, 2013, p. 121.
-
[20]
Cf. Jean-Yves Lacoste, « Penser à Dieu en l’aimant. Philosophie et théologie de J.-L. Marion », Archives de philosophie, no 50, 1987, p. 245-270.
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[21]
Cf. Jean-Luc Marion, Certitudes négatives, Paris, Grasset, 2010, p. 11-28.
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[22]
Cf. Jean-Luc Marion, « Ce qui ne se dit pas – l’apophase du discours amoureux », dans Le visible et le révélé, Paris, Cerf, 2005, p. 107-129.
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[23]
Il faut remarquer les similitudes, même terminologiques, entre Karl Barth, L’Épître aux Romains, trad. Pierre Jundt, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 61.83, et Jean-Luc Marion, « La crise cruciale », dans Prolégomènes à la charité (1986), Paris, Grasset, 20184, p. 171-203.
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[24]
Jean-Luc Marion, « Une fois pour toutes », Revue catholique internationale Communio, no 249, 2017, p. 25.
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[25]
La critique qu’il pose à la théologie de Barth peut s’appliquer à la théorie de Marion aussi : « l’élément décisif en cela est que l’incarnation, qui est au cœur du christianisme, devient impossible. Là où le divin ne touche le monde que comme la tangente un cercle et où la différence qualitative infinie est réellement l’unique relation de Dieu avec le monde, il n’y a plus de vie possible du Christ, mais seulement vraiment une mort du Christ comme sens et somme de l’incarnation » (Hans Urs von Balthasar, Karl Barth. Présentation et interprétation de sa théologie, trad. Éric Iborra, Paris, Cerf, 2008, p. 118). Ces lignes sont capitales pour les analyses ici proposées si l’on considère que la théologie balthasarienne se développe justement à partir de la nécessité de dépasser l’approche barthienne, jugée en même temps décisive.
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[26]
Hans Urs von Balthasar, Dramatique divine, t. IV : Le dénouement, trad. Robert Givord et Camille Dumont, Namur, Culture et Vérité, 1993, p. 471. Il faut souligner que cette approche balthasarienne du rapport du temps à l’éternité ne concerne pas seulement la dernière phase de son travail. Il s’agit au contraire d’une réflexion présente dans son œuvre entière, dès le début.
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[27]
C’est encore une fois à Balthasar (avec Jean Daniélou et Yves Congar parmi d’autres) que l’on doit le tournant christologique du discours eschatologique au xxe siècle ; il reconnaît de façon synthétique le Christ en tant que l’eschaton absolu ; cf. Hans Urs von Balthasar, Eschatologie, trad. Yves-Claude Gélébart, dans Johannes Feiner (éd.), Questions théologiques aujourd’hui, t. II : Dogmatique, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 277-278.
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[28]
Cf. Emmanuel Gabellieri, Paradoxe, univocité, analogie, dans Philippe Capelle-Dumont (éd.), Philosophie de Jean-Luc Marion. Phénoménologie, théologie, métaphysique, Paris, Hermann, 2015, p. 31-50. L’une des raisons de la difficile préservation d’un espace pour le temps et pour la finitude dans la phénoménologie marionienne réside dans la dette heideggérienne, gardée tout au long de l’ouvrage. Cette approche, encore une fois, définit une distance par rapport à Balthasar, qui se montre bien plus averti des limites de cette philosophie (cf. Cyril o’Regan, « Hans Urs von Balthasar and the Unwelcoming of Heidegger », dans Peter M. Candler et Conor Cunningham [éd.], The Grandeur of Reason : Religion, Tradition and Universalism, Londres, SCM Press, 2010, p. 267 ; Dario Cornati, L’amore che tutto compie, Città del Vaticano, LEV, 2018, p. 93).
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[29]
Même si elle n’est pas trop mise en lumière par la critique savante – parfois trop intéressée à résoudre son esthétique de façon encore métaphysique –, il est possible de démentir les interprétations qui décrivent Balthasar refusant radicalement la modernité, cf. Massimo Imperatori, H. U. von Balthasar : una teologia drammatica della storia. Per un discernimento dialogico della modernità, Milan, Glossa, 2001, p. 537-581.
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[30]
Hans Urs von Balthasar, Karl Barth. Présentation et interprétation de sa théologie, op. cit., p. 287.
-
[31]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Théologie de l’histoire, op. cit., p. 65.
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[32]
« La révélation de Jésus-Christ contient surabondamment la vérité pour chaque époque, donc aussi pour la nôtre. Mais elle ne la contient pas de telle sorte qu’elle tomberait dans les bras des croyants sans qu’ils s’approprient par la réflexion le don de vérité reçu. Il serait indigne aussi bien de la grâce que de l’homme, qu’il en soit autrement » (Hans Urs von Balthasar, Dieu et l’homme d’aujourd’hui, trad. Robert Givord, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 256).
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[33]
Cf. Hans Urs von Balthasar, Endliche Zeit innerhalb ewiger Zeit, dans Homo creatus est. Skizzen zur Theologie V, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1986, p. 43 ; Eschatologie in unserer Zeit, op. cit., p. 51.
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[34]
Cf. Hans Urs von Balthasar, La Dramatique divine, t. III : L’action, trad. Robert Givord et Camille Dumont, Namur, Culture et Vérité, 1990, p. 368.
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[35]
Jean-Luc Marion, Certitudes négatives, op. cit., p. 301. Ce n’est pas sans raisons que le développement de la structure événementielle correspond à la mise en lumière de plus en plus précise du trait herméneutique de la phénoménologie (cf. Jean-Luc Marion, La donation en son herméneutique, dans Reprise du donné, Paris, PUF, 2016, p. 59-97).
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[36]
Cf. Marlène Zarader, « L’événement entre phénoménologie et histoire », Tijdschrift voor Filosofie, no 66, 2004, p. 298.
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[37]
Je me permets de renvoyer à l’approfondissement que j’ai offert dans Francesca Peruzzotti, L’événement critique. La phénoménologie de Jean-Luc Marion entre apocalyptique et eschatologie, dans Andrea Bellantone et Alice de Rochechouart (éd.), Le motif eschatologique dans la pensée contemporaine, Toulouse, Presses universitaires de Toulouse, à paraître (2021), et « Donation, gratuité, louange. La possibilité d’un rapport libre à Dieu dans la philosophie de Jean-Luc Marion », Revista portuguesa de Filosofia, no 76, 2020, p. 761-788, par rapport à la fois à l’événement de la naissance et à celui de la louange.
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[38]
Jean-Luc Marion, Le phénomène érotique. Six méditations, Paris, Grasset, 2003, p. 322.
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[39]
Si la phénoménologie de Marion a proposé un renversement de celle de Husserl en raison de la primauté absolue de la saturation sur la signification, elle est toutefois marquée par un manque de concrétude (cf. Carla Canullo, La fenomenologia rovesciata. Percorsi tentati in Jean-Luc Marion, Michel Henry e Jean-Louis Chrétien, Rosenberg & Sellier, Turin 2004, p. 305). Il s’agit maintenant de vérifier que la phénoménologie de la donation elle-même possède des ressources, comme la description de la naissance ou du discours liturgique et érotique qui demeurent en arrière-plan, mais qui peuvent viser à gagner à nouveau l’effectivité, sans perdre l’universalité de la possibilité phénoménologique.