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Article de revue

Les interactions dans le contexte scolaire : les voies possibles du changement

Pages 215 à 229

Notes

  • [*]
    Cet article a été publié dans Psicobiettivo, Roma, No. 1, avril 1999. Publication en français avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
  • [**]
    Psychologue et psychothérapeute familial. L’auteur souhaite remercier Maurice Nanchen pour sa contribution à la traduction de ce texte.

1Un jour de mars 1993, naît l’idée d’une intervention relationnelle dans un micro-système artificiel : une classe d’école. Lors d’un après-midi pluvieux, plutôt triste, je travaille en séance individuelle avec Paola, une enfant de dix ans que je suis en thérapie depuis quatre mois. En début de séance, Paola évoque quelques progrès dans ses performances scolaires ainsi qu’une relative diminution des facéties parfois malveillantes que ses camarades de classe lui infligent. Puis, progressivement, elle laisse apparaître toute sa tristesse et sa souffrance à propos de sa situation au sein de son école, situation qui semble devenue intenable pour elle.

Les signaux de détresse lancés par Paola

2Au cours de l’automne 1992, alors que Paola fréquente la 4e primaire, sa maîtresse ainsi que l’enseignant de soutien pédagogique perçoivent son désarroi et me l’adressent après en avoir parlé à ses parents. Paola a de la peine à suivre le programme scolaire, elle semble passablement bloquée et paraît très peu sûre d’elle-même. Les enseignants sont convaincus de ses potentialités intellectuelles étant donné que jusqu’en 3e primaire elle ne présentait aucune difficulté sérieuse, hormis une certaine lenteur.

3Aujourd’hui, Paola baisse les bras face à n’importe quel obstacle, si petit soit-il, elle ne s’exprime pas devant ses camarades, même lorsque sa maîtresse l’interroge personnellement. Elle commence même à refuser de se rendre en classe. Les enseignants pensent à une phobie scolaire et s’en inquiètent. La maîtresse est particulièrement préoccupée par l’attitude de la classe à l’égard de Paola : les enfants se moquent de son poids, ce qui la marginalise chaque jour davantage.

La souffrance de Paola

4Très souvent lorsqu’elle rentre de l’école, Paola pleure dans sa chambre et exprime une grande tristesse lorsqu’elle parle à sa mère. Parfois le matin elle veut rester à la maison et se plaint de maux de tête ou de douleurs au ventre. Ses parents relèvent que son manque d’assurance est général et qu’il ne se limite pas au domaine scolaire : Paola doute de ses moyens et, par dessus tout, ne parvient pas à comprendre pourquoi ses camarades la rejettent. Elle n’accepte pas l’opinion de sa mère selon laquelle elle serait rejetée à cause de son poids; en effet, des camarades à qui elle a osé poser la question lui ont répondu qu’il n’en était rien.

5Lorsque Paola demande à ses copains de pouvoir jouer avec eux lors des récréations, elle se heurte à leur refus et finit très souvent par devoir les observer tristement de son banc.

6L’impuissance et la souffrance de cette fillette sont à leur comble lorsqu’elle s’interroge sur les vraies raisons de cette mise à l’écart et qu’elle ne trouve aucune explication plausible. Face à l’impasse de cette fillette, j’éprouve le sentiment désagréable de me trouver dans une sorte de labyrinthe. Quel chemin prendre pour l’aider ? Par quel symptôme commencer ? Faut-il gérer les symptômes l’un après l’autre ? Y a-t-il un symptôme principal qui détermine l’apparition des autres ? (Kahn, 1993). La situation est si complexe qu’elle finit par me conduire à deux réflexions qui seront décisives pour la suite. D’une part, je considère insuffisant de travailler avec Paola dans un setting individuel avec la collaboration des enseignants et des parents à l’arrière-plan; en effet, l’effort de cette fillette pour éviter de sombrer me paraît aller au delà de ses forces. D’autre part, j’acquiers la conviction que ma démarche doit dorénavant aider Paola à sortir de sa solitude relationnelle. Ma décision est de centrer tous mes efforts sur le contexte même qui met Paola en état de détresse : sa classe d’école. Il reste cependant à trouver l’intervention appropriée.

7Laissons quelques instants de côté l’histoire de Paola et sa souffrance pour analyser brièvement quelques travaux relatifs à ce contexte particulier.

Aperçus historiques

8Depuis la publication du Magicien sans magie (Mara Selvini Palazzoli et coll., 1976), plusieurs spécialistes, en particulier des psychologues, se sont penchés sur les dynamiques relationnelles à l’intérieur du contexte scolaire. Leur attention s’est également dirigée sur les interactions entre les intervenants scolaires et les professionnels de la santé.

9Certains auteurs, partant des expériences de Mara Selvini Palazzoli et de ses collaborateurs, ont réfléchi au rôle joué par le psychologue ou par le consultant externe dans la redéfinition du problème énoncé par l’enseignant (Onnis, 1987; Cespa et Onnis, 1994). D’autres ont étudié les différentes formes de collaboration possibles entre l’enseignant et le psychologue pour aider l’enfant en difficulté, sans nécessairement définir ce dernier comme « le problème qu’il faut absolument résoudre » (Evéquoz, 1988; Lovey et Nanchen, 1994; Nanchen, 1986; Evéquoz, 1984). Deux auteurs ont plus particulièrement dirigé leur attention sur le contexte de la classe : G. Evéquoz (Evéquoz, 1990,1994) et Patricia Mc Culloch (Mc Culloch, 1994).

10G. Evéquoz a insisté sur le fait que la classe est un système artificiel dont l’histoire est plus courte que celle d’un système naturel. Comme elle est fondée sur une structure hiérarchique à deux niveaux (celui de l’enseignant et celui des élèves), on constate deux genres d’interactions : les verticales, entre l’enseignant et ses élèves, les horizontales, entre les élèves eux-mêmes. L’enseignant est censé en assumer la fonction de pilotage.

11L’organisation de la classe peut entrer en crise lorsque les acteurs du système assument (consciemment ou inconsciemment) un rôle différent de celui qui leur revient : c’est le cas par exemple lorsque l’enseignant n’est plus en mesure de piloter la classe à travers la hiérarchie verticale. Une autre situation possible, qui d’ailleurs nous intéresse particulièrement dans cet article, est celle où un ou plusieurs élèves assument un rôle particulier dans la classe : l’enfant isolé, l’enfant-problème, le clown, le pseudo-leader.

12Patricia Mc Culloch a eu le mérite d’étudier plus particulièrement les interactions horizontales entre élèves en en soulignant l’énorme potentialité pour tout le systèmeclasse. En assumant un certain contrôle sur la classe, que Patricia Mc Culloch préfère définir comme une position d’encadrement, l’enseignant favorise l’échange entre pairs. La méthode qu’elle a développée et qui a été en partie intégrée dans la démarche que j’utilise depuis plusieurs années, donne la possibilité à l’élève défini comme problématique d’exprimer son malaise devant ses camarades. Ce modèle d’intervention amène le groupe-classe à prendre conscience de cette souffrance et à la reconnaître. Pour Patricia Mc Culloch, il est très important qu’un enfant ou un adolescent soit reconnu par ses pairs dans son vécu personnel; elle formule l’hypothèse que si l’élève en question obtient ce statut, il n’a plus besoin de dissimuler son problème ou d’en avoir honte. Au contraire, il peut dorénavant libérer des énergies mobilisées jusque-là à des fins d’auto-protection et les mettre au service du travail scolaire.

L’intervention dans le contexte de la classe

13Après ce rapide historique, je souhaite entrer dans le vif du sujet et décrire ma méthodologie d’intervention dans le contexte d’une classe d’école.

a) L’utilité d’une telle intervention

14J’ai parlé plus haut de Paola, fillette de dix ans, qui présentait plusieurs symptômes et une profonde tristesse. Dans mon hypothèse initiale, la souffrance de Paola était liée à sa mise à l’écart de la part de ses camarades de classe. C’est l’importante souffrance de cette enfant qui m’avait conduit à imaginer ce type d’intervention et à l’utiliser dans d’autres cas semblables, qui tous avaient en commun de concerner des enfants souffrant d’importantes difficultés relationnelles avec leurs camarades de classe.

15Il est clair que dans toutes les classes et dans tous les systèmes humains, naturels ou artificiels, il est possible d’observer des difficultés relationnelles, des conflits et des mises à l’écart. L’aspect déterminant pour décider s’il est pertinent ou non d’utiliser cette méthode est pour moi l’existence d’une souffrance particulièrement aiguë chez l’enfant. Par la suite, en observant et en analysant le comportement perturbateur des élèves « clowns » (ou pitres) ainsi que des pseudo-leaders dans certaines classes, il m’est apparu utile d’appliquer la même méthode pour leur cas.

16C’est une observation rapportée par une maîtresse, avec qui je collaborais à propos d’un enfant en difficulté, qui a déclenché chez moi l’idée d’élargir le champ d’application de la méthode à un autre type d’enfant. Quelle ne fut pas la surprise de l’enseignante lorsqu’un autre élève que celui pour lequel nous collaborions, Andrea, connu comme un pseudo-leader parfois agressif et provocateur, se mit à parler spontanément devant ses camarades en se mettant ouvertement en question. Je reviendrai plus loin sur l’auto-signalement spontané de certains élèves pendant les discussions en classe, résultat non attendu de la méthode.

17Pourquoi avoir étendu l’emploi de cette intervention aux pseudo-leaders ? Je l’ai fait lorsque j’ai compris que le pseudo-leader occupe le revers de la médaille sur laquelle figure l’enfant souffrant de mise à l’écart ! Le pseudo-leader vit une souffrance semblable à celle de l’enfant rejeté par ses pairs mais avec deux différences essentielles : d’une part, il parvient à masquer sa souffrance et, de l’autre, il joue un rôle qui lui évite une mise à l’écart complète.

18Pour tirer le maximum de profit de sa différence, l’élève « clown » (le pseudo-leader également) doit s’investir massivement dans son rôle, quasiment sans répit. Il a dès lors en commun avec l’enfant marginalisé de poser des problèmes à l’enseignant, en exigeant de lui une attention particulière et beaucoup de temps au détriment des autres élèves. Ce statut particulier alimente peu à peu des jalousies à l’intérieur de la classe.

19Il est important de relever que mon intervention ne porte ses fruits auprès des pseudo-leaders que si l’on parvient progressivement à abattre le mur d’indifférence qu’ils ont construit pour masquer leur souffrance.

b) La méthodologie utilisée et les étapes suivies

20L’intervention en classe ne peut avoir lieu qu’après y avoir préparé les parents, l’enfant et l’enseignant. Il en sera question plus loin. Elle repose en fait sur les épaules de l’enseignant et comprend trois étapes.

Première discussion en classe

21L’enseignant a la responsabilité de choisir le moment qui lui paraît le plus propice pour organiser une discussion avec l’ensemble de la classe. Il justifie cette discussion, parfois inhabituelle pour les enfants, en partant d’une observation : il a remarqué que certains élèves sont particulièrement seuls au milieu de leurs camarades, parfois ils se mettent eux-mêmes à l’écart. Cette situation le préoccupe car il aimerait que sa classe constitue un groupe uni et solidaire où chacun se sente à l’aise et heureux d’être avec les autres. Il demande ensuite aux élèves lequel parmi eux se reconnaît dans cette inconfortable position : généralement mon patient, dûment préparé, peut alors s’auto-signaler.

22Après avoir recueilli le signalement de l’enfant en difficulté, l’enseignant doit gérer trois moments différents :

  1. Les comportements qui dérangent les autres
    Les camarades s’expriment ouvertement à propos de l’agacement causé par les attitudes, les comportements et les verbalisations de l’élève auto-signalé.
  2. Les comportements de rechange
    Dans un deuxième temps, les mêmes élèves qui se sont exprimés d’une manière négative envers leur camarade sont invités à lui proposer des attitudes et des comportements différents, ceux-là même qu’ils adopteraient s’ils étaient à sa place.
  3. Les tâches « L’enfant-problème » reçoit la tâche de mettre en pratique pendant deux ou trois semaines un ou plusieurs conseils émanant de ses pairs. Ceux-ci, de leur côté, doivent observer et noter de quelle façon il met en pratique ces propositions.
    D’autre part, chacun d’eux a la charge de rapporter à l’occasion de la prochaine discussion en classe au moins une observation positive concernant cet élève.

Deuxième discussion en classe

23Généralement ce deuxième échange se déroule deux ou trois semaines plus tard. L’enseignant reprend la discussion en partant des tâches qu’il avait données à ses élèves.

24L’enfant-problème exprime dans un premier temps son vécu ainsi que les difficultés rencontrées dans l’accomplissement de sa tâche. Ensuite, il décrit les éventuels changements qu’il pense avoir accomplis et/ou ceux de ses camarades.

25Ces derniers rapportent leurs observations concernant les efforts fournis par leur collègue. L’enseignant a la possibilité d’ajouter ses propres observations, ce qui peut contribuer à consolider les changements positifs en cours.

Troisième discussion en classe

26Ce troisième échange n’est pas établi de manière précise dans le temps : il dépend d’un accord entre l’enseignant et l’expert en fonction des changements qui se sont déjà produits et de ceux encore possibles. Il constitue un moment de bilan concernant les divers événements vécus par la classe durant l’expérience. C’est à l’occasion de cette troisième discussion qu’un nouvel élément peut apparaître : d’autres élèves, pas nécessairement suivis par des cliniciens, en viennent parfois à utiliser ce moment d’échange pour s’auto-signaler et pour demander que le groupe se penche également sur leur situation ! Je reviendrai sur cette constatation plutôt intéressante dans la discussion des résultats.

c) Les buts de l’intervention

27Les buts visés par cette méthode d’intervention peuvent se répartir en trois catégories : les buts individuels concernant la modification du statut de l’enfant mis à l’écart ou de celui qui n’est intégré qu’en apparence; les buts se rapportant au groupe; les buts pour l’enseignant.

Les buts individuels

28L’enfant en difficulté est évidemment l’élément déterminant pour décider d’engager la démarche. Aussi bien l’élève mis à l’écart que le pseudo-leader ne se rendent pas compte que leurs comportements dérangent leurs congénères, ce qui a souvent pour effet qu’ils se trouvent progressivement marginalisés. Les remarques formulées par les élèves de la classe à propos de leur vécu ont valeur de métacommunications : elles sont pour l’élève auto-signalé l’occasion d’une prise de conscience quant à l’effet que provoquent chez autrui les stratégies qu’il utilise. La plupart du temps, ces enfants disposent de compétences relationnelles réduites, conséquence souvent logique d’expériences négatives passées. Ce sont des sujets qui ont connu des positions extrêmes : pour les uns l’isolement, dans le but de se protéger; pour les autres des comportements collants ou agressifs, dans le but d’obtenir à tout prix l’amitié ou l’estime de leurs camarades.

29Les difficultés de ces élèves apparaissent déjà au niveau de l’école enfantine, bien qu’avec des conséquences moins évidentes. Dès l’école primaire, généralement les problèmes augmentent : les années de souffrance s’additionnent et le rendement scolaire médiocre souligne toujours plus le malaise relationnel. On peut dire que ces élèves utilisent la majeure partie de leurs énergies à rechercher des relations positives avec leurs pairs au détriment de celles qu’ils devraient investir dans les apprentissages scolaires.

30Dans l’issue du problème, le groupe-classe joue un rôle très important : non seulement il souligne les aspects peu fonctionnels de l’élève en question, lui permettant de réaliser une prise de conscience, mais il propose également des comportements de remplacement qui peuvent l’aider dans son parcours vers le changement. La classe, qui dans un premier temps met cruellement en évidence les lacunes de l’enfant en difficulté, devient dans un deuxième temps un système protecteur et privilégié pour expérimenter de nouveaux comportements.

31Si notre élève parvient, même partiellement, à mettre en pratique les suggestions de ses camarades, il peut dans un temps relativement court trouver une meilleure place dans sa classe. En fait, il peut dorénavant abandonner sa position hiérarchique haute (bien que marginale) pour se situer de manière horizontale au sein du groupe des pairs.

Les buts pour le groupe

32Par cette méthode d’intervention, le groupe-classe se trouve directement concerné et finit par jouer un rôle central dans le processus de changement. Activé par l’enseignant, il modifie sa position initiale d’observateur, de spectateur, voire d’acteur négatif, en prenant la place d’un « souffleur de théâtre », capable de proposer de nouvelles options à l’enfant-problème ou simplement de les renforcer. Lorsque les camarades acceptent le nouveau mandat qui leur est attribué par l’enseignant et construisent de nouvelles modalités relationnelles avec l’enfant en difficulté, ils expérimentent l’importance de l’axe horizontal au sein de la classe. Les relations horizontales deviennent un complément indispensable aux relations verticales (de l’enseignant envers les élèves et vice-versa), introduisant une complexité nouvelle qui permet de sortir de l’impasse. En effet, souvent avant d’utiliser notre intervention, l’enseignant a tenté par tous les moyens à sa disposition de modifier les relations au sein du groupe-classe avec l’option de le rendre le plus homogène possible. La plupart du temps, ces stratégies ne produisent pas l’effet positif recherché. Au contraire, elles tendent à générer des jalousies en raison de l’intérêt accru que l’enseignant porte à certains élèves (attentions particulières, temps prolongé consacré à un enfant, etc.).

33L’utilisation de ce type d’intervention, lequel a pour effet de créer un cadre protégé où les échanges entre les élèves augmentent de manière significative, m’a également conforté dans l’idée que la classe peut devenir un contexte privilégié favorisant l’échange et l’expression des émotions. D’ordinaire, ces dernières y sont toujours présentes mais souvent camouflées ou étouffées. Le système-classe est un contexte où les individualités s’affirment souvent sur le mode de la compétition. Les sentiments et les problèmes sont alors niés ou s’expriment par le canal du comportement. On a parfois l’impression que dans le contexte scolaire, les sentiments et les émotions doivent être maintenus sous contrôle strict, au point qu’on en vient à les considérer quasiment comme des éléments « hors contexte ». La discussion que je propose à l’enseignant permet au contraire la verbalisation et l’acceptation du vécu de chacun.

34On peut se demander si les acteurs qui pilotent le système scolaire au niveau de notre société sont réellement conscients qu’en travaillant avec les élèves sur les sentiments et les émotions ils pourraient favoriser l’émergence de nouveaux apprentissages sans pour autant délaisser les savoirs traditionnels. L’élève qui apprend à mieux cohabiter avec ses camarades augmente dans le même temps sa capacité d’évaluer ses potentialités et ses limites, de même que celles des autres. Il peut ainsi mieux accepter les différences au lieu de les combattre, ce qui constitue un gain appréciable en termes de compétence relationnelle. De mon point de vue, ce genre d’apprentissage peut revêtir une importance plus grande que celle que l’on attribue habituellement aux branches scolaires traditionnelles.

Les buts pour l’enseignant

35L’enseignant est confronté à une impasse et parfois les stratégies qu’il a utilisées pour en sortir finissent par alimenter le problème lui-même (ex : la jalousie de certains élèves). A l’inverse, si on sait l’activer, le groupe-classe peut devenir un partenaire très utile pour le maître puisqu’il est capable d’inventer et de suggérer des stratégies de « problem-solving ». Il est intéressant de mentionner que la quasi totalité des enseignants avec lesquels j’ai travaillé en utilisant cette méthode d’intervention ont déclaré que cette démarche avait été utile non seulement aux enfants pour lesquels elle a été imaginée, mais également pour l’ensemble du groupe-classe.

36Un des résultats surprenants de cette intervention, que je n’avais pas du tout imaginé au départ, a été que d’autres enfants en difficulté dans la classe ont spontanément demandé à leur enseignant de répéter l’intervention à leur intention pour pouvoir exprimer à leur tour un malaise ou une souffrance. A mon avis, ce phénomène résulte de ce que les enfants ont pu constater de leurs propres yeux les bénéfices directs qu’en avait retirés l’enfant-problème.

d) La population concernée

37Généralement j’utilise cette méthode d’intervention avec des enfants de huit, neuf ou dix ans. Ce choix résulte de deux considérations : l’une relative aux enfants eux-mêmes, l’autre au rôle joué par l’enseignant. On peut en effet se demander pourquoi ce genre d’intervention ne pourrait pas être utilisée également avec des enfants plus jeunes. J’ai mentionné plus haut que le motif principal du choix de cette intervention était lié à l’intensité de la souffrance vécue par l’enfant et à son désir de la réduire.

38Selon mon expérience, l’enfant plus jeune peut certes percevoir un malaise relationnel mais il se trouve en difficulté importante lorsqu’il doit clairement tenter d’y apporter une réponse. En ce qui concerne le groupe-classe, celui-ci doit comporter des élèves capables d’observer correctement les interactions, de relever les dysfonctionnements d’un enfant et/ou du groupe, de saisir les changements que l’enfant-problème tente de mettre à exécution.

39Le rôle joué par l’enseignant à travers sa fonction de pilotage est naturellement déterminant pour la création d’un climat de classe favorisant la discussion. Par la suite, le maître devra observer attentivement les éventuels changements individuels et de groupe. Ces observations auront lieu soit durant les périodes où il dirige la classe pendant les cours, soit dans les moments libres (activités libres en classe, récréations). Généralement mon partenaire privilégié pour la mise en place de l’intervention dans le contexte scolaire est le maître principal (ou titulaire) puisqu’il détient un rôle central et que les élèves passent la plupart du temps avec lui.

40Comment agir lorsque les enseignants sont plus nombreux, notamment au niveau secondaire ? L’enseignant principal (ou titulaire) reste-t-il l’interlocuteur privilégié ? Quel rôle jouent les autres enseignants ? Une collaboration est-elle possible entre le maître principal et ses collègues autour d’un but qui apparemment a peu de rapport avec l’enseignement ? Personnellement, j’ai eu l’occasion d’expérimenter un certain nombre de fois cette méthode dans les classes du niveau secondaire et ceci avec des résultats positifs. Naturellement, pour atteindre ce but, il est nécessaire de créer un bon climat de collaboration au sein du conseil de classe. Tous les enseignants, si possible, doivent être convaincus de la démarche et prêts à la soutenir car il est nécessaire qu’ils puissent collaborer avec le titulaire de la classe en lui apportant leurs observations. Le travail avec un seul enseignant paraît évidemment plus simple. Néanmoins, celui qui s’effectue au sein d’un conseil de classe du secondaire peut devenir très intéressant en raison de la pluralité des points de vue dans l’observation des dynamiques relationnelles.

e) La durée de l’intervention

41Tout considéré, cette intervention se déroule sur une période d’un mois et demi. Ce laps de temps comprend la première discussion entre l’enseignant et ses élèves, au cours de laquelle est analysé le problème, ainsi que les deux autres moments d’échange en classe pendant lesquels sont recueillis des feed-back sur les éventuels changements intervenus. En théorie, cette démarche pourrait être prolongée par d’autres échanges au sein de la classe, mais à mon avis ceux-ci ne sont pas franchement nécessaires. En effet, si l’intervention obtient un certain succès, les résultats sont observables dans un laps de temps relativement court; une quatrième ou cinquième discussion (situation expérimentée pour deux enfants) permettent seulement de compléter ou d’affiner des observations déjà présentes.

f) Le rôle joué par l’enseignant

42Généralement, je propose à l’enseignant de piloter lui-même l’intervention dans sa classe. Etant donné qu’il fait partie intégrante du système-classe, dans lequel il joue un rôle influent, et qu’il jouit de la confiance de ses élèves, une intervention effectuée par lui-même apparaît plus naturelle aux yeux des enfants, même si elle se distingue des activités scolaires habituelles. L’éventuel intervenant externe, bien que plus expérimenté dans ce genre de tâche, est lui complètement étranger au groupe-classe. L’unique contre-indication à cette option est la situation où l’enseignant ne se sent pas prêt à assumer un rôle qui lui paraît trop différent de celui qu’il joue d’habitude.

43Il m’est arrivé d’avoir dû prendre la place de l’enseignant pour la raison indiquée ci-dessus; je me suis alors rendu compte que les résultats obtenus étaient d’une qualité inférieure à ceux récoltés lorsque l’intervention est dirigée par le maître de classe. En effet, seul l’enseignant peut jouer le rôle d’observateur des comportements des élèves et recueillir d’éventuels feed-back verbaux et non-verbaux entre une discussion et l’autre. Je pense aux heures d’enseignement mais surtout aux moments libres et aux récréations durant lesquels l’enseignant peut observer les dynamiques relationnelles et « lire » les messages analogiques entre les élèves. En général, ces messages ne se trouvent pas dans les récits que les élèves font lors des discussions de classe. On imagine sans peine que ce matériel ne pourra jamais être recueilli par un expert se situant à l’extérieur du contexte scolaire, aussi capable soit-il.

44Je relève enfin l’importance qu’il y a que l’enseignant ait préalablement informé l’autorité scolaire de l’intervention projetée et obtenu son autorisation, ceci notamment pour se prémunir d’éventuelles réactions négatives de la part de certains parents.

g) Le rôle joué par le psychologue ou par l’expert

45Après avoir décrit la position centrale qui est celle de l’enseignant, analysons maintenant le rôle du psychologue. Première démarche : le psychologue, à partir des données cliniques en sa possession, évalue la pertinence de mettre en place une telle intervention (la nature du problème de l’enfant, son degré de souffrance, la probabilité d’obtenir des changements, etc.). Ensuite, l’expert devra préparer l’enfant en lui expliquant le déroulement des différentes étapes de l’expérience. Plus particulièrement, il le préparera à s’auto-signaler devant ses camarades en exprimant son malaise et surtout à « encaisser » les remarques et critiques de leur part. Il faut savoir que l’étape la plus difficile pour lui est le moment où sont énu-mérés les comportements et les attitudes que le groupe ne peut pas accepter et qui ont pour effet de le marginaliser. Dûment préparé, l’enfant doit encore donner son accord. Selon mon expérience, les enfants qui présentaient un haut niveau de souffrance au sein de la classe l’ont tous fait.

46L’enseignant qui, comme je l’ai décrit précédemment, est souvent peu habitué à gérer ce genre de situation, doit également être préparé et mis en confiance par le spécialiste. Le maître de classe a souvent des doutes quant à sa capacité de piloter une expérience aussi peu habituelle pour lui. Il est dès lors nécessaire que l’intervenant se donne un temps suffisant pour entendre son inquiétude et répondre aux questions posées.

47Après la première discussion en classe, il faut prévoir des moments d’échanges, mêmes téléphoniques, entre le spécialiste et le maître de classe. Dans ce cadre, ce dernier pourra exposer son vécu, ses doutes et les premières observations recueillies en dehors de sa classe. Le psychologue donnera sa propre lecture des événements et proposera des stratégies pour soutenir ou amplifier les changements survenus. Parallèlement, il recevra l’enfant et entendra sa perception de la discussion en classe et l’existence d’éventuels bénéfices pour lui.

48Durant tout le déroulement de l’expérience, il est indispensable de connaître l’évolution de l’enfant dans le cadre de sa famille. A cet effet, le psychologue va rencontrer ses parents, d’une part pour les informer de ce qui se passe dans le contexte scolaire et d’autre part pour bénéficier d’informations sur ce qui est observé ou raconté à la maison.

Les résultats

49Jusqu’ici, cette méthode d’intervention a été utilisée avec dix enfants, ainsi répartis :

  • 7 filles, 3 garçons;
  • 9 enfants fréquentant l’école primaire (6-10 ans), 1 l’école secondaire (dès 11 ans);
  • 9 enfants (7 filles et 2 garçons) étaient suivis par un psychologue qui les préparait à l’intervention, un ne l’était pas.

50Il est utile de donner quelques précisions concernant l’enfant qui fréquentait l’école secondaire : étant donné que sa situation individuelle et familiale ne permettait pas l’instauration d’une démarche clairement thérapeutique, il a été décidé d’utiliser cette méthode d’intervention après plusieurs discussions avec le maître principal et ses collègues du conseil de classe. Cette démarche était perçue par eux comme une tentative ultime, voire désespérée, d’aider l’enfant dont les risques d’expulsion de la part de l’école, en raison de la pression de certains parents, étaient très élevés.

51Par ailleurs :

  • 8 enfants (7 filles et 1 garçon) étaient considérés comme des élèves isolés / marginalisés;
  • 2 enfants (des garçons) pouvaient être définis comme des clowns / pseudo-lea-ders;
  • les 10 élèves, au moment de l’intervention, présentaient des difficultés scolaires plus ou moins accentuées qui préoccupaient leurs enseignants.

52Analysons maintenant le vécu des différents acteurs avant, pendant et après la mise en place de l’intervention dans le système-classe.

a) Les enfants-problème

53Quasiment tous les enfants parviennent à s’auto-signaler au moment de la première discussion en classe. Certains parmi eux arrivent même à verbaliser leur malaise. Cependant, la plupart entendent avec difficulté les critiques énoncées à leur endroit par leurs camarades, même s’ils parviennent plus ou moins bien à les accepter par la suite.

54Les élèves de la classe proposent de nombreuses stratégies comportementales de rechange et généralement l’enfant en difficulté en choisit une ou deux, trois au maximum, qu’il va essayer de mettre en pratique dans les semaines qui suivent. En général, l’enfant-problème se concentre sur sa tâche, mais il passe parfois un certain laps de temps à observer la réaction de ses camarades. Si c’est le cas, il ne va manquer, lors de la deuxième discussion en classe, de relever d’éventuelles erreurs dans la tâche qui lui a été suggérée ou des difficultés que ses camarades lui causent, par exemple, durant les récréations. Lorsque les premiers changements commencent à être visibles et reconnus, les enfants-problèmes manifestent de la joie : essentiellement, celle de se sentir enfin un élément du groupe à part entière.

b) Les enseignants

55Les enseignants ont souvent des hésitations au moment où l’intervention leur est proposée : très probablement, ils craignent de ne pas être à la hauteur d’une telle tâche. Par contre, une fois qu’ils ont été préparés et rassurés quant à la démarche à suivre, ils décrivent leur vécu des différentes étapes de l’expérience de manière très positive. Généralement, ils appliquent avec rigueur le projet et les étapes discutés au préalable. Lorsque surviennent des événements qui n’ont pas été prévus, quasiment toujours ils trouvent avec pertinence les solutions de rechange. A mon avis, leur expérience pédagogique est a priori un atout majeur pour créer un cadre d’échanges approprié, notamment pour évaluer, par exemple, la longueur des discussions; la longueur de l’intervention de chaque élève pendant les discussions, etc.

56Les observations rapportées par les enseignants concernant la dynamique du groupe-classe pendant et après l’intervention ont été pour moi étonnantes. En particulier, la grande implication des élèves durant des discussions souvent peu habituelles pour eux; l’attention de tous, y compris de la part des élèves qui présentent généralement un faible taux d’attention; la perspicacité et la précision des remarques formulées, la créativité dont les élèves faisaient preuve lorsqu’il s’agissait de proposer de nouvelles stratégies à l’enfant en difficulté; la continuité de leur implication tout au long des différentes phases du processus.

57A la fin de l’expérience, les enseignants ont généralement évoqué leur satisfaction d’avoir pu mener à bien un tel processus ainsi que la découverte d’un élément insoupçonné : les ressources que recèlent les dynamiques horizontales entre les élèves; en particulier, les énormes potentialités liées à l’entraide que ces derniers peuvent développer au sein du groupe-classe. Certains ont évoqué la possibilité de faire travailler les élèves en sous-groupes, y compris dans les situations didactiques.

c) Le groupe-classe

58L’attitude générale des divers groupes-classe face à cette intervention a également été très positive. Les élèves qui n’ont pas l’habitude d’exprimer des vécus personnels, si ce n’est dans une relation duelle, ont démontré lors de ces discussions de bonnes capacités ainsi qu’un certain plaisir à extérioriser leurs sentiments. Les membres du groupe n’ont pas épargné l’enfant-problème de leurs critiques mais ils ont également toujours su lui suggérer des comportements de rechange. Surprise de taille pour moi : cinq élèves non suivis d’un point de vue thérapeutique se sont autosignalés. Certains l’ont fait pendant les discussions, d’autres ont demandé à l’enseignant principal d’organiser de nouveaux moments d’échange pour pouvoir exprimer leur malaise et recevoir ensuite l’aide des camarades ! Cette requête spontanée mérite cependant réflexion : comment s’expliquer que des élèves, non soutenus par un thérapeute, prennent ainsi le risque d’exposer leur malaise en public ? Cela est certainement le résultat du sentiment de sécurité que procure le groupe-classe lorsqu’il s’active solidairement à la recherche de solutions positives pour chacun des siens, groupe par ailleurs piloté par un adulte qui maîtrise bien la situation.

59Après avoir décrit les vécus principaux des différents acteurs en présence, analysons maintenant les changements obtenus par cette méthode.

a) Les enfants-problème

60Pour la plupart des enfants-problème, le vécu concernant l’appartenance au groupe s’est modifié déjà au cours des dix premiers jours qui suivaient la première discussion en classe. Les conseils suggérés par les camarades ont toujours été mis en pratique. Pour une fillette, il a été nécessaire de conduire trois discussions en classe avant de percevoir des progrès relationnels : après la première étape, sa situation avait même empiré. La plupart du temps, ces enfants parviennent par ce moyen à sortir de leur isolement relationnel, ils recherchent plus fréquemment des copains pour jouer et sont à leur tour davantage demandés par certains camarades. En bref, ils retrouvent le plaisir de se rendre à l’école et de partager des moments avec les autres. Par ailleurs, ces élèves commencent à mieux percevoir leur comportement et à analyser les effets de ce dernier sur les réponses qui proviennent de leurs pairs. Ils sont presque toujours surpris de pouvoir se trouver au centre de l’attention après d’interminables périodes d’isolement, ou bien, si nous pensons au clown ou au pseudo-leader, de l’être selon des modalités plus appropriées et appréciées par l’ensemble du groupe. Concernant le rendement scolaire de ces élèves, je dois constater qu’il ne se modifie pas aussi rapidement que les enseignants l’espèrent. Pour ma part, je pense que ces enfants ont prioritairement besoin d’être libérés de leur prison relationnelle pour pouvoir ensuite investir leur énergie dans les apprentissages scolaires. Dans toutes les situations que j’ai pu analyser, les progrès scolaires ont mis passablement de temps à apparaître, mais il s’agit ici d’un processus plus complexe, relevant aussi d’autres variables telles que les capacités individuelles, la maturité de l’élève, les stimulations reçues, etc.

b) Les enseignants

61Les enseignants ont pu observer, après l’expérience, un groupe plus compact, homogène et solidaire. Cette intervention a favorisé l’entraide même dans les tâches scolaires : certains travaux peuvent être effectués par de petits groupes d’élèves avec de bons résultats. La compétition entre élèves a diminué et l’enfant en difficulté n’a plus besoin de se cacher ou de camoufler sa fragilité scolaire. Certains enseignants retrouvent un plus grand plaisir dans l’enseignement, stimulés par un groupe plus homogène et plus sensible à leurs messages. Tous ont dit leur surprise de voir l’ensemble de la classe se transformer et, en particulier, de voir certains élèves problématiques (mais pas suivis par les services de soutien) en bénéficier indirectement.

62J’aimerais maintenant émettre quelques considérations concernant l’élève du secondaire qui n’a jamais pu me donner son point de vue sur l’expérience. C’est en participant à différents conseils de classe que j’ai pu recueillir les informations recherchées. Ici aussi, l’expérience a eu des effets positifs : grâce à quelques progrès évidents de sa part, les menaces relatives à son expulsion de l’école ont diminué. Malgré la persistance de certains comportements plutôt inhabituels, il a été de mieux en mieux accepté par ses camarades. Avec un recul de plus d’une année, je puis dire que ce garçon a aujourd’hui un comportement acceptable et qu’il respecte les règles de l’institution; malheureusement, son rendement scolaire reste globalement très insuffisant.

c) Le groupe-classe

63Les élèves, comme d’ailleurs leurs enseignants, ont été d’excellents observateurs des divers changements survenus dans les dynamiques relationnelles. Généralement, ils ont correctement réalisé la tâche qui consistait, lors de la deuxième séance de discussion, à rapporter au moins une observation positive concernant l’enfant en difficulté. A mon avis, ils ont directement contribué à aider nos dix sujets à modifier considérablement leur perception de l’appartenance au groupe. Les groupes-classe – du moins ceux du niveau primaire, pour lesquels je dispose de toutes les informations nécessaires – ont de toute évidence développé un réel plaisir à vivre et à travailler ensemble. Ces élèves ont fortement réduit le besoin de surclasser l’autre, aspect typique d’un climat de compétition présent dans beaucoup de groupes humains et parfois exacerbé au point de rompre la solidarité de base.

Les changements de Paola

64Je ne peux conclure mes réflexions sans reparler de Paola, la fillette qui est au départ de mon parcours créatif. Lors de la séance individuelle qui a suivi la première intervention de sa maîtresse en classe, j’ai rencontré une Paola absolument rayonnante. Elle m’a expliqué à cette occasion combien la discussion en classe avait été importante pour elle. Par la suite, elle a rapidement trouvé une place nouvelle au sein de ses camarades : elle peut jouer avec ses copains à chaque récréation; elle a même le sentiment d’être recherchée par les élèves, y compris par ceux qui la refusaient le plus auparavant ! Après plusieurs mois, Paola a toujours plus de plaisir à se rendre à l’école : elle continue à garder sa place au milieu des autres et montre davantage de confiance en elle-même. Sa maîtresse me signale qu’elle participe plus activement aux leçons et que son rendement scolaire tend à s’améliorer. A la fin de l’année scolaire, elle est promue. Paola se montre optimiste quant à son avenir malgré l’incertitude que crée la pause des vacances scolaires.

Catamnèse et conclusions

65Il ne m’est pas encore possible d’établir une catamnèse complète des dix situations initiales. Je peux néanmoins déjà donner au moins un élément que j’ai pu observer pendant une certaine durée et qui va au delà des premiers bénéfices immédiats. Dans cinq des dix situations étudiées, l’élève-problème a changé de classe l’année qui a suivi l’intervention; il a donc quitté la majorité des camarades qui étaient les siens l’année précédente. Heureuse constatation : en dépit du nouveau contexte, ces enfants m’ont confirmé que de bonnes relations s’étaient instaurées avec leurs nouveaux camarades de classe. Sans exclure que des facteurs non identifiés aient pu jouer ici un certain rôle, notamment une constellation favorable dans la composition du nouveau groupe-classe, il n’en reste pas moins que ces sujets – auxquels s’ajoutent les cinq autres qui, eux, ont poursuivi leur bonne intégration dans le même groupe – ont certainement fait un apprentissage tout à fait réel dans le registre des relations.

66Ces dix situations avaient clairement, au départ, un point commun : ces enfants vivaient une impasse relationnelle majeure, qui incitait à penser qu’ils disposaient de compétences relationnelles réduites. L’intervention qui a fait l’objet de cette présentation a modifié le jeu relationnel de tous les acteurs et a permis à la plupart d’effectuer un apprentissage utile pour la suite de leur parcours social. Il est cependant difficile de dire lequel d’entre eux a le plus appris.

67Nous sommes tous conscients de l’importance des relations sociales non seulement pour les enfants mais pour l’être humain en général. En conclusion, j’aimerais souligner que pour les enseignants, à qui je dis toute ma reconnaissance pour leur précieuse collaboration et leur perspicacité, il a certainement été agréable et gratifiant de pouvoir contribuer de cette manière à enrichir le patrimoine relationnel de leurs élèves. A n’en pas douter, ces enseignants transmettront désormais un savoir nouveau, socialement utile, bien qu’il ne figure pas comme nouvelle matière dans la grille officielle des programmes !

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

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Mots-clés éditeurs : Enfants en difficulté, Relations, Ecole, Intervention

https://doi.org/10.3917/tf.013.0215

Notes

  • [*]
    Cet article a été publié dans Psicobiettivo, Roma, No. 1, avril 1999. Publication en français avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
  • [**]
    Psychologue et psychothérapeute familial. L’auteur souhaite remercier Maurice Nanchen pour sa contribution à la traduction de ce texte.
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