Notes
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[1]
Diplôme de spécialisation en psychothérapie systémique (DAS) de l’Université de Lausanne.
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[2]
« étudiant.e.s » : les guillemets signifient que tous les quatre étaient déjà psychologues ou psychiatres expérimentés en psychothérapie ; ils étaient en dernière année de diplôme universitaire de spécialisation en thérapie systémique (DAS). D’ailleurs, le premier auteur choisit en règle générale d’introduire l’équipe réfléchissante du DAS dans les situations complexes nécessitant du renfort, ce qui était le cas dans la Thérapie.
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[3]
L’ange gardien a donc une double mission, celle de soutenir avec bienveillance mais aussi celle de stimuler, d’encourager l’expression verbale des résonances notamment. L’on se souvient de l’impact significatif de ce dispositif dans la Thérapie lors de la première séance avec l’équipe réfléchissante le 19 février 2015 (Nussbaumer, 2016, 3, p. 270) : Caroline, ange gardien de Sylvain : « Sylvain a joué un grand rôle, peut-être qu’il a porté le flambeau de la fratrie comme s’il allait au front. J’ai l’image d’une éclipse, maman solaire, papa lunaire. Comment grandir dans la lumière de l’éclipse ? » Sonia, ange gardien des deux sœurs : « J’ai ressenti les émotions de Lucie dans l’estomac, comme si j’allais à l’oral d’un examen ! Et puis en voyant Florence, et ses gestes pleins de prévenance, j’ai eu l’idée du soin. Elle est en psycho ! » Marc, ange gardien du père : « Je ne suis pas encore papa, mais ce qui me touche, en résonance avec ma situation de fils et dans mon propre couple, c’est la forte émotion de M. C. […] Il dit qu’il est extrêmement touché et pourtant il m’a l’air pudique, je trouve cela exceptionnel. » Le père, très ému : « Je prends conscience de ce que j’ai fait… que de se voir ici avec mes enfants… je vois aussi que les enfants, ils ont pris du temps pour venir ici, ça leur tient à cœur. » Cristina, ange gardien du thérapeute qui lui demande conseil pour la suite – » quelle suite ? » – répond : « Je suis touchée par la pudeur de Sylvain et je pense au risque pour lui d’être ici. » Et il est question alors du temps nécessaire à la réparation des liens, de travail en sous-systèmes, de faire venir peut-être la mère ? Mais cette dernière proposition est balayée par les jeunes qui pouffent et déclarent que ça ne servirait à rien… Les anges gardiens ont ici une fonction d’encouragement à exprimer ce qui est difficile dans ce système de grande pudeur émotionnelle.
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[4]
Prénom fictif.
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[5]
Prénom fictif.
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[6]
L’on peut se demander : « Mais alors qui est votre client ? Et comment gérez-vous la confidentialité ? » Nous répondons que le client, s’il est d’abord formellement le père, devient selon l’éthique relationnelle l’ensemble des relations familiales blessées ; ce sont elles nos clientes désormais. Quant à la confidentialité, nous avons demandé au père son accord pour élargir la PIOS à ses enfants et il nous a donné carte blanche. Par la suite, les deux filles ont constamment travaillé dans cette éthique explicite de soigner leurs relations familiales blessées. À noter que toute cette partie s’est déroulée sans l’équipe réfléchissante comme nous l’avons décrit ailleurs (Nussbaumer, 2016, 3).
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[7]
Nussbaumer, 2018.
Introduction
1Cet article fait suite à un atelier présenté à Lyon. Cet atelier comme le présent article sont le reflet vivant d’une expérience tout à la fois thérapeutique et de formation systémique.
2Afin de faciliter la lecture et la compréhension des différents dispositifs au cours du temps, nous précisons d’emblée les limites de ce triple processus :
- Le premier s’est déroulé de novembre 2013 à janvier 2016 à Lausanne en Suisse, dans le cabinet du premier auteur. Il a consisté en une thérapie individuelle devenue thérapie familiale avec le soutien d’une équipe réfléchissante entre le 19 février et le 3 décembre 2015. Il a été décrit sous le titre : Thérapie individuelle systémique EMDR en prémisse d’une thérapie familiale « épique » : La famille d’Antigone revisite le jeu de l’oie dans le miroir d’une équipe réfléchissante (Nussbaumer, 2016, 3). Nous l’appellerons ici la Thérapie.
- Le deuxième s’est déroulé le 1er juin 2018 à Lyon lors d’un atelier des 13es Journées francophones systémiques. Il est l’objet du présent article et nous l’appellerons ici l’Atelier.
- Le troisième, qui se poursuit aujourd’hui, est le processus de transformation, avec les « transports » – au sens de Michael White – qui ont saisi les cinq auteurs du présent article en le préparant et en l’écrivant.
3Le premier auteur et ses quatre collègues psychothérapeutes ayant fonctionné dans le cadre de leur formation [1] comme équipe réfléchissante d’une famille en thérapie (Nussbaumer, ibid.) proposent en effet – et c’est l’objet de l’Atelier –, à partir de leur expérience coévolutive avec cette famille, une nouvelle expérience avec quatre volontaires de l’Atelier qui formeront l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante.
4Concrètement, comme nous l’avons décrit ailleurs (Nussbaumer, 2016, 1), voici comment se déroulait la Thérapie : le premier auteur menait les séances familiales alternativement avec l’un.e des « étudiant.e.s [2] » et les trois autres formaient l’équipe réfléchissante, assis en dehors du « cercle » de la thérapie avec les consignes suivantes inspirées de Michael White (2009) : prêter une attention particulière aux mots et aux expressions entendues, aux images qui leur venaient, à leurs résonances personnelles et repérer le lieu où ils étaient transportés par ce qui était évoqué. Dans un deuxième temps, ils étaient amenés à dire aux deux thérapeutes ce qu’ils avaient entendu, ressenti et « vu », en mettant un focus particulier sur les valeurs décelées chez les membres de la famille qui étaient alors invités à écouter attentivement cette renarration mais sans intervenir. La troisième partie consistait pour les membres de la famille à souligner pour les thérapeutes ce qui les avait interpellés ou touchés dans les propos de l’équipe réfléchissante. Il s’agissait dans ce troisième temps d’une renarration de la renarration. Nous reviendrons plus loin sur le concept et certaines évolutions de la pratique clinique avec une équipe réfléchissante, que l’on doit originellement à Tom Andersen (1987).
Organisation de l’Atelier
5L’Atelier débute par la constitution de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante puis le placement des deux équipes en cercle ouvert sur la « scène » et enfin la proposition que les volontaires de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante (RR) se placent dans la partie du demi-cercle qui tourne le dos au public tandis que l’équipe réfléchissante (R) occupe le demi-cercle face au public. Le premier auteur, Nicolas (N) dans son rôle de thérapeute-formateur encadrant le processus, se place légèrement en retrait (cf. schéma ci-dessous).
6L’Atelier se déroule alors en quatre temps distincts :
- N, légèrement à l’extérieur du cercle, relate le processus thérapeutique depuis la thérapie individuelle EMDR jusqu’à la thérapie de famille avec l’équipe réfléchissante et ses différentes étapes.
- À l’intérieur du cercle constitué de l’équipe réfléchissante (R) et des quatre volontaires (RR), les résonances professionnelles et personnelles sont exprimées par l’équipe réfléchissante (narration), les RR écoutant sans intervenir.
- Toujours à l’intérieur du cercle, les résonances des RR sont sollicitées avec le soutien d’un ange gardien R pour chacun des quatre volontaires (renarration). La mission des anges gardiens est alors tout à la fois de stimuler et de soutenir. [3]
74. Enfin, discussion avec le public de l’Atelier (renarration de la renarration).
8Cette expérience étant assez exposante, nous avons insisté au préalable sur les règles de sécurité suivantes, respectées pendant l’Atelier comme elles l’ont été d’ailleurs durant la Thérapie : Bienveillance : respect mutuel et non-jugement. Confidentialité : tout ce qui est dit ici reste ici. Sécurité : possibilité à tout moment pour chaque volontaire de s’abstenir si le sujet est trop personnel ou délicat. N était le garant de ces règles pendant l’Atelier.
Plan du présent article
9Afin de respecter ces règles du travail expérientiel présenté ici et notamment la confidentialité qui était garantie aux participants de l’Atelier, et en particulier aux quatre volontaires RR, nous présentons le présent article en quatre parties faisant écho aux quatre temps de l’Atelier, et modifiées comme suit :
10Première partie : le premier auteur relate à la première personne la Thérapie depuis la thérapie individuelle EMDR jusqu’à la thérapie de famille avec l’équipe réfléchissante et ses différentes étapes.
11Deuxième partie : Cristina Garcia, Sonia Baziz Boisset, Caroline Monnet et Marc Grandgirard – l’équipe réfléchissante – racontent leurs résonances professionnelles et personnelles durant la Thérapie.
12Troisième partie : les mêmes et le premier auteur relatent leur expérience durant l’Atelier, notamment l’enrichissement de celui-ci par les résonances des quatre volontaires de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante.
13Quatrième partie : discussion comparative sur différents modes d’utilisation d’une équipe de thérapeutes suivie d’une conclusion qui évoquera quelques découvertes surprenantes réalisées a posteriori par les auteurs, en un mot, la sérendipité du processus dans son ensemble et aussi in fine l’échange de cadeaux qu’il réalise.
Première partie : De la thérapie individuelle à la thérapie avec la famille et l’équipe réfléchissante
14Avant de résumer cette histoire clinique, je voudrais donner quelques consignes aux quatre volontaires de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante, à la manière de Michael White (cérémonies définitionnelles, White, 2009) :
En écoutant ce qui va suivre, tant dans ce que je pourrai dire ci-après que ce que diront tout à l’heure Cristina, Sonia, Caroline et Marc, soyez attentifs :
- aux mots et aux expressions que vous entendrez ;
- aux images, métaphores ou représentations imaginaires qui vous viendront peut-être ;
- aux résonances personnelles, professionnelles ou familiales qui vibreront en vous ;
- au transport que vous vivrez probablement : là où vous serez mus et émus.
16En repensant ces derniers temps à l’histoire de cet homme et de ses trois enfants ainsi qu’à la thérapie systémique avec eux, il m’est venu le début du conte que voici :
Il était une fois dans un pays alpin un pic montagneux superbe qui avait l’allure du Cervin en personne : fièrement dressé vers le ciel, les arêtes saillantes, une asymétrie élégante, il régnait en maître sur sa région de montagnes. Se dressaient auprès de lui trois montagnes plus petites, dont les deux premières frappaient par les arrondis de leurs crêtes tandis que la troisième au contraire tenait sa petite tête encore plus effilée que celle des autres telle une fusée pointée vers les étoiles. Dans la région, on la surnommait affectueusement « Petit Cervin ».
Un jour survint un ouragan qui dévasta la région, déracina des arbres sur les flancs des montagnes et détruisit les ponts et les autres constructions des hommes là-bas dans la vallée. C’est après ce terrible ouragan que l’on vit Petit Cervin adopter d’étranges comportements : on l’entendit en effet invectiver le Grand Cervin et même profiter des vents encore violents qui allaient dans sa direction pour lui jeter des pierres et même des rochers en pleine face. Surpris puis irrité et humilié, le superbe pic montagneux se fâcha et frappa le Petit Cervin si violemment que celui-ci fut rejeté de l’autre côté de la vallée…
18Dans la réalité clinique, j’ai reçu en septembre 2013 une lettre avec une demande de rendez-vous, dont voici quelques extraits :
« Je ne me sens pas bien dans la situation actuelle, c’est-à-dire en rupture avec mes trois enfants depuis un an. En septembre 2012, j’ai dû mettre à la porte mon fils Sylvain [4] qui avait alors dix-sept ans et qui vivait depuis cinq ans avec moi, avec dépôt de plainte pour injures répétées, destruction de matériel, sur conseil d’une juge des mineurs proche de ma compagne (M. C. est divorcé de la mère des trois enfants depuis dix ans). Mes deux filles, les sœurs de Sylvain, âgées de vingt-deux et vingt-trois ans, qui vivent ensemble dans un appartement, jugent que ma plainte était superflue et pensent que c’est ma compagne qui est à l’origine de cette plainte et ne veulent plus nous voir. Il y a maintenant une année que les ponts sont rompus. Je me sens triste de ne plus les voir […]. »
20Cet homme de mon âge, lui-même médecin généraliste, s’adresse à moi pour mon orientation systémique et ma pratique en EMDR.
21Rapidement après notre première rencontre en novembre 2013 apparaît l’enjeu principal : ses filles veulent qu’il choisisse entre sa compagne et elles. Nous convenons alors qu’il va falloir nous rencontrer aussi, dans la mesure du possible, avec ses enfants : je lui propose en effet de travailler sur « les relations blessées » au sein de la famille, et notamment entre lui et ses trois enfants.
Psychothérapie individuelle d’orientation systémique (PIOS)
22C’est ainsi que débute une PIOS dans laquelle sont intégrées aussi quelques séances de thérapie par EMDR, notamment sur certains éléments traumatiques que cet homme a vécu enfant et adolescent. Le travail de PIOS commence autour des valeurs familiales héritées de sa famille d’origine.
23Et lors d’une séance ultérieure dans laquelle remonte un souvenir familial pénible lorsqu’il avait cinq ans et avait été témoin des larmes de sa mère, M. C. se met à pleurer et, se rappelant les larmes de son amie l’autre jour pendant cette scène terrible avec ses filles, ressent à nouveau un sentiment d’impuissance du petit garçon d’alors, en résonance avec celui de l’homme d’aujourd’hui.
24J’apprends par la suite que la mère des enfants pouvait crier très fort, que parfois la mère et les deux filles hurlaient et que longtemps des scènes de violences relationnelles avec cris, insultes et hurlements avaient émaillé la vie de la famille jusqu’à la séparation des parents dix ans plus tôt, lorsque les filles avaient treize et douze ans, et leur frère huit ans. À cette époque, en particulier lors de l’adolescence, la frontière entre parents et enfants n’existait plus, chacun s’exprimant sans retenue et se mêlant de tout. M. C. a vécu cette période comme une longue descente en enfer, particulièrement du fait de sa difficulté à se faire respecter par la mère des enfants. En effet, il se sentait systématiquement disqualifié lorsqu’il tentait d’assumer son rôle de père responsable, notamment en mettant des limites aux débordements des trois enfants.
25En novembre 2014, après un an de thérapie individuelle, Lucie [5], la fille cadette, annonce qu’elle accepte de venir me voir : il est convenu avec son père que je la recevrai d’abord seule puis que nous nous verrons à trois en deuxième partie de séance.
Le passage progressif à une thérapie de famille
26Je reçois donc Lucie seule d’abord : c’est une belle jeune femme de vingt-trois ans, étudiante en sciences politiques et sociales, qui me raconte qu’elle-même n’était pas là au moment du clash entre leur père et Sylvain en septembre 2012, car elle était à l’étranger. À son retour, chaque membre de la famille lui a raconté sa version des faits. Elle évoque la réaction du père qui a porté l’affaire en justice, et décrit son frère comme « hyperfragile » et ajoute qu’« il a encore une boule dans la gorge comme je l’avais aussi ; mais moi je ne l’ai plus cette boule, je suis apaisée. Cette boule, c’était le conflit de loyauté quand je suis partie habiter seule avec ma sœur ». Elle pleure… Puis reprend et ajoute : « On a été très fusionnelles les trois avec notre mère. » Après une demi-heure, je demande au père, dans la salle d’attente, de nous rejoindre.
27Je lui rapporte avec mes mots ce que j’ai entendu de la bouche de sa fille, et lui demande de dire comment il reçoit cette renarration, dans un dialogue de lui à moi en présence de sa fille. Il reconnaît alors que Lucie s’est montrée concernée par les difficultés de son frère et qu’elle l’a soutenu et dit qu’« elle s’est précipitée vers celui qui avait le plus besoin d’elle. […] Aujourd’hui, quand elle parle de Sylvain, je la retrouve », ajoute-t-il en pleurant abondamment.
28Je demande alors à Lucie comment à son tour elle reçoit ce que vient de dire son père :
29« C’est vrai, répond-elle, petite, j’étais proche de papa, et puis, à l’adolescence, j’ai pas réfléchi, j’ai pas été très gentille ; mais j’avais l’impression qu’il ne voulait plus rien reconnaître de bien alors que je travaillais. J’avais l’impression qu’il n’était pas fier de moi. À l’adolescence, on ne pense qu’à soi ; je suis sortie de l’adolescence quand j’ai perdu cette boule dans la gorge. »
30Elle suggère ensuite de tenter une reprise de contact entre Sylvain et son père. Mais craint chez son frère « un potentiel de violence » et se demande si c’est de la dépression. Sylvain a confié à sa sœur : « Je ne sais pas qui je suis. Je suis fatigué. »
Au cours de cette séance, et notamment lorsque le père et la fille pleurent tous deux en silence, je suis pris dans un type de résonance mêlant mon histoire familiale avec la leur : si mon propre père – qui a fait au mieux, mais sans modèle, ayant perdu son propre père à l’âge de quatre ans – avait lui-même pu, avait su manifester ses émotions devant ses enfants, il aurait sans doute été possible de mieux se retrouver après les perturbations de l’adolescence. De voir ce père pleurer devant sa fille, cela m’émeut profondément, je le considère alors comme tellement compétent, si justement sensible ! Et je suis presque joyeux de voir leurs larmes à tous les deux que je perçois comme messagères de leurs retrouvailles ; je suis presque sûr, intuitivement, que cette séance marque le début de la guérison de leurs relations blessées.
32Désormais les séances de famille alterneront avec les séances individuelles [6].
33L’entretien individuel qui suit permet à M. C. d’évoquer son hypothèse : « Leur mère a pris le pouvoir. Ici avec Lucie, j’ai eu l’impression d’exister, sans les cris, le manque de limites, la symbiose avec les enfants. J’ai eu l’impression d’établir une nouvelle relation, plus vraie, pas comme avant ; pouvoir leur donner des limites, aux trois, sans qu’ils pètent les plombs. Je peux les aimer, dire non sans être le méchant. »
34Par ailleurs, j’apprends alors que sa compagne est inquiète depuis quelque temps, qu’elle ressent un éloignement dans le couple mais lui veut mettre à ce moment-là la priorité au rétablissement de ses relations avec ses enfants.
35Je propose alors de tenter de faire venir au cabinet sa fille aînée, en procédant comme avec Lucie.
36Et c’est ainsi que le processus thérapeutique se développe en deux settings alternant séances individuelles et séances avec l’équipe réfléchissante ici présente dès le début de l’année 2015. La famille a accepté de travailler dans ce cadre car je leur ai expliqué que ce serait un enrichissement, une aide supplémentaire pour moi comme pour eux dans cette situation familiale très douloureuse.
37Dans le cadre des formations cliniques que je conduis depuis plusieurs années, je propose en général un travail narratif impliquant un grand engagement de mes collègues à un niveau personnel, notamment parce que cela les amène à exprimer devant la famille certaines de leurs propres résonances – le plus souvent, le canevas des séances est celui des cérémonies définitionnelles de Michael White. Ne voulant pas rester moi-même en retrait concernant cette posture éthique impliquant un travail coconstruit avec nos résonances, nos ressources et nos vulnérabilités et celles des membres de la famille, je livre également des parties de ma propre histoire personnelle et familiale dans le creuset des thérapies comme évoqué ailleurs (Nussbaumer, 2018).
38Pratiquement, dans les séances avec la famille, nous avons fait un jeu de l’oie qui s’est transformé à la case neuf en une pièce de théâtre Antigone de Sophocle revisitée par la famille et jouée par les thérapeutes et la famille, le tout étant filmé en vidéo – en espérant que Sylvain, qui n’avait participé qu’à un seul entretien de famille, revienne un jour en thérapie.
39La chute se déroula à la séance de janvier 2016, après la dernière séance avec cette équipe réfléchissante en décembre 2015, lorsque j’eus la chance et le plaisir de voir revenir enfin le fils à qui l’on a pu montrer la vidéo. La famille et moi avons vécu ce jour-là un je-ne-sais-quoi qui permit de se dire que la thérapie allait pouvoir bientôt s’arrêter ; elle se termina effectivement quelques semaines plus tard.
40J’ai reçu des nouvelles en décembre dernier sous forme d’une belle photo de famille avec quatre mots de remerciements au verso, signés par le père et ses trois enfants-adultes, accompagnée d’un carton de bon vin. Sur la photo l’on voit le père et ses trois enfants, détendus, souriants…
Deuxième partie : L’ équipe réfléchissante raconte
41Cristina : la première chose essentielle de cette expérience est d’avoir fait partie de l’équipe réfléchissante en présence. Les membres de la famille ont montré des capacités à parler de leurs émotions, à s’ouvrir et moi, comme thérapeute, j’ai appris à travailler avec mes émotions et à les exprimer ainsi qu’à mettre en pratique la question des résonances. Un des moments les plus forts a été la pièce de théâtre d’Antigone. Le père est arrivé avec son texte travaillé, réfléchi, écrit. Les deux sœurs n’avaient rien rédigé et ont joué et improvisé les scènes sur le moment. Ce moment était très fort car, comme thérapeute, j’ai longtemps été comme le père : on lit, on suit scolairement les principes qu’on apprend ou on essaie d’appliquer les prescriptions de nos aînés, par exemple, en supervision. Il y a eu montée en puissance dans cette séance où les filles se sont approprié l’outil. Et comme thérapeute, c’est ce que je vis : m’approprier les choses et acquérir une véritable liberté et créativité. À titre personnel, j’ai beaucoup résonné avec la deuxième sœur, probablement parce que je les ai vues comme une fratrie à elles deux et que j’ai résonné sur la place de cadette dans la fratrie. Elle m’a renvoyée dans mon adolescence à un moment de conflit dans ma famille. Moi aussi j’étais très proche de mon père et le conflit nous a éloignés. Mon père a aussi un côté rigide et peu enclin à parler de ses émotions. Et comme elle, j’ai essayé pendant un certain temps de faire le lien avec tout le monde mais finalement c’est comme si j’avais dû faire un choix.
42Sonia : dans cette situation, grâce aux outils narratifs proposé par Nicolas, j’ai particulièrement résonné, sur le plan personnel, avec les deux filles, Florence « parentifiée » et Lucie « loyale ». En effet, cette famille, comme un modèle, m’a permis d’imaginer le mouvement et la souplesse pour moi-même et ma famille d’origine ainsi que de repenser ma propre position dans celle-ci en tant que fille. Ils m’ont enseigné comment poursuivre la route ensemble après un tel vécu, comment m’exprimer franchement pour être reçue, validée dans ma propre famille.
43En tant que thérapeute, cette expérience m’a permis d’apprendre à faire plus confiance à l’utilité de mes résonances ou à l’émergence d’images ou de métaphores en thérapie. À présent, je m’autorise à zoomer sur certains aspects sans craindre de perdre le processus en m’appuyant sur les questionnements narratifs (White, 2009).
44Caroline : expérimenter la position d’ange gardien est un atout pour le thérapeute ; en effet cela permet d’avoir un focus différent sur la situation. D’une part d’être un peu en retrait (méta) par rapport au thérapeute qui mène l’entretien, mais aussi de pouvoir se centrer sur l’un des membres de la famille, ce qui permet un regard différent et une bienveillance. Par exemple, lorsque j’étais l’ange gardien du fils absent de cette famille, après l’avoir été en sa présence, j’étais en résonance avec lui et j’ai pu apporter ce que j’imaginais qu’il aurait ressenti dans cette position. Il m’apparaissait que Sylvain portait le flambeau de la fratrie, allant ainsi au front. D’autre part, cette position me semblait inconfortable, avec beaucoup de poids sur les épaules. J’ai beaucoup résonné avec Sylvain qui m’a fait penser à mon frère aîné. Dans sa crise d’adolescence bruyante, il a lui aussi porté le flambeau/fardeau d’une famille qui traversait une période de crise. J’ai également résonné avec Lucie, celle du milieu, celle qui joue « l’ONU » dans cette famille, en essayant de ménager à la fois les parents et le frère cadet, sans faire de bruit. Aujourd’hui en tant que thérapeute, je suis toujours attentive à la fratrie, à celui qui va bien, qui ne fait pas ou peu de bruit… Dans les premières séances avec cette famille, alors que les filles racontaient quelques anecdotes de la vie familiale, et de certains désaccords entre leurs parents, j’ai vite été transportée dans l’enfance. En effet, cette famille me donnait l’impression d’être dans un jardin d’enfants, avec plusieurs enfants qui se chamaillent autour d’un même jouet. Ainsi, avoir pu faire part de cette résonance a permis d’explorer la difficile différenciation des générations et de travailler sur le rôle et la place de chacun dans cette famille. Maintenant me vient la métaphore d’une mère qui allume des feux et d’un père qui tente de les étouffer pour éviter un éventuel incendie.
45J’ai résonné avec cette famille, en voyant le côté parfois enfantin des parents, que je peux retrouver chez ma propre mère, et qui peut à la fois être une vulnérabilité, lorsque les générations ne sont pas différenciées, mais aussi une ressource. En effet, en tant qu’enfant, c’est important de pouvoir compter à la fois sur des parents « adultes » bien sûr, mais aussi des parents qui savent retrouver leur enfant intérieur, pour jouer ou tout simplement se mettre au niveau de l’enfant. Aujourd’hui, devenue maman à mon tour, je porte un regard plus doux et bienveillant sur ces pirouettes dont sont capables les parents, les miens, mais aussi ceux de cette famille que nous avons accompagnée.
46Marc : j’ai particulièrement résonné avec le père dans cette situation. Ce père pudique, plutôt contenu émotionnellement, décrit comme juste mais un peu rigide avec ses enfants et qui se permet cette démarche courageuse de thérapie de famille pour tenter de s’améliorer dans ses contacts avec ses enfants. « Le rocher qui s’adoucit et deux arbres qui développent leur écorce. »
47L’impact que cela a eu sur moi en tant que thérapeute, c’est de considérer davantage que la figure du père, bien souvent absente ou démunie dans les familles que je rencontre, peut s’assouplir, notamment en prenant plus conscience du vécu de ses enfants. Cette situation clinique me confirme aussi une notion certes évidente mais essentielle à mon sens, c’est que la capacité de laisser libre cours à l’expression des émotions est une compétence essentielle. Ce père le fait avec beaucoup de courage, puisqu’il ne l’a pas appris enfant. M. C., dont j’ai été l’ange gardien, m’a beaucoup apporté tant dans sa détermination à améliorer sa relation avec ses enfants que dans sa capacité à exprimer ses émotions. J’apprends grâce à lui dans une expérience émotionnelle partagée et non uniquement intellectualisée que l’implication d’un père acceptant et dévoilant ses émotions permet à une famille de vivre mieux. L’adoucissement de la figure paternelle permet ici le renforcement des figures filiales.
48Au niveau personnel, je dirais que le travail de ce père avec ses enfants me permet de considérer la figure de mon propre père comme plus nuancée et certainement plus capable de s’adoucir – alors que je me renforce – que je ne le pensais avant cette thérapie. Je suis aussi entretemps devenu moi-même père d’une petite fille, et je me souviens régulièrement à quel point la douceur et la tendresse d’un père sont importantes, ainsi que sa capacité à exprimer ses émotions.
Troisième partie : Les thérapeutes racontent leur expérience durant l’Atelier, notamment par les apports précieux de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante
49Nicolas : l’Atelier s’est déroulé à Lyon le 1er juin 2018 par un bel après-midi estival, avec le concours d’un soleil généreux dans une atmosphère agréablement rafraîchie par une ondée peu auparavant. Je me suis senti bien en m’asseyant en retrait. La salle, relativement petite, lumineuse avec ses baies vitrées qui se faisaient face, m’évoquait la passerelle d’un bateau et je me suis senti durant l’Atelier en voyage, dans une navigation fluviale.
50Nous voulions que l’Atelier ait un caractère expérientiel, qu’il soit l’occasion – et cela semble s’être confirmé pour nombre de participants – de faire une expérience nouvelle. Sylvie Catellin (2014) décrit en effet des chercheurs qui découvrent ou inventent en analysant leur propre activité de découverte, avec une liberté qui permet de faire des choses que les objectifs spécifiques programmés ou planifiés ne permettent pas. Elle évoque, à partir d’un conte, l’histoire des trois fils du roi-philosophe de l’île de Sérendip, le concept de sérendipité qui consiste à découvrir par hasard et sagacité des choses que l’on ne cherchait pas. Nous en reparlerons dans la discussion et notre conclusion.
51Depuis ma position de thérapeute-formateur vieillissant, j’ai été en effet touché de constater, au cours même de l’Atelier, le passage pour mes quatre collègues – anciens étudiants du DAS systémique à Lausanne – d’une posture de « thérapeutes en formation » à une nouvelle posture, celle de « thérapeutes-formateurs » avec une équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante qui jouait de facto le rôle de thérapeutes en formation. Tout cela s’est passé sans vraiment que nous l’ayons décidé ni prévu et j’ai pu voir, attendri, cette métamorphose.
52Ce fut un rituel – encore une fois non prévu, très émouvant pour moi –, voire une sorte de baptême que je peux, au moment même où j’écris ces lignes, leur exprimer ainsi : « Vous avez reçu la bénédiction du public dans votre nouveau rôle avec la reconnaissance enthousiaste de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante ! »
53Cristina : l’Atelier s’est vite retrouvé baigné dans une atmosphère sereine et attentive pendant que Nicolas décrivait le travail qui s’est déroulé à son cabinet. Cela m’a permis de me plonger facilement dans mes émotions et résonances vécues plusieurs mois avant. Mais je souhaite revenir surtout sur deux temps particuliers de l’Atelier de Lyon :
54Premièrement, j’ai été touchée par les commentaires et résonances des quatre volontaires de l’équipe réfléchissante de notre équipe réfléchissante ; c’était extrêmement riche. La force de cet outil et son universalité m’ont à nouveau impressionnée, comme j’avais déjà pu le vivre lors de l’atelier du DAS. La grande nouveauté était d’expérimenter la place qu’occupent les personnes qui viennent nous trouver et l’importance de ce qui nous est offert à travers les commentaires et résonances de l’équipe réfléchissante. Une des forces de cet outil est de pouvoir choisir ce que nous gardons, ce qui nous parle ou nous touche dans tout ce qui est exprimé. Cette force vient aussi du fait que les membres de l’équipe réfléchissante s’expriment depuis leur propre vécu, sans jugement. Cela permet aussi comme membre de l’équipe réfléchissante d’exprimer un inconfort en sachant que la personne peut retenir ou non les réflexions plus difficiles à entendre. J’en suis sortie renforcée dans ma volonté d’utiliser cet outil qui, comme mentionné pendant la discussion avec le public, peut s’adapter à des séances de cothérapie (l’un des cothérapeutes prend le rôle d’équipe réfléchissante).
55Deuxièmement, durant les échanges et la discussion avec le public, j’ai pu partager et transmettre quelque chose de cet enrichissement. C’était comme un voyage : on cherchait la route des Indes et on a découvert l’Amérique ! J’ai été surprise que l’Atelier me révèle encore d’autres aspects de cette technique narrative ainsi que de l’équipe réfléchissante. Cet atelier à Lyon était une manière de partager l’aventure que nous avions vécue avec cette famille et de partager mon enthousiasme pour l’équipe réfléchissante telle que pratiquée au cabinet de Nicolas. J’ai été surprise de me sentir aussi à l’aise pour répondre au public. J’ai alors trouvé et pris une nouvelle place que j’occupe également en écrivant cet article.
56Sonia : tout d’abord, durant la préparation de l’Atelier, j’avais verbalisé ma difficulté à percevoir comment nous allions gérer ce degré de complexité de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante tout en réitérant ma confiance dans mes collègues et dans l’outil. J’ai été très émue de ressentir la mise en pratique de la méthode de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante, qui s’est déroulée de façon quasiment naturelle et logique durant l’Atelier, comme j’avais pu moi-même le vivre au moment de ma formation, lorsque Nicolas nous avait présenté cet outil narratif. La métaphore du voyage est bien évidemment très forte dans notre expérience. Elle a pour moi ressemblé à un vol que j’ai vécu et expérimenté avec la thérapie de cette famille, puis je me suis laissée emporter, entraînée durant la préparation et la réalisation de l’Atelier pour atterrir en thérapeute nouvellement formatrice avec l’écriture de cet article notamment. D’autre part, je souhaiterais revenir ici sur les principales valeurs qui m’ont portée durant cette expérience thérapeutique mais aussi durant cet atelier plutôt expérientiel et qui ont été relevées par l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante : la générosité, le souci de rigueur ainsi que le climat très sécurisant qui ont baigné l’ambiance de l’Atelier et qui ne sont pas étrangers à ma façon d’imaginer mon rôle de thérapeute.
57Caroline : j’ai été touchée par la force des résonances. La personne dont j’étais l’ange gardien est aussi celle qui a le plus rencontré mes résonances avec le fils de cette famille, Sylvain. Ce choix était-il un hasard ? Cette personne a exprimé ses résonances qui ont rejoint les miennes sans que je les aie exprimées au cours de l’Atelier ! Et puis tous ces échanges humains, qualifiés de « cadeaux », m’ont amenée à réfléchir : ce sont des « cadeaux » que l’équipe réfléchissante nous offre avec ses propres résonances et que l’on est libre d’accepter ou non.
58Dans ma pratique, je suis toujours attentive aux absents, à ceux qui vont bien, ou ceux qui ne viennent pas en séance, comme Sylvain. Après avoir vécu cet atelier, grâce à une résonance de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante, j’ai ressenti aussi combien les absents décédés ont leur importance et veillent sur moi, alors que j’avais jusqu’ici occulté cela.
59En revanche, je ne me suis pas sentie devenir formatrice durant l’Atelier ; j’ai plutôt pris conscience que je pouvais être à une place différente et que je pouvais le devenir, et prendre une chambre au deuxième étage, [7] celui des jeunes thérapeutes. Je me suis sentie en confiance pour le faire, je me suis laissée embarquer, je me suis laissée porter pour pouvoir à mon tour porter.
60Marc : en écho aux propos de Nicolas ci-dessus, cette première expérience de formation comme coformateur avec Cristina, Sonia et Caroline marque pour moi une étape, à savoir le passage de formé à formateur. C’est très émouvant pour moi d’avoir eu la chance de le faire avec le soutien bienveillant d’un « père formateur », Nicolas, et avec la présence stimulante de « sœurs en (trans)formation » (j’utilise ici le terme sœurs pour qualifier la relation fraternelle symbolique que j’ai le sentiment d’avoir développé avec Cristina, Sonia et Caroline). Devenir formateur m’attire depuis quelques années, mais la légitimité pour « sauter à l’eau » fait parfois défaut. Au cours de cette expérience, la présence du « père formateur » et des « sœurs (trans)formées » a été précieuse et je me suis senti faire partie intégrante de la famille des thérapeutes systémiciens. Cela m’a permis de me sentir plus légitime et de franchir la ligne invisible qui sépare celui qui est formé de celui qui participe à former. Cette distinction ne devrait toutefois peut-être pas être faite, puisqu’à l’image des enfants qui forment leurs parents, tout formateur est nécessairement un peu formé par ceux qu’il forme. En ce sens, si j’ai pu – et je l’espère – participer à transmettre lors de cette expérience de formation puis de formateur, il est indéniable que j’ai beaucoup reçu, tant bien sûr de la famille, de Nicolas, de Cristina, Sonia et Caroline, que des quatre participants de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante, ainsi que du public de l’Atelier.
61J’ai été très touché de vivre ce rituel de passage en présence de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante. Les quatre volontaires qui l’ont constituée ont été les témoins pour moi de cette étape et ont validé notre expérience en l’enrichissant de leurs nombreuses et riches réflexions, résonances et métaphores.
62La fluidité, l’authenticité, la profondeur, le sentiment de connexion, le partage d’émotions fortes, le respect qui se sont développés en l’espace de deux heures avec des personnes auparavant inconnues témoignent de l’intérêt particulier de cette approche et de la rencontre véritable d’êtres humains qui partagent une même condition et des questionnements similaires bien que singuliers.
Quatrième partie : Discussion
63Dans le cadre de nos réflexions autour de l’écriture de cet article, nous avons réfléchi à trois manières différentes de bénéficier des apports d’une équipe de thérapeutes :
64La manière classique s’inspirant du modèle de Tom Andersen développée par Ian Frank et ses collègues (2007) et deux autres expérimentées lors de nos ateliers thérapeutiques du DAS de l’Université de Lausanne (UNIL), d’une part lors d’interventions systémiques brèves (ISB ; Carneiro et al., 2013) et d’autre part avec Nicolas Nussbaumer dans d’autres ateliers thérapeutiques du même DAS de l’UNIL sont décrites dans cet article. Nous souhaitons ici comparer ces trois manières de travailler et livrer quelques-unes de nos réflexions à la manière d’une discussion libre.
65Pour commencer, résumons succinctement ces trois manières. La première est classique et s’inspire de Tom Andersen. Elle est décrite en détail dans l’article de Ian Frank et Valérie Rozat Pariat (2007). Dans cette méthode, la famille est accueillie par deux cothérapeutes qui mènent l’entretien. Le thérapeute individuel qui a adressé la famille est présent dans la salle, légèrement en retrait et assiste à la séance sans prendre la parole. L’équipe réfléchissante est située dans une autre salle reliée par vidéo et suit la séance en live. Ensuite, la famille et les cothérapeutes changent de salle avec l’équipe réfléchissante, le thérapeute individuel restant à la même place. Les « réflecteurs » échangent alors entre eux leurs résonances sur la séance à laquelle ils ont assisté et la famille les entend via le dispositif vidéo. Après un nouvel échange de salles, la famille est invitée à s’exprimer sur ce qu’elle a retenu des échanges de l’équipe réfléchissante. Le thérapeute individuel peut à ce moment-là prendre la parole s’il le souhaite pour conclure.
66Ensuite, le modèle ISB : nous étions répartis par groupes de quatre étudiant.e.s, avec deux formatrices. Deux thérapeutes en formation ainsi que les formatrices (« l’équipe thérapeutique » qui ne se définit pas comme une équipe réfléchissante) assistaient derrière le miroir sans tain à une séance avec un couple ou une famille menée par les deux autres thérapeutes en formation. Ensuite, nous discutions de ce que nous avions observé tous les quatre avec les formatrices sans la famille ou le couple. Les deux thérapeutes en formation faisaient pour finir un retour aux patients, les deux autres y assistant à nouveau avec les formatrices derrière le miroir sans tain. Ici, il ne s’agit donc pas vraiment d’une équipe réfléchissante mais plutôt d’une supervision sur le vif.
67Finalement, dans l’expérience vécue avec Nicolas Nussbaumer, les séances se déroulaient de la manière suivante : Nicolas menait les séances familiales avec l’un.e d’entre nous alternativement et les trois autres formaient l’équipe réfléchissante, légèrement en dehors du « cercle » de la thérapie mais dans la même pièce. Dans un deuxième temps, l’équipe réfléchissante s’exprimait, alors que la famille et les thérapeutes étaient invités à écouter attentivement sans intervenir. La troisième partie consistait pour la famille à souligner ce qui les avait interpellés en écoutant l’équipe réfléchissante.
68Si l’on compare maintenant les expériences vécues dans les ISB et avec Nicolas Nussbaumer, voici nos réflexions :
69Cristina : le modèle ISB derrière le miroir sans tain est une expérience très différente. C’est une expérience intéressante d’être positionnée derrière le miroir sans tain pour observer et apprendre. Les discussions et les retours qui sont faits aux couples ou aux familles sont basés sur des hypothèses qui sont discutées entre nous et le fait que nous soyons plusieurs enrichit les observations, hypothèses et du coup les propositions qu’on peut faire en thérapie. L’impression que j’en garde reste celle d’un groupe d’experts qui se met au service d’une situation pour l’enrichir, même si pour le thérapeute qui est avec le couple ou la famille, la position thérapeutique recherchée est la position basse, qui ne se positionne justement pas en expert mais essaie de rendre l’autre expert de la thérapie.
70Caroline : je pense que le fait de savoir que l’on échange en présence de la famille change la nature de notre réflexion dans l’équipe réfléchissante. En y repensant, dans le modèle ISB, la fonction de l’équipe thérapeutique me fait plutôt penser à une supervision, qui donne des pistes aux thérapeutes. C’est eux qui vont choisir, dans ce qui est entendu, ce qu’ils vont retransmettre à la famille ou non. À mon sens, cela ajoute un niveau de hiérarchisation, et peut-être que la famille perd quelque chose. Cela ne va pas vraiment dans le sens de ce que décrivent Ian Frank et ses collègues : « L’objectif de la discussion étant de multiplier les points de vue comme ouverture vers de nouveaux choix pour la famille, voire chercher à découvrir des perspectives jusque-là ignorées » (2007). Du moins pour ma part, je n’ai pas vécu ma position de thérapeute de la même manière dans les deux ateliers. Dans le modèle ISB, il me semble que j’ai plutôt été dans une position d’expert derrière le miroir sans tain, alors que dans le modèle de Nicolas, je me suis sentie d’abord humaine avant d’être « experte ». Je dirai que le fait d’être en présence diminue l’importance des niveaux hiérarchiques.
71Cristina : dans la proposition de Nicolas, nous sommes tous dans la même pièce, même si un peu en recul et cela constitue pour moi une différence fondamentale. Nous faisons entièrement partie du système thérapeutique, même si nous pouvons changer de rôle, par exemple, en étant cothérapeute avec Nicolas, ange gardien d’un membre de la famille ou membre de l’équipe réfléchissante.
72Marc : je te rejoins, j’ajouterais que la proximité physique avec les membres de la famille et les thérapeutes m’a permis de ressentir davantage de résonances, comme par diffusion de l’émotion. Je ressentais moins d’émotions derrière le miroir sans tain, elles étaient mises à distance par le fait que nous n’étions pas dans la même pièce. J’adoptais alors une posture plus intellectualisante tant au cours de l’observation des séances que des moments de réflexion entre thérapeutes. Cette posture reflète l’un des avantages du modèle de l’ISB qui permet une plus grande neutralité vis-à-vis des patients, l’équipe thérapeutique étant tenue à distance par le miroir et pouvant de ce fait réfléchir sans être trop perturbée par le climat émotionnel comme cela peut être le cas par exemple dans certains systèmes familiaux enchevêtrés induisant de la confusion.
73Cristina : l’autre différence importante est la technique employée dans le modèle de Nicolas, avec l’utilisation des cérémonies définitionnelles de Michael White (2009). Dans la consigne elle-même, nous sommes invité.e.s notamment à nous laisser transporter, c’est une invitation au voyage. C’est effectivement une invitation au voyage, aller chercher à l’intérieur de soi des résonances, des émotions à offrir à l’autre. Les mots qui me viennent sont ceux de partage et d’enrichissement personnel.
74Sonia : je suis sensible à la diffusion du climat de confiance et de non-jugement qui s’est produite à chacune des séances que nous avons eues avec Nicolas. Peut-être que la proximité physique avec les membres de la famille a aussi favorisé cela par rapport à la position derrière le miroir sans tain ?
75Comparons maintenant le modèle de Ian Frank et Valérie Rozat Pariat que nous n’avons pas expérimenté nous-mêmes avec celui de Nicolas Nussbaumer :
76Caroline : le modèle de Nicolas est plus proche du modèle de Frank que de celui ISB, car la famille participe en live aux commentaires de l’équipe réfléchissante, ce qui n’est pas le cas dans l’ISB où la famille n’a qu’un retour par les thérapeutes des échanges avec l’équipe thérapeutique. « L’autonomie est le droit pour l’individu et la collectivité de déterminer librement les règles auxquelles il se soumet » (Frank et Rozat Pariat, 2007). Le processus de l’équipe réfléchissante me semble aller dans ce sens « via la multiplicité et l’hétérogénéité des commentaires que chacun des membres de l’équipe réfléchissante offre à la famille pour ouvrir des pistes alternatives ; et via l’invitation au choix délibéré de ce que chacun des membres de la famille souhaite garder ou laisser des messages entendus. Le but étant de permettre au sujet de se réapproprier la croyance au non-déterminisme de sa vie » (ibid.).
77Marc : je voudrais souligner l’importance des murs et de la médiation d’un circuit vidéo entre les deux pièces dans le modèle de Frank, alors que, comme nous l’avons déjà dit, tout le processus a lieu dans la même pièce chez Nicolas. Par ailleurs, la technique de Michael White n’est pas utilisée systématiquement par l’équipe réfléchissante de Frank. Les apports narratifs favorisent aussi les réflexions « horizontales » sans jugements de valeur. J’ai le sentiment que, dans le modèle de Nicolas, les familles nous sentent appartenir, peut-être encore un peu plus que lorsque la vidéo et les murs s’interposent, au même cercle des êtres humains.
78Nicolas : en vous entendant, je suis attiré par deux observations qui ressortent de vos échanges ; la première relative au cadre et la seconde au contenu des conversations thérapeutiques.
79En premier lieu donc, concernant le cadre de nos interventions, toute séparation physique – miroir sans tain ou circuit vidéo – crée de facto une distance plus grande entre thérapeutes et client.e.s et plus particulièrement dans ce qui peut être perçu physiquement, émotionnellement par les thérapeutes de ce que vit le couple ou la famille et inversement. Au contraire, lorsque tous les protagonistes se rencontrent et échangent dans la même pièce, avec une séparation virtuelle pour l’équipe réfléchissante – qui s’assied dans mon cabinet sur un canapé à trois places en retrait du cercle thérapeutique –, toute l’humanité des thérapeutes comme des client.e.s participe aux échanges. A posteriori, cela paraît évident si l’on adopte un point de vue « éthologique ».
80Deuxièmement, le champ du contenu narratif, s’il est cadré, volontairement focalisé sur les seules quatre catégories de questionnement des cérémonies définitionnelles de Michael White en particulier, permet aux thérapeutes de l’équipe réfléchissante de partir librement en voyage tout en écoutant la narration dans l’espace thérapeutique à quelques mètres de là. Les thérapeutes de l’équipe réfléchissante sont alors déchargés de toutes les théories des différentes écoles du champ écosystémique – convoquées dans le manuel de l’ISB –, et ils peuvent simplement, comme le disait Tom Andersen, créer leurs propres idées dans une atmosphère silencieuse : « Nous avons découvert que moins l’on discute les idées avant et plus grande est la possibilité d’élargissement de l’écologie des idées […]. L’équipe réfléchissante essaie de prendre une position de et… et… […]. Ils transmettent ainsi l’idée que le problème a de nombreux aspects et de multiples facettes. Nous pensons que la famille ou qui que ce soit qui voit l’équipe réfléchissante peut découvrir la richesse enchâssée dans le partage de points de vue variés sur la même question » (Andersen, 1987, traduction du premier auteur).
81Si l’on revient à l’expérience de l’Atelier des 13es Journées francophones de thérapie familiale systémique de Lyon, voici nos réflexions :
82Sonia : les règles et consignes de départ ont permis à l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante d’être empathique, sans énoncer de jugements négatifs et de reprendre une partie du vocabulaire et de la terminologie de la première équipe réfléchissante tout en évoquant leurs propres expériences.
83Je relève l’apport d’une conversation non hiérarchique au service non pas d’une thérapie mais d’une réflexivité selon les propos de Frank s’inspirant de Kuenzli-Monard : « les trois mouvements simultanés de la réflexivité (sont) : la boucle réflexive, la conscience de soi en tant que thérapeute dans un processus avec autrui et l’interaction » (Frank et Rozat Pariat, 2007). Par la construction de notre dispositif lors de l’Atelier, les réflecteurs ont intégré des remarques sur chaque membre de la première équipe réfléchissante.
84Nous avons même pu assister à une sorte de diffusion de ce climat à tout le public présent à l’Atelier, les questions et remarques de celui-ci étant exprimées sous forme de partage d’expérience et d’ouverture des possibles.
85Caroline : je te rejoins Sonia sur la question des règles, ainsi que sur la diffusion du climat, j’ajouterais que ces éléments contribuent à mon sens à harmoniser les niveaux hiérarchiques dans un climat sécure et de non-jugement qui invitent à vivre une expérience humaine avant tout, enrichie à la fois par l’expérience personnelle et professionnelle de chaque participant. Ça me fait penser à ce que nous évoquions concernant les cadeaux ; en effet, les résonances de l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante, ainsi que les remarques, questions et résonnances du public me font penser à des cadeaux que l’on reçoit ; nous sommes alors libres de les accepter ou non. Comme le préconise le concept d’autonomie évoqué supra.
86Marc : ce travail permet un enrichissement réciproque important et le développement d’idées nouvelles et inattendues dans un laps de temps court. En m’appuyant sur l’article de Frank et Rozat Pariat (2007), je dirais que la réflexivité alimente non seulement des synergies entre « des thérapies individuelles et familiales » mais également dans le processus présenté ici entre le thérapeute individuel, l’équipe réfléchissante et l’équipe réfléchissante de l’équipe réfléchissante ainsi que le public de l’Atelier. Bien qu’on puisse ressentir un certain vertige face à la complexité de ces synergies, le partage de tant de visions du monde parfois semblables et parfois fort différentes confirme ce que nous savons tous : l’ensemble est beaucoup plus riche que la somme de ses parties.
87Cristina : j’ai envie de faire référence aussi au nom que nous avaient donné deux petites filles d’une autre famille dans un atelier avec Nicolas : les éclaireurs de l’Univers. Effectivement, la pratique de l’équipe réfléchissante sous cette forme amène ce sentiment d’universalité et d’exploration que nous avons pu vivre tous ensemble.
88Nicolas : je retiens les mots et les expressions suivants en rapprochant ce que je viens d’entendre, avec des Majuscules dans l’esprit de Michael White : « Réflexivité, Diffusion de ce climat à tout le public, Harmoniser les niveaux hiérarchiques, Climat sécure, Cadeaux, Enrichi.e à la fois par l’expérience personnelle et professionnelle, Enrichissement réciproque important, Développement d’idées nouvelles et inattendues, Éclaireurs de l’Univers, Sentiment d’universalité. »
89L’atelier a sans doute joué son rôle de « matrice de résilience » selon l’expression d’Anne Courtois : « Ensemble, les thérapeutes s’autorisent à être plus inventifs, créatifs […]. L’équipe fait œuvre de matrice de résilience pour le thérapeute, qui peut à son tour favoriser la résilience chez les patients » (Courtois et Mertens De Wilmars, 2004). Il a également été l’occasion à plusieurs reprises – lors de sa préparation, durant son déroulement et maintenant lors de la rédaction du présent article – d’un travail réflexif essentiel dans la pratique clinique écosystémique : « La réflexivité (est) au cœur de la critique postmoderne, encourage le psychothérapeute à remettre en question ses certitudes et à maintenir une posture de constante curiosité […]. En pratiquant la réflexivité, le psychothérapeute crée une théorie en mouvement : la réflexion-en-action » (Kuenzli-Monard, 2006).
90« L’enrichissement réciproque important » me paraît avoir aussi été favorisé par les origines diverses des thérapeutes participant à cet atelier – la biodiversité concerne également l’écologie des psychothérapies – et si l’on énumère celles des deux équipes réfléchissantes, nous voyons la Kabylie (Algérie), la Galice (Espagne), les cantons de Fribourg, du Valais, du pays de Vaud (Suisse), les Carpates (Roumanie), le Nord-Pas-de-Calais, les Alpes-Maritimes et l’Île-de-France (France).
Conclusion
91Notre conclusion se concentrera sur la pratique féconde de la réflexivité a posteriori avec la notion de sérendipité définie supra, puis sur l’importante question des cadeaux que l’on échange.
92« La découverte est un processus […], elle fait appel à une démarche. L’élément accidentel n’est rien tant qu’il n’est pas perçu par une subjectivité interprétante […]. La sérendipité fait appel à l’étonnement, à l’intuition, au dialogue entre la raison et l’imagination, entre le conscient et le non-conscient. Le pouvoir de découvrir découle de cette interaction. En second lieu, la sérendipité implique une réflexivité, une prise de conscience et une analyse de sa propre activité. Par essence imprévisible et non planifiable, elle ne peut être saisie que par le récit rétrospectif qui en reconstruit la genèse, récit qui induit lui-même une forme de réflexivité […]. La sérendipité ouvre les portes de la créativité et de l’imaginaire et elle incite le chercheur, artiste ou scientifique à se livrer à cet exercice qui consiste à prendre conscience de comment il découvre » (Catellin, 2014). Rappelons ici que c’est en cherchant à mieux soutenir un jeune thérapeute contaminé par le pessimisme d’une famille que Tom Andersen innova en créant le dispositif de l’équipe réfléchissante dans une autre pièce avec un circuit vidéo fermé. De notre côté, nous avons d’abord travaillé avec ce même cadre (Nussbaumer, 2017) jusqu’à ce qu’un incident technique interrompe une séance de thérapie ; il fallut alors improviser en accueillant sur-le-champ dans le cabinet de thérapie les trois membres de l’équipe réfléchissante. Lors des séances suivantes, alors que le circuit vidéo fonctionnait à nouveau, un consensus s’établit entre le couple en thérapie et l’équipe réfléchissante : tous déclarèrent préférer les séances dans la même pièce avec une séparation virtuelle et l’équipe réfléchissante en retrait. Aujourd’hui, en écoutant les commentaires ci-dessus de l’équipe réfléchissante, mais aussi des autres équipes réfléchissantes qui se succèdent au cabinet et, de même, des familles, des couples bénéficiant de cette approche, cette méthode est devenu clairement pour nous la plus enrichissante pour le processus thérapeutique et la plus confortable pour les personnes en thérapie comme pour les thérapeutes.
93Au terme de l’Atelier à Lyon, deux mots en particulier furent soulignés par le public : « dons » et « cadeaux ». Et récemment, lors de la conclusion d’une séance de couple avec une autre équipe réfléchissante, Madame dit « avoir reçu » et Monsieur « avoir partagé ».
94Dans les sociétés traditionnelles, en particulier chez les Maoris de Polynésie, la prestation totale n’emporte pas seulement l’obligation de rendre les cadeaux reçus ; mais elle en suppose deux autres aussi importantes : obligation d’en faire, d’une part, obligation d’en recevoir de l’autre. […] Refuser de donner, négliger d’inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre ; c’est refuser l’alliance et la communion. […] Tout va et vient comme s’il y avait échange constant d’une matière spirituelle comprenant choses et hommes, entre les clans et les individus, répartis entre les rangs, les sexes et les générations (Mauss, 2012).
95Ce que nous avons découvert à travers l’Atelier puis en écrivant le présent article c’est qu’en donnant beaucoup, l’on reçoit plus encore et que cela nous pousse à vouloir donner encore plus… Dans une posture critique envers notre société contemporaine qui valorise les rapports mercantiles avec ses échanges tarifés, nous défendons au contraire dans les espaces de thérapie une éthique de la générosité sans compter en termes d’échange de cadeaux. La grande majorité de nos client.e.s et patient.e.s nous donnent tellement d’eux-mêmes, nous recevons tellement de cadeaux en thérapie – narrations ou morceaux de vie à peine esquissés, parfois traumatiques, émotions, questionnements, ambivalences, sourires, humour – que nous ressentons l’obligation de leur rendre quelque chose en leur donnant à notre tour tout ce qu’il nous est possible de donner sous forme d’images, de transports et de résonances personnelles.
Bibliographie
- Andersen T., 1987. The Reflecting Team : Dialogue and Meta-Dialogue in Clinical Work. Family Process, 26, 415-28.
- Carneiro C., Vaudan C., Duc Marwood A., Darwiche J., Despland J.-N., De Roen Y., 2013. L’Intervention systémique brève » : Un manuel thérapeutique. Thérapie familiale, Genève, 34, 1, 115-30.
- Catellin S., 2014. Sérendipité. Du conte au concept. Seuil, Paris.
- Courtois A., Mertens De Wilmars S., 2004. La pratique « à plusieurs » : Matrice de résilience pour les thérapeutes et les patients. Thérapie familiale, Genève, 25, 3, 303-22.
- Frank I. D., Rozat Pariat V., 2007. Psychothérapie familiale et individuelle : réflexivité et synergies. Thérapie familiale, Genève, 28, 4, 471-82.
- Kuenzli-Monard F., 2006. Comment inviter la réflexivité en thérapie : La pensée pratique du psychothérapeute. Thérapie familiale, Genève, 27, 2, 181-91.
- Mauss M., 2012 (Édition originale 1925). Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. PUF, Paris.
- Mistral F., 1997 (Édition originale 1897). Le poème du Rhône. Texte provençal et traduction française. Aralia, Paris.
- Nussbaumer N., 2016. Thérapie individuelle dans l’impasse et introduction d’une équipe réfléchissante : métaphores, conte et lettres à la croisée d’un nouveau cheminement thérapeutique. Thérapie familiale, Genève, 37, 1, 51-72.
- Nussbaumer N., 2016. Thérapie individuelle systémique EMDR en prémisse d’une thérapie familiale « épique ». La famille d’Antigone revisite le jeu de l’oie dans le miroir d’une équipe réfléchissante. Thérapie familiale, Genève, 37, 3, 259-91.
- Nussbaumer N.L.M., 2017. Thérapie et métathérapie de couple : histoire à trois voix d’une aventure humaine qui n’en finit pas. Thérapie familiale, Genève, 38, 4, 393-413.
- White M., 2009. Cartes des pratiques narratives. Satas, Bruxelles.
Notes
-
[1]
Diplôme de spécialisation en psychothérapie systémique (DAS) de l’Université de Lausanne.
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[2]
« étudiant.e.s » : les guillemets signifient que tous les quatre étaient déjà psychologues ou psychiatres expérimentés en psychothérapie ; ils étaient en dernière année de diplôme universitaire de spécialisation en thérapie systémique (DAS). D’ailleurs, le premier auteur choisit en règle générale d’introduire l’équipe réfléchissante du DAS dans les situations complexes nécessitant du renfort, ce qui était le cas dans la Thérapie.
-
[3]
L’ange gardien a donc une double mission, celle de soutenir avec bienveillance mais aussi celle de stimuler, d’encourager l’expression verbale des résonances notamment. L’on se souvient de l’impact significatif de ce dispositif dans la Thérapie lors de la première séance avec l’équipe réfléchissante le 19 février 2015 (Nussbaumer, 2016, 3, p. 270) : Caroline, ange gardien de Sylvain : « Sylvain a joué un grand rôle, peut-être qu’il a porté le flambeau de la fratrie comme s’il allait au front. J’ai l’image d’une éclipse, maman solaire, papa lunaire. Comment grandir dans la lumière de l’éclipse ? » Sonia, ange gardien des deux sœurs : « J’ai ressenti les émotions de Lucie dans l’estomac, comme si j’allais à l’oral d’un examen ! Et puis en voyant Florence, et ses gestes pleins de prévenance, j’ai eu l’idée du soin. Elle est en psycho ! » Marc, ange gardien du père : « Je ne suis pas encore papa, mais ce qui me touche, en résonance avec ma situation de fils et dans mon propre couple, c’est la forte émotion de M. C. […] Il dit qu’il est extrêmement touché et pourtant il m’a l’air pudique, je trouve cela exceptionnel. » Le père, très ému : « Je prends conscience de ce que j’ai fait… que de se voir ici avec mes enfants… je vois aussi que les enfants, ils ont pris du temps pour venir ici, ça leur tient à cœur. » Cristina, ange gardien du thérapeute qui lui demande conseil pour la suite – » quelle suite ? » – répond : « Je suis touchée par la pudeur de Sylvain et je pense au risque pour lui d’être ici. » Et il est question alors du temps nécessaire à la réparation des liens, de travail en sous-systèmes, de faire venir peut-être la mère ? Mais cette dernière proposition est balayée par les jeunes qui pouffent et déclarent que ça ne servirait à rien… Les anges gardiens ont ici une fonction d’encouragement à exprimer ce qui est difficile dans ce système de grande pudeur émotionnelle.
-
[4]
Prénom fictif.
-
[5]
Prénom fictif.
-
[6]
L’on peut se demander : « Mais alors qui est votre client ? Et comment gérez-vous la confidentialité ? » Nous répondons que le client, s’il est d’abord formellement le père, devient selon l’éthique relationnelle l’ensemble des relations familiales blessées ; ce sont elles nos clientes désormais. Quant à la confidentialité, nous avons demandé au père son accord pour élargir la PIOS à ses enfants et il nous a donné carte blanche. Par la suite, les deux filles ont constamment travaillé dans cette éthique explicite de soigner leurs relations familiales blessées. À noter que toute cette partie s’est déroulée sans l’équipe réfléchissante comme nous l’avons décrit ailleurs (Nussbaumer, 2016, 3).
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[7]
Nussbaumer, 2018.