Couverture de TT_034

Article de revue

Communauté professionnelle et destin commun

Les ressorts contrastés de la mobilisation collective des chauffeurs de VTC

Pages 91 à 114

Notes

  • [1]
    Nous remercions, pour leurs remarques précieuses, les coordinateur.rices du dossier et les relecteur.rices de notre article, ainsi que les collègues de l’ANR Capla et de l’IRISSO.
  • [2]
    Voir Collovald et Mathieu (2009), Hmed (2007), Mathieu (2001), Maurer et Pierru (2001), Siméant (1998).
  • [3]
    On peut se référer aux travaux sur le poujadisme (Gresle, 1983 ; Souillac, 2007), ou plus récemment sur les mobilisations des buralistes (Frau, 2014). Les enquêtes de Marc Milet (2008 a et b) sur l’Union professionnelle artisanale permettent néanmoins déjà de saisir les déclinaisons sociales des positions et revendications de certaines organisations d’indépendants.
  • [4]
    À l’exception d’un seul avec lequel nous avons néanmoins échangé de manière informelle lors de diverses actions collectives.
  • [5]
    Elle s’inscrit dans une recherche collective consacrée au capitalisme de plateforme (ANR Capla).
  • [6]
    Voir notamment les enquêtes de J. Sinigaglia sur les intermittents (2012), de C. Avril sur les aides à domicile (2009) ou encore d’A. Collovald et L. Mathieu sur les salariés de la grande distribution culturelle (2009).
  • [7]
    Cette dernière consiste en une exonération partielle des cotisations sociales au démarrage de l’entreprise, sous conditions d’âge et de situation socio-administrative. L’aide dure un an pour les entreprises classiques, et peut durer jusqu’à trois ans lorsque le démarrage se fait sous le statut d’auto/micro-entrepreneur.
  • [8]
    Société par actions simplifiées unipersonnelle.
  • [9]
    Jérémy Sinigaglia (2007) observe ainsi que les participants à la mobilisation des intermittents se recrutent principalement parmi ceux qui ne sont ni complètement à l’abri ni les plus précarisés.
  • [10]
    On retrouve donc les mêmes difficultés et ambiguïtés pour les représentants des chauffeurs que celles rencontrées par les représentants agricoles analysés par Sylvain Maresca (1981).
  • [11]
    En ce sens, on notera le même processus à l’œuvre dans le cas des intermittents étudiés par Jérémy Sinigaglia (2007) qui, d’une lutte contre la précarité spécifique à leur situation, finissent par se mobiliser contre la précarité en général.
  • [12]
    Nous retrouvons alors dans une version moins formalisée d’engagement la « matrice algérienne » dont parle Pitti pour décrire la généalogie de la cause algérienne dans les grèves d’OS de 1968 à 1975 (Pitti, 2006).
  • [13]
    Des questions proches ont été traitées par Johsua (2013) quand elle observe la position centrale de jeunes hommes et femmes d’origine juive dont les familles ont été touchées par le génocide dans l’extrême gauche des années 1968. Des enquêtes récentes ont également exploré des formes de socialisation politique dans les quartiers populaires qui prennent appui sur des identifications racisées ou religieuses (voir notamment Talpin, O’Miel et Frégosi, 2017)
  • [14]
    Les Chibanis sont des cheminots d’origine marocaine embauchés par la SNCF dans les années 1970 à des conditions désavantageuses. Ils ont récemment gagné en 2018 un procès pour discrimination à l’encontre de leur employeur (Chappe et Keyhani, 2018).

1L’entreprise Uber [1] est devenue l’emblème d’un modèle économique dans lequel les entreprises ne seraient que des plateformes, jouant le rôle d’intermédiaires entre clients et prestataires de service, ces derniers exerçant le plus souvent en qualité d’indépendants. En reprenant les critères proposés par Dupuy et Larré (1998) pour étudier les formes hybrides de mobilisation du travail (l’organisation de la contribution du travailleur au produit et la répartition des risques liés à l’activité de travail), ces « entrepreneurs » assument les risques liés à l’activité (investissement, clientèle, risque physique) tout en étant peu autonomes dans l’organisation de l’activité (prix fixés par la plateforme, contrôle exercé par les consommateurs, pouvoir de sanction de la plateforme). Les plateformes constituent ainsi un nouvel espace de contournement du droit du travail dans lequel les travailleurs sont atomisés, en concurrence les uns avec les autres, et à l’écart des régulations et des représentations collectives (Abdelnour et Bernard, 2018).

2La plateforme Uber est apparue en France en 2012 à la faveur de la dérégulation du secteur des taxis et de la transformation de l’ancienne Grande Remise en secteur du VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur) en 2009. À côté des taxis, l’activité de Grande Remise proposait ainsi un service de luxe consistant en la mise à disposition de voitures « haut-de-gamme » avec chauffeur, uniquement sur commande et pour une destination définie. En se positionnant sur ce secteur et en externalisant les chauffeurs, Uber a permis la généralisation de ce service au-delà de la niche du transport de luxe. Très rapidement, l’entreprise s’impose comme le leader du secteur et, à ce titre, est identifiée par les chauffeurs mobilisés comme l’ennemi contre lequel se positionner. En quelques années, le nombre de licences de VTC délivrées explose : le registre du VTC décompte à ce jour plus de 29 000 chauffeurs en France (dont 22 000 en Île-de-France). En dépit de l’attractivité apparente du secteur, un premier rassemblement de chauffeurs a pourtant lieu en octobre 2015 devant le siège d’Uber pour dénoncer la baisse des tarifs. Dès lors, des mobilisations apparaissent régulièrement. Progressivement, le mouvement se structure, autour de meneurs et d’organisations, dont certaines vont se rapprocher des syndicats de travailleurs.

3L’action collective des chauffeurs de VTC se heurte pourtant a priori à des obstacles majeurs. Certains ont pu être analysés dans une littérature portant sur les mobilisations dites « improbables » [2] : atomisation du travail, précarité des revenus et des statuts, faible ancienneté professionnelle, ou encore implantation syndicale faible. Une série de difficultés sont plus spécifiques et tiennent au fait que les chauffeurs sont des travailleurs indépendants. La particularité de ce statut peut les amener à se penser davantage comme concurrents que comme solidaires. Elle implique aussi qu’ils ne disposent ni de structures de représentation ni de protection en cas de cessation de l’activité. Peu d’études portent d’ailleurs sur des mobilisations de travailleurs indépendants, ou, du moins, celles que l’on connaît sont surtout des mobilisations contre l’État, et plus précisément son volet régulationniste ou fiscal [3]. Or, ici, rien de cela, mais bien une mobilisation de jeunes travailleurs indépendants qui demandent des formes d’intervention publique contre une entreprise qui ressemble à un employeur. Si ces formes de protestation révèlent d’une certaine manière la situation de quasi-salariat des chauffeurs, il n’en reste pas moins que leur statut formel d’indépendant a des conséquences pratiques et symboliques a priori orthogonales à l’action collective.

4Cet article interroge donc la capacité de ces travailleurs indépendants, souvent jeunes et sans expérience syndicale, à former un collectif, qui plus est un collectif protestataire. Il s’agira alors d’analyser les vecteurs de socialisation professionnelle et militante dans un univers qui semble pourtant dérégulé et atomisé. L’enquête permettra également de mettre en évidence un troisième type de socialisation reposant sur une identification en tant que jeunes des quartiers populaires issus de l’immigration postcoloniale. Comment s’articulent ces trois formes de socialisations ? En quoi favorisent-elles l’émergence d’un collectif ? Mais en quoi sont-elles également sources de divisions et de tensions ? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur un matériau comprenant des observations des événements collectifs (manifestations, réunions, procès), des entretiens avec les chauffeurs – dont huit enregistrés menés hors mobilisation avec l’ensemble des « meneurs » [4] (annexe 1) –, des entretiens informels avec des dizaines de chauffeurs rencontrés au cours des mobilisations, ainsi que le suivi des échanges sur des pages Facebook. L’enquête, démarrée en 2015 [5], permet de saisir les actions collectives à l’aune des trajectoires professionnelles et des modalités de travail des chauffeurs, clé de lecture précieuse dans d’autres enquêtes [6].

5Nous verrons d’abord comment l’expérience professionnelle de chauffeurs Uber a rapidement basculé, pour nombre d’entre eux, de l’espoir d’ascension sociale à la désillusion. Puis il s’agira d’analyser le passage du mécontentement à la mobilisation collective, des conditions de constitution d’une cause commune aux mécanismes de production de solidarité et d’encadrement de l’action collective. Nous verrons ainsi que la mobilisation naît dans les franges les plus anciennes des chauffeurs pour s’étendre ensuite aux chauffeurs récents dans la profession. Alors que les premiers s’appuient sur des mécanismes d’appartenance professionnelle « classique » – dans notre cas, la défense d’une prestation « haut-de-gamme » –, les seconds mettent plutôt en avant la communauté de destin migratoire. Il s’agira de saisir conjointement les vecteurs de solidarité et de divisions qui traversent cette communauté professionnelle mobilisée.

La genèse de la déception professionnelle : de la planche de salut à la désillusion

6Si les analyses en termes de « frustration relative » ont fait l’objet de nombreuses critiques, cette notion peut pourtant « continuer à jouer un rôle heuristique au sein de la sociologie de l’action collective » (Corcuff, 2016 : 247). En rejetant ces perspectives, au motif de se défaire d’une représentation référant une cause mécanique et exclusive à l’action collective, « on risque d’oublier combien les situations vécues dans le travail et hors-travail constituent des expériences éprouvantes ; celles-ci, même si elles suscitent toute une série de mécontentements dispersés, vécus sur un mode individuel et dénués de toute orientation politiquement constituée, n’en préparent pas moins une base d’échanges entre des salariés désunis, pouvant devenir une ressource d’impulsion à une action collective » (Collovald et Mathieu, 2009 : 125). Les désillusions qui ont succédé aux espoirs d’ascension sociale nourris par les chauffeurs de VTC sont ainsi un des ferments de la mobilisation collective qui a débuté à l’automne 2015.

Des espoirs d’ascension sociale

7Les chauffeurs mobilisés partagent des caractéristiques sociales et biographiques communes. Il s’agit d’une population très majoritairement masculine, plutôt jeune et en moyenne peu diplômée. La plupart sont des immigrés ou enfants d’immigrés (d’anciens pays colonisés d’Afrique du Nord essentiellement) issus des quartiers populaires. Fréquemment passés par le chômage, ils ont souvent eu une première expérience professionnelle dans la logistique ou le transport (cariste, coursier, conducteur de cars, etc.). Si certains évoquent les discriminations dont ils ont pu être victimes, que ce soit pour trouver un emploi ou pour faire carrière, tous insistent sur la précarité et la pénibilité des conditions de travail, ainsi que sur le faible niveau de rémunérations qui caractérisent ces précédentes expériences professionnelles. Nombre d’entre eux ont connu des horaires flexibles et « atypiques », ainsi qu’une forte incertitude salariale. Au regard de leur faible niveau de diplôme, ils se voient cantonnés aux emplois pénibles et précaires.

8C’est souvent en voyant des membres de leur entourage devenir chauffeur de VTC que d’autres perspectives s’ouvrent soudain à eux. Circulant dorénavant en berline et disant bien gagner leur vie, ces proches symbolisent un modèle de réussite apparemment simple et accessible :

9

Je l’ai entendu par un collègue qui m’a dit : « Tu n’as pas besoin de carte, elle est facile à avoir, je vais t’expliquer, en une semaine, tu deviens chauffeur et tu gagnes bien ta vie. »
(Jamal)

10Le métier de chauffeur de VTC est alors appréhendé comme une planche de salut amenant ces jeunes des quartiers populaires à renoncer au salariat pour tenter leur chance en tant que travailleurs indépendants. Ces trajectoires présentent en cela des similitudes avec celles des représentants de commerce pour lesquels le commerce peut être vu comme une voie pour échapper à sa condition (Bernard S., 2018). Au regard des emplois qu’ils pourraient occuper en fonction de leur faible niveau de diplôme, ceux-ci préfèrent ainsi renoncer à la sécurité d’un salaire fixe mais faible, pour l’insécurité d’un salaire variable mais potentiellement élevé. Dans la même perspective, Lise Bernard observe qu’« en définissant les agents immobiliers uniquement en termes de “manques” (absence des sécurités du salariat stable ; absence de patrimoine professionnel), on passerait à côté d’un élément essentiel : tout aussi vulnérable qu’elle soit, leur position laisse la porte ouverte à de nombreux espoirs » (2017). De même, l’attrait pour le métier de chauffeur de VTC se justifie par les potentialités qu’il offre, les espoirs qu’il autorise. Ceux-ci sont confortés par la situation de membres de leur entourage ayant « réussi ». Le ressort commun réside dans des espoirs d’ascension sociale, permis par l’accès à l’indépendance et par la hausse des rémunérations. Si les proches constituent ainsi un important canal de « recrutement » des chauffeurs de VTC pour les applications, celles-ci initient en parallèle des opérations de communication pour attirer les candidats. En mai 2016, la campagne « 70 000 entrepreneurs », en partenariat avec Pôle Emploi notamment, consistait ainsi à installer des points d’information dans plusieurs communes populaires d’Île-de-France pour « faciliter la création d’une entreprise de VTC ». En ciblant ces communes, l’objectif est bien de « recruter » une population spécifique. Ces deux canaux de recrutement (les proches et les opérations de communication) participent ainsi d’un processus d’homogénéisation des profils et des trajectoires des chauffeurs de VTC « qui tissent entre eux des plages d’entente possibles » (Collovald et Mathieu, 2009 : 125).

11Les premières années, devenir chauffeur de VTC se révèle une opération lucrative. Comme le note Tarik, « l’ubérisation, ça s’installe à coup de primes ». Au départ, il suffisait de se connecter à l’application pour gagner de l’argent. Des primes étaient également offertes aux chauffeurs en fonction du nombre de courses réalisées, l’objectif étant de les fidéliser à l’application. Instaurées pour inciter les chauffeurs à utiliser l’application, celles-ci leur permettent en effet de s’assurer un niveau de rémunération plutôt élevé. De plus, en raison de leur (jeune) âge ou de leur statut de chômeur, une partie des chauffeurs de VTC bénéficient d’aides comme l’Accre (Aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d’entreprise) [7], réaffirmant « l’adossement crucial des auto-entrepreneurs au système salarial » (Abdelnour, 2017). Grâce aux primes délivrées par Uber et aux aides étatiques, la situation des chauffeurs est ainsi favorable durant ces premières années. Ils affirment également apprécier l’autonomie dont ils disposent dans l’organisation de leur temps de travail. Pour ces populations peu diplômées, ayant fait l’expérience d’emplois d’exécution précaires, pénibles et faiblement rémunérés, devenir chauffeur de VTC constitue ainsi une opportunité d’ascension sociale inespérée. La situation va pourtant se détériorer à l’automne 2015.

Désillusions et premières contestations

12En octobre 2015, l’entreprise Uber baisse le prix des courses de 20 % sur le service UberX assuré par des professionnels. Cette décision fait suite à l’interdiction du service UberPop, assuré par des particuliers, et marque ainsi la volonté de maintenir des prix inférieurs à ceux des taxis. Dès cette annonce, une action collective s’organise sur deux sites : un blocage en voiture à la porte Maillot et une manifestation devant le siège d’Uber. Des appels à la mobilisation sont diffusés sur des pages Facebook et des boucles WhatsApp utilisées initialement par des chauffeurs pour des visées professionnelles (échange de conseils et de contacts, courses privées, etc.). Outre la réduction des rémunérations des chauffeurs, cette baisse unilatérale est vécue comme une provocation et comme une illustration de l’absence d’indépendance des chauffeurs concernant les tarifs de leurs prestations.

13Ces mouvements constituent des moments forts d’énonciation des déceptions dont les chauffeurs font l’expérience, éclairant les motifs de la protestation. Ils dénoncent une dégradation des conditions d’exercice du métier qui vient contrarier leurs espérances d’ascension sociale. Ils évoquent ainsi la baisse des prix, la hausse des commissions (qui passe en 2016 de 20 % à 25 %), le nombre croissant de chauffeurs, toutes raisons qui grèvent leur chiffre d’affaires et les contraignent à de longues durées du travail. Les primes offertes par Uber au moment de l’implantation de la plateforme en France ont également été supprimées. Nombreux sont alors ceux qui nous présentent un calcul rapide de leur chiffre d’affaires quotidien mis en regard de toutes leurs dépenses : voiture, assurance, essence, cotisations, impôts, comptable, ou encore amendes. Et de conclure alors qu’il leur faut travailler de 13 heures à 14 heures par jour, et ce 7 jours sur 7, pour s’assurer un salaire légèrement supérieur au SMIC. Certains renoncent ainsi à leur projet entrepreneurial pour retourner à un emploi salarié d’exécution. À cette occasion, plusieurs nous disent avoir le sentiment de s’être fait « piéger », dans la mesure où Uber les aurait incités à devenir chauffeur en leur promettant des niveaux de rémunérations élevés, pour finalement les réduire en « esclavage ».

14Toutefois, la dégradation des conditions de travail et de rémunération ne peut se limiter à l’évolution des plateformes, de leur positionnement et de leur stratégie. Elle doit aussi être pensée à l’aune de la situation des chauffeurs. Ces derniers font en effet parfois l’expérience d’un effet de ciseau, lié à leur passage en société, à l’arrêt de leur précédent emploi ou encore à la suspension des aides étatiques (et notamment l’Accre). Quand ces aides s’arrêtent, l’équilibre financier de leur activité se trouve remis en question et leur situation peut alors nettement se détériorer. Les chauffeurs sont rapidement confrontés au durcissement des conditions de travail et se retrouvent alors piégés, notamment par leur crédit. C’est le cas de Marc, salarié pendant neuf ans d’une entreprise dans laquelle il évolue du service courrier au métier de chauffeur, via une étape intermédiaire de gestion de la flotte des voitures. Au moment où le service de chauffeur est remis en question dans l’entreprise, il passe sa formation VTC et démarre son activité en 2013, d’abord en autoentrepreneur, en SASU [8] ensuite. Il s’en remet alors exclusivement à la plateforme Uber, mais la satisfaction sera de courte durée :

15

Quand je suis arrivé, il n’y avait qu’Uber ou la Grande Remise, enfin VTC. En VTC, ils ne prenaient pas les BM, donc j’ai essayé chez Uber. Effectivement, j’ai bien travaillé, ça m’a ramené un peu d’argent. Après, j’ai reçu le premier texto d’Uber disant qu’il allait falloir changer mon véhicule deux mois après, parce qu’il allait avoir quatre ans. […] C’est là que ça a commencé à être n’importe quoi pour moi.

16Marc décline l’ensemble des dépenses liées à l’activité, évoque le chiffre d’affaires qui baisse, raconte son retard dans le paiement des loyers et du crédit, et finit par avouer qu’il est retourné vivre chez sa mère pour éviter le surendettement. La déception est à la hauteur de l’investissement matériel et symbolique lié à un changement d’activité, qui l’a conduit à quitter un emploi salarié et emprunter 27 000 € pour acheter un premier puis un second véhicule. À l’image de Marc, cette désillusion est liée aux trajectoires des chauffeurs, qui projetaient dans le métier de VTC les espoirs d’une ascension sociale. Ce sont donc, à l’instar d’autres mouvements [9], des chauffeurs investis dans le métier – financièrement et symboliquement – qui se retrouvent à participer aux manifestations. Les initiateurs du mouvement ont aussi une ancienneté suffisante pour avoir connu un « avant » plus favorable, conçu comme point de référence normatif, permettant la formulation d’un sentiment d’injustice qui devient le fondement d’une action collective (Benquet, 2010). Ces désillusions les amènent « à se reconnaître suffisamment de propriétés communes avec leurs collègues pour rapprocher leur situation et commencer à construire une identité collective » (Collovald et Mathieu, 2009 : 129). Cependant, l’intensité de ces griefs ne préjuge pas du fait qu’elle débouche sur une contestation collective. Cela suppose l’existence de relais pour transformer ces déceptions en une forme collective contestataire.

Une socialisation par le haut et une socialisation par le bas ?

17Si de premières mobilisations spontanées ont émergé rapidement en 2015, leur apparition semble pour partie liée à l’existence très précoce d’associations professionnelles à résonnance syndicale, et disposant d’une légitimité auprès des chauffeurs. Un segment des chauffeurs mobilisés partageait ainsi, depuis quelques années parfois, une identité professionnelle « haut-de-gamme ». D’autres chauffeurs ont rejoint le mouvement plus tard, partageant une solidarité davantage liée à de fortes proximités sociales. 

La construction d’une communauté professionnelle « haut-de-gamme »

18L’émergence des premières actions collectives tient en partie à l’implantation précoce d’organisations professionnelles. Ces dernières ont participé à la construction de revendications communes, qui correspondent à une identité professionnelle spécifique, tournée vers le haut de la hiérarchie des chauffeurs. Au moment de la première mobilisation d’octobre 2015, des organisations à caractère syndical ont déjà vu le jour. C’est le cas de la section Unsa VTC, enregistrée officiellement en octobre 2015 après quelques mois d’existence pratique, devenue en mai 2017 un syndicat autonome : le Syndicat des Chauffeurs Privés (SCP VTC). L’association Capa-VTC est, quant à elle, créée à l’été 2015, transformée en FO-Capa VTC en avril 2017.

19De prime abord, les entrepreneurs de mobilisation semblent pourtant éloignés du syndicalisme, comme le déclarent ces deux leaders :

20

Je n’ai jamais été syndiqué avant. Pour moi, les gens qui faisaient grève, avant, c’était incompréhensible, pour vous dire.
(Jamal)

21

Je ne suis pas syndicaliste, je déteste les syndicats, mais c’est un moyen pour réclamer.
(Tarik)

22Ces affirmations cachent néanmoins des pratiques « proto-contestataires » préalables : plusieurs meneurs du mouvement ont en effet connu un conflit avec la direction dans leur précédent emploi. Ainsi, un des fondateurs de la section Unsa a monté et gagné un contentieux aux prud’hommes pour licenciement abusif contre le sous-traitant de la SNCF pour lequel il travaillait. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il a rencontré un permanent syndical, rejoignant par la suite la structure de SCP-VTC. Plus largement, cet affichage critique contre le syndicalisme doit être compris dans son ambivalence, puisque les fondateurs des associations professionnelles de chauffeurs travaillent systématiquement de manière étroite avec des figures nettement plus proches du monde syndical.

23Partager une condition professionnelle commune participe à légitimer ces représentants, les inclinations à s’engager passant par des appréciations portées sur les personnalités de ces derniers (Collovald et Mathieu, 2009). C’est parce que les représentants de l’Unsa VTC et de Capa-VTC sont du métier qu’ils ont une légitimité à porter la parole du collectif de travail. Lors d’une tentative de rapprochement d’un représentant de la CFDT en 2017, ce dernier a ainsi été l’objet de railleries : travaillant à la SNCF, il a couramment été désigné par les manifestants comme le « chauffeur de trains ». Face à cette hostilité récurrente, il décide d’ailleurs de laisser sa place à Yazid, chauffeur de VTC, présentant un profil similaire à celui des représentants des autres organisations de chauffeurs [10].

24Les meneurs sont donc des chauffeurs, mais aussi plus précisément pour certains d’entre eux, des chauffeurs appartenant à la frange la plus qualifiée du métier. À l’instar des autres chauffeurs rencontrés, les leaders du mouvement sont issus de milieux populaires (pères ouvriers, employés ou petits commerçants), d’origine immigrée, et ont commencé à travailler tôt, en étant régulièrement exposés au chômage et à la précarité. Ils ont en revanche pour particularité d’avoir exercé en tant que chauffeurs de Grande Remise. À cette occasion, ils ont acheté une voiture et développé leur clientèle, accédant à des niveaux de rémunérations élevées et se ménageant une situation relativement confortable. L’arrivée d’Uber va les impacter de plein fouet. Certains faisant partie des chauffeurs démarchés par Uber au moment de son implantation en France, ils tirent parti des primes offertes mais sont ensuite touchés par la concurrence de l’application qui met à mal la position professionnelle qu’ils étaient parvenus à atteindre :

25

Avant on avait un système, un modèle, on travaillait tous 35 heures ou 40 heures par semaine, on arrivait à voir nos femmes et nos enfants. Nous, on est dans un monde, on fait 70 heures par semaine, on ne voit plus nos familles. La pire tristesse dans cette histoire-là, c’est les miettes de pain qu’on est payés pour sacrifier nos familles.
(Tarik)

26L’arrivée de Uber vient ainsi remettre en cause la rentabilité de leur entreprise et va à l’encontre de l’identité « haut-de-gamme » que ces chauffeurs associent au métier. C’est un des motifs de leur engagement dans le mouvement que de renouer avec ce modèle. Comme d’autres enquêtes l’ont démontré, les entrepreneurs de causes « dominées » font bien souvent partie des moins dominés (Hmed, 2007 ; Mathieu, 2001 ; Siméant, 1998) :

27

La majorité des chauffeurs, vous avez remarqué, qui sont dans notre grève, ce sont des indépendants, c’est-à-dire les meilleurs, ceux qui ont déjà quasiment leur voiture, qui sont censés toucher très bien leur vie. Le pire, c’est que les miséreux de notre métier n’arrivent pas à venir. Plus on est dans la misère, moins on peut se déplacer pour faire une demande, ils ne viennent même pas, les plus miséreux de notre métier.
(Jamal)

28La manifestation est ainsi un moyen de rendre visible leur identité professionnelle (comme le font les intermittents observés par Sinigaglia, 2012). Revendiquant dans leur métier le fait d’offrir un service professionnel personnalisé et de qualité, qui les distinguerait diamétralement des taxis et justifierait un tarif plus élevé, une large part des chauffeurs mobilisés et l’ensemble des leaders du mouvement portent un costume, une chemise, une cravate et des chaussures de ville durant les mobilisations. Cette tenue de travail soignée est complétée par le blocage opéré avec des berlines noires élégantes. Au nom de cette identité professionnelle, les chauffeurs peuvent en outre développer des « pratiques protestataires » (Siméant, 2005) discrètes intégrées à leur quotidien de travail (Giraud, 2009). Pour dénoncer leurs faibles rémunérations, nombre de chauffeurs revendiquent ainsi le fait d’offrir aux clients des applications un service « low cost ». La défense d’une identité professionnelle « haut-de-gamme » s’inscrit donc dans la continuité des expériences professionnelles des entrepreneurs de protestation dénonçant les pratiques « esclavagistes » d’Uber.

29La volonté de construire une communauté professionnelle haut-de-gamme va de pair avec un discours politique et des revendications en termes de renforcement de la régulation publique. Les deux organisations professionnelles dénoncent d’une même voix la création par les applications d’une « zone grise » entre indépendance et salariat, préjudiciable pour les chauffeurs. Ils s’opposent à la création d’un troisième statut de « travailleurs indépendants dépendants », mais revendiquent un modèle dual permettant la coexistence, au sein de la population des chauffeurs de VTC, de travailleurs salariés aux côtés de travailleurs indépendants. Dans l’ensemble, les syndicats de chauffeurs demandent des formes de régulation, sur les tarifs comme sur les conditions de travail. Le discours syndical prend néanmoins régulièrement des tonalités plus politiques, où se mélangent pêle-mêle des appels au patriotisme politique et économique, à un État fort face aux entreprises, une dénonciation de l’évasion fiscale ou la préservation d’acquis sociaux. En défendant un État fort, y compris sur ses versants fiscaux et sociaux, ces revendications donnent alors une coloration assez atypique à cette mobilisation d’indépendants, comme le signalent ici deux leaders du mouvement :

30

C’est de l’esclavage pour le chauffeur, ils ne payent pas un centime en France puisqu’ils nous volent 20 % à 25 % de commission et voilà. Et puis on détruit le système social français là-dessus.
(Tarik)

31

Voir de l’ubérisation dans un pays, c’est terrible. Vous perdez tous vos droits. Vous pouvez être dans un pays raciste, mais on vous paie correctement, vous avez le droit à un truc social, on vous respecte, quelque part, quand vous avez des droits minimum. Pour moi, c’est le début d’un respect d’un pays. Uber ne respecte rien. Pour moi, il va même au-delà des racistes, ça va au-delà de tout.
(Jamal)

32On observe au fil du temps un élargissement progressif de la cause, allant de la paupérisation des chauffeurs de VTC à la lutte contre « l’ubérisation » [11]. Il ne s’agit pas de défendre les intérêts particuliers d’une profession, mais ceux de l’ensemble des travailleurs qui sont à l’avenir menacés par l’« ubérisation ». Autrement dit, en se présentant à la fois comme « travailleurs » et défenseurs de l’histoire sociale française, ces chauffeurs s’éloignent peu finalement des positions d’autres collectifs de salariés ou d’organisations syndicales. À l’image de conflits de travailleurs étrangers dans l’automobile au cours des années 1970 (Pitti, 2001), cette action collective est donc loin de se réduire à une « grève d’immigrés ».

33Pour autant, si les meneurs syndicaux mettent en avant la dimension salariale de leur action collective, ils mobilisent également une grille de lecture aux accents postcoloniaux de la situation d’exploitation. Leur situation de travailleurs racisés, dont les trajectoires remontent à la colonisation, sert alors de grille de lecture, voire de vecteur de socialisation politique [12]. Ainsi, les plateformes sont nettement plus souvent qualifiées d’« esclavagistes » qu’elles ne sont taxées de mettre en œuvre des formes d’exploitation. Et au-delà des discours officiels des représentants syndicaux, il semble que l’identification de nombreux chauffeurs à une communauté de destin mêlant leurs origines sociales et migratoires a pu fonctionner comme vecteurs fort de socialisation et de solidarité.

Des vecteurs de solidarité et de politisation orthogonaux au discours officiel ?

34Quand Jamal estime que l’ubérisation est pire que le racisme, il établit une hiérarchisation des causes, en plaçant les attaques sociales au-dessus des attaques racistes, ce qui l’amène à se positionner en travailleur avant de se positionner en descendant d’immigrés. Ces deux axes de politisation ont été présents dans de nombreuses discussions pendant les manifestations, et notamment au moment de la campagne présidentielle de 2017. Le relatif consensus sur l’importance d’un État fort, qui résisterait aux forces du marché, a eu tendance à polariser les débats sur les figures de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen, comme l’illustrent les notes prises en janvier 2017 :

35

Discussion entre trois chauffeurs. Un des chauffeurs parle des acquis sociaux : « C’est un truc super important ». Un deuxième explique que, si on exclut sa position sur les immigrés, il n’y a que Marine Le Pen qui a une position patriote. Le troisième dit qu’il vote Marine Le Pen, et le deuxième répond : « Si elle s’appelait pas Le Pen, je voterais pour elle. »
(Extrait du journal de terrain, manifestation de janvier 2017)

36Au cours des actions collectives comme sur les réseaux sociaux apparaît en effet régulièrement la thématique de l’immigration. Si la question s’intègre ici à une discussion strictement politique, elle trouve souvent des échos plus personnels. Les références à un destin partagé d’immigrés, ou plus souvent d’enfants d’immigrés, originaires de pays anciennement colonisés, mais aussi les références à un sort commun de jeunes hommes de quartiers populaires plus ou moins discriminés, fonctionnent en effet comme vecteurs d’unité du groupe professionnel [13]. Les discours et les pratiques qui l’accompagnent entretiennent des relations ambivalentes avec la logique syndicale que nous avons présentée précédemment.

37Les manifestations et les échanges quotidiens, via des groupes WhatsApp ou Facebook, ont permis d’observer des facteurs de proximité qui facilitaient les discussions entre chauffeurs, au-delà d’une situation professionnelle partagée. On décèle ici des formes de socialisation infrapolitique, dans les manières de parler, de faire de l’humour ou de raconter des anecdotes, qui semblent relier des hommes, souvent jeunes, issus de quartiers populaires, aux origines familiales provenant d’anciennes colonies françaises. Ces proximités facilitent les échanges quotidiens, et fonctionnent également comme grille de lecture politique de leur situation professionnelle.

38Les chauffeurs partagent d’abord une identité genrée très forte, puisque en plus d’être presque exclusivement des hommes, ils tiennent pour la plupart un discours viriliste, aux accents parfois misogynes et homophobes. Dans les prises de parole lors des manifestations comme sur les réseaux sociaux, les chauffeurs mobilisés sont les « vrais hommes », qui « ont des couilles », tandis que les autres « se font enculer », sont « des putes » ou « des pédés ».

39

On entend de nombreuses phrases sexistes et homophobes. « Les taxis, eux, ils font pas la salope », « je suis pas homophobe, mais les homo, ils ne manifestent pas », ou encore « Uber, Uber, on t’encule »
(Extrait de journal de terrain, manifestation du 15 décembre 2016, porte Maillot)

40Cette mise en avant du courage et du combat comme valeurs masculines partagées n’est pas inédite en ce qu’elle est également au cœur de l’identité ouvrière mobilisée (Noiriel, 1980 ; Sommier, 1993). Elle est plus inhabituelle dans le cas d’une mobilisation dans le secteur des services, mais semble ici non moins centrale. Et si on peut l’associer dans ces formes spécifiques à des traits de culture populaire masculine, il ne s’agit pas pour autant de penser que le virilisme n’a cours que dans les classes populaires (Rasera et Renahy, 2013).

41Les références aux origines migratoires prennent des formes quotidiennes, comme des échanges en langue arabe ou le partage d’information concernant le Ramadan. Mais elles structurent également le discours politique des chauffeurs. Ainsi, le stigmate lié à la migration est tantôt dénoncé, comme les discriminations au travail qui les concernent. Il est parfois retourné comme lorsque les chauffeurs mettent en avant leur fierté d’Algérien par exemple, ou qu’ils se réjouissent de la victoire récente de la lutte des Chibanis [14]. Et comme tout discours politique, les ennemis sont identifiés : avant tout les plateformes « esclavagistes », plus ponctuellement les « traîtres » – les chauffeurs non grévistes –, significativement qualifiés de « harkis ».

42Conformément à sa position, Tarik évoque peu cette dimension dans son positionnement politique, mais estime néanmoins que les plateformes précarisent avant tout des jeunes « avec une sale gueule de banlieue ». Karim, l’un des meneurs de certaines actions, mais dont le rapport aux organisations demeure ambigu, s’autorise davantage à mettre en avant le lien entre classe et race, entre identité professionnelle et trajectoire migratoire :

43

– Mon grand-père, il travaillait, il est venu en France grâce aux mines à charbon dans le nord de la France, il travaillait comme un fou, et il est mort de ça, de cancer à cause de… Il ne fumait pas, en plus, cancer du poumon. Il s’est tué pour le travail, pour qu’on soit bien, nous, aujourd’hui. Et nous, aujourd’hui, les enfants d’immigrés, on est encore en train de détruire tout.
– Vous dites « les enfants d’immigrés », qu’est-ce que ça fait que ce soit des immigrés ou pas finalement ?
– Parce que dans notre secteur, vous voyez qui travaille, vous trouvez… C’est rare qu’il y ait un Français de souche qui travaille dans ça, c’est rare. Il ne va pas accepter ça, un Français de souche. Un Français de souche, de base, normalement… Ce n’est pas pareil, il n’a pas la même éducation. Ses parents ont grandi avec ça, pour lui, le travail, c’est avec un contrat 35 heures, et je respecte mes 35 heures, et c’est tout à fait normal. Mais nous, on n’a pas grandi avec ça, on a grandi avec des frères, des sœurs qui travaillent dans les marchés, des heures de fous, c’est autre chose.

44Toutefois, Karim nous explique que les prises de parole publiques doivent être contrôlées en la matière :

45

Le jour d’avant il y a quelqu’un qui a laissé une publication en disant : « Avec le mec qui fait la vidéo », en parlant de moi, « qui dit toujours salam au lieu de dire bonjour dans la vidéo, il ne faut pas oublier que dans le VTC, dans le groupe, il n’y a pas que des Arabes et des musulmans », alors que si vous regardez bien, dans chaque vidéo, pratiquement, j’essaie toujours de dire salam et bonjour, mais c’est vrai que je dis toujours salam au début, parce que c’est l’habitude.

46Les chauffeurs mobilisés partagent ainsi des caractéristiques sociales, racisées et genrées qui participent de la construction d’un collectif solidaire. Elles jouent subjectivement comme référence identitaire partagée rendant possible « la désignation d’un “nous” victime de l’injustice et d’un “eux” responsable et adversaire potentiel d’une action collective » (Benquet, 2010 : 319). Cependant, si les leaders syndicaux évoquent parfois le sujet durant les entretiens, ils se font plus discrets dans la sphère publique de la négociation collective.

Une division du travail militant ?

47Entre ces deux franges de travailleurs mobilisés apparaissent des tensions, notamment sur les modalités d’action, mais ces écarts peuvent également être appréhendés comme une division implicite du travail militant. Attachés à défendre une identité professionnelle « haut-de-gamme », certains leaders du mouvement tâchent de se distancier de l’image de « jeunes arabes de banlieue » qui pourrait leur être associée et qui selon eux décrédibilise le mouvement. Ils dénoncent ainsi les comportements jugés non-professionnels des jeunes chauffeurs :

48

Ce métier-là n’est pas né pour soi-disant être, comme dit Macron, la porte de sortie pour la poubelle de la banlieue. C’est un métier de qualité, à la base. Et là en ce moment, Uber, la réputation d’Uber, c’est des mecs qui viennent en claquettes l’été, qui viennent en doudoune l’hiver, ils ont le tee-shirt du PSG, ils ne sont pas tous comme ça bien évidemment, mais il y en a de plus en plus, des mecs qui fument dans la bagnole, avec une doudoune, tranquille, avec du rap dans la voiture.
(Tarik)

49Le port du costume-cravate peut ainsi être analysé comme un moyen pour les leaders du mouvement de résister à l’assignation sociale et raciale qui pourrait délégitimer la cause des chauffeurs mobilisés auprès du grand public. Cependant, si ce positionnement fédère une partie de la profession qui se reconnaît dans cette représentation du métier, il en exclut dans le même temps une autre partie. Alors même que les leaders syndicaux tirent leur légitimité du fait d’être eux-mêmes chauffeurs et, à ce titre, d’être à même de défendre les intérêts du collectif, leur capacité à représenter l’ensemble des chauffeurs est parfois mise en cause. Entrés de façon relativement précoce dans la profession en tant que chauffeurs de Grande Remise, Tarik et Jamal sont ainsi représentatifs de l’élite de la profession et ont privilégié un militantisme inscrit dans un cadre syndical. Or, une part importante des nouveaux entrants dans le métier ne partage pas cette représentation d’un métier « haut-de-gamme ». La figure de Karim est emblématique de ces tensions. Il dénonce ainsi la barrière et l’incompréhension entre « anciens » et « nouveaux » :

50

Quand vous regardez dans les syndicats, il n’y a que des anciens chauffeurs et ils ne travaillent, la plupart, même plus avec Uber et les applications. Ils sont tous indépendants. Donc je pense qu’il leur faut aussi des gens qui travaillent avec les applications. […] Il faut savoir comment les approcher [les jeunes chauffeurs]. Si vous vous approchez d’eux en costard-cravate, c’est bizarre, normalement c’est l’inverse, en costard-cravate, normalement on vous fait confiance. Vous m’avez vu la dernière fois, j’étais en jogging, normal, si vous arrivez en costard-cravate avec une feuille, un dossier ou un ordinateur, ils ne vont pas vous faire confiance. Vous arrivez en mode normal : je suis un chauffeur comme vous, là ils vous écoutent.
(Karim, un chauffeur mobilisé)

51Karim se voit comme le représentant de ces nouveaux chauffeurs qui ne se reconnaissent pas dans les leaders du mouvement parce qu’ils ne partagent ni les mêmes conditions de travail ni la même représentation du métier. En retour, les leaders appréhendent ces « jeunes arabes de banlieue » comme une figure repoussoir dont il s’agit d’autant plus de se distancier qu’ils paraissent en être proches (Siblot, 2002).

52Cette scission se fait jour au cœur même de la mobilisation collective et des modes d’action mis en œuvre. Elle prend la forme d’une opposition entre, d’une part, ceux qui aspirent à radicaliser le mouvement pour se faire entendre et, d’autre part, les chauffeurs et les leaders syndicaux qui tiennent à un mouvement qui demeure pacifique. Ces derniers peuvent ainsi se trouver débordés par une base plus revendicative. Par exemple, une occupation des locaux d’Uber est organisée en dernière minute le 24 janvier 2018 à l’initiative, entre autres, de Karim, appelant d’autres chauffeurs sur les réseaux sociaux à se joindre à l’opération. L’ensemble de l’action – de l’arrivée sur les lieux à l’arrestation des chauffeurs par les CRS – sera filmée et retransmise en direct sur les réseaux sociaux via le téléphone de Karim. Cette fois, tous les chauffeurs présents sont habillés en survêtement-doudoune-baskets. Les leaders syndicaux ne sont pas présents et ne sont pas impliqués dans cette action, si ce n’est pour les accueillir à la sortie du commissariat.

53L’attitude des leaders syndicaux est néanmoins plus ambivalente qu’il n’y paraît de prime abord. On constate en effet des oscillations permanentes autour de la figure du « jeune Arabe de banlieue ». S’il s’agit de s’en distancier, les leaders du mouvement en font dans le même temps un usage stratégique comme moyen de pression pour appuyer leur action collective. Dans certaines circonstances, ils peuvent en effet revendiquer le fait d’être des « jeunes de banlieue » si l’argument peut leur être utile dans le cadre des négociations avec l’État :

54

Il faut garder dans les négociations : vous savez qu’on est des jeunes de banlieue, on va foutre la merde. […] les VTC qui sont l’élite du transport, etc. vont faire une belle action un jour, mais si on n’est pas reçu ce jour-là, si on n’a pas d’avancées ce jour-là, on risque de faire comme les taxis. Et le lendemain ça sera la branche dure qui va se mettre en avant et la branche dure, ça sera des scooters qui vont casser, qui vont mettre des œufs, qui vont jeter de la farine, qui vont foutre la merde, risque que ça déborde avec les taxis, plus rien à foutre.
(Tarik)

55En somme, si « l’élite du transport » n’obtient pas gain de cause, les leaders du mouvement menacent de laisser agir « les casseurs » pour se faire entendre. Il s’agit ainsi de transformer le stigmate en ressource dans la négociation collective.

Conclusion

56Les actions collectives des chauffeurs de VTC ressemblent en partie à des conflits de travailleurs salariés : une cessation concertée de l’activité et des manifestations sur des mots d’ordre d’augmentation des revenus. Cette proximité s’explique par la position ambivalente occupée par ces nouveaux travailleurs indépendants. Bien qu’exerçant sous ce statut, leur activité est en grande partie organisée et contrôlée par les plateformes numériques. Théoriquement simples intermédiaires entre clients et prestataires de services, celles-ci agissent pourtant telles des quasi-employeurs, amenant les chauffeurs à s’organiser collectivement pour défendre les intérêts des travailleurs et réclamer à l’État une régulation collective de la profession. Nous assistons alors à la mise en place de structures syndicales, défendant tant une identité professionnelle « haut-de-gamme » qu’un modèle social à la française, qui seraient mis à mal par les plateformes numériques. La construction de ce collectif contestataire est l’œuvre des leaders syndicaux, mais repose également sur d’autres vecteurs de solidarité relatifs au partage d’un destin commun de jeunes de quartiers populaires issus de l’immigration. Si ce mouvement a donc pu émerger, c’est parce qu’il s’agit à la fois d’une lutte de travailleurs et d’une lutte d’immigrés. Dans le même temps, cette double identité est source de tensions et peut être à l’origine de lignes de fracture qui fragilisent le collectif mobilisé. L’institutionnalisation progressive du mouvement a donc induit un double effet : si elle a assuré une forme de continuité et de pérennité à la contestation, tout en instaurant un dialogue avec les autorités politiques, elle s’est également accompagnée par moments d’une distanciation accrue entre la base et les leaders syndicaux. C’est maintenant la configuration politique et la capacité du mouvement organisé à obtenir satisfaction qui infléchira sans doute l’avenir de cette communauté professionnelle plurielle.


Annexe 1

ÂgeNiveau de diplômeSituation familialeProfession des parentsExpériences professionnellesTrajectoire migratoireOrganisation syndicale et/ou professionnelleProfession du conjoint
Tarik28 ansBTSMarié,
2 enfants
Père manutentionnaire Mère femme au foyerEmployé de restauration à bord des trains (sous-traitant de la SNCF ; 7 ans)  Chômage Livreur de repas (1 mois) Chauffeur de Grande Remise (depuis 2014)Né en TunisieUnsa VTC (oct. 2015-mai 2017) SCP VTC (depuis mai 2017)Assistante maternelle
Toufik39 ansBac + 4 Marketing (Algérie)Marié, 2 enfantsPère ingénieur MèreJob étudiant au Grand Rex Commercial importateur de voitures (2 ans) Chauffeur-livreur dans une fleuristerie (2 ans) Chauffeur Le Cab (4 mois) Chauffeur VTC (depuis 2013)Né en Algérie, arrivé en France en 2002Unsa VTC (oct. 2015-mai 2017) SCP VTC (depuis mai 2017)Travaille chez Cetelem
Gaétan48 ansBac + 5 Négociations
et relations sociales
Divorcé, 6 enfantsFamilles d’accueilDirigeant dans la restauration DRH d’une compagnie aérienne (10 ans) Secrétaire général de la section Transports de l’Unsa (2 ans) Création d’une entreprise de conseil et formation (depuis 2017)Né en FranceUnsa VTC (oct. 2015-mai 2017) SCP VTC (depuis mai 2017)
JamalMarié, 2 enfantsParents restaurateursChauffeur-livreur (7 ans) Création d’une entreprise de transport de marchandises (8 mois) Chauffeur VTC (depuis 2013)Né en France, parents marocainsCAPA VTC (août 2015-avril 2017) FO CAPA VTC (depuis avril 2017)Femme
au foyer
Nicolas52 ansÉtudes de comptabilitéDivorcé, 1 enfantParents ouvriersSportif de haut niveau en cyclisme Chauffeur de car à Roissy (10 ans) Création d’une entreprise dans le secteur automobile (5 ans) Chauffeur VTC (depuis 2015)Né en FranceCAPA VTC (août 2015-avril 2017) FO CAPA VTC (depuis avril 2017)
Grégory38 ansBacDivorcé, 2 enfantsPère conducteur de trainConducteur de train (13 ans) Secrétaire général adjoint du comité central d'entreprise de la SNCF Secrétaire général adjoint de la FGTENé en FranceCFDT VTC (depuis janvier 2017)
Zahir57 ansCAP Peintre décorateurPère monteur chauffagiste Mère couturièreTaxi, locataire indépendant (5 ans) Artisan dans le bâtiment Chauffeur poids lourds Salarié, puis artisan dans le bâtiment Transport dans un grand groupe Accident du travail Chauffeur VTC depuis 2015, d’abord salarié, puis indépendantNé en France, parents algériens, nationalité française à la majorité (service militaire en Algérie)CFDT VTC
Karim20-25 ansDUT Techniques de commercialisationCélibatairePère chauffeur de bus Mère au foyerEmployé de rayon chez Carrefour (1 an) Employé de rayon
chez Leclerc (1 an) Employé de sandwicherie (1 an) Chauffeur VTC (depuis 2016)
Né en France, parents marocainsSans étiquette

Références

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Mots-clés éditeurs : plateformes, travailleurs indépendants, syndicats, ubérisation, mobilisations

Date de mise en ligne : 31/07/2019

https://doi.org/10.3917/tt.034.0091

Notes

  • [1]
    Nous remercions, pour leurs remarques précieuses, les coordinateur.rices du dossier et les relecteur.rices de notre article, ainsi que les collègues de l’ANR Capla et de l’IRISSO.
  • [2]
    Voir Collovald et Mathieu (2009), Hmed (2007), Mathieu (2001), Maurer et Pierru (2001), Siméant (1998).
  • [3]
    On peut se référer aux travaux sur le poujadisme (Gresle, 1983 ; Souillac, 2007), ou plus récemment sur les mobilisations des buralistes (Frau, 2014). Les enquêtes de Marc Milet (2008 a et b) sur l’Union professionnelle artisanale permettent néanmoins déjà de saisir les déclinaisons sociales des positions et revendications de certaines organisations d’indépendants.
  • [4]
    À l’exception d’un seul avec lequel nous avons néanmoins échangé de manière informelle lors de diverses actions collectives.
  • [5]
    Elle s’inscrit dans une recherche collective consacrée au capitalisme de plateforme (ANR Capla).
  • [6]
    Voir notamment les enquêtes de J. Sinigaglia sur les intermittents (2012), de C. Avril sur les aides à domicile (2009) ou encore d’A. Collovald et L. Mathieu sur les salariés de la grande distribution culturelle (2009).
  • [7]
    Cette dernière consiste en une exonération partielle des cotisations sociales au démarrage de l’entreprise, sous conditions d’âge et de situation socio-administrative. L’aide dure un an pour les entreprises classiques, et peut durer jusqu’à trois ans lorsque le démarrage se fait sous le statut d’auto/micro-entrepreneur.
  • [8]
    Société par actions simplifiées unipersonnelle.
  • [9]
    Jérémy Sinigaglia (2007) observe ainsi que les participants à la mobilisation des intermittents se recrutent principalement parmi ceux qui ne sont ni complètement à l’abri ni les plus précarisés.
  • [10]
    On retrouve donc les mêmes difficultés et ambiguïtés pour les représentants des chauffeurs que celles rencontrées par les représentants agricoles analysés par Sylvain Maresca (1981).
  • [11]
    En ce sens, on notera le même processus à l’œuvre dans le cas des intermittents étudiés par Jérémy Sinigaglia (2007) qui, d’une lutte contre la précarité spécifique à leur situation, finissent par se mobiliser contre la précarité en général.
  • [12]
    Nous retrouvons alors dans une version moins formalisée d’engagement la « matrice algérienne » dont parle Pitti pour décrire la généalogie de la cause algérienne dans les grèves d’OS de 1968 à 1975 (Pitti, 2006).
  • [13]
    Des questions proches ont été traitées par Johsua (2013) quand elle observe la position centrale de jeunes hommes et femmes d’origine juive dont les familles ont été touchées par le génocide dans l’extrême gauche des années 1968. Des enquêtes récentes ont également exploré des formes de socialisation politique dans les quartiers populaires qui prennent appui sur des identifications racisées ou religieuses (voir notamment Talpin, O’Miel et Frégosi, 2017)
  • [14]
    Les Chibanis sont des cheminots d’origine marocaine embauchés par la SNCF dans les années 1970 à des conditions désavantageuses. Ils ont récemment gagné en 2018 un procès pour discrimination à l’encontre de leur employeur (Chappe et Keyhani, 2018).

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