Staps 2018/1 n° 119

Couverture de STA_119

Article de revue

Recensions

Pages 119 à 122

Andrieu, G. (2016). Les Jeux athlétiques en Grèce. Prémices, excellence, démesure. Paris : L’Harmattan, 221 p.

1Gilbert Andrieu, Professeur des universités, affectionne de se pencher sur l’histoire de la Grèce antique et, plus particulièrement, sur le symbolisme des mythes, comme nous pouvons le lire dès la page 5. Et cet « essai » n’est en aucun cas une volonté de « faire une histoire qui existe déjà », comme l’écrit lui-même l’auteur. D’ailleurs, l’un des mérites de ce court ouvrage est de clairement annoncer ses intentions de décrypter le sens des Jeux olympiques qui « ne sont pas nés de rien, qui n’ont été institués religieusement et politiquement sans avoir des prémices » (p. 5).

2Les Jeux athlétiques en Grèce. Prémices, excellence, démesure a pour thématique principale le processus historique des mutations culturelles de la Grèce antique, et plus particulièrement l’accélération des transformations institutionnelles religieuses et de leurs conséquences sur les pratiques culturelles sportives. L’ouvrage s’articule autour de cinq parties globalement équilibrées. Dès la première partie, l’auteur aborde le cœur du sujet par le titre évocateur « Pour mieux comprendre », qui rend compte des multiples mythes que Gilbert Andrieu utilise pour expliquer que « la notion de belle mort pourrait bien expliquer les gloires sportives les plus actuelles » (p. 10). Cette association sert de schéma de démonstration à travers trois points : i) mourir pour la gloire (l’excellence), ii) confronter la véracité des légendes (les prémices) et iii) analyser le symbolisme des récits légendaires (la démesure). La deuxième partie examine, quant à elle, « les fondations mythiques » où « il apparaît effectivement que [les mythes] sont en liaison étroite avec les croyances religieuses » (p. 98). Cet examen souligne les prémices de la formation de cadres religieux au sein de la Grèce antique. Les prêtres y occupaient une place prépondérante dans la structure politique grecque, grâce au rôle joué par les aèdes dans la transmission orale des exploits de ces dieux devenus des héros référents aux hommes. La troisième partie démontre clairement un temps historique reconnu : le passage d’une religion chtonienne à ouranienne par l’instauration de la domination de Zeus à la tête de la religion polythéiste grecque. L’auteur maîtrise parfaitement le temps historique du syncrétisme grec, entre la religion et la culture, qui fait de la Grèce antique un territoire à part et souligne la place des aèdes et des prêtres. Désormais, l’unité religieuse favorise un temps historique que l’unité culturelle des Jeux éclaircit. Ainsi, les Jeux à Olympie ne sont pas les premiers dévoués à Zeus, bien au contraire, ce sont les Jeux du Patrocle mais qui, sans traces écrites, sont basés sur le récit légendaire. Par conséquent se pose la question des liens entre un héritage connu par les écrits, les autres témoignages retranscrits par les auteurs d’époque et les paroles transmises par les générations précédentes. Tel est l’enjeu de cet ouvrage.

3L’auteur s’attelle à clarifier méthodiquement l’aboutissement de l’enjeu des Jeux olympiques antiques décrits par Pindare ou Thucydide. Les différences demeurent considérables entre la littérature classique et l’héritage laissé par Homère, tant dans les aspects religieux, les valeurs dont se réclament les athlètes et les spectateurs, que dans le contenu des épreuves. Comme le souligne Gilbert Andrieu, le terme de « Jeux » ne doit pas induire en erreur, il suggère bien une dimension ludique. Le lexique grec utilisé, « agônès », désigne un concours qui fait appel à l’idée d’émulation et de compétition. Mais pour qui ? Entre quels personnages ? Au profit de quoi ou de qui ? L’ouvrage répond à ce questionnement de manière appliquée afin de démontrer que ces concours ont pour seul but de viser l’excellence : former de bons soldats, être capable de défendre la cité, la liberté et leur civilisation. Par conséquent, les concours en Grèce antique contribuent bien, avant les Jeux olympiques, à l’exercice de la palestre : l’éducation du citoyen. La période traitée par l’auteur est celle de la création des contenus culturels des Jeux, tels que nous les connaissons à l’époque de Zeus. Il convient de démontrer le passage de la reconnaissance d’une civilisation commune à l’acceptation du dépassement de soi physique par l’athlète et d’aboutir à la perfection morale et à l’excellence physique du citoyen. Gilbert Andrieu explique que le temps de l’équilibre du corps et de l’esprit, nommé « le beau et le bon » par les Grecs, est un processus lent qui appelle à la démesure imaginaire. L’Iliade d’Homère est la première mention dans la littérature de ces prémices d’excellence imposée à l’athlète au citoyen. Ainsi, les Jeux funèbres qui se sont déroulés en l’honneur du héros Patrocle font la part belle à la dimension religieuse et orale comme source de construction de l’excellence, du dépassement de soi et de la démesure. Les paroles de Ménélas, qui perd la course de chars lors des jeux de Patrocle, relatent la démesure chez les hommes : « Antiloque, si sage naguère, qu’as-tu donc fait aujourd’hui ? Tu as abaissé ma valeur, tu as fait tort à mes chevaux, en lançant devant eux les tiens, qui sont bien loin de les valoir. Allons ! guides et chefs des Argiens, entre nous deux, impartialement, prononcez, sans chercher à soutenir ni l’un ni l’autre. Je ne veux pas qu’un jour l’on aille dire parmi les Achéens à la cotte de bronze : “Ménélas, par ses mensonges, a fait violence à Antiloque ; il est parti emmenant la cavale, parce qu’avec des chevaux loin de valoir les autres, il l’emportait par le rang et la force”… » (p. 150).

4Par conséquent, la trace historique décrit de manière certaine l’esprit de ces concours de l’époque tandis que l’oral galvanise l’homme pour devenir citoyen au sein de sa cité. De manière générale, les Jeux du Patrocle ou à Olympie constituent une continuité culturelle et religieuse en tant que forme d’« incubation » (p. 137) autour du dieu Zeus. Le passage de l’oral à l’écrit est désormais assuré par le dévouement d’un clergé identifié pour favoriser « l’unité culturelle » (p. 131). La quatrième partie de l’ouvrage souligne la « démesure dans les légendes » en tant que justification du culte de Zeus au sein des Jeux olympiques dès -776 av. J.-C. Le temps historique est cette différence entre les traces écrites et orales qui facilitent les légendes qui « nous transportent dans un monde qui n’existe pas, mais qui laisse voir dans quel esprit elles ont été produites, ou du moins au moment où elles sont stoppées » (p. 141). Ainsi, la place de l’oral dans le récit historique et du rôle des aèdes, favorisée par les prêtres, laisse place à la démesure. Ce qui explique la prépondérance des Jeux olympiques dans l’histoire de la Grèce antique est la volonté de créer une religion citoyenne aboutie qui délaisse l’excellence comme « guide » (p. 177) au profit de la démesure. C’est dire ici le rôle du facteur politique. Pour finir, l’auteur analyse les tendances et les actes mis en œuvre pour que l’homme devienne « un être supérieur » (p. 183). Les épreuves athlétiques composent alors l’essentiel du contenu des Jeux olympiques.

5L’auteur est très à l’aise dans l’exposé des mythes et des tendances les plus significatives qui ont fondé l’histoire de la Grèce antique. Peut-être aurait-il pu les renvoyer en note pour alléger les démonstrations ? L’auteur semble avoir rencontré quelques difficultés à inscrire le développement des épreuves athlétiques dans le contexte et dans l’esprit de la Grèce antique et de ses mythes fondateurs. Les rappels historiques généraux paraissent parfois « insérés » arbitrairement au milieu d’une démonstration. Rappelons que le parti pris de l’auteur de situer son ouvrage dans les écrits de Jean-Pierre Vernant, l’ère de l’anthropologie structurale, démontre un certain engagement dans une œuvre qui se différencie largement des hellénistes classiques. C’est là, précisément, que le traitement des mythes prend son élan en France avec des auteurs comme Georges Dumézil et Claude Lévi-Straus.

6Cela étant, ce manuel de Gilbert Andrieu deviendra une référence pour les étudiants inscrits en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, pour les historiens ainsi que pour quiconque s’intéresse à un temps peu connu, la Grèce antique, et plus particulièrement au processus d’une citoyenneté en perpétuelle évolution.

7Cyril Polycarpe

8Maître de conférences

9Laboratoire C3S (EA 4660)

10cyril.polycarpe@univ-fcomte.fr

Boniface, P. (2016). JO politiques. Sport et relations internationales. Paris : Eyrolles, 201 p.

11Spécialiste de la géopolitique contemporaine et directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Pascal Boniface nous livre ici sa lecture de l’histoire des Jeux olympiques, via le prisme habituel des relations internationales, à la veille de la désignation par le Comité International Olympique (CIO) de la ville hôte des Jeux de 2024, comme le rappelle Denis Masseglia, président du CNOSF, dans la préface de l’ouvrage. Si l’auteur se propose d’interroger l’apolitisme des Jeux en soulignant d’emblée que le CIO a toujours été maître de ses choix, avançant la thèse connue de l’autonomie du champ sportif par rapport aux pouvoirs politiques, et ce indépendamment des périodes, l’architecture retenue pour étayer la démonstration aboutit de fait à un plaidoyer pro domo, qui ne surprendra guère. L’histoire des Jeux est ici abordée de manière chronologique, avec parfois quelques incises thématiques, pour mieux rappeler les singularités et faits saillants de chaque olympiade, sous l’angle des relations internationales et d’une contextualisation a minima, qui peut certes contenter le profane, mais laisse assurément l’historien du sport sur sa faim, tant la relation des événements est connue. Il est d’ailleurs dommage que la bibliographie mobilisée par l’auteur n’intègre pas des ouvrages récents qui précisément permettent de revisiter telle ou telle olympiade (à titre d’exemple, les Jeux de Berlin ne prennent pas en compte les récents apports de Florence Carpentier sur l’attitude du CIO ou de Daphné Bolz sur l’organisation desdits Jeux). L’histoire commence donc en Grèce en 1896, où les Jeux permettent de renforcer le sentiment national, là ils se dérouleront dans une indifférence générale quatre années plus tard à Paris. La période d’avant-guerre étant celle d’une structuration et internationalisation progressives d’une compétition qui s’affirme dès 1920 comme un lieu privilégié d’affrontement entre les nations, reflet des relations internationales de l’entre-deux-guerres (exclusion des pays jugés responsables de la guerre à Anvers, retour de l’Allemagne en 1928 à Amsterdam, échecs des tentatives de boycott des Jeux de Berlin). Le second Vingtième siècle confirme cette dimension spéculaire des Jeux, passés les Jeux de la reconstruction de Londres en 1948 : Jeux de la guerre froide (Helsinki, 1952), Jeux de Melbourne (1956) qui accueillent Taiwan et marquent l’isolement diplomatique de la Chine, Jeux de Rome (1960) qui consacrent la suprématie sportive des athlètes d’État de l’Union soviétique, Jeux de Mexico (1968) sur fond de massacre des étudiants place des Trois Cultures, tragédie de Munich en 1972, réciprocité du boycott à Moscou (1980) et Los Angeles (1984), percée des pays du Sud-Est asiatique avec l’attribution des Jeux à Séoul (1988), etc. Longue litanie connue qui se termine par les olympiades du temps présent (Sydney, Athènes, Pékin puis Londres), l’auteur réussissant le tour de force intellectuel de considérer que l’attribution à la Chine des Jeux de 2008 constituait un moindre mal, dans la mesure où cet État, jadis totalitaire, s’était mué en pays autoritaire… Au final, un ouvrage sans surprises, et ce d’autant qu’il se termine par une présentation de l’IRIS et de son « observatoire stratégique du sport ».

12Olivier Chovaux

13Professeur d’histoire contemporaine

14UFR des STAPS, Université d’Artois

15Atelier SHERPAS, URePSSS (EA 7369)

16olivier.chovaux@univ-artois.fr

Turcot, L. (2016). Sports et loisirs : une histoire des origines à nos jours. Paris : Gallimard, coll. « Folio. Histoire », 680 p.

17Renvoyant dos à dos les deux approches historiographiques classiques dès lors qu’il s’agit de situer les temporalités propres des sports et des loisirs (continuum ou rupture), Laurent Turcot inscrit sa réflexion dans une temporalité plus longue, sur le modèle élasien, afin de montrer comment sports et loisirs constituent des marqueurs culturels spécifiques des sociétés et civilisations dans lesquelles ils s’inscrivent. Cette lecture de dynamiques communes et croisées prend sa source en Mésopotamie puis en Égypte où les jeux royaux, courses de chars et autres pratiques de combats incarnent les premières formes de sports et de loisirs élitaires, que l’on retrouve sous d’autres formes en Grèce puis dans l’Empire romain : entraînement physique, discipline et dressage des corps à des fins guerrières et ludiques se déclinent dans des formes d’éducation physique préhygiénistes, le gymnase devenant un lieu d’hellénisation au même titre que les cirques romains favorisent une sorte d’acculturation à la violence. Évoquant tour à tour ces deux « civilisations du plein air », l’auteur montre combien l’aménagement d’espaces spécifiquement dévolus aux loisirs et aux premiers spectacles de masse (théâtres, lieux de promenade, thermes) préfigure des pratiques plus contemporaines. A contrario, l’époque médiévale est celle de l’émergence de nouveaux modèles corporels, qui renvoient à une lecture plus ascétique du corps et de ses usages. Pour autant, jeux et loisirs populaires voisinent avec des exercices militaires théâtralisés et dramatisés (joutes et tournois), qui connaissent un processus de codification porté à son apogée à la Renaissance (interdiction des joutes en 1605). Période charnière où la curialisation des élites débouche sur l’éclosion des nouvelles pratiques : danse, escrime et autres carrousels marquent les pratiques de cour des monarchies européennes à l’époque moderne, moment de « mise en scène du divertissement » à l’image des fêtes royales données par le Roi Soleil. Quant aux villes, déjà lieux de promenades et de réjouissances, elles participent à la commercialisation et à la diversification d’une offre de loisirs aux mains des premiers entrepreneurs de spectacle, tel Jean-Baptiste Nicolet à Paris. Le XIXe siècle est un moment important de redéfinition des fonctions sociales des sports et des loisirs, qui participent de concert à l’édification de la culture de masse tandis que, de leur côté, gymnastiques et éducations physiques se dotent de finalités propres là où le sport contribue à forger une masculinité conquérante, qui dépasse d’ailleurs les frontières des puissances impériales pour s’étendre aux colonies. Ce long trend trouve sa fin au siècle dernier. Expansion du temps de loisirs multiformes aux modes de consommation variés, globalisation de la pratique et du spectacle sportifs dont l’histoire des Jeux olympiques, également retracée, est une illustration emblématique. Et l’auteur de conclure que sports et loisirs sont finalement liés par leur nature, leur fonction et des lignes temporelles souvent entrecroisées.

18Olivier Chovaux

19Professeur d’histoire contemporaine

20UFR des STAPS, Université d’Artois

21Atelier SHERPAS, URePSSS (EA 7369)

22olivier.chovaux@univ-artois.fr


Date de mise en ligne : 16/03/2018

https://doi.org/10.3917/sta.119.0119

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.88

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions