Notes
-
[1]
Michaël (1970) a pu dénombrer 203 grammaires publiées avant 1800 et proposant une classification des mots basée sur ce système.
-
[2]
Michaël (1970) recense, jusqu’en 1800, 39 grammaires faisant appel à un tel système. Il faut y ajouter une vingtaine d’ouvrages proposant une variante, dans laquelle la particule est conservée.
-
[3]
Jespersen 1924, chap. 4 à 6.
-
[4]
CGEL 1985 = Quirk R. et al., 1985 ; CGEL 2002 = Huddleston, Pullum et al., 2002.
-
[5]
Cf. Cordier & François (éd.) 2002.
-
[6]
CGEL 2002 a pour objectif de combler le fossé qui sépare la grammaire traditionnelle des descriptions proprement linguistiques de l’anglais. Pour ce faire, ce manuel s’inspire largement des approches générativistes, mais aussi cognitivistes. Sur de nombreux points, des analyses nouvelles sont proposées et confrontées aux analyses traditionnelles. Il s’ensuit un renouvellement de la terminologie, tout particulièrement au niveau de la catégorisation des unités.
-
[7]
Cf. Radford 2004, 176.
-
[8]
Cf. Jespersen (MEG V, 214-217).
-
[9]
CGEL 2002, 1184-1185.
-
[10]
Cf. CGEL 2002, 1186.
-
[11]
Cf. Duffley 1992, 144-145 ; Duffley 2004.
-
[12]
Cf. Duffley 2004, 370 ; Garnier, Guimier & Dilys 2002, 149-150.
-
[13]
CGEL 1985, 1151.
-
[14]
Cf. Chalker & Weiner 1994, 283.
-
[15]
Cf. Strang 1962, 157 ; Biber et al. 1999, 78.
-
[16]
Cf. Radford 1988, 134.
-
[17]
Cf. Busuttil 1994, chap. 4.
-
[18]
CGEL 2002, 280.
-
[19]
Mais les exemples ci-dessus sont attestés.
1Le terme de particule est couramment utilisé en grammaire anglaise ; on le rencontre dès les premières grammaires portant sur la langue vernaculaire publiées en Angleterre. Le terme, toutefois, reçoit des acceptions différentes selon les époques et selon les auteurs. Jusqu’au début du XXe siècle, il est utilisé essentiellement en référence à la théorie des parties du discours et désigne l’ensemble des mots indéclinables. À la période contemporaine, il est plutôt utilisé pour certaines unités de la langue qui n’entrent pas, ou entrent mal, dans les systèmes de catégorisation des grammairiens.
1. La particule au sein des parties du discours : une unité transcatégorielle
1.1. Les grammaires de l’époque classique
2Les premières grammaires portant sur la langue vernaculaire apparaissent à la fin du XVIe siècle ; elles vont se multiplier par la suite. Très fortement influencées par la grammaire latine, elles proposent, dans leur grande majorité, un système calqué sur le modèle latin, avec huit parties du discours : nom, pronom, verbe, participe, adverbe, conjonction, préposition, interjection [1]. Très rapidement toutefois, certains auteurs vont proposer des systèmes à quatre parties du discours, censés être mieux adaptés à la description de l’anglais, et dans lesquels la particule est introduite. Lane (1700) est le premier grammairien anglais à proposer un tel système : substantif, adjectif, verbe et particule [2]. La délimitation de la catégorie particule n’est pas pour autant stabilisée. Lane y inclut les adverbes, les prépositions et les conjonctions, mais ne fait pas mention des interjections. Le système prépondérant est celui qui inclut ces quatre parties du discours au sein des particules. Certains y ajoutent l’article, d’autres le pronom.
3Lane n’est pas le premier grammairien anglais à utiliser le terme de particule. En 1655 Walker publiait A Treatise of Particles, qui connut un large succès. Il s’agit d’un répertoire dont l’objectif est d’inventorier les moyens de rendre les particules anglaises en latin (on y trouve des unités telles que about, at, before, etc., mais aussi all, being, more, too, worth, there, etc.). Dès 1619, Gill avait publié, en latin, une grammaire anglaise qui proposait un système à trois parties du discours : nom, verbe, particule. On mentionnera également le volumineux Essay towards a Real Character and a Philosophical Language de Wilkins 1668, traité de grammaire générale et philosophique dans lequel les parties du discours font l’objet d’une réorganisation importante. La particule y a une place et une définition originales. L’auteur oppose les particules grammaticales, qui regroupent non seulement les adverbes, les conjonctions, les prépositions, les interjections, mais aussi les articles, les pronoms, la copule, les modes et les temps, aux particules transcendantales correspondant à des relations sémantiques abstraites : on y trouve les tropes, notamment la métaphore, ainsi que des relations telles que « cause » « aggregate », « instrument », etc.
4La notion de particule est donc utilisée très tôt en Angleterre. On peut s’interroger sur son origine. Il ne faut pas oublier que nombre de grammairiens anglais sont fortement influencés par la Grammaire de Port-Royal et que le terme de particule y est utilisé à plusieurs reprises. Mais l’origine du métaterme est plus ancienne : le terme particula est utilisé par certains auteurs latins (Priscien) et son équivalent grec morion l’est également, notamment par les Stoïciens, et par Apollonius Dyscole, pour désigner certains mots vides ou indéclinables. Le recours à la notion de particule en grammaire anglaise s’inscrit donc dans la tradition grammaticale occidentale.
5Le système à quatre parties du discours, qui tente de s’imposer à la période classique, est largement abandonné au cours du XIXe siècle, période au cours de laquelle se forgent la métalangue et les concepts essentiels propres à ce que l’on appelle aujourd’hui la grammaire traditionnelle anglaise. La grammaire de Murray 1795, qui connut un succès considérable avec 200 éditions recensées en 1850, tant en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis, ne fait pas appel à la notion de particule. Pas plus que celle de Nesfield 1898, constamment rééditée jusque dans les années 1960 après avoir été révisée en 1924 en accord avec les prescriptions d’une commission de terminologie grammaticale.
1.2. Sweet et Jespersen
6Vers la fin du XIXe siècle, la particule comme partie du discours est remise à l’honneur ou redécouverte. Tout d’abord par Sweet, dont la « nouvelle grammaire anglaise » se présente en rupture par rapport aux grammaires de son époque. Sweet réintroduit l’opposition entre les parties du discours déclinables (nom, verbe, adjectif) et les parties indéclinables ou particules (adverbe, préposition, conjonction, interjection), sans faire allusion aux auteurs de l’époque classique qui proposaient déjà une telle systématisation. La particule apparaît comme un regroupement, sur base morphologique, des quatre parties du discours traditionnelles indéclinables, lesquelles ne sont pas remises en cause.
7La particule, sous cette définition, se retrouve dans le système de Jespersen, longuement exposé dans The Philosophy of Grammar. Ce système se distingue de celui de Sweet sur plusieurs points. Il s’agit d’un système à cinq parties du discours (substantif, adjectif, verbe, pronom, particule), dans lequel la particule constitue une classe à part entière, et pas simplement un regroupement de classes ayant leur existence propre. Elle a un statut théorique, au même titre que les autres classes de mots. L’analyse, essentiellement basée sur l’anglais, prétend à l’universalité. L’argumentation de Jespersen est bien connue. Il n’y a aucune raison, selon lui, d’opposer adverbe et préposition dans des paires telles que :
He was in / He was in the house | |
Put your cap on / Put your cap on your head | |
He had been there before / He had been there before breakfast |
8Prenant analogie sur le verbe – on n’oppose pas deux classes de mots à partir de He sings et He sings a song – Jespersen considère que dans les paires citées on a affaire à la même unité, laquelle peut fonctionner avec ou sans complément. La généralisation est néanmoins un peu rapide et la vraie question serait plutôt de savoir si in, on et before sont des adverbes dans les exemples cités. À aucun moment Jespersen ne fait allusion aux adverbes prototypiques – par exemple aux adverbes en –ly – lesquels se trouvent de facto englobés dans la classe des particules, sans que leurs propriétés ne soient prises en compte.
9C’est à partir de paires telles que
After his arrival / After he had arrived | |
Before his breakfast / Before he had breakfasted | |
He laughed for joy / He laughed for he was glad |
10que Jespersen réunit prépositions et conjonctions. À nouveau, c’est le parallélisme avec le verbe qui nourrit l’argumentation. Une unité telle que believe reste verbe quelle que soit sa complémentation :
I believe in God | |
I believe your words | |
I believe that you are right |
11Il n’y a nulle nécessité scientifique, selon Jespersen, pour que les unités after, before, ou for changent de nature en fonction de leur type de complémentation.
12Toutefois, malgré les efforts de l’auteur pour justifier sa classe de particules, il reconnaît que celle-ci se définit négativement comme étant constituée de toutes les unités n’appartenant pas aux autres classes. Par ailleurs, après avoir longuement traité des parties du discours [3], Jespersen expose sa théorie syntaxique de la subordination, et montre que « trois rangs », ou trois niveaux, suffisent pour rendre compte de la mise en relation des unités linguistiques. Même si, comme il le précise dans Analytic Syntax, la théorie des parties du discours relève, en termes saussuriens, de la langue, et la théorie des rangs de la parole, il montre que les deux séries se correspondent souvent terme à terme, et réintroduit l’adverbe à part entière, en le définissant comme une unité qui est normalement associée au rang 3. Les autres particules, prépositions et conjonctions, ne peuvent être associées à un rang spécifique, leur rôle étant de construire une unité plus large qui, elle, sera dotée d’un rang.
13La classification de Jespersen ne sera guère retenue par la suite. Aucune grammaire majeure de l’anglais moderne, notamment CGEL 1985 et CGEL 2002 [4] – deux ouvrages qui font autorité – ne retient la particule comme classe de mots, bien que toutes proposent d’emblée un système de catégorisation des unités de la langue, la nécessité de classer ces unités n’étant généralement pas remise en cause.
2. La particule dans les grammaires de l’anglais contemporain : une unité acatégorielle
2.1. Les unités appelées particules
14Aucune grammaire, traditionnelle ou linguistique, ne semble pouvoir se dispenser de la particule. Il est néanmoins difficile de présenter une liste exhaustive des unités auxquelles le terme renvoie, car il est utilisé de façon relativement disparate.
15Ces unités ont un point commun : ce sont des unités acatégorielles, qu’il n’est pas possible a priori d’assigner à telle ou telle classe prédéfinie et considérée comme nécessaire à la description de la langue anglaise. Sans viser l’exhaustivité, on citera :
- la particule de négation not (Strang 1962, 73 ; CGEL 1985, 68) ;
- certaines prépositions dans certains emplois : to introduisant un objet indirect (Strang, 1962, 73), of substitut du génitif (Strang 1962, 93) ;
- let, particule introductrice de constructions impératives (CGEL 1985, 830) ;
- certains modaux (may dans May you be happy !) en emploi pragmatique (CGEL 1985, 247) ;
- well, now, yes, no, oh, you know, etc., particules discursives situées en dehors de la syntaxe de la proposition (Chalker & Weiner 1994, 283) ;
- les conjonctions and et or, les adverbes de degré very et so, le there des constructions existentielles, than en construction comparative, etc. (Zwicky 1985, 2).
17Mais le terme est plus fréquemment utilisé pour le pronom relatif that (Zandvoort 1966, 163), et de façon quasi-unanime pour le to infinitival et pour les unités entrant dans la formation des phrasal verbs ou verbes composés (give up, switch the light off, cry something out, etc.). Je reviendrai sur ces trois types après quelques réflexions sur la notion même d’unité acatégorielle.
2.2. Des unités acatégorielles ?
18La plupart des grammaires se donnent comme objectif prioritaire le regroupement des unités lexicales qui partagent des propriétés communes en catégories. Admettre l’existence de particules, c’est admettre l’existence d’unités qui ne se laissent pas catégoriser et constituent un reliquat. Les particules sont des unités qui ont un fonctionnement idiosyncratique et qui ont souvent une fréquence d’emploi élevée. Toute la question est de savoir si l’on peut, sur des bases proprement linguistiques, admettre l’existence d’unités de ce type. Zwicky apporte une réponse sans équivoque : toute unité ayant le statut de mot est assignable à l’une des catégories syntaxiques prévues par la grammaire :
I propose that there are no acategorial words. That is, stated positively : every word (in every language) belongs to one of the syntactic categories provided by (universal) grammatical theory. (Zwicky 1985, 294)
20Une telle position n’est pas isolée. On la trouve, par exemple, chez Guillaume. Pour celui-ci, le mot est le produit d’une opération de lexigénèse qui comporte deux moments : l’idéogénèse, opération de discernement, produit le signifié notionnel du mot ; la morphogénèse, opération d’entendement, dote ce signifié notionnel d’un signifié formel, lequel n’est rien d’autre que l’une des parties du discours prévue par la langue, elle-même conçue comme système de représentation linguistique. Tout mot appartient ainsi à une partie du discours :
Un mot qui ne serait que mot, qui ne serait pas en même temps substantif ou verbe ou adjectif ou adverbe, etc. est chose qu’on [ne] saurait produire. (Guillaume 1969, 87).
22Nombreuses sont les théories linguistiques qui sont prêtes à admettre un tel postulat. Le problème véritable est celui de l’élaboration de la liste des catégories et de la définition préalable des critères permettant cette élaboration. Le rejet des unités acatégorielles présuppose une grille de catégories, mais également une systématisation de chacune d’elles. Il est peu raisonnable de penser que les catégories, en nombre forcément limité, sont homogènes. Des travaux récents, tant linguistiques que psycholinguistiques, ont montré qu’il existe des degrés de nominalité ou de verbalité [5]. Il en est de même pour les autres classes syntaxiques. On peut admettre que chaque classe comporte un noyau dur, sorte de « centre organisateur » autour duquel gravite l’ensemble des unités. Dans une telle perspective, la particule doit trouver place au sein des classes de mots et se voit refuser tout statut théorique dans la description grammaticale.
23Seront maintenant envisagés successivement trois types d’unités reconnues comme particules par certains grammairiens mais recatégorisées dans une classe syntaxique donnée par d’autres, notamment par CGEL 2002 [6].
2.3. La particule relative that
24La tradition grammaticale fait de that un pronom relatif dans
This is the house that Jack built | |
You are a man that can understand |
25Zandvoort (1966, p. 163) préfère le terme de « particule relative » au motif que that occupe une position intermédiaire entre le pronom relatif et la conjonction. En tant qu’introducteur de relative, that, outre son caractère indéclinable, se distingue des pronoms relatifs en wh- sur plusieurs points :
- il ne peut jamais être précédé d’une préposition (phénomène de pied-piping) :
The house which they lived in / The house in which they lived |
27mais
The house that they lived in / *The house in that they lived |
- comme la conjonction homonyme, il apparaît sous forme faible (/ðǝt/) et il est suppressible dans certaines conditions :
The house they lived in |
- il ne peut introduire une proposition non finie :
The director is looking for locations in which to film a documentary about the FBA | |
*The director is looking for locations that to film a documentary about the FBA in [7] |
- en phrase clivée, il accepte comme antécédent un groupe adverbial et il est effaçable, même en position sujet :
It was because he was ill that he decided to retire | |
It was the president himself spoke to me |
31Ces faits ont conduit les générativistes à faire de that « relatif » un complémenteur, au même titre que that introducteur de complétives. C’est également la solution prônée par CGEL 2002, même si cette grammaire ne retient pas le terme de complémenteur et lui préfère celui de subordonnant pour les cinq unités suivantes : that, for, to, whether et if (dans certains de ses emplois). Le « relatif » that est assigné à la classe des subordonnants pour les raisons invoquées ci-dessus. Cette solution évite la multiplication des homonymes en regroupant dans une même classe des unités traditionnellement éclatées entre classes différentes. Les critères retenus sont essentiellement syntaxiques. Dans d’autres perspectives, énonciativistes notamment, on souligne également l’unité du marqueur that, mot anaphorique associé à l’idée de pré-construit. Subsiste néanmoins une difficulté : si that « relatif » est subordonnant, cela implique que le pronom relatif est phonologiquement nul ou effacé, puisque la présence de that est exclusive de celle d’un pronom en wh-, mais les raisons de cet effacement ne sont pas données. Lorsque le subordonnant lui-même est effacé, il faut postuler un double effacement. La recatégorisation de that « relatif » en subordonnant a donc un coût au niveau syntaxique. Finalement le débat reste ouvert. L’option particule néanmoins ne se justifie guère : à défaut de faire de that un subordonnant, la solution la plus raisonnable reste la solution traditionnelle, à condition de souligner le caractère non prototypique de that pronom relatif.
2.4. To, particule d’infinitif
32La grammaire oppose unanimement la particule to introductrice de l’infinitif à la préposition to, tout en admettant que la particule trouve son origine dans la préposition. La différence de comportement peut être résumée ainsi :
Its grammar is different from the preposition to most notably in the fact that the latter, if followed by a verb, requires this verb to be an -ing form, and does not permit the infinitive. (Chalker & Weiner 1994, 283)
34On notera le caractère circulaire du raisonnement : c’est parce que la forme verbale régie par la préposition to se présente sous la forme en -ing (She consented to getting engaged) que to n’est pas préposition lorsqu’il est suivi de la base verbale (I forgot to tell her).
35L’argumentation est fragilisée par le fait que la grammaire accepte de considérer comme prépositions certaines unités (except, save, but, besides, instead of) susceptibles d’être suivies de la base verbale [8] :
Fanny had nothing to do except go to parties and give them | |
What does he do in the world besides gamble ? | |
I’m glad I chose to speak instead of write. |
36Après avoir montré qu’il existe un certain parallélisme entre les constructions to V et to NP :
*We’re thinking of to London / *We’re thinking of to travel by bus |
37ou entre les constructions to V et les constructions Prép. V-ing :
I persuaded her to buy it / I dissuaded her from buying it | |
I warned her to stay indoors / I warned her against staying indoors |
38CGEL 2002 rappelle que le to infinitival ne peut être coordonné à une autre préposition ou régir des compléments coordonnés de nature différente, ce qui interdit de le considérer comme une préposition [9] :
I agreed to it / I agreed to go / *I agreed to it and go |
39On pourrait penser que cette question d’étiquetage est secondaire. Or, il n’en est rien, car du statut accordé à l’unité en question dépend l’analyse syntaxique globale de l’énoncé. Refuser de voir en to une préposition dans I persuaded her to buy it, c’est reconnaître que le verbe persuade, verbe à trois arguments, voit son troisième argument introduit par une préposition si celui-ci est un GN (I persuaded her of the need to…), mais sans préposition si celui-ci est un verbe. Si tel est le cas, ce fait de langue reste à expliquer. Considérer que la préposition, présente en structure profonde, est effacée en structure de surface si son complément est une infinitive, ne fournit pas une explication des données mais une simple description.
40À date récente, diverses propositions de recatégorisation de la particule to ont été formulées : verbe auxiliaire, subordonnant, préposition.
41Certains linguistes américains des années 1980 ont fait du to d’infinitif un verbe auxiliaire, éminemment défectif puisque ne comportant qu’une seule forme. Cette recatégorisation, motivée par un certain nombre d’arguments syntaxiques, n’est pas retenue dans les manuels. Outre qu’elle apparaît relativement contre-intuitive, elle doit être rejetée sur la base d’un argument linguistique de poids : tout verbe peut fonctionner comme tête d’une proposition principale [10]. To constituerait l’unique exception s’il était catégorisé comme verbe. En effet, à côté de constructions telles que He must / can / will / did tell her faisant appel à un auxiliaire, *He to tell her ne peut constituer une proposition principale.
42C’est la raison pour laquelle CGEL 2002 fait du to d’infinitif un subordonnant, au même titre que that ou whether. Mais to a un fonctionnement atypique, puisqu’il est le seul membre de la classe à pouvoir être « stranded », c’est-à-dire dégagé de son complément en position finale (He asked her to), trait qu’il partage avec les auxiliaires (I will), et avec les prépositions (the woman he is married to). Par ailleurs, et contrairement aux autres subordonnants, il n’apparaît pas nécessairement en première position dans sa proposition :
She taught her children [always to tell the truth] |
43CGEL 2002 est obligé d’admettre que to est un subordonnant atypique qui ne marque pas la tête d’une proposition, comme les subordonnants authentiques, mais celle d’un syntagme verbal, ce qui explique qu’il puisse être pré-modifié par un adverbial.
44Ces tentatives de recatégorisation font appel à des critères essentiellement formels. La sémantique de to n’est pas prise en compte, ou plus précisément to subordonnant est vu comme un mot fonctionnel, sémantiquement vide. Jespersen faisait déjà remarquer que dans nombre de ses emplois to infinitival a un sens proche de celui de la préposition to. Il établit une sorte de continuum entre des constructions dans lesquelles le to d’infinitif a un sens proche de celui de la préposition et des constructions dans lesquelles ce n’est plus le cas :
To is used with an infinitive in the first place where the usual meaning of the preposition is distinctly felt : he went to fetch his hat / he was led (inclined) to believe – or is more or less vaguely present : ready to believe / anxious to believe. […] But then it is used very extensively where a preposition seems to be naturally required, but where to is inadequate, as in the infinitive of reaction : glad to meet you (cf. Fr. charmé de vous voir). And finally where there seems to be no intrinsic need for a preposition : to see her is to love her, etc. (Jespersen, MEG V, 157)
46À date plus récente, de nombreux linguistes, opérant dans des cadres théoriques différents (optique guillaumienne, culiolienne, cognitiviste) ont, chacun à leur manière, montré les liens qui unissent, sur le plan sémantique, la préposition to et la particule d’infinitif. Ne serait-il pas alors légitime de catégoriser le to d’infinitif comme une préposition, sachant que la catégorie prépositionnelle n’est pas une catégorie homogène ? Quelques linguistes n’hésitent pas à franchir ce pas. Tel est notamment le cas de Duffley, dans son ouvrage sur l’infinitif anglais et dans quelques écrits plus récents [11]. Prenons un exemple afin d’illustrer le type d’argument avancé. Le groupe infinitif complément d’un verbe tel que like n’a pas le même comportement syntaxique qu’un groupe gérondif dans la même position. En particulier, seul le complément en Ving peut devenir sujet d’un verbe passivé, ce qui dénonce sa fonction d’objet direct, non prépositionnel :
The more tired they were, the less they liked getting up early | |
The more tired they were, the less getting up early was liked | |
The more tired they were, the less they liked to get up early | |
*The more tired they were, the less to get up early was liked |
47De même, to V n’est pas anaphorisé par un pronom :
*On Saturday, Pam likes to play with her friends and Mary also likes it | |
On Saturday, Pam likes to play with her friends and Mary also likes to |
48On peut également montrer l’existence d’un parallélisme entre les constructions V1 to V2 et les constructions V1 prép. GN : ainsi dans la construction try to V, try a le sens qui est le sien dans try for N (= make an effort in order to get or achieve something) [12]:
He tried for a position to the student council | |
He tried to get elected to the student council |
49Dans try Ving, il a le sens qui est le sien dans try N (= experiment, test in order to), c’est-à-dire en construction directe :
He tried another key (to open the door) | |
She tried bribing the jailor (in order to see the prisonner) |
50On objectera que like ne connaît pas de construction indirecte avec objet nominal. Duffley montre que like Ving fait référence à la notion de plaisir ou de jouissance, et que Ving dénote l’objet de ce plaisir ou de cette jouissance (He likes playing tennis), alors que like to V (construction la plus fréquente dans les corpus, avec souvent une modalisation en should ou would) marque plutôt l’inclination, la propension, la disposition du sujet a réaliser le procès, lequel est présenté comme une cible à atteindre (He would like to play tennis). To médiatise la relation entre le procès du verbe recteur et celui du verbe complément. Si l’on admet que ce rôle de médiation est un trait caractéristique de la préposition, alors rien n’empêche de considérer la particule to d’infinitif comme une préposition, nonobstant son comportement syntaxique spécifique.
2.5. La particule adverbiale
51En grammaire anglaise, il existe une forme de consensus pour dénommer particule le second élément des verbes composés, ou phrasal verbs, tels que give in, switch the light off, read a report through, etc. Le terme est utilisé en référence à ces constructions depuis le début du XXe siècle. Il apparaît pour la première fois, semble-t-il, chez Grattan & Gurray 1925. Prenant l’exemple de He has run up a bill, ces auteurs écrivent :
When therefore such words differ clearly from the ordinary adverb, it is advisable to give them a more precise name : verbal particles. (Grattan & Gurray 1925, 80)
53Le terme a reçu la consécration de l’usage, ce qui ne signifie pas qu’il ne comporte pas une certaine part d’ambiguïté. On parle d’ailleurs tantôt de particule verbale, tantôt de particule adverbiale. La littérature sur le sujet est immensément vaste et je me limiterai à une comparaison du traitement de ces constructions dans CGEL 1985 qui, sur ce point, reflète largement la tradition, et dans CGEL 2002 qui, au contraire, rompt avec la tradition. Pour CGEL 1985 [13], la particule correspond à un regroupement d’unités qui peuvent être :
- prépositions : against, among, as, at, beside, for, from, into, like, of, onto, upon, with, etc.
- adverbes : aback, ahead, apart, aside, astray, away, back, forward(s), home, in front, on top, out, together, etc.
- adverbes prépositionnels (unités ayant les deux types de fonctionnement) : about, above, across, after, along, around, by, down, in, off, on, out, over, past, round, through, under, up, etc.
55Toutes ces unités peuvent constituer le second élément d’un verbe composé (« multi-word verb »), type de verbe lui-même défini (assez imprécisément) comme unité se comportant dans une certaine mesure soit lexicalement soit syntaxiquement comme un verbe simple. Cette conception large de la particule se retrouve dans un certain nombre de grammaires [14]. D’autres ont une conception plus restrictive et n’y incluent pas les prépositions. C’est dans ce sens plus restrictif que Grattan & Gurray ont proposé le terme et que nombre de grammairiens l’utilisent [15]. De fait, dans le cas des verbes prépositionnels et comme le nom l’indique, la particule est clairement une préposition, et il n’y a aucune raison de lui accorder un traitement spécifique, même si l’ensemble verbe + préposition est non compositionnel (look for something), ou si la préposition est sélectionnée par le verbe (depend on something), et même s’il y a des raisons, syntaxiques en particulier, d’opposer verbes prépositionnels et constructions libres.
56Reste le cas des phrasal verbs non prépositionnels. La dénomination particule est justifiée car ces unités semblent proprement acatégorielles. Bien qu’homonymes pour la plupart de prépositions, la tradition ne leur reconnaît pas le statut prépositionnel car elles apparaissent sans complément :
We must not look back / *We must not look back the past | |
He switched the light off / *He switched the light off the room |
57Par ailleurs, bien qu’elles soient en relation avec un verbe, elles n’occupent pas la position typique de l’adverbe [16] :
He put his hat on / *He put his hat carefully | |
The handle might come off / *The handle might come suddenly |
58La dénomination particule verbale apparaît ainsi plus adéquate que celle de particule adverbiale, pourtant plus répandue.
59Cette analyse traditionnelle est remise en cause par CGEL 2002. Dans cette grammaire, les particules verbales sont des prépositions intransitives, c’est-à-dire sans complément. Reprenant une idée ancienne – déjà avancée par Jespersen –, et suite à des travaux récents, les auteurs de ce manuel considèrent qu’on a affaire à une seule et même unité dans :
He put it in the box / He brought the chairs in. |
60Dans le premier cas, la préposition est transitive et régit un complément ; dans le second, elle est intransitive et ne régit pas de complément. On notera l’homologie établie avec le verbe. Toute catégorisation vise à la généralisation et une solution de ce type fournit une solution unitaire pour des formes identiques alors que l’approche traditionnelle, atomisante, a pour effet d’introduire un éclatement peu justifié. Cette dernière considère en effet que off est particule dans :
i. I asked you not to put hot cups on the piano. Take them off at once, please ! | |
ii. Last night’s strong wind nearly took the roof off | |
iii. The plane took off at ten | |
iv. Many young people take off on loud music |
61Or en (i), la particule est véritablement une préposition « orpheline », dont le complément est récupérable co-textuellement (= off the piano). Il en va de même en (ii), avec un complément récupérable situationnellement (= off the house). En (iii) on peut postuler en sous-jacence une construction transitive du type The pilot took the plane off (the ground). On peut aussi voir dans plane une forme d’animé, autorisant une construction sous-jacente du type The plane took itself off (the ground), semblable à celle qui permet de rendre compte de The heron took off [17]. L’énoncé (iv) peut s’analyser de la même façon avec une interprétation métaphorique. On peut ainsi faire l’hypothèse que derrière chaque verbe composé, il y a, ou il y a eu, une authentique construction prépositionnelle. Des phénomènes de figement liés le plus souvent à la métaphore se traduisent par le fait que le complément de la préposition, non exprimé, n’est plus directement récupérable. CGEL 2002 parle de lexicalisation et de fossilisation, mais la démonstration, cas par cas, du caractère prépositionnel de la particule reste à faire, notamment dans les constructions où celle-ci semble grammaticalisée et prend une valeur aspectuelle (drink up ; wear out ; sell out ; carry on ; push on, etc.). Les grammairiens et les linguistes anglo-saxons ne semblent pas s’être préoccupés de la genèse du sens des verbes composés. Une voie est ouverte par Busuttil dans sa thèse sur Les verbes complexes en anglais contemporain. Le chapitre 4 est entièrement consacré à la question des effacements. L’auteur montre que ceux-ci sont souvent liés à des « références implicites à des connaissances supposées communes à l’énonciateur et au co-énonciateur, ou aux particularités d’une situation d’énonciation donnée ». Les connaissances encyclopédiques et l’histoire de la langue jouent également un rôle-clé. Par ailleurs, ces effacements peuvent affecter non seulement le complément de la préposition mais aussi celui du verbe. Il y a là une perspective d’analyse fructueuse. Un faisceau de données syntaxiques et sémantiques concourt ainsi à la recatégorisation de la particule en préposition.
62Assez curieusement, alors que CGEL 2002 recourt à la notion de préposition intransitive en lieu et place de celle de particule, cette grammaire réintroduit le terme de particule [18], à partir de critères proprement distributionnels, pour désigner toute unité, quelle que soit sa nature, pouvant trouver place entre un verbe et un GN objet (GN constitué d’un nom propre ou d’un déterminant et d’un nom commun). La particule fait ainsi référence à la position particulière de certaines prépositions intransitives, de certains adjectifs ou de certains verbes :
She brought down the bed | |
He made clear his intentions | |
They cut short their holiday | |
She let go his hand |
63Si l’on suit cette analyse, il faudra inclure dans la même classe tous les adjectifs qui entrent dans des constructions résultatives et qui acceptent cette position :
He tapped shut a steel desk drawer | |
Charles broke open the envelope | |
The wind blew loose the rainpipe | |
Astronomers wipe clean their cosmic window |
64Dans ces constructions, la position enclavée est fréquente pour shut et open, plus rare pour les autres adjectifs [19]. Le recours à la notion de particule n’est pas ici justifié. C’est la linéarisation des constituants dans ce type de construction qui est en cause. Les conditions de cette linéarisation restent à définir et il est probable que, comme dans le cas des verbes composés, des processus de figement sont en cours. Ceci ne constitue pas une raison pour dénier aux entités en cause leur statut catégoriel propre.
Bibliographie
Références bibliographiques
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- Zwicky A. M. (1985), « Clitics and particles », Language, 61 (2), p. 283-305.
Notes
-
[1]
Michaël (1970) a pu dénombrer 203 grammaires publiées avant 1800 et proposant une classification des mots basée sur ce système.
-
[2]
Michaël (1970) recense, jusqu’en 1800, 39 grammaires faisant appel à un tel système. Il faut y ajouter une vingtaine d’ouvrages proposant une variante, dans laquelle la particule est conservée.
-
[3]
Jespersen 1924, chap. 4 à 6.
-
[4]
CGEL 1985 = Quirk R. et al., 1985 ; CGEL 2002 = Huddleston, Pullum et al., 2002.
-
[5]
Cf. Cordier & François (éd.) 2002.
-
[6]
CGEL 2002 a pour objectif de combler le fossé qui sépare la grammaire traditionnelle des descriptions proprement linguistiques de l’anglais. Pour ce faire, ce manuel s’inspire largement des approches générativistes, mais aussi cognitivistes. Sur de nombreux points, des analyses nouvelles sont proposées et confrontées aux analyses traditionnelles. Il s’ensuit un renouvellement de la terminologie, tout particulièrement au niveau de la catégorisation des unités.
-
[7]
Cf. Radford 2004, 176.
-
[8]
Cf. Jespersen (MEG V, 214-217).
-
[9]
CGEL 2002, 1184-1185.
-
[10]
Cf. CGEL 2002, 1186.
-
[11]
Cf. Duffley 1992, 144-145 ; Duffley 2004.
-
[12]
Cf. Duffley 2004, 370 ; Garnier, Guimier & Dilys 2002, 149-150.
-
[13]
CGEL 1985, 1151.
-
[14]
Cf. Chalker & Weiner 1994, 283.
-
[15]
Cf. Strang 1962, 157 ; Biber et al. 1999, 78.
-
[16]
Cf. Radford 1988, 134.
-
[17]
Cf. Busuttil 1994, chap. 4.
-
[18]
CGEL 2002, 280.
-
[19]
Mais les exemples ci-dessus sont attestés.