Notes
-
[*]
Le contenu de cet article a été présenté sous forme d’atelier au XXXIe Colloque des Hôpitaux de jour psychiatriques, Brest, 11-12 octobre 2013. Les auteurs remercient leurs collègues psychologues Anne-Christina Brice et Charles-E. Blondiau, ainsi que Anne-Marie Coulon, pour leur relecture et leurs conseils.
-
[1]
Ou orthophoniste ou logopédiste.
-
[2]
Tout ceci est développé dans le livre Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP, 2012, Editions Erès, et dans « Eduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles », 2011, Editions De Boeck.
-
[3]
Nous conseillons volontiers aux parents un livre facile d’accès pour des pistes concrètes concernant le renforcement positif et la cohérence parentale : il s’agit du livre Du calme, de Théo Compernolle et Théo Dooreleijers (2010).
Le cadre
1Le KaPP est un hôpital de jour pédopsychiatrique (HPJ) où sont accueillis vingt-cinq enfants jusqu’à 13 ans.
2L’essentiel du fonctionnement est en centre de jour mais quelques enfants (quatre à cinq) peuvent être hospitalisés à temps complet. Ils « dorment » dans le service de pédiatrie des Cliniques, où un éducateur les prend en charge dès 7 h du matin, et les accompagne le soir entre 17 et 22 h (ou davantage s’il y a des problèmes d’angoisses, des troubles du comportement, …).
3Environ la moitié des enfants restent dans notre centre pour un « long terme » : c’est-à-dire un à deux ans (enfants psychotiques, jeunes enfants autistes). Les autres situations sont des « moyens termes » (troubles psychosomatiques, anorexies, troubles du comportement, phobies …), des urgences (maltraitance, décompensation individuelle ou familiale, …) ou des « bilans d’observation/action » (mise au point diagnostique et thérapeutique lors d’un séjour de cinq semaines dans des situations particulièrement complexes lorsque les prises en charge ambulatoires ou résidentielles se trouvent dans l’impasse).
4L’essentiel du travail se fait en ateliers, animés par les éducateurs, les enseignants, la psychomotricienne, la logopède [1], l’animateur sportif, l’animatrice de l’atelier créatif. Participent aussi au travail l’infirmière, l’aide-soignante, les deux assistantes sociales, la coordinatrice, le secrétaire, les deux psychologues, les deux médecins.
5Les psychologues proposent des entretiens individuels, orientés par la psychanalyse, et font des « bilans », avec des tests projectifs et des examens cognitifs.
6Des entretiens avec les parents sont assurés par le médecin pédopsychiatre et le psychologue référent en y associant, selon les besoins ou la demande, l’éducateur ou l’assistante sociale référente, parfois une autre personne de l’équipe avec des compétences spécifiques (infirmière, psychomotricienne, logopède). Le travail avec les familles est d’orientation systémique.
7Plus largement, les activités et la vie quotidienne se réfèrent à la psychothérapie institutionnelle adaptée aux enfants, ensemble de dispositifs où les médias thérapeutiques servent de base à la construction du travail relationnel des enfants entre eux et des enfants avec les adultes, et visent un développement « global » de l’enfant. [2]
8Ayant toujours veillé à travailler en collaboration avec les parents, outre les entretiens avec eux, nous soignons l’accueil, matin et soir, qui leur est destiné, et tout naturellement nous est venue l’idée d’ouvrir certains ateliers constituant la trame de la psychothérapie institutionnelle, aux parents eux-mêmes.
9Et, pour préparer cette contribution, nous nous sommes posé la question suivante : « En fait, en quoi consiste notre soin aux familles » ?
Premier champ du soin : le sens
10Premier champ, celui qui vient le plus souvent à l’esprit lorsqu’on parle du soin psychique, c’est le champ du sens.
11L’intervenant cherche, avec la famille, à comprendre le sens des difficultés de l’enfant, le sens des dysfonctionnements familiaux. « Qui porte le symptôme, qui souffre, qui allègue ? » comme nous l’a appris Robert Neuburger dans « L’autre demande ». Et pourquoi ? Quelles sont les (fausses) pistes thérapeutiques ? Bref, réfléchir et échanger, rien que du bien connu par les psys.
Deuxième champ de soin : le pilotage
12Bien comprendre ne suffit pas. Après avoir compris, il faut voir que faire. Quels sont les objectifs du soin ? Quels sont les outils éducatifs et rééducatifs nécessaires ? Quelles sont les attitudes relationnelles adéquates ? Quels sont les aspects émotionnels à modifier ? Faut-il un médicament ? Quelles attitudes psychoéducatives adopter en famille ? Quelle orientation scolaire ou thérapeutique, quel soin ambulatoire ou résidentiel ?
13L’intervenant, suite à l’analyse avec les parents, va donc faire des propositions mais ce sont les parents qui restent les « décideurs », in fine, pour l’acceptation ou non du plan thérapeutique. C’est le parent qui veillera à ce que le plan puisse être appliqué, plus ou moins précisément, même si bien évidemment, l’application du plan concerne également l’intervenant.
14C’est cela que nous proposons d’appeler la fonction, ou le champ du pilotage.
15Pour cette fonction, le pilote responsable est le parent, et, pour rester dans la métaphore, l’intervenant serait le copilote. Ce dernier donne des indications au pilote, prend éventuellement les commandes si le pilote a besoin d’aide (ce qui est nécessaire lorsque des familles sont particulièrement déstructurées ou insécurisées), mais même alors, il reste bien en position seconde.
16Dans le concret des prises en charge thérapeutiques, le pilotage ne suit pas nécessairement la recherche du sens. Certaines décisions doivent être prises avant d’avoir tout compris. Il s’agit plus d’une articulation, d’un processus de construction de plan thérapeutique « sens/pilotage », que d’une chronologie linéaire.
17Nous évoquions dans les situations prises en charge, les situations de maltraitance. Considérer ces parents comme pilotes, reste, dans la plupart de ces cas, nécessaire pour organiser le soin. Il faut parfois un « co-pilotage » très ferme, amenant les parents à reconnaître les besoins de leur enfant, à reconnaître leurs erreurs ou inadéquations, mais le but du travail dans la maltraitance est bien d’aider les parents à reprendre leurs responsabilités et leurs compétences parentales. Ce n’est que lorsque le parent se montre : 1) gravement maltraitant et 2) refuse les soins nécessaires à l’enfant, qu’une demande d’un nouveau pilote est nécessaire : le Tribunal de la Jeunesse (en Belgique ; ou toute autre autorité judiciaire ou sociale, selon les pays).
Troisième champ du soin : le portage
18Cette dimension peut se déployer beaucoup plus largement dans les prises en charge en centre de jour que dans l’ambulatoire ou même dans le soin résidentiel. En effet, par la proximité souvent quotidienne avec les familles (lorsque les parents conduisent et/ou viennent rechercher leur enfant à l’hôpital, comme c’est le cas au KaPP), notre relation avec eux peut permettre un soulagement du poids qu’ils portent, poids lié à la pathologie de leur enfant. Habituellement, avant l’entrée à l’HPJ, les parents vivent avec le poids de la honte et de l’angoisse. Honte des comportements aberrants de leur enfant dans le métro ou le grand magasin. Peur de ce que va dire l’institutrice ou la directrice de l’école. Gêne lors des fêtes de famille. Angoisse de l’avenir à long terme, et même à court terme : y a-t-il un lieu qui puisse prendre en charge mon enfant ?
19Dès l’arrivée à l’HPJ, notre intervention peut commencer à les soulager. C’est ce que nous proposons d’appeler le champ du portage. Comment soulager la famille d’une part du poids que représente la pathologie de leur enfant ? Quelles aides financières ? Mais tout simplement surtout, quelle sympathie vont-ils trouver auprès de nous ? Comment allons-nous soigner l’accueil lors de la procédure d’admission ? Comment les mettre à l’aise lors des contacts formels et informels ?
20Au KaPP, nous avons souvent l’impression que cette qualité d’accueil permet un réel portage, entraînant un soulagement dans la famille, ce qui nous fait constater que, souvent, la famille va mieux avant même que l’enfant ne change. Pour être complet, nous devrions ajouter que, malheureusement, par la suite, l’enfant change plus vite que la famille. Mais ceci est une autre histoire.
Dispositifs institutionnels en lien avec ces trois champs
21Quelques dispositifs institutionnels kappiens sont intéressants à préciser pour illustrer nos interventions dans ces trois champs.
- L’accueil du matin et du soir. En Belgique, il n’existe pas de service « ramassage » organisé pour conduire les enfants à l’hôpital. Au mieux, on peut trouver des « taxis médicosociaux », mais il s’agit de services privés payants. Donc, ce sont les parents eux-mêmes qui s’arrangent, éventuellement avec un grand-parent, ou le grand frère, la tante, … Et donc, nous avons l’occasion d’avoir deux contacts quotidiens avec un membre de la famille, à 8 h et à 16 h. Nous avons dès lors organisé cet accueil avec deux intervenants le matin, et deux le soir.
- La procédure d’admission. La première étape (après une demande adressée au secrétariat), c’est un coup de fil de notre part au demandeur (parent ou professionnel) pour lequel nous dégageons un temps suffisant pour nous permettre d’aller le plus loin possible dans la recherche des critères d’indication. Ensuite, si l’indication semble justifiée, nous organisons le « préaccueil I » avec les deux parents, l’enfant et l’envoyeur.
Ce préaccueil confirmera, 95 fois sur 100, l’indication d’hospitalisation pressentie lors de la discussion téléphonique. Cet entretien, d’une durée d’une bonne heure, laisse un court temps à l’énonciation de la plainte (environ 10 minutes), puisque cela a déjà été exploré en partie lors du contact téléphonique. Ensuite, nous visons à construire avec la famille les objectifs attendus de l’hospitalisation : « Qu’est-ce que vous souhaitez que nous tentions de changer ou d’améliorer chez votre enfant ? », « Qu’est-ce que tu aimerais qui puisse changer pour toi ou pour ta famille ? » Les réponses sont habituellement assez classiques : être plus sociable, avoir moins de colères, se débloquer pour ses apprentissages, … En résumé, « grandir le mieux possible ». Même si ce sont des thèmes bateau, l’important est que la famille et l’enfant nous perçoivent moins comme des spécialistes du problème que comme des spécialistes dans la recherche et l’application de solutions. Ceci nous permet aussi d’impliquer les parents dans le projet thérapeutique, en signalant que nous aurons besoin de leur aide pour la mise en place des améliorations visées (ce qui est moins stigmatisant que de les confronter à la cause du problème). Ce préaccueil I est assuré par la coordinatrice, un psychologue et un médecin. Il sera suivi, la semaine avant l’entrée effective de l’enfant au KaPP, d’un « préaccueil II ». Celui-ci sera assuré par les mêmes, médecin et psychologue, rejoints cette fois par l’éducateur référent et par une assistante sociale. L’assistante sociale y jouera, le cas échéant, un rôle important pour le « portage », comme nous le verrons plus loin. - Enfin, il y a les « ateliers avec parent(s) ». Il s’agit d’un dispositif que nous trouvons, pour certaines situations, extrêmement puissant. L’un et/ou l’autre parent(s) sont invités à participer à un « atelier » avec leur enfant : « atelier repas » pour les troubles alimentaires, « ateliers psychomotricité » pour les troubles du développement, mais aussi les troubles de l’attachement (par un travail sur le lien et la distance relationnelle) ; « atelier escalade » ou « piscine » (en groupe d’enfants), pour un papa psychotique, un peu paumé dans la relation avec son fils, … (Brice et coll., 2008 et 2009).
Passons maintenant à quelques illustrations concrètes de nos interventions.
L’assistante sociale, les parents et le soin
L’entrée en matière
- L’AS participe au deuxième entretien de préaccueil. Lors de cet entretien, nous reprenons avec la famille ce qui a été discuté lors du premier entretien, précisons la demande et les objectifs, et questionnons l’organisation nécessaire. Quelles sont les attentes des uns et des autres dans la famille, à l’école,… ? Quels investissements les parents sont-ils prêts à consacrer ? Comment la famille va-t-elle s’organiser ? Les questions sont multiples. Le but n’est pas nécessairement d’y répondre tout de suite mais d’ouvrir des perspectives et des pistes possibles.
- L’AS va expliquer tous les aspects pratiques, administratifs et financiers que recouvre l’hospitalisation. Elle va s’assurer que cela soit praticable pour les parents et sinon, essayer de trouver des dispositifs d’aide.
- Dès le départ, l’AS a donc une approche individuelle familiale mais s’inscrit aussi dans le projet collectif institutionnel :
Par rapport à l’approche familiale individuelle : l’accueil, le soutien et le soin
- L’AS va donc essayer, dans la mesure du possible, que la famille bénéficie des aides sociales auxquelles elle pourrait prétendre. Cela se fera lors d’entretiens individuels entre l’AS et le(s) parent(s) (droits aux allocations familiales majorées ; si difficulté financière, prendre le temps avec la famille d’examiner les différents services qui pourraient lui venir en aide ; si nécessité de soins de santé physique, aider à trouver une maison médicale, etc.)
- Le soutien et l’accompagnement dans différentes démarches sociales peuvent faciliter le travail thérapeutique avec le jeune et sa famille. Par exemple, si une famille rencontre trop de difficultés pour assurer le transport de son enfant, nous allons essayer de mettre en place des aides afin que ces trajets soient possibles ou encore, si au cours de l’hospitalisation de son enfant, une maman seule nous fait part de ses problèmes financiers, nous la mettons en contact avec un service qui a pour objectif d’aider temporairement des familles avec de jeunes enfants, confrontées à la pauvreté. De plus, si cette maman a droit à une pension alimentaire que le papa de l’enfant ne paie pas, nous ferons appel avec elle au service compétent afin d’essayer de débloquer la situation. Ces démarches sociales faites avec les familles favorisent la création d’un lien de confiance, ce qui facilitera l’alliance thérapeutique.
- L’assistante sociale est régulièrement présente à l’accueil du matin. Ceci favorise aussi le lien et corollairement la relation de confiance.
- Le travail d’accompagnement social nous amène parfois à nous rendre à domicile pour des entretiens ou pour des « ateliers avec parents ». On peut alors se rendre compte autrement de ce que vit la famille. Ces visites, ainsi que des démarches sociales accomplies avec les familles nous amènent parfois à mieux percevoir la situation de détresse dans laquelle se retrouve la famille ou encore recevoir des inquiétudes des parents, des confidences de leur part. Dans un cas comme dans l’autre, pour l’AS, revenir vers son équipe est important pour témoigner tant des difficultés rencontrées que des compétences mises en œuvre par la famille. Ensuite, si besoin, cela pourra être repris par les collègues intervenant lors d’entretiens avec la famille.
Par rapport à l’approche institutionnelle collective : le pilotage
- Durant toute l’hospitalisation de l’enfant, l’AS va essayer de mettre les différents membres de l’équipe du KaPP (suivant leur fonction) en lien avec les systèmes qui gravitent autour de l’enfant et de la famille, bref, travailler avec le réseau. L’AS va coordonner les « plans de sortie » avec ses collègues et les mettre en lien avec les autres intervenants du système gravitant autour de la famille.
- Pour ces contacts, dans la mesure du possible, il est intéressant de le faire avec un autre membre de l’équipe afin d’avoir plusieurs regards sur le fonctionnement du réseau et le rôle des partenaires.
- L’AS assure le lien entre l’école de l’enfant et le KaPP, habituellement avec l’instituteur, l’éducateur, le psychologue, et/ou le médecin. Ces différents contacts se font en partie par téléphone mais dans la mesure du possible, nous essayons d’organiser des rencontres. Les liens avec certains partenaires peuvent aussi être assurés via une invitation des enseignants pour une réunion de synthèse au KaPP.
- De façon plus générale, Philippe Bivort décrit la fonction de l’AS comme une « position d’interface ». Lors du recours à une institution, que ce soit directement par la famille, ou par l’intermédiaire d’un envoyeur, cela crée entre les systèmes des interactions particulières. C’est l’AS qui sert habituellement de trait d’union entre le dedans et le dehors, assurant la continuité pour éviter les ruptures. Le recours à une institution n’est pas une fin en soi, il y a toujours une perspective après l’hospitalisation (in Meynckens M., Vander Borght C. et Kinoo P., 2011, p. 179).
- Il est important aussi d’assurer la continuité du fonctionnement réseau à la sortie de l’enfant. En effet, à la fin de l’hospitalisation, et même plus tard, les intervenants du réseau peuvent continuer à faire appel à l’AS ou à un autre membre de l’équipe du KaPP. Nous pouvons ainsi garder un lien soutenant auprès des familles si nécessaire. Par exemple, après une hospitalisation, nous pouvons être sollicités lors d’une réunion au SAJ, ou dans une école. Le réseau peut recontacter le KaPP quand des intervenants se sentent en difficulté par rapport aux outils thérapeutiques, par exemple quand il y a réapparition de certains symptômes.
- En conclusion, la position d’interface de l’AS entre le dedans (l’institution où elle travaille) et le dehors (la famille et/ou le réseau) favorise l’alliance thérapeutique nécessaire entre la famille et l’institution. Le travail social participe à redonner une sécurité de base nécessaire au soin : il s’agit de (re)créer du lien, (re)donner confiance, permettre et participer à l’alliance thérapeutique.
L’éducateur, les parents et le soin
25Le petit Ali est arrivé au KaPP à l’âge de 5 ans. Il présentait un retard de développement important avec cependant un bon niveau verbal pour son âge. Il était souriant avec une tendance à être dans son monde et pouvait montrer des intérêts répétés et particuliers pour les animaux et les dessins animés. Au début de son hospitalisation, Ali s’opposait de façon très théâtrale, il criait « Au secours, à l’aide » à la moindre frustration. Il n’était pas propre, refusait la toilette, s’opposait fortement en famille lors des tentatives de ses parents pour le laver. Il était très sélectif sur le plan alimentaire.
26De façon générale, alors que leur fille (un an plus âgée qu’Ali) était éduquée sans problème, les parents étaient complètement dépassés sur le plan éducatif par ce garçon.
27Après une période d’acclimatation, nous avons mis en place le travail suivant avec les parents.
28Dans un premier temps, le travail s’est fait lors de rencontres informelles dans le hall d’accueil. Un échange s’est mis en place autour de l’enfant et de ses comportements au KaPP et à la maison. Quelques pistes sont données aux parents tels que le renforcement positif ou la co-intervention des parents. [3] Cependant, ces parents avaient un besoin de soutien plus important, or les entretiens « classiques » avec le médecin et la psychologue n’apportaient aucune évolution à la dynamique familiale.
29C’est lors d’« ateliers avec parents » qu’ils ont pu trouver un soutien plus adapté à leurs besoins. Pour Ali et ses parents, nous avons d’abord mis en place des ateliers « repas ». Ces ateliers se déroulaient au KaPP en présence de la psychologue, de l’éducateur référent et des parents (il nous arrive également d’inviter la fratrie). Les objectifs visés étaient la diversification de l’alimentation d’Ali et surtout le respect du cadre pendant les repas (heures et lieux fixes, rester « posé » à table un temps suffisant, utiliser les couverts, …). Pendant le premier atelier, les parents avaient des difficultés à contraindre leur fils surtout à cause des oppositions toujours très expressives d’Ali.
30Après trois-quatre ateliers, les parents avaient bien progressé par rapport au cadre et Ali a pu diversifier son alimentation à chaque fois un peu plus, avec des attitudes de plus en plus correctes. La maman, fort discrète dans les entretiens, a particulièrement trouvé sa place dans ces ateliers. C’est elle qui a préparé et apporté les plats, puis elle a enlevé le foulard qu’elle gardait jusque-là lors des contacts avec les professionnels, se dévoilant – au propre comme au figuré – pendant les repas. Elle a parlé des habitudes en famille, des étapes du développement de son fils bien mieux que ce qu’elle avait pu faire auparavant.
31Les référents d’Ali (psychologue et éducateur) ont ensuite accompagné l’enfant et ses parents au supermarché. Ali faisait des crises (toujours très démonstratives) dans le but d’obtenir ce qu’il voulait. L’autorité conjointe des quatre adultes (parents et professionnels) a été une étape intéressante dans la bataille pour l’autorité parentale en famille.
32Le soutien, la visualisation des résultats, et la diminution des oppositions d’Ali, ont permis petit à petit aux parents de se sentir plus à l’aise avec le cadre à maintenir, d’abord au KaPP, puis en famille.
33Yves est arrivé au KaPP car des troubles du comportement rendaient sa scolarisation impossible, même en enseignement spécialisé. Les difficultés d’Yves se manifestent par une hyper-sensibilité et des réactions démesurées à la frustration.
34Les parents nous ont également rapporté de grosses difficultés concernant les règles familiales, comme par exemple le rangement de la chambre de leur fils. Ils étaient bien conscients du problème, mais se sentaient impuissants à mettre en place les solutions. En accord avec eux, et pour amorcer le début de la bataille pour la convivialité en famille, nous avons organisé un « atelier à domicile » avec l’objectif de ranger la chambre avec l’enfant.
Sabrina – deux ans et demi, atteinte d’autisme – et sa famille arrivent au KaPP juste dix minutes après l’annonce du diagnostic au CRA (Centre de Ressources Autisme des Cliniques Saint Luc avec lequel nous travaillons). Les deux aînés de la fratrie sont eux aussi atteints d’autisme. Ils sont arrivés avec le médecin pédo-psychiatre du CRA et un entretien avec la famille a été improvisé en présence de la coordinatrice et d’un éducateur.
36L’annonce du diagnostic est toujours une épreuve difficile pour les parents. Ici, ce fut particulièrement dramatique. L’accueil des parents dans ces circonstances bouleversantes a cependant permis d’établir un climat de confiance essentiel au travail qui sera mis en place par la suite. Cet accueil fut un espace de parole et d’écoute ou, plus simplement encore, de sympathie proposé aux parents.
37C’est lors d’un deuxième entretien avec les parents que l’importance de ce premier contact nous a été relatée. Les parents de Sabrina se sont sentis simplement bien accueillis par l’équipe du KaPP.
38Ceci nous rappelle l’adage : « On n’a jamais deux fois l’occasion de faire une bonne première impression. »
Amine est atteint d’autisme et arrive au KaPP à l’âge de 4 ans. Il le quittera à l’âge de 7 ans. Pendant ce long séjour (pour le KaPP, trois années, c’est un séjour exceptionnellement long), des entretiens structurés ont été fixés à intervalles réguliers. Mais à côté de ces entretiens, des rencontres informelles quotidiennes auront lieu dans le couloir pendant l’accueil du matin ou du soir. Ces rencontres permettent d’échanger des informations autour de l’enfant, de la famille et autour de ce qui se passe au KaPP.
40« Comment l’enfant a-t-il dormi/mangé ? » « Comment s’est passé l’hippothérapie ? » « Le papa ou la maman est-il/elle rentré de vacances ou de déplacement professionnel ? » « Comment se passe la grossesse de la maman ? A-t-elle accouché ? » « Quels sont les progrès ou les régressions de l’enfant ces jours-ci ? », « Est-ce que tel ou tel trouble du comportement est toujours présent ? A quelle fréquence ? ».
41Certaines de ces informations peuvent paraîtres futiles, mais elles permettent au jour le jour d’alimenter le lien entre les parents et les professionnels, entre le domicile et l’hôpital. Pour ces parents particulièrement, ces moments étaient importants. Ils étaient fort anxieux, très perfectionnistes. Ces quelques minutes matin et soir étaient utiles comme « traitement anti-anxieux », et comme soulagement. Ils se rassuraient par ce bref contact quotidien.
Digression « Pierre Delion »
42Pierre Delion nous a apporté les concepts de « fonctions phorique, sémaphorique et métaphorique ». En résumé, voici un extrait de Pierre Delion (2001) lui-même, qui reprend ces notions. « La fonction phorique est un concept tiré du “Roi des Aulnes” de Michel Tournier, qui concerne tout ce qui de l’homme, le met ou le laisse dans un état de dépendance tel qu’il a un besoin incontournable de l’autre pour être porté par lui, soit physiquement, c’est le cas du bébé qui ne peut encore marcher tout seul, soit psychiquement, et c’est le cas de beaucoup de personnes psychotiques qui ont longtemps, voire toujours, besoin de portage pour pouvoir suivre leur destin pulsionnel. C’est donc une des missions des institutions de proposer de tels praticables (Oury) comme cadre phorique sur lesquels vont venir se jouer les autres fonctions sémaphoriques et métaphoriques ». Cette fonction phorique, nous pouvons clairement la retrouver dans notre lien de portage avec les familles.
43« Les signes étant exprimables quelque part, dans quelque lieu, vont pouvoir se polariser vers un appareil psychique disposé à les recevoir et à les organiser. Cet appareil psychique de plusieurs soignants constitue en quelque sorte la feuille d’assertion, celle dont M. Balat nous dit qu’elle est le lieu sémaphorique de ce qui est à interpréter ». « Recevoir et organiser les signes », cela pourrait se rattacher à notre fonction de pilotage.
44A propos de la fonction métaphorique, il dit ceci : « Il s’agit donc bien d’un travail d’interprétation. Mais ce travail d’interprétation, s’il ne peut se faire que dans le cadre du contre-transfert institutionnel, c’est-à-dire en situation d’élaboration et de perlaboration de la constellation transférentielle, va se trouver confronté à la validité de ses hypothèses, non pas sur un plan structural synchronique, puisque c’est en quelque sorte ce qui en fait tout l’intérêt, mais sur le plan de leurs articulations avec la diachronie de l’histoire familiale. C’est pourquoi il semble tout à fait essentiel de lier ces hypothèses structurales avec la dynamique historique familiale … ». Et nous sommes ici dans la recherche de sens nouveau, notre premier champ.
45Il y a de toute évidence une similitude entre ces concepts utilisés pour définir certaines facettes du soin « individuel », et ce que nous tentons de présenter pour le soin aux familles. Le parallélisme est particulièrement marqué pour portage/ phorique et pour sens/métaphorique. Pour pilotage/sémaphorique, il y a plus de différences, dans la mesure où nous y incluons non seulement « l’échange des signes », mais aussi la prise de décision et l’évaluation du suivi de ces décisions.
46Quel est l’intérêt de cette « digression – Delion » ? Pas grand chose d’autre que de tenter de faire des liens, de jeter des ponts entre des approches complémentaires. La psychothérapie institutionnelle a longtemps eu comme seul paradigme la psychanalyse, et son public cible était l’adulte psychotique. Actuellement, la psychothérapie institutionnelle a pu se penser comme spécifiquement adaptée aux enfants et s’est ouverte largement à l’apport de la systémique. Repérer les similitudes et les différences dans des modélisations de divers courants thérapeutiques, surtout quand ces courants peuvent entrer en congruence, aide à développer notre compréhension des problématiques individuelles et familiales. Et ceci aide aussi les intervenants à développer de plus en plus un langage et des concepts communs.
Et autres concepts associés
47Encore quelques pistes pour des associations possibles dans nos trois champs.
- Dans « portage », nous l’avons déjà évoqué, nous pouvons associer les notions de « soutien », et même tout simplement « d’accueil ».
- Dans « pilotage », on l’a vu, on retrouve la notion de « guidance parentale psychoéducative » ou encore de « repères communs » entre famille et intervenants (ce qui se rapproche du « sémaphorique » de Pierre Delion). Le fait de devoir chercher des repères et des objectifs communs, suppose qu’il puisse y avoir une identité suffisamment commune, un processus d’identification réciproque des parents et des intervenants : voir ce que l’un et l’autre peuvent apporter ensemble à l’enfant.
- Dans le champ du « sens » par contre, chacun doit reprendre son identité, ce qui implique une capacité de différenciation. Il faut accepter les différences, les désaccords éventuels, pouvoir les aborder, avant de voir comment une décision (de pilotage) peut être prise en tenant compte du contexte de désaccord/ différence éventuel. Cet exercice est par exemple bien difficile mais indispensable dans le travail avec les familles d’origine culturelle différente : « Qu’est-ce que le trouble de développement de votre enfant signifie dans votre famille/ pays/culture, et que signifie-t-il dans notre approche médico-psychologique occidentale ? ».
Ce qui donne le schéma représenté dans la figure 1.
La jeune psychologue et le portage de l’équipe
48Voici la situation d’un enfant que nous nommerons Axel.
49Axel a deux ans et demi. Il arrive au KaPP pour des troubles du développement et de l’alimentation. Issu d’une famille originaire d’un pays de l’Est, ses parents ne parlent pas le français et la situation familiale est complexe. Ses parents ont des difficultés de couple et décident, il y a peu, de mettre fin à leur relation. Le père d’Axel retourne vivre dans son pays d’origine tandis qu’Axel et sa maman restent en Belgique. Cette séparation soudaine est compliquée à gérer pour Axel, que nous voyons depuis lors régresser dans ses apprentissages.
Les trois champs du travail avec les familles
Les trois champs du travail avec les familles
50Préoccupée par la situation, l’équipe a proposé à la maman la mise en place, à domicile, de séances de vidéo-conférence par Internet, avec le papa. Cette idée leur a été soumise afin de permettre à Axel de garder un contact avec son père. Les parents ont bien accueilli l’idée, mais la mise en pratique de ces séances s’est avérée compliquée à gérer pour ceux-ci. Il leur était en effet difficile de mettre de côté leurs différends, ce qui créait un climat de violence verbale permanent autour de l’enfant durant les conversations vidéo dédiées à Axel et son papa.
51Le KaPP fait alors quelques nouvelles propositions aux parents. D’abord, lors des retours du père tous les quinze jours, un suivi chez une psychothérapeute parlant leur langue maternelle, afin qu’ils puissent communiquer au sujet de leurs problèmes de couple. Ensuite, un consensus a pu être établi entre les parents afin que leurs communications « adultes » ne s’effectuent pas en présence de l’enfant. Néanmoins, les « séances Internet » père-enfant à la maison restaient compliquées et accablaient fortement la maman de par leur nombre, puisque le papa, désireux de contacts avec son fils, en réclamait davantage.
52Afin de soulager les parents par rapport à leurs besoins respectifs, le KaPP propose alors d’ouvrir un espace de vidéo-conférence en son sein. Ainsi, à raison d’une fois par semaine, s’effectuent des séances par Skype pour permettre à Axel et son papa de garder le contact. Ce dialogue peut alors s’élaborer dans un milieu neutre qui vient mettre du tiers, permettant aux parents d’y déposer une situation difficile qu’ils ne pouvaient pas porter seuls.
53L’élaboration de cet espace, qui constitue la première réalisation de ce genre au KaPP, n’a pu être mise en place que grâce à l’intervention de l’équipe qui a su entendre les difficultés parentales, chercher une thérapeute, un traducteur, installer le réseau de communication par Internet et ainsi soutenir cette famille.
54Cette situation nous paraît être un bel exemple de portage, de soutien. Ce portage n’est possible que s’il émane d’une équipe, ou dit autrement, le portage de l’équipe est une base pour l’initiative de chacun des intervenants. Ce portage institutionnel permet de fournir un étayage aux familles qui, elles-mêmes soulagées, peuvent alors reproduire cet étayage au sein de leur propre système de fonctionnement. Il serait en effet compliqué, en tant que professionnel, d’apporter à la famille une base sur laquelle elle peut venir prendre appui si nous-mêmes nous ne disposions pas de cet étayage. Nous retrouvons cet étayage, ce portage, au sein de l’ensemble de l’équipe, auprès de laquelle chaque intervenant peut venir se ressourcer et chercher le soutien nécessaire au travail avec les familles.
55Le développement de cette situation montre que l’impact du portage par une équipe, ainsi que la mise en sens et la compréhension des situations, constituent les ressources nécessaires pour mettre rapidement en place des mécanismes de soutien auprès des familles. Ainsi, l’ensemble du dispositif explicité ci-dessus est le résultat de deux semaines de collaboration autour de cette famille. Cette collaboration a été réalisée avec la psychologue référente – qui expose ce témoignage – alors qu’elle venait à peine d’arriver dans l’équipe. Cette rapidité d’action n’a été possible pour elle que par l’induction au portage de l’ensemble de l’équipe.
Conclusion
56Ces illustrations montrent comment les interventions vont nouer les trois champs du portage, du sens et du pilotage pour avancer dans le soin.
57Ali illustre que même si des parents ont du mal à faire un travail sur le sens, on peut avancer avec eux dans le pilotage et dans le portage.
58Yves nous a montré que même si ses parents semblent avoir compris bien des choses dans le champ du sens, il faut du portage pour avancer dans le pilotage.
59Sabrina illustre l’effet de l’accueil sur le portage et l’amorce d’une alliance thérapeutique. Et, dit plus simplement, que la dimension « humaine » est la base de notre action thérapeutique professionnelle. Les interventions de l’assistante sociale en témoignent également.
60Et enfin, Axel nous apprend que pour bien « porter les familles » (et « piloter », et « mettre du sens »), le portage de chaque intervenant par l’équipe, est une force bien utile.
Bibliographie
- 1Brice A.C., Casimir N., Pereira A., Kpadonou E., Kinoo P., 2008. Les Ateliers avec Parents. Thérapie familiale, Genève, 29, 3.
- 2Brice A.C., Gryspeert L., Lefèvre M., Kinoo P., 2009. Psychothérapie institutionnelle familiale et ateliers avec parents. Enfances/Adolescences, 14/15 (2008/2 – 2009/1).
- 3Compernolle T., Doreleijers T., 2010 (réed). Du Calme ! Coll. Comprendre. De Boeck, Bruxelles.
- 4Delion P., 2001. « Thérapeutiques institutionnelles », dans EMC-Psychiatrie, 37-930-G10. Editions scientifiques et médicales. Elsevier, Paris, 31-2.
- 5Meynckens M., Vander Borght C., Kinoo P., 2011., Eduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles. Coll. Carrefour des psychothérapies. De Boeck, Bruxelles.
- 6Kinoo P. (sous la direction de), 2012. Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP. Coll. Empan, Erès, Paris.
Notes
-
[*]
Le contenu de cet article a été présenté sous forme d’atelier au XXXIe Colloque des Hôpitaux de jour psychiatriques, Brest, 11-12 octobre 2013. Les auteurs remercient leurs collègues psychologues Anne-Christina Brice et Charles-E. Blondiau, ainsi que Anne-Marie Coulon, pour leur relecture et leurs conseils.
-
[1]
Ou orthophoniste ou logopédiste.
-
[2]
Tout ceci est développé dans le livre Psychothérapie institutionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP, 2012, Editions Erès, et dans « Eduquer et soigner en équipe. Manuel de pratiques institutionnelles », 2011, Editions De Boeck.
-
[3]
Nous conseillons volontiers aux parents un livre facile d’accès pour des pistes concrètes concernant le renforcement positif et la cohérence parentale : il s’agit du livre Du calme, de Théo Compernolle et Théo Dooreleijers (2010).