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Article de revue

Les détachements d'intervention héliportés dans la guerre irrégulière

Pages 445 à 459

Notes

  • [1]
    Général Desportes, “La troisième Dimension Tactique”, revue d’études générales Doctrine, janvier 2008, p. 3.
  • [2]
    S.H.D. Terre, Enseignements de la Guerre d’Indochine du Commandement en Chef en Extrême-Orient, communément désigné sous le nom de “rapport Ely”.
  • [3]
    Lieutenant Delachoue, “Hélicoptères en Indochine”, Forces aériennes françaises, avril 1952, p. 64
  • [4]
    Rapport du Commandement de l’A.L.O.A. cité par Paul Gaujac dans “L’Aviation légère de l’armée de terre”, Revue Historique des Armées n° 4, 1992, p. 6.
  • [5]
    Rapport des missions en Corée et au Japon, “Étude des formations d’hélicoptères de l’armée de Terre américaine”, décembre 1953, cité par Paul Gaujac dans “Du parachute à l’hélicoptère de combat”, Revue Historique des Armées n° 4, 1992, p. 66.
  • [6]
    S.H.D. Terre, 1 K 430, cité par Pierre Louis Garnier, “La guerre d’Algérie et la consécration de l’ALAT”, Revue historique des Armées n° 229, 2002, p. 20.
  • [7]
    Pierre-Louis Garnier, art. cit., p. 18.
  • [8]
    P. L. Garnier, art. cit.
  • [9]
    2 016 rebelles mis hors de combat, 648 prisonniers et plus de 700 armes saisies au cours de 453 actions de combat.
  • [10]
    La mise à terre s’effectuera en quatre rotations de cinq paras par hélicoptère, soit une section au complet, sur un piton culminant à 2 330 mètres, le tout en un temps si court que la décision est emportée au sol en une dizaine de minutes.
  • [11]
    Adjudant en 1944, il gravira tous les échelons de la hiérarchie jusqu’à celui de colonel en participant à toutes les campagnes, dont celles d’Europe au sein du 11e Choc.
  • [12]
    Instruction n° 448/emi/3/op du 30 décembre 1959 sur les opérations héliportées en Algérie.
  • [13]
    Paul Gaujac, “L’aviation légère de l’armée de terre”, Revue historique des armées, n° 4, 1992, p. 14.
  • [14]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit., p. 14.
  • [15]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit.
  • [16]
    Lettre au ministre n°1834/EMA/ALAT du 18 février 1952, citée par Guillaume Lasconjarias, “Un outil révolutionnaire au service de la contre-guérilla : les hélicoptères dans la guerre d’Algérie’, Cahiers de la Recherche Doctrinale n° 14, p. 73.
  • [17]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit.
  • [18]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit., p. 10.
figure im1

1Accroître la mobilité tactique des unités sur le champ de bataille et soutenir le rythme du combat par l’utilisation de vecteurs aériens retrouve une acuité fondamentale dans les conflits actuels. Espace ultime d’affrontement des volontés, le champ de bataille de nos anciens a changé radicalement de visage au cours du siècle dernier. Autrefois zone délimitée par l’opposition de forces équivalentes en un front quasi toujours linéaire, ce dernier a cédé la place à un “espace de bataille” où s’opposent des dispositifs exploitant la profondeur et au sein duquel les forces agissent dans les trois dimensions. Ainsi, “la troisième dimension tactique [...] est bien devenue consubstantielle à l’efficacité des forces terrestres” [1]. Les évolutions du siècle dernier ont été telles que l’on parle désormais de combat aéroterrestre, au sein duquel le chef exploite d’emblée l’espace aérien surplombant le champ de bataille, afin soit d’anticiper l’action de l’adversaire, soit d’agir contre lui en combinant vitesse et surprise. L’avion d’armes de quatrième génération délivre une bombe en appui des unités au sol sur autorisation du commandement interarmées de théâtre, tandis que le drone de l’avant est mis en œuvre par ces mêmes unités. La manœuvre intègre désormais l’ensemble des moyens terrestres et aériens, du niveau interarmées jusqu’aux plus bas échelons de mise en œuvre pour être pleinement efficace.

2À cette nature fondamentale des combats dans le cadre général de la guerre moderne, quelle qu’en soit la violence, s’ajoute le caractère fulgurant et imprévisible de l’affrontement qu’impose aujourd’hui l’adversaire irrégulier dans le cadre particulier de la guerre dite asymétrique. L’ennemi frappe en de multiples endroits du théâtre d’opérations, dilatant la zone des combats, justifiant l’augmentation du volume des unités engagées, à un rythme qui devient rapidement insoutenable. Par ailleurs, à cet élargissement de l’espace de bataille s’ajoutent les contraintes de disponibilité et de coût des moyens engagés : faute d’en disposer en nombre suffisant pour couvrir la totalité du théâtre d’opération, difficulté ancienne à laquelle faisait déjà face l’Empire romain, il est indispensable d’en accroître la mobilité tactique, notamment par les moyens aériens. Le théâtre afghan démontre cruellement cette problématique d’espace et de volume d’unités disponibles. L’importance de la mobilité tactique face à la guérilla n’est toutefois pas une découverte des conflits de ce siècle, car l’histoire regorge d’exemples d’opérations menées face à un ennemi irrégulier agissant sur une zone immense. Avec l’apparition de l’arme aérienne, c’est un nouvel outil qui s’offre au chef pour répondre à cette nécessité de mobilité. La campagne de pacification du maréchal Pétain au Maroc, face aux rebelles rifains d’Abdelkrim, en est une illustration. L’emploi qui fut fait de l’arme aérienne pour pallier les difficultés d’élongation peut d’ailleurs être envisagé comme un des actes de naissance de l’emploi tactique de la troisième dimension au profit des troupes au sol. Face à un adversaire irrégulier, la maîtrise du ciel est vitale. Le constat est à nouveau fait en Indochine, et le rapport sur les enseignements de la Guerre d’Indochine le note :

3

L’automitrailleuse, le char, les amphibies ne suffisent plus pour remplir les missions traditionnelles. Si nous ne savons pas manœuvrer aux échelons tactiques dans les trois dimensions, nous serons encore la prochaine fois en retard d’une guerre[2].

4Dès la fin du conflit indochinois, l’hélicoptère s’impose comme le moyen privilégié pour exploiter tactiquement l’espace aérien “par-dessus terrain” comme on l’appelle alors. La guerre d’Algérie en sera la première et la plus flagrante démonstration. La création des Détachements d’Intervention Héliportée y a illustré la nécessité de bénéficier de cette capacité fondamentale de manœuvre procurée par les hélicoptères lourds ou moyens et le caractère crucial de la collaboration entre les troupes héliportées et les unités assurant ce transport.

5Cet article abordera le rôle de ces détachements d’intervention héliportée (D.I.H.) dans la lutte contre la guérilla en Algérie, en rappelant tout d’abord la genèse de ces unités particulières, puis en soulignant le type d’actions dans lesquelles elles furent engagées.

Un besoin opérationnel contesté

6L’armée de Terre appréhende dès les années 1950 l’emploi de l’hélicoptère au profit des troupes au sol, notamment des unités mobiles que sont les parachutistes et les unités de Légion. Déjà, face au problème grandissant posé par l’évacuation des blessés des antennes chirurgicales aux hôpitaux, le Service de Santé avait adopté une approche tout à fait novatrice par l’exploitation des capacités que procure l’hélicoptère, malgré les critiques des aviateurs, sceptiques face à ce nouveau type d’appareil :

7

Les représentants du corps médical militaire n’ont pas craint, à une époque où les aviateurs du monde entier regardaient pour la plupart d’un œil sceptique, la nouveauté des hélicoptères, de faire étudier les possibilités de ces appareils […] les services que les deux Hiller ont rendu à l’Indochine leur ont rendu raison[3].

8À partir de cette période, l’armée de Terre va lutter pour progressivement absorber l’aviation légère rattachée jusque-là à l’armée de l’Air. En effet, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, existent des groupes d’aviation d’observations de l’artillerie (G.A.OA.), dont le personnel et les aéronefs appartiennent à l’armée de l’Air, mais dont l’emploi est du domaine exclusif de l’Artillerie, donc de l’armée de Terre. En mars 1952, cette dernière obtient que la mise en œuvre de l’ensemble des moyens dévolus à l’observation et la conduite des tirs lui soit confiée. Puis, le 30 juin 1953, l’armée de Terre prend le commandement de l’ensemble des formations d’A.L.O.A. stationnées en Europe du Nord et en Afrique du Nord et les éléments Air correspondants sont dissous. En métropole, le nombre de groupes est porté à cinq, et les moyens des trois groupes d’AFN sont multipliés par deux ou trois. Ces dispositions ne sont cependant pas appliquées en Extrême-Orient, car le commandement juge que l’armée de Terre ne dispose pas du personnel qualifié pour armer une A.L.O.A. indépendante des moyens Air et qu’il n’est pas possible de distinguer, notamment dans le cas de reconnaissance d’itinéraires au profit d’une colonne de troupes au sol, ce qui relève de l’observation pour les tirs de l’artillerie et de l’aviation de renseignement. Ainsi jusqu’en 1954, les rares hélicoptères présents en Indochine ne sont-ils employés qu’à des évacuations sanitaires et rattachés à l’Air.

9Toutefois, c’est à un emploi beaucoup plus tactique que pense déjà l’armée de Terre et les premières idées d’opérations héliportées germent dans les esprits du commandement :

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Une manœuvre tactique d’un genre nouveau surclassant entièrement par sa mobilité et sa sûreté les troupes adverses se déplaçant au sol[4].

11En décembre 1953, une mission d’étude est mandatée auprès des forces américaines en Corée afin de recueillir les renseignements utiles à la création de formations terrestres dotées d’hélicoptères en Indochine. Cette mission rapporte au commandement nombre de pistes quant à l’emploi des hélicoptères dans un combat conventionnel, mais aussi dans le cadre d’opérations menées face à un adversaire irrégulier :

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Bien que ne possédant pas encore une capacité et un rayon d’action comparables à ceux des avions, les hélicoptères sont appelés à des progrès rapides et peuvent dès maintenant jouer un rôle important dans les différentes phases du combat moderne : enveloppement vertical, combat retardateur… En Indochine, ils pourront rendre de grands services dans les opérations aéroportées ou amphibies, les actions de commando en zone vietminh et le soutien des maquis[5].

13En 1953, l’idée germe alors au sein des Forces Terrestres en Extrême-Orient (F.T.E.O.) d’utiliser des hélicoptères pour, soit mener des missions d’infiltration de combattants à l’intérieur du dispositif de l’ennemi, soit projeter rapidement des renforts de troupes spécifiquement entrainées vers une zone menacée, voire créer une tête de pont. Simultanément, un groupe de travail de l’état-major, présidé par le général Beaufre, préconise l’élargissement des conditions d’emploi de l’hélicoptère et le développement du parc de “voilures tournantes” au profit de l’armée de Terre. Grâce à l’aide américaine, il est alors décidé de doter les F.T.E.O. d’une centaine d’aéronefs selon un plan dont l’exécution devait se poursuivre jusqu’en 1955. La première décision découlant de la mise en œuvre de ce plan conduit à la création, le 10 avril 1954, du Groupement des Formations d’Hélicoptères (G. F. H.) de l’armée de Terre.

14Malheureusement, les réticences issues d’une longue opposition entre l’armée de Terre et l’armée de l’Air à propos de la subordination des moyens aériens tactiques ne facilitent pas l’application de ce plan. L’armée de l’Air craint, en effet, que la création d’une aviation légère appartenant organiquement à l’armée de Terre ne signe la fin de l’aviation militaire française, dont la genèse avait été déjà si douloureuse au début des années 1930. Plusieurs décrets qui auraient pu donner à cette A.L.A.T. une base juridique ne seront ainsi jamais signés, comme celui proposé en 1954 :

15

En Indochine il s’est avéré nécessaire de confier à l’ALOA d’autres missions que celles définies (originellement), en particulier la surveillance du champ de bataille et certaines liaisons de commandement. Par ailleurs, l’armée de Terre est appelée à mettre en œuvre, tant en Indochine qu’en Métropole, un certain nombre d’hélicoptères légers et lourds, que l’armée de l’Air ne peut prendre à sa charge. Pour ces raisons il devient nécessaire d’élargir les missions incombant à l’Aviation Légère et puisque celles-ci débordent largement le cadre de l’Artillerie, de créer une A.L.A.T. englobant tous les organismes de l’armée de Terre mettant en œuvre des avions légers et des hélicoptères. L’Aviation Légère d’Observation deviendra une des branches de l’ALAT[6].

16En effet, l’armée de l’Air s’en tenait au principe de l’Air intégral qui fondait le domaine de ses attributions, ce qui se heurtait avec les volontés de l’armée de Terre de bénéficier d’une arme d’appui souple d’emploi :

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En Indochine, l’Air est toujours pratiquement parvenu à conserver la maîtrise des moyens aériens d’observation. Cette organisation comporte de multiples inconvénients. Elle est la cause des mauvaises relations entre l’État-major Interarmées et des Forces Terrestres (EMIFT) et le Commandement de l’Air en Extrême Orient (CAEO). Lorsque les combats cessent en Indochine, l’exaspération au sein des états-majors de l’armée de Terre est réelle[7].

18Par ailleurs, afin de gagner du temps et de bénéficier de l’expérience et des infrastructures de l’armée de l’Air, le général Navarre confie le développement et la mise en condition de ces formations à cette dernière. Simultanément, le commandement aérien en Extrême-Orient obtient de la Défense nationale une décision conférant à l’armée de l’Air la création des formations d’hélicoptères en Indochine s’appuyant notamment sur la mise en commun des moyens des armées de Terre et de l’Air. Le 14 juillet 1954, est créée, sur l’ordre du secrétariat d’État aux Forces Armées “Air” (S.E.F.A.), la 65e escadre mixte d’hélicoptères. Le personnel Terre est mis “pour emploi” à sa disposition. Pratiquement, l’armée de l’Air prend en compte les hélicoptères de l’armée de Terre au fur et à mesure de leur arrivée en Indochine, et répartit le personnel spécialisé de l’armée de Terre dans chacune de ces formations. Cette décision ne fait en réalité que transférer à l’armée de l’Air les attributions de l’armée de Terre en matière d’hélicoptères, ce qui aura pour conséquence principale, contrairement au but initial, de retarder la mise sur pied de ces unités pourtant porteuses de tant d’espoirs. En mars 1955, le rapport de fin de campagne du groupement des hélicoptères en Indochine indique que :

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Si le plan d’extension de la flotte hélicoptère avait été décidé un an plus tôt […] la mobilité que l’on pouvait donner aux bataillons parachutistes, le meilleur emploi qui en aurait été fait, aurait certainement modifié radicalement le cours des événements entre janvier et mai 1954[8].

20Le G.F.H. est rapatrié d’Indochine en mai 1955 sans qu’aucune opération héliportée n’ait été menée et prend le nom de Groupement d’hélicoptères n° 2 (G.H.2). Basé à Aïn-Arnat près de Sétif, il est placé aux ordres du chef de bataillon Crespin, chef déterminé et iconoclaste. L’aventure des D.I.H. peut alors commencer.

La concrétisation d’efforts d’imagination et d’adaptation au théâtre

21Le G.H.2 n’est pas la seule unité d’hélicoptères présente sur le théâtre d’opérations algérien. En effet, la détermination de la métropole à conserver son autorité sur ce lointain département oblige l’ensemble des armées à engager un effort non négligeable dans la guerre livrée contre les rebelles. La Marine et l’armée de l’Air disposent elles-aussi de formations d’hélicoptères sur le théâtre, et les efforts des trois armées sont alors répartis géographiquement. Deux escadrilles d’hélicoptères de l’armée de l’Air sont basées à Oran et à Boufarik, respectivement l’E.H. 2 et l’E.H. 3. Quant à la Marine, elle dispose de trois flottilles de l’Aéronavale : la 31 F basée à Sidi-Bel-Abbès, les 32 F et 33 F à Lartigue. Très rapidement, les formations héliportées de chacune des armées vont fournir un effort crucial dans la lutte antiguérilla. L’armée de Terre est cependant la première à innover dans ce domaine en “inventant” l’héliportage d’assaut dès 1955, et en testant par la suite de façon empirique l’armement de ses aéronefs.

22Devant le succès grandissant des opérations héliportées menées par les unités parachutistes principalement, l’armée de l’Air va elle aussi développer un concept d’emploi spécifique en s’appuyant sur la création de commandos d’assaut, spécifiquement formés et entraînés dans la lutte contre les bandes rebelles. Ainsi le Groupement de Commandos Parachutistes de l’Air (G.C.P.A.) regroupe en 1959 les cinq commandos parachutistes recréés sur le théâtre algérien depuis 1957. Son bilan opérationnel [9] en AFN témoigne de l’adaptation de l’outil héliporté à la lutte antiguérilla. Les affrontements larvés des états-majors centraux depuis la fin de la guerre d’Indochine n’ont cependant pas pris fin et les luttes secrètes continuent pour conserver la mainmise sur l’aviation légère. Alors qu’elle l’avait presque abandonnée en 1952, l’armée de l’Air recrée une aviation légère en 1956 et se dote d’une flotte de Sikorsky H 34. Sans remettre en cause les nombreux succès tactiques remportés par le G.C.P.A., force est de reconnaître que derrière ce concept se cachent, d’une part, le souci permanent de l’armée de l’Air de justifier de sa spécificité et, d’autre part, son souhait à peine masqué de rassembler les aéronefs et les unités héliportées sous son seul commandement organique. Mais, gênée par le périlleux équilibre à maintenir entre la mission primordiale de défense face à l’Est et un conflit jugé trop consommateur d’unités et d’hommes, et empêtrée dans une doctrine d’appui aérien contraignante décriée par les forces terrestres, l’armée de l’Air ne parviendra pas à donner à ses unités d’hélicoptères l’efficacité que le G.H.2 obtiendra avec la création des D.I.H. L’emploi opérationnel des hélicoptères dans le cadre de la lutte antiguérilla y trouve sa pleine mesure. Fruit de l’énergie d’une poignée de chefs décidés face à un besoin opérationnel croissant, elle répond à la nécessité d’adopter un nouveau dispositif de projection de forces qui soit adapté, mobile et réactif face à l’apparition en 1958 des premières unités rebelles structurées en katibas.

23Les initiatives anticonformistes du “patron” du G.H. 2, le chef de bataillon Marceau Crespin, qui bénéficie de l’appui du commandement de l’A.L.A.T., sont pour beaucoup dans la genèse de ces unités. Elles permettent de compenser la faiblesse des moyens de soutien ramenés d’Indochine, ainsi que le climat défavorable généré par une armée de l’Air désireuse de voir l’expérience échouer. Ainsi, il obtient que le G.H. 2 soit renforcé d’une dizaine d’hélicoptères H-19, dont deux de la Marine, en mai 1955. D’emblée, ce sont les unités parachutistes qui exploitent les capacités offertes par les aéronefs à voilure tournante. Dès le 4 mai, deux H-19 du G.H. 2 héliportent pour la première fois une unité du 3e BEP [10] au sommet du djebel Chelia dans les Aurès. Le concept d’emploi progresse parallèlement au renforcement du dispositif d’hélicoptères moyens au sein du G.H. 2, confirmant les espoirs placés en Indochine dans ce nouvel outil. Les premières “Bananes”, les Vertol H-21C, parviennent au G.H. 2 le mois suivant. En août 1956, la flottille 31-F de l’Aéronavale, dotée elle aussi de ces mêmes “Bananes” vient renforcer le G.H. 2, auquel elle est complètement intégrée.

24C’est en juillet 1957 que les trois escadrilles d’hélicoptères légers et les trois d’hélicoptères moyens H-21 du G.H. 2 sont dissoutes pour former les cinq D.I.H. composés de deux escadrilles mixtes opérationnelles aux ordres du chef d’escadron Déodat du Puy-Montbrun, d’une escadrille mixte réservée et d’une escadrille d’hélicoptères légers. Les D.I.H. interviendront en divers points du Constantinois : Sétif, Tébessa, Touggourt, Philippeville, Guelma, Bône, Oued-Hamimin, Bou-Saâda, Béni-Messous, Arris, Djidjelli, Biskra, Bougie et Souk-Ahras. Ils sont employés aussi dans le Sud-Algérois à Djelfa, Négrine et Laghouat. En octobre 1958, les D.I.H. disposent de 136 aéronefs, soit dix avions (deux L-18, cinq NC-856 et trois Broussard) et 126 hélicoptères (vingt-cinq Bell 47-G2, vingt-quatre Alouette II, vingt-deux H-19 et cinquante-cinq H-21).

25Dans la région de Tébessa, de novembre 1957 à juillet 1958, le GH 2 transporte 42 500 commandos, 342 blessés et 80 tonnes de fret en 2 817 heures de vol. Dans la région de Guelma, de janvier à juillet 1958, il transporte 26 656 commandos, 324 blessés et 43 tonnes de fret en 1 418 heures de vol.

Un succès fondé sur l’exploitation de la nouveauté

26Ce succès est tout d’abord fondé sur des nouveautés techniques. Les progrès réalisés dans la construction des aéronefs à voilure tournante au début du conflit algérien viennent démentir les discours des opposants à leur utilisation militaire. Les hélicoptères sont désormais fiables, robustes, d’un soutien technique aisé, et leurs capacités d’emport ont considérablement augmenté. Ainsi, les hélicoptères moyens, comme le Vertol H-21C ou le Sikorsky H-34, permettent d’emporter de 10 à 15 combattants avec leur armement et leur équipement, offrant une solution technique viable aux unités. L’Alouette II, grâce à sa motorisation révolutionnaire par turbine qui lui permet de battre tous les records de l’époque, apporte au chef un moyen de commandement souple et performant. L’hélicoptère moyen, souple et aux capacités de transport sans cesse améliorées, appelé aujourd’hui hélicoptère de manœuvre, s’impose comme l’outil le plus performant, autorisant la réaction rapide aux événements ; sa vitesse de vol raccourcit considérablement les délais d’intervention entre les zones d’attente et les unités au contact, tout en s’affranchissant de la plupart des obstacles.

27Mais la nouveauté technologique n’a de sens que si elle est mise en valeur par de nouvelles façons de penser le combat. Des chefs audacieux et innovants dans la conduite de la guerre irrégulière sauront donner cette dimension aux D.I.H. La personnalité du chef de bataillon Crespin, patron du G.H. 2, a déjà été évoquée. C’est un homme d’une grande force de caractère, au parcours militaire exemplaire [11]. Chef charismatique, exigeant et anticonformiste, tantôt estimé, tantôt craint, jalousé ou critiqué, lui qui a créé le G.F.H en Indochine souhaite voir l’A.L.A.T. acquérir son entière autonomie et être dotée d’hélicoptères lourds, seuls capables d’apporter la mobilité tactique aux unités qu’il appuie. Il se montrera particulièrement hostile aux tentatives de l’armée de l’Air de garder la mainmise sur le ciel algérien. En effet, dans certaines zones, le P.C. Air se veut l’intermédiaire indispensable à l’emploi de tout aéronef, ce qui soulèvera de nombreuses difficultés dans l’utilisation des hélicoptères de transport moyens. Ainsi, une instruction [12] de décembre 1959 place tout héliportage sous les ordres d’un officier Air indépendant du commandement de l’opération d’ensemble. Les pilotes et les troupes embarquées préfèrent faire référence à l’instruction précédente de février 1959 qui prévoit que :

28

Les moyens A. L. A. T. intégrés dans la manœuvre ne sont en aucun cas employés suivant les procédés du système d’appui aérien, réservés aux moyens de l’Aviation[13].

29Cette instruction de décembre 1959 est donc très mal accueillie par les unités parachutistes qui y voient, d’une part, une preuve de méconnaissance profonde des opérations héliportées fondées sur la souplesse, d’autre part un danger pour l’opération elle-même en remettant en cause les principes du commandement opérationnel. Le lieutenant-colonel Masselot, commandant le 18e R.C.P., écrit ainsi :

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Le document à caractère combiné n’a apparemment été écrit que par des aviateurs, dont le souci permanent a été d’introduire un officier de l’Air dans un circuit qui n’en comportait nécessairement pas et de lui préciser des prérogatives qui mettent dangereusement en cause le principe du chef responsable et de l’unité de commandement[14].

31Le lieutenant-colonel Dufour, commandant le 1er R.E.P., est encore moins tendre et écrit non sans humour :

32

Nous avons l’engin qui nous permettrait la souplesse, la surprise, la brutalité, qui autoriserait le fignolage, qui garantirait la vitesse d’exécution, qui laisserait la place à toutes les variantes imaginables, et on l’a enfermé dans les règles rigides qui étaient en vigueur pour l’exécution d’un raid de bombardement de nuit sur Berlin en 1945. Le commandant de l’unité héliportée a autant d’initiative en cette matière que lorsqu’il prend le train d’Alger à Oran. Dans la conjoncture présente, je ne vois plus qu’un avantage dans ces engins : ils évitent de se fatiguer pour monter sur les pitons. Je doute que ce soit là leur rôle[15].

33Un autre homme a une influence considérable dans l’aventure. Le chef d’escadron Déodat du Puy-Montbrun, patron des escadrilles mixtes opérationnelles au sein des D.I.H., fait preuve d’une grande inventivité sur le plan tactique. C’est lui qui crée le premier un commando chargé d’assurer la récupération des équipages d’aéronefs abattus ou accidentés en territoire hostile, concept particulièrement novateur et qui fera école. Il sera d’ailleurs gravement blessé au cours d’une opération de ce commando en avril 1958. Les tactiques nouvelles vont surgir de la pensée de ces hommes.

34Les tactiques mises en œuvre dans leurs opérations héliportées sont une autre raison du succès des D.I.H. Les équipages comme les chefs des unités appuyées sont particulièrement favorables à l’imbrication complète des unités héliportées et des escadrilles. Il ne s’agit plus désormais d’un simple jumelage. Le D.I.H. est projeté directement sur le terrain, dans des zones d’implantation rebelle repérées par le renseignement et susceptibles de justifier une intervention héliportée. Aux côtés du D.I.H. s’adaptent des unités d’infanterie légère, parachutistes essentiellement, et le commandant du D.I.H. devient conseiller tactique du patron du groupement terre. Au fil du temps, les tactiques évoluent et gagnent en efficacité. Plusieurs D.I.H. peuvent être regroupés afin de projeter une force suffisamment importante pour envelopper la zone à contrôler. L’infiltration des hélicoptères se fait désormais à très faible hauteur, afin de masquer les axes de progression aux vues d’éventuels guetteurs et de créer la surprise en jaillissant de ces cheminements invisibles au plus près de la zone de poser. C’est au sein des D.I.H que sont effectués les premiers héliportages de nuit, au moyen de dispositifs d’éclairage tactiques adaptés. L’emploi complémentaire de l’avion léger d’observation et de l’hélicoptère de commandement se perfectionne sans cesse. Le premier confirme les positions des unités engagées au contact, guide les actions de l’appui aérien et de l’artillerie et prépare les héliportages des unités d’intervention. Le second apporte au chef tactique un moyen de commandement particulièrement adapté à ces manœuvres fondées sur la combinaison de la vitesse et du choc.

35Grâce aux capacités des “Bananes’, les D.I.H. peuvent mettre à terre des unités homogènes massives, parvenant à héliporter en une seule rotation une compagnie d’infanterie organique, permettant ainsi de faire basculer très rapidement le rapport de forces en faveur des unités amies engagées. Les unités terrestres vont très rapidement intégrer cette toute nouvelle composante dans l’élaboration de leurs missions, donnant naissance à une véritable manœuvre aéroterrestre :

36

Les moyens de l’aviation légère, et en particulier l’hélicoptère, [doivent] de plus en plus être considérés comme des véhicules de combat, de transport et d’observation analogues à la jeep et aux véhicules de combat terrestres. Ces moyens doivent pouvoir s’intégrer au dispositif tactique terrestre et être en mesure de vivre en parfaite symbiose avec le combattant à terre[16].

37Dès le lancement des opérations au sol, une flotte mixte d’hélicoptères légers et moyens, incluant les moyens de commandement, de transport, de renseignement et d’appui-protection, est mise en place au plus près des unités engagées au sol. Intégré à la flotte d’hélicoptères d’assaut, le commandant des troupes participant à l’opération héliportée peut contrôler et décider au cœur l’action, tout en restant en liaison étroite avec le commandant de la flotte d’aéronefs. Le lieutenant-colonel Château-Jobert, chef de corps du 2e Régiment de Parachutistes Coloniaux, s’exprime ainsi dans son compte-rendu de mission suite à l’opération Djedida :

38

L’emploi des hélicoptères transporteurs modifie considérablement le déroulement classique des opérations en leur donnant un rythme accéléré. Le rythme, facteur de succès, ne peut être entretenu et les Sikorsky ne peuvent être employés avec leur pleine efficacité que si le commandement de l’opération dispose depuis la minute précédant son déclenchement jusqu’à son démontage, d’un moyen de commandement “du même pied” que les Sikorsky, c’est-à-dire, à l’heure actuelle, d’un Bell[17].

39Les hélicoptères armés font progressivement leur apparition au sein des D.I.H., afin de procurer appui et protection aux détachements d’hélicoptères de transport de troupe. C’est le cas avec les hélicoptères Sikorsky H-34 Pirate, équipés d’un canon de 20 mm en sabord, et détachés par l’armée de l’Air au sein des D.I.H. en 1960. C’est aussi le cas de l’Alouette II équipée de roquettes de 37 mm, qui équipe les D.I.H. dès 1959, mais dont l’efficacité reste limitée.

40Par ailleurs, il apparait très vite qu’à l’importance du renseignement, de la surprise et de la vitesse d’exécution s’ajoutent des facteurs déterminants de la réussite de cette manœuvre intégrée : l’entraînement et la combativité des troupes héliportées. Ainsi, les D.I.H. travaillent-ils de façon privilégiée avec des unités spécialisées : parachutistes et commandos. Le binôme troupes aéroportées et hélicoptère d’assaut révèle alors toute l’efficacité du concept et l’hélicoptère devient ainsi un élément essentiel de la manœuvre des parachutistes dans la guerre irrégulière. Le lieutenant-colonel Bigeard, commandant le 3e Régiment de Parachutistes Coloniaux, considère ainsi que l’hélicoptère :

41

[…] ne peut être et ne doit pas, compte tenu du potentiel qu’il représente, être considéré comme un moyen de transport, un véhicule commode, mais bien comme un engin d’assaut à employer avec une troupe qui saura donner, par son élan, le rendement maximum aux possibilités offertes par toutes interventions utilisant la troisième dimension[18].

42Il maîtrise son sujet. En effet, dès le 22 février 1956, à Djebel, il conduit l’opération “744” : 43 fellaghas sont prisonniers, 96 arrêtés, 92 fusils et 24 pistolets sont récupérés. Le 8 mars 1956, l’opération “962” est encore plus fructueuse : 126 rebelles tués, 14 prisonniers, 114 armes récupérées, dont 1 mortier de 81 mm, 2 mortiers de 60 mm, 4 fusils mitrailleurs, 18 pistolets mitrailleurs et 65 fusils de guerre. La création des D.I.H. va décupler les facteurs d’intervention de ces troupes extrêmement mobiles.

43À l’issue des grandes opérations menées dans le cadre du plan Challe en Kabylie et dans les Aurès, l’adversaire revient aux bandes dispersées, obligeant les D.I.H à se scinder en demi-détachement ou U.I.H. pour des opérations ponctuelles. Le reliquat des moyens est alors conservé en réserve, en mesure d’intervenir sans délai par une opération héliportée plus massive.

44Créés sur un théâtre d’opérations exigeant, par des hommes focalisés sur l’efficacité opérationnelle, les détachements d’intervention héliportés s’avèrent une réponse parfaitement adaptée au problème crucial posé par la lutte antiguérilla : la recherche permanente d’équilibre entre espace des opérations et volume des forces engagées. Souples, rapides, fondés sur la liberté d’action et la grande initiative des hommes qui les mettent en œuvre, les D.I.H. ont eu un rôle déterminant dans la lutte contre la guérilla en Algérie. Rapatriés à l’issue des opérations en Algérie, ils disparaissent pour laisser la place à cinq groupements de l’aviation légère divisionnaire, qui regroupent tous les moyens ALAT à l’échelon de la division.

45Le G.H.2 a été commandé successivement par : le lieutenant-colonel Marceau Crespin du 29 avril 1955 au 31 décembre 1958, le chef d’escadron Déodat du Puy-Montbrun du 1er janvier 1959 au 7 décembre 1960, le chef d’escadron Charles Petitjean du 8 décembre 1960 à sa dissolution.

Notes

  • [1]
    Général Desportes, “La troisième Dimension Tactique”, revue d’études générales Doctrine, janvier 2008, p. 3.
  • [2]
    S.H.D. Terre, Enseignements de la Guerre d’Indochine du Commandement en Chef en Extrême-Orient, communément désigné sous le nom de “rapport Ely”.
  • [3]
    Lieutenant Delachoue, “Hélicoptères en Indochine”, Forces aériennes françaises, avril 1952, p. 64
  • [4]
    Rapport du Commandement de l’A.L.O.A. cité par Paul Gaujac dans “L’Aviation légère de l’armée de terre”, Revue Historique des Armées n° 4, 1992, p. 6.
  • [5]
    Rapport des missions en Corée et au Japon, “Étude des formations d’hélicoptères de l’armée de Terre américaine”, décembre 1953, cité par Paul Gaujac dans “Du parachute à l’hélicoptère de combat”, Revue Historique des Armées n° 4, 1992, p. 66.
  • [6]
    S.H.D. Terre, 1 K 430, cité par Pierre Louis Garnier, “La guerre d’Algérie et la consécration de l’ALAT”, Revue historique des Armées n° 229, 2002, p. 20.
  • [7]
    Pierre-Louis Garnier, art. cit., p. 18.
  • [8]
    P. L. Garnier, art. cit.
  • [9]
    2 016 rebelles mis hors de combat, 648 prisonniers et plus de 700 armes saisies au cours de 453 actions de combat.
  • [10]
    La mise à terre s’effectuera en quatre rotations de cinq paras par hélicoptère, soit une section au complet, sur un piton culminant à 2 330 mètres, le tout en un temps si court que la décision est emportée au sol en une dizaine de minutes.
  • [11]
    Adjudant en 1944, il gravira tous les échelons de la hiérarchie jusqu’à celui de colonel en participant à toutes les campagnes, dont celles d’Europe au sein du 11e Choc.
  • [12]
    Instruction n° 448/emi/3/op du 30 décembre 1959 sur les opérations héliportées en Algérie.
  • [13]
    Paul Gaujac, “L’aviation légère de l’armée de terre”, Revue historique des armées, n° 4, 1992, p. 14.
  • [14]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit., p. 14.
  • [15]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit.
  • [16]
    Lettre au ministre n°1834/EMA/ALAT du 18 février 1952, citée par Guillaume Lasconjarias, “Un outil révolutionnaire au service de la contre-guérilla : les hélicoptères dans la guerre d’Algérie’, Cahiers de la Recherche Doctrinale n° 14, p. 73.
  • [17]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit.
  • [18]
    Cité par Paul Gaujac, art. cit., p. 10.
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