Couverture de TF_131

Article de revue

Evaluation du fonctionnement familial : état des connaissances

Pages 11 à 37

Notes

  • [1]
    Nous avons regroupé sous la rubrique « modèle théorique d’évaluation » les textes dans lesquels les auteurs proposent un modèle explicatif du fonctionnement de la famille.
  • [2]
    Nous avons regroupé sous la rubrique « grille d’évaluation » les textes dans lesquels les auteurs proposent une liste de dimensions à considérer lors de l’évaluation d’une famille.
  • [3]
    Les sous-sections portant sur le modèle des compétences familiales, le modèle circomplexe et le modèle de McMaster s’inspirent en partie des chapitres 4, 5 et 6 du livre de Favez (2010) intitulé L’examen clinique de la famille.

Introduction

1L’évaluation du fonctionnement familial lors des premières rencontres avec la famille constitue une pratique incontournable chez les thérapeutes familiaux. Il s’agit d’un geste éthique dont l’objectif est de colliger de façon efficiente auprès de plusieurs individus, le plus de renseignements possible dans le but de mieux cibler les besoins de la famille et de développer un plan d’intervention conforme aux standards élevés de compétence (25). D’ailleurs, la précision et la justesse de l’évaluation de même que l’ajustement des interventions aux besoins de la famille dans le moment constituent des ingrédients essentiels d’une pratique probante en thérapie familiale (30).

2Bray (5) propose d’utiliser une procédure d’évaluation la plus globale possible afin de s’assurer que le thérapeute ne néglige pas certaines facettes de la réalité familiale qui peuvent avoir un impact important sur les problèmes à l’origine de la demande. Selon lui, une évaluation globale de la famille peut guider l’intervenant lors de l’élaboration d’une hypothèse initiale à propos des problèmes présentés, de leurs causes possibles, des ressources et des compétences de la famille. Par ailleurs, Favez (14) estime qu’une évaluation globale de la famille peut contribuer à prévenir le risque de certains biais chez les thérapeutes notamment les heuristiques cognitives (le fait que le thérapeute choisisse, parmi plusieurs explications, celle qui lui est familière ou celle qu’il a apprise en dernier), les stéréotypes (les idées préconçues du thérapeute qui peuvent l’empêcher de voir l’évalué autrement qu’en fonction de l’idée qu’il s’en est déjà fait), le biais confirmatoire (le fait que le thérapeute porte un jugement sur la famille et ne porte ensuite attention qu’aux renseignements qui confirment son jugement initial, en ne prêtant pas attention ou en minimisant toute information qui le contredit) et l’effet de clémence (le fait que le thérapeute tende à surestimer les attributs positifs ou les ressources du patient et à sous-estimer les attributs négatifs ou les difficultés).

3Afin de soutenir cette étape cruciale de l’intervention, différents modèles théoriques ou grilles d’évaluation du fonctionnement des familles ont été proposés au cours des trente dernières années par les chercheurs et les cliniciens du domaine de la thérapie familiale. Bien qu’ils présentent tous un certain intérêt, les modèles théoriques et grilles recensés comportent certaines limites. D’abord, on note que les concepteurs proposent généralement un nombre limité de dimensions à considérer lors de l’évaluation ce qui ne permet pas de rendre compte de la complexité du fonctionnement familial dans son ensemble. Ensuite, on constate une diversité de concepts pour désigner des dimensions souvent proches parentes (cohésion vs bienveillance émotionnelle ; organisation familiale vs adaptabilité ou flexibilité familiale ; communication vs expression de soi dans la famille). Ce manque de consensus entre les auteurs sur le vocable à utiliser pour désigner une même dimension peut contribuer à l’émergence de certains malentendus entre les thérapeutes au cours de leurs échanges mais surtout limite les comparaisons possibles entre des études portant sur le fonctionnement de la famille, nuisant ainsi au développement de la connaissance dans le domaine de la thérapie familiale. Enfin, on remarque que certains concepteurs proposent une longue liste de dimensions à investiguer lors de l’évaluation du fonctionnement familial sans discuter de leur importance relative, sans montrer comment ces dimensions sont interreliées ni comment elles peuvent s’influencer. Conséquemment, il devient difficile, lors de l’élaboration d’un plan d’intervention, de cibler les dimensions à prioriser afin de maximiser l’efficience de l’intervention, comme le proposent Pinsof et Wynne (27).

4Le présent article vise à pallier ces lacunes. Dans l’ordre, nous présentons les principaux modèles théoriques [1] ou grilles [2] d’évaluation que nous avons recensés dans les écrits cliniques et scientifiques dans le but de faire état de la grande diversité des dimensions proposées par les auteurs pour évaluer le fonctionnement d’une famille. A la suite à cette présentation, nous rendons compte du travail que nous avons fait pour tenter de regrouper ces multiples dimensions par catégories de dimensions plus générales du fonctionnement familial.

Partie 1 : Recension d’écrits sur les grilles et modèles pour évaluer le fonctionnement familial

5Pour atteindre cet objectif, nous avons d’abord procédé à une recension des écrits sur les modèles et grilles d’évaluation du fonctionnement familial. Différentes bases de données ont été interrogées : Google Scholar, PsycINFO, Social Services Abstracts Medline et Ariane 2.0 Bêta, recherche d’articles. Les mots-clés utilisés sont les suivants : Family Evaluation, Model Family Evaluation, Model Family Functioning, Model Family Functioning Evaluation et Model Family Functioning Assessment.

6Cette recension des écrits a permis d’identifier douze modèles théoriques ou grilles d’évaluation du fonctionnement familial. Différents critères ont été utilisés pour sélectionner les textes : 1) l’objectif principal du texte visait à proposer un modèle ou une grille d’évaluation de la famille, 2) ceux-ci ne devaient pas être associés à une école de thérapie familiale en particulier et 3) devaient s’appuyer sur une perspective multidimensionnelle ou multifactorielle du fonctionnement de la famille. Nous sommes bien sûr conscients de ne pas avoir recensé tous les modèles et grilles d’évaluation existants dans le domaine de la thérapie familiale. Nous croyons cependant que les modèles théoriques et les grilles recensés permettent d’avoir un bon aperçu de ce qui a été publié dans le domaine.

7Les modèles théoriques d’évaluation du fonctionnement familial que nous avons retenus pour le présent article sont les suivants :

  • le modèle des compétences familiales de Beavers (2) ;
  • le modèle circomplexe d’Olson (22, 24) ;
  • le modèle McMaster du fonctionnement familial d’Epstein (12, 13) ;
  • le modèle du fonctionnement familial de Holman (17) ;
  • le modèle familial FIRO de Doherty et Colangelo (9) ;
  • le modèle du processus du fonctionnement familial de Steinhauer (31) ;
  • le modèle de l’adaptation familiale de McCubbin (20).
Les grilles d’évaluation du fonctionnement familial retenues sont les suivantes :
  • la grille d’évaluation des interactions familiales de Loader (19) ;
  • la grille d’évaluation familiale Darlington de Wilkinson (35, 36) ;
  • la grille d’évaluation systématique de la famille de Seywert (29) ;
  • la grille d’évaluation familiale de Bray (4, 5) ;
  • l’évaluation clinique de la famille de Favez (14).

Présentation des grilles d’évaluation et des modèles explicatifs

8Chacun des modèles théoriques et grilles d’évaluation retenus sont présentés sommairement dans cette section [3]. L’ordre de présentation est fonction de leur date de publication, du plus ancien au plus récent.

Présentation des modèles explicatifs

Le modèle des compétences familiales

9Le modèle des compétences familiales (Beavers Systems Model of Family Functioning) a été développé par Beavers, Blumberg, Timken et Weiner (2) au cours des années 1960. Ce modèle s’appuie sur deux concepts principaux : la compétence et le style familial. Ce modèle partage plusieurs similitudes avec le modèle circomplexe d’Olson présenté au point suivant.

10La compétence familiale est définie comme étant la capacité de la famille à accomplir les tâches principales qui lui sont dévolues (par exemple, s’organiser et gérer son fonctionnement). Elle est mesurée à l’aide de deux indicateurs : la structure (organisation des responsabilités dans le sous-système coparental et la hiérarchie intergénérationnelle) et le degré de confiance et d’estime de soi en lien avec la capacité à communiquer clairement, à accepter la différence et à résoudre les conflits.

11Le style familial peut se caractériser par deux tendances opposées : le style centripète et le style centrifuge. Selon ce modèle, une famille centripète est une famille unie, dans laquelle les satisfactions relationnelles intrafamiliales sont élevées, recherchées et valorisées. Les émotions négatives sont atténuées, voire déniées, au profit d’un accent sur les émotions positives et la solidarité. Dans sa forme extrême, toute autonomisation peut être vue comme une trahison et l’individuation est entravée par une pression à être conforme aux attentes de la famille. Les membres de ces familles ont plutôt tendance à développer des troubles dits intériorisés (par exemple, troubles anxieux, troubles de l’humeur). À l’inverse, une famille centrifuge est une famille dans laquelle les satisfactions relationnelles sont recherchées principalement en dehors de la vie familiale. Il existe une certaine méfiance à l’égard des émotions positives et des gestes d’affection ; les conflits sont exprimés rapidement et peuvent être intenses. Dans sa forme extrême, on peut observer un encouragement à la séparation qui peut excéder les capacités d’autonomie des individus. Ces familles ont davantage tendance à développer des troubles dits extériorisés (par exemple, agressivité, troubles du comportement).

12Le croisement des compétences familiales et des styles familiaux permet de dresser une carte typologique des familles. Selon les auteurs, plus la compétence familiale est faible, plus la famille présente un style de fonctionnement proche de l’un des extrêmes. Le modèle présente une typologie des familles à cinq catégories : optimale, adéquate, moyenne, limite et sévèrement dysfonctionnelle.

13Le modèle des compétences familiales peut être utilisé pour déterminer quel type de thérapie sera approprié pour la famille ou pour dépister les familles difficiles ou à risque de « rupture thérapeutique ».

Le modèle circomplexe

14Le modèle circomplexe (Circumplex Model) a été développé par Olson à la fin des années 1970 (24). Il s’agit d’un des premiers modèles explicatifs de la famille à être basé sur des données empiriques. Ce modèle est conçu pour permettre de poser un « diagnostic relationnel » à partir de trois dimensions fondamentales du fonctionnement familial, soit la cohésion, la flexibilité et la communication. Ce modèle présente plusieurs similitudes avec le modèle précédent (2).

15Olson (22) définit la cohésion comme étant le lien émotionnel entre les membres de la famille. Cette dimension se situe sur un continuum : à une extrémité, on retrouve le désengagement, à l’autre, l’intrication relationnelle et au centre, la cohésion balancée. La dimension de la flexibilité fait référence à la qualité et à l’expression du leadership et de l’organisation, des rôles, des règles et de la négociation. Cette dimension se situe également sur un continuum : à une extrémité, le fonctionnement rigide, à l’autre, le fonctionnement chaotique et au centre, la flexibilité balancée. La communication, quant à elle, fait référence aux habiletés de communication du couple et des membres de la famille. Cette dimension est considérée comme une dimension facilitatrice à travers laquelle la famille peut modifier son niveau de cohésion et de flexibilité. Selon ce modèle, une communication ouverte et positive permet à la famille de passer d’un niveau à un autre et, surtout, de retourner à un niveau équilibré après un passage par un extrême en raison d’événements stressants. Ces dimensions peuvent être évaluées à l’aide du FACES IV, un questionnaire conçu par Olson et ses collaborateurs (23).

16Le modèle circomplexe est organisé autour de trois hypothèses :

  1. les familles équilibrées vont en général être mieux adaptées, vont mieux fonctionner et mieux gérer les transitions associées au passage d’une phase développementale à une autre ;
  2. des aptitudes communicatives permettent à la famille d’adapter et de changer son niveau de cohésion et de flexibilité quand cela s’avère nécessaire, puis de retourner à un état d’équilibre par la suite ;
  3. les familles modifient leur niveau de cohésion et de flexibilité pour répondre à des situations de stress et pour franchir les étapes du cycle de la vie familiale (Family Life Cycle) (6). Ces changements dynamiques sont bénéfiques pour le système familial.

Le modèle McMaster du fonctionnement familial

17Le modèle McMaster du fonctionnement familial (McMaster Approach to Families) a été développé par Epstein (12, 33). Basé sur le concept de « santé », ce modèle cherche à déterminer quelles dimensions du fonctionnement familial ont un impact sur la santé ou le dysfonctionnement familial. Epstein définit la famille comme étant un cadre qui permet le développement et l’entretien de ses membres sur les plans biologique, social et psychologique. Pour accomplir cette fonction, la famille doit faire face à un certain nombre de tâches dans trois domaines principaux : 1) les tâches de base (l’ensemble des tâches instrumentales, comme fournir de la nourriture, un abri), 2) les tâches développementales (liées aux étapes du cycle de la vie familiale) et 3) les tâches « accidentelles » (hazardous) (l’ensemble des événements majeurs de vie qui peuvent infléchir la trajectoire développementale de la famille comme les maladies, les pertes de travail, un décès).

18Le modèle vise ainsi à expliquer comment la famille remplit cet ensemble de tâches et pour quelles raisons certaines familles ont des difficultés. Six dimensions sont proposées pour expliquer le fonctionnement familial : la résolution de problèmes, la communication, la répartition des rôles, la réponse affective, l’implication affective et le contrôle du comportement.

19La résolution de problèmes est la capacité de la famille à résoudre les problèmes (instrumentaux et affectifs) qui se présentent, tout en maintenant un fonctionnement efficace. Selon Epstein, les familles se différencient avant tout par leur capacité à résoudre les problèmes et non en fonction du nombre de problèmes qu’elles ont à résoudre. Meilleur est le fonctionnement, moins on y trouve de problèmes non résolus.

20Selon les concepteurs de ce modèle, la communication est à évaluer selon deux dimensions : sa clarté (est-ce que le message est formulé de façon claire, non ambiguë ou vague, camouflée) et sa direction (est-ce que le message est adressé directement à la personne concernée ou transmis par une autre personne). Dans les familles qui fonctionnent bien, la communication est claire et directe. À l’inverse, dans les familles en difficulté, la communication est masquée et indirecte.

21Une autre dimension du modèle McMaster du fonctionnement familial est la répartition des rôles. L’évaluation du fonctionnement familial, selon les auteurs, tient compte de la façon dont les fonctions sont remplies, mais aussi par qui et comment elles sont distribuées et quels en sont les organes de contrôle. Les familles qui fonctionnent bien ont une répartition des rôles saine et les personnes peuvent, dans une certaine mesure, se substituer les unes aux autres.

22Le modèle McMaster du fonctionnement familial inclut également la réponse affective, c’est-à-dire la capacité de la famille à réagir à un stimulus donné dans des proportions émotionnelles adéquates, à la fois qualitativement et quantitativement. L’évaluation porte sur deux aspects : la palette émotionnelle (nombre d’émotions différentes qui peuvent être exprimées) et l’adéquation entre l’émotion et le stimulus. Dans une famille fonctionnelle, toutes les émotions peuvent être ressenties sur un continuum d’intensité et une durée adéquate par rapport à la situation.

23L’implication affective est, quant à elle, définie comme étant l’intérêt que les membres de la famille montrent les uns envers les autres. Elle se décline de six manières différentes : l’absence d’intérêt manifeste pour les autres, l’intérêt surtout intellectuel sans implication émotionnelle, l’implication narcissique, l’implication empathique, la sur-implication et l’implication symbiotique. Les familles fonctionnelles montrent de l’implication empathique.

24Une autre dimension est le contrôle du comportement. Il peut être exercé de quatre manières : de façon rigide, flexible, laisser-faire ou chaotique. Les familles fonctionnelles exercent un contrôle flexible.

25Malgré plusieurs modifications du modèle depuis sa conception, certaines constatations demeurent : 1) les modes transactionnels de la famille sont des variables plus fortes dans la prédiction des comportements individuels que les variables intrapsychiques ; 2) une relation émotionnellement ouverte et chaleureuse entre les parents est indispensable pour la santé mentale des enfants, quel que soit l’état mental individuel des parents ; 3) la relation entre les parents est vue comme un « tampon » qui atténue l’effet possible d’une pathologie parentale sur l’enfant. Le Family Assessment Device (FAD), questionnaire construit par Epstein et ses collaborateurs, permet d’évaluer ces différentes dimensions.

Le modèle du fonctionnement familial

26Le modèle du fonctionnement familial (17) a été diffusé au début des années 1980. Holman, le concepteur de ce modèle, identifie quatre dimensions principales d’évaluation de la famille : le problème, la famille comme système, la famille et son environnement ainsi que le cycle de la vie familiale.

27Selon elle, la première dimension à évaluer par le thérapeute est le problème : la nature du problème, sa complexité, son émergence et sa durée (la durée est une variable importante à évaluer puisque les problèmes chroniques sont plus difficiles à traiter que les crises circonstancielles ou les problèmes récents). L’auteure propose de commencer par consulter les dossiers et les rapports ainsi que des sources collatérales pour obtenir des renseignements au sujet de la famille.

28La deuxième dimension touche à la famille comme système. Pour Holman, la famille peut être vue comme un petit système social, composé d’individus liés entre eux et partageant une forte affection les uns envers les autres ainsi que des biens communs. Les membres y entrent par naissance, par adoption ou par mariage et en sortent par la mort seulement (32). Ils peuvent aussi y entrer par le biais d’un placement. Ainsi, la famille est abordée comme un système dynamique, constitué d’un ensemble d’éléments directement ou indirectement reliés à la façon d’un réseau. Chaque élément est lié à l’autre de façon plus ou moins stable au cours d’une période de temps définie.

29Dans l’évaluation d’une famille, il est important de connaître toutes les interrelations entre les membres de la famille et d’évaluer les impacts de ces interrelations. Un changement dans un des sous-systèmes affecte les autres membres et la famille comme un tout. Selon Holman, trois variables sont à considérer pour bien cerner les interactions familiales : 1) les frontières (se situant sur un continuum d’ouverture), 2) les patrons de communication (chaque famille a des patrons de communication uniques dans lesquels les membres s’échangent des informations tant verbales que non verbales. Un manque de clarté répété dans la communication peut contribuer à l’émergence de problèmes de fonctionnement importants) et 3) la structure familiale (c’est-à-dire la somme des rôles joués par les membres de la famille).

30Selon Holman, il importe de porter une attention sur l’environnement de la famille. Elle définit l’environnement comme un ensemble complexe de forces en interaction simultanée provenant de différentes directions et interagissant avec l’ensemble complexe des forces au sein de la famille (16). Ainsi, l’environnement de la famille doit être vu dans un contexte large incluant des perspectives physiques (logement, sécurité, confort, salaire, école, établissement de santé, etc.) et sociales (lien avec l’extérieur, identité ethnique, classe sociale, culture, comportements et aspirations, etc.). Il s’agit de savoir à quel point l’unité familiale est adaptée aux normes culturelles et aux attentes du système global (8). Cette dimension inclut également le réseau social. Celui-ci réfère aux personnes importantes dans l’environnement familial. Selon Holman, ces personnes représentent des moyens pour la famille d’entrer en contact, de s’identifier, de s’affirmer, de socialiser autour de systèmes de croyances, d’adhérer aux normes et aux valeurs culturelles. Elles agissent aussi comme des aidantes naturelles sous la forme d’un système d’aide mutuelle.

31Enfin, la dernière dimension proposée par Holman est le cycle de la vie familiale. L’auteure reprend l’évolution de ce concept depuis ses premières conceptualisations par Duvall (11) dans les années 1950. À cette époque, Duvall recensait huit stades de la vie familiale : 1) le couple marié (sans enfant), 2) l’arrivée du premier enfant (de sa naissance à 30 mois), 3) les familles avec des enfants d’âge préscolaire (le plus âgé a entre 2 ans et demi et 6 ans), 4) les familles avec des enfants d’âge scolaire (le plus âgé a entre 6 et 13 ans), 5) les familles avec des adolescents (le plus âgé a entre 13 et 20 ans), 6) les familles en période de départ (du premier enfant à partir au dernier), 7) les parents dans l’âge moyen (du « nid vide » à la retraite) et 8) les conjoints vieillissants (de la retraite à la mort des deux conjoints). Selon cette perspective développementale, les normes familiales changent à mesure que les besoins de la famille se modifient. Un comportement accepté durant un stade peut ne plus l’être à un stade différent. Selon Holman, il importe donc d’évaluer la synchronisation entre les attentes propres à un stade et l’ajustement de la famille à ce stade. Connaître le cycle de la vie familiale facilite l’évaluation de la famille en permettant au professionnel d’anticiper les stresseurs et de reconnaître si les normes et les comportements de la famille sont appropriés au stade de la vie familiale dans lequel elle se trouve.

Le modèle familial FIRO

32Le modèle familial FIRO (Fundamental Interpersonal Relations Orientation) a été développé par Doherty et Colangelo (9) afin de mieux comprendre les patrons relationnels au sein des familles. Il est issu de la modification de la théorie FIRO de Schutz (28) et basé sur l’organisation et l’interaction des familles autour des besoins d’inclusion, de contrôle et d’intimité.

33Le besoin d’inclusion réfère aux interactions existant au sein de la famille au sujet de l’intégration et de l’organisation. Selon les auteurs, pour satisfaire ce besoin, les familles doivent avoir une structure organisée (c’est-à-dire une façon de composer avec les défis touchant les rôles et les frontières), des liens (c’est-à-dire l’engagement des membres de la famille les uns envers les autres) ainsi qu’un système de valeurs communes qui permet aux membres de la famille d’interagir en fonction de valeurs communes et d’un point de vue partagé.

34Le besoin de contrôle réfère aux processus interpersonnels familiaux révélant comment le pouvoir et l’influence agissent sur les conflits et la résolution de conflits. Pour satisfaire ce besoin, les familles utilisent des processus basés sur la domination, sur la réaction ou sur la collaboration. La gestion des éléments tels que la discipline, la négociation des rôles et la résolution de problèmes donne un aperçu de la façon dont ce besoin est comblé.

35Enfin, le besoin d’intimité est comblé par des interactions permettant aux membres de la famille d’exprimer leurs émotions et leurs vulnérabilités entre eux. La satisfaction de ce besoin est possible avec une intimité émotionnelle et mutuelle.

36Selon ce modèle, les soucis émergeant de situations particulières ou faisant partie du cycle de la vie familiale peuvent amener une famille à se concentrer plus intensément sur l’un des besoins en particulier (10). Ainsi, tant que les membres de la famille n’auront pas comblé leurs besoins dans un domaine (par exemple l’inclusion), des dissonances continuelles seront présentes au sujet des autres besoins, rendant les membres de la famille moins aptes à combler leurs besoins relationnels.

Le modèle du processus du fonctionnement familial

37Le modèle du processus du fonctionnement familial (Process Model of Family Functioning) a été développé par Steinhauer, Santa-Barbara et Skinner (32). Ce modèle et le modèle McMaster du fonctionnement familial s’inspirent de la même base : le Family Categories Schema (13). Le Family Assessment Measure (questionnaire qui découle de ce modèle) a été construit à partir des sept concepts du modèle du processus du fonctionnement familial.

38Selon les auteurs, l’objectif général d’une famille est de réussir à passer au travers d’une variété de tâches développementales de base et de crise. Chacune de ces tâches génère des défis que la famille doit relever, notamment le développement continu de tous les membres de la famille, le maintien d’un niveau de sécurité raisonnable et l’assurance d’un minimum de cohésion pour maintenir l’unité de la famille et lui permettre de fonctionner adéquatement en société. L’accomplissement des tâches développementales inclut : la performance des rôles, le processus de communication, l’expression affective, l’implication de chacun des membres, le contrôle ainsi que les valeurs et les normes.

39La performance des rôles requiert trois opérations différentes : l’attribution d’activités spécifiques à chacun des membres de la famille, l’acceptation du membre à assumer les tâches désignées et l’actualisation des comportements demandés.

40Le processus de communication est essentiel à la réalisation des tâches développementales. Selon les auteurs, l’objectif d’une communication réussie est la compréhension mutuelle (le fait que le message reçu soit le même que le message envoyé). Une communication réussie implique que le receveur du message soit disponible et ouvert à la communication.

41L’expression affective est un élément vital du processus de communication qui peut freiner ou faciliter différents aspects de l’accomplissement des tâches développementales. Les éléments critiques en sont le contenu, l’intensité et le moment (timing). De plus, l’expression affective a plus de risque d’être bloquée ou tordue en période de stress.

42L’implication de chacun des membres peut aider ou nuire à l’accomplissement des tâches développementales. Ce concept réfère au degré et à la qualité de l’implication, à l’habileté de la famille à combler les besoins émotionnels et de sécurité de chacun et à la flexibilité qui permet le développement de l’autonomie de pensée et de fonction des membres.

43Un autre concept du modèle est le contrôle défini comme étant le processus par lequel les membres de la famille s’influencent entre eux. Une famille devrait être en mesure de maintenir les fonctions de base tout en s’adaptant aux changements. Les aspects du contrôle incluent l’idée selon laquelle la famille est prévisible ou imprévisible, constructive ou destructive et responsable ou irresponsable.

44Enfin, le dernier concept du modèle réfère aux valeurs et aux normes. La définition et l’exécution des tâches sont grandement influencées par les valeurs et les normes sociales ainsi que la culture de chacune des familles. Les valeurs et les normes fournissent une toile à travers laquelle les processus doivent être considérés. Les questions à explorer sont les suivantes : est-ce que les règles familiales sont explicites ou implicites, est-ce que chaque membre a la latitude nécessaire pour développer ses propres attitudes et comportements et est-ce que les règles familiales sont cohérentes avec le contexte culturel général ?

Le modèle de la théorie de l’adaptation familiale

45Le modèle de la théorie de l’adaptation familiale (Family Adaptation Theory) a été développée par McCubbin et McCubbin (20) afin d’expliquer comment s’adapte la famille confrontée à un stress chronique. Selon ces auteurs, trois dimensions permettent de comprendre le fonctionnement des familles : la « regénérativité » (regenerativity), la résilience et la « rythmicité ».

46Selon ce modèle, une famille « régénérative » est à la fois cohérente (c’est-à-dire ayant un niveau familial sain d’acceptation, de loyauté, de fierté, de confiance, de foi, de respect, d’attention et des valeurs partagées dans la gestion des tensions et des défis) et robuste (c’est-à-dire ayant un sentiment de contrôle partagé par les membres de la famille par rapport à une situation, d’utilité commune, de motivation à apprendre et à explorer de nouvelles idées et expériences). Une famille résiliente est flexible (c’est-à-dire qu’elle a une habileté à accepter les changements de règles, de frontières et de rôles pour composer avec les demandes en situation de stress) et liée par des relations interpersonnelles sécurisantes (c’est-à-dire un degré de lien émotionnel élevé dans une unité familiale intentionnelle et intégrée). Enfin, la « rythmicité » fait référence à la tendance d’une famille à adopter et à valoriser des schémas prévisibles.

47Selon ces auteurs, ce modèle peut être utilisé par les cliniciens pour tracer un portrait du fonctionnement familial et développer des cibles d’intervention, pour guider les stratégies thérapeutiques, pour recadrer le problème au cœur d’un contexte systémique (ce qui contribue à diminuer le blâme individuel et la recherche d’un coupable) ou pour aider à établir un soutien émotionnel au sein de la famille ainsi que des frontières et des rôles moins rigides. L’évaluation fournit une carte des forces et des vulnérabilités de la famille. Les interventions sont ensuite construites pour promouvoir les forces de la famille et réduire ses vulnérabilités.

Présentation des grilles d’évaluation

Le Family Interaction Summary Format

48Le Family Interaction Summary Format a été développé par Loader et ses collaborateurs durant les années 1980 (19). Cette grille d’évaluation considère la totalité du système familial et se concentre sur les interactions familiales dans l’ici et maintenant. Selon les auteurs, la grille d’évaluation requiert que les cliniciens considèrent la famille comme un tout, ne décrivent que ce qu’ils voient, minimisent les interprétations, soient brefs et précis et évitent les répétitions.

49Selon cette grille, l’évaluation du fonctionnement familial se fait sur la base de huit dimensions : l’atmosphère, la communication, le statut affectif, les frontières, les opérations familiales, les alliances, la fonction parentale et les relations avec l’environnement.

50L’atmosphère inclut l’humeur familiale (la sensation de sécurité et de chaleur ou de danger et de froideur) et le ton de la famille (incluant le degré de confort et de tension, et défini comme étant la qualité du confort social). Le clinicien évalue s’il y a présence d’un sens de l’humour et d’une qualité d’interactions. Il évalue également la nature des interactions familiales et le contexte familial global.

51La communication est une dimension majeure de cette grille. Elle réfère aux échanges verbaux directement observables, aux indicateurs paraverbaux (par exemple, le ton de la voix) et aux indices non verbaux (par exemple, les mouvements corporels). Elle est évaluée sous l’angle des patrons globaux (niveau de bruit, style conversationnel et équité de participation), à l’expression et à la réception des messages (la clarté des messages est cruciale) et à la nature prédominante de ces messages (liberté et spontanéité dans l’expression des messages, présence d’ordres, de demandes, etc.).

52Le statut affectif s’appuie sur l’idée que la famille a une vie émotionnelle. L’émotion peut être individuelle, mais elle régule et est régulée par les interactions entre les membres de la famille. Le statut affectif prend en considération l’étendue des émotions exprimées, l’expression de l’expérience et la reconnaissance et la valorisation de l’expérience au sein de la famille.

53Les frontières réfèrent au degré de séparation et de connexion du système familial. Les auteurs reconnaissent trois types de frontières : autour de la famille (sur un continuum allant de trop flexibles à trop rigides ; elles peuvent varier en fonction du stade développemental de la famille), au sein de la famille (danger de parentification d’un enfant ou d’infantilisation d’un parent) et autour de chaque individu (différenciation interpersonnelle de chacun).

54Les opérations familiales, quant à elles, incluent les tâches de base suivantes : la résolution de conflits (l’habileté à reconnaître et à résoudre les différences inévitables entre les membres de la famille), la prise de décision (incluant trois aspects : les participants, le processus et l’implantation de la décision), la résolution de problèmes (l’habileté à gérer les difficultés liées à des comportements individuels, des relations interpersonnelles et des demandes environnementales ou des stress) et les difficultés liées au cycle de la vie familiale (certains symptômes peuvent être un signe que la famille a de la difficulté à compléter un stade développemental ou à changer de stade).

55Les alliances entre les membres de la famille sont également incluses dans cette grille. Selon les auteurs, il est essentiel de regarder les différents sous-systèmes (dyades et triades), et ce, de deux façons : en examinant les patrons globaux et en examinant chacun des sous-systèmes. Les auteurs invitent les thérapeutes à porter attention à la triangulation (définie comme étant l’inclusion d’une troisième personne pour réduire la tension entre deux membres de la famille) et à l’émergence d’un bouc émissaire (le fait de rejeter tout ce qui est mauvais sur la même personne, de façon continue). Pour ces auteurs, la dyade conjugale inclut l’affection, le soutien, la maturité et l’équilibre dans l’affirmation.

56La fonction parentale réfère à la façon dont les conjoints interagissent entre eux en tant que parents, à la façon dont ils accomplissent les tâches de soins et de socialisation des enfants et à la façon dont ils comblent les besoins émotifs des enfants. Il s’agit du « comment les parents se répartissent les tâches entre eux » et du « comment ils arrivent à négocier leurs désaccords ». La fonction parentale inclut les interactions entre les parents (partage et division des soins, accord sur l’éducation des enfants, soutien et coopération entre eux) et les tâches parentales (spontanéité et plaisir avec l’enfant, imposition de routines, constance dans les relations et les attentes, adaptation aux besoins de l’enfant, discipline et contrôle, attentes envers l’enfant et anticipation des besoins physiques).

57La dernière composante de cette grille d’évaluation concerne les relations avec l’environnement. Les auteurs identifient trois types de relation avec le monde extérieur : les relations avec les proches, les relations avec des personnes en dehors du cercle familial (incluant le thérapeute) et les relations avec le voisinage et les institutions.

La grille d’évaluation familiale de Darlington

58La grille d’évaluation familiale de Darlington (Darlington Family Assessment System) a été développée et utilisée dans le domaine de la santé mentale chez les enfants par Wilkinson et ses collègues vers la fin des années 1980 (36). L’objectif des auteurs n’était pas de créer une nouvelle théorie, mais plutôt de combiner et d’intégrer les idées existantes relevant des meilleures pratiques. Quatre perspectives ont été considérées dans l’élaboration de cette grille : la perspective de l’enfant, la perspective des parents, la perspective parent-enfant et la perspective de la famille entière. La logique qui sous-tend la conception de cette grille réfère au fait qu’il est important de considérer autant les individus qui composent la famille que la dynamique au sein de celle-ci.

59Une série de facteurs sont proposés pour évaluer chacune des quatre perspectives de cette grille. Concernant la perspective de l’enfant, les auteurs proposent d’évaluer la santé physique de l’enfant (en particulier les maladies chroniques et les handicaps), le développement de l’enfant (l’autonomie, la communication et l’indépendance), les perturbations émotionnelles (l’humeur et ses conséquences), les relations interpersonnelles (à l’intérieur et à l’extérieur de la famille), le comportement à l’égard des autres et les événements de vie négatifs (les deuils, les séparations ou les traumatismes). La perspective des parents est évaluée en fonction des paramètres suivants : la santé physique des parents (en particulier les maladies et les handicaps), la santé psychologique des parents (en particulier les troubles psychiatriques), les relations conjugales et leurs conséquences sur la famille ainsi que les habiletés parentales, l’histoire parentale et le réseau social. Les interactions entre les parents et les enfants sont évaluées en fonction des paramètres suivants : les soins (du surinvestissement à la négligence) et le contrôle (du manque de contrôle à l’excès). Enfin, la perspective du fonctionnement familial est évaluée en documentant la proximité et la distance (les processus d’attachement au sein de la famille), les hiérarchies de pouvoir (les responsabilités et la domination), l’atmosphère émotionnelle et les règles (les processus d’expression émotionnelle), les stresseurs contextuels (les conditions de vie, la pauvreté, la stigmatisation) et le sommaire du développement familial (l’analyse des problèmes dans un contexte du cycle de la vie familiale).

La grille d’évaluation systématique de la famille

60La grille d’évaluation systématique de la famille, développée par Seywert au début des années 1990 (29), met l’accent sur deux aspects du fonctionnement familial soit le contexte social et le groupe familial. Concernant le contexte social, Seywert considère la famille comme un système vivant et ouvert, en interaction avec le système socioculturel environnant selon un principe d’emboîtement hiérarchique : le système socioculturel est en position hiérarchique supérieure par rapport à la famille du fait qu’il modifie moins souvent sa structure. L’évolution de la famille dépend fortement de son degré d’ouverture aux informations provenant de l’environnement et de sa façon de traiter celles-ci à travers le jeu dynamique des feedbacks. Ainsi, pour Seywert, une des fonctions de la famille est la médiation entre les besoins de ses membres et les impératifs socioculturels. La famille trie et gère les informations qui entrent et qui sortent, facilite et freine les échanges directs entre ses membres et la société. C’est ainsi qu’une certaine fermeture est nécessaire pour assurer l’appartenance des membres, leur identité et leur continuité. Inversement, une certaine ouverture est nécessaire au développement de la famille. En d’autres mots, la famille doit disposer d’une frontière garantissant à la fois le maintien de son autonomie relative et des échanges sélectifs avec son milieu social. L’évaluation du contexte social devrait porter sur les affiliations culturelles et religieuses de la famille, sa situation socioéconomique, la quantité et la qualité des échanges qu’elle a avec la communauté locale et le degré d’ouverture des frontières de la famille avec l’environnement extérieur.

61Concernant le fonctionnement du groupe familial comme tel, Seywert attire notre attention sur l’importance de distinguer « l’action de surface » (le scénario familial se déroulant sous nos yeux) et la « structure de fond » (la culture, les modèles, les croyances, les loyautés qui sous-tendent la réalité phénoménale, immédiatement perceptible par tout un chacun) (18). Pour lui, les variables à prendre en considération lors de l’évaluation de la famille sont les suivantes : la qualité de la communication, le climat affectif, les mythes familiaux, la clarté et la distribution des rôles, les frontières et les règles, les zones de tension et d’équilibre ainsi que les changements et le potentiel morphogénétique de la famille.

62La qualité de la communication est, selon lui, une variable essentielle pour caractériser une famille. L’évaluation doit inclure la structure et la signification du langage verbal et les conduites non verbales (gestes, attitudes posturales, régulation de la distance, mimiques, rires, pleurs, soupirs, rythmes et intonation des mots, inflexions de la voix, silence, immobilité, absence de réaction).

63Le deuxième élément concerne le climat affectif qui règne dans la famille. Il affirme que les liens affectifs sont un des meilleurs garants de la cohésion du groupe familial. Ils sont cependant difficiles à évaluer du fait qu’il faut prendre en considération des facteurs complexes (contingences culturelles et situationnelles, interrelations avec d’autres variables, difficulté de quantifier les émotions, etc.) pour bien les apprécier. Pour mieux documenter cette dimension, Seywert propose d’explorer les échanges affectifs familiaux lors d’un ou de plusieurs entretiens en ayant en tête les points suivants : gamme des affects, mode d’expression, implication affective, concordance ou non-congruence entre émotions exprimées et contenu du dialogue ainsi que tonalité du climat émotionnel de base.

64Un autre aspect du fonctionnement à prendre en considération est la question des mythes familiaux. Ce concept fait référence à « l’ensemble des croyances et des convictions fondamentales, partagées, sans contestation possible et sans élaboration supplémentaire, par tous les membres au sujet de leurs rôles respectifs dans la famille et de la nature de leurs relations » (29, p. 73). De nombreux auteurs soulignent la force stabilisante considérable des mythes. Ils ont pour effet de « préserver les relations familiales en maintenant intacte l’image que ce groupe se fait de lui-même » (29, p. 73). Trois types de mythes familiaux seraient à prendre en compte, soit les mythes de l’unité harmonieuse, les mythes de déculpabilisation et de réparation ainsi que les mythes de salut. Dans les familles dysfonctionnelles, les mythes seraient plus nombreux, plus rigidement incrustés et plus étouffants.

65Seywert recommande également de porter notre attention sur la clarté et la distribution des rôles dans la famille. Il définit le concept de rôle comme étant des « patterns comportementaux attendus dans l’exercice d’une fonction familiale donnée » (29, p. 75). Dans la famille, les rôles peuvent être perçus et reconnus par tous ou être flous, cachés ou niés. Ils peuvent être nuancés et souples ou stéréotypés et rigides. Ils peuvent évoluer dans le temps ou devenir anachroniques. La distribution des rôles dans la famille dépend de facteurs culturels, de critères biologiques (âge, sexe) et d’éléments idiosyncrasiques. Ainsi, dans chaque culture prévaut un modèle de la famille. Il considère néanmoins que, dans une famille fonctionnelle, les rôles peuvent être interchangeables selon les besoins. En outre, il affirme que, dans une famille dysfonctionnelle, le leadership est parfois attribué de façon masquée à un enfant qui doit pendant une période prolongée assumer des fonctions au-dessus de ses compétences (ce qu’on nomme la parentification).

66Un autre élément à considérer serait celui des frontières qui caractérisent l’organisation de la famille. Il définit ce concept comme étant les délimitations entre les différents sous-systèmes familiaux (parental, conjugal, enfants). Idéalement, ces limites sont clairement définies, c’est-à-dire suffisamment étanches pour garantir la différenciation de la territorialité et la protection contre les ingérences, et suffisamment perméables pour permettre des contacts intrafamiliaux. La nécessité de poser des limites intergénérationnelles claires envers les membres des familles d’origine s’avère essentielle. Cette frontière doit favoriser des contacts vivants et réguliers avec la famille d’origine tout en prévenant l’envahissement répété du territoire de la famille nucléaire. Selon Seywert, on peut mesurer le degré d’individuation des membres de la famille en tenant compte de leur capacité d’exprimer leurs propres pensées, d’assumer la responsabilité de leurs actes et de respecter les différences de l’autre.

67Dans ce contexte, la prise en compte d’un ensemble de règles s’avère essentielle. Selon Seywert, toute famille est régie par des règles qui lui sont propres et qui délimitent de façon relativement contraignante le répertoire des comportements admissibles de ses membres. Ainsi, plus une famille dispose d’un éventail de règles nuancé, plus elle est adaptée et stable.

68Seywert invite également à porter une attention aux zones de tension et d’équilibre dans la famille. Selon lui, la façon dont la famille fait face aux divergences d’opinions et aux attentes incompatibles des différents membres nous renseigne sur son seuil de tolérance aux conflits, sa capacité de négociation et d’ajustement, son potentiel de trouver des issues satisfaisantes. Dans les familles fonctionnelles, le conflit est correctement identifié et localisé, son existence est confirmée par verbalisation, les personnes impliquées sont capables d’élaborer et de maintenir avec souplesse un focus, chacun s’exprimant clairement, s’engageant fortement, tout en faisant preuve d’écoute envers l’autre. Dans les familles dysfonctionnelles, on décèle les difficultés suivantes : conflit mis en suspens, incapacité à prendre une décision, problème camouflé derrière un pseudo-conflit, déni, conflit projeté dans le monde extrafamilial, bouc émissaire, impasse, intellectualisation du problème, éparpillement, etc.

69Le dernier aspect identifié par Seywert est la question des changements et le potentiel morphogénétique de la famille. Selon ce point de vue, chaque famille doit parcourir des étapes successives qui jalonnent son cycle de la vie familiale (6, 15). Dans chacune de ces phases, elle doit s’adapter de façon flexible aux conditions internes et externes changeantes et elle doit chercher des solutions nouvelles aux modifications. Seywert affirme que beaucoup de familles traversent ces crises sans devoir recourir à une aide extérieure ; elles feraient donc preuve d’un bon potentiel morphogénétique.

Le Family Assessment

70Bray (4, 5) reprend l’essentiel des repères proposés dans les modèles d’évaluation qu’il a recensés et propose un cadre d’analyse intégrateur du fonctionnement des familles comprenant six dimensions : 1) la structure ou le type de famille (famille intacte, recomposée ou monoparentale) et la composition familiale (les personnes qui composent la famille), 2) la diversité familiale (l’ethnicité, l’orientation sexuelle des parents, le statut socioéconomique de la famille et la religion), 3) les patrons relationnels (les séquences d’interaction entre les membres de la famille), 4) l’expression des émotions entre les membres de la famille, 5) l’organisation familiale (les règles, les rôles, les frontières, la hiérarchie dans les prises de décision, la distribution des tâches et le soutien émotionnel entre les membres de la famille) et 6) les opérations familiales (la résolution des conflits, des problèmes et des tâches développementales auxquelles la famille est confrontée). Outre ces dimensions, Bray (4, 5) propose également de prendre en considération le stade développemental actuel de la famille (la naissance des enfants, l’entrée des enfants dans l’adolescence, le départ des enfants de la famille, la retraite des parents) puisqu’à chaque stade sont associés des défis développementaux différents à résoudre. Enfin, il insiste sur l’importance de bien connaître l’histoire développementale de la famille dans le but d’identifier les tâches développementales non résolues qui ont pu contribuer à augmenter la vulnérabilité de la famille par rapport à la résolution de nouvelles tâches développementales.

L’évaluation clinique de la famille

71Dans son livre traitant des modèles et des instruments d’évaluation de la famille, Favez (14) propose un méta-modèle théorique du fonctionnement familial : l’évaluation clinique de la famille. Selon lui, bien que le vocabulaire utilisé soit très variable d’un modèle à l’autre, le nombre de processus relationnels auxquels les différents concepts proposés réfèrent est relativement restreint. Il en relève cinq : 1) la distance émotionnelle entre les membres de la famille (suffisante pour permettre l’autonomie de chacun et pas trop restreinte ou excessive pour empêcher la réalisation de la personnalité ou risquer de distendre les liens familiaux), 2) la flexibilité (équilibre entre stabilité et changement, visant à garantir la pérennité du système familial et sa modification aux demandes de l’environnement), 3) la communication (capacité de produire des réponses adaptées et échange d’informations claires et sans ambiguïté), 4) la bienveillance émotionnelle (incluant la chaleur, l’empathie, la compréhension et l’acceptation des émotions ressenties et exprimées par chacun) et 5) l’organisation temporelle (succession des événements du quotidien et des événements marquants dans la vie d’une famille).

Partie 2 : Regroupement et définition des dimensions retenues

72A la suite de la recension de ces modèles théoriques et grilles d’évaluation du fonctionnement familial, nous avons dressé la liste de toutes les dimensions du fonctionnement familial identifiées dans les textes recensés (tableau 1). Au total, quatre-vingt-quinze dimensions différentes ont été recensées. L’étape suivante a consisté à regrouper ces dimensions à l’intérieur de dimensions plus générales du fonctionnement familial. Par exemple, le terme « regénérativité » proposé par McCubin et McCubin (20) (terme singulier qui n’est utilisé que par ces auteurs) a été amalgamé à la dimension « cohésion familiale » (terme partagé par plusieurs auteurs, plus familier et plus englobant). De même, le terme « résilience familiale », utilisé aussi par McCubin et McCubin (20), a été incorporé à la dimension « flexibilité familiale » (terme partagé par plusieurs auteurs). Ce regroupement nous a permis de réduire le nombre de dimensions à investiguer dans une évaluation du fonctionnement familial à seize. Le choix des seize dimensions s’est fait sur la base de leur capacité à inclure le plus grand nombre de termes différents, et ce, en vue de proposer une définition inclusive de ces dimensions. Le tableau qui suit permet d’avoir un aperçu de notre travail de regroupement des termes recensés.

Tableau 1

Regroupement des termes utilisés par les auteurs

Tableau 1
Dimensions du fonctionnement familial Termes utilisés Auteurs Structure familiale Type de famille Bray (2009) Composition de la famille Diversité familiale Orientation sexuelle Contexte social Religion Bray (2009) Ethnicité Valeurs et normes sociales Steinhauer et coll. (1984) Contexte social Seywert (1990) Cumul de problèmes non résolus Problèmes non résolus Epstein et coll. (1978) Cumul de tâches développementales non résolues Tâches développementales non résolues par la famille au fil de son histoire Bray (2009) Cumul d’événements stressants Cumul d’événements stressants Wilkinson et coll. (1988) Stress chroniques McCubbin et coll. (1989) Stress contextuels Wilkinson et coll. (1988) Tâches « accidentelles » Epstein et coll. (1978) Organisation temporelle Favez (2010) Ressources sociales et économiques Ressources économiques Bray (2009) Wilkinson et coll. (1988) Pauvreté Wilkinson et coll. (1988) Soutien social Influence des familles d’origine Qualité des relations avec les parents des familles d’origine Wilkinson et coll. (1988) Qualité des relations entre les parents des familles d’origine Caractéristiques personnelles des parents Santé physique Wilkinson et coll. (1988) Santé psychologique Caractéristiques personnelles des enfants Santé physique Wilkinson et coll. (1988) Santé psychologique
Tableau 1
Dimensions du fonctionnement familial Termes utilisés Auteurs Dynamique du couple fondateur Qualité des relations conjugales Wilkinson et coll. (1988) Epstein et coll. (1978) Loader et coll. 1982) Négociation des désaccords Loader et coll. (1982) Fonction parentale Loader et coll. (1982) Communication Communication Olson et coll. (2006) Favez (2010) Loader et coll. (1982) Seywert (1990) Holman (1983) Clarté de la communication Favez (2010) Beavers et coll. (1965) Epstein et coll. (1978) Direction de la communication Epstein et coll. (1978) Adéquation de la réponse émotionnelle Epstein et coll. (1978) Qualité de la communication Bray (2009) Olson et coll. (2006) Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Favez (2010) Loader et coll. 1982) Réponses adaptées Favez (2010) Réponse affective (palette émotionnelle) Epstein et coll. (1978) Expression des émotions Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Wilkinson et coll. (1988) Bray (2009) Loader et coll. 1982) Statut affectif Loader et coll. 1982) Cohésion Climat relationnel Climat affectif Loader et coll. (1982) Wilkinson et coll. (1988) Seywert (1990) Relations interpersonnelles sécurisantes McCubbin et coll. (1989) Cohésion Olson et coll. (2006) Steinhauer et coll. (1984) Bray (2009)
Tableau 1
Dimensions du fonctionnement familial Termes utilisés Auteurs Cohésion (suite) Bienveillance émotionnelle Favez (2010) Confiance Beavers et coll. (1965) Proximité et distance Wilkinson et coll. (1988) Distance émotionnelle Favez (2010) Engagement entre les membres de la famille Doherty et coll. (1984) Implication affective Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Soutien émotionnel Bray (2009) Processus d’attachement Wilkinson et coll. (1988) Regénérativité cohérente et robuste McCubbin et coll. (1989) Qualité des relations interpersonnelles McCubbin et coll. (1989) Wilkinson et coll. (1988) Alliance entre les membres de la famille Loader et coll. (1982) Atmosphère familiale Loader et coll. (1982) Wilkinson et coll. (1988) Intensité émotionnelle et mutuelle Doherty et coll. (1984) Liens Doherty et coll. (1984) Flexibilité Structure organisée Doherty et coll. (1984) Organisation familiale Olson et coll. (2006) Bray (2009) Loader et coll. (1982) Holman (1983) Contrôle des comportements Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Wilkinson et coll. (1988) Flexibilité Favez (2010) Olson et coll. (2006) Frontières Doherty et coll. (1984) Bray (2009) Loader et coll. (1982) Seywert (1990) Holman (1983) Hiérarchie intergénérationnelle Beavers et coll. (1965) Wilkinson et coll. (1988) Bray (2009)
Tableau 1
Dimensions du fonctionnement familial Termes utilisés Auteurs Flexibilité (suite) Exercice du leadership Olson et coll. (2006) Organisation des responsabilités Beavers et coll. (1965) Règles Olson et coll. (2006) Wilkinson et coll. (1988) Bray (2009) Seywert (1990) Répartition des rôles Olson et coll. (2006) Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Doherty et coll. (1984) Bray (2009) Seywert (1990) Holman (1983) Structures familiales Beavers et coll. (1965) Pouvoir Doherty et coll. (1984) Wilkinson et coll. (1988) Distribution des tâches Bray (2009) Patrons relationnels Résilience et rythmicité McCubbin et coll. (1989) Épistémologie familiale Clé cognitive McCubbin et coll. (1989) Construction du monde Croyances Mythes familiaux Seywert (1990) Normes familiales Steinhauer et coll. (1984) Valeurs familiales communes Steinhauer et coll. (1984) Doherty et coll. (1984) Capacités de résolution de problèmes Résolution de problèmes Bray (2009) Beavers et coll. (1965) Loader et coll. (1982) Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Doherty et coll. (1984) Holman (1983) Zones de tension et d’équilibre Seywert (1990)
Tableau 1
Dimensions du fonctionnement familial Termes utilisés Auteurs Opérations familiales Opérations familiales Loader et coll. (1982) Résolution des tâches développementales Bray (2009) Doherty et coll. (1984) Loader et coll. (1982) Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Wilkinson et coll. (1988) Cycle de vie familiale Holman (1983) Exercice des pratiques éducatives Loader et coll. (1982) Résolution de conflits Bray (2009) Beavers et coll. (1965) Loader et coll. (1982) Doherty et coll. (1984) Seywert (1990) Prise de décision Loader et coll. (1982) Epstein et coll. (1978) Steinhauer et coll. (1984) Tâches instrumentales Epstein et coll. (1978) Tâches accidentelles Epstein et coll. (1978) Demandes de l’environnement Loader et coll. (1982) Holman (1983) Gestion des difficultés liées à des comportements individuels Loader et coll. (1982) Accomplissement des tâches Beavers et coll. (1965) Soins Wilkinson et coll. (1988) Contrôle des comportements Wilkinson et coll. (1988) Soutien au développement de ses membres Steinhauer et coll. (1984) Wilkinson et coll. (1988) Assurer la sécurité Steinhauer et coll. (1984) Assurer la cohésion et l’unité familiale Steinhauer et coll. (1984) Santé physique des membres Wilkinson et coll. (1988) Besoins d’inclusion dans la famille, de contrôle et d’intimité Doherty et coll. (1984)

Regroupement des termes utilisés par les auteurs

Définition des dimensions du fonctionnement familial retenues

73Une fois les dimensions identifiées, nous les avons regroupées en sept catégories, soit les dimensions personnelles et contextuelles, la communication, la dynamique du couple fondateur, la structure familiale, la dynamique des relations familiales, la dynamique des opérations familiales et l’histoire développementale de la famille. Cette étape franchie, nous avons élaboré une définition opérationnelle de chacune de ces dimensions en nous inspirant des définitions proposées par les auteurs.

Dimensions personnelles et contextuelles

74Les dimensions personnelles et contextuelles ne font pas partie à proprement parler du fonctionnement familial comme tel mais ont une influence directe sur celui-ci. Dans cette catégorie sont inclus les caractéristiques personnelles des parents et des enfants, l’influence des familles d’origine, les ressources sociales et économiques dont dispose la famille et le contexte social.

75Le terme caractéristiques personnelles des parents fait référence à la santé physique (en particulier les maladies et les handicaps) et psychologique des parents (en particulier la présence de troubles mentaux), leur histoire personnelle et leur style d’attachement (35, 36).

76Le terme caractéristiques personnelles des enfants fait référence à la santé physique de l’enfant (en particulier les maladies chroniques et les handicaps), son développement, son style d’attachement, les perturbations émotionnelles et les événements de vie négatifs auxquels il a été confronté (les deuils, les séparations ou les traumatismes), les relations interpersonnelles qu’il a su établir (à l’intérieur et à l’extérieur de la famille) et son comportement à l’égard des autres (35, 36).

77Le terme influence des familles d’origine fait référence aux relations et aux événements vécus par les parents dans leur propre famille d’origine, aux influences de ces familles d’origine sur le fonctionnement actuel des parents et de la famille et à la qualité de la relation entretenue par les parents et les autres membres de la famille avec les familles d’origine.

78Le terme ressources sociales et économiques fait référence à la qualité du soutien social dont dispose la famille, aux conditions de travail des parents, au revenu familial annuel et au niveau d’endettement de la famille.

79Le terme contexte social fait référence à l’ethnicité de la famille, à ses affiliations culturelles et religieuses, à la quantité et à la qualité des échanges qu’elle a avec la communauté locale et au degré d’ouverture des frontières de la famille avec l’environnement extérieur (29).

La communication

80La communication est une variable centrale et transversale qui influence l’ensemble du fonctionnement familial (29). Elle fait référence à la clarté, à la direction, à la diversité, à l’ouverture et à la qualité des échanges entre les membres de la famille (19). Elle désigne également l’expression des émotions (5), la palette émotionnelle (19) et la capacité à produire des réponses adaptées (12, 14). La communication est une dimension facilitatrice dans la dynamique du couple et des relations entre les membres de la famille. Elle permet de modifier le niveau de cohésion et de flexibilité de la famille (23) et est essentielle à la gestion des opérations familiales. En contrepartie, elle peut être à l’origine de multiples problèmes de fonctionnement (17).

La dynamique du couple fondateur

81Le terme dynamique du couple fondateur fait référence à la fonction conjugale et parentale. Elle désigne la qualité de la relation conjugale (intimité, complicité, engagement), la capacité des parents à composer avec leurs désaccords (12) et la manière dont ils assument les fonctions parentales (19).

La structure familiale

82Le terme structure familiale réfère au type de famille (intacte, recomposée, monoparentale), à la composition familiale (qui sont les membres qui composent la famille) et à l’orientation sexuelle des parents (5).

La dynamique des relations familiales

83La catégorie de la dynamique des relations familiales inclut deux dimensions fondamentales du fonctionnement familial : la cohésion et la flexibilité familiales.

84Le terme cohésion fait référence au climat affectif qui règne dans la famille (29). Il désigne l’intérêt que les membres de la famille démontrent les uns envers les autres et leur implication (12, 31), la qualité des liens émotionnels (confiance, bienveillance émotionnelle) (5), le degré d’engagement relationnel (implication affective) (23), le niveau de distance émotionnelle (5), le degré de différenciation entre les membres de la famille, l’acceptation des différences, le confort dans les relations, la sécurité et la chaleur des uns envers les autres (19).

85Le terme flexibilité fait référence à l’organisation de la famille (5) et des sous-systèmes, aux frontières (17, 19, 29), à la qualité du leadership (répartition des pouvoirs) (23), à la répartition, à la souplesse et à la prévisibilité dans la manière de remplir les rôles (5, 12, 17, 29, 31), à la définition des règles qui régissent les interactions et au contrôle plus ou moins rigide des comportements (12).

La dynamique des opérations familiales

86Dans la catégorie des opérations familiales sont incluses les dimensions : résolution des problèmes, épistémologie familiale et opérations familiales.

87Le terme résolution des problèmes fait référence à la prise de décision (19), à la capacité des familles à résoudre les problèmes instrumentaux et affectifs tout en maintenant un fonctionnement efficace (12). Il fait également référence à la capacité de négociation et d’ajustement de la famille et à son potentiel de trouver des solutions satisfaisantes (29). La capacité de résolution de problèmes est influencée par la tolérance de la famille face aux conflits (29).

88Le terme épistémologie familiale fait référence aux valeurs, aux normes sociales et à la culture de chacune des familles (19). Il fait aussi référence aux connaissances, aux croyances, à la construction du monde des membres de la famille qui influencent les comportements, les choix et les décisions de la famille et les mythes familiaux (l’ensemble des croyances et des convictions fondamentales, partagées, sans contestation possible et sans élaboration supplémentaire, par tous les membres au sujet de leurs rôles respectifs dans la famille et de la nature de leurs relations) (29).

89Le terme opérations familiales fait référence aux différents besoins auxquels la famille doit répondre (inclusion, contrôle, intimité, sécurité, santé et soutien au développement), aux différentes tâches qu’elle doit assumer (instrumentales, accidentelles, éducation des enfants et pratiques éducatives) et aux défis qu’elle doit relever (résolution de tâches développementales, demandes de l’environnement, résolution de conflits (19) ou de problèmes) afin de maintenir un fonctionnement équilibré (5, 12, 29). La manière pour la famille de remplir les opérations familiales est influencée par les autres dimensions du fonctionnement familial.

L’histoire développementale de la famille

90Cette catégorie fait référence au cumul de tâches développementales non résolues par la famille, au cumul de problèmes non résolus dans l’histoire de la famille et au cumul d’événements stressants vécus par la famille au fil du temps.

91Le terme cumul de tâches développementales non résolues fait référence au fait que certaines familles rencontrent à un moment ou l’autre de leur histoire des difficultés à résoudre une ou des tâches développementales. La non-résolution de certaines tâches développementales rend la famille plus vulnérable face à de nouvelles tâches. En outre, on note qu’un cumul de tâches développementales non résolues est associé à une vulnérabilité familiale croissante et à une probabilité plus élevée que la famille soit confrontée à des pathologies et à des crises familiales sévères et récurrentes (3, 5).

92Le terme cumul de problèmes non résolus fait référence au fait que la non-résolution de problèmes auxquels la famille a été confrontée au cours de son histoire est associée à une vulnérabilité croissante de la famille et à une probabilité plus élevée que la famille soit confrontée à des pathologies et à des crises familiales sévères et récurrentes (12).

93Le terme cumul d’événements stressants fait référence aux nombreux stress, événements de la vie quotidienne et perturbations prévisibles ou non auxquels la famille est actuellement confrontée ou a été confrontée récemment. Comme le souligne Bateson (1), un cumul d’événements stressants et de perturbations peut contribuer à altérer l’économie de souplesse du système familial, c’est-à-dire les ressources adaptatives dont dispose la famille à un moment donné.

Conclusion

94Ce travail de recension des modèles d’évaluation du fonctionnent familial a permis d’identifier les principales dimensions à considérer lors de l’évaluation d’une famille et de la planification d’un devis de recherche lorsque l’objectif du chercheur est de rendre compte du fonctionnement de familles. Bien que prometteuse, cette première étape de notre travail présente comme principale limite de proposer une liste de dimensions sans discuter de leur poids relatif, sans montrer comment ces dimensions sont interreliées et comment elles peuvent s’influencer réciproquement. Afin de combler ces lacunes, nous proposerons, dans un prochain article, un modèle multidimensionnel et intégrateur du fonctionnement de la famille qui inclut chacune des dimensions identifiées et les interrelations telles que pressenties par les auteurs. Ce modèle explicatif du fonctionnement familial est basé sur la théorie des contraintes développée à l’origine par Bateson (1) et reprise par la suite par des chefs de file dans le domaine de la thérapie familiale, dont White (34) et Pinsof (26).

Bibliographie

Bibliographie

  • 1
    Bateson G., 1980. Vers une écologie de l’esprit (tome 2). Éditions du Seuil, Paris.
  • 2
    Beavers W.R., et coll.,1965. Communication patterns of mothers of schizophrenics. Family Process, 4,1, 95-104.
  • 3
    Bradley M.F., Pauzé R., 2009. Étude sur la résolution des tâches développementales chez les familles d’adolescentes présentant une dysfonction alimentaire. Thérapie familiale, 30, 3, 353-377.
  • 4
    Bray J.H., 1995. Family assessment : Current issues in evaluating families. Family Relations, 44, 4, 469-477.
  • 5
    Bray J.H., 2009. Couple and family assessment. In J.H. Bray et M. Stanton (dir.), The Wiley-Blackwell Handbook of Family Psychology (p. 151-164). Wiley-Blackwell, United Kingdom.
  • 6
    Carter E.A., Mc Goldrick M., 1980. The Family Life Cycle : A Framework for Family Therapy. Gardner Press, New York.
  • 7
    Combrinck-Graham L., 1985. A developmental model for family systems. Family Process, 24, 139-150.
  • 8
    Compton B.R., Galaway B., 1979. Social Work Processes. Dorsey Press, Homewood, IL.
  • 9
    Doherty W.J., Colangelo N., 1984. The Family FIRO Model : A modest proposal for organizing family treatment. Journal of Marital and Family Therapy, 10, 1, 19-29.
  • 10
    Doherty W.J., Colangelo N., Hovander D., 1991. Priority setting in family change and clinical practice : The Family FIRO Model. Family Process, 30, 2, 227-240.
  • 11
    Duvall E.M., 1977. Marriage and Family Development. J.B. Lippincott, Philadelphia.
  • 12
    Epstein N.B., Bishop D.S., Levin S., 1978. The McMaster model of family functioning. Journal of Marital and Family Therapy, 4, 4, 19-31.
  • 13
    Epstein N.B., Rakoff V., Sigal J., 1968. The Family Categories Schema. Jewish General Hospital, Department of Psychiatry, Montréal.
  • 14
    Favez N., 2010. L’examen clinique de la famille. Modèles et instruments d’évaluation. Éditions, Mardaga, Belgique.
  • 15
    Fleck S., 1983. A holistic approach to family typology and the axes of DSM III. Archives of General Psychiatry, 40, 901-906.
  • 16
    Hollis F., 1972. Casework : A Psychosocial Therapy. Random House, New York.
  • 17
    Holman A., 1983. Family Assessment. Tools for understanding and intervention. SAGE Publications, California.
  • 18
    Kinston W., Bentovim A., 1985. Construire une formulation focale et une hypothèse en thérapie familiale. Psychotherapy, 3, 163-176.
  • 19
    Loader P., Burck C., Kinston W., Bentovim A., 1982. A method for organizing the clinical description of family interaction : The family interaction summary format. In F.W. Kaslow (dir.), The International Book of Family Therapy (p. 148-167). Brunner Mazel, New York.
  • 20
    McCubbin M.A., McCubbin H.I., 1989. Theoretical orientations to family stress and coping. In C.R. Figley (dir.), Treating stress in families. Brunner/Mazel, New York.
  • 21
    Nation M., Crusto C., Wandersman A., Kumpfer K. L., Seybolt D., Morrissey-Kane E. et coll., 2003. What works in prevention : Principles of effective prevention programs. American Psychologist, 58, 6-7, 449-456.
  • 22
    Olson D.H., 2011. FACES IV and the circumplex model : Validation study. Journal of Marital and Family Therapy, 37, 1, 64-80.
  • 23
    Olson D.H., Gorall D.M., 2006. FACES IV & the Circumplex Model, de http://ebookbrowse.com/faces-iv-the-circumplex-model-d-olson-2006-pdf-d58690773, page consultée le 9 juillet 2012.
  • 24
    Olson D.H., Sprenkle D.H, Russell C.S., 1979. Circumplex model of marital and family systems : I. Cohesion and adaptability dimensions, family types, and clinical applications. Family Process, 18, 1, 3-28.
  • 25
    Patterson T., 2009. Ethical and Legal Considerations in family Psychology : The Special Issue of Competence. In J.H. Bray et M. Stanton (dir.), The Wiley-Blackwell Handbook of Family Psychology (p. 183-197). Wiley-Blackwell, United Kingdom.
  • 26
    Pinsof W.M., 1995. Integrative Problem-centered Therapy : A Synthesis of Family, Individual and Biological Therapies. Basic Books, New York, NY, US.
  • 27
    Pinsof W.M., Wynne L.C., 2000. Toward progress research : Closing the gap between family therapy practice and research. Journal of Marital and Family Therapy, 26, 1, 1-8.
  • 28
    Schutz W., 1958. FIRO : A three dimensional theory of interpersonal behavior. Holt, Rinehart and Winston, New York.
  • 29
    Seywert F., 1990. L’évaluation systémique de la famille. Presses universitaires de France, Paris.
  • 30
    Sparks J.A., Duncan D.L., 2010. Common Factors in Couple and Family Therapy : Must All Have Prizes ? In Duncan, Miller, Wampold, Hubble (Eds). The Heart and Soul of Change, Second Edition : Delivering What Works in Therapy (pp.357-391). American Psychological Association, Washington.
  • 31
    Steinhauer P.D., Santa-Barbara J., Skinner H., 1984. The process model of family functioning. The Canadian Journal of Psychiatry/La Revue canadienne de psychiatrie, 29, 2, 77-88.
  • 32
    Terkelsen K.G., 1980. Theory of the family life cycle. In E.A. Carter et M. McGoldrick (dir.), The Family Life Cycle : A Framework for Family Therapy. Gardner Press, New York.
  • 33
    Westley W.A., Epstein N.B., 1969. The Silent Majority : Families of Emotionally Healthy College Students. Jossey-Bass, San Francisco.
  • 34
    White M., 1986. Negative explanation, restraint and double description : A template for family therapy. Family Process, 25, 2, 169-185.
  • 35
    Wilkinson I., 2000. The Darlington Family Assessment System : Clinical guidelines for practitioners. Journal of Family Therapy, 22, 2, 211-224.
  • 36
    Wilkinson I., Barnett M. B., Delf L., Pirie V., 1988. Family assessment : Developing a formal assessment system in clinical practice. Journal of Family Therapy, 10, 1, 17-32.

Mise en ligne 17/05/2013

https://doi.org/10.3917/tf.131.0011

Notes

  • [1]
    Nous avons regroupé sous la rubrique « modèle théorique d’évaluation » les textes dans lesquels les auteurs proposent un modèle explicatif du fonctionnement de la famille.
  • [2]
    Nous avons regroupé sous la rubrique « grille d’évaluation » les textes dans lesquels les auteurs proposent une liste de dimensions à considérer lors de l’évaluation d’une famille.
  • [3]
    Les sous-sections portant sur le modèle des compétences familiales, le modèle circomplexe et le modèle de McMaster s’inspirent en partie des chapitres 4, 5 et 6 du livre de Favez (2010) intitulé L’examen clinique de la famille.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions