Topique 2011/3 n° 116

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Article de revue

Survivre à une réduction embryonnaire

Pages 111 à 121

Notes

  • [1]
    - Étude HV-NAT, 1995-1999.
  • [2]
    - Chlorure de Potassium, qui entraîne un arrêt cardiaque en quelques secondes.
  • [3]
    - Centre d’Action Médico-Sociale Précoce.
  • [4]
    - En corrélation avec la vacuité utérine : notion de « sympathie utérine », Marcé. L’on peut ici laisser une place aux hypothèses neurobiologiques s’appuyant sur les remaniements hormonaux du post-partum.
  • [5]
    - Du nom de l’auteur de Da Vinci Code, et du « symbole perdu » qui décrivent la recherche d’une trace déjà inscrite et conforme, explicative du sens de l’univers, selon les scénarios ésotériques traditionnels (cf. la critique de ce scénario par U. Eco).
  • [6]
    - Cf. également, Ansermet et Magistretti, se référant à Giacometti : « L’objet une fois construit, j’ai tendance à y retrouver transformés et déplacés des images, des impressions, des faits qui m’ont profondément ému (souvent à mon insu), des formes que je sens m’être très proches, bien que je sois souvent incapable de les identifier, ce qui me les rend toujours plus troublantes. »
  • [7]
    Abrégé de Psychanalyse, 1938.
  • [8]
    - Les données de la littérature restent encore à cet égard très fragmentaires.
  • [9]
    - F. Drossart.
« Par vingtaines, répéta le Directeur, et il écarta les bras, comme s’il faisait des libéralités à une foule. Par vingtaines ».
« Car bien entendu, dans l’immense majorité des cas, la fécondité est tout simplement une gêne ».
HUXLEY, Le meilleur des Mondes
« Charmian
« Peut-être mes enfants n’auront-ils pas de père.
Je vous en prie, combien de garçons et de filles vais-je avoir ? »
Le devin
« Si chacun de vos désirs avait un ventre et chacun d’eux fécond, un million »
SHAKESPEARE, Antoine et Cléopâtre Acte I, scène 2

1 La réduction embryonnaire consiste à supprimer un ou plusieurs embryons en cas de grossesses multiples – dont le risque est considérablement augmenté par les techniques de procréation médicalement assistée. C’est un acte médical légalement autorisé en France, bien que le support juridique en soit encore incertain. La plupart des Centres acceptent de pratiquer une réduction embryonnaire en cas de grossesse triple ou plus, afin de revenir à une grossesse gémellaire. La réduction d’une grossesse gémellaire à une grossesse unique ne se pratique que pour des raisons médicales particulières, grossesse dangereuse pour la mère, risque grave d’accouchement prématuré… Elle se pratique par voie vaginale (jusqu’à 8 semaines d’aménorrhée) ou transabdominale (de 10 à 14 SA). Le taux de fausses couches après réduction embryonnaire est estimé à 6% [1], celles-ci survenant 3 à 6 semaines après. Le geste est réalisé sous contrôle échographique continu avec une aiguille qui permet une injection intracardiaque de 2 à 3 ml de Kcl [2]. Le choix de l’embryon qui sera ponctionné dépend de plusieurs éléments, on « choisit » en général l’embryon le plus haut situé et le plus accessible, sauf si l’un des autres embryons présente une anomalie morphologique.

2 Comme le remarque M. Bydlowski, ce terme de réduction embryonnaire est un « euphémisme délicat pour désigner la destruction dirigée, et parfois hasardeuse, de l’un des produits de la fécondation ». Qu’en est-il du vécu des mères et des couples qui ont accepté ce geste technique parfois médicalement indispensable, lorsqu’il s’agit d’une grossesse à plus de 3 embryons ?

3 En ce qui concerne le vécu des mères et des couples, les avis sont variés en la matière, certains estimant que les difficultés psychologiques diminuent en règle avec le temps, mais peuvent nécessiter un accompagnement spécifique (Seniles). D’autres auteurs estiment que « cet acte est toujours très douloureusement vécu par ces couples en mal d’enfant qui, à l’issue de cette manoeuvre vont devoir simultanément accueillir une grossesse vivante et vivre le deuil d’un enfant resté potentiel, non désiré mais réel » (M. Bydlowski).

4 Si l’on a la curiosité de visiter les « forums féminins » qui fleurissent actuellement sur internet, les témoignages sont contradictoires. Certains sont très douloureux : « Après la réduction embryonnaire, j’ai dû faire une échographie. J’ai revu les trois, deux avaient le coeur qui battait et l’autre était mort. C’est là que j’ai réalisé ce que j’avais fait. C’était trop cruel. On aurait dû me dire de ne pas regarder. » « Il paraît qu’on peut être réveillée pour l’intervention, c’est sadique, je me demande comment on peut supporter ça. »

5 D’autres sont apparemment sereins : s’agit-il là d’une banalisation ? « Suite à une stimulation… il y avait 5 embryons ! Les jumeaux me faisaient hyper peur, alors des triplés, pour moi, il n’en était pas question. Mon mari, lui, voulait en garder deux. Nous en avons effectivement gardé deux. Je suis actuellement enceinte de 4 mois et demi. Je suis terrifiée en terme d’organisation future mais bon, très heureuse aussi de cette grossesse gémellaire… En plus, on voulait absolument une fille et a priori, il y aurait une fille et un garçon. Côté opération, pas de souci pour moi. AG, 20 minutes d’intervention, bon réveil, aucune douleur. Il faut dire que l’opération s’est faite dans un hôpital privé très réputé avec un spécialiste de la réduction embryonnaire. »

6 Ces réductions embryonnaires sont le plus souvent proposées à des couples présentant des problèmes de stérilité. Ceci fait apparaître le premier des paradoxes que nous rencontrerons tout au long des divers textes écrits à ce propos, et dont nous tenterons de recenser les points les plus saillants. Il faut en effet, chez une femme qui, pour les raisons les plus variées, ne pouvait pas avoir même un seul enfant, éliminer les embryons qui tout à coup sont en trop grand nombre et menacent la vie de tous.

7 Elles passent ainsi d’un sentiment « d’entrailles sans destin », de « ventre détruit », à la nécessité d’y soustraire les multiples vies qu’il porte pourtant enfin. L’espace intra-utérin devient le lieu de multiples tentatives de théorisation tant du côté de la mère que de l’enfant à venir. Lieu qui, dans le cas spécifique d’une réduction embryonnaire, lorsqu’il ne donne pas la vie est considéré comme un ventre mort, et qui lorsqu’il la donne, fait de l’enfant né un survivant, second paradoxe (Squires).

8 Autrement dit, une certaine confusion régnerait entre la vie et la mort qui ne serait peut-être pas sans incidence sur le développement de l’enfant à venir, potentiellement idéalisé comme un « mort-vivant », c’est-à-dire né mais portant en lui ses frères morts ; ces derniers étaient autant d’objets d’investissement libidinal pour la mère, qui pour disparaître, vont devoir fusionner avec d’autres objets, eux vivants, leur imprimant une ombre. Si l’on se réfère au texte freudien, « l’épreuve de réalité a montré que l’objet aimé n’existe plus et édicte l’exigence de retirer toute la libido des liens qui la retiennent à cet objet. Là contre s’élève une rébellion compréhensible – on peut observer que l’homme n’abandonne pas volontiers une position libidinale même lorsqu’un substitut lui fait déjà signe ». Réflexion qui comme nous le savons a été prolongée par les travaux de K. Abraham et de M. Klein.

9 Comme le souligne R. Prat, il existe des objets différenciés de l’enfant dans le ventre de la mère comme lorsqu’il joue avec le cordon ombilical, ou lorsqu’il écoute le monde extérieur distinguant progressivement la voix de sa mère des bruits qui l’entourent. Ceci bien entendu ne concerne que le foetus. Or c’est au stade de l’embryon (avant 14 semaines d’aménorrhée) qu’a lieu la réduction embryonnaire, comme son nom l’indique. Mais cette distinction médicale est-elle claire au niveau de l’inconscient maternel ?

10 Du côté des mères, les conséquences de la réduction sont relativisées par certains (Garel, Charlemaine), si l’on compare la vitesse avec laquelle un embryon peut être désinvesti avant le premier trimestre de vie. D’autres auteurs insistent sur la difficulté du travail psychique auquel sont confrontés les couples. « Faire le deuil d’un défunt, c’est le faire disparaître une deuxième fois et ceci de manière active. Dans le cas (différent) du deuil périnatal, on est dans la situation paradoxale de donner naissance psychiquement à un mort. » (Korff-Sausse)

11 À propos des embryons « non retenus », certains auteurs insistent sur la notion « d’enfant virtuel » (Missonnier) et la notion de « fantasme nostalgique » à propos de l’embryon non appelé à la vie – « enfant des limbes » en quelque sorte (Squires). Ceci rejoint, de manière plus aiguë, la question des embryons congelés, non implantés, et conservés pendant 5 ans en dehors de tout projet parental (Frydman).

12 Les difficultés du côté de la mère semblent plus facilement surmontables lorsqu’il s’agit d’une réduction embryonnaire donnant la vie à deux nouveau-nés plutôt que trois.

13 La situation clinique que nous allons présenter maintenant viendrait à l’appui de cette hypothèse.

14 Bertrand A. est un bébé âgé de 15 mois lorsque nous le voyons à la consultation du CAMSP [3], où il est reçu en « suivi simple » au décours d’une prématurité. Le motif d’une consultation « psy » est pour cet enfant, dont le développement psychomoteur ne paraît pas inquiétant par ailleurs, l’inquiétude de sa mère du fait de son refus de communiquer avec elle : il détourne systématiquement la tête lorsqu’elle essaie d’initier une interaction avec lui.

15 L’anamnèse est la suivante. Il est issu d’une grossesse sous FIV ayant donné lieu à une réduction embryonnaire (trois foetus sur huit ont été conservés in utero). Après la naissance, l’un des triplés est décédé rapidement. Les parents ont décidé d’enterrer celui-ci dans son pays d’origine, très éloigné, et c’est le père qui s’est chargé des funérailles, laissant la mère assez isolée avec les jumeaux.

16 Bertrand a une soeur jumelle qui semble se développer assez bien, mais qui présente de légers troubles du sommeil.

17 Lors de notre entretien, mené avec la puéricultrice, Bertrand me paraît capable d’entrer dans une interaction de bonne qualité avec l’adulte. Les échanges de regard, l’intérêt pour les jouets et le niveau psychomoteur paraissent normaux. La mère nous dit que l’enfant, depuis quelque temps se détourne moins de son regard. Il réagit à son prénom et nous donne l’impression de reconnaître son reflet dans le miroir.

18 Madame A., lors de cet entretien, réussit à exprimer la détresse qu’elle a vécue lors du décès du troisième enfant (elle avait été reçue par une psychologue de la maternité, puis de la néonatologie). Elle paraît très culpabilisée à l’idée de ne pas avoir pu assister à l’enterrement de son enfant mort, mais, dit-elle « elle ne pouvait pas imaginer sa place au milieu des autres ». L’ambiguïté de cette formule (s’agit-il de ses deux bébés vivants ou des cinq foetus détruits par la réduction embryonnaire ?) paraît évidente. Tout se passe comme si le symptôme de l’enfant qui fuit le regard de sa mère reproduisait à l’identique l’attitude de sa mère qui continue à fuir le spectacle insoutenable de son enfant mort.

19 Dans le cas de Bertrand, trois problématiques vont intervenir successivement : celle de la réduction embryonnaire, celle de la prématurité, et celle du décès postnatal de l’un des triplés. En ce qui concerne les remaniements du psychisme maternel (transparence psychique pendant la grossesse, M. Bydlowski, Préoccupation maternelle primaire, D.W. Winnicott, hiatus périnatal, F. Drossart), ces trois éléments anamnestiques apparaîtront ici comme des « surdéterminants ». La dépressivité maternelle classiquement décrite au cours du postpartum (phénomène dit du « baby blues ») est rattachée par nous dans le cadre du « hiatus périnatal » à une fantasmatisation portant sur l’enfant mort. Celui-ci correspond pour nous à l’enfant fantasmatique intra-utérin, « objet interne » (Klein), à jamais perdu après l’accouchement. Toutes les situations cliniques où intervient une perte d’embryon, de foetus ou de bébé, en tant qu’objets « externes », ravivent évidemment cette problématique, faisant en sorte que, dans ce cas, « la réalité vient dupliquer le fantasme » (Lebovici). Nous avons avancé que la fantasmatisation d’enfant mort liée au vide psychique du postpartum[4] fait de chaque enfant vivant un « enfant substitutif » de celui qu’il a été pour la mère avant sa naissance (F. Drossart). Il s’agit là d’une problématique inconsciente que nous différencions nettement de celle de « l’enfant imaginaire » (M. Soulé), ce dernier se rattachant au préconscient maternel et familial. Nous avons là, avec cette notion de hiatus périnatal (moment de césure qui tend à désorganiser le processus de préoccupation maternelle primaire) un concept qui ne peut en aucun cas être explicatif quant à la psychopathologie des « interactions fantasmatiques » parents-bébé (Lebovici, Veil-Halpern) ou de la constellation familiale (Stern). Nous proposons qu’il ait une valeur de « préconception » (Bion) en nous aidant à co-penser la situation clinique avec ses partenaires (parents-bébé).

20 Propos qui évoquent ce qui, d’après N. Abraham et M. Torok peut être transmis des parents aux enfants : « Pour peu qu’il y ait des parents à secrets, des parents dont le dire n’est pas strictement complémentaire à leur non dire refoulé, ceux-ci lui transmettront une lacune dans l’inconscient même, un savoir non su, objet d’un refoulement avant la lettre. Un dire enterré d’un parent devient chez l’enfant un mort sans sépulture. Ce fantôme inconnu devient alors depuis l’inconscient et exerce sa hantise, en induisant, phobies, folies et obsessions. Son effet peut aller jusqu’à traverser des générations et déterminer le destin d’une lignée. » Dédoublement qui se retrouve également dans le fantôme du frère éliminé, ou identification – de la part du survivant et de sa mère sur lui, comme un espace indifférencié entre la mère et l’enfant – à un objet dont nous ne possédons, et c’est là l’essentiel, que l’ombre, ou objet endocryptique. Ombre qui vient combler le manque d’objet, pour la libido, consécutif à la réduction.

21 L’enfant à venir est par conséquent celui qui n’a pas été supprimé, les autres embryons pouvant être traités comme n’ayant jamais existé, comme n’ayant justement jamais été supprimés ou bien comme imprimant leur empreinte à l’enfant d’une future grossesse car, comme le souligne, M. Bydlowski en décrivant ce « regard intérieur » que la mère porte sur elle-même à l’occasion de sa grossesse, tout embryon serait investi à partir d’une place particulière : c’est « la mère telle qu’elle fut autrefois » mais aussi le porteur d’un mandat transgénérationnel, proche à certains égards de ce que contient l’objet endocryptique.

22 Dans le cas de Bertrand, il apparaît à l’évidence que la mort post-natale du triplé, par un effet d’après-coup vis-à-vis de la réduction embryonnaire, intensifie les projections parentales quant à un enfant mort « sans sépulture » (Sartre) et irreprésentable. Nous sommes assez proches ici des « fantômes dans la nursery » (Frayberg) et de ce que certains auteurs ont appelé « investissement nostalgique » (Blin, Soubieux).

23 Plaçons-nous donc maintenant du côté du (des) bébé(s) survivant(s) et de sa (leur) potentielle culpabilité (Bettelheim). Que pouvons-nous supposer de l’impact de la RE sur son (leur) psychisme(s) naissant(s) ?

24 D’innombrables et passionnants travaux se centrent à l’heure actuelle sur la naissance de la vie psychique (Golse, Maiello, Missonnier, Pistiner de Cortinas, Stern, Trevarthen et al.) Il ne saurait être question ici de tenter de les résumer. Ces travaux, quand ils se réfèrent à la psychanalyse posent la question du refoulement originaire (Laplanche, Pontalis) tel qu’il peut être revisité à la faveur de l’observation du bébé (E. Bick) et désormais du foetus (Missonnier, Golse, Soulé) en tant qu’« enfant virtuel ». Deux pionniers existent en la matière : Rank (Le traumatisme de la naissance) et Ferenczi (Thalassa). En abordant ces travaux si passionnants, le lecteur a parfois l’impression de perdre le fil, voire de se laisser entraîner par certains dans une démarche causaliste qui pourrait devenir trop réductrice. C’est ainsi, par exemple, que certains (Bergeret, Houser) n’hésitent pas à incriminer un geste abortif ancien chez la mère d’un enfant pour « expliquer » chez celui-ci la phobie des couteaux (?). Avec d’autres auteurs (A.L. Ayoun, P. Ayoun, F. Drossart), nous avons critiqué cette version, à notre sens non freudienne, de la « trace mnésique » « à la « Dan Brown » [5]. Il s’agit-là d’une utilisation tronquée de la métaphore archéologique et de celle du « bloc magique » dont Freud nous indique bien qu’elles doivent être utilisées avec prudence quand il s’agit du vivant [6].

25 C et S. Botella se réfèrent à la remarque de Freud [7] : « La réalité demeure à jamais inconnue. » Ils remarquent qu’après 1920, la pensée freudienne s’éloigne du modèle de la théorie de la névrose au profit d’une ouverture sur le monde, et à la notion de névrose traumatique, avec sa répétition hallucinatoire identique à la perception traumatique. Représentation, perception ou hallucination. Comment ces trois modalités du psychisme vont-elles intervenir dans la construction du « moi » du bébé survivant ?

26 « Je pense que l’expérience intra-utérine est une de celles qu’on oublie volontiers. » (Bion). Nous pouvons interpréter la non-réponse de Bertrand à sa mère comme une perception anté puis postnatale, des failles que nous supposons dans sa capacité de rêverie maternelle, compte tenu du contexte particulier. Cette hypothèse ne pourrait se confirmer que par du matériel d’entretiens psychothérapiques en continu, matériel dont nous ne disposons pas en l’occurrence [8].

27 Cette symptomatologie nous évoque aussi les expériences de « still face » (Tronick et al.). Mais également une autre conception métapsychologique qui nous paraît rendre compte avec pertinence de la clinique décrite : celle de pictogramme et d’originaire (P. Aulagnier).

28 Un adolescent que nous recevons en psychothérapie [9] a la particularité d’avoir été recueilli pendant sa première année de vie par d’autres personnes de la famille, sa mère étant longuement hospitalisée en psychiatrie. Il nous décrit à plusieurs reprises, sans faire consciemment le lien avec cette anamnèse, un rêve d’enfance répété, d’allure traumatique. Il est niché sous un train qui roule à toute allure, face aux rails qui défilent et dont il continue à entendre le bruit, parfois, quand il est éveillé. L’interprétation ne sera pour nous pertinente que si on la rattache à la particularité de cette psychothérapie d’adolescent d’avoir (plus que la moyenne) particulièrement sollicité notre contre-transfert par des absences itératives, de dernière minute, aux séances !? Il s’agissait là de bien vérifier que nous ne le laissions pas tomber – tout comme le châssis du train auquel il doit de ne pas être écrasé sur les rails.

29 Dans la présentation qu’elle fait du processus originaire et du pictogramme, P. Aulagnier indique que « la représentation pictographique de cette rencontre a la particularité d’ignorer la dualité qui la compose. Le représenté se donne à la psyché comme présentation d’elle-même : l’agent représentant voit dans la représentation l’oeuvre de son travail autonome, il y contemple l’engendrement de sa propre image. Elle oppose ce processus originaire à celui du processus primaire qui est celui de la représentation fantasmatique, et à celui du processus secondaire, « espace où le Je peut advenir ».

30 Ce concept de pictogramme peut également être appliqué au détournement du regard de Bertrand, réalisant un « pictogramme de rejet ». L’entretien que nous ferons (sans doute facilité par les entretiens précédents de mes collègues de néonatologie) permet d’aborder discrètement le fantasme d’enfant mort et/ou substitutif qui pèse sur Bertrand. Ceci ouvre alors la voix à des entretiens ultérieurs qui permettraient la constitution d’un « espace où le Je peut advenir », pour la mère comme pour l’enfant.

31 Loin de vouloir en l’occurrence « psychopathologiser » toutes les situations de réduction embryonnaire, notre propos est plutôt de viser à maintenir attentifs les professionnels à ces signaux que leur adressent parfois comme des pictogrammes, certains parents en malaise, en souffrance, voire en détresse. Ces signaux peuvent tarder à apparaître, après une « lune de miel » qui est sans doute à respecter, dans l’euphorie de la naissance harmonieuse de jumeaux (ou triplés) vivants, et en bonne santé physique et psychique (apparemment). Nous rejoignons ici la proposition de M. Bydlowski qui préconise, dans les cas de stérilité, la mise en place d’un binôme gynécologue-psychanalyste. « L’analyste va profiter ainsi du transfert médical, véritable cheval de Troie qui lui permet d’entrer en relation avec des patients qui ne demandent rien a priori. » Au décours de l’accouchement, de tels binômes pédiatres-psychanalystes pourraient également être proposés pour ces enfants que les aléas physiques (fréquente prématurité) et psychiques de leur naissance semblent prédisposer à une certaine fragilité.

Bibliographie

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  • STERN, D., Le monde interpersonnel du nourrisson, Paris, PUF, 2003.
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  • TRONICK, E., et al. (1978), The infant’s response to entrapment between contradictory messages in face to face interaction, The Amer. Acad. Child psychiatr., 17, 1-13.

Notes

  • [1]
    - Étude HV-NAT, 1995-1999.
  • [2]
    - Chlorure de Potassium, qui entraîne un arrêt cardiaque en quelques secondes.
  • [3]
    - Centre d’Action Médico-Sociale Précoce.
  • [4]
    - En corrélation avec la vacuité utérine : notion de « sympathie utérine », Marcé. L’on peut ici laisser une place aux hypothèses neurobiologiques s’appuyant sur les remaniements hormonaux du post-partum.
  • [5]
    - Du nom de l’auteur de Da Vinci Code, et du « symbole perdu » qui décrivent la recherche d’une trace déjà inscrite et conforme, explicative du sens de l’univers, selon les scénarios ésotériques traditionnels (cf. la critique de ce scénario par U. Eco).
  • [6]
    - Cf. également, Ansermet et Magistretti, se référant à Giacometti : « L’objet une fois construit, j’ai tendance à y retrouver transformés et déplacés des images, des impressions, des faits qui m’ont profondément ému (souvent à mon insu), des formes que je sens m’être très proches, bien que je sois souvent incapable de les identifier, ce qui me les rend toujours plus troublantes. »
  • [7]
    Abrégé de Psychanalyse, 1938.
  • [8]
    - Les données de la littérature restent encore à cet égard très fragmentaires.
  • [9]
    - F. Drossart.
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