Notes
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[1]
Je remercie Pierre Larrivée pour ses conseils et ses encouragements, ainsi que Ségolène Scelles pour sa relecture attentive.
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[2]
On trouve également les locutions « langue construite » ou « langue imaginaire », quoique cette dernière soit d’acception plus large et intègre notamment les phénomènes dits de glossolalie (voir Albani & Buonarroti 2010).
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[3]
Celui-ci s’est tenu à Hambourg, du 12 au 16 août 1897. L’objectif de Moch était de déterminer, parmi les langues proposées pour ce rôle, les projets susceptibles d’être adoptés comme langue auxiliaire internationale.
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[4]
Les deux auteurs citent d’ailleurs le rapport de Moch comme ayant inspiré leur approche.
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[5]
L’un des principaux arguments utilisés pour défendre l’intérêt de l’espéranto dans ce cadre est qu’il met à égalité les locuteurs de différentes nationalités en ne favorisant aucun d’entre eux par le recours à sa langue maternelle. L’existence de locuteurs espérantophones natifs (voir infra 4.9) vient contredire une telle conception. Mais Zamenhof n’envisageait vraisemblablement pas un tel fait.
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[6]
L’insistance sur ce point est liée aux modalités d’apprentissage de cette langue, le plus souvent de façon autonome à partir de lectures.
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[7]
Cette question avait déjà été évoquée par Descartes ; voir « Lettre au père Mersenne du 20 novembre 1629 », in Œuvres philosophiques, Ferdinand Alquié (éd.), Paris, Bordas (Classiques Garnier), 1997, t. 1, p. 227-232.
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[8]
Selon Couturat (1901 : 117) : « L’institution de la caractéristique présupposait l’élaboration de l’Encyclopédie, ou tout au moins, d’un ensemble de définitions logiques de tous les concepts fondamentaux des diverses sciences ».
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[9]
Leibniz s’inspire sur ce point des idéogrammes chinois.
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[10]
Leibniz s’est ainsi beaucoup intéressé à la syllogistique, en réduisant notamment les quatre figures de la tradition scolastique à une seule.
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[11]
Pour une présentation de la conception leibnizienne des pensées sourdes (aveugles – caecas en latin) que sous-tend l’utilisation des caractères, voir par exemple Leduc (2012).
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[12]
Les exemples qui suivent résument l’analyse de Leibniz (1998 : 51).
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[13]
Couturat et Léau étaient tous deux engagés dans le projet d’adoption d’une LAI : ils étaient ainsi membres du bureau de la Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale, dont Couturat était trésorier et Léau secrétaire général.
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[14]
Du grec οξυσ, « aigu » (d’où acide) et γενοσ, pour l’idée d’engendrement.
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[15]
Du grec ζωη, « vie » et -α, préfixe privatif.
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[16]
Cette opposition est présentée notamment dans Leibniz (1969 : 51).
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[17]
Comme l’indique Yaguello (2006 : 226) : « le mouvement interlinguistique se trouve être de facto une entreprise colonialiste » (« interlinguiste » est le nom que se donnent certains spécialistes des LA).
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[18]
Les auteurs précisent dans la note accompagnant ce passage qu’ils incluent les Américains dans les peuples de civilisation européenne.
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[19]
Notons à ce titre que Couturat & Léau (1903 : 235) indiquent au sujet de ces LA mixtes : « Le mot qui caractérise le mieux ces projets bâtards et inconséquents, et qui résume tous leurs défauts, est celui qui revient sans cesse dans nos critiques : c’est l’arbitraire ».
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[20]
Cette prise en compte de peuples autres qu’européens est d’ailleurs l’un des reproches que lui font Couturat et Léau !
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[21]
L’affixe in indique le féminin, id le descendant.
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[22]
L’affixe sma- indique le petit, ici le descendant.
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[23]
Selon Couturat & Léau (1903 : 235), « [l]eurs auteurs se sont imaginés qu’ils pouvaient et devaient forger une langue de toutes pièces, sans consulter autre chose que leur goût ou leur fantaisie […]. Ils se sont flattés que le monde européen s’empresserait d’adopter une langue dont le vocabulaire et la grammaire lui seraient également étrangers ».
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[24]
« […] les langues a posteriori […] abandonnent tout schéma a priori philosophique, toute classification préalable » (Janton 1994 : 10).
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[25]
« Greenberg discounted features of language that are universals by definition – that is, we would not call the object in question a language if it lacked these properties […]. Thus, many of what Hockett (1963) called the “design features” of language are excluded » (Evans & Levinson 2009 : 437).
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[26]
Voir également : « They [the design features] become worthy to mention only when it is realized that certain animal systems – and certain human systems other than language – lack them » (Hockett 1982 : 6).
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[27]
« […] “taxonomy” refers to what might also be called “typology” […] if some feature is indeed universal, then it is taxonomically irrelevant » (Hockett 1963 : 3).
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[28]
Haspelmath indique que cette conception s’inspire de la notion de « cadre conceptuel arbitraire » développée par Gilbert Lazard (G. Lazard, La quête des invariants interlangues : la linguistique est-elle une science ?, Paris, H. Champion, 2006).
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[29]
« […] we can only know what a thing is by also knowing what it is not » (Hockett 1963 : 5 ; nous traduisons).
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[30]
« The assertion of language universals is a matter of definition as well of empirical evidence and of extrapolation. […] We can decide that any system manifesting a certain explicitly listed set of features (the defining set) is to be called a language. The universality of the particular features we have chosen is then tautologous » (Hockett 1963 : 2).
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[31]
C’est à la pagination de cette réédition qu’il est fait référence dans cet article. Les références « Hockett 1982 » correspondent donc à un texte antérieur à « Hockett 1963 ».
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[32]
Je traduis ainsi, respectivement, prevarication, reflexiveness et learnability.
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[33]
Selon Hockett (1963 : 12), « we can consider the following defining set for language : openness, displacement, duality, arbitrariness, discreteness, interchangeability, complete feedback, specialization, rapid fading, and broadcast transmission with directional reception ».
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[34]
Je traduis ainsi, respectivement, vocal-auditory channel, semanticity et traditional transmission.
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[35]
« Every language also have semanticity, since the contrast between arbitrariness […] and iconicity is meaningless without it » (Hockett 1963 : 12).
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[36]
« To show the importance of the features of the defining set, we can think of human language as we know it and consider the consequences of suppressing, in turn, each feature » (Hockett 1963 : 12).
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[37]
La version de 1960 nomme cette caractéristique productivity (« productivité »).
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[38]
« In a continuous semantic system […] the semantic must be iconic rather than arbitrary » (Hockett 1963 : 8).
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[39]
« It is interchangeability that enables human to “internalize” the role of others and to carry on conversations with himself, thus carrying over to the situation in which he is temporarily alone the problem-solving powers of language » (Hockett 1963 : 13).
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[40]
« In certain varieties of kinetic-visual communication, as in the courtship dance of sticklebacks, the transmitter cannot always perceive some of the crucial features of the signal » (Hockett 1963 : 7).
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[41]
« […] “rapid fading” and “broadcast transmission and directional reception”, stemming from the physics of sound are almost unavoidable consequences of the [vocal-auditory Channel] » (Hockett 1960 : 6).
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[42]
« […] openness, displacement and duality (together with traditional transmission) […] are human or Hominoid innovations » (Hockett 1963 : 14).
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[43]
« […] detailed conventions of any one language are transmitted extragenetically by learning and teaching » (Hockett 1960 : 6).
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[44]
« […] the interior of all opaque solids is green until exposed to light » (Hockett 1963 : 10 ; nous traduisons).
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[45]
Cet exemple illustre chez Chomsky le fait que la grammaticalité d’un énoncé (qui respecte les normes de fonctionnement de la langue) doit être distinguée de la possibilité de lui donner un sens.
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[46]
« Stokoe est unanimement et internationalement considéré comme la première étude d’une ère nouvelle pour la recherche sur les LS » (Blondel & Tuller 2000 : 34).
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[47]
« Même si l’emploi du terme phonologie peut sembler un peu étrange en raison du caractère “insonore” de la modalité gestuelle, les linguistes modernes l’ont conservé » (Blondel & Tuller 2000 : 34).
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[48]
Ce point est indiqué par Hockett (1978 : 274) : « The difference of dimensionality means that signages [i. e. LS] can be iconic to an extent to which languages cannot […]. Indeed the dimensionality of signing is that of life itself […]. When a representation of some four-dimensional hunk of life has to be compressed into the single dimension of speech, most iconicity is necessarily squeezed out ».
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[49]
Par convention, les signes des LS sont indiqués en majuscule.
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[50]
« […] it is assumed that the oldest extant sign languages do not date back farther than about 300 years » (Sandler 2005).
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[51]
« J’ai appelé structures de grande iconicité les traces structurales résultant de la mise en jeu d’une visée iconicisatrice, lorsque la dimension intentionnelle du comme ça est présente, et regroupe fonctionnellement l’ensemble des structures de grande iconicité en opérations dites de transfert » (Cuxac 2001).
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[52]
« Ma propre démarche, qui considère que la voie d’entrée dans les langues des signes consiste à les appréhender à partir de l’opérateur qu’est l’iconicité est encore très minoritaire » (Cuxac 2001).
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[53]
Les exemples qui suivent proviennent du même passage.
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[54]
« […] given a formational parameter, it is not possible to predict the formational parameter’s meaning because it is not possible to predict which aspect of its form will be used for the expressive purpose. In the same way it is not possible to predict which sign will be used to express any given referent because it is not possible to predict which aspects of the referent will be selected for linguistic purposes » (Pietrandrea 2002 : 314-315).
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[55]
« The selection of the linguistic salient aspects of referents and articulators is arbitrary » (Pietrandrea 2002 : 316).
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[56]
Il s’agit de la prévarication, la réflexivité, la transmission traditionnelle et l’apprenabilité. J’intègre la sémanticité aux propriétés définitoires puisque l’arbitrarité, qui en fait partie, en dépend.
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[57]
Ces exemples proviennent d’espérantophones confirmés qui ont bien voulu traduire les phrases concernées sur le forum du site lernu.net.
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[58]
Cette illustration reprend (après légères modifications) celle présentée dans Eco (1997 : 307).
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[59]
L’exemple suivant provient de Couturat & Léau (1903 : 24).
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[60]
Ce n’est pas le cas des phénomènes de glossolalie, où l’emploi de formes inconnues ne relève pas d’un usage conscient et délibéré, mais est interprété comme une manifestation divine (glossolalie religieuse, parler en langue) ou hystérique (langage des aliénés). Voir par exemple Albani & Buonarroti (2010 : 193-194).
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[61]
L’argument qui suit est proposé par Dascal (1978 : 213).
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[62]
Ainsi bovino (« vache ») est-il la féminisation (ajout de l’affixe -in) du terme bovo (« bœuf »).
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[63]
On pourrait éventuellement envisager de désigner l’effroi, et il s’agirait alors de déterminer si la notion de loup-garou et celle d’effroi sont compossibles (voir infra les remarques au sujet de la prévarication).
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[64]
Bien que les énoncés de la CU ne puissent concerner que les vérités de raison, on peut les organiser selon des modalités en nombre infini.
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[65]
C’est ce qu’observe Lindstedt (2006 : 48) : « several grammatical and lexical changes during the nearly 120-year long history of Esperanto have not been due to official or unofficial language planning and codification, but have been initiated and spread by anonymous speakers, being codified only afterwards ».
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[66]
« Esperanto has native or first-language speakers. […] My own estimate of their number, based on my personal participation in different meetings and networks of Esperanto-speaking families, is about one thousand » (Lindstedt 2006 : 48). L’auteur indique dans cette même étude que les locuteurs natifs sont tous au moins bilingues.
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[67]
Il s’agit de l’exemple de Chomsky déjà évoqué.
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[68]
Notons que la contradiction entre « cheval bon marché » et « cheval cher » est directement apparente en espéranto : malmultekosta / multekosta, le préfixe mal- ayant le sens de contraire.
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[69]
C’est le cas des guillemets dans (8).
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[70]
Les pronoms personnels, relevant de la deixis, ne peuvent être présents dans la CU (voir supra 4.7).
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[71]
Un tel énoncé serait cependant surprenant, puisque la CU est supposée clarifier les énoncés des LN.
1. Introduction
1L’appellation « langue artificielle » semble indiquer que ces langues ne se distinguent des langues naturelles que par leurs conditions socio-historiques d’émergence. Ainsi, tandis que les langues naturelles se développent spontanément au sein de communautés humaines, les langues artificielles sont le plus souvent développées par des individus avant toute énonciation (Couturat & Léau 1903, Burney 1962, Yaguello 2006). Les concepteurs de langues artificielles dictent les normes avant l’usage, tandis que l’usage des langues naturelles précède leur codification normative. Ces conditions socio-historiques ne nous éclairent pas sur la nature des langues en jeu : l’élaboration, hors contexte d’emploi, d’un lexique et d’un ensemble de règles de fonctionnement permet-elle aux langues artificielles d’être considérées comme des langues ? Répondre à cette question suppose d’envisager les langues artificielles sous un angle fonctionnel plutôt que simplement génétique.
2Je propose donc dans cet article de reprendre les propriétés des langues naturelles identifiées par Charles F. Hockett (ce qu’il appelle les « design features of language ») et d’étudier leur présence éventuelle dans deux langues artificielles : l’espéranto et la caractéristique universelle. Je présenterai dans la première section les différents types de langues artificielles traditionnellement employés (a priori, a posteriori, mixtes) afin de déterminer dans quelle mesure elles constituent un ensemble homogène et comparable dans leur ensemble aux langues naturelles. Les propriétés communes à l’ensemble des langues naturelles identifiées par Hockett ayant été établies à une époque où les langues signées étaient peu considérées, j’examinerai dans la deuxième section les conséquences de la prise en compte du canal cinétique-visuel sur les caractéristiques qu’il propose. Les propriétés conservées seront dans la troisième section appliquées à l’espéranto et à la caractéristique universelle [1].
2. Classements des langues artificielles
3Par convention, j’utiliserai l’expression « langue artificielle » (abrégée en LA) pour désigner ces projets développés par un individu particulier hors contexte d’emploi, car c’est l’appellation la plus fréquente [2], sans pour autant préjuger de la légitimité du terme « langue » pour les désigner, puisqu’établir cette légitimité est l’objectif de cette étude.
2.1. L’opposition langue a priori – langue a posteriori
4La littérature sur les LA (Albani & Buonarroti 2010, Eco 1997, Yaguello 2006) s’accorde sur l’identification de deux grandes familles, les projets a priori d’une part, et les projets a posteriori. Ces appellations remontent à Gaston Moch et à son Rapport sur la question de la langue internationale présenté au VIIIe Congrès international de la paix [3]. Moch oppose ainsi (1897 : 6) les langues a priori « qui ont été forgées de toute pièce par leurs inventeurs, sans rien emprunter aux langues naturelles » aux langues a posteriori « qui empruntent leurs matériaux aux langues naturelles ». Dans leur Histoire de la langue universelle, Couturat et Léau ajoutent à ce classement la famille des langues mixtes, examinée ultérieurement (en 2.3). La définition des langues a priori et a posteriori qu’ils proposent (Couturat & Léau 1903, Introduction : XXVII) est cependant identique [4] :
Il y a, d’une part, des projets qui, pour des raisons diverses, ne tiennent aucun compte des langues naturelles, et qui sont des langues originales, construites de toutes pièces : nous les appelons systèmes a priori. Il y a, d’autre part, des projets qui, prenant pour modèle les langues naturelles (particulièrement les langues européennes), s’efforcent de les imiter et leur empruntent presque tous leurs éléments : nous les appelons systèmes a posteriori.
2.1.1. L’espéranto, système a posteriori
6Présentée par Zamenhof dans un ouvrage paru en 1887 et publié sous le pseudonyme « Doktoro Esperanto » (littéralement, « docteur plein d’espoir »), cette LA a été conçue comme une langue auxiliaire internationale (LAI) : elle n’était pas destinée à remplacer les langues existantes, mais à permettre à des locuteurs de langues différentes de communiquer [5].
7L’espéranto repose sur un Fundamento composé de seize règles qui décrivent son fonctionnement. Celui-ci se veut simple et sans aucune irrégularité. L’alphabet de l’espéranto comporte vingt-huit lettres et la correspondance entre signe graphique et phonème est absolue : « un seul son pour chaque lettre, une seule lettre pour chaque son » (Albani & Buonarroti 2010 : 155) [6]. L’accent tonique est fixe, toujours sur l’avant-dernière syllabe. Les morphèmes ainsi obtenus sont strictement invariables et permettent d’obtenir des composés en plaçant l’élément principal à la fin. Tous les substantifs se terminent en -o, les adjectifs en -a, les adverbes en -e. Les verbes ne varient ni en personne, ni en nombre. Son lexique a été (dans sa quasi-totalité) élaboré à partir des racines indo-européennes. Les locuteurs de langues indo-européennes sont ainsi amenés à retrouver, dans l’espéranto, nombre des éléments de leur langue maternelle. Ce lien entre l’espéranto et différentes langues naturelles (LN), établi afin de faciliter l’apprentissage, fait de cette LA une langue a posteriori.
2.1.2. La caractéristique universelle, système a priori
8Le projet de caractéristique universelle (CU) développé par Leibniz repose sur une analyse qui remonte au De arte combinatoria paru en 1666 : chaque notion que nous avons est elle-même composée d’autres notions. La notion d’homme, par exemple, est comprise comme étant composée des notions « animal » et « rationnel ». Ces notions sont à leur tour composées d’autres notions d’un niveau plus simple. Une analyse menée à son terme nous amènerait à l’alphabet des pensées humaines, sorte de table exhaustive des notions à partir desquelles, par combinaisons successives, nous élaborons l’ensemble des notions possibles [7].
9Le recensement des connaissances humaines, que suppose un tel projet, pose problème. En effet, leur nombre peut aller à l’infini, puisque le nombre de combinaisons que l’on peut former à partir d’un nombre fini de termes est quant à lui infini. Cette liste n’est cependant, pour Leibniz, pas nécessaire pour obtenir celle des notions primitives. En partant des concepts fondamentaux des différentes sciences et de leurs définitions, puis en les analysant afin de savoir comment et de quoi ils sont composés, on sera à même d’établir la liste des notions primitives dont la CU a besoin. L’obtention de ces concepts fondamentaux est ainsi à mettre en regard avec les différents projets d’académies de savants développés par Leibniz, visant notamment à la réalisation d’une encyclopédie. Ces deux entreprises s’appellent l’une l’autre [8], l’encyclopédie permettant, en se soumettant à un certain classement des connaissances, de déterminer les concepts fondamentaux nécessaires à l’élaboration de la CU.
10À partir de ces notions primitives, Leibniz souhaitait mettre en place des signes qui « expriment mieux la notion de la chose désignée, de telle sorte qu’ils puissent servir aussi au raisonnement et non pas à la seule représentation » (Leibniz 1998 : 167). Ces signes, qu’il appelle « caractères » (c’est là l’origine de l’appellation « caractéristique »), seront donc simples s’ils réfèrent à une notion simple ou primitive. Les signes formés de différents caractères retranscriront quant à eux les notions complexes [9].
11Ce projet devait permettre de rendre visibles les erreurs de raisonnement : il faut selon Leibniz (2000 : 41) soutenir la pensée par un fil d’Ariane, qui soit un support matériel pour nos réflexions, car « nous avons besoin de signes non seulement pour exprimer ce que nous pensons à d’autres, mais aussi pour venir nous-mêmes en aide à nos propres réflexions ». Le calcul portant sur les caractères eux-mêmes, il facilite la vérification, en la rendant visible. La grammaire de la CU devait régir l’utilisation de ces caractères afin d’interdire les raisonnements invalides [10].
12Ainsi, bien que la mise en place de cette LA se fasse en partie à partir des LN, la CU est construite par écart avec elles. Son fonctionnement, les signes employés, le lexique de la CU n’évoquent nullement des langues connues : elle appartient à la famille des langues a priori.
13Les deux langues que j’ai choisi d’étudier ressortent donc des deux groupes traditionnellement identifiés au sein des LA. Cependant, cette distinction repose sur des critères d’ordre génétique : c’est l’origine des éléments qui détermine l’appartenance à l’une ou l’autre catégorie et non un trait structurel. Or rien n’indique qu’un système développé sans lien avec les LN ne puisse pour autant partager les mêmes propriétés. Ainsi, si ces deux familles constituent un indice sur la démarche de l’auteur, elles ne permettent aucunement de déterminer d’éventuelles propriétés communes entre la LA considérée et les LN.
2.2. Les langues philosophiques
14Parmi les LA a priori, Couturat et Léau introduisent la sous-catégorie des langues philosophiques. Celles-ci sont définies non par éloignement des LN, mais par une propriété spécifique. En effet, elles « reposent toutes sur une classification logique de nos idées, sur une analyse complète de nos connaissances » (Couturat & Léau 1903 : 113-114).
15C’est que ces projets reposent, comme l’indique Umberto Eco (1997 : 255), sur deux conditions : « (I) la détermination de notions primitives ; (II) l’organisation de ces notions primitives en système, et ce système représente un modèle d’organisation du contenu ». Le projet de Leibniz appartient à cette sous-catégorie des langues philosophiques. En effet, les caractères qu’il souhaite élaborer doivent rendre sensibles [11] les caractéristiques des notions auxquelles ils renvoient. Ainsi (Leibniz 1998 : 167) :
[Il est manifeste] que toutes les pensées humaines peuvent tout à fait se résoudre en un petit nombre d’entre elles considérées comme primitives, et qu’en assignant des caractères à celles-ci, il est alors possible de former les caractères des notions dérivées, desquels on peut toujours extraire la totalité de leurs réquisits, les notions primitives qui y interviennent, en un mot leur définition.
17Par conséquent, dans de tels projets, les termes employés (les signifiants) doivent retranscrire les propriétés du signifié auquel ils renvoient. Et c’est là ce qui fonde, pour leurs inventeurs, leur intérêt, car ils espèrent ainsi éviter toute expression non fondée rationnellement. En effet (Eco 1997 : 258) :
[…] les traits [d’une langue de type philosophique] seraient analytiques, c’est-à-dire tels qu’ils deviendraient une condition nécessaire pour la définition du contenu (un chat serait nécessairement un félin et un animal, et il serait contradictoire d’affirmer qu’un chat n’est pas un animal parce qu’ANIMAL ferait analytiquement partie de la définition de chat) […].
19Leibniz n’ayant pas mené à terme son projet, je prendrai pour expliciter ce fonctionnement le cas de ce qu’il appelle « caractéristique numérique » [12]. Afin d’expérimenter le fonctionnement de la CU, et dans l’attente de caractères plus adaptés, ce projet emploie les nombres premiers pour représenter les idées simples. Ainsi, si l’on pose par hypothèse que les notions « animal » et « rationnel » sont primitives, elles seront exprimées par des nombres premiers, en l’occurrence respectivement 2 et 3. La notion qui les combine (homme) sera exprimée par le nombre correspondant à la multiplication des nombres caractéristiques de ces deux notions, soit 2x3, c’est-à-dire 6. Posons maintenant que le nombre 10 correspond à la notion de singe. 10 n’est pas divisible par 6, et inversement, ce qui signifie que homme n’est pas le genre du singe ni singe le genre de l’homme. Cependant, les deux nombres ont bien un diviseur commun : 2. On peut alors en déduire avec certitude que les notions exprimées par les nombres 6 et 10 contiennent celle exprimée par 2 (animal).
20Les auteurs de ces LA philosophiques envisagent la définition, dans la lignée d’Aristote, comme une relation sémantique de type genre-espèce (i. e. de type ISA). Ces LA reposent donc sur un fonctionnement qui permet de toujours relier un hyponyme (homme ou singe dans l’exemple proposé) à son hyperonyme (animal), car l’appartenance d’un signifié à une catégorie sémantique est retranscrite dans son signifiant. J’appellerai un tel fonctionnement, qui retranscrit de façon sémiotique les relations sémantiques de type ISA, « taxonomique explicite ».
21Couturat et Léau critiquent cependant la légitimité de tels projets [13], car « une classification logique serait à la merci de tous les progrès » (1903 : 114), obligeant à remanier la nomenclature devenue obsolète par le développement des connaissances. Ils prennent ainsi l’exemple de l’azote et de l’oxygène. Ces deux éléments ont été nommés ainsi en raison des propriétés que leur attribuait la science de l’époque : l’oxygène parce qu’il était supposé produire les acides [14] et l’azote comme typique de ce qui ne vit pas (littéralement « sans vie » [15]). Pourtant, les découvertes ultérieures ont montré que ces caractéristiques étaient erronées. Ainsi l’azote, qui entre dans la composition des protéines, se retrouve dans les êtres vivants : sa dénomination paraît donc illogique.
22Le reproche fait par Couturat et Léau à ces langues philosophiques, que leur lexique devrait être remodelé à chaque évolution des connaissances scientifiques, ne semble cependant pas légitime dans le cadre de la CU leibnizienne. En effet, les propositions que Leibniz veut pouvoir retranscrire dans cette LA correspondent aux vérités de raison (ou vérités nécessaires) et non aux vérités de fait (ou vérités contingentes) [16]. Les vérités de raison correspondent à des déductions analytiques : si une chose est ainsi définie, alors elle devra posséder ces propriétés. La propriété du triangle qui énonce que la somme des angles est égale à deux angles droits (ou 180°) ne suppose en effet rien d’autre qu’une correcte compréhension de la définition du triangle. Nous n’avons donc besoin, pour aboutir à ces vérités, que du seul principe de non-contradiction : que ce soit pour l’élaboration de la notion ainsi considérée ou pour la déduction que nous menons, la compossibilité des éléments suffit à garantir la vérité du propos établi. C’est pourquoi ces vérités sont vraies dans tous les mondes possibles, puisque ceux-ci sont déterminés par le respect de ce principe. Les vérités contingentes, ou vérités de fait, sont d’un genre différent. Elles ne valent que pour un monde possible particulier. Ainsi les propriétés des corps physiques de notre monde ne sont pas nécessaires : il est possible d’envisager un monde non contradictoire dans lequel elles seraient différentes.
23Les exemples précédemment évoqués de l’azote et de l’oxygène ressortent de ces vérités de fait. Si nos connaissances sur ces éléments peuvent effectivement varier, il n’en va pas de même pour les définitions de concepts, seules présentes dans le projet leibnizien. Selon Umberto Eco (1997 : 326), cette restriction de son domaine d’application fait de la CU une « langue scientifique ».
24Si cette particularité du projet leibnizien ne peut caractériser l’ensemble des LA philosophiques, la CU partage avec l’ensemble de ces projets le fonctionnement que j’ai appelé taxonomique explicite, qui retranscrit l’organisation des signifiés dans l’organisation des signifiants. Cette organisation fait que les termes d’une langue philosophique sont construits par leurs auteurs. Ils ne viennent donc pas des LN, ce qui justifie, dans un classement d’ordre génétique, leur regroupement avec l’ensemble des LA a priori. Mais elles doivent en être distinguées dans le cadre d’une comparaison non génétique entre LA et LN : leur fonctionnement est une spécificité d’ordre structurel.
2.3. Les langues dites mixtes
25La catégorie des langues mixtes a été élaborée par Couturat et Léau. Celles-ci reprendraient (1903 : XXVII-XXVIII) des éléments aux deux familles, a priori et a posteriori :
Entre ces deux groupes, radicalement distincts par leurs tendances, il existe un certain nombre de projets qui s’inspirent à la fois des deux principes opposés, et qui offrent un mélange des caractères propres aux deux groupes (ce sont principalement le Volapük et ses dérivés) ; nous les appelons pour cette raison systèmes mixtes.
27Cette distinction entre trois familles a connu une très importante postérité. Elle est ainsi reprise par Monnerot-Dumaine (1960) comme par Albani & Buonarroti (2010) qui la font intervenir dans leurs classements. Eco (1997) la maintient également. Yaguello (2006 : 107) parle de « LA a posteriori à système mixte ».
28Il convient, pour comprendre pourquoi ces LA sont classées de façon distincte, de présenter les principes (déjà évoqués par Moch) d’internationalité et de facilité. En effet, pour Couturat et Léau, le projet de LAI doit, afin d’être mis en place, avoir le soutien des autorités politiques dominantes. Or, dans leur conception européano-centrée [17] : « La langue internationale sera nécessairement “européenne”, parce qu’elle doit être l’expression et le véhicule de la civilisation européenne, et que, quand elle sera adoptée par toute l’Europe, elle sera adoptée par le monde entier » (Couturat & Léau 1903 : 511-512) [18]. Par suite, l’internationalité dont il est question est celle des mots employés par des peuples de langue maternelle différente. Le critère permettant de les identifier n’est pas celui du plus grand nombre de locuteurs, mais celui de leur utilisation dans différentes LN européennes. De même, la facilité dont il est question n’est en rien due à des caractéristiques internes de la LA étudiée, mais à sa proximité de la langue maternelle des locuteurs européens qu’on entend recruter.
29Ces deux principes se recoupent l’un l’autre en raison des conditions posées pour l’obtention d’une LAI. Ainsi, pour Couturat & Léau (1903 : 509) :
[Il faut] constituer un vocabulaire à la fois international et neutre, qui soit (c’est là l’essentiel) le plus facile à apprendre pour tous les Européens, et réunisse le plus grand nombre de mots ou de radicaux déjà connus de la plupart d’entre eux.
31En conséquence, comme ces principes sont absolument nécessaires pour accomplir le projet de LAI, et qu’ils impliquent de retrouver le plus d’éléments possibles des LN européennes, s’en éloigner devient alors arbitraire. Et comme le volapük (et les autres systèmes supposés mixtes) ne suit pas les principes d’une LAI, il est d’une nature différente [19]. Pourtant, c’est toujours une différence de degré qui distingue la quantité d’éléments repris d’une LN, et Couturat & Léau (1903 : 512) indiquent eux-mêmes (mais à propos des LA a posteriori) que l’on pourrait parler de « degré d’“apostériorité” […] suivant la mesure où elles se rapprochent des langues naturelles, soit dans la grammaire, soit dans la formation des mots ».
32Le lien des LA mixtes avec les LA a posteriori viendrait de ce qu’elles reprennent les racines des LN. Cependant, elles soumettent « ces radicaux à des déformations systématiques, décidées a priori » (Eco 1997 : 363). Il est vrai que Schleyer (inventeur du volapük) a modifié les racines reprises aux LN (principalement l’allemand et l’anglais), notamment en écartant le phonème /r/ qu’il pensait difficile à prononcer pour les Chinois [20]. Ainsi le nom du volapük (littéralement, « langue du monde », c’est-à-dire langue universelle) est-il issu de la déformation des termes anglais world et speak. Cependant, il s’agit là d’une caractérisation d’ordre génétique. De plus, considérer que ces LA seraient les seules à utiliser des décisions « a priori » est illusoire : la particularité de toute LA est que la norme y précède le dire. Par suite les différents choix qui sont faits pour structurer et penser leur création ont toujours quelque chose d’« a priori ». Comparons sur ce point l’espéranto et le volapük : les termes désignant « père » et « mère » sont respectivement fat et mat en volapük, patro et patrino en espéranto. La décision prise par Zamenhof de distinguer le genre en prenant pour point de référence le masculin (et, par suite, de désigner le féminin par ajout d’un affixe, -in) est une décision qui précède sa création, que l’on pourrait tout autant qualifier d’a priori ou d’arbitraire.
33Un autre argument avancé par Couturat et Léau pour justifier la classification à part d’une langue comme le volapük est l’utilisation de combinaisons dans la formation du lexique. Selon Eco (1997 : 363), ce fonctionnement rapprocherait ces langues des LA philosophiques, car, dans les deux cas, on « prétend analyser les notions selon une méthode philosophique ». Il est vrai que la composition des termes permet, à partir d’une connaissance des racines, de retrouver leur signification. Cependant, ces LA ne reposent pas sur des notions primitives. Il n’y a pas non plus de fonctionnement taxonomique explicite tel que décrit plus haut. Ainsi, si le terme volapük celabim (cerisier) est bien composé des signifiants cerise (cel) et arbre (bim), on n’y retrouve cependant pas la notion de fruit (fruk), qui serait présente dans une LA philosophique. Les phénomènes d’« agglutinations conceptuelles », comme les appelle Eco (1997 : 363), ne sont pas non plus propres au volapük. On les retrouve également en espéranto.
34La structure des LA mixtes ne reprend donc pas le fonctionnement taxonomique explicite, différence de nature légitimant le classement à part des LA philosophiques. La catégorie mixte a été élaborée par Couturat et Léau afin de montrer que le projet de LAI, qu’ils défendent ardemment, s’est organisé historiquement dans une dynamique de progrès. Les LA mixtes sont les projets anciens qui, comme les LA a priori, ne suivent pas les principes d’une LAI [23]. Leur éloignement plus important des LN (différence de degré d’ordre génétique) ne justifie pas non plus un classement dans une catégorie distincte.
2.4. Tendance schématique – tendance naturaliste
35Certains auteurs (Burney 1962 et Janton 1994) font apparaître une distinction entre LA schématique et LA naturaliste. Cette approche repose sur une assimilation des LA philosophiques, nécessairement élaborées par écart avec les LN et donc perçues comme a priori, à l’ensemble des LA a priori [24]. L’opposition ne concerne donc plus que les LA non philosophiques, selon leur degré de ressemblance avec les LN.
36Burney (1962 : 87) les définit ainsi :
[…] les langues schématiques […] recherchent la simplicité et la régularité ; les langues naturalistes […] s’efforcent de rester aussi près que possible des formes linguistiques existantes.
38Cette approche est fortement inspirée de l’opposition a priori – a posteriori. On y retrouve en effet le même critère (éloignement – rapprochement des LN). Cependant, contrairement aux approches précédemment évoquées, ce prisme n’est plus envisagé comme délimitant des catégories aux propriétés distinctes (ce qui, on l’a vu, suscite de nombreuses difficultés) mais des tendances, comme l’indique Janton (1994 : 11) :
Les classifications des langues construites partent de la distinction entre langues a priori et a posteriori, c’est-à-dire entre la tendance schématisante et la tendance naturaliste. […]. Les nuances très nombreuses dans les langues a posteriori imposent à toutes ces classifications un caractère approximatif.
40La classification traditionnelle des LA, qui distingue entre LA a priori et LA a posteriori, n’identifie donc pas des propriétés des LA considérées. Elle ne repose pas sur des critères fonctionnels mais génétiques, en fonction de l’origine de leurs éléments lexicaux. Cette proximité est de plus toujours relative à la connaissance de différentes LN dont l’imitation comme l’éloignement peut se faire de façon plus ou moins consciente.
41Les LA philosophiques, en revanche, sont bien caractérisées par un trait structurel : elles suivent ce que j’ai appelé un « fonctionnement taxonomique explicite », qui inscrit dans le signifiant les relations hiérarchiques de type ISA. La catégorie mixte, présente chez certains auteurs, désigne le plus souvent des LA qui, bien que reprenant des éléments des LN, sont organisées selon une tendance schématique très marquée qui les rapproche des LA philosophiques. Elles n’en ont cependant pas le fonctionnement taxonomique explicite.
42Les LA, une fois écarté le contexte de leur élaboration, ne représentent donc pas un ensemble aux propriétés homogènes. Ainsi peuvent être distingués, selon des critères fonctionnels, deux types : LA philosophiques (telle la CU) et LA non philosophiques (tel l’espéranto).
3. Propriétés générales des langues naturelles
43Afin d’établir si les LA sont des langues, il faut disposer d’un ensemble de caractéristiques communes à l’ensemble des LN. De tels universaux ont été établis par Hockett dans le cadre de sa comparaison entre communication humaine et communication animale.
3.1. Les caractéristiques de Hockett
3.1.1. Statut des universaux de Hockett
44L’existence d’universaux du langage est contestée par certains auteurs. Ainsi Evans & Levinson (2009) évoquent-ils (c’est le titre de leur article) un « Myth of Language Universals ». Cependant, reprenant la distinction proposée par Greenberg (1963), ils admettent la nécessité d’universaux « par définition », tels ceux proposés par Hockett, qui sont ceux qui doivent appartenir à l’objet considéré pour qu’il puisse être appelé langue [25].
45Ces design features établis par Hockett (1982 : 5) sont conçus comme un cadre de référence permettant de comparer l’ensemble des LN avec les systèmes de communication animale : « The frame of reference must be such that all languages look alike when viewed through it ». Cette liste n’est ainsi pas conçue comme exhaustive (Hockett 1963 : 11) :
The list was not originally assembled in a search for language universals, but rather through a series of comparison of human speech with the communicative behavior of certain other animals. It includes any point that such a comparison suggested [26].
47Il suffit en effet que l’un des traits présents dans l’ensemble des LN ne soit pas dans le système considéré pour confirmer l’hypothèse qu’il s’agit bien d’un système différent. Or si cette comparaison est éclairante, c’est parce qu’elle permet d’éviter de prendre en compte des universaux accidentels, tels que partagés par toutes les LN connues, mais absents de certaines LN aujourd’hui disparues : « As long as we confine our investigations to human language, we constantly run the risk of mistaking an “accidental” universal for an “essential” one » (Hockett 1963 : 5).
48Ces caractéristiques ne sont pas d’ordre typologique pour Hockett [27]. En effet, la typologie compare les LN entre elles. Les traits dont elle se préoccupe sont donc ceux qui varient entre différentes LN, et non ceux qui sont communs à toutes, tandis que Hockett souhaite établir des caractéristiques communes à toutes les LN pour pouvoir les comparer aux systèmes de communication des animaux. Il s’agit cependant dans les deux cas de concepts comparatifs, ainsi définis par Haspelmath (2009 : 26) [28] :
[…] des schèmes qui sont établis par le chercheur pour permettre la comparaison. Il n’y a pas de justification empirique pour ces schèmes, car une comparaison empirique ne devient possible que dès lors que l’on dispose d’un tel concept comparatif.
50Ainsi, la comparaison, parce que « nous ne pouvons savoir ce qu’est une chose qu’en sachant également ce qu’elle n’est pas » [29], permet par effet de retour de distinguer des universaux définitionnels, ce que Hockett (1963 : 2) appelle « the defining set ». Cependant, pour éviter le risque de tautologie, ces universaux définitionnels ne doivent pas être préalables à l’investigation : ils en sont le produit [30].
3.1.2. Les « design features » de Hockett
51L’établissement des design features a connu deux étapes : alors que la version de 1960 (rééditée en 1982) [31] comportait treize traits, celle de 1963 ajoute la prévarication, la réflexivité et l’apprenabilité [32]. Ces trois dernières ne font cependant pas partie de la définition d’une langue, pour laquelle Hockett ne retient que dix des seize traits partagés par l’ensemble des LN [33]. Sont également écartés le canal oral-auditif et la transmission par tradition [34]. Les dix traits conservés sont donc : l’ouverture, le déplacement, la double articulation, l’arbitrarité (qui présuppose en fait la sémanticité [35]), la discrétion, l’interchangeabilité, le retour total, la spécialisation, l’extinction rapide du signal et la transmission par diffusion avec réception directionnelle. Afin de justifier leur caractère définitionnel, Hockett considère les effets de leur suppression [36].
52L’ouverture désigne la possibilité de créer librement et facilement des énoncés. Les LN permettent en effet la production [37] de messages absolument nouveaux sans que la compréhension ne soit mise en péril. Hockett distingue dans la deuxième version (1963 : 9) deux types de productivité. Le premier type consiste à reprendre, en modifiant leur organisation, d’anciens messages : le nombre d’énoncés possibles dans une LN n’est pas limité. Le second type consiste à attribuer un sens nouveau à une expression, par les circonstances ou le contexte. C’est ce deuxième type d’ouverture qui est absent des danses des abeilles pour Hockett. Sans cette propriété, les LN ne pourraient générer qu’un nombre fini de messages. De plus, précise Hockett, bien que mentir reste possible, la formation d’hypothèses ne le serait plus.
53Le déplacement décrit la capacité des LN à référer à des objets absents de la situation d’énonciation (notamment éloignés dans le temps comme dans l’espace). Sans cela, il serait impossible de communiquer tant sur le passé que sur l’avenir. Toute fiction (puisque dépassant ce qui est présent) serait également écartée du langage, et par conséquent la littérature et la science également.
54La double articulation correspond à l’existence dans les LN de deux niveaux d’organisation, où les unités minimales n’ont pas le même statut. Ainsi des unités dénuées de signification, les phonèmes, sont combinées pour former des unités douées de signification, les morphèmes. Hockett préfère cependant, dans sa deuxième version (1963 : 9), emprunter à Hjemslev les notions d’unités cénématiques (sans signification) et plérématiques (douées de signification) pour éviter de réserver la double articulation aux systèmes de communication utilisant le canal oral-auditif. Cette particularité permet un allégement considérable du langage en évitant de devoir créer chaque fois une unité complètement différente pour exprimer un sens différent.
55L’arbitrarité indique que l’association entre signifiant et signifié ne se fait pas en fonction d’une ressemblance (notamment d’ordre physique ou géométrique). S’y oppose l’iconicité. Hockett (1960 : 6) prend l’exemple du terme anglais whale (baleine), mot court qui désigne un animal énorme, tandis que les micro-organismes, désignés par un signifiant bien plus long, sont invisibles à l’œil nu. Cette propriété présuppose celle de sémanticité, qui indique l’association entre le signifiant et sa dénotation, c’est-à-dire le fait que les signes des LN représentent autre chose que ce qu’ils sont. Sans arbitraire, soit il n’y a pas d’association sémantique, soit celle-ci est iconique. Dans ce dernier cas, seul ce qui peut être décrit par un rapport iconique pourrait être dénoté dans la langue.
56Le caractère discret des unités non signifiantes du langage s’oppose à la notion de continuum. Ainsi, pour reprendre l’exemple proposé par Hockett (1960 : 6), l’opposition entre les termes anglais pin (épingle) et bin (boîte) ne comporte pas d’intermédiaire pertinent sur un plan linguistique. Si le premier phonème de pin est prononcé d’une manière telle qu’on pourrait hésiter entre /p/ et /b/, soit l’interlocuteur pourra, grâce au contexte, identifier le phonème voulu, soit le message ne sera pas compris. Sans ce caractère discret, la sémanticité du système serait principalement d’ordre iconique [38] : les degrés identifiés dans le continuum du signifiant renverraient à des degrés de signification. Cependant, comme le caractère discret des unités n’implique pas l’arbitrarité, il s’agit bien d’une propriété indépendante du langage. Notons sur ce point que Hockett, malgré la précaution prise au sujet de la double articulation, décrit cette propriété en référence au canal oral-auditif.
57L’interchangeabilité indique la possibilité pour chaque individu d’endosser tant les rôles d’émetteur que de récepteur. Hockett justifie la présence de cette caractéristique dans la définition du langage en indiquant qu’elle aide à résoudre des difficultés en permettant de jouer le rôle d’autrui, et ainsi, de se parler à soi-même [39]. Cette caractéristique ne semble cependant pas tant concerner le système de communication lui-même que ses modalités d’utilisation.
58Le retour total garantit la possibilité, pour l’émetteur, de recevoir lui-même le message. Hockett évoque à ce sujet le canal cinétique-visuel, mais sans faire aucune référence aux langues signées. Il s’agit pour lui d’indiquer que ce canal, dans le cadre de la communication animale, ne permet pas toujours le retour total [40].
59La spécialisation signifie que la communication n’est pas l’effet secondaire d’un autre comportement. Hockett (1963 : 13) précise que certains hésitent à qualifier de communication un comportement dont cette caractéristique est absente. Cette propriété a cependant plus trait à l’intention de l’émetteur du message (il faut qu’il souhaite communiquer) qu’au langage lui-même.
60L’extinction rapide du signal, comme la transmission par diffusion avec réception directionnelle (qui permet notamment d’identifier l’origine du message), sont présentées par Hockett comme une conséquence du canal oral-auditif, car liées aux propriétés du son [41]. Il s’agit surtout pour Hockett de refuser les signes produits par les animaux tels que les traces ou les phéromones. Elle permet de plus d’écarter l’écriture, qui n’intéresse pas Hockett car elle est apparue récemment par rapport à l’émergence du langage.
61La transmission culturelle est fondamentale pour Hockett, car elle fait partie des innovations humaines, de même que l’ouverture, le déplacement et la double articulation [42]. Cette modalité de transmission indique que les LN sont apprises, et non acquises par les gènes : elles sont transmises de façon culturelle [43] et ne sont pas innées. Cette particularité est liée à celle d’apprenabilité, qui indique que nous pouvons apprendre d’autres langues. La distinction entre compétence passive et compétence productive d’une langue seconde ou de certains registres de langue maternelle n’est pas envisagée. Cette caractéristique, comme les deux prochaines, n’est pas intégrée par Hockett à son defining set.
62La prévarication renvoie à la possibilité pour les énoncés d’être faux, trompeurs, ou dénués de signification (dans un sens logique). Cette propriété dépend de la sémanticité (selon laquelle les énoncés ont un sens) comme du déplacement (également lié au mensonge, qui est un exemple d’énoncé faux). C’est l’ouverture qui permet la génération d’énoncés dénués de sens. Hockett prend pour exemple l’affirmation que « l’intérieur d’un solide opaque est vert avant d’être exposé à la lumière » [44]. Cette phrase n’est pas sans rappeler l’exemple pris par Chomsky pour illustrer la notion de phrase ininterprétable, telle que « d’incolores idées vertes dorment furieusement » (Chomsky 1979 : 17) [45] : si nous pouvons attribuer une signification à cette phrase (notamment poétique), celle-ci contient manifestement quelque chose d’incohérent sur le plan sémantique (on ne peut être à la fois, si les termes sont pris dans leur acception littérale, incolore et vert). Ces énoncés ont un aspect paradoxal.
63Enfin, la réflexivité décrit le fait de communiquer sur la communication elle-même. Il s’agit de la possibilité d’un discours métalinguistique. Celle-ci est liée à l’universalité : c’est parce que l’on peut tout dire que l’on peut notamment s’exprimer sur le langage lui-même.
3.2. Les langues signées
64La prise en compte des langues signées (LS) écarte nécessairement le canal oral-auditif : la communication se fait par le canal cinétique-visuel. Cette exclusion des LS n’est cependant pas spécifique à Hockett : comme l’indiquent Evans & Levinson (2009 : 438), « many proposed universals of language ignore the existence of sign languages ».
65Le retour total ne peut plus être intégré aux propriétés de toute LN : les signes effectués par le signeur (l’émetteur en LS) ne sont pas tous perçus par celui-ci. Cependant, les autres caractéristiques identifiées par Hockett comme des conséquences des propriétés du son ne sont pas réservées aux langues orales (LO). Ainsi, l’extinction rapide du signal est bien valable dans le cas des LS : le message signé ne persiste pas au-delà de sa réalisation par le signeur. De même, il est possible d’identifier la localisation d’un signeur : la réception directionnelle est donc présente. C’est également le cas de la transmission par diffusion : les messages signés peuvent être perçus par tout individu doté de la vue. Cependant, les LS, outre leur différence de canal (et précisément en raison de cette différence), ont une composante iconique extrêmement forte qui amène à s’interroger sur leur éventuelle arbitrarité.
66Identifier les LS comme des langues s’est fait relativement récemment. Ainsi, c’est avec les travaux de Stokoe sur l’ASL (langue des signes américaine), développés dans les années 1960, que débutent les études linguistiques sur les LS [46]. Stokoe justifie le caractère linguistique des LS en montrant qu’elles sont doublement articulées. Ainsi les signes dotés de signification des LS sont-ils décrits à partir de différents paramètres qui ne sont pas en eux-mêmes porteurs de sens, mais permettent de le construire : emplacement, configuration de la main (parfois appelée configuration digitale), mouvement et orientation de la main (ce dernier paramètre a été ajouté par la suite). Ces unités sont pour Stokoe des « chérèmes » et sont identifiées par des paires minimales. Il introduit ainsi l’idée d’une organisation de type phonologique [47] dans les LS : les signes doués de signification sont formés d’unités minimales non significatives.
67Cette conception se fonde sur la marginalisation des phénomènes d’iconicité présents dans les LS. Ainsi, comme l’indique Cuxac (2001) :
[…] la stigmatisation des langues des signes, leur rejet hors langues, s’étant essentiellement opérés à partir de leurs caractéristiques iconiques […], une stratégie envisageable de leur réinclusion consistait, sinon à dénier, du moins à gommer les phénomènes relevant de l’iconicité.
69C’est le canal cinétique-visuel, en tant qu’il peut exploiter les quatre dimensions de notre monde, qui permet cette iconicité [48]. Un tel lien de ressemblance est impossible dans les LO.
70La figure 1, issue de l’article de Paola Pietrandrea (2002 : 313, figure 21) illustre cette ressemblance entre les signes employés dans la langue des signes italienne (LIS) et leur référent. Ainsi le signe PIERRE [49] renvoie à la rondeur comme à la dureté de la pierre, VOITURE au mouvement effectué pour conduire et PRISONNIER aux mains enchaînées d’un prisonnier.
Figure 1 : PIERRE, VOITURE et PRISONNIER en LIS
Figure 1 : PIERRE, VOITURE et PRISONNIER en LIS
71Par contraste, les signes présentés dans la figure 2 (Pietrandrea 2002 : 315, figure 24) ne semblent pas directement motivés par une relation avec leur référent :
Figure 2 : DRAP en ASL et LIS
Figure 2 : DRAP en ASL et LIS
72Les signes iconiques sont analysés par certains auteurs comme une particularité des LS due à leur jeunesse (la plus ancienne LS n’aurait pas plus de 300 ans [50]). Ainsi les LS utiliseraient l’iconicité parce qu’elle est rendue possible par le canal cinétique-visuel, mais ce type de signe, d’après Aronoff et al. (2005 : 338), aurait vocation à disparaître :
Sign language signs […] are more iconic because they can be […]. The iconically based morphology is what is expected in any language that is capable of it. […] the arbitrariness of grammatical systems is a property of old languages […].
74Pourtant, la traduction LS-LO (et réciproquement) fait apparaître l’importance de l’iconicité pour les locuteurs sourds. Ainsi Guitteny (2004 : 4) indique-t-il que :
L’iconicité que déploie l’interprète dans son expression signée est d’une part la garantie d’une plus grande clarté de sa traduction, et d’autre part un critère – conscient ou inconscient – souvent utilisé par les locuteurs sourds pour « classer » les interprètes.
76De plus, elle représente un pourcentage important des signes des LS. Ainsi, l’étude proposée par Pietrandrea sur la LIS fait ressortir que 50 % des configurations de la main et 67 % des localisations sont motivées par une relation d’ordre iconique (Pietrandrea 2002 : 300).
77Selon Cuxac, qui distingue entre signes standards et signes de grande iconicité [51], les signes standards sont en réalité issus des signes de grande iconicité, par lexicalisation. Cette approche, qui constitue l’inverse de celle proposée par Aronoff et al. (2005) est cependant controversée, de l’aveu même de l’auteur [52].
78Toutefois, quels que soient l’origine ou le futur de ces éléments iconiques, la relation de motivation entre signifiant et signifié est toujours partielle. En effet, ce ne sont pas l’ensemble des propriétés du signifié qui sont retenues, mais seulement certaines d’entre elles, considérées comme pertinentes pour l’expression. Ainsi, dans PIERRE en LIS, c’est la rondeur qui est retenue comme trait saillant. De plus, comme l’indique Pietrandrea (2002 : 314) [53], un même paramètre fonctionnel n’a pas toujours la même signification. Ainsi un signe réalisé au niveau de la bouche peut-il l’être en raison de la couleur (ROUGE en LIS), ou parce que l’action dénotée a lieu à cet endroit (PARLER en LIS). On ne peut donc prédire ni la signification qui sera attribuée à un paramètre fonctionnel (puisqu’on ne peut déterminer quelle particularité de ce paramètre sera utilisée dans la relation iconique), ni le signe qui sera utilisé pour dénoter un référent (puisqu’il n’est pas possible de prévoir l’aspect du référent qui sera sélectionné) [54].
79La prise en compte des LS n’amène donc pas seulement à remettre en cause, parmi les caractéristiques proposées par Hockett, celle du canal oral-auditif (et partant, les caractéristiques qui en dépendent), mais également à redéfinir l’arbitrarité. En effet, les LS, parce que les signes qu’elles utilisent sont partiellement motivés, nous amènent à dépasser l’antonymie arbitrarité – iconicité (Hockett, comme on l’a vu, définit l’une par opposition à l’autre). Ainsi l’arbitrarité n’est-elle plus à comprendre comme l’absence de toute motivation, mais comme la sélection de certains aspects du signifié comme du signifiant. C’est ce choix, imprévisible comme le montre Pietrandrea, qui constitue l’arbitrarité des LS [55].
80Le caractère discret des unités, défini par Hockett en référence au canal oral-auditif, est également présent dans les LS. En effet, même dans un modèle comme celui proposé par Cuxac, dans lequel les structures de transfert induisent bien des éléments non discrets, les signes standards sont produits à partir d’« éléments gestuels discrets (la forme de la ou des mains) » (Cuxac 2000 : 56).
81Ainsi, parmi les caractéristiques définitoires déterminées par Hockett, seul le retour total n’est pas présent dans les LS. Le canal oral-auditif étant également exclu, il apparaît que quatorze des seize caractéristiques proposées par Hockett sont bien présentes dans toute langue, que celle-ci soit orale ou signée : la transmission par diffusion et la réception directionnelle, l’extinction rapide du signal, l’interchangeabilité, la spécialisation, la sémanticité, l’arbitrarité redéfinie, la discrétion des unités, le déplacement, l’ouverture, la transmission traditionnelle, la double articulation, la prévarication, la réflexivité et l’apprenabilité.
4. Étude comparée de l’espéranto et de la caractéristique universelle
82La section précédente a permis d’identifier quatorze des caractéristiques proposées par Hockett comme étant des propriétés partagées par l’ensemble des langues, tant orales que signées. Certaines d’entre elles [56] ne sont pas considérées par Hockett comme des propriétés définitoires d’une langue. Cependant, parce qu’elles sont partagées par toutes les LN, j’étudierai leur présence éventuelle dans les LA que sont l’espéranto et la CU. Si certaines de ces caractéristiques pourront être illustrées par le biais d’exemples dans le cas de l’espéranto [57], l’inachèvement de la CU rend ce recours impossible.
4.1. Transmission par diffusion et réception directionnelle, extinction rapide du signal
83Leibniz avait développé, en 1678, un projet de transcription orale à partir des projets de CU où les nombres sont utilisés comme caractères. Cette oralisation repose sur la table suivante [58] :
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 |
b | c | d | f | g | h | l | m | n |
unités | dizaines | centaines | milliers | dizaines de milliers | ||||
a | e | i | o | u |
84Pour énoncer un nombre il suffit alors, comme l’indiquent Couturat & Léau (1903 : 24), d’énoncer « le nombre des unités de chaque ordre décimal, en associant la consonne correspondant au chiffre et la voyelle correspondant à l’ordre décimal ». Dans cette notation, les syllabes peuvent être interverties, car les voyelles indiquent chaque fois le rang de la consonne qui les précède. Ainsi [59], à 81374 correspondent également Mubodilefa et Bodifalemu. Dans ces expressions, la reconnaissance des relations hiérarchiques de type ISA dans le signifiant lui-même apparaît impossible sans le recours à la table de correspondance.
85Ce projet fut par la suite abandonné par Leibniz, qui étudie uniquement des caractères visuels pour sa CU. En effet, le fonctionnement taxonomique explicite nécessite la présence simultanée des caractères du signifié pour que puissent être observées les relations sémantiques de type ISA. Cette simultanéité, incompatible avec le déroulement temporel de l’énonciation orale ou signée, explique l’aspect nécessairement écrit d’un tel projet : la diffusion par transmission et la réception directionnelle, de même que l’extinction rapide du signal, n’y sont donc pas présentes. L’espéranto, à l’inverse, peut être tout aussi bien écrit que parlé : il partage ces deux propriétés avec les LN.
4.2. Interchangeabilité
86Cette caractéristique repose chez Hockett sur une connaissance partagée de la langue maternelle concernée. Or les LA ne connaissent, lors de leur création, qu’un seul locuteur potentiel (c’est d’ailleurs là l’une de leur particularité). Outre le fait que certaines d’entre elles, comme la CU, soient restées à l’état de projet, d’autres ne sont jamais utilisées que par leur créateur pour en donner des exemples. Cependant, rien n’indique, dans le cas de la CU, que les rôles d’émetteur et de récepteur ne puissent être inversés. Dans le cas de l’espéranto, on observe que des conversations peuvent avoir lieu dans cette langue. Ainsi, ces deux LA partagent l’interchangeabilité.
4.3. Spécialisation
87Si la création de LA est souvent la conséquence d’une volonté de s’extraire des LN (que ce soit pour des raisons d’ordre moral ou politique), la communication par le biais des LA ainsi produite n’apparaît cependant pas comme l’effet secondaire d’un autre comportement : leur emploi relève d’une volonté consciente du locuteur [60].
4.4. Sémanticité
88Les signes employés dans l’espéranto (tel ĉevalo) ont bien une dénotation : cette LA a une sémanticité. La CU est parfois présentée comme un simple calcul comparable à un langage formel. Il est vrai que Leibniz conçoit cette LA de sorte qu’elle puisse remplacer ou soutenir le raisonnement sans qu’il soit nécessaire de recourir à la signification des caractères utilisés. Cependant [61], les caractères de la CU ont toujours une interprétation, même si celle-ci a été formalisée dans l’organisation du système lui-même. En cela, elle dispose bien de sémanticité.
4.5. Arbitrarité
89Les signifiants de la CU sont des caractères qui contiennent l’ensemble des traits analytiques de leur signifié. Il n’y a donc pas de choix d’un trait considéré comme saillant : toutes les caractéristiques du signifié sont supposées être retranscrites dans le signe qui le dénote. Cette spécificité, liée à son fonctionnement taxonomique explicite, exclut l’arbitrarité de la CU. Dans l’espéranto, à l’inverse, bien que l’on puisse parler de motivation partielle pour certains termes [62], seuls certains éléments du référent sont présents dans le signe qui le dénote : ce choix de traits pertinents pour l’expression relève de l’arbitrarité telle que redéfinie par l’étude des LS.
4.6. Caractère discret des unités
90Le système phonologique de l’espéranto comporte vingt-huit phonèmes. Ceux-ci (c’est en cela qu’il s’agit bien de phonèmes) sont caractérisés par des relations d’opposition qui en font des unités discrètes. Dans la CU, les notions primitives sont, par définition, absolument distinctes les unes des autres. Par conséquent, les unités du signifiant que sont les caractères qui les transcrivent doivent l’être également. Les unités de la CU sont donc également discrètes.
4.7. Déplacement
91Je propose les exemples (1) à (4) afin d’illustrer le déplacement dans les LN. Leur traduction en espéranto, exemples (1’) à (4’), asserte la capacité de cette LA au déplacement.
1. | L’émission d’hier était très intéressante. [référence à un élément passé] |
1’. | La hieraŭa elsendo estis tre interesa. |
2. | Demain j’irai acheter du pain. [référence à un élément futur] |
2’. | Morgaŭ mi iros aĉeti panon. |
3. | Les loups-garous sont terrifiants. [référence à un élément fictif] |
3’. | Luphomoj teruras. |
4. | La somme des angles d’un triangle est égale à 180°. [référence à un élément abstrait] |
4’. | La sumo de la anguloj de triangulo egalas 180 gradojn. |
92Dans la CU, (4) est tout à fait envisageable : cette LA permet d’exprimer les concepts. Cet énoncé de type mathématique n’est donc pas problématique. Elle ne peut cependant qu’exprimer des vérités de raison. Ainsi, (1) et (2), qui font référence à des événements particuliers, lui sont inaccessibles. (3) se présente comme une proposition générale, cependant, le loup-garou, animal fictif, ne pourrait être désigné dans la CU que s’il s’agit d’une notion non contradictoire. De plus, l’expression d’émotion (« effrayant ») apparaît problématique [63]. Ainsi, le déplacement est partiellement possible dans la CU. En revanche, la désignation des objets présents dans la situation d’énonciation, qui relèvent des vérités de faits, est impossible : la CU ne semble pas susceptible d’exprimer ce qui relève de la deixis.
4.8. Ouverture
93Hockett distingue deux types d’ouverture. Le premier type, qui correspond au fait que les énoncés possibles ne soient pas en nombre fini, est bien présent dans l’espéranto comme dans la CU [64]. Le deuxième type, modifier le sens par le contexte ou les circonstances, n’est présent que dans l’espéranto. En effet, en espéranto, le sens des termes, bien qu’en grande partie fixé par Zamenhof lors de sa création, peut être modifié par l’usage [65]. À l’inverse, le fonctionnement taxonomique explicite de la CU suppose une fixité absolue des significations : la définition d’une notion étant toujours présente dans le caractère qui l’exprime, les signifiants ne peuvent désigner un autre référent que celui dont ils présentent les traits caractéristiques.
4.9. Tradition et apprenabilité
94Les LA sont des créations, différentes selon les auteurs : elles ne sont pas transmises génétiquement. L’espéranto peut bien être appris et la CU, en supposant que le projet soit achevé, le serait également. La première génération de locuteurs ne peut cependant acquérir cette langue que comme langue seconde.
95L’espéranto permet d’exprimer des énoncés usuels comme des énoncés scientifiques. Il est d’ailleurs la langue maternelle d’un millier de locuteurs d’après une estimation récente [66]. La CU à l’inverse ne peut transcrire la plupart des énoncés usuels, comme la description des objets présents dans la situation d’énonciation, puisque ce qui relève de la deixis lui semble inaccessible. Par conséquent, même en admettant que le projet soit achevé, il semble difficile que cette LA puisse être acquise comme langue maternelle (elle ne transcrit que les énoncés conceptuels de type scientifique). Peut-être serait-il alors légitime de reconsidérer cette propriété et de préciser que les LN ne peuvent pas seulement être apprises : elles peuvent être acquises comme langue maternelle (c’est d’ailleurs leur principale modalité de transmission).
4.10. Double articulation
96En espéranto, un terme comme ĉevalo (« cheval ») est composé de deux morphèmes (ĉeval- et -o), porteurs chacun d’une signification. Le morphème ĉeval- est quant à lui composé de cinq phonèmes, qui n’ont pas de signification. Cette LA est donc bien doublement articulée. La CU est un projet écrit (voir 4.1) dont les signes sont les caractères. Par l’analyse d’un terme complexe, on peut identifier les caractères simples dont il est composé. Cependant, ces caractères simples, correspondant aux notions primitives, sont conçus pour être, comme elles, indécomposables. Ainsi, on ne peut identifier d’unité dénuée de signification, puisque les caractères des notions primitives renvoient toujours à leur sens. Le dernier niveau de l’analyse du signifié étant aussi celui du signifiant, la CU apparaît comme n’étant pas doublement articulée.
4.11. Prévarication
97Je propose les exemples suivants (5) à (7) afin d’illustrer la prévarication des LN. Leur traduction en espéranto (5’) à (7’) en montre la possibilité dans cette LA.
5. | Tous les animaux sont des lions. [énoncé faux] |
5’. | Ĉiuj bestoj estas leonoj. |
6. | D’incolores idées vertes dorment furieusement [67]. [énoncé dénué de sens logique] |
6’. | Senkoloraj verdaj ideoj dormas furioze. |
7. | Tout ce qui est rare est cher, or un cheval bon marché est rare, donc un cheval bon marché est cher. [énoncé trompeur, sophisme] |
7’. | Ĉio malofta estas multekosta. Nu, malmultekosta ĉevalo estas malofta . Do, malmultekosta ĉevalo estas multekosta. |
98En espéranto, la grammaticalité d’un énoncé est indépendante de sa vérité comme de sa logique [68]. Or la CU est précisément conçue afin d’éviter de tels énoncés. Ils pourraient être produits, mais seraient toujours agrammaticaux. Ainsi dans (5), en raison de ce que j’ai appelé le fonctionnement taxonomique explicite, le caractère correspondant à « animal » pourra éventuellement être composé, s’il ne s’agit pas d’une notion primitive, mais ne comportera pas le caractère « lion », puisque ce dernier en dérive. Reprenons pour l’illustrer l’exemple des nombres pris comme caractères temporaires, où seuls les nombres entiers sont considérés comme corrects. Si l’on admet que « animal » est exprimé par 2, alors « lion » sera un multiple de 2, posons 8. (5) deviendrait alors « 2 est divisible par 8 ». Le résultat étant 1/4, l’énoncé sera considéré comme agrammatical, puisqu’il dépasse les caractères autorisés. Pour les mêmes raisons, les expressions « d’incolores idées vertes » ou « un cheval bon marché est cher » étant contradictoires, elles seraient incorrectes dans la CU. Cette LA, contrairement à l’espéranto, n’a donc pas la propriété des LN qu’est la prévarication.
4.12. Réflexivité
99Les exemples (8) et (9), qui relèvent d’un usage réflexif du langage, sont proposés assortis de leur traduction en espéranto (8’) et (9’) afin d’illustrer l’existence de la réflexivité dans cette LA.
8. | « Table » n’a qu’une signification. |
8.’. | « Tablo » estas unusignifa. |
9. | Que voulez-vous dire ? |
9’. | Kion vi celas diri ? |
100L’usage métalinguistique n’a pas été envisagé par Leibniz. On pourrait, cependant, en respectant le cadre de la CU, envisager un signe dont la fonction serait d’indiquer que l’expression à laquelle il se rapporte est à considérer de façon autonymique [69]. Notons que si (9) est problématique dans la CU [70], l’expression sur laquelle porte l’interrogation pourrait être réécrite, assortie du signe précisant qu’il faut la comprendre de façon autonymique et d’un marqueur d’interrogation [71]. La réflexivité, présente dans l’espéranto, n’apparaît donc pas non plus incompatible avec la CU.
101Résumons-nous. La CU, en raison de son fonctionnement taxonomique explicite, ne peut comporter les propriétés suivantes : transmission par diffusion et réception directionnelle, extinction rapide du signal, arbitrarité, évolution sémantique (c’est le second type d’ouverture identifié par Hockett), double articulation et prévarication. Elle est de plus réservée à l’expression de concepts, ce qui exclut la deixis. L’espéranto, en revanche, partage bien les quatorze caractéristiques identifiées dans toutes les LN.
5. Conclusion
102Afin de comparer LA et LN, le modèle proposé par Hockett a été modifié en tenant compte des langues signées. Sur les seize caractéristiques proposées, quatorze sont conservées (voir tableau récapitulatif en annexe). Parmi ces quatorze propriétés, l’apprenabilité est précisée comme capacité à devenir langue maternelle et l’arbitrarité redéfinie : elle n’est plus opposée à l’iconicité, mais comprise (suivant Pietrandrea 2002) comme le caractère imprévisible du choix des traits saillants (du signifiant comme du signifié). La comparaison par le biais de ces caractéristiques de l’espéranto et de la caractéristique universelle a permis de montrer que les LA n’ont pas toutes les mêmes propriétés.
103L’espéranto possède bien les quatorze propriétés identifiées dans les LN. Ce système de communication développé artificiellement paraît donc bien avoir le statut de langue. À l’inverse, la caractéristique universelle n’est compatible qu’avec sept des propriétés des LN, dont seulement trois des propriétés définitoires. Cette différence apparaît comme une conséquence du fonctionnement taxonomique explicite, trait structurel identifié pour distinguer LA philosophiques et non philosophiques, renforçant ainsi l’hypothèse de deux groupes identifiés au sein des LA.
104Certaines propriétés, qui ont été depuis Hockett étudiées et identifiées comme présentes dans l’ensemble des LN, peuvent également sembler manquer au modèle qu’il propose. Il ne fait par exemple pas mention de la négation. Or, si celle-ci est présente dans toute LN, alors il semble légitime de se demander s’il s’agit d’une propriété définitoire, délimitant ce qu’est une langue. L’espéranto possède bien un système de négation. Mais qu’en est-il de la caractéristique universelle ? Dans La linguistique fantastique (Auroux et al. 1985 : 23), les langues reposant sur la « forclusion du faux », dans lesquelles expression bien formée et vérité seraient toujours équivalentes, sont présentées comme excluant la négation. Il faudrait alors examiner si c’est le cas du projet leibnizien.
Tableau établi à partir des caractéristiques proposées par Hockett
Langues orales | Langues signées | Espéranto | Caractéristique universelle | |
Canal oral-auditif | oui | non | oui | non (écrit) |
Retour total | oui | non | oui | oui (écrit) |
Transmission par diffusion et réception directionnelle | oui | oui | oui | non (écrit) |
Extinction rapide du signal | oui | oui | oui | non (écrit) |
Interchangeabilité | oui | oui | oui | oui |
Spécialisation | oui | oui | oui | oui |
Sémanticité | oui | oui | oui | oui |
Arbitrarité | oui | oui | oui | non |
Unités discrètes | oui | oui | oui | oui |
Déplacement | oui | oui | oui | partiel |
Ouverture (2 types) | 1er et 2e type | 1er et 2e type | 1er et 2e type | 1er type |
Transmission traditionnelle (extra-génétique) | oui | oui | oui | oui |
Double articulation | oui | oui | oui | non |
Prévarication | oui | oui | oui | non |
Réflexivité | oui | oui | oui | oui |
Apprenabilité | oui | oui | oui | oui |
Propriétés partagées avec l’ensemble des langues naturelles | 14 | 14 | 14 | 7 |
105En gras : caractéristiques intégrées par Hockett à la définition d’une langue.
106En italique : propriétés présentes dans les langues orales comme signées.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
-
[1]
Je remercie Pierre Larrivée pour ses conseils et ses encouragements, ainsi que Ségolène Scelles pour sa relecture attentive.
-
[2]
On trouve également les locutions « langue construite » ou « langue imaginaire », quoique cette dernière soit d’acception plus large et intègre notamment les phénomènes dits de glossolalie (voir Albani & Buonarroti 2010).
-
[3]
Celui-ci s’est tenu à Hambourg, du 12 au 16 août 1897. L’objectif de Moch était de déterminer, parmi les langues proposées pour ce rôle, les projets susceptibles d’être adoptés comme langue auxiliaire internationale.
-
[4]
Les deux auteurs citent d’ailleurs le rapport de Moch comme ayant inspiré leur approche.
-
[5]
L’un des principaux arguments utilisés pour défendre l’intérêt de l’espéranto dans ce cadre est qu’il met à égalité les locuteurs de différentes nationalités en ne favorisant aucun d’entre eux par le recours à sa langue maternelle. L’existence de locuteurs espérantophones natifs (voir infra 4.9) vient contredire une telle conception. Mais Zamenhof n’envisageait vraisemblablement pas un tel fait.
-
[6]
L’insistance sur ce point est liée aux modalités d’apprentissage de cette langue, le plus souvent de façon autonome à partir de lectures.
-
[7]
Cette question avait déjà été évoquée par Descartes ; voir « Lettre au père Mersenne du 20 novembre 1629 », in Œuvres philosophiques, Ferdinand Alquié (éd.), Paris, Bordas (Classiques Garnier), 1997, t. 1, p. 227-232.
-
[8]
Selon Couturat (1901 : 117) : « L’institution de la caractéristique présupposait l’élaboration de l’Encyclopédie, ou tout au moins, d’un ensemble de définitions logiques de tous les concepts fondamentaux des diverses sciences ».
-
[9]
Leibniz s’inspire sur ce point des idéogrammes chinois.
-
[10]
Leibniz s’est ainsi beaucoup intéressé à la syllogistique, en réduisant notamment les quatre figures de la tradition scolastique à une seule.
-
[11]
Pour une présentation de la conception leibnizienne des pensées sourdes (aveugles – caecas en latin) que sous-tend l’utilisation des caractères, voir par exemple Leduc (2012).
-
[12]
Les exemples qui suivent résument l’analyse de Leibniz (1998 : 51).
-
[13]
Couturat et Léau étaient tous deux engagés dans le projet d’adoption d’une LAI : ils étaient ainsi membres du bureau de la Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale, dont Couturat était trésorier et Léau secrétaire général.
-
[14]
Du grec οξυσ, « aigu » (d’où acide) et γενοσ, pour l’idée d’engendrement.
-
[15]
Du grec ζωη, « vie » et -α, préfixe privatif.
-
[16]
Cette opposition est présentée notamment dans Leibniz (1969 : 51).
-
[17]
Comme l’indique Yaguello (2006 : 226) : « le mouvement interlinguistique se trouve être de facto une entreprise colonialiste » (« interlinguiste » est le nom que se donnent certains spécialistes des LA).
-
[18]
Les auteurs précisent dans la note accompagnant ce passage qu’ils incluent les Américains dans les peuples de civilisation européenne.
-
[19]
Notons à ce titre que Couturat & Léau (1903 : 235) indiquent au sujet de ces LA mixtes : « Le mot qui caractérise le mieux ces projets bâtards et inconséquents, et qui résume tous leurs défauts, est celui qui revient sans cesse dans nos critiques : c’est l’arbitraire ».
-
[20]
Cette prise en compte de peuples autres qu’européens est d’ailleurs l’un des reproches que lui font Couturat et Léau !
-
[21]
L’affixe in indique le féminin, id le descendant.
-
[22]
L’affixe sma- indique le petit, ici le descendant.
-
[23]
Selon Couturat & Léau (1903 : 235), « [l]eurs auteurs se sont imaginés qu’ils pouvaient et devaient forger une langue de toutes pièces, sans consulter autre chose que leur goût ou leur fantaisie […]. Ils se sont flattés que le monde européen s’empresserait d’adopter une langue dont le vocabulaire et la grammaire lui seraient également étrangers ».
-
[24]
« […] les langues a posteriori […] abandonnent tout schéma a priori philosophique, toute classification préalable » (Janton 1994 : 10).
-
[25]
« Greenberg discounted features of language that are universals by definition – that is, we would not call the object in question a language if it lacked these properties […]. Thus, many of what Hockett (1963) called the “design features” of language are excluded » (Evans & Levinson 2009 : 437).
-
[26]
Voir également : « They [the design features] become worthy to mention only when it is realized that certain animal systems – and certain human systems other than language – lack them » (Hockett 1982 : 6).
-
[27]
« […] “taxonomy” refers to what might also be called “typology” […] if some feature is indeed universal, then it is taxonomically irrelevant » (Hockett 1963 : 3).
-
[28]
Haspelmath indique que cette conception s’inspire de la notion de « cadre conceptuel arbitraire » développée par Gilbert Lazard (G. Lazard, La quête des invariants interlangues : la linguistique est-elle une science ?, Paris, H. Champion, 2006).
-
[29]
« […] we can only know what a thing is by also knowing what it is not » (Hockett 1963 : 5 ; nous traduisons).
-
[30]
« The assertion of language universals is a matter of definition as well of empirical evidence and of extrapolation. […] We can decide that any system manifesting a certain explicitly listed set of features (the defining set) is to be called a language. The universality of the particular features we have chosen is then tautologous » (Hockett 1963 : 2).
-
[31]
C’est à la pagination de cette réédition qu’il est fait référence dans cet article. Les références « Hockett 1982 » correspondent donc à un texte antérieur à « Hockett 1963 ».
-
[32]
Je traduis ainsi, respectivement, prevarication, reflexiveness et learnability.
-
[33]
Selon Hockett (1963 : 12), « we can consider the following defining set for language : openness, displacement, duality, arbitrariness, discreteness, interchangeability, complete feedback, specialization, rapid fading, and broadcast transmission with directional reception ».
-
[34]
Je traduis ainsi, respectivement, vocal-auditory channel, semanticity et traditional transmission.
-
[35]
« Every language also have semanticity, since the contrast between arbitrariness […] and iconicity is meaningless without it » (Hockett 1963 : 12).
-
[36]
« To show the importance of the features of the defining set, we can think of human language as we know it and consider the consequences of suppressing, in turn, each feature » (Hockett 1963 : 12).
-
[37]
La version de 1960 nomme cette caractéristique productivity (« productivité »).
-
[38]
« In a continuous semantic system […] the semantic must be iconic rather than arbitrary » (Hockett 1963 : 8).
-
[39]
« It is interchangeability that enables human to “internalize” the role of others and to carry on conversations with himself, thus carrying over to the situation in which he is temporarily alone the problem-solving powers of language » (Hockett 1963 : 13).
-
[40]
« In certain varieties of kinetic-visual communication, as in the courtship dance of sticklebacks, the transmitter cannot always perceive some of the crucial features of the signal » (Hockett 1963 : 7).
-
[41]
« […] “rapid fading” and “broadcast transmission and directional reception”, stemming from the physics of sound are almost unavoidable consequences of the [vocal-auditory Channel] » (Hockett 1960 : 6).
-
[42]
« […] openness, displacement and duality (together with traditional transmission) […] are human or Hominoid innovations » (Hockett 1963 : 14).
-
[43]
« […] detailed conventions of any one language are transmitted extragenetically by learning and teaching » (Hockett 1960 : 6).
-
[44]
« […] the interior of all opaque solids is green until exposed to light » (Hockett 1963 : 10 ; nous traduisons).
-
[45]
Cet exemple illustre chez Chomsky le fait que la grammaticalité d’un énoncé (qui respecte les normes de fonctionnement de la langue) doit être distinguée de la possibilité de lui donner un sens.
-
[46]
« Stokoe est unanimement et internationalement considéré comme la première étude d’une ère nouvelle pour la recherche sur les LS » (Blondel & Tuller 2000 : 34).
-
[47]
« Même si l’emploi du terme phonologie peut sembler un peu étrange en raison du caractère “insonore” de la modalité gestuelle, les linguistes modernes l’ont conservé » (Blondel & Tuller 2000 : 34).
-
[48]
Ce point est indiqué par Hockett (1978 : 274) : « The difference of dimensionality means that signages [i. e. LS] can be iconic to an extent to which languages cannot […]. Indeed the dimensionality of signing is that of life itself […]. When a representation of some four-dimensional hunk of life has to be compressed into the single dimension of speech, most iconicity is necessarily squeezed out ».
-
[49]
Par convention, les signes des LS sont indiqués en majuscule.
-
[50]
« […] it is assumed that the oldest extant sign languages do not date back farther than about 300 years » (Sandler 2005).
-
[51]
« J’ai appelé structures de grande iconicité les traces structurales résultant de la mise en jeu d’une visée iconicisatrice, lorsque la dimension intentionnelle du comme ça est présente, et regroupe fonctionnellement l’ensemble des structures de grande iconicité en opérations dites de transfert » (Cuxac 2001).
-
[52]
« Ma propre démarche, qui considère que la voie d’entrée dans les langues des signes consiste à les appréhender à partir de l’opérateur qu’est l’iconicité est encore très minoritaire » (Cuxac 2001).
-
[53]
Les exemples qui suivent proviennent du même passage.
-
[54]
« […] given a formational parameter, it is not possible to predict the formational parameter’s meaning because it is not possible to predict which aspect of its form will be used for the expressive purpose. In the same way it is not possible to predict which sign will be used to express any given referent because it is not possible to predict which aspects of the referent will be selected for linguistic purposes » (Pietrandrea 2002 : 314-315).
-
[55]
« The selection of the linguistic salient aspects of referents and articulators is arbitrary » (Pietrandrea 2002 : 316).
-
[56]
Il s’agit de la prévarication, la réflexivité, la transmission traditionnelle et l’apprenabilité. J’intègre la sémanticité aux propriétés définitoires puisque l’arbitrarité, qui en fait partie, en dépend.
-
[57]
Ces exemples proviennent d’espérantophones confirmés qui ont bien voulu traduire les phrases concernées sur le forum du site lernu.net.
-
[58]
Cette illustration reprend (après légères modifications) celle présentée dans Eco (1997 : 307).
-
[59]
L’exemple suivant provient de Couturat & Léau (1903 : 24).
-
[60]
Ce n’est pas le cas des phénomènes de glossolalie, où l’emploi de formes inconnues ne relève pas d’un usage conscient et délibéré, mais est interprété comme une manifestation divine (glossolalie religieuse, parler en langue) ou hystérique (langage des aliénés). Voir par exemple Albani & Buonarroti (2010 : 193-194).
-
[61]
L’argument qui suit est proposé par Dascal (1978 : 213).
-
[62]
Ainsi bovino (« vache ») est-il la féminisation (ajout de l’affixe -in) du terme bovo (« bœuf »).
-
[63]
On pourrait éventuellement envisager de désigner l’effroi, et il s’agirait alors de déterminer si la notion de loup-garou et celle d’effroi sont compossibles (voir infra les remarques au sujet de la prévarication).
-
[64]
Bien que les énoncés de la CU ne puissent concerner que les vérités de raison, on peut les organiser selon des modalités en nombre infini.
-
[65]
C’est ce qu’observe Lindstedt (2006 : 48) : « several grammatical and lexical changes during the nearly 120-year long history of Esperanto have not been due to official or unofficial language planning and codification, but have been initiated and spread by anonymous speakers, being codified only afterwards ».
-
[66]
« Esperanto has native or first-language speakers. […] My own estimate of their number, based on my personal participation in different meetings and networks of Esperanto-speaking families, is about one thousand » (Lindstedt 2006 : 48). L’auteur indique dans cette même étude que les locuteurs natifs sont tous au moins bilingues.
-
[67]
Il s’agit de l’exemple de Chomsky déjà évoqué.
-
[68]
Notons que la contradiction entre « cheval bon marché » et « cheval cher » est directement apparente en espéranto : malmultekosta / multekosta, le préfixe mal- ayant le sens de contraire.
-
[69]
C’est le cas des guillemets dans (8).
-
[70]
Les pronoms personnels, relevant de la deixis, ne peuvent être présents dans la CU (voir supra 4.7).
-
[71]
Un tel énoncé serait cependant surprenant, puisque la CU est supposée clarifier les énoncés des LN.