Notes
-
[1]
Le collectif API (« Attributions des logements sociaux, politiques de peuplement et intercommunalités : quelles recompositions ? ») est composé de Vincent Béal, Marine Bourgeois, Rémi Dormois, Yoan Miot, Gilles Pinson et Valérie Sala Pala. Pour plus d’informations sur ce programme de recherche, cf. la note 4 du présent article.
-
[2]
Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Cette loi trouve sa genèse dans les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris. Dans son discours du 20 janvier 2015, le Premier ministre, Manuel Valls, établit un lien explicite entre ces attentats et la ségrégation socio-spatiale. Évoquant un « apartheid territorial, social, ethnique », il en appelle à la mise en place de « politiques de peuplement pour lutter contre la ghettoïsation et la ségrégation ». Cf. Le Monde avec AFP, « Manuel Valls évoque “un apartheid territorial, social, ethnique” en France », Le Monde, 20 janvier 2015, https://www.lemonde.fr/politique/article/2015/01/20/pour-manuel-valls-il-existe-un-apartheid-territorial-social-ethnique-en-france_4559714_823448.html [consulté le 28/10/2021] ; Judith Waintraub et Anne Rovan, « Manuel Valls veut imposer la mixité sociale », Le Figaro, 23 janvier 2015, https://www.lefigaro.fr/politique/2015/01/23/01002-20150123ARTFIG00455-manuel-valls-veut-imposer-la-mixite-sociale.php [consulté le 28/10/2021].
-
[3]
Ces deux mesures s’imposent à tout établissement public de coopération intercommunale (EPCI ; structure administrative regroupant des communes souhaitant développer des compétences en commun) tenu d’élaborer un programme local de l’habitat (PLH), ou qui exerce la compétence habitat et compte au moins un QPV sur son territoire.
-
[4]
La recherche API (2017-2020), coordonnée par l’université Jean Monnet Saint-Étienne et le laboratoire Triangle (UMR 5206), a bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), de l’Institut pour la recherche de la CDC, du ministère de la Transition écologique et solidaire, Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) / Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), et de l’Union Sociale de l’Habitat (USH). L’Assemblée des communautés de France (AdCF) et le Défenseur des droits en sont également partenaires. L’équipe de recherche est composée de Vincent Béal, Marine Bourgeois, Rémi Dormois, Yoan Miot, Gilles Pinson et Valérie Sala Pala. Des étudiant·e·s de master y ont également participé : Lola Courcoux, Romane Gadé, Lucas Ghosn, Manon Le Bon-Vuylsteke, Marie-Laurence Royer et Maud Terreau. Nous tenons à les remercier pour la grande qualité de leur travail. La recherche API a été coordonnée par Valérie Sala Pala et Rémi Dormois, avec l’appui de Marine Bourgeois dans le cadre d’un postdoctorat. Elle a été prolongée en 2021 par une recherche postdoctorale de Marion Lang relative à la sociogenèse du volet logement de la loi Égalité et Citoyenneté (Lang, 2021) et un stage de master de Damien Dely.
-
[5]
La Participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), rendue obligatoire par l’État en 1953 pour les entreprises du secteur privé non agricole, devient en 2009 le dispositif « Action Logement ». À l’origine, ces entreprises devaient consacrer 1 % de leur masse salariale au financement de la résidence principale des salariés. Après des baisses successives, ce taux est fixé depuis 1992 à 0,45 %. Dans le présent article, Action Logement désigne les organisations en charge de ce dispositif.
-
[6]
Le caractère peu dicible de l’ethnicité et de la race dans le contexte national a d’ailleurs parfois été relevé par les enquêtés eux-mêmes : « En fait, en France, on refuse de parler de la question ethnique parce que c’est malpoli, ce n’est pas propre, sauf qu’en fait, elle est très utilisée, de manière plus ou moins insidieuse. Donc c’est pas posé sur la table, c’est un peu ce que je vous disais sur les motifs de refus qui sont très carrés quoi. » (Bailleur social, Grenoble-Alpes Métropole, 2018).
-
[7]
Nous rendons compte de l’identité des enquêtés en veillant à garantir leur anonymat. Nous le faisons de manière volontairement floue lorsque les propos tenus ont un caractère sensible.
-
[8]
Bailleur social, Saint-Étienne Métropole, 2019.
-
[9]
Ibid.
-
[10]
On peut ici faire un parallèle avec les mécanismes observés dans d’autres champs sociaux tels que l’emploi, l’école ou l’orientation professionnelle, dans lesquels les acteurs (employeurs, institutions scolaires, intermédiaires du marché de l’emploi ou de l’orientation) justifient des traitements discriminatoires par les attentes des clients ou usagers construits comme désirables, normaux ou ne posant pas problème (Bataille, 1997 ; Noël, 1999 ; Lorcerie, 2003). De ce point de vue, on peut considérer qu’il y a coproduction des catégorisations ethnoraciales voire des discriminations par les acteurs institutionnels et par les clients/usagers.
-
[11]
Départements d’outre-mer et territoires d’outre-mer.
-
[12]
De façon plus générale, l’articulation entre la stigmatisation d’un groupe défini par son statut résidentiel, à savoir les habitants des quartiers populaires, et la mobilisation de référents sociaux, ethnoraciaux et religieux désignant ce groupe, dans le contexte français, a été analysée dans différents travaux qui montrent la forte imbrication de ces formes d’altérisation (cf. notamment Dijkema, 2021 ; Talpin et al., 2021).
-
[13]
Il est ici fait référence à une condamnation de ce bailleur social pour fichage ethnique et discrimination raciale.
-
[14]
Nous développons l’analyse de ces conditions dans le rapport final de notre recherche (Collectif API, 2020).
-
[15]
La loi Égalité et Citoyenneté prévoit bien que « [l]orsque l’objectif d’attribution fixé pour chaque bailleur n’est pas atteint, le représentant de l’État dans le département procède à l’attribution aux publics concernés d’un nombre de logements équivalent au nombre de logements restant à attribuer sur les différents contingents » (Art. L441-1), mais, sur nos terrains, les acteurs locaux ne se sont pas saisis de cette disposition.
-
[16]
La CIA, instrument central de la loi Égalité et Citoyenneté, est un document contractuel et opérationnel qui décline localement les règles nationales et précise les engagements des principaux acteurs.
-
[17]
Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN).
-
[18]
Nouveau programme national de renouvellement urbain.
1 Après [1] avoir symbolisé le référentiel modernisateur des Trente Glorieuses, les quartiers d’habitat social sont progressivement construits, à partir des années 1970, comme des problèmes à résoudre. En même temps que la « banlieue » comme catégorie urbaine s’ethnicise (Rinaudo, 1999), un recadrage de la question du logement social, en termes de capacité d’accueil des quartiers, de cohabitation des groupes sociaux et de répartition spatiale des populations, est effectué (Dourlens et Vidal-Naquet, 1987 ; Tanter et Toubon, 1999). L’action sur le peuplement – entendue comme l’action visant à modifier ou maintenir la composition, sur un territoire donné, d’une population définie selon certains critères (de classe, de race, d’ethnicité, de genre, de religion ou autres ; cf. Desage, Morel Journel et Sala Pala, 2014 : 17) – est alors privilégiée. Au tournant des années 1990, une série de lois érige la mixité sociale en enjeu prioritaire de l’action publique. À travers l’invocation de cette catégorie, véritable leitmotiv de la politique de la ville depuis ses débuts (Simon, 1999 ; Palomares, 2008), c’est une politique visant à mélanger les groupes sociaux dans certains espaces qui est défendue.
2 La mixité sociale n’est toutefois pas définie par le législateur : quels groupes sociaux s’agit-il de mélanger, à quelle échelle et dans quelles proportions ? En l’absence de clarification, la mixité s’est institutionnalisée comme une « norme faible » (Tissot, 2005), cristallisant des significations plurielles (Kirszbaum, 1999, 2007 ; Bacqué et Fol, 2008). Les acteurs en charge de la mise en œuvre des politiques d’attribution l’opérationnalisent à partir de catégories indigènes officieuses. Les agents de proximité des bailleurs sociaux jouent un rôle central dans ce travail. Ils se livrent à des opérations de qualification et d’évaluation des situations consistant à formuler, à partir de critères objectifs (type d’emploi, composition familiale, lieu de résidence, etc.) et d’indices perceptifs (tenue vestimentaire, comportement, patronyme, couleur de peau, etc.), des jugements et des stéréotypes permettant de catégoriser les dossiers. Ils dessinent ainsi un continuum de risques (Simon, 2003), reflétant la désirabilité sociale des ménages. Celle-ci est construite selon des classements sociaux divers, parmi lesquels les critères de classe, ethnoraciaux et de résidence apparaissent comme les plus saillants. En fonction de ces catégories, les bailleurs sociaux développent des stratégies de peuplement visant à « rééquilibrer » l’occupation sociale des résidences : il peut s’agir de ne pas dépasser certains seuils, de préserver ou de sacrifier des adresses en fonction du caractère plus ou moins attractif des résidences, de regrouper ou au contraire de disperser certains groupes sociaux. Ces stratégies et raisonnements aboutissent à une production institutionnelle des discriminations, dont les sources sont désormais bien connues : contradictions entre objectifs d’accès au logement et principe de mixité sociale, traductions locales non contrôlées de la mixité, zones d’action discrétionnaires des bailleurs sociaux dans les attributions, opacité des processus et des critères découlant de ces zones discrétionnaires, poids des considérations de bonne gestion du parc, saillance des rapports sociaux de classe et ethnoraciaux, stratégies résidentielles des ménages (Henderson et Karn, 1987 ; Sala Pala, 2013 ; Bourgeois, 2019).
3 Sur le papier, la loi Égalité et Citoyenneté, promulguée le 27 janvier 2017 [2], opère une rupture pour deux raisons principales. D’abord, elle précise le contenu législatif de la mixité sociale. Son volet logement comporte en effet deux mesures emblématiques. La première vise à renforcer l’accès des ménages les plus pauvres aux logements sociaux situés en dehors des quartiers les plus pauvres : au moins 25 % des attributions de logements sociaux localisés hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) doivent cibler les demandeurs relevant du premier quartile de revenus. La deuxième cherche à déspécialiser les quartiers pauvres en effectuant au moins 50 % des attributions dans ces quartiers au bénéfice des ménages des trois quartiles de revenus supérieurs [3]. La loi Égalité et Citoyenneté mobilise ainsi un critère unique de revenus pour définir les groupes sociaux qu’il s’agit de brasser à l’échelle du quartier. Si le législateur ne définit pas la proportion de chaque groupe nécessaire à la mixité sociale d’un quartier, il pose néanmoins des objectifs précis en termes de flux d’attributions. Cette loi modifie également la répartition des rôles entre catégories d’acteurs locaux, en conférant de nouvelles compétences aux intercommunalités, chargées d’élaborer les outils de la mise en œuvre de ces mesures.
4 Dès lors, on peut se demander si, par la clarification qu’elle opère du principe de mixité sociale, par les nouveaux objectifs qu’elle impose et par les compétences qu’elle attribue aux intercommunalités, la loi Égalité et Citoyenneté conduit à une remise en cause des catégorisations officieuses antérieurement mobilisées par les acteurs locaux du logement social. Dans cet article, nous nous concentrerons sur le cas des catégorisations ethnoraciales. La mise en œuvre de la loi s’est-elle traduite par un effacement des catégories ethnoraciales ? Observe-t-on au contraire leur maintien voire leur hybridation avec les nouvelles catégories législatives ? Les dynamiques de fabrique de l’ethnicité et de la race par les politiques locales d’attribution et de peuplement en sortent-elles modifiées ?
5 Nous nous saisissons de ces questions à partir du matériau empirique issu d’une recherche collective menée entre 2017 et 2020 sur les recompositions des politiques d’attribution des logements sociaux [4]. L’enquête a été conduite dans six agglomérations françaises très contrastées sur le plan socio-démographique, politique et de la tension dans le parc social : Bordeaux, Dunkerque, Grenoble, Meaux, Mulhouse et Saint-Étienne. Elle repose sur des entretiens semi-directifs (n=156) auprès des acteurs locaux des attributions : représentants d’organismes HLM (habitation à loyer modéré), élus et techniciens de communes et d’intercommunalités, représentants des services déconcentrés de l’État (directions départementales des territoires, directions départementales de la cohésion sociale) et d’Action Logement [5]. Elle comprend aussi une analyse documentaire systématique et quelques observations directes en commissions d’attribution de logements (n=6). Centré sur les discours, ce dispositif nous a permis de saisir les catégories sociales et spatiales à travers lesquelles les acteurs locaux perçoivent et évaluent les situations auxquelles ils sont confrontés (Pinson et Sala Pala, 2007). La question des rapports sociaux ethnoraciaux apparaît dans un grand nombre d’entretiens, malgré leur illégitimité dans un contexte français marqué par la prégnance de l’idéologie républicaine universaliste (Poutignat et Streiff-Fenart, 1995 ; De Rudder, Poiret et Vourc’h, 2000) [6].
6 Notre démarche s’inscrit dans un chantier de recherche portant sur les rapports entre ethnicité, race et action publique (Lorcerie, 2010 ; Buu-Sao et Léobal, 2020). Nous envisageons l’ethnicité et la race comme des constructions sociales et historiques, produits de rapports sociaux de pouvoir, et non comme des réalités biologiques (Guillaumin, 2002, 1994 ; De Rudder, Poiret et Vourc’h, 2000 ; Fassin et Fassin, 2006 ; Bessone et Sabbagh, 2015 ; Mazouz, 2020). L’ethnicité désigne le résultat d’un processus de construction de frontières sociales fondé sur le captage sélectif de signes constitués de façon arbitraire comme indices de l’« origine » (processus d’ethnicisation), ces signes pouvant être divers : pays de naissance, nationalité, langue, accent, vêtements, coutumes alimentaires, attitudes, etc. (Barth, 1995 ; Poutignat et Streiff-Fenart, 1995). Nous parlons de racialisation plutôt que d’ethnicisation lorsque les différences liées à l’« origine » sont présentées comme héréditaires, absolues, essentielles, en référence soit à des traits phénotypiques tels que la couleur de peau, soit à des traits culturels désignés comme naturels (Barker, 1981). Selon notre approche, les processus d’ethnicisation et de racialisation renvoient à une différence de degré plus que de nature (Simon, 2006), et sont très souvent entremêlés dans les situations sociales concrètes, ce qui peut nous amener à mobiliser le terme « ethnoracial ». Nous appréhendons les catégories sociales et spatiales comme des construits sociaux et politiques ayant un sens pour les acteurs et orientant leurs actions. Ces catégories de la pratique, qui s’inscrivent dans des rapports de pouvoir préexistants autant qu’elles contribuent à les façonner et à les actualiser, se manifestent « dans les interstices de la gestion administrative officielle » et « organisent les descriptions socialement construites des faits, des personnes et des événements » (Poutignat et Streiff-Fenart, 1995 : 190). De ce point de vue, l’ethnicité et la race sont des ressources pour l’action parmi d’autres, que les acteurs mobilisent selon les situations et contextes, ce que traduit la notion de saillance ou de mise en relief (Douglass et Lyman, 1976 ; Poutignat et Streiff-Fenart, 1995 : 182).
7 Dans cet article, nous mettons en évidence que les dispositions de la loi Égalité et Citoyenneté n’ont pas affecté la mobilisation de catégories ethnoraciales dans le travail d’attribution. Nous montrons d’abord que les référents ethnoraciaux occupent toujours une place saillante dans les représentations sociales des acteurs : la figure du « ghetto » et la logique de « seuil », en particulier, restent au centre de leur construction des situations d’attribution. Nous rendons compte ensuite des modalités de construction des catégories ethnoraciales par les acteurs locaux. Nous mettons en évidence des processus d’ethnicisation et de racialisation discrètes, construits non pas sur un critère manifestement ethnique ou racial, mais sur des critères perçus comme plus légitimes (résidence, culture, mode de vie ou religion). Enfin, nous analysons les conditions qui, par-delà cette loi, rendent possible le maintien des catégories ethnoraciales.
Les catégorisations ethnoraciales dans l’ordinaire des politiques du logement
8 La prégnance des catégories ethnoraciales dans la construction des problèmes d’attribution des logements sociaux par les acteurs en charge de la mise en œuvre est un acquis des travaux sur les politiques d’attribution. Deux logiques principales, parfois mêlées, sont mises en évidence. D’une part, pour les gestionnaires du logement social, les groupes minorisés sur un critère ethnoracial constituent des groupes à risques dont il faut limiter la présence dans certaines cages d’escalier, immeubles ou ensembles résidentiels (Simon, 2003), dès lors que des locataires peuvent avoir des réactions de rejet à l’égard de ces groupes. D’autre part, certains de ces acteurs développent une croyance en une inadaptation culturelle de certains groupes : ils déploient des simplifications et des routines (Berger et Luckmann, 1966 ; Lipsky, 1980) qui associent appartenance ethnoraciale, modes de vie et façons d’habiter. L’enquête menée après le vote de la loi Égalité et Citoyenneté de 2017 souligne la permanence de ces modes de classement dans les discours des acteurs locaux du logement social.
9 Les concentrations spatiales de groupes désignés selon un critère ethnoracial continuent d’être perçues comme un problème central dans la gestion des attributions. La notion de « ghetto » est régulièrement convoquée comme une figure repoussoir. Certains enquêtés regrettent que la « nationalité » ou l’« origine » ne soient pas davantage prises en compte dans l’étude des demandes de logement social. Ils y voient parfois une forme d’hypocrisie du législateur. Ils critiquent la définition de la mixité sociale donnée par la loi Égalité et Citoyenneté parce qu’elle conduit, selon eux, à sous-estimer les difficultés inhérentes à la spécialisation ethnoraciale de certains ensembles. Les acteurs mulhousiens sont ainsi nombreux à pointer les risques de « communautarisation » de quartiers ou d’immeubles de la ville-centre :
Je suis étonné que vous me posiez la question des populations immigrées car ce n’est pas légal de faire ça. C’est dommage car il y a des risques réels de communautarisation à Mulhouse. Si on pouvait avoir des critères de provenance géographique des populations, ce serait bien car ça éviterait d’avoir trop de concentrations. Dans certains quartiers, on a le « bloc turc », le « bloc roumain », ou le « bloc des Balkans ». Ça pose des problèmes en termes de vivre-ensemble, car dès qu’il y a concentration, il y a contrôle de l’espace public et développement de pratiques qui ne sont pas celles de la République.
11 Le risque de « communautarisme » est systématiquement associé à des groupes ayant un statut minoritaire dans la stratification ethnoraciale. Ce statut est imputé à partir d’une pluralité de critères :
On remarque là-bas [dans un QPV de Saint-Étienne] qu’on a passé un seuil, il n’y a plus de famille d’origine européenne qui veut y aller. On n’a que des demandes de familles maghrébines qui veulent aller là-bas. Et on a de plus en plus de femmes bien voilées. Ça aussi c’est pareil, ce n’est pas évident à l’attribution, parce qu’on n’a pas le droit d’être discriminant mais dans le paysage, j’ai envie de dire, avant il n’y en avait pas, ou des dames qui avaient juste un petit foulard, et là maintenant elles sont habillées tout en noir, des gants, voire certaines on ne voit que les yeux. Bah ça fait peur. Et du coup en se disant, bah c’est bon le quartier il a trop changé, et du coup les départs, les départs, les départs, remplacés par ceux qui veulent bien y aller. C’est comme ça qu’effectivement on perd un peu la main sur la mixité. On n’arrive plus à faire machine arrière. On n’arrive pas.
13 Dans l’expérience de cet enquêté, il est nécessaire de prendre en compte le statut ethnoracial des ménages de manière à favoriser la « mixité » et à éviter le dépassement d’un « seuil » dans la présence du groupe ethnoracial minorisé désigné comme problématique. Cette référence à des concentrations « trop » élevées de groupes ethnoraciaux, explicite dans plusieurs entretiens, révèle la présence toujours active de la perception selon laquelle, une fois un certain seuil franchi, les problèmes d’attribution se déploient en cercle vicieux. Cette référence pratique à des « seuils » à ne pas dépasser est ancienne (Barros, 2005 ; Belmessous, 2013 ; David, 2014). Elle apparaît dans les politiques du logement social dès les années 1950-1970 pour accréditer l’idée qu’au-delà d’un certain seuil de présence de groupes minorisés, l’intolérance est une réaction naturelle et que les acteurs institutionnels peuvent donc légitimement acter ces réactions de rejet en limitant l’accès au parc social pour ces groupes (De Rudder, 1980).
14 Plusieurs interviewés qualifient d’intrinsèquement problématiques les modes de vie – langue, religion, habitudes éducatives, autres traits culturels – de certains groupes minorisés. Toutefois, la majorité d’entre eux soutiennent que ce sont les stratégies résidentielles et les représentations des locataires eux-mêmes qui sont ethnicisées et/ou racialisées, si bien que le processus d’ethnicisation et/ou de racialisation s’imposerait dans leur pratique professionnelle, de manière exogène (Le Bon-Vuylsteke, 2019 : 67-68). Ils se disent aux prises avec les réactions de clients qui, face à la perception de la présence de certains groupes ethnoraciaux dans un immeuble ou un quartier, se plaignent que les « noms sonnent tous “étrangers” » : la présence de ces groupes effraierait les locataires « avec un nom à consonance européenne » [8]. Des enquêtés affirment ainsi se sentir tiraillés par des injonctions contradictoires entre, d’un côté, l’obligation légale de faire des attributions aveugles à la race et à l’ethnicité, et de l’autre, l’expérience des difficultés de gestion – réactions négatives des locataires en place, départs du quartier, nombre croissant de refus de propositions d’attribution – suscitées par la spécialisation ethnoraciale du peuplement : « [Le demandeur] va là-bas, il voit les noms sur les interphones, logique, c’est une personne qui dira d’entrée, non, non, ce n’est pas que je ne veux pas me mélanger, mais je ne veux pas être le seul Européen. » Ce seraient donc les locataires bien classés dans les hiérarchies ethnoraciales qui « demande[raient] de la mixité ethnique » [9]. En veillant à limiter la concentration spatiale de certains groupes ethnoracialisés, bailleurs sociaux et communes ne feraient ainsi que se plier aux demandes de clients constitués en catégories désirables [10].
15 Sur nos terrains d’enquête, les acteurs locaux construisent la désirabilité sociale des ménages en se fondant sur trois principaux types de critères. Tout d’abord, ils mobilisent des critères d’ordre socio-économique : demandeurs et locataires en sécurité d’emploi, jeunes couples en début de parcours professionnel jugé ascendant, étudiants et retraités sont souvent perçus positivement. Ils recourent ensuite à des critères de résidence : le fait de résider sur la commune ou d’entretenir un lien avec elle – la « préférence communale » – est couramment érigé en critère de priorité par les élus et techniciens communaux (Palomares, 2005 ; Girard, 2014 ; Desage, 2016). Enfin, ils utilisent des critères ethnoraciaux : les ménages sont désignés comme plus ou moins désirables selon leur place dans les hiérarchies ethnoraciales. Dans nos entretiens, la catégorie « Européen » est ainsi opposée à d’autres groupes plus ou moins infériorisés sur l’échelle des statuts ethnoraciaux : « Maghrébins », « Africains », « DOM-TOM [11] », mais aussi « Europe de l’Est », « Roms », « Balkans » ou « Turcs ». En fin de compte, la norme ethnoraciale renvoie implicitement à une origine européenne entendue dans un sens restrictif, correspondant aux pays d’Europe occidentale.
Résidence, culture et religion : des racialisations discrètes
16 Les catégories les plus manifestement raciales, c’est-à-dire fondées sur des critères phénotypiques comme la couleur de peau (« Noirs », « Blancs »), ne sont pas absentes des entretiens mais elles y restent rares. Lorsqu’elles sont mobilisées, c’est le plus souvent sur le mode de la mise à distance :
Interviewé·e (I) : Au niveau minorité de pays, par exemple les Syriens vont peut-être rester entre eux parce qu’ils ont vécu la même guerre et qu’ils cherchent des personnes avec qui parler la même langue. Un peu comme les Africains, enfin les gens qui viennent d’Afrique.
Enquêtrice (E) : Pour vous c’est problématique qu’il y ait un entre-soi qui se crée ?
I : Alors moi ça ne me pose pas de souci mais il ne faut pas que ça devienne trop. C’est pour ça que le problème dans les QPV, c’est que c’est vraiment devenu euh… On le sent parce que… Des fois on m’a fait la remarque : « Oui, aux Îles de Mars, il y a de plus en plus de Noirs. »
18 D’autres catégorisations peuvent être lues comme des euphémisations de catégorisations ethnoraciales, illégitimes et donc peu dicibles. Des glissements ou des associations d’idées révèlent ainsi une ethnicisation ou une racialisation de certaines catégories de populations. Par exemple, dans l’échange ci-dessous, le fait que l’interlocuteur finisse par évoquer la montée de l’extrême droite indique qu’il perçoit les ménages à reloger d’un QPV de Mulhouse non seulement comme des ménages pauvres, mais aussi comme appartenant à des groupes ethnoraciaux minorisés :
Après, il y a eu des programmes de réhabilitation comme par exemple quand à Bourtzwiller-Brossolette [un QPV de la ville-centre], il y a 5-10 ans, ils ont détruit des tours. C’est sûr, il a fallu reloger temporairement toutes les personnes qui étaient là. Donc on a été mis à contribution, sur Kingersheim. On a eu des gens qui venaient de là-bas. […] Il y a toujours une forme d’inquiétude. Vous savez, il y a un certain vote à l’extrême, qui dénote des peurs à ce sujet-là.
20 De même, lorsque des acteurs évoquent les « habitants de Montreynaud » (QPV de Saint-Étienne), les « habitants de Beauval » (QPV de Meaux) ou les « Saint-Polois » (habitants d’une commune populaire de l’agglomération dunkerquoise), ils opèrent des catégorisations résidentielles porteuses de connotations sociales et ethnoraciales. Plusieurs entretiens témoignent d’une ethnicisation ou d’une racialisation de catégories de population désignées par leur lieu de résidence (quartier ou commune). Des marqueurs culturels et religieux sont également présents et souvent imbriqués aux marqueurs résidentiels :
On a eu, il n’y a pas longtemps, en début de mandat, en 2015-2016, une famille saint-poloise qui est venue s’intégrer dans un quartier […] où il y a du logement social. Au bout de six mois, ils sont repartis. Ils ne sont pas du tout du tout intégrés. C’est une mentalité de clocher ici, de village. Quand on vient de Dunkerque, de Saint-Pol, même si ce ne sont pas des grandes villes, ce ne sont pas du tout les mêmes mentalités. […] On n’est Bray-Dunois que si on est né dans le lit de notre mère. Alors quand on arrive de Saint-Pol, qu’on est voilée, ben, tout ça, on ne peut pas…
22 L’enquêté établit ici un lien direct entre le fait d’« arriver de Saint-Pol » et le fait d’« être voilée ». Il articule des référents résidentiels et religieux qui désignent et minorent des groupes perçus comme immigrés ou d’origine étrangère. Ces propos témoignent d’un processus de racialisation plus que d’ethnicisation, l’intégration étant présentée comme une affaire d’hérédité : « On n’est Bray-Dunois que si on est né dans le lit de notre mère. » Cette articulation entre référents résidentiels et religieux n’est pas rare dans les discours des acteurs locaux du logement social [12]. Dans l’extrait ci-dessous, la mise en équivalence, par l’opposition, de la catégorie religieuse « musulmans » et de la catégorie raciale « Blancs » illustre également un processus de racialisation de l’islam :
Le communautarisme est devenu très, très présent, partout, hein, partout, partout, partout, donc les filles ne se mélangent pas avec les garçons, les musulmans restent entre eux, les Blancs restent entre eux, c’est très…
24 Ces observations confirment les résultats des recherches existantes sur la construction sociale de l’ethnicité, de la race et du religieux (Amiraux, 2005, 2016 ; Tersigni, Vincent-Mory et Willems, 2019), qui montrent un glissement du marqueur ethnique ou racial vers le marqueur religieux, de plus en plus prégnant et régi par les mêmes processus de racialisation et d’altérisation. L’étude du « racisme religieux » s’est particulièrement développée avec les travaux récents sur l’islamophobie en France (Hajjat et Mohammed, 2013 ; Asal, 2014), qui rendent compte du fait que les identifications de type ethnique, racial et religieux sont de plus en plus imbriquées dans les représentations des acteurs. De fait, il est bien malaisé de distinguer ce qui relève de l’intolérance religieuse, du racisme, de la xénophobie ou du mépris de classe (Galonnier, 2019). Dans le prolongement de ces travaux, notre enquête permet de formuler une hypothèse concernant la saillance des catégories religieuses comme principaux marqueurs de différence ethnoraciale. Tout se passe en effet comme si les référents religieux étaient plus légitimes, et donc plus dicibles, que les référents ethnoraciaux. La construction des « musulmans » comme groupes à risques prend deux formes principales : la religion musulmane est présentée comme une menace pour la bonne gestion du parc social (vacance de logement, troubles de voisinage), mais aussi pour la société dans son ensemble, la question de l’islam étant articulée à celles du communautarisme et de la radicalisation (Mohammed et Talpin, 2018). Les thèmes de la violence, de la guerre et de la menace à l’ordre dit « républicain » sont présents dans certains entretiens, témoignant d’une perception de l’islam comme incompatible avec l’appartenance nationale. Un constat similaire peut être posé quant à l’usage de la catégorie « étrangers » dans nos entretiens. Cette catégorie, juridique en première lecture, est aussi nettement ethnicisée ou racialisée : certains acteurs la mobilisent pour désigner des ménages de nationalité française mais perçus comme étrangers.
25 Les acteurs locaux activent ainsi des classifications ethnoraciales ordinaires (Jounin, Palomares et Rabaud, 2008) pour coder les situations d’attribution des logements sociaux. On peut se demander dans quelle mesure ils mobilisent ces classifications dans leurs pratiques d’attribution. Si notre protocole d’enquête ne permet pas de répondre de façon complète à cette question, les propos de certains des acteurs rencontrés tendent néanmoins à attester que le critère ethnoracial est effectivement pris en compte dans la sélection des ménages et le rapprochement offre-demande. L’extrait suivant éclaire les contradictions dans lesquelles sont pris les acteurs locaux, entre cadre d’action publique officiellement colorblind – autrement dit, aveugle à la race et à l’ethnicité – et pratiques officieuses de classements ethnoraciaux. Il montre aussi que, confrontés à l’illégalité des discriminations, certains organismes cherchent à pérenniser de manière officieuse des pratiques discriminatoires qu’ils jugent légitimes ou qu’ils présentent comme telles (Lemercier et Palomares, 2013).
Pour nous, le sujet, c’est de ne pas s’exposer réglementairement, hein ! On a pris une telle douche avec cette histoire [13]… On en a soupé des trucs où on nous met à l’index alors qu’on pensait bien faire. En termes de surreprésentation d’un type de population, de ghettoïsation, de spécialisation dont on parlait tout à l’heure. Donc ça, nous c’est fini, on est aveugle là-dessus, on est aveugle. […] À la cage d’escalier c’est difficile, malgré tout, parce qu’on s’en rend compte, on fait aussi des bourdes… […] Si on juge que la sociologie déjà implantée dans l’immeuble est lourde, on va essayer de mettre ailleurs ou… […] On n’est pas stupide, les patronymes, on sait encore les reconnaître. Patronymes turcs, patronymes subsahariens… Traoré, Coulibaly… C’est Niger/Mali… On essaie par ces travers-là, de diversifier, de ne plus spécialiser les immeubles.
Que tout change pour que rien ne change ? Les conditions d’inertie des processus d’attribution
27 Les nouvelles règles et répartitions des rôles introduites par la loi Égalité et Citoyenneté constituaient des changements majeurs susceptibles de déstabiliser les catégories et modes d’action des acteurs locaux des politiques d’attribution des logements sociaux. Si le maintien des catégories ethnoraciales antérieures a été possible, c’est que communes et bailleurs sociaux sont parvenus à conserver leur pouvoir sur ces politiques et pratiques. Reste à élucider les conditions de cette inertie [14].
28 Sur nos terrains d’enquête, les intercommunalités ont élaboré des instruments pour mettre en œuvre les principaux objectifs de la loi Égalité et Citoyenneté, notamment celui d’assurer 25 % des attributions hors QPV à destination des demandeurs du premier quartile. Toutefois, l’application de ces instruments se heurte dans les faits à différents obstacles. Premièrement, les dispositifs associés à la loi Égalité et Citoyenneté sont faiblement contraignants. S’il est prévu que l’État exerce un contrôle [15], aucun système de sanction n’a été créé pour permettre aux intercommunalités de veiller au respect des objectifs par les bailleurs sociaux et les communes :
Si on ne respecte pas les objectifs de la CIA [convention intercommunale d’attribution [16]], que se passera-t-il ? Les bailleurs seront convoqués. Il y aura peut-être un chantage aux agréments mais il n’y a pas de système de pénalité.
30 L’absence de dispositif contraignant s’explique par l’hésitation du législateur, pris entre la volonté de renforcer l’échelon intercommunal – gage selon lui d’une gestion plus rationnelle des attributions – et la nécessité de ne pas s’aliéner les communes et les bailleurs. La suppression par la loi ÉLAN [17] de 2018 de la disposition conférant aux représentants des intercommunalités une voix prépondérante dans les commissions d’attribution de logement reflète cette ambivalence.
31 La faiblesse des moyens de pression donnés aux intercommunalités se double d’une difficulté des services déconcentrés de l’État à assurer le suivi et le pilotage de la réforme. Depuis le milieu des années 2000, ces derniers ont fait l’objet de multiples réorganisations dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RÉATE) qui ont considérablement affaibli, dans certains secteurs, leurs capacités d’intervention et de contrainte (Le Lidec, 2007 ; Epstein, 2013 ; Martinais, 2018). Par exemple, les données sont largement manquantes pour caractériser l’évolution de l’occupation du parc social, ce qui renforce une tendance à l’application minimale de la loi :
Les services de l’État ne font pas non plus le nécessaire pour avoir une vraie capacité d’observation d’évolution de nos objectifs […]. L’État fait un peu les choses à l’envers : ils imposent un truc dans les textes de loi sachant que les outils techniques pour les mettre en œuvre n’existent pas […]. On considère que c’est à l’État de mettre en place les outils pour permettre aux collectivités de pouvoir observer ce que l’État souhaite qu’on observe.
33 L’application de la loi Égalité et Citoyenneté se heurte également à des dynamiques plus spécifiquement locales des configurations d’acteurs du logement social (Bourgeois, 1996). L’opposition des bailleurs et des communes explique très largement ces défauts de mise en œuvre. Ces acteurs ont développé des stratégies de neutralisation de la réforme. Du côté des communes, la présence des élus communaux dans les instances localisées de mise en œuvre de la réforme conduit à limiter le pouvoir des intercommunalités dans la définition des orientations politiques locales d’attribution, mais aussi à délégitimer leur rôle dans un champ considéré comme relevant de la relation aux usagers/électeurs (Cordier, 2014). Ainsi à Mulhouse, l’un des deux maires responsables de la réforme à l’échelle intercommunale est ouvertement opposé à l’arrivée de populations précarisées en provenance de la ville-centre dans sa commune, dont il s’est fait le défenseur de « l’esprit villageois ». Dès lors, hormis à Grenoble où l’intercommunalité occupe un rôle plus important dans le domaine de l’habitat, la question des attributions, et plus spécifiquement de la déconcentration de la pauvreté, n’a pas été érigée en priorité sur l’agenda intercommunal :
Le problème c’est que… depuis une bonne dizaine d’années, il n’y a plus de pilote dans l’avion. Alors moi je ne mets pas du tout en cause les techniciens, je les aime bien, ils sont plutôt très rigoureux, précis, plutôt transparents. Mais il y n’a aucun portage politique. Aujourd’hui je dirais même que… ce n’est pas du portage politique qu’il y a, c’est du déportage politique.
35 Sur quatre des six terrains étudiés, la mise en œuvre de la réforme se heurte, par ailleurs, à la faiblesse des technostructures intercommunales. Cette situation s’explique aussi bien par l’absence de portage politique que par les ressources limitées de certaines d’entre elles. Dans les structures intercommunales les plus petites (Meaux) ou se situant dans les territoires les plus pauvres (Dunkerque, Mulhouse, Saint-Étienne), les services intercommunaux de l’habitat ne sont pas toujours en mesure de gérer une réforme qui implique un investissement soutenu pour produire les documents stratégiques et conduire l’animation régulière du vaste réseau d’acteurs intervenant dans les attributions :
[On] ne sait pas comment [on] va pouvoir gérer toutes ces missions. Pour l’instant, [on] prend les dossiers les uns après les autres. Là, on est sur le PLH et le NPNRU [18], mais ensuite, [on va] devoir mettre en œuvre la CIA… Je suis très perplexe. [On] doit installer la commission de coordination, mais pour l’instant, [on] n’a pas avancé. [On n’a] pas eu le temps.
37 Là où les structures intercommunales sont mieux dotées, la mise en œuvre a également pu générer des tensions, comme à Grenoble où les autres acteurs dénoncent la complexification des procédures comme relevant d’une dérive technocratique. Ainsi, les technostructures intercommunales se révèlent soit trop faibles techniquement pour se saisir des questions, soit trop puissantes, ce qui alimente des tensions entre acteurs.
38 De leur côté, les bailleurs sociaux se mobilisent pour obtenir des adaptations aux contextes territoriaux (Saint-Étienne, Mulhouse) ou assurer une application minimale de la loi (Dunkerque, Meaux). À cet égard, l’absence d’instruments adéquats d’observation et de mesure dont disposeraient les autres acteurs constitue une ressource pour les organismes, qui disposent d’outils de connaissance fins de la demande et du peuplement, qu’ils refusent parfois de partager.
39 En fin de compte, de nombreux enquêtés décrivent une distribution des rôles et des politiques d’attribution inchangées. La faible prise de compétence effective des intercommunalités permet le maintien de la logique de préférence communale dans les attributions. L’opposition des bailleurs et des communes à la réforme a consolidé leurs relations, qui se manifestent souvent par des échanges informels permettant à chacun d’intégrer les logiques de l’autre. Les communes restent en position de force pour imposer leurs priorités, en raison de leurs compétences stratégiques dans les domaines de l’autorisation des droits des sols et de la garantie des emprunts, qui intéressent tout particulièrement les bailleurs. La plupart des communes enquêtées sont également des guichets enregistreurs de la demande ; leur connaissance fine de la demande leur confère une place stratégique dans le système d’attribution.
40 Enfin, il est frappant d’observer que la lutte contre les discriminations, en particulier ethnoraciales, est une préoccupation quasi absente des politiques locales. Sur tous les terrains étudiés, les agents ou services en charge de la lutte contre les discriminations apparaissent comme les grands absents : les réformes récentes n’ont pas amené les acteurs locaux à inscrire les discriminations dans l’accès au logement sur l’agenda politique (Cerrato Debenedetti, 2018). Notre enquête tend à montrer que le risque discriminatoire reste saillant.
Conclusion
41 Sur le papier, la loi Égalité et Citoyenneté de janvier 2017 introduit des changements substantiels dans les politiques locales d’attribution et de peuplement. Pourtant, elle échoue, dans sa mise en œuvre, à imposer aux acteurs locaux une redéfinition du principe de mixité sociale selon un critère unique de revenus. Elle ne parvient pas à déstabiliser les catégories et modes d’action des communes et des bailleurs sociaux. Compte tenu de la faiblesse des sanctions en cas de non-application, des difficultés de l’État local à assurer le suivi de la réforme et de la structure des rapports de pouvoir dans les configurations locales d’acteurs, ses mesures sont appliquées a minima sur la plupart des terrains locaux. Si elle produit bien des effets sur les configurations locales, il s’agit le plus souvent d’effets de mobilisation des acteurs dominants en vue de préserver le statu quo sur les politiques et pratiques locales préexistantes.
42 Dès lors, les mécanismes institutionnels de catégorisation des publics du logement social perdurent par-delà la loi. Articulées à d’autres catégorisations (fondées, en particulier, sur des critères socio-économiques et de résidence), l’ethnicité et la race occupent toujours une place saillante dans les représentations sociales des acteurs et la manière dont ils perçoivent les situations d’attribution. Les référents ethnoraciaux les plus explicites (« origine », traits phénotypiques tels que la couleur de peau) étant peu dicibles car peu légitimes, des catégories construites sur des critères de résidence ou de culture sont discrètement ethnicisées et racialisées. La prégnance persistante de ces catégorisations pratiques contribue in fine à la reproduction d’un ordre socio-spatial inégalitaire. L’ethnicisation et la racialisation de certains groupes sociaux conduisent au maintien voire au renforcement de formes de stratification socio-résidentielle (Massey, 2007 ; Safi, 2013) : les groupes minorisés ont moins de chance d’accéder au logement social et aux ensembles ou quartiers les plus demandés. De façon indissociable, les processus d’ethnicisation et de racialisation viennent légitimer le maintien de cet ordre socio-spatial inégalitaire : les groupes sociaux dont les modes de vie et la culture sont désignés comme un problème sont réifiés, le rejet dont ils font l’objet et le racisme sont naturalisés.
43 Les résultats de notre recherche conduisent in fine à interroger les objectifs de la loi eux-mêmes. La loi Égalité et Citoyenneté s’inscrit dans le prolongement des textes qui l’ont précédée depuis les années 1990 en ce qu’elle privilégie l’objectif de déségrégation des quartiers populaires au détriment d’autres objectifs d’action publique : lutter contre les inégalités socio-économiques, répondre aux besoins en logement des ménages les plus vulnérables, combattre les discriminations, défaire la stigmatisation des quartiers populaires et de leurs habitants, travailler à l’émancipation des individus, et donc remettre en cause les rapports sociaux de classe, d’ethnicité, de race ou de résidence qui assignent à chacun une place dans la stratification socio-spatiale. On peut même considérer qu’elle produit des effets qui vont à l’encontre de ces différents objectifs : elle maintient dans l’invisibilité les rapports sociaux ethniques et de race ; elle participe à la stigmatisation des quartiers les plus pauvres désignés par la géographie prioritaire ; elle reste aveugle aux aspirations résidentielles des ménages pauvres et/ou infériorisés dans l’ordre ethnoracial, aux ressources de l’ancrage local et des solidarités communautaires. Trois ans après sa promulgation, il apparaît ainsi plus que jamais indispensable de repenser et de débattre publiquement des critères politiques de justice qui doivent sous-tendre les politiques d’attribution des logements sociaux.
Bibliographie
Références
- Amiraux V., 2005. Existe-t-il une discrimination religieuse des musulmans en France ?, Maghreb-Machrek, 183 (2), 67-82.
- Amiraux V., 2016. Visibility, Transparency and Gossip: How Did the Religion of Some (Muslims) Become the Public Concern of Others?, Critical Research on Religion, 4 (1), 37-56.
- Asal H., 2014. Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. État des lieux de la recherche, Sociologie, 5 (1), 13-29, https://doi.org/10.3917/socio.051.0013.
- Bacqué M.-H., Fol S., 2008. Les politiques de mixité sociale en France : de l’injonction politique nationale aux contradictions locales, in D. Fée, C. Nativel (dir.), Crises et politiques du logement en France et au Royaume-Uni, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 117-133.
- Barker M., 1981. The New Racism: Conservatives and the Ideology of the Tribe, London, Junction Books.
- Barros F. de, 2005. Des « Français musulmans d’Algérie » aux « immigrés ». L’importation de classifications coloniales dans les politiques du logement en France (1950-1970), Actes de la recherche en sciences sociales, 159 (4), 26-53, https://doi.org/10.3917/arss.159.0026.
- Barth F., 1995 [1re éd. 1969]. Les groupes ethniques et leurs frontières, in P. Poutignat, J. Streiff-Fenart, Théories de l’ethnicité, Paris, PUF, 203-249.
- Bataille P., 1997. Le racisme au travail, Paris, La Découverte.
- Belmessous F., 2013. Du « seuil de tolérance » à la « mixité sociale » : répartition et mise à l’écart des immigrés dans l’agglomération lyonnaise (1970-2000), Belgeo, 3, https://doi.org/10.4000/belgeo.11540.
- Berger P. L., Luckmann T., 1966. The Social Construction of Reality: a Treatise in the Sociology of Knowledge, Garden City, Doubleday.
- Bessone M., Sabbagh D. (dir.), 2015. Race, racisme, discriminations. Anthologie de textes fondamentaux, Paris, Hermann Éditeurs.
- Bourgeois C., 1996. L’attribution des logements sociaux. Politique publique et jeux des acteurs locaux, Paris, L’Harmattan.
- Bourgeois M., 2019. Tris et sélections des populations dans le logement social. Une ethnographie comparée de trois villes françaises, Paris, Dalloz.
- Buu-Sao D., Léobal C. (dir.), 2020. Racialisation et action publique, Politix, 131 (3), 7-152.
- Cerrato Debenedetti M.-C., 2018. La lutte contre les discriminations ethnoraciales en France. De l’annonce à l’esquive (1998-2016), Rennes, PUR.
- Collectif API (Béal V., Bourgeois M., Dormois R., Miot Y., Pinson G., Sala Pala V.), 2020. Attributions de logements sociaux, politiques de peuplement et intercommunalités. Quelles recompositions ?, Rapport de recherche final du projet API pour l’Agence nationale de la cohésion de territoires (ANCT), la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l’Institut pour la recherche de la CDC, la direction générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN) du ministère de la Transition écologique et solidaire, le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) et l’Union sociale de l’habitat (USH), Saint-Étienne, Université Jean Monnet Saint-Étienne/Laboratoire Triangle (UMR 5206).
- Cordier M., 2014. Les politiques de peuplement : l’impossible régulation intercommunale ?, in F. Desage, C. Morel Journel, V. Sala Pala (dir.), Le peuplement comme politiques, Rennes, PUR, 259-279, https://doi.org/10.4000/books.pur.59926.
- David C., 2014. Faire du logement social des « immigrés » un problème de peuplement. Configurations politico-administratives et usages des catégories ethno-raciales (Saint-Denis, années 1960-années 1990), in F. Desage, C. Morel Journel, V. Sala Pala (dir.), Le peuplement comme politiques, Rennes, PUR, 307-327, https://doi.org/10.4000/books.pur.59947.
- De Rudder V., 1980. La tolérance s’arrête au seuil, Pluriel-Débat, 21, 3-13.
- De Rudder V., Poiret C., Vourc’h F., 2000. L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve, Paris, PUF.
- Desage F., 2016. « Un peuplement de qualité ». Mise en œuvre de la loi SRU dans le périurbain résidentiel aisé et discrimination discrète, Gouvernement et action publique, 5 (3), 83-112, https://doi.org/10.3917/gap.163.0083.
- Desage F., Morel Journel C., Sala Pala V. (dir.), 2014. Le peuplement comme politiques, Rennes, PUR, https://doi.org/10.4000/books.pur.59815.
- Dijkema C., 2021. Subalternes en France. Une exploration décoloniale de voix, violence et racisme dans les quartiers d’habitat social marginalisés à Grenoble. Thèse pour le doctorat en géographie de l’Université Grenoble Alpes, Grenoble.
- Douglass W. A., Lyman S. M., 1976. L’ethnie : structure, processus et saillance, Cahiers internationaux de sociologie, 61, 197-220, http://www.jstor.org/stable/40689750.
- Dourlens C., Vidal Naquet P., 1987. Ayants droit et territoire. L’attribution des logements sociaux dans le champ de l’expérimentation, La Défense/Aix-en-Provence, Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA)/Centre d’études et de recherche sur les pratiques de l’espace (CERPE).
- Epstein R., 2013. La rénovation urbaine. Démolition-reconstruction de l’État, Paris, Presses de Sciences Po.
- Fassin D., Fassin É. (dir.), 2006. De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte.
- Galonnier J., 2019. Discrimination religieuse ou discrimination raciale ?, Hommes & Migrations, 1324, 29-37, https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.8252.
- Girard V., 2014. Un peuplement au-dessus de tout soupçon ? Le périurbain des classes populaires blanches, Actes de la recherche en sciences sociales, 204 (4), 46-69, https://doi.org/10.3917/arss.204.0046.
- Guillaumin C., 1994. Entrées « Race » et « Racisme », Pluriel Recherches. Vocabulaire historique et critique des relations inter-ethniques, Cahier n° 2, p. 6167.
- Guillaumin C., 2002 [1re éd. 1972]. L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Paris, Gallimard.
- Hajjat A., Mohammed M., 2013. Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris, La Découverte.
- Henderson J., Karn V., 1987. Race, Class and State Housing: Inequality and the Allocation of Public Housing in Britain, Aldershot, Gower.
- Jounin N., Palomares É., Rabaud A., 2008. Ethnicisations ordinaires, voix minoritaires, Sociétés contemporaines, 70 (2), 7-23, https://doi.org/10.3917/soco.070.0007.
- Kirszbaum T., 1999. Les immigrés dans les politiques de l’habitat. Variations locales sur le thème de la diversité, Sociétés contemporaines, 33-34, 87-110, https://doi.org/10.3406/socco.1999.1752.
- Kirszbaum T., 2007. Les élus, la République et la mixité. Variations discursives et mise en débat de la norme nationale de mixité dans neuf communes franciliennes, Rapport de recherche pour le ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables, Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), Paris.
- Lang M., 2021. Luttes définitionnelles autour de la mixité sociale. Sociogenèse de la loi Égalité et Citoyenneté (2013-2017), Rapport de recherche, Programme de recherche API pour l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l’Institut pour la recherche de la CDC, le ministère de la Transition écologique et solidaire, Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) / Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), et l’Union Sociale de l’Habitat (USH), Saint-Étienne, Université Jean Monnet Saint- Étienne / Laboratoire Triangle (UMR 5206).
- Le Bon-Vuylsteke M., 2019. Les recompositions des politiques de peuplement et d’attribution de logements sociaux en contexte de déclin. L’exemple d’un quartier central d’habitat ancien en rénovation urbaine à Saint-Étienne. Mémoire pour le Master 2 Aménagement et urbanisme, mention recherche appliquée, de l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, Paris.
- Le Lidec P., 2007. Le jeu du compromis : l’État et les collectivités territoriales dans la décentralisation en France, Revue française d’administration publique, 121-122 (1-2), 111-130, https://doi.org/10.3917/rfap.121.0111.
- Lemercier É., Palomares É., 2013. La disparition. Le traitement de la « question raciale » dans l’action publique locale de lutte contre les discriminations, Asylon(s), 8, http://www.reseau-terra.eu/article1310.html.
- Lipsky M., 1980. Street-Level Bureaucracy: Dilemmas of the Individual in Public Services, New York, Russell Sage Foundation.
- Lorcerie F. (dir.), 2003. L’école et le défi ethnique. Éducation et intégration, Paris/Issy-les-Moulineaux, Institut national de recherche pédagogique (INRP)/ESF éditeur.
- Lorcerie F. (dir.), 2010. Action publique et discrimination ethnique, Migrations Société, 131 (5), 29-258.
- Martinais E., 2008. Que fait la restructuration de l’État à l’action publique locale ? L’exemple de l’environnement, in M. Huré, M. Rousseau, V. Béal, S. Gardon, M.-C. Meillerand (dir.), (Re)penser les politiques urbaines. Retour sur vingt ans d’action publique dans les villes françaises (1995-2015), La Défense, Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), 153-162.
- Massey D. S., 2007. Categorically Unequal: The American Stratification System, New York, Russell Sage Foundation.
- Mazouz S., 2020. Race, Paris, Anamosa.
- Mohammed M., Talpin J. (dir.), 2018. Communautarisme ?, Paris, PUF.
- Noël O., 1999. Intermédiaires sociaux et entreprises : des coproducteurs de discriminations ?, Hommes & Migrations, 1219, 5-12, https://doi.org/10.3406/homig.1999.3320.
- Palomares É., 2005. L’ethnicisation des politiques locales et sociales, Contretemps, 13, 93-202.
- Palomares É., 2008. Itinéraire du credo de la « mixité sociale », Revue Projet, 307 (6), 23-29, https://doi.org/10.3917/pro.307.0023.
- Pinson G., Sala Pala V., 2007. Peut-on vraiment se passer de l’entretien en sociologie de l’action publique ?, Revue française de science politique, 57 (5), 555-597, https://doi.org/10.3917/rfsp.575.0555.
- Poutignat P., Streiff-Fenart J., 1995. Théories de l’ethnicité, Paris, PUF.
- Rinaudo C., 1999. L’ethnicité dans la cité. Jeux et enjeux de la catégorisation ethnique, Paris, L’Harmattan.
- Safi M., 2013. Les inégalités ethno-raciales, Paris, La Découverte.
- Sala Pala V., 2013. Discriminations ethniques. Les politiques du logement social en France et au Royaume-Uni, Rennes, PUR.
- Simon P., 1999. La gestion politique des immigrés : la diversion par la réforme urbaine, Sociétés contemporaines, 33-34, 5-13, https://doi.org/10.3406/socco.1999.1748.
- Simon P., 2003. Le logement social en France et la gestion des « populations à risques », Hommes & Migrations, 1246, 76-91, https://doi.org/10.3406/homig.2003.4096.
- Simon P.-J., 2006. Pour une sociologie des relations interethniques et des minorités, Rennes, PUR.
- Talpin J., Balazard H., Carrel M., Hadj Belgacem S., Kaya S., Purenne A., Roux G., 2021. L’épreuve de la discrimination. Enquête dans les quartiers populaires, Paris, PUF.
- Tanter A., Toubon J.-C., 1999. Mixité sociale et politique de peuplement. Genèse de l’ethnicisation des opérations de réhabilitation, Sociétés contemporaines, 33-34, 59-86, https://doi.org/10.3406/socco.1999.1751.
- Tersigni S., Vincent-Mory C., Willems M.-C. (dir.), 2019. Appartenances in-désirables. Le religieux au prisme de l’ethnicisation et de la racisation, Paris, Éditions Pétra.
- Tissot S., 2005. Une « discrimination informelle » ? Usage du concept de mixité sociale dans la gestion des attributions de logements HLM, Actes de la recherche en sciences sociales, 159 (4), 54-69, https://doi.org/10.3917/arss.159.0054.
Mots-clés éditeurs : mixité sociale, catégorisations, résidence, race, religion
Date de mise en ligne : 01/04/2022.
https://doi.org/10.3917/tt.039.0215Notes
-
[1]
Le collectif API (« Attributions des logements sociaux, politiques de peuplement et intercommunalités : quelles recompositions ? ») est composé de Vincent Béal, Marine Bourgeois, Rémi Dormois, Yoan Miot, Gilles Pinson et Valérie Sala Pala. Pour plus d’informations sur ce programme de recherche, cf. la note 4 du présent article.
-
[2]
Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Cette loi trouve sa genèse dans les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris. Dans son discours du 20 janvier 2015, le Premier ministre, Manuel Valls, établit un lien explicite entre ces attentats et la ségrégation socio-spatiale. Évoquant un « apartheid territorial, social, ethnique », il en appelle à la mise en place de « politiques de peuplement pour lutter contre la ghettoïsation et la ségrégation ». Cf. Le Monde avec AFP, « Manuel Valls évoque “un apartheid territorial, social, ethnique” en France », Le Monde, 20 janvier 2015, https://www.lemonde.fr/politique/article/2015/01/20/pour-manuel-valls-il-existe-un-apartheid-territorial-social-ethnique-en-france_4559714_823448.html [consulté le 28/10/2021] ; Judith Waintraub et Anne Rovan, « Manuel Valls veut imposer la mixité sociale », Le Figaro, 23 janvier 2015, https://www.lefigaro.fr/politique/2015/01/23/01002-20150123ARTFIG00455-manuel-valls-veut-imposer-la-mixite-sociale.php [consulté le 28/10/2021].
-
[3]
Ces deux mesures s’imposent à tout établissement public de coopération intercommunale (EPCI ; structure administrative regroupant des communes souhaitant développer des compétences en commun) tenu d’élaborer un programme local de l’habitat (PLH), ou qui exerce la compétence habitat et compte au moins un QPV sur son territoire.
-
[4]
La recherche API (2017-2020), coordonnée par l’université Jean Monnet Saint-Étienne et le laboratoire Triangle (UMR 5206), a bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la Banque des territoires de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), de l’Institut pour la recherche de la CDC, du ministère de la Transition écologique et solidaire, Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) / Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), et de l’Union Sociale de l’Habitat (USH). L’Assemblée des communautés de France (AdCF) et le Défenseur des droits en sont également partenaires. L’équipe de recherche est composée de Vincent Béal, Marine Bourgeois, Rémi Dormois, Yoan Miot, Gilles Pinson et Valérie Sala Pala. Des étudiant·e·s de master y ont également participé : Lola Courcoux, Romane Gadé, Lucas Ghosn, Manon Le Bon-Vuylsteke, Marie-Laurence Royer et Maud Terreau. Nous tenons à les remercier pour la grande qualité de leur travail. La recherche API a été coordonnée par Valérie Sala Pala et Rémi Dormois, avec l’appui de Marine Bourgeois dans le cadre d’un postdoctorat. Elle a été prolongée en 2021 par une recherche postdoctorale de Marion Lang relative à la sociogenèse du volet logement de la loi Égalité et Citoyenneté (Lang, 2021) et un stage de master de Damien Dely.
-
[5]
La Participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), rendue obligatoire par l’État en 1953 pour les entreprises du secteur privé non agricole, devient en 2009 le dispositif « Action Logement ». À l’origine, ces entreprises devaient consacrer 1 % de leur masse salariale au financement de la résidence principale des salariés. Après des baisses successives, ce taux est fixé depuis 1992 à 0,45 %. Dans le présent article, Action Logement désigne les organisations en charge de ce dispositif.
-
[6]
Le caractère peu dicible de l’ethnicité et de la race dans le contexte national a d’ailleurs parfois été relevé par les enquêtés eux-mêmes : « En fait, en France, on refuse de parler de la question ethnique parce que c’est malpoli, ce n’est pas propre, sauf qu’en fait, elle est très utilisée, de manière plus ou moins insidieuse. Donc c’est pas posé sur la table, c’est un peu ce que je vous disais sur les motifs de refus qui sont très carrés quoi. » (Bailleur social, Grenoble-Alpes Métropole, 2018).
-
[7]
Nous rendons compte de l’identité des enquêtés en veillant à garantir leur anonymat. Nous le faisons de manière volontairement floue lorsque les propos tenus ont un caractère sensible.
-
[8]
Bailleur social, Saint-Étienne Métropole, 2019.
-
[9]
Ibid.
-
[10]
On peut ici faire un parallèle avec les mécanismes observés dans d’autres champs sociaux tels que l’emploi, l’école ou l’orientation professionnelle, dans lesquels les acteurs (employeurs, institutions scolaires, intermédiaires du marché de l’emploi ou de l’orientation) justifient des traitements discriminatoires par les attentes des clients ou usagers construits comme désirables, normaux ou ne posant pas problème (Bataille, 1997 ; Noël, 1999 ; Lorcerie, 2003). De ce point de vue, on peut considérer qu’il y a coproduction des catégorisations ethnoraciales voire des discriminations par les acteurs institutionnels et par les clients/usagers.
-
[11]
Départements d’outre-mer et territoires d’outre-mer.
-
[12]
De façon plus générale, l’articulation entre la stigmatisation d’un groupe défini par son statut résidentiel, à savoir les habitants des quartiers populaires, et la mobilisation de référents sociaux, ethnoraciaux et religieux désignant ce groupe, dans le contexte français, a été analysée dans différents travaux qui montrent la forte imbrication de ces formes d’altérisation (cf. notamment Dijkema, 2021 ; Talpin et al., 2021).
-
[13]
Il est ici fait référence à une condamnation de ce bailleur social pour fichage ethnique et discrimination raciale.
-
[14]
Nous développons l’analyse de ces conditions dans le rapport final de notre recherche (Collectif API, 2020).
-
[15]
La loi Égalité et Citoyenneté prévoit bien que « [l]orsque l’objectif d’attribution fixé pour chaque bailleur n’est pas atteint, le représentant de l’État dans le département procède à l’attribution aux publics concernés d’un nombre de logements équivalent au nombre de logements restant à attribuer sur les différents contingents » (Art. L441-1), mais, sur nos terrains, les acteurs locaux ne se sont pas saisis de cette disposition.
-
[16]
La CIA, instrument central de la loi Égalité et Citoyenneté, est un document contractuel et opérationnel qui décline localement les règles nationales et précise les engagements des principaux acteurs.
-
[17]
Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN).
-
[18]
Nouveau programme national de renouvellement urbain.