Topique 2013/3 n° 124

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Article de revue

La pensée comme excitation et son partage

Pages 27 à 39

Notes

  • [1]
    C’est tout le projet husserlien d’une phénoménologie qu’il faudrait évoquer ici. Cependant, le texte le plus inspirant sur la problématique des complexes d’actes reste celui qui fit la toute première ouverture de cette problématique, à savoir la Philosophie de l’arithmétique (Husserl, Edmund, Philosophie der Arithmetik, Den Haag Nijhoff 1970). Il est clair cependant que nous pouvons renvoyer à des textes où l’analyse des complexes d’actes atteint une grande exactitude, tels les Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Allgemeine Einführung in die Phänomenologie [Ideen I] 2. Aufl., Tübingen, Niemeyer 1922 ou Erfahrung und Urteil. Untersuchungen zur Genealogie der Logik, Hamburg Meiner 1972.
  • [2]
    Voir le premier volume de Husserl, Edmund, Logische Untersuchungen, 3. vol., 5. éd. (repr. 2. éd. 1913) Tübingen Niemeyer 1968.
  • [3]
    Je renvoie à quelques uns des titres les plus représentatifs des science studies : Barnes, Barry, About Science, Oxford New York Blackwell 1985. Barnes, Barry, Bloor, David, Henry, John, Scientific Knowledge. A Sociological Analysis, London Athlone 1996. Barnes, Barry, Edge, David, éd., Science in Context. Readings in the Sociology of Science, Cambridge Mass. MIT Press 1982. Böhme, Gernot, Alternativen der Wissenschaft, Frankfurt Suhrkamp 1980. Latour, Bruno, Science in Action : How to Follow Scientists and Engineers through Society, Cambridge Mass. Harvard University Press 1987.
  • [4]
    L’initiateur d’une pensée probabiliste de la science et de la provisorité de sa validité est bien sûr Popper. Voir Popper, Karl, Logik der Forschung, Tübingen Mohr (10e éd.) 1994. Thomas Kuhn a suivi ce chemin de pensée et livré (dans : The Structure of Scientific Revolutions, Chicago University of Chicago Press (2 éd.) 1970) une théorie du changement scientifique pour ainsi dire.
  • [5]
    C’est plutôt une biologisation ou une cognitivisation biologiste /cérébraliste qui a ici pris la relève. Voir Popper, Karl R., Eccles, John C., The Self and Its Brain. An Argument for Interaction, Springer International Berlin New York London 1977.
  • [6]
    L’Entwurf einer Psychologie (1895) freudien a été publié, comme on le sait, de manière postume dans Freud, Sigmund, Aus den Anfängen der Psychoanalyse, in Gesammelte Werke, Nachtragsband, London Frankfurt – op. 1950a (1950c d’après la numérotation des Gesammelte Werke) 1962, p. 375- 486.
  • [7]
    L’exception est la recherche très approfondie sur le sujet entreprise par Sophie de Mijolla-Mellor dans son Le plaisir de pensée, Paris PUF 1992.
  • [8]
    Sartre, Jean-Paul, Critique de la raison dialectique, Précédé de Question de méthode, 1er vol., Paris Gallimard 1960.
  • [9]
    Sartre a consacré à Flaubert une étude monumentale (Sartre, Jean-Paul, L’idiot de la famille, 3 vol. Paris Gallimard 1971) qui devait donnait de l’homme et de l’écrivain une psychobiographie analytique ainsi que réfléchir sur la fonction de la littérature dans l’économie psychique et la situation sociologique de son « sujet ». Je n’entre pas ici dans le détail des thèses sartriennes qui demanderaient de longs développements. Pour dire en un mot ce qui devrait être approfondi à ce point de la réflexion, mais ne peut l’être ici : c’est la thèse de Sartre selon laquelle la littérature-névrose flaubertienne est, dirais-je, fonctionnellement inscrite dans la facture psycho-sociologique de son sujet.
  • [10]
    L’idée d’une homologie entre l’être et l’homme est élaborée par Heidegger à partir de fragments héraclitéens. Cf. Heidegger, Martin, Fink, Eugen, Heraklit. Seminar Wintersemester 1966/1967, Frankfurt Klostermann 1970.
  • [11]
    Heidegger commente dans le Satz vom Grund (Pfullingen Neske 1975) le vers d’Angelus Silesius : « die ros’ ist ohn’ warum », dans le sens que nous indiquons.
  • [12]
    Voir sur le concept d’Ereignis : Heidegger, Martin, Identität und Differenz, Gesamtausgabe vol. 11, éd. Friedrich-Wilhelm v. Herrmann, Frankfurt Klostermann 2006.
  • [13]
    Il est clair que nous pouvons remonter plus loin la tradition destinaliste pour la faire aboutir à Hegel et Herder, c’est-à-dire à une forme d’organicisme culturel ou de nécessitarisme historique caractéristiques de l’Allemagne philosophique et poétique du XIXe et de la première moitié du XXe s.
  • [14]
    Sur le Souverain schmittien, voir Schmitt, Carl, Politische Theologie ; vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität, München Duncker & Humblot 1934.
  • [15]
    Cf. là-dessus Weber, Max, Wissenschaft als Beruf, in : Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre. Tübingen UTB 1988, p. 582-613 – ainsi que Weber, Max, Le savant et le politique, trad. C. Colliot-Thélène, Paris, Découverte, 2003.
  • [16]
    Raymond Aron a donné des exposés éclairants de ces intuitions weberiennes dans : Les étapes de la pensée sociologique, Paris Gallimard 1967.
  • [17]
    La métaphore de l’artisan est omniprésente dans la philosophie depuis Platon. Elle tend à devenir le schéma représentationnel de toute idée de causation.
  • [18]
    La nécessité d’être dur (hart sein) ou le fait que le monde en son présent ne peut être saisi et approprié par des individus et des peuples résolus à soutenir et à agir la dureté, sont des leitmotivs du conservatisme révolutionnaire, en particulier en Allemagne.
  • [19]
    On connaît la formule heideggerienne : « Wer groß denkt, muß groß irren » (Aus der Erfahrung des Denkens, Gesamtausgabe vol. 13, éd. Hermann Heidegger, Frankfurt Klostermann 1983). « Qui pense grand, erre grandement » laisse la petite pensée être responsable de ses petits errements, alors que la grande, c’est-à-dire celle qui accomplit l’homologie du monde, reste disculpée du fait même qu’elle ne fait que résonner de l’adresse / demande (Anspruch) de l’être.
  • [20]
    Je fais allusion bien sûr, dans le choix du terme, au pamphlet.

LA PENSÉE COMME FAIT PSYCHIQUE ET SON RAPPORT PRIVILÉGIÉ AU VRAI

1 La pensée pose depuis sa naissance et sa différenciation comme discipline de l’esprit et genre de l’intellection de manière constante une double question :

2

  • celle de sa distinction de ce qu’elle n’est pas, mais en quoi elle est plongée ;
  • celle de conditions spécifiques de sa validité.

3 Elle pose en d’autres termes la double question de son lieu et de ce qui se produit de son événement.

4 En effet, la pensée a lieu dans quelque chose de plus vaste qu’elle : elle s’accomplit, comme une activité psychique parmi d’autres, dans l’élément de l’activité psychique en général. Elle a lieu dans ce que la philosophie a appelé « le flux de conscience » et ne peut se distinguer intrinsèquement, en son acte ou son vécu, des autres actes et vécus qui font ce flux. Elle ne se spécifie et ne ressort du flux que par une manière de produire des synthèses d’actes, c’est-à-dire une manière de se densifier et de laisser émerger des complexes d’actes particuliers. Une caractéristique de ces synthèses et de leurs densifications est qu’elles se font à une très haute tension de l’esprit.

5 La pensée est ainsi, dans l’approche phénoménologique husserlienne en laquelle vient culminer la tradition transcendentale du penser philosophique, un complexe d’actes qui se construit par l’agencement de contributions actuales de teneur diverse : elle intègre des composantes sensorielles, perceptives, imaginatives, matérielles ou intuitives, ainsi que des composantes idéelles, abstractives, aphophantiques, provenant d’idéations actives et d’autres opérations spécifiques de formation du jugement [1].

6 L’esquisse husserlienne s’attache à montrer que si la pensée est bien un phénomène psychologique parmi d’autres, motivé et déterminé par une variété d’influx qui agissent sur la psychè, elle ne relève pas cependant exclusivement d’une psychologie qui décrirait les mécanismes d’« affection » de la pensée par ses environnements et établirait les constances et les lois qui gouvernent ces déterminations. Pour Husserl, il s’agit de voir comment la pensée s’extrait du flux de conscience et se soustrait à ses déterminations psychologiques. Il s’agit en d’autres termes de rejeter un « psychologisme » qui détruirait la prétention de la pensée à saisir des rapports qui ne varient pas avec la variation de ses déterminations, c’est-à-dire la prétention de la pensée de saisir du vrai.

7 Le psychologisme dont Husserl voulait donner dans les Prolégomènes de ses Recherches logiques une réfutation définitive, n’a pas cessé d’évoluer et de prendre des formes que Husserl ne pouvait prévoir [2]. Il s’est considérablement élargi pour devenir biologique et neurologique, avec les sciences cognitives, neurologique et psychostructurale, avec une théorie comme celle de l’Entwurf freudien, sociologique avec le matérialisme dialectique et sa critique de l’idéologie, les sociologies de la connaissance et en particulier les science studies[3].

LA PENSÉE COMME EXCITATION ET SA CONTINGENCE

8 Dans tous ces cas de figure, l’observation de la formation du sens de l’énoncé scientifique fait un retour de son énoncé et son énonciataire vers son énonciation. Elle établit la contingence des articulations de ce sens laquelle n’est pas moindre que celle qui se constate ailleurs dans des énoncés de moindre rigueur et de moindre portée. Au fond, ce qui est en jeu n’est pas une supposition d’égalité ou d’identité de la contingence qui fait le fond des articulations tant courantes que scientifiques de la pensée, car cela nous ramènerait à une question complexe qui serait celle de distinguer et comparer des degrés de contingence des articulations. Ce qu’il est important d’affirmer c’est le fait que toute articulation, qu’elle soit d’un sens rigoureusement élaboré comme le sens des énoncés orientés sur la vérité scientifique ou de tout autre sens, est « locale » : elle est déterminée par une circulation de l’excitation qui est effet de l’« intérêt », effet d’un pro-jet désirant portant l’intérêt dirigé sur les objets en question. Tout énoncé renvoie ainsi à une énonciation qui est articulation d’un pro-jet désirant alimenté d’une excitation constante sans lequel l’objet n’est pas capable d’apparaître et d’accrocher un élan quelconque sur les surfaces d’affection du psychisme. Il y a ainsi un principe de localité de l’énonciation ou de localité de l’énoncé dans l’énonciation qui oblige à « contingencier » tous les énoncés scientifiques et en faire des effets de sens locaux. L’ensemble pouvant faire fonction d’une reformulation psychologique et psychanalytique des principaux théorèmes des science studies qui spécifient leur objet comme étant la « science in action ».

9 Dès lors, l’enjeu de la controverse psychologiste s’est beaucoup relativisé avec la reconnaissance partout dans la science – et la pensée qui se réclame du rigorisme de sa démarche – d’une conception de la vérité selon laquelle celle-ci ne serait vraie que d’un sursis de sa falsification [4]. Cependant, cette relativisation, si elle a permis aux différents courants psychologistes de se développer sans susciter l’inquiétude d’une mise en péril de la validité de la pensée scientifique, n’apportait en tant que telle aucune incitation préférentielle à la psychologisation de la pensée [5]. L’étude de la pensée comme activité psychique se déclinait dans les courants indiqués ; cependant, il n’était pas possible de dire à l’avance lequel de ces courants portait en lui les percées décisives dans la dimension de cette nouvelle expérience que la pensée pouvait faire d’elle-même en elle-même.

10 De mon point de vue théorique, l’Entwurf freudien [6] et la réflexion qui s’en suivra tout au long de l’œuvre freudienne sur les conditions psychiques et l’économie libidinale de l’activité philosophique, scientifique, littéraire et artistique, réalise une percée assurément décisive dans ce nouveau champ. Freud est le premier à poser aussi clairement que les complexes d’actes de pensée peuvent être analysés comme des complexes d’affection. Il est le premier à proposer un modèle économique dans lequel tout acte psychique est de nature excitationnelle.

11 Selon ce modèle, tout ce qui n’est pas ou ne fait pas excitation reste en deçà du seuil excitationnel d’émergence d’un quantum de tension qui fait événement dans le plan de l’homéostase psychique subsistante. Ses potentiels énergétiques-économiques sont inférieurs à une valeur minimale permettant de faire une différence ou de faire émerger une trace ou une ligne sur le fond homéostatique de l’état présent.

12 La pensée est donc, comme tout ce qui est acte, a actualité dans le psychisme, aussi excitation : les actes de pensée sont considérés comme ayant une résonance dans l’affect qui ne peut être négligée. Cette résonance donne à la pensée sa coloration thymique dans la psychè ainsi que ses potentiels motivationnels – positifs ou négatifs.

13 La résonance affectuelle de la pensée est ce qui stimule la poursuite de l’activité de penser, ou la décourage, l’appesantit, l’enflamme, la mélancolise, etc. Elle représente l’effet du penser d’une pensée dans le sujet. Or, l’intérêt théorique pour le vécu de pensée est resté, si on le mesure à l’importance de ce que donnerait une description systématique de ces vécus, très restreint, même à l’intérieur de la psychanalyse dont l’inventeur a été le pionnier de ce genre de description [7].

14 Freud montre comment un tel intérêt doit se déployer et comment sans ce déploiement toute théorie de la culture manquerait d’une pièce essentielle. Dans ses textes sur la littérature et l’art, il montre que l’écrivain ou l’artiste est motivé par un phantasme en quelque sorte substitutionnel qui lui donne, par un détour, les satisfactions sur lesquelles sa libido est originellement dirigée. C’est la fameuse théorie de la sublimation qui voit dans les manœuvres psychiques sublimantes de ce genre de personnalité une manière qu’a celle-ci de se donner, sous d’autres guises, ce qu’elle ne peut demander directement.

EFFICACE HISTORIQUE DE LA PENSÉE COMME RÉSONANCE D’UNE EXCITATION COLLECTIVE

15 Une approche intéressante, qui dédouble celle de Freud, est celle de Sartre qui dans Question de méthode – qui s’est intégré comme chapitre introductoire à la Critique de la raison dialectique[8] – parle des conditions de possibilité d’une pensée comme de celles de son efficace sociale. Et c’est là qu’il me semble tout à fait stimulant d’introduire dans les énoncés sartriens les termes d’une psychanalyse de la pensée comme excitation. Cette manière de faire se justifie au fond tout à fait – elle ne plaque pas sur l’approche sartrienne quelque chose qui lui serait absolument étranger.

16 En effet, pour Sartre la pensée telle que nous la saisissons dans son processus historique, c’est-à-dire telle qu’elle se présente à nous comme formant l’histoire de la pensée qui est la nôtre, est quelque chose qui a lieu, avec force et entrain, dans les individus d’une classe montante. La pensée n’est pas indifféremment ou également pensée dans les individus pensants d’une époque historique. La pensée qui fait différence et qui marque son époque, pour devenir – dans le regard rétrospectif de l’historien de la pensée – la pensée de cette époque, ne le devient que parce qu’elle a en elle-même, c’est-à-dire pour cette époque, vigueur et élan.

17 La pensée n’est véritablement excitation, n’est excitante que parce qu’elle se partage, et elle ne peut se partager que parce qu’elle est excitation. Enfin, elle n’est excitation partagée que parce qu’elle correspond à l’élan chercheur d’une classe d’hommes qui ont en commun une affection, qui sont affectés par, qui adhèrent à une poussée désirante d’ascension. Cela veut dire qu’une excitation commune les tend vers la prise d’objets qui échappaient jusque-là à la direction d’emprise qui était la leur dans le monde. Cette direction éludait ces objets pour ainsi dire dès le départ, elle ne pouvait s’orienter sur eux, car elle ne pouvait les concevoir comme lui revenant.

18 L’excitation naît et s’envigore de la fraîcheur de la présentation de ces objets et du pressentiment des intensités excitationnelles de leur prise. Cette excitation est l’affaire d’individus qui constituent les représentants (l’élite pensante) d’une classe d’hommes au profit de laquelle ils sont porteurs de cette excitation. Elle est partagée entre eux, mais elle est aussi de la même vigueur que la poussée d’ascension qui est celle de la classe en question.

19 Je tente comme on le voit de rapprocher les deux conceptions de Freud et de Sartre pour qu’elles se rencontrent dans le plan d’une théorie de la pensée comme excitation, comprise ici dans un sens à peine plus large que celui de l’Entwurf freudien.

20 Si nous considérons que la pensée n’a de chance d’émerger, d’arriver à actualité, de faire acte et événement, que si elle bascule hors de la bande homéostatique dans laquelle sommeillent des potentiels excitationnels, nous pouvons concevoir, sans quitter ce sentier idéel, que ces potentiels ne peuvent être éveillés que si cette pensée correspond à quelque chose qui fait excitation dans d’autres psychismes ; que pour être excitante la pensée doit correspondre à une poussée réelle, historique, d’emprise dont s’anime le désir de certains individus dans les différentes configurations époquales de l’existence sociale. Le désir n’est que fraîcheur d’une excitation, d’un quantum libidinal, lequel ne peut advenir arbitrairement. Il y a des conditions d’émergence de l’excitation qui sont celles d’une poussée d’emprise « située » ou en situation sociale-historique réelle.

21 Ainsi, on pourrait dire que certains individus seraient incapables de produire une telle pensée-excitation du fait même qu’appartenant à des classes arrivées, l’inquiétude désirante qui vient s’articuler dans leur pensée serait enveloppée dans la quiétude d’une homéostase qui ne permet pas à des pensées de se démarquer sur sa bande de très faible pulsation et de véritablement « porter » excitationnellement.

22 Qu’en serait-il alors d’un Flaubert ou d’un Proust et d’une littérature qui arrive de produire les intensités d’affection les plus fortes, alors même que les classes dont elle serait solidaire ont déjà dépassé leur apogée, déclinant et allant vers l’effacement [9] ? Qu’en serait-il des classes montées, celles que représentent des historiens comme Tacite et Suétone, qui n’arrivent plus à articuler leurs idéaux dans le réel de l’histoire et en sont réduits à décrire et enregistrer mélancoliquement l’histoire faite par d’autres ? Qu’en serait-il de ces classes quand elles ne semblent pas écartées et surmontées par d’autres, montantes, mais pourries par elles-mêmes sous la menace d’un nouveau pouvoir, absolu, celui d’un empereur divinisé qui mange les meilleurs hommes issues d’elles, un par un, cruellement comme un gros chat ?

23 Pour donner à l’approche que nous développons à partir des thèses sartriennes le maximum de pertinence, nous pouvons alléger celles-ci des présuppositions lourdes liées à leur ancrage dans une sociologie de classes. On peut ainsi prendre ses distances par rapport à une dialectique spéculative et réifiante de certains collectifs sociaux. On peut considérer alternativement les pluralités sociales concernées par la communauté d’excitation et de poussée comme des groupes consciemment ou inconsciemment solidaires, en une adaptation créative des catégories durkheimiennes.

LA QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ DU PENSEUR

24 C’est là que se pose sous un signe parfaitement nouveau la question des conséquences ou de l’impact mondain de la pensée ; la question aussi de la responsabilité des individus en lesquels la pensée époquale se fait le plus intensément excitation. Car une telle pensée est acte au sens fort du terme, et d’un acte, l’habitude morale ainsi que la philosophie éthique veulent qu’un sujet réponde.

25 Mais comment trancher une question ainsi posée quand cet acte n’est autre, dans l’hypothèse proposée, que celui, basal, de l’excitation vitale ou de la poussée désirante d’une pensée qui ne serait pas si elle ne cherchait, de toute sa vigueur, à produire sa différence ? Comment trancher cette question si l’acte de pensée n’est possible, comme acte de montrer le monde et les vrais rapports des choses en lui, que comme pulsation dans un désir d’une tension d’emprise qui ne se sublime que partiellement ? Surtout, comment trancher cette question si cette tension ne se sublime qu’éphémèrement, dès lors qu’elle ne fait qu’ouvrir à une foule montante d’autres désirs les chances d’une emprise réelle sur des replis du monde qu’elle leur montre comme soudainement là, ouverts à leurs poussée ?

26 En d’autres termes, si l’histoire se fait avec la pensée comme une articulation du monde qui a vocation de prévaloir ; si la pensée avec laquelle cette histoire se fait, et sans laquelle l’histoire ne se ferait pas, ne peut être autre que celle d’un groupe social-humain porteur de la plus grande intensité de deixis du monde à l’instant historique considéré ; si l’histoire est cet espace de déploiement de ces forces d’ouverture du monde que rien ne peut réprimer puisqu’il faudrait pour cela que le répresseur déploie des forces d’articulation encore plus fortes que celles qui s’exercent en leur temps ; si l’histoire est un tel repère et que les forces qui s’y déploient voudraient se réprimer elles-mêmes, d’une prise de conscience du caractère violent de cette dialectique, pour n’aboutir qu’au constat que c’est l’histoire qui finirait ainsi et avec elle la tension d’articulation elle-même du monde ; si toutes ces hypothèses sont réunies, il faut conclure à une très grande difficulté de faire répondre une pensée de ce qu’elle est ou plutôt de ce qu’elle fut. L’action en responsabilité que l’on voudrait intenter à la pensée ne peut la saisir que comme pensée passée, que comme une res praeterita, une forme d’excitation stimulée par un monde qui ne s’ouvre plus de la même manière à elle ni ne présente à l’élan existentiel et désirant des hommes en lesquels elle se fait la même attirance de ses objets. Saisie ainsi la pensée, ne se laisse pas décoller du monde dont elle a été l’ouverture. La pensée et le monde apparaissent ainsi comme le même déroulement d’une histoire de l’être dont aucune instance humaine ni aucun acteur/auteur de cette pensée ne peuvent sensément répondre.

LA DISCULPATION « DESTINALISTE »

27 On objectera aussitôt et tout à fait à raison qu’un tel « destinalisme » légitimerait et disculperait clairement, si un jugement tardif devait les réprouver, toutes les options historiques, c’est-à-dire devenues à un moment réelles et efficaces, du penser. En effet, la pensée ici – selon son concept « destinal » (geschicklich) élaboré par Heidegger – naîtrait d’un « destin » (Geschick) sur lequel elle n’a aucune influence, qui se fait avec elle et la produit comme l’homologie (le homologein, le dire répondant) en l’ek-sistence (Da-sein) d’un penseur d’une révélation de l’être [10]. L’être n’étant rien d’autre que révélation ou manifestation, l’histoire de l’être est celle de l’acte d’être de l’être, d’un acte sans « raison », sans fondement (Grund), sans pourquoi, issu d’aucun sujet et d’aucune volonté, mais simple éclair, acte de clarté qui ouvre le monde et laisse entrer les étants en lui [11]. Un tel acte n’a ni antécédent ni conséquent, c’est un advenir céleste-terrestre / divin-humain, qui déploie et fait tenir le quadrant (Geviert) ciel-terre-dieux-hommes en le centre de son pur événement (Ereignis) [12]. L’histoire de l’être ainsi conçue, c’est celle des vicissitudes de son décèlement (Entbergen), de la variation de ce qui s’en destine de mesures manifestationnelles à la pensée. Celle-ci est le simple site d’un advenir en elle de ce qui arrive (Ankunft) de l’être, d’une grâce de l’être à se manifester ou d’une disgrâce de l’être à se voiler à elle et en elle.

28 Une version aussi forte du destinalisme doit être évoquée, car elle semble livrer le paradigme achevé de tout ce que le pessimisme culturel et le décisionnisme politique européens, mais surtout allemands, de Nietzsche à Spengler, Max Weber et Carl Schmitt ont produit [13]. En effet, il y va toujours, dans toutes les versions de la pensée philosophique, sociologique ou politique qui peuvent être logées à l’intérieur de ce paradigme, d’un être-situé dans la dimension d’une décision inaugurale qui invente, en même temps qu’elle advient, les critères de sa justesse. Ainsi, le Souverain schmittien ne relève d’aucun jugement qui puisse le surplomber. Il est isolé comme un dieu solitaire dans l’avènement même de l’ordre qui advient avec lui et l’institution de sa puissance [14]. Pour Weber, le Savant n’a nulle part vision ou science des critères de l’ordre social comme balancement des prévalences des différents ordres du sens [15]. Une « guerre des dieux » fait rage qui déchire le monde moderne et l’empêche d’unifier son propre sens et d’en répondre [16]. Le Savant ne peut ainsi véritablement participer à la décision du Politique, mais uniquement expliciter comment désormais la reconnaissance de ce qu’il y a à faire incombe à une instance isolée, spécialisée dans la production et la mise en œuvre de la décision comme donation d’orientation dans l’histoire.

29 Dans ses conditions, tout « destinalisme », qu’il soit modéré ou extrême, tendrait à rendre irrelevante la question d’une responsabilité de la pensée comme acte d’un penseur. D’une part, le penseur n’est pas présent dans la pensée comme son auteur ou son producteur, celui qui quasi volontairement la produit comme un artisan (technitês) produit un artefact [17]. Elle se fait en lui, a besoin de lui, « use » de lui (dans le « brauchen » heideggerien) pour advenir, de même que la pensée elle-même n’est pas une production qui se fait hors de l’être ou en face de lui, mais qu’elle est elle-même événement de l’être comme acte et manifestation. D’autre part, la position de la (grande) pensée en amont de toutes les pensées mondaines la situe dans une dimension toute première et lui assigne un trempage et une dureté particuliers : elle ne peut être la pensée de « faibles », de tout ce qui très humainement ou trop humainement est soucieux d’arrangements et de compromis à faire avec les nécessités du monde ; elle doit soutenir la rigueur de ce qui s’impose à elle et parle par elle [18]. Même en adoucissant les accents nietzschéens de cette dernière affirmation de soi d’une pensée qui ne serait responsable que devant elle-même ou devant l’instance qui use d’elle pour se manifester et advenir, nous restons avec une figure d’irresponsabilité de ce qui s’aventure pour ouvrir inauguralement, en pensée et en acte, le nouveau du monde [19].

LA SOLIDARITÉ D’UNE PENSÉE AVEC SON SITE SOCIAL HISTORIQUE ET SON IRRESPONSABILITÉ

30 Refaire jonction à partir de là avec les thèses sartriennes, c’est reconnaître, dans un autre plan, l’irresponsabilité des articulations montantes de la pensée, dans le réel de l’histoire et des configurations sociales de classe. En effet, la pensée, comme nous l’avons vu, fait corps pour ainsi dire excitationnellement avec un désir d’emprise qui massivement s’incarne dans un groupe social entier. L’incarnation de ce désir de prendre des objets réservés jusque-là à d’autres classes permet quasi de réifier les groupes sociaux comme les agents d’une lutte qu’ils ne font pas, mais qui se fait avec eux. Ce n’est qu’au dernier stade de la lutte que celle-ci peut devenir transparente à elle-même grâce à l’avant-garde intellectuelle qui, éclairée par la théorie (marxiste) de la constitution de la valeur, de sa consolidation dans un capital et des rapports sociaux de production et de domination qui en découlent, peut réfléchir l’état de la lutte au moment présent de l’histoire et apprécier son évolution. L’hypothèse de la solidarité d’une pensée avec son site social fait faire corps à la pensée avec le devenir du social et la soustrait ainsi à la question de sa responsabilité. Elle la fait adhérer même à la violence intrinsèque du mouvement dialectique de l’histoire et dichotomise sa valence : d’un côté la pensée de la classe montante et sa « violence révolutionnaire », légitime en tant que telle ; de l’autre, la pensée des classes déclinantes et leur violence contre-révolutionnaire, illégitime en tant que telle. La lutte est dès lors considérée de l’extérieur, comme quelque chose d’inhérent au processus historique : on ne peut faire l’économie de la violence dans l’histoire qui, en elle-même, n’est rien d’autre que le processus inflexible de l’affrontement des classes. Il n’y a aucun champ dans lequel cette lutte puisse être négociée et décidée par d’autres moyens que l’affrontement violent. La pensée incarnée dans les classes montantes n’a pas raison de ses antagonistes par les raisons, les arguments, la réflexion ou les déductions philosophiques qu’elle avance, mais elle a raison parce qu’elle monte et qu’elle a la force victorieuse de la classe ascendante. Quant à la pensée d’arrière-garde des classes déclinantes, il est oiseux de l’appeler à répondre de ses failles et de sa faillite : l’histoire la punit automatiquement qui la frappe de caducité et détruit la classe sociale dont elle articule la poussée.

31 Ainsi, dans les deux cas, celui de la pensée destinaliste ainsi que dans celui de la pensée dialectique, la pensée en tant que telle semble soustraite à la responsabilité. La raison en est la relativité des repères de jugement de l’une ou l’autre pensée : dans les deux cas, nous avons affaire à une pensée qui invente les critères de sa propre justesse et s’établit avec eux dans une repère propre ; elle constitue, dès lors, une planète isolée et fermée sur elle-même sans lien avec tout autre planète du même genre. Il en résulte une structure hétérotopique et plurielle de la vérité quand on considère une pluralité d’époques et la distribution des différentes pensées sur elles. Il est clair toutefois que, dans ces conditions, la clôture d’un penser sur lui-même et sur ce qui s’institue de son geste inaugural et de ses distinctions directrices, ne correspond pas à la clôture simultanée d’une pluralité de pensées, telle qu’on se la figure dans la théorie post-moderne, mais à chaque fois, c’est-à-dire à chaque époque considérée, à la clôture d’une pensée prédominante en laquelle l’être ou le processus dialectique ont leur manifestation et leur efficace.

CONSTITUTIVEMENT « INDIGNÉE » LA PENSÉE CONTEMPORAINE NE PEUT PLUS ÊTRE « PREMIÈRE »

32 La pensée contemporaine, si elle joue de cette hétérotopie et y exprime son biais post-moderne, est très loin d’accepter les conclusions qui en sont tirées. Elle dénie à la pensée sa capacité de s’effectuer à un tel niveau de « protérité » – comme protê philosophia (philosophie première) – qui la placerait dans des conditions de précédence radicale par rapport à tout ce qu’elle rencontre dans le monde empirique. Elle est au contraire tentée de se placer en face des choses du monde et de présupposer l’évidence de l’unique représentation d’un monde juste qui se conçoive en elle, comme définitive : celle de l’ordre démocratique dont la constitution garantit les droits fondamentaux des hommes et qui seul est capable de pacifier le monde social, de bannir le spectre des conflits violents, des « guerres totales » et des anéantissements génocidaires. En se dépossédant des anciennes prétentions de la pensée à être première et à donner guidance à ce qui régit le monde des hommes (tyrans, assemblées, partis, classes ou masses), la pensée contemporaine semble barrer à la pensée en général la voie d’incorporations sociales puissantes, de tentations de cautionnement d’options aventureuses, aprioriques et inaugurales ; elle semble vouloir l’enclore dans un espace où la violence ne peut pénétrer. Elle rend du coup immédiatement responsable et condamnable toute pensée qui flirte le moins du monde avec l’intolérance, l’exclusion ou la discrimination de l’autre, la perpétuation d’inégalités et de déprivilégiements anciens, le parti pris pour des causes où soi est de manière inquestionnée préféré à l’autre. La pensée a ainsi tendance à s’auto-cantonner, à se « border » pour ainsi dire, volontairement à l’intérieur d’un espace – parfois étriqué – de possibilité, qui se perçoit de plus en plus comme un espace de « correction » politique.

33 Revenant à nos thèses de départ, nous pourrions essayer de reprojeter ce positionnement de la pensée en termes d’économie excitationnelle et de contribution de la pensée à l’intégration, dans le psychisme, de foyers excitationnels majeurs. Il s’agit, en particulier, de ceux liés à l’expérience des « choses dernières » du monde, laquelle détermine la manière dont la psychè va s’affecter de lui. Il est alors facile de constater que l’excitation dans la pensée contemporaine est toute d’« indignation » [20] : la tendance est à construire tout débat de pensée autour de l’espace présuppositionel quasi parfait que constitue le consensus unanime sur les principes démocratiques et de voir dans des faits du présent ou dans des options de pensée adverse des atteintes intrinsèquement insupportables à l’intégrité de ce noyau. La pensée adverse se comporte, de son côté, de manière le plus souvent symétrique, s’activant excitationnellement aux mêmes sources et mobilisant des indignations similaires. Tel semble donc être l’horizon présent de la pensée. Nous pourrions le décrire comme ce qui délimite celle-ci par une série de contraintes – qui sont autant de négations : non sens et, dès lors, incapacité de revitaliser des options « protériques » du penser, c’est-à-dire d’un penser se donnant ses propres critères et s’élevant au-dessus de tout jugement aliène ; désuétude des entreprises de pensée allant aux « choses dernières » du monde ; immanence – au sens d’une négation de la dominance – de la pensée à l’espace de jugement et de responsabilité défini par un consensus axiologique universel et absolu ; incapacité pour toute pensée de proposer des alternatives à ce noyau de valeurs et de convictions et de mobiliser des excitations plus intenses que celles suscitées par les offenses qui le touchent.


Mots-clés éditeurs : Excitation et économie psychique, Pensée et pulsion, Freud et Sartre, Psychanalyse et politique

Date de mise en ligne : 19/11/2013.

https://doi.org/10.3917/top.124.0027

Notes

  • [1]
    C’est tout le projet husserlien d’une phénoménologie qu’il faudrait évoquer ici. Cependant, le texte le plus inspirant sur la problématique des complexes d’actes reste celui qui fit la toute première ouverture de cette problématique, à savoir la Philosophie de l’arithmétique (Husserl, Edmund, Philosophie der Arithmetik, Den Haag Nijhoff 1970). Il est clair cependant que nous pouvons renvoyer à des textes où l’analyse des complexes d’actes atteint une grande exactitude, tels les Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. Allgemeine Einführung in die Phänomenologie [Ideen I] 2. Aufl., Tübingen, Niemeyer 1922 ou Erfahrung und Urteil. Untersuchungen zur Genealogie der Logik, Hamburg Meiner 1972.
  • [2]
    Voir le premier volume de Husserl, Edmund, Logische Untersuchungen, 3. vol., 5. éd. (repr. 2. éd. 1913) Tübingen Niemeyer 1968.
  • [3]
    Je renvoie à quelques uns des titres les plus représentatifs des science studies : Barnes, Barry, About Science, Oxford New York Blackwell 1985. Barnes, Barry, Bloor, David, Henry, John, Scientific Knowledge. A Sociological Analysis, London Athlone 1996. Barnes, Barry, Edge, David, éd., Science in Context. Readings in the Sociology of Science, Cambridge Mass. MIT Press 1982. Böhme, Gernot, Alternativen der Wissenschaft, Frankfurt Suhrkamp 1980. Latour, Bruno, Science in Action : How to Follow Scientists and Engineers through Society, Cambridge Mass. Harvard University Press 1987.
  • [4]
    L’initiateur d’une pensée probabiliste de la science et de la provisorité de sa validité est bien sûr Popper. Voir Popper, Karl, Logik der Forschung, Tübingen Mohr (10e éd.) 1994. Thomas Kuhn a suivi ce chemin de pensée et livré (dans : The Structure of Scientific Revolutions, Chicago University of Chicago Press (2 éd.) 1970) une théorie du changement scientifique pour ainsi dire.
  • [5]
    C’est plutôt une biologisation ou une cognitivisation biologiste /cérébraliste qui a ici pris la relève. Voir Popper, Karl R., Eccles, John C., The Self and Its Brain. An Argument for Interaction, Springer International Berlin New York London 1977.
  • [6]
    L’Entwurf einer Psychologie (1895) freudien a été publié, comme on le sait, de manière postume dans Freud, Sigmund, Aus den Anfängen der Psychoanalyse, in Gesammelte Werke, Nachtragsband, London Frankfurt – op. 1950a (1950c d’après la numérotation des Gesammelte Werke) 1962, p. 375- 486.
  • [7]
    L’exception est la recherche très approfondie sur le sujet entreprise par Sophie de Mijolla-Mellor dans son Le plaisir de pensée, Paris PUF 1992.
  • [8]
    Sartre, Jean-Paul, Critique de la raison dialectique, Précédé de Question de méthode, 1er vol., Paris Gallimard 1960.
  • [9]
    Sartre a consacré à Flaubert une étude monumentale (Sartre, Jean-Paul, L’idiot de la famille, 3 vol. Paris Gallimard 1971) qui devait donnait de l’homme et de l’écrivain une psychobiographie analytique ainsi que réfléchir sur la fonction de la littérature dans l’économie psychique et la situation sociologique de son « sujet ». Je n’entre pas ici dans le détail des thèses sartriennes qui demanderaient de longs développements. Pour dire en un mot ce qui devrait être approfondi à ce point de la réflexion, mais ne peut l’être ici : c’est la thèse de Sartre selon laquelle la littérature-névrose flaubertienne est, dirais-je, fonctionnellement inscrite dans la facture psycho-sociologique de son sujet.
  • [10]
    L’idée d’une homologie entre l’être et l’homme est élaborée par Heidegger à partir de fragments héraclitéens. Cf. Heidegger, Martin, Fink, Eugen, Heraklit. Seminar Wintersemester 1966/1967, Frankfurt Klostermann 1970.
  • [11]
    Heidegger commente dans le Satz vom Grund (Pfullingen Neske 1975) le vers d’Angelus Silesius : « die ros’ ist ohn’ warum », dans le sens que nous indiquons.
  • [12]
    Voir sur le concept d’Ereignis : Heidegger, Martin, Identität und Differenz, Gesamtausgabe vol. 11, éd. Friedrich-Wilhelm v. Herrmann, Frankfurt Klostermann 2006.
  • [13]
    Il est clair que nous pouvons remonter plus loin la tradition destinaliste pour la faire aboutir à Hegel et Herder, c’est-à-dire à une forme d’organicisme culturel ou de nécessitarisme historique caractéristiques de l’Allemagne philosophique et poétique du XIXe et de la première moitié du XXe s.
  • [14]
    Sur le Souverain schmittien, voir Schmitt, Carl, Politische Theologie ; vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität, München Duncker & Humblot 1934.
  • [15]
    Cf. là-dessus Weber, Max, Wissenschaft als Beruf, in : Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre. Tübingen UTB 1988, p. 582-613 – ainsi que Weber, Max, Le savant et le politique, trad. C. Colliot-Thélène, Paris, Découverte, 2003.
  • [16]
    Raymond Aron a donné des exposés éclairants de ces intuitions weberiennes dans : Les étapes de la pensée sociologique, Paris Gallimard 1967.
  • [17]
    La métaphore de l’artisan est omniprésente dans la philosophie depuis Platon. Elle tend à devenir le schéma représentationnel de toute idée de causation.
  • [18]
    La nécessité d’être dur (hart sein) ou le fait que le monde en son présent ne peut être saisi et approprié par des individus et des peuples résolus à soutenir et à agir la dureté, sont des leitmotivs du conservatisme révolutionnaire, en particulier en Allemagne.
  • [19]
    On connaît la formule heideggerienne : « Wer groß denkt, muß groß irren » (Aus der Erfahrung des Denkens, Gesamtausgabe vol. 13, éd. Hermann Heidegger, Frankfurt Klostermann 1983). « Qui pense grand, erre grandement » laisse la petite pensée être responsable de ses petits errements, alors que la grande, c’est-à-dire celle qui accomplit l’homologie du monde, reste disculpée du fait même qu’elle ne fait que résonner de l’adresse / demande (Anspruch) de l’être.
  • [20]
    Je fais allusion bien sûr, dans le choix du terme, au pamphlet.
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