Topique 2015/2 n° 131

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Article de revue

Analyze this, ou Mafia Blues en français

Pages 41 à 46

1 Mafia Blues/Analyze this date de 1999, il montre une rencontre où le cinéma transmet la psychanalyse.

Synopsis

2 « Si le psychiatre new-yorkais Sobel ne croit plus guère à l’efficacité de son savoir sur des patients atteints de névroses d’une banalité consternante, il va changer d’avis quand Paul Vitti, connu comme l’un des gangsters les plus puissants de New York, franchit autoritairement la porte de son cabinet. Le redoutable malfrat souffre d’étranges symptômes : bouffées d’angoisse, blocage, accès de culpabilité, crises de larmes incontrôlées. Il ordonne à un Sobel terrifié de le guérir rapidement car l’élection du nouveau parrain de la côte Est approche. »

3 Le nom américain de ce film est Analyze this, traduit par « Analyse-moi ça » lancé dans le transfert à Sobel, son psy. Il demande sous forme injonctive avec force geste de son index et des sanglots dans la voix, de le sortir de son marasme, de sa dépression, de son blues…

4 Il ne s’agit pas tellement de mafia, mais bien plutôt de psychanalyse, de symptôme, d’identification, d’inconscient et donc du Père, du père mort, tué réellement et inscrit dans le fantasme inconscient de Paul.

5 Cela se révèle en pleine lumière au début du dénouement du film.

6 Chapeau bas au metteur en scène Harold Ramis et ses scénaristes pour les séquences d’images et des dialogues succulents. Ils se servent en effet sur un mode comique, genre tarte à la crème, d’une intrigue de gangsters pour nous montrer une psychanalyse freudienne en cours, comment de la transmission a lieu, depuis la naissance du transfert à la mise en marche du processus, à la saisie et la dessaisie des identifications.

7 Non seulement tout cela, mais le lien entre les psychanalystes est mis en scène, car il s’agit, dans ce film, que notre héros soit guéri pour diriger un séminaire de type colloque comme celui où nous sommes ici. Oui un séminaire, un mot de psy utilisé par des gangsters, qui adorent la parole, et être admirés pour ceux qu’ils sont. Comme nous ! Les psy ne sont pas des gangsters mais ils sont un peu des flibustiers, ils se tiennent tels des hérissons bien près les uns des autres pour rivaliser coûte que coûte, et se rejeter tout autant… Ce film nous filme…

8 Transfert, trauma, identifications, etc., sont les ingrédients freudiens. Ils se donnent à voir dans des séquences qui sont de véritables joyaux pour un séminaire grand public de présentation de la psychanalyse.

9 Un accident de voiture anodin révèle le désir d’analyste pour le psy et la demande pour Paul, le névrosé en passe de devenir son analysant. En effet, le fils du psy Sobel interprète le lien de son père à son propre père, le grand père, psychiatre et surtout hyper jaloux de son narcissisme d’écrivain. Sobel rétorque à son propre fils de 12 ans, pour affirmer son désir d’analyste, que dans la voiture où ils sont il n’y a qu’un seul psy et c’est lui. C’est à ce moment-là qu’il percute la voiture devant lui où se trouvent les sbires de Paul. Sa carte de visite est donnée et Paul engage sa demande de parler à son futur psy. Ce petit trauma est celui qui va indiquer tous les autres jusqu’au moment où Paul à 12 ans aurait « tué » son père en n’osant pas dire qu’il a vu le tueur avec son revolver arriver dans le restaurant où ils étaient. Trauma et transmission entre père fils ici s’articulent.

10 Un point majeur est la mise en scène du contre-transfert. Sobel fait un rêve où comme dans le film Le Parrain, on tire dans le dos de Marlon Brando/Corleone alors qu’il achète des oranges. Sobel se voit en rêve être tué en lieu et place du père de Paul. Qui dans le rêve est couché sur la chaussée, dans une intense invocation à « son papa » qu’il serre dans ses bras. C’est par ce rêve que Sobel accepte de prendre Paul en psychanalyse car son propre père reste tout autant intuable.

11 Il a incorporé le fantasme primordial de son analysant, comme dans une cure où le plus souvent un psy n’en rêve pas, mais où il l’anticipe en séance. Et les images de rêve du psy permettent par le cinéma et en quelques minutes d’insérer le contre-transfert dans le lien entre eux deux. Il le raconte à Paul qui ne se prive pas de lui dire « mais c’est votre rêve pas le mien ! ».

12 Cette construction proposée par Sobel est le point pivot de la mise en marche de la cure. Tout le film tourne autour du meurtre du père, tuerie qui s’était réellement produite devant lui quand Paul avait 12 ans.

13 Paul ne peut pas le découvrir sinon par ses symptômes qui captent toute son énergie libidinale et sexuelle. Est indiquée la castration. Il ne peut en effet penser qu’à sa femme quand il fait l’amour avec sa maîtresse. Surtout il ne peut plus tuer. Son revolver, il ne peut le décharger que sur un coussin… La symbolisation du manque passe par là.

14 Il se retrouve lové piteusement dans les bras de son épouse/mère. Son fils lui fait une interprétation magistrale. À la question de Paul à son fils : « Tu ne vas pas rester assis comme ça tout le temps », le fils rétorque : « Et toi tu es tout le temps couché. »

15 De là, tout se dénoue, Paul se lève et part vivre ce qu’il a à faire, diriger le séminaire, en prendre la tête, et conclure qu’il se retire des affaires. Mais le symbolique suit aussi son cours, la police embarque tout ce beau linge. Paul Vitti est emprisonné deux ans à Sing Sing où Sobel ira le voir trois fois par semaine, une vraie cure comme on en voudrait.

16 L’allégorie de la prison n’est là que pour continuer à nous initier aux rudiments d’une cure, savoir que les deux protagonistes sont bien liés par un contrat qui les tient par les lois de la parole, de la parole donnée.

17 Auparavant, Sobel a continué à se situer dans le fil du contre-transfert puisque depuis le rêve des oranges, il se met à un moment donné à la place du chef mafieux qui dirige et secoue le séminaire avant que Paul ne revienne annoncer sa surprenante démission, et… l’accès à la perte symbolique.

18 Le nouage œdipien s’était déjà bien instauré car Paul s’immisce dans la chambre nuptiale de Sobel et son épouse, jusque dans leur lit, pour supplier « papa Dr Psy » de le sortir du marasme face à la levée du refoulement de sa névrose infantile et vivre en direct son complexe d’Œdipe.

Quelques remarques :

19 Harnold Ramis, le metteur en scène, a pigé la question du désir de l’analyste et du contre-transfert. Par le rêve des oranges, Sobel dit oui à la cure et fait un acte psychanalytique en le disant. Il dit oui d’abord à lui-même dans son rêve, puis il dit un 2e oui, disons officiel, quand il travaille analytiquement le transfert de Paul avec lui.

20 Paul dit oui aussi car il prête à son psy un savoir sur lui-même. De son index autoritaire il dit combien son Sobel est « très très fort ». De plus il sait que c’est du transfert. Car il ne se gêne pas de lui dire de lever le pied ; et en même temps il lui dit ses quatre vérités quand son Sobel sort de son rôle…

21 Tout comme dans Jimmy P. de Depleschin, et dans beaucoup de films où la psychanalyse est mise en scène, les séances sont en images souvent en extérieur. Les séances de paroles sont en face en face mais le fauteuil où est l’analysant est large comme un sofa sur lequel il pourrait s’étendre.

22 Le champ contre champ incarne l’échange genre de celui que nous pratiquons où les deux protagonistes ne se regardent pas. Sauf pour l’œil du spectateur. On ne pourrait pas tenir deux heures de film avec des images de séances se déroulant comme dans nos cabinets. L’image en tant que fait de l’imaginaire donne consistance au transfert/contre transfert. C’est typique dans Mafia Blues et dans Jimmy P. Ce qui montre que le metteur en scène en connaît un bout sur ce qu’est une psychanalyse.

23 L’imaginaire en marche dans un film amplifie nécessairement les traits du discours auquel on assiste.

24 Cette amplification imaginaire caractérise une certaine exagération des propos, où la métaphore n’est pas évidente à produire. Les mots sont les mots et les images de cinéma les amplifient souvent à l’excès. Dans Mafia Blues l’appel au rire du spectateur est là pour récréer une métaphore en clin d’œil, et faire sens mais aussi que ce sens ne se saisisse. Un tel mouvement du sens s’effectue par exemple à propos de la loyauté entre les protagonistes. Ainsi cela a lieu, et c’est désopilant, quand Sobel enlève dans les WC le micro qu’il porte pour que la police entende ses échanges avec les gangsters, et qu’il pousse des cris soi-disant pour déféquer au point que le sbire en chef de Paul lui dise de manger plus de fibres.

25 Une connivence subtile se crée avec le spectateur surtout si ce dernier en sait un bon bout sur ce qu’est une séance. D’où question : ce film transmet-il la chose freudienne pour qu’un spectateur non averti se dirige vers un psychanalyste ?

26 Autre question : si l’équivocité signifiante existe entre les mots, existe – telle entre les images ? Le muet pour cela exagérait les poses, les traits, mettaient des encarts drôles pour nous la faire ressentir.

27 C’est que dans le muet et dans le cinéma actuel le metteur en scène en plus des acteurs proprement dits, met aussi en scène un objet en place d’acteur. Ici c’est le revolver qui dans une cure serait un des traits organisateurs du discours. Dans Gloria de Casavettes c’est aussi un revolver mais manié par une femme ancienne mafieuse, dans Duel de Spielberg, c’est une voiture et un camion qui cherchent à se tuer…

28 Mafia Blues montre comment le réalisateur s’implique dans son œuvre, sans doute en se mettant en scène lui-même. Souvent le réalisateur se représente dans le film, que cela soit ou non sa biographie (les 400 coups). Et c’est cela qui évoque l’analyse car il ne peut y avoir d’analyse sans que l’analyste ne s’implique. Disons-le ainsi : le réalisateur a à s’impliquer du fait de ses enjeux de désir. Le désir est le héros du film quasiment toujours, que ce soit dans une fiction ou un documentaire. Car le désir implique le semblant dont procèdent, chacun selon son style, le cinéma et la psychanalyse.

29 Une rencontre entre cinéma et psychanalyse ouvre sur une autre scène, tierce, celle du politique.

30 Politique veut dire une émancipation de notre part de l’intime face au collectif. Comment aujourd’hui cette part sujet, subjective que Freud désigne par le psycho-sexuel, s’émancipe. Le cinéma y participe à sa façon.

31 Le registre de l’inconscient y est présent, un inconscient non soumis désormais à une garantie venue du ciel, de ses anges et de ses foudres. Cinéma et Psychanalyse, d’autres champs du savoir et de l’art, se référent au registre d’un grand Autre, débarrassé du religieux depuis la fin du XIXe siècle.

32 C’est dire qu’il y a là des naissances et des renaissances conjointes de la psychanalyse, du cinéma, du marxisme, du surréalisme, du féminisme, de la littérature (avec Mallarmé). Ils participent de l’émancipation des Lumières, heureux mot pour le cinéma. Lumières dont l’aurore même tarde, nous dit Lacan.

33 Car dès que ce mouvement d’émancipation s’instaure, de terribles retours ont lieu par des totalitarismes voulant annihiler cette émancipation lancée par différentes disciplines dont le cinéma et la psychanalyse. Mais le cinéma, est un appui car il construit nos légendes dans l’actuel de notre temps. Il nous donne accès à nos enjeux de désir par le biais d’un imaginaire qui, cadré par la caméra du réalisateur, par le symbolique, entr’ouvre une fenêtre sur le réel du temps qui passe…

34 Cela nous convoque, nous incombe, au un par un de qui nous sommes, chacun.

35 C’est donné encore et encore corps à Freud aujourd’hui…


Mots-clés éditeurs : Imaginaire, Contre-transfert, Transmission, Réel de notre temps, Transfert, Meurtre du père

Date de mise en ligne : 15/09/2015

https://doi.org/10.3917/top.131.0041

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