Notes
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Je remercie Guy Mérigot pour l’aide apportée dans l’élaboration en langue française de cet article.
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Dans cet article, plusieurs mots ont été utilisés entre guillemets pour faire référence à leurs connotations en turc. Ces connotations ont été, le plus possible, traduites en français.
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Émigrer : diverses significations en turc telles que « changer de place » et « le fait de l’effondrement d’une chose, sa démolition ».
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Cem Y?lmaz, comédien turc.
1Le concept de « narcissisme des petites différences » a, au premier abord, des connotations centrées sur le conflit, l’agressivité et la violence et, lorsque ce groupe de concepts est en relation avec la politique, cela s’intensifie. Il est possible de retrouver cette tendance quand on regarde le contexte dans lequel Freud met ce concept à l’ordre du jour ainsi qu’au centre des discussions dont il est l’objet. Ces tendances similaires que j’avais en tête lors de la rédaction de cet article ont, au fur et à mesure, cédé la place à des connotations de « coopération », de « collectivité », etc. Peut-être que cela est dû aux livres sur l’artisanat et l’artisan (surtout les œuvres de Sennett relatives à ce sujet) que j’étais en train de lire à ce moment-là, parce que la culture de la production artisanale est plus fondée sur des valeurs de tendance coopérative, sur la continuité du transfert de ces valeurs entre les générations, que d’autres cultures de production/conflit, comme je l’aborderai ci-dessous. Dans cet article, je vais essayer d’aborder le concept de « narcissisme des petites différences » avec une autre « sensibilité » qui fait référence aux connotations de « coopération », de « collectivité », etc.
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2L’artisanat est un terme qui renvoie à l’idée, au souci de qualité lors de la fabrication, la plupart du temps par une main d’œuvre manuelle, d’objets tels qu’un vêtement, une table, un bijou. Même si cette définition est déterminante, en l’infléchissant un peu, on peut aussi parler d’artisanat mental et social (Sennett, 2008). La définition exhaustive de l’artisan est « faire quelque chose bien pour la chose elle-même » tandis que « faire bien » a été désigné par Vitruve en 25 av. J.-C. sur le modèle d’une bonne construction en relation avec la solidité et la rigidité, l’utilité et la commodité, l’élégance et la beauté (Roth, 2000). L’artisan sait que pour « bien faire », l’approfondissement des compétences est lié au temps et au travail. Il travaille avec patience, discipline et autocritique afin de répondre à certaines normes de qualité. Dans une étude, on a constaté que les professions comme la médecine, les soins infirmiers, l’enseignement, sont toujours beaucoup plus appréciées que les professions comme la gestion d’entreprise, la spéculation ou la politique, mieux payées et qui donnent du pouvoir. En outre, les professions qualifiées telles que la menuiserie, la couture, l’électricité sont considérées, dans l’artisanat, parmi les professions de haut prestige. Ces données ont été interprétées par Sennett (2008) comme « les professionnels qui ont développé une habileté, avec un travail de longue haleine ». Elles sollicitent une image de liberté individuelle, évoquent chez les gens le sentiment de « mérite ». Il est probable que ce sentiment de « mérite » ait une réflexion psychique aussi chez les artisans comme une auto-confiance décidée, une autonomie rassurante.
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3En turc [2], « saisir », « traiter » renvoient à la transférabilité des fonctions de la main et de l’esprit. L’artisan « traite » son objet et le « saisit », le « reconnaît », le « tient », le pénètre en profondeur. Le contact, en touchant avec la main, anéantit la distance avec l’objet, « allie » l’artisan à son objet. L’artisan en suivant avec son œil, remet une distance entre lui et son objet. Ce processus continue en s’alliant et en se décomposant en permanence avec l’objet. Cela constitue une interaction profonde. La main et l’œil, le toucher et la vision unifient le corps et l’esprit. Les nouveaux modes de production ont tendance à détruire cette continuité. La main et l’œil, le corps et l’esprit semblent être décomposés. Le moraliste qui perçoit l’importance de cette interaction dit qu’il faut d’abord « être aveugle » face à la domination de la vision. Picasso conseille d’enlever les yeux aux peintres pour être un bon peintre, comme d’ailleurs « on enlève les yeux des chardonnerets pour qu’ils chantent bien ». La position centrale du transfert en psychanalyse découle de cela. Les thérapies qui nient le transfert nient la « saisie ». Comme « l’adaptation » de l’artisan qui « entend », de façon répétée, la pression que crée l’objet sur sa main et son esprit, le psychanalyste acquiert la compétence pour régler son « intonation » et « se raffiner », au fur et à mesure, en « entendant » le transfert. Comme « l’incorporation » des compétences de l’artisan avec la pratique, l’habilité de travailler avec le transfert « s’incorpore » au psychanalyste. Ce qui est appris n’est pas « la connaissance », c’est « l’intonation ».
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4L’artisanat œuvre dans un système de feedback régulier. Le système de l’apprenti, du contremaître, du maître, de la corporation, renforce ce système de feedback. L’artisan avance à petits pas, sa cible est toujours à un pas de distance, pas trop loin. Son but est de produire quelque chose, mais ce qui est produit, ce sont des choses du monde quotidien dont le lieu et le champ d’utilisation peuvent être perçus. Les acheteurs dispersés sont un autre élément du système de feedback. Et ce ne sont pas des acheteurs très loin et « abstraits ». Ce sont des personnes proches, vivantes, en relation, « concrètes ». À chaque pas, il y a une « coopération », une « interaction ». Ces interactions peuvent disparaître chez une personne s’éloignant de la culture de l’artisanat. Quand Prométhée a volé le feu des dieux et en a fait cadeau à l’humanité cela voulait sans doute montrer que l’homme pouvait désormais se prouver par ses pouvoirs créatifs. Mais ce pouvoir créatif pouvait en même temps entraîner avec lui plusieurs catastrophes. D’après Sennett (2008), la représentation mythique de cela est la déesse Pandore, qui d’ailleurs avait été envoyée sur la terre par Zeus pour être punie d’avoir volé le feu de Prométhée. La psychanalyse et le processus pour devenir psychanalyste semblent être très conscients de ceci, les systèmes de feedback sont très importants, les relations « concrètes, vives, proches » sont tout à fait déterminantes. Dans ces relations, « les petites différences » de l’artisan apportent une satisfaction narcissique, cette satisfaction donne « un sens » à son travail et à sa vie. Celui ou celle qui oublie très vite ces systèmes de feedback et est à la recherche d’objectifs trop « techniques » et « élevés », celui ou celle qui ne se contente pas des « petites différences », qui est profondément occupé par le fait d’être « authentique », d’obtenir « une grande distinction », montre qu’il a entrouvert la boîte de Pandore.
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5L’artisan qui peut se satisfaire et se contenter de sa petite différence, c’est comme s’il s’était équipé de tendances plus pacifiques. L’artisan a tendance à coopérer avec son maître au lieu de s’y opposer, à internaliser les caractéristiques de son objet et s’y adapter minutieusement au lieu de combattre l’objet qu’il travaille, « entendre » les caractéristiques propres à sa clientèle et faire les « ajustements » spécifiques pour elle. Un apprenti couturier suit de longues années son maître et son contremaître, il apprend d’eux, s’associe aux travaux avec de petits rôles, par de petits travaux. Pendant ce temps il reconnaît les propriétés des tissus, il expérimente comment leur donner une forme, il accumule des savoir-faire pour deviner quelle coupe ira le mieux à la clientèle, il observe la négociation du maître avec son client, il intériorise la rhétorique. C’est ainsi que l’artisan s’attache à « une tradition » à la fin d’une longue éducation, devient une part de cette tradition et il en est le producteur. La tendance pacifique des artisans figure aussi dans les épopées homériques : « Ô les fées à voix pures, chantez le chant d’Héphaïstos, réputé par son talent. Lui, qui avait enseigné des arts prodigieux aux hommes partout dans le monde, ces hommes qui vivaient auparavant comme des créatures sauvages dans les grottes des montagnes. Ils ont désormais appris les artisanats grâce à Héphaïstos réputé par son art, ils mènent une vie pacifique dans leurs propres maisons pendant toute l’année. »
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6Si pour l’artisan la production est une facette de la tâche, la réparation en est une autre. Distinguer celles-ci est quasi impossible. Sans doute, dans aucune autre branche professionnelle, la réparation n’est aussi importante. Réparation ne signifie pas simplement remettre à l’état d’avant celui qui est en panne, cela comporte aussi une activité créative. L’artisan recrée en réparant quelque chose. La maîtrise de la production renforce la capacité de réparer et le travail de réparation renforce la maîtrise en percevant plus en profondeur. S’il peut produire, il peut aussi réparer. L’artisan est celui qui croit que la chose en panne est réparable. La qualité et la fonction psychique du fait de réparer mises en évidence par M., Klein sont connues des psychanalystes. La capacité de réparer se développe sur la base du vécu d’une collaboration harmonieuse dans les relations réciproques qui ne peut se stabiliser que dans la période de la petite enfance. Et l’artisan est en mesure de réparer cet état de dégradation, parce qu’il peut entretenir cette interaction de longue haleine.
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7Aujourd’hui l’un des mots qui est très utilisé est la concurrence. On suppose que la concurrence va apporter le « bon » travail (Kumar, 1995 ; Sennett, 2012). En fait, ce n’est qu’une illusion. Ceux qui suivent l’artisan voient à quel point la coopération et la participation sont importantes comme la concurrence pour faire un bon travail. Grandir et se développer signifie entretenir la coopération et la participation à côté de pouvoir concurrencer. Œdipe était un « boiteux » qui n’avait pas goûté le sentiment de coopération. Dans son univers, le conflit et la concurrence étaient déterminants. C’est pourquoi il n’a pas pu s’attacher à une « tradition », il n’a pas pu produire une « tradition ». Sa race a péri dans les conflits du « royaume ». Son père ne lui a pas cédé le passage en disant « c’est moi le roi », et Œdipe n’a pas « reconnu » le roi et a tué Laïos. Tandis que dans l’artisanat, le maître ne demande pas le droit de passage d’un royaume céleste : c’est sa compétence qui crée son autorité. Le maître transmet la promesse qu’ils vont « se qualifier » dans l’avenir en partageant avec ses apprentis et contremaîtres ses compétences et ses secrets de l’art, et cette promesse apporte la foi à son autorité. Ces compétences et les secrets de l’art partagés renforcent le sentiment de « coopération », approuvent la « crédibilité » réciproque et assurent le partage de satisfaction narcissique des petites différences. Le dieu artisan Héphaïstos a accepté la « castration », a fait la paix avec « sa boiterie », n’a pas commis de « crime » à l’encontre d’Œdipe. Il est rentré dans son pays, duquel il avait été exilé, avec du respect envers ses talents et ses productions.
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8Les réglementations sur la pratique du travail physique peuvent avoir un lien avec la qualité des réglementations sociales. Dans l’atelier de l’artisan, l’autorité qui naît de la compétence du maître est « inhérente », elle est donc « légitime ». Un ordre de travail faisant plus appel à la collaboration existe outre cette autorité légitime du maître avec le sentiment de « coopération » qui découle du partage de ses compétences. Par contre, l’autorité est « externe » à l’employeur qui l’obtient de son capital, de l’aristocrate qui l’obtient de sa race, du bureaucrate qui l’obtient du roi ou du pouvoir de l’État. Elle dépend donc toujours d’une « force ». Les sentiments de « coopération » de l’employeur et du travailleur, de l’aristocrate et du paysan, du bureaucrate et du fonctionnaire sont faibles. Il existe un « mur » infranchissable entre l’employeur, l’aristocrate, le bureaucrate et le travailleur, le paysan, le fonctionnaire. Il n’y a pas de promesse de changer de rôle, l’ordre hiérarchique est marqué. C’est peut-être pour cela que l’artisanat tend plus vers la « démocratie » que d’autres modes de production (Sennett, 2005, 2008).
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9Les systèmes, les groupes et les personnes qui ne prennent pas leur autorité des facteurs « inhérents » essaient de légitimer « l’ordre des privilèges » en exagérant « les petites différences ». Environ 80 à 90 % des hommes ont une intelligence moyenne et cette grande majorité est décrite comme « moyenne », « sans particularité ». L’artisan est quelqu’un de « moyen », n’est pas extrêmement « authentique », trop « intelligent », « créateur dès la naissance ». La distinction et l’opposition catégorique accentuée faite entre l’art et l’artisanat est peut-être le reflet de cette tendance de « légitimation de l’ordre des privilèges » (Sennett, 2012). L’art semble faire référence à l’inspiration, au talent, et au génie. En suivant cette perspective, l’artisanat est perçu comme une activité « futile », ordinaire, quotidienne. L’art est divin, l’artisanat est humain.
10La vie quotidienne reproduit aussi cet « ordre des privilèges ». Dans les cours de courte durée on n’instruit pas « l’artisanat culinaire » mais « les Arts culinaires ». Parce que c’est en promettant « beaucoup de choses » en peu de temps que l’on peut trouver des « clients » (pour les cours). Tout le monde reconnaît que l’on ne peut pas apprendre l’artisanat culinaire pendant un cours de courte durée, parce que l’artisanat est acquis par un « travail » de longue haleine, mais non « d’essence ». Mais personne n’a plus le temps et la patience pour cela. Le vendeur (l’organisateur du cours) vend « l’Art culinaire » en disant : « Vous avez du talent. » Ainsi le client se sent temporairement privilégié en supposant qu’il est « l’essence » et se débarrasse du processus de travail long, fatigant, discipliné, économise son labeur. Mais personne, ayant terminé ces cours, ne croit qu’il est, en réalité, un « artiste ». Parce que le cours n’a que promis mais pas garanti « l’essence » à l’élève qui en est certifié. D’ailleurs comme le stagiaire croit aussi que l’essence de l’artiste est quelque chose de très « rare », il a vécu une « illusion de courte durée » et s’est réveillé à la sortie. Maintenant un nouvel « art », un nouveau cours, une nouvelle illusion l’attendent. Dans ces cours, ces illusions et ces recherches d’essence, l’homme se « dégrade » de plus en plus, le temps s’est alors écoulé mais lui, il n’a pas pu retrouver cette « essence d’artiste ». La question, « si moi je ne l’ai pas ? » est accablante. Entre temps, l’artisanat n’est plus à l’ordre du jour. Pourtant, s’étant dédié à son travail avec de la patience et de la persévérance, « tout le monde » peut acquérir l’artisanat fondé sur le labeur au lieu de l’essence. Pour devenir un maître, un artisan a besoin d’une expérience d’environ 10000 heures. Au Moyen-Âge, un apprenti devenait contremaître avec une présentation succédant à un travail d’environ 5 à 7 ans, et, avec une présentation venant après un travail de contremaître de 5 à 10 ans, maître pour la corporation (Faroqhi, 2009, Sennett, 2008). Il suffisait que l’apprenti répète simplement le travail pour devenir contremaître, mais il fallait que le contremaître prouve ses qualités de gestion et de fiabilité à sa parole à côté des compétences propres. (À quel point tout ce processus et ces conditions ressemblent aux processus pour devenir psychanalyste avec des certificats de « thérapeute » obtenus suite « à des cours de courte durée »). Mais en conclusion, la plupart des apprentis et des contremaîtres qui témoignaient de la persévérance du travail nécessaire en envisageant un long chemin pour les petites différences et qui se contentaient de la satisfaction narcissique de ces petites différences réussissaient les examens pour devenir contremaître et maître. Dans ce sens aussi l’artisanat est plus démocratique et plus « collaboratif ».
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11L’artisan n’appose pas en général sa signature au travail qu’il effectue, il est conscient que ce qu’il fait n’a pas une grande « authenticité ». Il n’est qu’une partie, la suite et celui qui entretient une tradition. Mais chaque artisan « ajoute » aussi « les petites différences » propres à lui dans sa création juste avec son « intonation » différente, c’est son « empreinte » secrète. Cette « empreinte » est « scellée » parfois dans le pli d’une feuille sur une miniature, parfois sur la manière de faire un nœud d’un chirurgien, et parfois sur le ton de la couleur que vêt une brique sous le soleil. Ceux qui le savent la « reconnaissent ». Mais dans le monde de production de masse, ces empreintes s’effacent, « l’homme » qui produit se trouve anéanti. Seule reste la « marque » (Ritzer, 1998). Sennett (2008) donne un exemple très touchant avec l’histoire de la brique qui est utilisée à Londres. « Les Romains avaient posé l’empreinte de leurs briques partout où il ont installé une base en Angleterre. Quand l’empire a pris fin et que les Romains ont quitté Angleterre, la construction de briques par les Anglais a diminué pendant à peu près un millénaire. Pendant ce millénaire, les constructeurs anglais ont abattu les forêts ou ont utilisé les carrières, et c’est dans années 1400 qu’il a été possible de se rapprocher de nouveau des finesses de fabrication des briques romaines. La réapparition de cet artisanat est devenue une exigence lorsque la plupart des bâtiments en bois brûlèrent lors du grand incendie de Londres en 1666. Lorsque Christopher Wren a repris la reconstruction de la ville, il a déclaré « le développement du commerce de briques en tant que priorité ». Ce besoin intense a été résolu par les briques fabriquées dans les fourneaux installés dans la les arrière-cours des maisons dans les villages périphériques où il y avait abondance d’argile. « … Les fourneaux à dôme avaient donné une qualité esthétique nouvelle aux briques, et c’était la couleur… Ces briques étaient en général rouges, mais il s’agissait de différents tons de rouge suivant l’origine de l’argile de la brique et la pratique de cuisson se modifiant d’une cour à l’autre, d’un fabricant de brique à l’autre. » Les variations fines du rouge ressemblaient « à la palette d’un peintre », « montraient les murs sous la lumière comme si des étincelles s’irradiaient ». Les briques fabriquées par les artisans dans ces différents fourneaux étaient remarquables par la couleur, le ton, « l’aurore au doigt en rose », « les longues cheveux qui brillaient », « le visage pali d’un vieil homme ». C’était le poème temporel. Si ces artisans quittaient la ville, tout d’un coup, la ville perdrait « son poème », la ville ne serait sans doute plus la ville d’auparavant (Sennett, 2008). Le passage de la brique de soleil à la brique de feu il y a environ 6 000 ans a donné naissance à la brique plus solide, qui ne disparaissait pas avec la pluie. Cependant, au XIXe siècle, des « moules standard » et des peintures synthétiques ainsi que des briques uniformes aux « couleurs standard » qui ne changent pas selon l’argile et le feu utilisés ont été produites. Désormais, les interactions personnelles, les « traces » authentiques et les « couleurs » ont disparu. L’artisan n’existe plus, « est devenu anonyme », « a perdu son nom » : il est devenu travailleur.
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12« Le narcissisme de la petite différence » de l’artisan, découlant de « faire bien » son travail et qui se nourrit des systèmes de feedback, est en train de s’effacer à cause de « la déqualification » entraînée par les nouveaux modes et relations de production de ces derniers siècles (Ritzer, 1998). L’artisan se transforme de plus en plus en « travailleur », le travailleur se déqualifie de plus en plus. Aristote aurait perçu cette différence il y a des millénaires. Il semble avoir fait une distinction entre l’artisan et le travailleur. En grec ancien, on utilisait le mot « demioergos » pour artisanat. Ceci incluait aussi les travaux exigeant une certaine habilité comme le médecin, le musicien, tout homme qui produit avec sa main tandis qu’Aristote, a utilisé un mot distinct, « cheirotechnon », qui signifiait « artisan » et a jugé « l’artisan » sans valeur parce que celui-ci ignorait les « causes » de ce qu’il faisait (Sennett, 2008). Peut-être que la distinction entre ces deux mots peut être concrétisée par la notion « d’aliénation » chez Marx (Marx, 1976). Marx croyait que les modes et relations de production formaient le monde social et psychique de l’homme. Son but n’était pas seulement d’améliorer l’injustice économique, mais aussi d’assurer les conditions nécessaires afin que l’homme puisse utiliser et développer ses forces créatives dans le processus de production. Mais l’ordre capitaliste était un obstacle pour plusieurs motifs.
13D’après Marx, l’homme « s’objectifie » lui-même avec son travail, c’est l’activité qui fait que l’homme est un homme. Mais les relations sociales « réifient » ce « travail objectivé » de la personne. Cette aliénation de l’homme est autant envers les produits de son activité qu’envers l’activité productive. Le capitaliste obtient de la « valeur ajoutée » en saisissant les produits du labeur du travailleur : « L’objet qu’a produit le travail, le produit du travail, en tant qu’une entité étrangère (parce qu’il a été saisi de façon capitaliste), en tant qu’une force indépendante du producteur (s’est transformé en capital) est en état de résister (Marx) contre lui (contre le travailleur). » La plupart du temps, on a pensé que le seul problème chez Marx était cette saisie. Cependant comme la perception de la « sexualité » de Freud, la perception de l’économie de Marx est aussi beaucoup plus vaste. L’homme ne se réifie pas seulement au produit de son travail, mais aussi à son activité productive.
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14L’artisan est la plupart du temps le propriétaire de ses propres outils de production, c’est pourquoi il est le propriétaire de son propre produit. En devenant de plus en plus travailleur, il les a perdus. L’artisan « comprend » le processus de production avec son travail, il reconnaît les « causes » du travail qu’il fait. D’ailleurs, il a appris le « contenu » pendant des années tandis que le travailleur a perdu le « contenu », « les causes » du travail qu’il a accompli. Il a perdu la compétence de percevoir et de contrôler le travail qu’il fait dans son intégrité (Kumar, 1995). L’épicier est beaucoup plus conscient du processus que l’ouvrier qui travaille dans un supermarché, alors que le travailleur n’est devenu que quelqu’un qui additionne les prix à la caisse. En plus, il s’est éloigné du calcul (la calculatrice), puis du fait de lire les prix (code barre), c’est-à-dire que sa compétence au travail qu’il fait est de plus en plus « minimisée », il est comme l’approvisionneur de la machine (Kumar, 1995, Ritzer, 1998).
15L’outil est sous le contrôle de l’artisan tandis que l’ouvrier est une pièce de la machine. Cet ouvrier raconte son travail comme cela : « Qu’y a-t-il à dire ? Une voiture vient, je fais la soudure, voiture vient, je fais la soudure, voiture vient, je fais la soudure. Cent une fois en une heure. » (Ritzer, 1998). Henry Ford soulignait dans sa biographie qu’il ne pouvait pas faire ces travaux monotones mais que ce travail serait idéal pour ceux qui ont des capacités mentales limitées et qu’il n’y a aucun mal à cela. En fait, ces commentaires expliqueraient peut-être en partie pourquoi la plupart des gens ont un score médiocre aux « tests d’intelligence ». Pour pouvoir dire si les gens sont obligés d’effectuer de tels travaux, c’est que cela n’a rien avoir avec le mode de production mais que cela est lié à la « restriction » de leurs capacités. Dans le cas contraire la réaction qui pourrait provoquer « une révolte » entraîne une accusation et un mépris de soi à l’aide de telles déclarations « idéologiques ». Tandis que celui qui a « du mépris de soi » continuera un tel travail, avec les mots d’un travailleur « il se sentira comme un robot, deviendra un écrou mécanique ». Avec les mots de Marx, « le travail produit la raison, mais pour le travailleur il produit la bêtise et stupidité ».
16Pendant que le travailleur continue une répétition mécanique aliénée physiquement et mentalement à l’intégrité du processus, l’artisan cherche à tout moment des solutions aux problèmes pratiques, réorganise son corps et sa raison suivant différentes conditions. Un couturier fait tout le temps des essayages pour pouvoir coudre à un homme aux épaules étroites le vêtement fonctionnel, solide et le montrant élégant à la fois, il découd et recoud. Dans ce cas, le vêtement cousu pour l’un ne serait pas une copie cousue pour un autre. Peut-être que « standardiser » la prescription de l’un des 3 à 5 antidépresseurs à tous, chez qui l’on constate cinq des neuf critères, chercher des thérapies avec « il suffit que tu bouges tes yeux des deux côtés » sans trop se concentrer sur des détails personnels est l’indice de « se transformer de plus en plus en travailleur » dans notre domaine tandis que le psychanalyste est celui qui s’efforce encore de résister à ce processus, celui qui essaie de rester artisan. Lui n’a pas le même vêtement « magique » fonctionnel, solide et beau à coudre pour tout le monde, il ne devrait pas l’avoir. Le fait de se transformer en travailleur n’est pas seulement dans l’usine ou dans les centres commerciaux comme on le croit mais au contraire partout, à l’hôpital, dans la rue, dans les relations, dans l’éducation des enfants, dans la soupe que l’on boit, dans notre goût alimentaire. Désormais lorsque l’on boit de la soupe, il suffit de renverser le sachet dans la tasse et d’ajouter dessus de l’eau bouillie. Mais nous n’avons pas à le faire en réfléchissant, sur le sachet est inscrit : « 1. Ouvrir, 2. Renverser, 3. Ajouter de l’eau, 4. Mélangez, 5. Boire » avec des schémas à l’appui (Ritzer, 1998). L’homme a tendance à « se dégrader » en cachette tant dans sa vie quotidienne que dans sa vie professionnelle tout comme la caissière du supermarché.
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17Les artisans ont été effacés non seulement en « perdant leurs qualifications » sous des influences économiques, mais aussi à cause du pouvoir physique, concret, utilisant la force. Au début du XXe siècle, des millions d’Arméniens et de Grecs d’Anatolie ont été exilés de leurs terres. Leurs maisons, leurs magasins ont été pillés. Même les arbres de centaines d’années ont été « arrachés » dans leurs jardins pour être vendus en tant que bois. La plupart de ceux qui ont été exilés étaient des artisans bien élevés, vivant dans les villes (Koraltürk, 2011). Ces artisans constituaient plus de la moitié de la population totale des artisans, et, dans plusieurs artisanats, ils constituaient la totalité de la population surtout pour les artisanats qualifiés (K?rl? et Ba?aran, 2012). Après le départ des exilés de plusieurs villes du pays il n’était plus possible de trouver des artisans qualifiés dans plusieurs domaines. Par exemple, le Journal Keskin écrivait : « Après l’expédition des Grecs d’Anatolie, il n’y a plus aucun tailleur et maçon dans le bourg Keskin. » Des exemples similaires sont assez répandus à cette période. Mais dans cet article, notre objectif n’est pas de mettre en évidence, de détailler ces constatations concrètes. L’essentiel est de souligner ce qui a pu réduire la valeur, l’influence, l’apport et la représentation sociale et psychique de l’artisanat avec l’exil de tant d’artisans de ces terres. Si après le départ des Romains envahisseurs de Londres la maîtrise de la brique ne se redresse que 1 000 ans plus tard et si la ville perd sa « couleur » après le passage des briques produites dans les fourneaux à dôme aux briques standardisées, il nous reste à deviner tout ce qui a pu « émigrer » [3] avec tant de personnes ayant dû quitter ces terres d’Anatolie. Et avec elles, d’entamer la réflexion sur tout ce qui est pu être perdu de la valorisation du travail, de la capacité de travailler en collaboration avec la motivation de « faire un bon travail » avec patience et avec soin, des potentiels que crée cette capacité dans le domaine des relations psychiques et individuelles. Par exemple, réfléchir sur les difficultés à établir l’éthique professionnelle et quotidienne, sur la tendance de la concurrence à l’emporter sur l’appréciation de la valeur du travail maîtrisé, sur la motivation pour le conflit au lieu de la paix, et, si l’on « exagère » un peu, réfléchir sur l’intérêt de savoir si le retard de la psychanalyse sur ces terres a un rapport avec cette « perte ». N’oublions pas, « les exilés » sont les descendants des ancêtres de la même patrie que Héphaïstos, connu en tant que dieu de l’artisanat sur ces terres, qui en dominant le feu il y a des millénaires, est le premier à exploiter systématiquement les mines dans les montages de l’Arménie (Eliade, 2000). Peut-être que les conséquences de cette « perte » sont beaucoup plus graves, plus profondes et, à plus longue portée, à être considérées dans le contexte des valeurs artisanales.
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18Il est très difficile pour l’artisan de travailler dans une région autre que la région à laquelle il est habitué. Parce que lui, à chaque pas, il a été élevé dans un système de feedback : sa main s’est formée selon cette région, son esprit s’est équipé selon cette région. Par exemple, on a observé que les Asiatiques mettent leurs chaises en position parallèle à la rue tandis que les Méditerranéens en position perpendiculaire (Sennett, 2012). Les Méditerranéens voulant parler avec leurs voisins, se suivent et se touchent, les Asiatiques, plutôt introvertis donnent la primauté à l’intimité. Si un maçon est « exilé » en Méditerranée, la forme qu’il donnera à la maison et au balcon de la maison pourrait causer de grands ennuis. Par exemple, le balcon en Méditerranée pourra être large mais étroit. En Asie, le contraire est jugé acceptable. C’est peut-être pour cela que la déportation des Arméniens est un grand drame. Ils sont entrés dans un système de feedback nouveau, là où ils sont partis. Ils ont dû adapter leurs arts, et donc leurs corps et leurs esprits pour pouvoir survivre. Peut-être qu’une partie d’entre eux a eu des difficultés mais a réussi. Une partie peut-être n’a jamais pu réussir. Les drames « petits et cachés » expérimentés un par un peuvent être plus touchants que pour le grand nombre. Mais en général, dans notre pays, l’attention des historiens n’est ni focalisée sur les artisans, ni sur d’autres « petites drames ». L’histoire des sultans, des pachas, « du Turc », « de la conquête », « de grandes victoires » est plus « précieuse ». Peut-être que cette sensibilité, cette habileté de se focaliser sur ces « petites différence » est aussi massacrée avec ceux qui sont « déportés ».
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19Dans le mode de production moderne, la dissociation du travailleur, à la fois des outils de production, à la fois de son produit, à la fois de l’intégrité du processus de travail, physiquement et mentalement, à la fois de la continuité entre lui et les générations avant et après lui, a été indiquée ci-dessus. À côté de ceci, il se trouve en même temps dissocié et isolé des personnes qui utilisent son produit. En contrepartie de cette désintégration, l’artisanat a tendance a assurer une intégrité dans tous ceux-ci (Kumar, 1995). L’artisan veut s’approprier ses outils et les dominer, il s’approprie son produit, il veut dominer son destin, il contrôle tout le processus de production, il joue son rôle à toute étape, il porte la continuité entre les générations en tant que produit et producteur d’une tradition. Comme il prend appui sur tous ceci, l’artisan a la chance de rencontrer, en personne, l’utilisateur de son produit, d’ailleurs, c’est l’une des exigences de son travail. Un couturier « rencontre » la personne qui va utiliser le vêtement pour le coudre, il la « touche », il « coud » spécialement pour elle. Un médecin « écoute » son patient, il apprend son histoire personnelle, il l’examine, il établit un diagnostic et un traitement spécifique pour lui en considérant « ses petites sensibilités ». Ces rencontres « spécifiques » qui prennent en considération les « petites différences » ont le potentiel de créer « une valeur » très particulière. Cette valeur naît quand son interlocuteur « voit », « entend », « touche » le soin, le sacrifice, le talent et le travail qu’un artisan ajoute de lui-même pour « faire bien ». Cette valeur se fait entendre avec « le remerciement » que l’artisan reçoit de son client, de son patient, de son enfant, de son élève en échange du « bon » travail fait spécialement pour la personne, avec « la gratitude » dans leurs yeux et « l’attachement » qui ne se dégrade pas facilement. Cette valeur s’ajoute à la personnalité de l’artisan comme un « plus ». « Inventons » un nom pour la nouvelle valeur que l’artisan reçoit contre la valeur qu’il ajoute à son travail et, en faisant aussi référence à une notion psychanalytique (gratitude), appelons-le « valeur de gratitude ». « La valeur de gratitude » est celle qui ne peut être réglée avec l’argent ou avec une autre rémunération matérielle. Le client aura payé le prix du vêtement cousu par le couturier mais n’aura essayé de donner « le coût » total qu’avec un remerciement sincère représentant « la valeur de gratitude ». Personne ne paie une telle « valeur de gratitude » pour un jean une ou chemise qu’il achète chez Levis. Cem Y?lmaz [4] a très bien illustré cette valeur. Dans l’un de ses spectacles il fait de bonnes plaisanteries et après avoir taquiné le spectateur, éclate une volée d’applaudissement. Alors, il fait semblant de croire que ce n’est pas lui qui est applaudi, tourne le dos aux spectateurs et commence à applaudir comme si quelqu’un était venu sur la scène. Quand « il remarque » que les applaudissements étaient pour lui il s’exclame : « Pourquoi applaudissez-vous ? Tout est inclus dans le billet que vous avez payé ! Est-ce que vous applaudissez l’homme à qui vous avez acheté des cigarettes parce qu’il « vous a donné de bonnes cigarettes ? » En fait, il démontre, même en disant l’inverse, que les applaudissements qui reflètent « la valeur de gratitude » ont une compensation « spéciale » qui ne peut être payée avec de l’argent. Au fond, le capitalisme est le nom de l’organisation qui transforme « la valeur de gratitude » « qui ne peut être compensée » avec de l’argent, « qui ne peut être calculée », « qui ne peut être payée » en « valeur ajoutée » en établissant des modes et relations de production nouveaux.
15.
20L’artisanat exige une organisation de l’espace spécifique. L’artisan travaille dans l’espace « en tant que lieu ». L’espace et la cohérence des relations qui remplissent l’espace, la régularité, la persévérance, etc., sont importants pour lui. Les relations entre l’apprenti, le contremaître, le maître, la corporation, « le client », etc., ont une continuité, ne changent pas très vite, « ne se différencient pas » de jour en jour. La transformation de ces relations progresse lentement avec de petits pas comme le développement de l’habilité de l’artisan et le processus de production tandis que de nos jours, un employé change en moyenne 12 à 15 fois d’employeurs pendant sa vie (Sennett, 2008, 2012). Il ne faut même pas parler du dynamisme de la relation client-acheteur. Dans la philosophie moderne du travail, on conseille de ne pas garder ensemble les travailleurs dans une même équipe plus de 9 à 10 mois parce que l’on pense que des relations plus longues que cette durée entraîneraient des liens personnels « qui s’approfondissent » de jour en jour (« croissance interne ») et que cela pourrait causer différents problèmes du point de vue « du système de gestion » (Sennett, 2012). Dans ce cadre, la psychanalyse partage des orientations similaires à celles de l’artisanat contrairement à la logique du travail contemporain. Elle est « cohérente » et sensible à l’espace et aux relations qui la remplissent plus que tout autre modèle thérapeutique. Le travail psychanalytique de longue haleine, « critiqué » en permanence au motif qu’il ne se conforme pas « à la logique économique », rend beaucoup plus possible « l’approfondissement », l’établissement de liens forts et leur analyse, tandis que les thérapies « de courte durée » ne donnant pas la possibilité « d’une croissance interne », peuvent entraîner une remise en forme « superficielle » et « externe ».
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21Faire « un bon travail » implique d’imaginer des notions plus amples sur ce qu’est le « bon », et n’est possible qu’en « grandissant » avec le bon travail. Plusieurs capacités nécessaires à l’artisan comme la capacité de collaborer, de s’entendre avec d’autres, d’endurer avec patience et persévérance, des compétences comme savoir conduire un dialogue, entretenir des relations profondes, réparer, etc., s’acquièrent grâce à la qualité des relations parent-enfant (Sennett, 2012). Les enfants intériorisent les capacités psychiques nécessaires pour un bon travail en « grandissant » dans leurs relations avec leurs parents tout comme l’intériorisation des capacités productives de leurs parents, comme les fils qui devenaient des forgerons au côté de leurs pères, les filles qui devenaient des couturières au côté de leurs mères dans les temps anciens. Les parents, qui peuvent être de « bons » artisans quand ils élèvent leurs enfants, « élèvent » des enfants qui sont « résistants aux difficultés (la solidité) », « pouvant déployer leurs capacités (la fonctionnalité) », « beaux » (la beauté) » et qui peuvent imaginer le « BON ».
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22L’artisanat n’a pas disparu et certains théoriciens que je n’ai pas trop cités ici pensent encore que la production artisanale renferme des indices qui seront le messager de la renaissance dans l’avenir. De plus, l’artisanat garde sa valeur dans l’esprit des hommes. Les hommes sont beaucoup plus touchés par « la valeur d’une gratitude que par mille monnaies ». Voir ce désir dans les locaux de thérapies n’est pas rare. L’artisanat représente un défi radical à la nouvelle culture du capitalisme. Entre tous les dieux imparfaits, celui qui est le seul laid, celui qui essaie d’oublier sa solitude en donnant forme au métal, celui qui éprouve de la gratitude envers les déesses qui l’ont sauvé de la mort, par des cadeaux qu’il a fabriqués avec sa maîtrise, est le dieu boiteux Héphaïstos qui n’est peut-être pas fier de « son image » mais du travail qu’il fait. Dieu Artisan, dieu qui a pu créer Pandore sur la demande de Zeus, il détient sans doute le pouvoir et le potentiel de sortir l’espoir de la boîte de Pandore.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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- SENNETT, R., “Together : The Rituals, Pleasures, and Politics of Cooperation”, Yale University Press, 2012.
Notes
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[1]
Je remercie Guy Mérigot pour l’aide apportée dans l’élaboration en langue française de cet article.
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[2]
Dans cet article, plusieurs mots ont été utilisés entre guillemets pour faire référence à leurs connotations en turc. Ces connotations ont été, le plus possible, traduites en français.
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[3]
Émigrer : diverses significations en turc telles que « changer de place » et « le fait de l’effondrement d’une chose, sa démolition ».
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[4]
Cem Y?lmaz, comédien turc.