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Article de revue

La phénoménologie est-elle une théologie ? Jan Patočka entre le tournant théologique et la tâche de penser

Pages 87 à 111

Notes

  • [1]
    Cet essai a été rédigé avec le soutien financier du Fonds scientifique autrichien (FWF) pour le projet « Revenge of the Sacred : Phenomenology and the Ends of Christianity in Europe » [P 31919]. L’auteur remercie tout particulièrement Natalie Eder pour la traduction de son texte.
  • [2]
    Edmund Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie, La Haye, Martinus Nijhoff, 1976, p. 124-125.
  • [3]
    Martin Heidegger, « Nur noch ein Gott kann uns retten », Der Spiegel, 30e année, 31 mai 1976, p. 193-219.
  • [4]
    Laszlo Tengelyi, « On the Border of Phenomenology and Theology », dans Jonna Bornemark and Hans Ruin (éd.), Phenomenology and Religion : New Frontiers, Stockholm, Södertörn University Library, 2010, p. 21 [trad. N.E.].
  • [5]
    Dominique Janicaud, La phénoménologie éclatée, Paris, Éditions de l’Éclat, 1998, p. 43.
  • [6]
    Jan Patočka, « Teologie a filozofie », dans Sebrané spisy (Œuvres complètes, notées par la suite SS) 1, p. 15-21, ici p. 19 [trad. N.E.].
  • [7]
    « La phénoménologie est un mode de philosopher qui ne prend pas pour prémisses des thèses toutes faites, mais qui garde plutôt toutes les prémisses à sa portée […] La phénoménologie examine le contenu empirique de ces thèses ; dans toute pensée abstraite, elle cherche à découvrir ce qui s’y cache, comment nous y parvenons, et quelle réalité vue et vécue l’appuie. Nous découvrons quelque chose qui est là depuis le début, quelque chose que nous avions pressenti, aperçu du coin de l’œil, mais que nous ne connaissions pas entièrement, quelque chose qui “n’avait pas été conçu”. Phénomène – ce qui se présente ; logos – discours significatif » (Jan Patočka, Body, Community, Language, World, trad. Erazim Kohák, Chicago [Ill.], Open Court, 1998, p. 3 [trad. N.E.]).
  • [8]
    Jeffrey Bloechl, « Eschatology, Liturgy, and the Task of Thinking », dans Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, Charlottesville, University of Virginia Press, 2014, p. vi-xxviii, ici p. vii.
  • [9]
    SS 1, p. 15-21.
  • [10]
    SS 1, p. 17.
  • [11]
    SS 1, p. 18.
  • [12]
    SS 1, p. 18 [trad. N.E.].
  • [13]
    SS 1, p. 19 [trad. N.E.].
  • [14]
    Curieusement, les deux cours furent présentés dans des facultés de théologie protestante. Martin Heidegger, « Phenomenology and Theology », dans Pathmarks, éd. par William McNeill, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 39-62.
  • [15]
    Ibid., p. 41.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., p. 45 [trad. N.E.].
  • [18]
    Ibid., p. 50 [trad. N.E.].
  • [19]
    Ibid., p. 48-49.
  • [20]
    Ibid., p. 53 [trad. N.E.].
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Ibid., p. 52.
  • [23]
    Matheson Russell, « Phenomenology and Theology : Situating Heidegger’s Philosophy of Religion », Sophia, vol. 50, 2011, p. 641-655.
  • [24]
    Ibid., p. 642-643.
  • [25]
    Martin Heidegger, « The Onto-theo-logical Structure of Metaphysics », dans Identity and Difference, trad. Joan Stambaugh, New York (N.Y.), Harper and Row, 1969, p. 42-74.
  • [26]
    Matheson Russell, « Phenomenology and Theology », art. cité, p. 652.
  • [27]
    Martin Heidegger, « Phenomenology and Theology », art. cité, p. 46 [trad. N.E.].
  • [28]
    Judith Wolfe, Heidegger and Theology, Londres, Bloomsbury, 2014, p. 61 et suiv.
  • [29]
    Benjamin Crowe, Heidegger’s Religious Origins : Destruction and Authenticity, Bloomington (Ind.), Indiana University Press, 2006, p. 37-43.
  • [30]
    Martin Heidegger, Unterwegs zur Sprache, Pfullingen, Gunther Neske, 1959, p. 96 (traduit à partir de Benjamin Crowe, Heidegger’s Religious Origins, op. cit., p. 15).
  • [31]
    Le contexte historique concernant la (non-)publication de l’essai de Heidegger est expliqué dans Adrian Peperzak, « A Re-Reading of Heidegger’s “Phenomenology and theology” », dans Babette Babich et Dimitri Ginev (éd.), The Multidimensionality of Hermeneutic Phenomenology, Heidelberg, Springer, 2014, p. 317-338, ici p. 317-318.
  • [32]
    Cf. Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, dans La phénoménologie dans tous ses états, Paris, Gallimard, 2009.
  • [33]
    Ibid., p. 53.
  • [34]
    Ibid., p. 48 et suiv.
  • [35]
    Ibid., p. 54
  • [36]
    « Ce rappel du cheminement énigmatique de Heidegger peut sembler nous éloigner de la question du tournant théologique. Il nous place, au contraire, au croisement où tout se décide : au point de rupture entre un projet phénoménologique positif et le déplacement de son “possible” vers l’originaire » (Ibid., p. 58-59).
  • [37]
    Ibid., p. 85-86
  • [38]
    Ibid., p. 89
  • [39]
    Ibid., p. 90. Il est intéressant de souligner que Patočka serait d’accord avec cette affirmation sur le rapport de Husserl à la métaphysique. En revanche, il évalue son inclination de manière plutôt critique : « Malheureusement, il faut dire que la métaphysique phénoménologique que Husserl nous présente comme résultat et fondement de sa description analytique du monde est au bout du compte décevante » (Jan Patočka, « La philosophie de la crise des sciences d’après E. Husserl et sa conception d’une phénoménologie du “monde de la vie” », dans Le monde naturel et le mouvement de l’existence humaine, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 227-242, ici p. 237-238).
  • [40]
    Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, op. cit., p. 127.
  • [41]
    Edmund Husserl, « Philosophie als strenge Wissenschaft », dans Aufsätze und Vorträge (1911-1921), éd. par Hans Rainer Sepp et Thomas Nenon, Dordrecht, Kluwer, 1986, p. 3-62.
  • [42]
    « La part polémique de ce petit livre n’est nullement dirigée contre le souci théologique comme tel » (Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, op. cit., p. 63).
  • [43]
    Ibid., p. 145.
  • [44]
    Ibid., p. 149.
  • [45]
    SS 1, 20 [trad. N.E.].
  • [46]
    John Caputo, Philosophy and Theology, Nashville (Tenn.), Abingdon Press, 2006, p. 33.
  • [47]
    Jean-Yves Lacoste, « Philosophy », dans Id. (éd.), Encyclopedia of Christian Theology, vol. 3, New York (N.Y.), Routledge, 2005, p. 1234-1242.
  • [48]
    Jan Patočka, « Remarques sur la position de la philosophie dans et en dehors du monde », dans Liberté et sacrifice. Écrits politiques, trad. Erika Abrams, Grenoble, Jérôme Millon, 1990, p. 13-25, ici p. 18.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    Ibid., p. 19.
  • [51]
    Jan Patočka, « Kapitoly ze současné filosofie », dans SS 1, p. 85-100, ici p. 87 [trad. N.E.].
  • [52]
    SS 1, p. 92 [trad. N.E.].
  • [53]
    Jan Patočka, « K dopisu Timotheovu », dans SS 1, p. 126-130.
  • [54]
    SS 1, p. 128 [trad. N.E.].
  • [55]
    Josef Lukl Hromádka (1889-1969), qui fait partie d’une poignée d’érudits tchèques à être reconnu à l’étranger, fut l’élève de Karl Barth et le théologien protestant le plus important de son époque.
  • [56]
    Jan Patočka, “J.L. Hromádka a filosofie”, dans SS 12, p. 127-135, ici p. 130 [trad. N.E.].
  • [57]
    SS 12, p. 129.
  • [58]
    SS 12, p. 131 [trad. N.E.].
  • [59]
    SS 12, p. 134 [trad. N.E.].
  • [60]
    Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, op. cit.
  • [61]
    Ibid., p. 68.
  • [62]
    Ibid., p. 70.
  • [63]
    SS 1, p. 92.
  • [64]
    SS 1, p. 100.
  • [65]
    Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, op. cit., p. 78.
  • [66]
    Ibid., p. 80.
  • [67]
    Jan Patočka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, trad. Erika Abrams, Lagrasse, Édition Verdier, 1990, p. 173.
  • [68]
    Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, op. cit., p. 82 et suiv.
  • [69]
    Ibid., p. 85.
  • [70]
    Ibid., p. 3-10.
  • [71]
    Lettre à Josef B. Souček datée du 8 août 1944 (Vienne, Patočka Archive).
  • [72]
    Jan Patočka, « Mezinárodní filosofická konference tomistická », dans SS 12, p. 463-467.
  • [73]
    Emmanuel Falque, Passer le Rubicon. Philosophie et théologie : essai sur les frontières, Paris, Lessius, 2013.
  • [74]
    Emmanuel Falque, « Philosophie et théologie. Nouvelles frontières », Études, t. 404, no 2, p. 201-210, ici p. 206.

1Comment comprendre la relation entre la philosophie et la théologie ? La philosophie est-elle simplement la servante de la théologie ou est-elle plutôt une théologie exempte [1] de superstition et d’idées irrationnelles telles que la révélation ? La phénoménologie a eu peu à dire à cet égard. L’opposition ferme à tout intermariage entre les deux disciplines était présente depuis Husserl : l’athéisme méthodologique fait certainement partie de ses axiomes [2]. Heidegger ne s’écarte pas de cette position et distingue clairement la philosophie de la science positive qu’est la théologie. Malgré la déclaration souvent citée de Heidegger de son entretien avec Der Spiegel à la fin de sa vie professionnelle selon laquelle « seul un dieu peut encore nous sauver [3] », la distance entre la philosophie et la théologie demeure un précepte pour le philosophe allemand. Cela n’empêche toutefois pas les théologiens de lire et d’interpréter la phénoménologie, particulièrement celle de Heidegger, depuis leur perspective propre. La théologie n’a jamais hésité à lire et à faire usage de la philosophie au profit d’arguments théologiques. Nous pouvons donc supposer que la réponse à la question avec laquelle nous avons ouvert cet essai dépend du point de vue que l’on prend.

2Cependant, plus récemment, la phénoménologie a connu un tournant significatif. Les questions religieuses et théologiques chrétiennes sont devenues un domaine d’intérêt crucial pour ceux que l’on appelle les « nouveaux phénoménologues » : Emmanuel Levinas, Jean-Luc Marion, Michel Henry et Jean-Louis Chrétien ont tous produit des œuvres d’une pertinence théologique considérable. Ce qui est le plus important dans leur intérêt pour la théologie, c’est qu’il est délibéré et explicite. En tant que telle, la signification de la théologie dans ces œuvres s’écarte considérablement de l’approche traditionnelle précisément de par leur point de vue phénoménologique : « Il s’agit d’une signification radicalement nouvelle de la théologie – une signification rendue perceptible uniquement par la phénoménologie », dit Laszlo Tengelyi [4]. Bien que le tournant théologique ne soit pas accepté par tous les phénoménologues, l’intérêt pour la pensée théologique est incontestablement une composante de la philosophie phénoménologique qui progresse rapidement.

3Dominique Janicaud, par exemple, considère le tournant théologique comme un développement irrégulier qui enfreint les principes de base de la phénoménologie, à savoir les limites du phénomène. Pour Janicaud, la phénoménologie et la théologie ne peuvent être considérées comme une même discipline unifiable ; elles « font deux [5] ». Le passage de l’apparent à l’inapparent ne respecte ni la tradition ni la méthode phénoménologique. Paradoxalement, on peut dire la même chose depuis un point de vue théologique. La pensée peu orthodoxe du tournant théologique conteste la conception métaphysique de la transcendance, de Dieu, de la foi et d’autres enjeux. Pourtant les débats actuels sur la relation entre la théologie et la philosophie sont largement influencés par le discours du tournant théologique de la phénoménologie (française).

4Jan Patočka se situe quelque part au milieu, c’est-à-dire entre Husserl/Heidegger et le tournant théologique. Au début de sa carrière, Patočka suit la voie traditionnelle et ferme résolument la porte à la théologie : « Le philosophe n’aide jamais le théologien [6]. » Il se meut entièrement à l’intérieur de la sphère de l’immanence et son intérêt principal porte sur ce qui apparaît : les phénomènes [7]. Cependant, il étoffe aussi la tradition phénoménologique afin de libérer la pensée de l’influence de la métaphysique, se rapprochant ainsi de penseurs de la nouvelle phénoménologie orientée vers la théologie. Par conséquent, tout en faisant preuve d’une aversion traditionnelle et méthodologique envers la théologie, ses propres (ré)interprétations de la phénoménologie conduisent Patočka en direction du tournant théologique.

5Jeffrey Bloechl a affirmé récemment que la phénoménologie « se présente comme une nouvelle ancilla theologiae[8] ». Il est très probable que Patočka serait en désaccord avec une telle affirmation et défendrait sans relâche la spécificité de la philosophie par rapport à la théologie. Cependant, une lecture plus attentive révèle que sa phénoménologie n’est pas entièrement étrangère à la théologie et peut même être considérée comme proche des structures de la pensée théologico-religieuse qui se sont à nouveau frayé un chemin jusque dans le discours philosophique. Voilà pourquoi la philosophie de Patočka semble bien mériter d’être abordée depuis un point de vue théologique. Bien qu’il ne se soit pas explicitement fixé pour tâche de renouveler la théologie, ses réflexions sur la frontière entre les deux disciplines ne sont pas nécessairement contraires à la théologie. Au contraire, Patočka nous incite à réfléchir de manière théologique à la question de savoir si la philosophie et la théologie sont deux disciplines distinctes.

6Dans le cadre de cette hypothèse, cet essai se propose de suivre deux fils conducteurs entrelacés : le rapport entre la théologie et la philosophie chez Patočka, et une évaluation du discours théologique dans la phénoménologie contemporaine. Dans un premier temps, je présenterai la critique de Patočka du détournement théologique de la philosophie. Très tôt, il est de l’avis que le manque de rapport entre les deux disciplines est évident. Afin de clarifier cette position, je discuterai également les œuvres de Martin Heidegger et de Dominique Janicaud et soulèverai des questions concernant les positions fondamentales de Patočka sur la tâche de la philosophie. J’examinerai de près certains essais de Patočka qui éclairent sa compréhension de l’entreprise philosophique, notamment « Remarques sur la position de la philosophie dans et en dehors du monde » (1934) et « Chapitres de philosophie contemporaine » (1936). Je défendrai également que la préoccupation de Patočka pour sa propre discipline remet paradoxalement en cause son point de vue initial concernant la théologie. Finalement, je montrerai que la position de Patočka sur le rapport entre la théologie et la philosophie non seulement se développe avec le temps mais conteste aussi certaines positions actuelles et ouvre la voie à une compréhension entièrement nouvelle du rapport entre ces deux modes de pensée.

La théologie et la philosophie sont-elles deux choses différentes ?

7Il est significatif que Patočka commence sa carrière par un ouvrage qui aborde explicitement le rapport entre théologie et philosophie. Cet essai, simplement intitulé « Théologie et philosophie » (1929) révèle l’esprit combatif d’un jeune intellectuel enthousiaste qui refuse tout mélange des deux disciplines [9]. Il faut protéger le raisonnement philosophique du réductionnisme prétentieux et de l’impérialisme injustifié exercés par la théologie. En d’autres termes, Patočka entend réfuter l’affirmation selon laquelle la philosophie n’est que la servante de la sacra doctrina et insiste sur le fait qu’il s’agit plutôt d’une voix critique autonome. Qu’est-ce donc qui sépare ces deux disciplines ? L’argument principal de Patočka contre le brouillage des frontières entre les deux est méthodologique : la philosophie cherche la vérité tandis que la théologie la reçoit ; contrairement à la théologie, la philosophie ne postule pas sa vérité à partir d’une révélation. Pour le philosophe, la vérité est toujours discutable et douteuse ; elle n’est jamais simplement donnée comme elle l’est pour le théologien.

8Patočka décrit la méthode philosophique comme une combinaison de trois aspects : (1) l’aspect descriptif, (2) l’aspect critique et (3) l’aspect constructif ou métaphysique [10]. Le premier aspect s’applique à l’expérience sensuelle immédiate : les phénomènes apparaissent et sont traités. Le second aspect développe le premier : il suppose le phénomène de l’expérience même et soulève la question de la manière dont les phénomènes apparaissent. Enfin, dans le cadre du troisième aspect, la philosophie formule des hypothèses sur le monde en tant que totalité qui se manifeste dans l’expérience. Patočka dit clairement que l’interprétation des phénomènes est plus que l’analyse de l’expérience. Bien que la philosophie ne puisse procéder sans la connaissance acquise auprès de l’expérience historique concrète, son objectif est de transcender l’empirie afin de formuler des affirmations holistiques sur le sens, la vérité, le bien et le monde ; sur la totalité. Dans l’ensemble, la philosophie représente un acte de pensée tridimensionnel qui poursuit continuellement la sagesse qui, elle, échappe constamment à la pleine possession puisque de nouveaux phénomènes apparaissent.

9La théologie est différente. Patočka illustre l’écart entre la philosophie et la théologie en donnant l’exemple des différentes approches de l’idée de Dieu [11]. Philosophiquement, Dieu peut certainement être traité comme un phénomène de l’expérience. L’idée d’une transcendance personnalisée a occupé l’esprit humain de tout temps. Comme dans la phase critique, Dieu sert de postulat à la pensée rationnelle. L’idée de Dieu en tant que telle fournit une explication pour l’expérience même. En fin de compte, le raisonnement philosophique peut accepter Dieu soit comme le fondement – la base – soit comme le principe premier – au-delà de tout – qui fonde le tout. Bien que Patočka ait des difficultés à admettre la présence de Dieu dans le discours philosophique tout court, la référence à Dieu est philosophiquement plausible dans la mesure où l’idée de Dieu est utilisée comme un concept :

10

Le Dieu des philosophes est entièrement différent du Dieu des théologiens. Notre Dieu est une hypothèse, un donné et un objet. Le Dieu des théologiens parle, donne des ordres et commande ce que l’on doit croire sans donner les raisons d’une telle croyance [12].

11Le philosophe ne peut accepter qu’un Dieu silencieux. Lorsque Dieu devient un principe noétique, la philosophie trahit sa vocation et se transforme en quasi-théologie travestie. En revanche, pour le théologien, Dieu agit comme principe noétique de manière tout à fait légitime. Curieusement, Patočka associe la notion de « principe noétique » à Dieu comme si elle était compréhensible par elle-même et ne nécessitait pas d’explications supplémentaires. Selon Patočka, il est interdit au philosophe de raisonner sous l’angle de la foi, c’est-à-dire en partant du présupposé appréhendant Dieu et sa révélation comme le principe fondamental et téléologique de la connaissance. Il en résulterait l’adoption, contraire aux règles philosophiques, d’une sorte de prétention théologique à la philosophie. J’assume par conséquent que Patočka utilise ce terme pour des conceptions qui considèrent Dieu comme possédant des réponses avant même que des questions aient été posées. Dans ce sens, la tâche des théologiens serait de dévoiler ces réponses et de les rendre visibles. De ce fait, la philosophie ne peut jamais appuyer la théologie puisque le travail de la pensée philosophique doit commencer à partir de la perspective du monde, c’est-à-dire à partir de la situation de l’être-au-monde.

12Selon Patočka, la théologie éclaircit ce monde ici-bas plein d’incertitudes tout en recevant un certain degré de connaissances du ciel au-delà. Dieu y joue le rôle de possesseur et donneur de vérité. La théologie représente la vérité trop rapidement et fournit des réponses avant même qu’une question soit posée. Le dilemme est résolu pour nous mais sans nous. Pour cette raison, Patočka affirme que le philosophe ne peut venir en aide au théologien. La philosophie n’est pas la servante de la théologie ; la philosophie et la théologie doivent rester des disciplines distinctes.

13À sa déclaration selon laquelle « le philosophe sait qu’il doit parcourir la terre éternellement », Patočka ajoute une question : « Mais qu’est-ce que la terre ? Il se peut que ses sommets touchent les étoiles. Il se peut que ses abîmes contiennent le mystère le plus profond [13]. » Cet énoncé est clair et net. La philosophie dévoile continuellement de nouveaux problèmes, de nouvelles questions. Les réponses se formulent toujours à l’aide de phrases nouvelles et inhabituelles que nous espérons être sans contradictions. De ce fait, la philosophie n’atteint jamais son objectif ultime. Une question qu’il faut poser est celle de savoir si Patočka exclut toute possibilité d’un mutuel enrichissement de la philosophie et de la théologie. Une question supplémentaire suggère que la philosophie n’est aucunement enfermée dans l’humain, trop humain nietzschéen. Bien au contraire : la philosophie se focalise sur un nombre de questions qui chevauchent la théologie. En revanche, les questions portant sur « les étoiles au-delà » et « le mystère le plus profond » à l’intérieur y sont abordées à partir de points de vue différents. Mais qu’est-ce qui a influencé le point de vue critique du jeune Patočka concernant l’incommensurabilité de la philosophie et de la théologie ?

De Heidegger à Patočka

14Dans un argument qu’il développe dans son cours « Phénoménologie et théologie », prononcé d’abord à Tübingen (1927) et ensuite une seconde fois à Marburg (1928), Heidegger maintient que la théologie est une science positive [14]. Il est largement admis que cet essai contient la discussion la plus détaillée du rapport entre théologie et philosophie chez Heidegger.

15Heidegger présente le rapport entre la théologie et la philosophie comme relevant de deux différents types de science : la science ontique et la science ontologique [15]. Les sciences ontiques examinent des étants, des objets, des choses. Elles s’intéressent à des étants donnés. En tant que telles, les sciences ontiques ont un contenu positif (positum), ce qui, selon Heidegger, en fait des sciences positives. La science ontologique, en revanche, porte sur l’être en tant que tel [16]. Elle passe de l’être des étants (Seiendes) à l’être (Sein). Heidegger soutient que la seule science apte à remplir cette tâche est la philosophie (comme il s’agit là de son propre domaine, cela ne surprend pas). Autrement dit, Heidegger ne formule pas le rapport entre théologie et philosophie en terme d’accord ou de désaccord entre foi et raison. La question est méthodologique : quel est le rapport entre la rationalité théologique et la rationalité philosophique ?

16De ce point de vue, la théologie tombe nécessairement dans la catégorie de la science positive. Mais quel est le positum de la théologie ? Quel être est donné selon la théologie ? À ces questions Heidegger répond de la manière suivante :

17

Supposant que la théologie est enjointe sur base de la foi, par la foi et pour la foi, et supposant que la science est divulgation et objectivation conceptuelles librement réalisées, la théologie se constitue à partir du discours sur la foi et sur ce qui est divulgué par la foi, ce qui est « révélé » [17].

18Heidegger attire notre attention sur le fait que la théologie est une forme de connaissance conceptuelle portant sur la révélation acceptée dans la foi : « Toute connaissance théologique se fonde sur la foi elle-même, provient de la foi et retourne à la foi[18]. » Cela laisse entendre que la théologie dispose d’un contenu positif donné par l’agent externe appelé Dieu. Il importait peu à Heidegger de savoir si une telle révélation avait réellement eu lieu au cours de l’histoire. Ce qui importe est l’idée de croire et donc de participer à l’événement révélé du christianisme. En même temps, le caractère scientifique de la théologie doit être éclairci. Heidegger remarque que la théologie n’est pas la connaissance objective de Dieu. Il ne s’agit ni d’une étude de la relation entre les êtres humains et Dieu ni d’une analyse de l’expérience religieuse. La théologie en tant que science positive est une investigation conceptuelle de l’existence chrétienne [19]. En ce sens, la théologie ne peut être comparée aux sciences naturelles positives, bien qu’elle reste une science ontique des êtres et doive donc être distinguée de la philosophie en tant que science de l’être. L’objectif ultime de la théologie, contrairement à celui de la philosophie, est de cultiver la foi reçue par révélation. La philosophie, en revanche, et ici Heidegger veut dire la phénoménologie, ne se fonde sur rien de constitutif. Pour le philosophe, il n’y a pas de scénario à suivre. Son seul souci est la question de l’être.

19Après avoir affirmé que la théologie est une science positive distincte des autres sciences ontiques, Heidegger en arrive à la question centrale de son cours de 1927-1928. Quel est le rapport entre la théologie – une science positive – et la philosophie ? Au premier abord, la position de Heidegger semble résolument négative : « Comme telle, la philosophie chrétienne n’existe pas ; il s’agit là d’un “cercle” absolument “carré” [20]. » La foi n’a pas besoin de la philosophie. De l’autre côté, la théologie en tant que science positive de la foi a besoin de la philosophie en tant que « correctif ontologique de l’ontique [21] ». Cela signifie que, afin de rester scientifique et autonome, la théologie utilise des concepts philosophiques qui précèdent les notions tirées de la foi – la foi étant considérée comme un mode d’existence dans et de compréhension du monde. Heidegger explique cela à l’aide de l’exemple de la culpabilité et du péché [22]. La culpabilité est une notion ontologique préchrétienne qui précède le concept chrétien du péché qui n’a de sens que dans le contexte de la foi. La théologie trouve manifestement la philosophie utile mais elle n’est pas de la philosophie, Heidegger insiste. La science de l’être est entièrement autonome et dépourvue de foi – et de tout autre positum. Par conséquent, Heidegger incite les philosophes à accepter l’athéisme méthodologique et à ne pas compromettre la phénoménologie par la foi.

20Malgré la distinction claire et nette entre la philosophie et la théologie présentée dans le cours de Heidegger, il semble toujours possible de soutenir que le clivage entre la phénoménologie et la théologie n’est pas infranchissable. Matheson Russell, par exemple, nous rappelle que les premières œuvres de Heidegger proposent une analyse phénoménologique de la foi [23], une foi que Heidegger décrit comme prenant deux formes : (1) celle de l’onto-théologie et (2) la foi au sens du christianisme initial ou primitif [24]. L’onto-théologie conceptualise Dieu et sa révélation comme le contenu positif du christianisme. Dieu est présent en tant qu’être suprême (causa sui) qui fonde l’être de tout. Inversement, l’être se rapporte à l’être suprême et déduit sa signification du fondement de l’être. Voilà ce que Heidegger appellera plus tard la constitution onto-théo-logique de la métaphysique [25]. Pour la théologie, le résultat en est une foi métaphysique théiste qui (ab) use du raisonnement philosophique en vue de sa propre apologétique. Le philosophe se doit de protester contre cette idée fausse.

21En dehors de l’onto-théologie qui est devenue le courant dominant de la foi chrétienne, Heidegger accentue une conception alternative qu’il considère comme étant scripturale et donc plus authentique. La référence à saint Paul – qui qualifie la philosophie de folie – et à la lignée de pensée ultérieure chez Augustin, Luther et Kierkegaard en est une illustration. Ce que Heidegger trouve chez ces figures peut être décrit comme le passage de Dieu en tant qu’objet de la foi à la foi elle-même. Cette théologie de la foi est consciente de la charge onto-théologique du christianisme. Dans cette optique, Heidegger établit une frontière entre la théologie et la philosophie. La revendication de l’émancipation totale de la philosophie par rapport à la théologie doit être comprise dans le contexte de ses arguments contre le Dieu de l’onto-théologie, ce qui se reflète clairement dans son texte ultérieur « Phénoménologie et théologie [26] ». Cependant, ce qui vaut pour la science théologique positive ne vaut pas nécessairement pour la théologie dans sa totalité.

22

De la même manière, la transparence théologique et l’interprétation conceptuelle de la foi ne peuvent fonder ni garantir la légitimité de la foi, ni ne peuvent rendre plus facile d’accepter la foi et de rester constant en elle. La théologie peut rendre la foi plus difficile, c’est-à dire rendre plus certain que la fidélité ne peut être obtenue à travers la science de la théologie mais uniquement à travers la foi [27].

23Il est vrai que l’on peut affirmer que l’intérêt de Heidegger est purement phénoménologique et intrinsèquement non théologique. Cependant, sa série de conférences sur la Phénoménologie de la vie religieuse (1920-1921) et l’innovant Être et Temps (1926) ont constamment recours à des sujets théologiques [28]. Dans Phénoménologie de la vie religieuse, Heidegger esquisse l’expérience fondamentale de la vie humaine. La tâche de la philosophie et de la phénoménologie en particulier consiste à cultiver cette expérience. Il est intéressant que Heidegger s’inspire du mode de vie chrétien qui protège d’un certain type de manipulation théologique qu’il appelle la science positive de Dieu. La critique de Heidegger suppose-t-elle une interdiction totale de la théologie ? Il semble plutôt que la destruction (Destruktion) de la théologie positive ouvre la voie à re-penser à la fois la théologie et la philosophie. Plus tard nous verrons comment la contribution de Patočka peut être utile à cet égard. Aux yeux de Heidegger, la seule théologie crédible est celle qui tient compte du caractère concret et de la facticité de l’humain dans le monde [29]. En d’autres termes, la théologie authentique n’est pas la science de Dieu et de la foi mais le combat pour une existence quotidienne authentique. Par conséquent, la cible de la critique de Heidegger est incontestablement une théologie qui pose la foi et la transforme en un contenu statique à croire, c’est-à-dire adopté par la connaissance. Cependant cette critique n’exclut pas un autre mode de théologie qui, lui, préserve l’événement de la foi. Et comme Heidegger l’a proclamé étonnamment : « Sans cette origine théologique je n’en serais jamais arrivé à ce chemin de pensée [30]. »

24Il est peu probable qu’en écrivant son essai « Théologie et philosophie » Patočka s’appuyait directement sur « Phénoménologie et théologie » de Heidegger. Les preuves suggèrent que le texte de Heidegger fut publié seulement en 1969 [31] ; Patočka n’a rencontré Heidegger qu’en 1933 pendant ses études à Fribourg.

25Malgré l’absence d’influence directe, Patočka pourrait avoir connu les premiers textes dans lesquels Heidegger développe sa critique de l’onto-théologie. Bien que Patočka ne cite pas Heidegger dans sa polémique contre la théologie, il semble raisonnable d’en conclure que la position de Heidegger est à situer dans le contexte de la critique de Patočka. « Phénoménologie et théologie » de Heidegger et « Théologie et philosophie » de Patočka s’accordent sur leur point principal : que le rapport entre ces deux disciplines est un rapport de confrontation, de conflit et de polémique fructueuse. La théologie et la philosophie constituent effectivement des domaines distincts et c’est la phénoménologie qui établit la frontière entre les deux.

Tournants contre-théologiques

26Dominique Janicaud fut l’auteur et le défenseur infatigable de l’affirmation selon laquelle la théologie et la phénoménologie font deux. Janicaud développe sa position dans un rapport critique sur le développement de la phénoménologie française présenté initialement au Collège international de philosophie à Paris et publié par la suite sous le titre Le tournant théologique de la phénoménologie française (1991) [32]. Janicaud vise particulièrement Emmanuel Levinas, Jean-Luc Marion, Jean-Louis Chrétien et Michel Henry qu’il appelle péjorativement les « nouveaux phénoménologues » et qu’il accuse d’avoir ouvert la phénoménologie à la théologie et donc d’avoir commis une erreur fatale qui a transformé l’ensemble de la pensée phénoménologique.

27Janicaud dénonce la nouvelle phénoménologie pour ce tournant des apparences à l’inapparent, de l’intentionnalité au donné, de l’immanent au transcendant. Le projet initial de la phénoménologie comprise comme la description de phénomènes et de leur essence est remplacée par une enquête sur l’essence de la phénoménalité. Aux yeux de Janicaud, ce développement, cet abandon de la réduction phénoménologique et de la connaissance eidétique est une hérésie à l’encontre de la conception husserlienne de la phénoménologie.

28Pour parler avec le vocabulaire de Patočka : la pureté de la méthode phénoménologique dépend de ce que la philosophie reste « sur terre ». Ou, comme l’explique Janicaud dans sa revue des origines du débat français sur le tournant théologique de la phénoménologie, « entre l’affirmation inconditionnelle de la Transcendance et la patiente interrogation du visible, l’incompatibilité éclate ; il faut choisir [33] ». Par conséquent, on peut distinguer deux voies au sein de la phénoménologie : celle de « l’entrelacs » et celle de « l’aplomb [34] ». L’entrelacs, représenté par Merleau-Ponty et Paul Ricœur, est fidèle aux principes immanents de la phénoménologie et se situe donc pleinement dans le domaine de compétence de la phénoménologie. Bien que Merleau-Ponty, par exemple, introduise le thème de l’invisibilité dans la recherche phénoménologique, il n’a jamais séparé l’invisible du visible, c’est-à-dire des phénomènes. Bref, le visible et l’invisible s’entrelacent. L’aplomb, en revanche, admet une invisibilité absolue et, dans ce sens, un désir non phénoménologique, métaphysique.

29

Les dés sont pipés, les choix sont faits, la foi se dresse majestueuse à l’arrière-plan. Le lecteur, confronté au tranchant de l’absolu, se retrouve dans la position d’un catéchumène qui n’a plus d’autre choix que de se pénétrer des paroles saintes et des dogmes altiers [35].

30La nouvelle phénoménologie et son tournant théologique pourraient être définis comme l’introduction du souverain Autre dans la philosophie phénoménologique. Selon Janicaud, toutes les figures majeures, à commencer par Levinas, en passant par Henry et jusqu’à Marion, succombent à cette tentation. Leur intérêt n’est pas purement philosophique mais quasi théologique. Par exemple, l’exploration de l’Autre chez Levinas – bien qu’il prétende distinguer ses interprétations talmudiques (théologie) de ses textes philosophiques (phénoménologie) – s’inspire indubitablement du Dieu de la tradition biblique. Janicaud fait remarquer que de cette manière la thématique théologique est réexaminée de manière abrupte dans le domaine de la phénoménologie et, par conséquent, efface le travail de la pensée philosophique. Janicaud semble formuler sa critique d’une manière analogue à celle de Patočka. L’idée de Dieu/l’Autre/la Transcendance émerge majestueusement mais illégitimement comme un principe noétique de la nouvelle phénoménologie. Il est intéressant de noter que les voies de Janicaud et de Patočka bifurquent cependant quand il s’agit de la cause du rapport irrégulier entre la théologie et la phénoménologie. Alors que Patočka défend sa discipline contre le détournement et l’interprétation erronée de la part de la théologie, Janicaud accuse ses collègues philosophes de malhonnêteté.

31La personne tenue pour responsable de l’hérésie de ce tournant théologique allant à l’encontre de l’orthodoxie husserlienne est Martin Heidegger [36], celui-là même qui influença l’apologie de la philosophie de Patočka. Janicaud suggère que la phénoménologie de l’inapparent de Heidegger est la principale source du tournant théologique. De plus, son combat contre l’onto-théologie et ses prises de position ultérieures concernant l’ouverture de la phénoménologie au « divin » ont fait de Heidegger le champion des nouveaux phénoménologues. La fin de la métaphysique proclamée par Heidegger est devenue un lieu commun parmi les auteurs contemporains. Par conséquent, la phénoménologie reste la seule méthode plausible de pensée philosophique s’appliquant également à la théologie en tant que propédeutique philosophique. Cela dit, Janicaud soulève des questions importantes : l’arrivée d’une ère post-métaphysique est-elle aussi certaine qu’on la présente ? La phénoménologie s’oppose-t-elle directement et entièrement à la métaphysique [37] ?

32Janicaud distingue deux formes de métaphysique : (1) la metaphysica generalis – portant sur l’être des êtres – et (2) la metaphysica specialis – portant sur le fondement de l’être. La première se réfère à la philosophie, la seconde à la théologie. Concernant le rapport entre ces deux types de métaphysique, Janicaud dit : « Il est évident que, si Husserl met entre parenthèses la métaphysique spéciale et donne initialement congé à l’ontologie, il ne fait pas de même à l’égard de la métaphysique générale [38]. » Peut-être, conclut Janicaud, une phénoménologie authentique ne peut-elle être que métaphysique [39].

33Pour résumer, ce qui préoccupe Janicaud est la pureté méthodologique de la phénoménologie. De plus, il suggère que « la phénoménologie n’est pas forcément toute la philosophie : elle doit son intérêt et sa portée au respect de ses propres règles en même temps qu’à l’audace de ses percées [40] ». Le problème qui se pose avec le tournant théologique, c’est qu’il fait un mauvais usage de la phénoménologie et, par conséquent, l’éloigne des intentions initiales de son fondateur. En d’autres termes, le dommage causé par le tournant théologique consiste dans la perte du souci de la rigueur. Ce que vise Janicaud n’est rien de moins qu’une réitération de la revendication de « La philosophie comme science rigoureuse » (1911) de Husserl [41]. La réduction phénoménologique s’applique à tout sans exception, y compris l’idée de Dieu. Seule la phénoménologie dans son cadre husserlien nous permet d’éviter à la fois l’objectivisme scientifique et la métaphysique spéculative. Autrement dit, une phénoménologie méthodologiquement orthodoxe permet un certain entrelacement mais exclut tout brassage brusque.

34Malgré cela, Janicaud soutient que sa critique n’est pas anti-théologique [42]. Son objectif semble être celui de sauver à la fois l’autonomie de la théologie et celle de la phénoménologie. Dans ce sens, Janicaud est d’accord avec le jeune Heidegger pour dire que la théologie « est un savoir “positif” absolument différent de la philosophie, en tant que son positum est la foi chrétienne [43] ». La foi s’attache à des choses invisibles. La phénoménologie ne peut articuler ses résultats que du point de vue de l’être-au-monde : « Phénoménologie et théologie font deux [44]. »

Fides quaerens intellectum

35Nous avons pu constater que « Théologie et philosophie » de Patočka récupère beaucoup d’arguments de Heidegger et précède la critique formulée par Janicaud quelques décennies plus tard. La frontière entre la théologie et la philosophie doit être préservée. Mais Patočka conclut son « apologétique » sur une note surprenante :

36

Philosophia ancilla theologiae – cela n’a jamais été plausible et ne le sera jamais. À mon avis, la thèse fides quaerens intellectum formulée par saint Anselme est la réfutation la plus précise de la thèse précédente [45].

37L’asservissement de la philosophie à la théologie est résolument rejeté. Curieusement, Patočka utilise une proposition non pas philosophique mais théologique pour plaider sa cause. En recherchant la compréhension, la foi contredit la réduction de la philosophie à une simple servante de la théologie. Bien qu’il soit, comme Janicaud, un phénoménologue défendant sa discipline, une lecture plausible de ce passage de Patočka est qu’il plaide pour la possibilité d’un entrelacement de la théologie et de la philosophie – contrairement à Janicaud. Patočka ne dit pas en quoi exactement le rapport entre les deux disciplines est censé consister. Cependant, le fait même que Patočka ne rejette pas entièrement tout rapport entre les deux défie le théologien de proposer une interprétation.

38Traditionnellement, l’axiome fides quaerens intellectum se réfère à l’unité de la théologie et de la philosophie [46]. L’unité évite les deux extrêmes de l’univocité proposée par l’impérialisme théologique, d’un côté, et de la séparation radicale que l’on trouve au siècle des Lumières et dans la modernité suivant la période des Lumières, de l’autre côté, et trouve un équilibre entre le raisonnement à partir des sens et le raisonnement à partir de la foi [47].

39D’un point de vue théologique, la théologie ne peut se passer de la philosophie. Pour ne pas dégénérer en une travestie idéologique, la foi demande de la connaissance. L’onto-théologie qui jusqu’il y a peu faisait partie intégrante des discussions théologiques est un exemple d’un tel renversement. Il semble possible que la critique de Patočka ne se dirige pas contre la théologie comme telle mais contre certaines écoles pratiquant la manipulation théologique de la philosophie. Par opposition aux critiques les plus sévères de tout entrelacement de la théologie et de la philosophie – Heidegger et Janicaud, par exemple –, Patočka démontre que le rapport entre philosophie et théologie est hautement complexe. Patočka admet la plausibilité de fides quaerens intellectum et suggère qu’il est impossible d’interpréter un tel rapport comme une opposition inconditionnelle.

40Voilà pourquoi nous en avons conclu que certains éléments de la phénoménologie de Patočka – déjà détectables dans sa passion radicale et juvénile pour sa discipline – peuvent être interprétés comme une ouverture au fait théologique. En revanche, sa position n’est pas identique à celle du tournant théologique de la phénoménologie contemporaine. Il est important de souligner que Patočka formule toujours ses pensées depuis la perspective de l’être-au-monde. Le sens de la transcendance et de sa manifestation est lié intrinsèquement au monde dans lequel nous vivons. Tandis que Marion, Lacoste et Henry ont ravivé les discussions sur Dieu dans un contexte postmoderne d’un point de vue phénoménologique, des penseurs tels que Patočka ont jeté les bases d’une reconceptualisation de la théologie, c’est-à-dire d’une théologie partant du bas, du plein milieu de notre être-au-monde. Le tournant théologique de la phénoménologie française a ressuscité un dieu qui semblait mort et renouvelé le statut de la religion comme sujet philosophique privilégié, or il se peut que cela n’ait été possible que parce que ses prédécesseurs ont parcouru la nuit sombre de la modernité qui a tué et enterré Dieu mais sans oublier la tâche importante de la réflexion théologique. Cette distance – qui n’est pas une séparation – prudente de la théologie a permis de soutenir que la philosophie et la théologie font effectivement deux mais que la frontière entre les deux est poreuse.

La philosophie : interroger l’absolu

41Patočka développe sa réflexion sur la philosophie et son rapport à la théologie dans une série d’essais rédigés dans les années 1930 et 1940. Ces écrits portent principalement sur la vocation de la philosophie et devraient être interprétés comme une apologie de la réflexion philosophique par opposition aux échecs d’autres formes de raisonnement. En guise d’introduction à son sujet, Patočka offre une critique cinglante de la connaissance scientifique qui émerge au cours de la modernité.

42

La science remplace l’idée de la connaissance de la « totalité » par celle de la connaissance de tout (de toutes les choses et relations existantes), l’idée de la connaissance du monde par celle de la connaissance du contenu mondain, l’idée de la connaissance de l’essence des choses par celle d’un système formel de pensée sur le choses, l’idée de la connaissance en général par celle d’une recherche qui ignore l’opposition de l’architectonie et du détail, de la conception et de la technique [48].

43La science moderne excède ses compétences parce qu’elle confond la connaissance du tout – ce que nous pourrions appeler holisme – avec la connaissance de tout – le totalisme. La théologie, la science de la foi, échoue d’une manière semblable puisque :

44

[…] à la place du mouvement qui quitte le plan de l’étant pour se diriger vers un ailleurs, la différence originaire, irréductible et incompréhensible, de deux plans ontiques, elle biffe la transcendance au bénéfice du transcendant [49].

45Le problème en cause est celui de la confusion de la transcendance avec un objet transcendant. La théologie, suggère Patočka, postule un objet qui peut être sondé épistémologiquement par le pouvoir de la connaissance. Dans ce sens, la théologie imite la science moderne. Un deuxième problème, que nous avons déjà souligné, est la revendication de la théologie de pénétrer une réalité objective qui fonde le sens et la connaissance et de représenter le telos de tout sens et de toute connaissance.

46Il est clair que Patočka formule cette critique dans le prolongement d’Être et Temps de Heidegger. La théologie oublie la différence ontologique. Au lieu d’ouvrir l’accès à la question de l’être, les spéculations théologiques se concentrent sur les êtres. Cela suggère que le monde des êtres est subordonné à l’être le plus élevé. Tout se transforme en un objet qui peut être représenté par la connaissance. Dieu, le monde et les êtres humains deviennent des choses entre autres choses. La tâche de la théologie est donc de formuler des vérités éternelles, immuables sur toute chose. Pour cette raison, dit Patočka, la théologie constitue une sorte d’« oppression transcendante [50] ».

47En revanche, la philosophie défait les chaînes de subordination et renverse la situation. Patočka précise cela dans « Chapitres de philosophie contemporaine » (1936) qui paradoxalement ne porte pas sur le débat philosophique de l’époque, comme on le supposerait, mais soulève la question difficile de la nature de l’entreprise philosophique en général.

48Patočka médite sur la thèse de Platon et d’Aristote selon laquelle la philosophie se préoccupe de la connaissance universelle et vraie. Contredisant ces géants philosophiques, Patočka soutient que la vérité universelle ne se trouve ni dans une sphère extérieure (Platon) ni inscrite dans la nature (Aristote) : la philosophie ne révèle pas une vérité pré-existante mais conteste la notion d’une vérité immuable et pérenne appropriable.

49

[La philosophie] est une question d’engagement envers une chose incertaine. C’est le pari sur un espoir peut-être faux et irréalisable. Le philosophe doit pouvoir rester sur un terrain quelque peu instable tout au long de sa vie. Il ne pourra jamais effacer complètement sa décision de base par quelque certitude acquise, car toutes les certitudes acquises dépendent de son parcours philosophique et de la méthode par laquelle il aborde le problème du tout. Cette méthode est elle-même une forme particulière de sa décision active qui forme une unité intégrale avec le philosophe lui-même [51].

50Deux assertions semblent être primordiales pour Patočka : la philosophie ne prétend pas formuler des vérités objectives universelles et éternellement valables ; au contraire, la philosophie interprète toujours le monde à partir d’un certain point de vue.

51Qu’est-ce donc que la philosophie ? Il semble que la bonne réponse soit contenue dans la question. Selon Patočka, la philosophie maintient la tension entre le particulier et l’universel. La signification du particulier est celle d’une perspective subjective employée dans toute réflexion philosophique. Par conséquent, l’universel représente un conflit sans fin à l’intérieur de la philosophie, c’est-à-dire des polémiques philosophiques qui touchent au savoir universel mais toujours à partir d’un point de vue particulier. Le questionnement philosophique en tant que tel n’atteint jamais un point final. Comme le résume Patočka habilement, « la philosophie est alors une joyeuse résignation ; reconnaître l’absolu, mais pas absolument [52] ».

52Le sens de la transcendance, celui d’atteindre l’absolu inatteignable, pourrait être considéré comme le terrain commun où la philosophie rencontre la théologie ou, du point de vue opposé, sur lequel la théologie invite la philosophie. Patočka présente ce point de vue dans « Sur la lettre de Timothée », sa réponse au théologien protestant Bohuslav Pospíšil publiée en 1946. Ici, le ton sur lequel Patočka discute la question du rapport entre la philosophie et la théologie est assez différent de celui que nous rencontrons dans l’essai « Théologie et philosophie » de 1929. Patočka aborde le problème en soulevant la question des conditions nécessaires à la coopération entre les deux disciplines [53]. Il en liste trois.

53Premièrement, la philosophie peut nouer le dialogue avec la théologie si sa notion de l’absolu ne contredit pas la foi chrétienne. Ce qui veut dire que la philosophie ne peut postuler un absolu qui ne soit concevable que par des moyens rationnels. Deuxièmement, et dit en termes positifs, la philosophie et la théologie sont compatibles quand le dialogue entre les deux a du sens. Pour que cela soit le cas, les termes philosophiques doivent élucider et interpréter la foi chrétienne sans perdre leur autonomie philosophique ; et la philosophie ne doit pas être (mal) utilisée pour offrir des « preuves » de la foi. Troisièmement, la vérité de la philosophie ne devrait pas être présentée comme vérité « objective » ultime ; c’est pourquoi la philosophie s’oppose aux revendications de la théologie de témoigner de la vérité de la foi. Dès lors, se pose la question suivante : Patočka a-t-il changé d’opinion sur la théologie ? Propose-t-il un entrelacement des deux disciplines ? Ce qui suit suggère une réponse :

54

Il est clair qu’aucune philosophie ne peut trouver de soutien à ses arguments dans la religion révélée. Il est clair également que la philosophie ne peut être la base de la foi ou de l’apologétique. Cependant, le rapport entre la philosophie et la théologie est peut-être fait à la fois de compatibilité et d’incompatibilité. Il se peut que certaines philosophies aient une place pour la foi [54].

55Comme nous l’avons déjà vu, Patočka rejette philosophia ancilla theologiae, mais sans exclure fides quaerens intellectum. Il semble qu’il explique ici en quoi consiste cette dernière : la philosophie qui reconnaît les points d’inconnaissance au sein d’elle-même est structurellement ouverte à la théologie, qui de la même manière confesse qu’aucun être humain n’est capable de saisir la vérité ultime. Alors, les termes « compatibilité » et « incompatibilité » indiquent que la philosophie ne peut en aucun cas considérer la théologie – la science de la foi révélée – comme fondement de son argumentation ; de la même façon, la théologie ne peut pas faire d’une forme de philosophie en particulier le fondement de la foi. La philosophie et la théologie sont compatibles, mais distinctes.

Reconsidérer l’entrelacement de la phénoménologie et de la théologie

56Vingt ans après la publication de « Théologie et philosophie », Patočka retourne au même sujet mais ne réitère pas sa critique de la subordination de la philosophe à la théologie selon la revendication philosophia ancilla theologiae. Son essai « Hromádka et la philosophie » est la réponse de Patočka au défi de la philosophie formulé à partir d’un point de vue théologique [55].

57Le point de départ principal de « Théologie et philosophie » est un résumé des accusations soulevées contre le raisonnement philosophique. Selon ses critiques théologiens, la philosophie formule des questions et des problèmes concernant l’absolu mais semble incapable de proposer des réponses concernant le sens absolu. Patočka prend cette objection au sérieux. En revanche, au lieu de répudier les critiques, il réfléchit à l’importance de la foi chrétienne dans l’histoire de la civilisation occidentale et suggère que « le capital spirituel du christianisme » qui se reflète dans la théologie est le fondement de la pensée. Mais il ne s’agit pas simplement d’un appel traditionnel aux accomplissements culturels et intellectuels du christianisme. Il est certain que beaucoup d’universités, de bibliothèques et de galeries d’art doivent leur existence à nos racines chrétiennes : or Patočka met l’accent sur quelque chose de plus fondamental. Selon Patočka, la pensée chrétienne – la théologie – est essentiellement à l’origine d’une compréhension du sens comme quelque chose de plus profond que « la somme des angles du triangle faisant 180 degrés [56] ». En d’autres termes, notre manière de penser, et le fait que cette manière de penser transcende l’objectivité des sciences naturelles, est due à la pensée théologique qui va au-delà du sensible, mesurable et quantifiable.

58Ensuite, Patočka développe sa définition de la théologie [57]. La position par défaut de la théologie est la foi. Cela signifie accueillir « le sens divin » qui ne peut en revanche être entièrement pénétré ni saisi sans ambiguïté. Par conséquent, même pour la théologie, certaines questions demeurent ouvertes. Toute tentative d’éclairer « l’essence de la chose » et de pénétrer la profondeur du sens échoue à être à la hauteur. La foi et la raison, ou la pensée théologique et la réflexion rationnelle, sont toujours en tension.

59

Le rôle du théologien est extrêmement difficile. La théologie est la pensée humaine la plus élevée. Le théologien n’a rien de solide sous la main. Ce qu’il a, cependant, c’est le « critère » du caractère concret de histoire. Ce n’est que dans une situation historique particulière, au moment de la prise de décision concernant la direction et le sens de la vie dans son ensemble, que le plus haut nous adresse et exige de nous une réponse ferme. Or nous ne comprenons que le fait que l’on s’adresse à nous ; le contenu ne pourra jamais être entièrement compréhensible pour nous autres humains. Aucun dogme, aucune formule, aucune proposition ne nous aide à cet égard parce qu’il s’agit de simples formes qui doivent être remplies de contenus spécifiques [58].

60La pensée théologique ne se concentre pas principalement sur le contenu positif avec l’objectif de dire que ceci ou cela est la vérité objective. Cela ne signifie pas que la théologie ne peut affirmer quelque chose comme étant vrai. L’objectif de Patočka est de souligner le caractère inachevé de toute affirmation théologique. La tâche principale de la théologie est de chercher les voies de la transcendance. Comment la transcendance s’entrelace-t-elle à notre situation concrète, celle de l’immanence ? Voilà où les chemins de la théologie et de la philosophie se rencontrent, à condition que la théologie soit la pensée la plus difficile. La philosophie connaît l’élément de transcendance à l’intérieur de l’être humain et du monde bien qu’elle soit réticente à le nommer concrètement. Néanmoins, la question elle-même écarte le raisonnement philosophique du point de vue de l’immanence.

61Il devient de plus en plus évident que dans l’interprétation de Patočka la théologie et la philosophie partagent une certaine négativité concernant la pensée objective. La théologie interroge la transcendance sans fournir de réponse finale. La philosophie s’aperçoit de la transcendance mais suivant sa façon de poser des questions elle ne peut faire de la transcendance ni un argument ni une preuve. Pour cela, la philosophie est pensée immanente mais elle n’est en aucun cas indifférente à l’aspect transcendant de l’être. La théologie à son tour est orientée vers la pensée de la transcendance, cependant toujours depuis une situation concrète enchâssée dans l’immanence :

62

La philosophie ne peut certainement pas être transformée en la voix de la foi. Toutefois, la philosophie doit être capable de construire, à ses frontières ultimes, la possibilité d’un sens qui n’est pas purement humain et qui transcende l’entendement humain. La philosophie doit fournir des pensées, des cadres, des catégories à cette possibilité. Ou alors elle doit montrer au moins quelles idées sont insuffisantes à cette tâche et pourquoi on ne peut les utiliser. De fait, la théologie utilise toujours des termes philosophiques, bien que d’une autre manière que la philosophie [59].

La philosophie, la théologie et la tâche de penser

63La discussion précédente reliait le point de vue critique de Patočka concernant la théologie à Dominique Janicaud, le phénoménologue français célèbre pour sa critique sévère du tournant théologique. Ici nous allons présenter à la fois Janicaud et un des protagonistes principaux de la pratique phénoménologique de la théologie, Jean-Yves Lacoste, dont un passage de De la théologie à la pensée théologique[60] éclaircit les possibilités ouvertes par la pensée de Patočka dans un contexte théologique.

64Lacoste soutient que la théologie et la philosophie vont ensemble. Cela ne veut pas dire qu’elles font un (uno) mais qu’elles forment une union (unio). L’histoire de la théologie et de la philosophie décrit un tel entrelacement mutuel qu’il est à peine possible d’établir une frontière précise entre les deux. La théologie et la philosophie partagent une seule et même tâche – la tâche de penser. Ces deux facettes – l’affirmation de la porosité et la tâche de penser – soutiennent l’argumentaire de Lacoste.

65Pour Lacoste, la philosophie et la théologie partagent une frontière commune : le positum de la théologie intéresse la philosophie incontestablement, et les questions philosophiques sont pertinentes pour la théologie [61]. Les époques pré-modernes, modernes et post-modernes témoignent toutes de telles préoccupations mutuelles. Que les Pères de l’Église nouent le dialogue avec la philosophie grecque, que la scolastique médiévale apprenne d’Aristote, que les rationalistes modernes se tournent vers Dieu comme pilier fondamental ou postulat de leurs systèmes philosophiques, ou que la récente nouvelle phénoménologie subisse un tournant théologique, la philosophie et la théologie vont régulièrement de pair – bien qu’elles s’attaquent parfois l’une l’autre. De même, Patočka se sent obligé de commenter de manière critique des écrits théologiques qui traitent de questions philosophiques et aussi d’écrire sur des sujets théologiques : la transcendance, l’absolu, le sacrifice. Lacoste nous rappelle l’affirmation de Heidegger selon laquelle la philosophie serait capable de faire face à tout questionnement. Il remarque que selon Heidegger cela constitue la différence principale entre la philosophie et la théologie, puisque la théologie s’intéresse uniquement à la question de Dieu et de la foi. Toutefois Lacoste observe que la philosophie – y compris la philosophie de Heidegger – n’oublie jamais de poser des questions sur ce domaine qui, à strictement parler, appartient à la théologie [62]. Est-il possible de séparer la théologie et la philosophie chez Augustin, Thomas d’Aquin, Pascal ou Kierkegaard ? Quel est l’argument du philosophe et qu’est-ce qui appartient à la confession du théologien ? Bien que quelques figures du tournant théologique – Levinas, Derrida, Henry – prétendent distinguer leur philosophie de leur théologie, la plupart reconnaît la porosité – Chrétien – ou admet qu’elle se situe à la frontière entre les deux – Marion, Falque. Même ceux qui prétendent respecter la frontière entre les deux ne sont pas entièrement convaincants. Quand ils interprètent Levinas, Derrida et d’autres, Caputo et Kearney les traitent à la fois comme des esprits philosophiques et comme des interprètes autorisés d’archives théologiques. L’avis de Patočka sur la nature de la philosophie s’accorde avec l’argument de la porosité, « reconnaître l’absolu, mais pas absolument [63] », et reconnaît que l’axe de la pensée philosophique se concentre sur la nature, la communauté, la vie, la mort et Dieu [64].

66Le lien entre la tâche de penser et la philosophie fut établi par Heidegger selon lequel la fin de la métaphysique défie la philosophie de chercher un nouveau commencement. Ce commencement provoque la pensée – une manière de penser définie par Heidegger. Lacoste voit la situation différemment. L’histoire connaît plein de nouveaux commencements qui appellent à la réflexion après de nombreuses « fins de la métaphysique [65] ». Maître Eckhart, Jean de la Croix, Pascal et Kierkegaard essaient tous de penser, et compte tenu de leurs conditions historiques ils pensent effectivement d’une façon nouvelle.

67Or, la tâche de penser suggère qu’il y a toujours quelque chose d’impensé. La théologie ne serait-elle pas le moteur premier de la pensée à cet égard [66] ? Lacoste soulève cette question, et Patočka semble y indiquer une réponse. Premièrement, ses Essais hérétiques sur la philosophie de l’ histoire représentent des réflexions sur « le nouveau commencement » après la fin de la métaphysique (moderne), ce qui n’est peut-être pas surprenant pour un élève de Heidegger. Deuxièmement, et c’est effectivement frappant, Patočka se réfère au christianisme comme projet qui n’a pas été « pensé jusqu’au bout [67] » dans ce contexte. Cela pourrait signifier que le christianisme doit être complété par quelques réflexions après la fin de la métaphysique. Ou alors, et cela semble moins probable, le christianisme manifeste la tâche de la pensée, c’est-à-dire le rapprochement à l’im-pensé. Si cela est le cas, pouvons-nous encore établir une limite précise entre la théologie et la philosophie ?

68Lacoste plaide pour l’abolition prudente des frontières [68]. Peut-être Heidegger a-t-il raison en disant que nous sommes face à un nouveau commencement. La fin de l’onto-théologie, telle qu’elle est perçue par la théologie, et la fin de la métaphysique, telle qu’elle est vécue par la philosophie, fixent la tâche de la pensée. Pour Lacoste, cependant, le nouveau n’a pas besoin d’être entièrement novateur. Le passé – la tradition – nous enseigne comment faire face à une nouvelle tâche. Pour Lacoste, cela signifie vita philosophica et theologica, c’est-à-dire une pensée qui est à la fois théologique et philosophique [69]. Lacoste décrit cette symbiose en détail dans le premier chapitre de son livre programmatique. Pour résumer, son argument s’appuie sur la différence entre theória et théorie [70]. Theória se rapporte à la contemplation de phénomènes qui, traditionnellement, est commune à la philosophie et à la théologie. La théorie est le produit de la mathématisation de la nature et du rationalisme moderne et de la connaissance scientifique qui favorise la raison calculatrice. Le retour à ou tournant vers la theória – et donc la recherche de sens au lieu de déductions et de prédictions – est une tâche commune à la philosophie et à la théologie qui marque le début de la pensée. Cependant, ce qui nous intéresse le plus à cet égard est le point de vue de Patočka.

69Substantiellement, Patočka décrit la théologie en utilisant la catégorie de la pensée. Nous avons vu qu’il n’hésite pas à appeler la théologie la tâche la plus difficile de la pensée. De plus, dans une lettre à Josef Souček, le théologien protestant avec qui Patočka fut lié d’amitié tout au long de sa vie, Patočka écrit que notre tâche est « de ne pas seulement vivre la foi mais aussi de la penser ». Cependant il ajoute : « Toutefois, penser la foi ne signifie pas la concevoir comme simple objet ; cela ne signifie pas comprendre la foi psychologiquement ou encore moralement. Ce qui est en jeu c’est l’extension de la foi au champ de la pensée [71]. »

70Afin de penser la foi, la théologie a besoin de la philosophie et de ses concepts, notions, découvertes et théories. Selon Patočka, la philosophie fixe le cadre de la pensée dans le contexte de situations historiques particulières. Cependant, la théologie elle aussi participe à penser par elle-même à partir d’une foi enchâssée dans des conditions historiques concrètes. Dans ce sens, la pensée de Patočka démantèle les frontières nettes entre ces deux disciplines autonomes mais interconnectées. La théologie et la philosophie sont unies dans leur objectif méthodologique – d’aller au-delà de la pensée objectiviste statique – et leur travail – celui de penser ce qui transforme l’être humain, le monde et la finitude. Toute philosophie ou théologie ne partage peut-être pas ces intérêts, mais on peut dire avec certitude que c’est le cas pour la phénoménologie et toute théologie favorable à la philosophie.

71Nous avons vu que Patočka soutient résolument que les philosophes ne doivent jamais aider les théologiens. Il réagit clairement aux récupérations théologiques du questionnement philosophique, particulièrement sous la forme catholique traditionnelle de l’aristotélisme via la scolastique et le néo-thomisme moderne [72]. Cette critique s’applique également à l’idée de la séparation de la philosophie et de la théologie telle qu’elle se manifeste dans la théologie protestante moderne – particulièrement sous sa forme post-barthienne. Il est intéressant de constater que le débat actuel indique une situation inverse. Ce ne sont plus les philosophes qui sont pris en compte par les théologiens mais les théologiens à qui on demande d’aider les philosophes contemporains à penser certaines notions : l’absolu, la transcendance, la vie, la mort et Dieu. Les classiques théologiques, à commencer par l’Apôtre Paul, saint Augustin, Maître Eckhart, Thérèse d’Avila et d’autres mystiques, en passant par des auteurs récents tels que Hans Urs von Balthasar, sont des interlocuteurs fréquents des nouveaux phénoménologues qu’on tient pour responsables du tournant théologique. Dans son livre stimulant Passer le Rubicon. Philosophie et théologie : essai sur les frontières, par exemple, Emmanuel Falque plaide pour le « tuilage » de la philosophie et de la théologie [73]. Il affirme également qu’une séparation absolue n’a pas de sens et que le philosophe a le droit de penser en tant que théologien et de retourner ensuite à la philosophie. Il en va de même pour le théologien qui est invité à s’aventurer en terre philosophique et de retourner ensuite à son foyer. En lisant Patočka dans ce contexte, nous en sommes arrivés à la conclusion que sa phénoménologie et sa théologie sont à proximité l’une de l’autre.

72Nous devons souligner deux points. Premièrement, le cœur de la critique de Patočka concernant l’entrelacement de la théologie et de la philosophie n’est pas l’(im)possibilité d’un tel entrelacement mais l’argument que, d’un point de vue philosophique, Dieu ne peut pas servir de principe noétique. Il semble que dans les années 1920 Patočka ait déjà plaidé pour quelque chose que nous retrouvons dans le tournant théologique : Dieu n’est pas un objet qui fonde l’être – le principe initial – ou qui absorbe tous les êtres – le but ultime. Je soutiens que le point de vue initialement critique de Patočka peut être interprété comme préfiguration du tournant théologique qui aborde les questions théologiques à la suite de la fin de l’onto-théologie et de la métaphysique. Cela ne dit rien sur la plausibilité de ces affirmations. Deuxièmement, les précisions de Patočka sur la vocation de la philosophie (phénoménologie) et son virage vers une appréciation de la théologie à travers une critique constructive suggèrent que la phénoménologie et (certains types de) théologie font front commun dans leur tentative de surmonter tout raisonnement objectiviste et de penser. En d’autres termes, pour paraphraser Heidegger, la théologie à la fois révèle la tâche de la pensée et la sollicite. La proximité de ses deux aspects me permet de suggérer que « la phénoménologie est théologie ».

73Comme je l’ai précisé ci-dessus, le domaine de la théologie intéresse la phénoménologie : elle prend en compte les phénomènes de l’absolu, de la finitude, de la transcendance et de Dieu. Ces phénomènes sont évidemment abordés depuis le point de vue de l’être-au-monde, et la phénoménologie ne tire jamais de conclusion : les phénomènes ne deviennent jamais des objets que l’on possèderait définitivement. Dans ce sens, et peut-être uniquement dans ce sens, la phénoménologie est une théologie fondamentale. Traditionnellement, la théologie fondamentale réfléchit sur Dieu par le bas. Elle ne commence pas par le mystère de la révélation mais plutôt par l’expérience elle-même et, de là, monte jusqu’au mystère – la révélation de Dieu. Le tournant théologique offre l’occasion de relire et de réécrire, selon l’expression de Lacoste, la théologie fondamentale selon les défis de la phénoménologie – comme pensée sur Dieu. Et, comme le suggère Falque : « Nous n’avons d’abord pas d’autre expérience de Dieu que celle de l’homme [74]. »

74De l’autre côté, la phénoménologie n’est pas théologie dans le sens où la phénoménologie – ou n’importe quelle autre philosophie – constituerait la théologie ou la théologie constituerait la phénoménologie. Comme le dit Patočka, la phénoménologie ne peut franchir la ligne et accepter des ordres de Dieu ou la révélation. La théologie et la philosophie suivent toutes les deux leurs critères et objectifs respectifs mais s’influencent constamment l’une l’autre. Cependant, l’impulsion principale de cette influence est la tension qui défie incessamment les deux disciplines de penser de manière nouvelle et de repenser ensuite de manière nouvelle encore.

75Pour résumer, Janicaud et Lacoste ont raison tous les deux. Bien que Patočka n’ait lu aucun des deux, il accentue la tension fructueuse entre la théologie et la phénoménologie qui sont unies dans la tâche de penser. Fides quaerens intellectum est à la fois un argument contre la récupération théologique du discours philosophique et également un espace ouvert à l’entrelacement de la théologie et la philosophie. Le tournant théologique ressuscite (la question de) Dieu qui avait été déclaré mort. Toutefois, cela n’a peut-être été possible que parce que ses prédécesseurs ont traversé la nuit obscure quand Dieu gisait silencieusement dans sa tombe tout en leur tenant la pensée théologique à l’esprit.


Mots-clés éditeurs : théologie, Patočka, phénoménologie, tournant théologique, Janicaud, Heidegger

Date de mise en ligne : 25/01/2021

https://doi.org/10.3917/trans.156.0087

Notes

  • [1]
    Cet essai a été rédigé avec le soutien financier du Fonds scientifique autrichien (FWF) pour le projet « Revenge of the Sacred : Phenomenology and the Ends of Christianity in Europe » [P 31919]. L’auteur remercie tout particulièrement Natalie Eder pour la traduction de son texte.
  • [2]
    Edmund Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie, La Haye, Martinus Nijhoff, 1976, p. 124-125.
  • [3]
    Martin Heidegger, « Nur noch ein Gott kann uns retten », Der Spiegel, 30e année, 31 mai 1976, p. 193-219.
  • [4]
    Laszlo Tengelyi, « On the Border of Phenomenology and Theology », dans Jonna Bornemark and Hans Ruin (éd.), Phenomenology and Religion : New Frontiers, Stockholm, Södertörn University Library, 2010, p. 21 [trad. N.E.].
  • [5]
    Dominique Janicaud, La phénoménologie éclatée, Paris, Éditions de l’Éclat, 1998, p. 43.
  • [6]
    Jan Patočka, « Teologie a filozofie », dans Sebrané spisy (Œuvres complètes, notées par la suite SS) 1, p. 15-21, ici p. 19 [trad. N.E.].
  • [7]
    « La phénoménologie est un mode de philosopher qui ne prend pas pour prémisses des thèses toutes faites, mais qui garde plutôt toutes les prémisses à sa portée […] La phénoménologie examine le contenu empirique de ces thèses ; dans toute pensée abstraite, elle cherche à découvrir ce qui s’y cache, comment nous y parvenons, et quelle réalité vue et vécue l’appuie. Nous découvrons quelque chose qui est là depuis le début, quelque chose que nous avions pressenti, aperçu du coin de l’œil, mais que nous ne connaissions pas entièrement, quelque chose qui “n’avait pas été conçu”. Phénomène – ce qui se présente ; logos – discours significatif » (Jan Patočka, Body, Community, Language, World, trad. Erazim Kohák, Chicago [Ill.], Open Court, 1998, p. 3 [trad. N.E.]).
  • [8]
    Jeffrey Bloechl, « Eschatology, Liturgy, and the Task of Thinking », dans Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, Charlottesville, University of Virginia Press, 2014, p. vi-xxviii, ici p. vii.
  • [9]
    SS 1, p. 15-21.
  • [10]
    SS 1, p. 17.
  • [11]
    SS 1, p. 18.
  • [12]
    SS 1, p. 18 [trad. N.E.].
  • [13]
    SS 1, p. 19 [trad. N.E.].
  • [14]
    Curieusement, les deux cours furent présentés dans des facultés de théologie protestante. Martin Heidegger, « Phenomenology and Theology », dans Pathmarks, éd. par William McNeill, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 39-62.
  • [15]
    Ibid., p. 41.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., p. 45 [trad. N.E.].
  • [18]
    Ibid., p. 50 [trad. N.E.].
  • [19]
    Ibid., p. 48-49.
  • [20]
    Ibid., p. 53 [trad. N.E.].
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    Ibid., p. 52.
  • [23]
    Matheson Russell, « Phenomenology and Theology : Situating Heidegger’s Philosophy of Religion », Sophia, vol. 50, 2011, p. 641-655.
  • [24]
    Ibid., p. 642-643.
  • [25]
    Martin Heidegger, « The Onto-theo-logical Structure of Metaphysics », dans Identity and Difference, trad. Joan Stambaugh, New York (N.Y.), Harper and Row, 1969, p. 42-74.
  • [26]
    Matheson Russell, « Phenomenology and Theology », art. cité, p. 652.
  • [27]
    Martin Heidegger, « Phenomenology and Theology », art. cité, p. 46 [trad. N.E.].
  • [28]
    Judith Wolfe, Heidegger and Theology, Londres, Bloomsbury, 2014, p. 61 et suiv.
  • [29]
    Benjamin Crowe, Heidegger’s Religious Origins : Destruction and Authenticity, Bloomington (Ind.), Indiana University Press, 2006, p. 37-43.
  • [30]
    Martin Heidegger, Unterwegs zur Sprache, Pfullingen, Gunther Neske, 1959, p. 96 (traduit à partir de Benjamin Crowe, Heidegger’s Religious Origins, op. cit., p. 15).
  • [31]
    Le contexte historique concernant la (non-)publication de l’essai de Heidegger est expliqué dans Adrian Peperzak, « A Re-Reading of Heidegger’s “Phenomenology and theology” », dans Babette Babich et Dimitri Ginev (éd.), The Multidimensionality of Hermeneutic Phenomenology, Heidelberg, Springer, 2014, p. 317-338, ici p. 317-318.
  • [32]
    Cf. Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, dans La phénoménologie dans tous ses états, Paris, Gallimard, 2009.
  • [33]
    Ibid., p. 53.
  • [34]
    Ibid., p. 48 et suiv.
  • [35]
    Ibid., p. 54
  • [36]
    « Ce rappel du cheminement énigmatique de Heidegger peut sembler nous éloigner de la question du tournant théologique. Il nous place, au contraire, au croisement où tout se décide : au point de rupture entre un projet phénoménologique positif et le déplacement de son “possible” vers l’originaire » (Ibid., p. 58-59).
  • [37]
    Ibid., p. 85-86
  • [38]
    Ibid., p. 89
  • [39]
    Ibid., p. 90. Il est intéressant de souligner que Patočka serait d’accord avec cette affirmation sur le rapport de Husserl à la métaphysique. En revanche, il évalue son inclination de manière plutôt critique : « Malheureusement, il faut dire que la métaphysique phénoménologique que Husserl nous présente comme résultat et fondement de sa description analytique du monde est au bout du compte décevante » (Jan Patočka, « La philosophie de la crise des sciences d’après E. Husserl et sa conception d’une phénoménologie du “monde de la vie” », dans Le monde naturel et le mouvement de l’existence humaine, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 227-242, ici p. 237-238).
  • [40]
    Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, op. cit., p. 127.
  • [41]
    Edmund Husserl, « Philosophie als strenge Wissenschaft », dans Aufsätze und Vorträge (1911-1921), éd. par Hans Rainer Sepp et Thomas Nenon, Dordrecht, Kluwer, 1986, p. 3-62.
  • [42]
    « La part polémique de ce petit livre n’est nullement dirigée contre le souci théologique comme tel » (Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, op. cit., p. 63).
  • [43]
    Ibid., p. 145.
  • [44]
    Ibid., p. 149.
  • [45]
    SS 1, 20 [trad. N.E.].
  • [46]
    John Caputo, Philosophy and Theology, Nashville (Tenn.), Abingdon Press, 2006, p. 33.
  • [47]
    Jean-Yves Lacoste, « Philosophy », dans Id. (éd.), Encyclopedia of Christian Theology, vol. 3, New York (N.Y.), Routledge, 2005, p. 1234-1242.
  • [48]
    Jan Patočka, « Remarques sur la position de la philosophie dans et en dehors du monde », dans Liberté et sacrifice. Écrits politiques, trad. Erika Abrams, Grenoble, Jérôme Millon, 1990, p. 13-25, ici p. 18.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    Ibid., p. 19.
  • [51]
    Jan Patočka, « Kapitoly ze současné filosofie », dans SS 1, p. 85-100, ici p. 87 [trad. N.E.].
  • [52]
    SS 1, p. 92 [trad. N.E.].
  • [53]
    Jan Patočka, « K dopisu Timotheovu », dans SS 1, p. 126-130.
  • [54]
    SS 1, p. 128 [trad. N.E.].
  • [55]
    Josef Lukl Hromádka (1889-1969), qui fait partie d’une poignée d’érudits tchèques à être reconnu à l’étranger, fut l’élève de Karl Barth et le théologien protestant le plus important de son époque.
  • [56]
    Jan Patočka, “J.L. Hromádka a filosofie”, dans SS 12, p. 127-135, ici p. 130 [trad. N.E.].
  • [57]
    SS 12, p. 129.
  • [58]
    SS 12, p. 131 [trad. N.E.].
  • [59]
    SS 12, p. 134 [trad. N.E.].
  • [60]
    Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, op. cit.
  • [61]
    Ibid., p. 68.
  • [62]
    Ibid., p. 70.
  • [63]
    SS 1, p. 92.
  • [64]
    SS 1, p. 100.
  • [65]
    Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, op. cit., p. 78.
  • [66]
    Ibid., p. 80.
  • [67]
    Jan Patočka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, trad. Erika Abrams, Lagrasse, Édition Verdier, 1990, p. 173.
  • [68]
    Jean-Yves Lacoste, From Theology to Theological Thinking, op. cit., p. 82 et suiv.
  • [69]
    Ibid., p. 85.
  • [70]
    Ibid., p. 3-10.
  • [71]
    Lettre à Josef B. Souček datée du 8 août 1944 (Vienne, Patočka Archive).
  • [72]
    Jan Patočka, « Mezinárodní filosofická konference tomistická », dans SS 12, p. 463-467.
  • [73]
    Emmanuel Falque, Passer le Rubicon. Philosophie et théologie : essai sur les frontières, Paris, Lessius, 2013.
  • [74]
    Emmanuel Falque, « Philosophie et théologie. Nouvelles frontières », Études, t. 404, no 2, p. 201-210, ici p. 206.

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