J-M. Brohm (2017). Ontologies du corps. Paris : Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « Libellus », 546 p.
1À l’occasion de la parution du dernier ouvrage Ontologies du corps (Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017) de Jean-Marie Brohm, j’essayerai de rendre compte de sa nouveauté dans la réflexion philosophique. Mais auparavant, il est nécessaire de rappeler quelques jalons de ses analyses de la corporéité afin de mieux appréhender la teneur de sa dernière publication. Aussi, dans un premier temps, je m’attacherai à évoquer le contexte de développement des premiers travaux de l’auteur sur la thématique du corps – travaux qui apparaissent encore d’actualité. Le second temps de l’exposé consistera à résumer les principaux apports de ses dernières recherches et à montrer ce qui les distingue des diverses productions sur le sujet.
2Les travaux de Jean-Marie Brohm sur le corps sont nés dans un contexte de prolifération de nouveaux discours sur le corps, de nouvelles pratiques et mises en scène de la corporéité dans la période du capitalisme avancé qui a réussi à infiltrer toutes les sphères de l’existence. Un contexte aux enjeux multiples et conflictuels où des intellectuels, praticiens, faiseurs d’opinions de tous horizons s’intéressaient selon les intérêts de leur groupe d’appartenance à la place du corps dans la culture et dans la vie sociale et individuelle. Pour les uns, l’enjeu était de comprendre ou d’exploiter « la mode du corps », « le désir du corps », « la libération du corps », « la redécouverte du corps » ; pour d’autres, le corps était un objet de renouvellement d’une réflexion sur le rapport à soi, au monde et à autrui ; d’autres encore espéraient éclairer le langage, le sens, la connaissance, l’éthique par le corps en tant que référent de leurs analyses.
3Dans ce contexte d’intérêts et d’approches hétérogènes qui parlaient du corps ou cherchaient à le faire parler, ou à distinguer « l’unité du concept » sous la multiplicité des formes, voire à déterminer « l’essence du corps », les travaux de Jean-Marie Brohm avaient pour point de départ une question concise, centrale et directe : Quel Corps ? Tout au long du cheminement de sa pensée, cette question a fondé sa distance critique à l’égard des travaux sur le corps qui considéraient le rapport du signifiant (le corps) au signifié comme une évidence, esquivaient la question de l’effet de théorie, à savoir les déformations engendrées par les théorisations sur le corps. L’auteur n’a eu de cesse de rappeler le statut pluriel, contradictoire et ambivalent du corps dans la théorie. Selon le point de vue adopté, le corps est une chose, ou une représentation, ou une image inconsciente, ou encore une fiction. Dans tous les cas, c’est une construction, une spéculation théorique. Ces réflexions d’ordre épistémologique n’ont rien d’un exposé de règles ou d’énoncés abstraits, elles sont à l’œuvre dans les analyses et fonctionnent comme une condition d’élucidation de la réalité corporelle.
4Poser la question « Quel Corps ? », c’est demander à quelle réalité renvoie le mot « corps », c’est donc poser la question du référent des discours scientifiques et philosophiques ; c’est aussi demander ce que signifie « le corps » pour ces discours et chercher à éclairer la relation du mot à l’objet étudié, le rapport du signifiant au signifié, l’adéquation du mot à la réalité qu’il désigne. La question conduit en outre à se demander quel est le type d’entité convoqué par le chercheur pour décrire ou expliquer le phénomène observé ou tel qu’il se donne à lui. C’est surtout s’interroger sur la nature de la réalité invoquée et se demander si elle est fondamentale au sens d’un fait primordial indépendant de l’activité et de la pratique du sujet connaissant. À ces conditions l’épistémologie rejoint l’ontologie.
5Dans ses travaux ultérieurs, l’articulation de l’épistémologie à l’ontologie est plus affirmée et prouve la longue fréquentation par Jean-Marie Brohm des philosophes et des textes philosophiques fondateurs de la philosophie du corps. Quelle que soit la teneur ontologique du corps dans les philosophies, le corps apparaît comme « ultime référent » et principe au fondement des philosophies. Mais surtout, contrairement à une tendance propre au champ philosophique pour qui un objet n’atteint la dignité philosophique qu’une fois débarrassé des scories empiriques, Jean-Marie Brohm cherche à en saisir la totalité concrète. C’est pourquoi il s’intéresse aux différents modèles du corps pour montrer le caractère incertain, évanescent, fluctuant du corps et de la corporéité et affronter la complexité du problème au regard des déterminations pathétiques, sexuelles, institutionnelles, pragmatiques, discursives du corps. L’un des enjeux de cette étape est de ne pas parler du corps en soi et de l’être de la corporéité en général, de ne pas céder à la neutralisation et l’euphémisation de la discussion. L’incarnation des sujets est constamment indissociable de déterminations subjectives, imaginaires, symboliques et politiques.
6La problématique du corps n’est pas uniquement tributaire des intérêts de connaissance, elle est aussi politique. C’est pourquoi Jean-Marie Brohm interroge le silence du marxisme sur la question du corps abordée obliquement et seulement en rapport avec la production ou l’exploitation de classe. De même, il observe le refoulement des figures de la mort dont la plus manifeste est la mort du corps biologique.
7L’auteur prend au sérieux les réflexions éparses et allusives sur le corps dans les écrits de Marx et Engels. Il les réactive, les revisite afin de montrer les lignes de force d’une anthropologie marxiste du corps. Le travail y tient un rôle constitutif d’engendrement de l’homme par lui-même, par les opérations, les mouvements, les gestes que le corps accomplit et dont il porte la marque. Le travail est donc à l’origine de la forme humaine du corps ce qui ne le réduit pas à un réceptacle des processus de civilisation ou de socialisation, car si le corps est produit du travail, il est aussi instrument de travail, s’il est produit de l’histoire, il est de même au fondement des rapports sociaux. Cet aspect générique, c’est-à-dire relatif à la condition humaine, est le point de départ de l’anthropologie marxiste du corps. C’est « le travail social au corps » selon l’expression de Jean-Marie Brohm. Mais l’anthropologie marxiste du corps est double, sa raison d’être se rapporte à un aspect spécifique, à savoir la condition de classe. Il est ici question du « corps au travail » (une autre expression de l’auteur) dans le mode de production capitaliste. Corps économiquement exploités au même titre que les matières brutes et les sources d’énergie ; corps usés, mutilés ; corps utilisés jusqu’à l’épuisement, la déchéance. Le mode de production capitaliste révèle ainsi sa nature cannibalique, sa logique mortifère d’extraction sans frein de la plus-value. Et, si aujourd’hui elle subsiste dans les sociétés riches sous des formes douces avec leur cortège de nouvelles pathologies, elle n’en continue pas moins de sévir avec sauvagerie dans les continents pauvres. L’enjeu de cette analyse est d’élargir la philosophie du corps aux effets corporels d’un système de production ; de montrer que l’exploitation, l’aliénation sont faits corps de classe ; de défendre la vie contre l’inégalité d’un système qui accorde plus de jouissance du corps et de la vie pour les uns, plus de souffrances et moins de vie pour les autres.
8Je ne pense pas prendre un risque en affirmant qu’Ontologies du corps est un livre qui comptera dans le champ de l’anthropologie philosophique du corps. C’est une réponse multidimensionnelle et multiréférentielle à la question posée (Quel Corps ?) il y a plusieurs décennies par l’auteur. Elle constitue l’un des thèmes centraux du livre et s’édifie contre trois postures limitatives.
91) À l’encontre des théories scientifiques et philosophiques dans lesquelles le corps devient une abstraction ou le substrat d’une conscience ou d’une subjectivité abstraite, ou encore une réalité universelle connue, l’auteur se fonde sur les acquis de l’anthropologie historique et culturelle pour rappeler que le corps n’a pas le même statut ontologique ni la même signification psychologique selon les aires culturelles, qu’il « est à la fois ce qui caractérise tous les humains en tant qu’êtres biologiques (Homo sapiens sapiens) et une production sociale » déterminée par le travail, les symboles, le langage, les mythes, la politique.
102) À l’encontre des théories qui prétendent traiter le corps comme « un objet de recherche », « un objet épistémique » ou un objet ordinaire, Jean-Marie Brohm, montre que le corps est « un horizon fuyant » au sens phénoménologique du terme, « un espace infini de représentations, d’inventions, d’institutions imaginaires et de fantasmes » et non pas un objet précis, repérable et identifiable comme le veut une science positiviste et souveraine. Ceci le conduit à affirmer la nécessité de clarifier la nature ontologique et les modèles de connaissance du corps, autrement dit de répondre à la question de quoi nous parlons lorsqu’il s’agit du corps dans tel ou tel type de recherche.
113) Enfin, l’auteur éclaire avec pertinence un présupposé théorique propre à la plupart des philosophies du corps qui ne considèrent le corps qu’à travers le modèle de la normalité morphologique laissant dans l’ombre les malformations, les difformités, les anomalies extraordinaires, les formes exceptionnelles, les êtres tératologiques, bref, les monstruosités de certains corps humains. Ces désordres dans l’ordre du vivant (Canguilhem, 1992) sont « un analyseur » des normes corporelles. Les pages que Jean-Marie Brohm a consacrées aux monstres et aux imaginaires monstrueux sont d’une grande richesse documentaire, précieuses pour l’analyse d’un type de rapport au corps passé sous silence. De même, peu de philosophies du corps s’interrogent sur la condition corporelle de l’être humain déterminée par le vieillissement, la déchéance, le déclin de l’énergie, de la force, le rétrécissement des possibles, les changements physiques et biologiques. Ne pas intégrer dans l’analyse la dimension temporelle, l’altération, la conscience des transformations vécues par soi et celles perçues par les autres, c’est nier une partie dérangeante de l’expérience de la corporéité.
12En outre, la question posée trouve une réponse par l’entremise des legs de la phénoménologie du corps. La lecture qu’en fait Jean-Marie Brohm est stimulante en ceci qu’elle n’est pas monocorde. C’est une lecture à plusieurs voix où les apports de Merleau-Ponty, Marcel, Ricœur et de Sartre renforcent la thèse soutenue – contre les objectivations triomphantes, les modèles partiels et parcellaires et les théories à prétentions universelles – que le corps est essentiellement une subjectivité radicale non pas enfermée sur soi mais réceptive et même vulnérable dans le rapport à autrui. C’est pourquoi le corps est aussi une intersubjectivité. Plus loin, dans l’ouvrage, celle-ci est prolongée avec Husserl aux dimensions d’une « communauté de corps de chair, une intercorporéité vivante, à la fois pulsionnelle, affective et spirituelle » (p. 356).
13Les pages (169 à 298) consacrées aux relations de l’âme et du corps dans la tradition philosophique ont une originalité qu’il faut noter. Cette thématique, souvent développée dans les ouvrages philosophiques comme un discours obligé, dans une forme imposée par la « raison scolastique », se présente sous la plume de l’auteur avec une clarté exemplaire qui donne à penser. Ici, il ne s’agit en rien d’un exposé dogmatique sur le dualisme de l’âme et du corps mais du cheminement de la pensée philosophique affrontée à la question du corps. Jean-Marie Brohm révèle ses talents de penseur et de pédagogue. Sans jargon ni obscurité, il revient aux auteurs classiques, aux plus grands d’entre eux, et les présente avec simplicité et rigueur. En prenant le corps comme fil conducteur, De Platon à Nietzsche, il montre la pluralité des corps, la multiplicité des perspectives et des niveaux de réalités, la polysémie du signifiant corps, les divers modes d’accès à la réalité corporelle dans les philosophies, les ontologies explicites et implicites du corps. Alors qu’on a coutume de penser que la philosophie est une édification de la pensée, Jean-Marie Brohm montre que le corps n’est pas un objet neutre, qu’il se joue de la pensée et que la corporéité est sa condition de possibilité.
14Plus encore, l’auteur nous introduit à des aspects singuliers et peu connus des œuvres philosophiques. Sa lecture des écrits de Descartes ne se limite pas au dualisme affirmé ni à l’interprétation intellectualiste de la démarche. Il explore une région du discours cartésien annonciatrice de la subjectivité du corps. Un corps lieu d’affects, de perception et de volition dont Descartes reconnaît explicitement que nous y sommes étroitement liés et dans l’impossibilité de nous en défaire ou d’être autre chose qu’un corps. Textes à l’appui, Jean-Marie Brohm montre que l’analyse de la séparation des deux substances (pensante et étendue) et de leur union est travaillée par une tension entre le corps subjectif et le corps objectif, le corps vécu et le corps matériel, comme si la réduction cartésienne n’arrivait pas à son terme et laissait apparaître l’excès de sens du corps.
15Autre exemple : avec le développement consacré à Leibnitz, le lecteur découvrira une théorie du corps éclairée par une métaphysique vitaliste, un univers organique de grouillement des multitudes, une infinité de corps animés qui inclut les animaux, les plantes et ceux qui échappent à notre perception.
16Ainsi, chacun des philosophes convoqués confirme l’hypothèse des corps multiples ; l’impossibilité d’en cerner les frontières ou d’en épuiser le sens ; la nécessité pour chaque philosophie de penser le corps même si ce n’est pas son objet central ; la relation de la thématique corporelle avec des questions métaphysiques (l’incarnation, l’union de l’âme et du corps, la vie et la mort, le rapport à l’univers, etc.).
17Tout au long de l’ouvrage, Jean-Marie Brohm affirme la réalité phénoménologique du corps. Un corps « en chair et en os », une subjectivité incarnée qui se manifeste concrètement et immédiatement par le sexe, la taille, l’âge, la couleur de la peau, les techniques du corps, l’appartenance à un groupe social, etc., autant de déterminations empiriques que les philosophes de « l’existential », de la pensée déréalisante, de l’ambiguïté sémantique préfèrent dénier et que Jean-Marie Brohm considère constitutives de notre corps tel que nous le vivons. Il soutient d’autre part que la corporéité ne peut pas être réduite à une seule dimension, d’où le titre de son ouvrage et l’effort continu d’étudier le corps sous tous les modes de donation en empruntant, sans confusion des genres, aux champs symboliques, esthétiques, éthiques, idéologiques. Enfin, et c’est une constante chez l’auteur, sa sensibilité aux questions politiques et éthiques. Pour lui, le corps est toujours le corps d’une personne ; toute atteinte au corps est une atteinte à son intégrité physique, sa dignité, son identité. Philosopher sur le corps ne va pas sans dénoncer toutes les violences qui lui sont faites et sans prendre au tragique les diverses transformations techno-scientifiques qui le visent.
18Manmoud Miliani
19PRAG UFR STAPS Montpellier 1 retraité
20Docteur en sociologie
Annie Léchenet, Mireille Baurens et Isabelle Collet (dir.) (2016). Former à l’égalité : défi pour une mixité véritable. Paris, L’Harmattan, coll. « Savoir et formation. Série Genre et éducation », 321 p.
22Cet ouvrage, Former à l’égalité : défi pour une mixité véritable, coordonné par Annie Léchenet, Mireille Baurens et Isabelle Collet, questionne une problématique éducative centrale : celle de la formation des enseignants à l’égalité de genre. Les enseignants, chercheurs ou étudiants y trouveront un riche état des lieux et d’éclairants travaux de terrain. Le manuscrit, collectif, est constitué de vingt-trois articles nourrissant cinq chapitres que nous nous proposons d’aborder succinctement.
23Le premier chapitre s’intitule « Pourquoi former ? ». Il souligne que si la réussite scolaire peut être identique entre les filles et les garçons, elle ne se poursuit pas nécessairement par une réussite sociale. C’est pourquoi, dans ces pages, la nécessaire prise de conscience, par la communauté éducative, de former à l’égalité des femmes et des hommes est rappelée. En ce sens, des transformations de pratiques professionnelles sont proposées, notamment par l’intermédiaire d’une pédagogie de l’équité qui permettrait de déconstruire les a priori et les stéréotypes de sexes et faciliterait ainsi l’exercice de l’égalité, de la liberté et de la citoyenneté des élèves. Ce chapitre met en évidence la nécessité que les formations transversales irriguent toutes les pratiques professionnelles afin de modifier, notamment ici, les représentations des enseignants sur l’équité des genres.
24Le deuxième chapitre « Former dans toutes les disciplines » montre, à travers plusieurs articles, que la formation à l’égalité de genre permet aux élèves de déconstruire des stéréotypes sexistes. Des illustrations issues de cours de mathématiques, en science de la vie et de la terre, en éducation physique et sportive ou encore en français viennent asseoir le propos. De ce constat, des vecteurs de transmission favorisant les différentes façons qu’ont les élèves de penser et de comprendre, sont proposés. Chemin faisant, une hypothèse est formulée : cette nouvelle façon de transmettre les contenus pédagogiques scientifiques donnerait potentiellement aux femmes la possibilité d’occuper des postes à plus haute responsabilité. Le présent chapitre précise également que la formation par l’image peut sensibiliser les élèves aux discriminations, et ce en utilisant des images stéréotypées afin de les combattre. L’idée principale du chapitre est de mettre en avant les discriminations entre les filles et les garçons, par différents faisceaux. Dans le souci de déconstruire les préconceptions sur les genres, cette mise en lumière apporte aux enseignants des outils éclairants.
25Le troisième chapitre traite du sujet de « La formation tout au long de la vie ». Il met en avant l’idée que, pour mieux répondre aux problèmes actuels, les enseignants doivent être formés à l’égalité des sexes – la formation initiale s’articulant avec la formation continue – pour éviter qu’eux-mêmes ne participent à la fabrication des inégalités sexuées. En effet, ces formations permettraient de lutter contre les discriminations sexuées en proposant des pratiques professionnelles innovantes dans les contenus des enseignements.
26Le quatrième chapitre, « Ressources », propose des outils pédagogiques tels que les expositions, les manuels scolaires et l’écriture pour socialiser les enfants à l’égalité entre les filles et les garçons. Le chapitre témoigne de l’absence de culture commune des enseignants sur l’égalité des genres et des sexes. Cette absence est préjudiciable car elle peut avoir pour conséquence de reproduire les inégalités. Un des articles de ce chapitre met en exergue le fait que les manuels scolaires sont sources de stéréotypes et donc très perfectibles en termes d’égalité des genres. Pour y remédier, au-delà de la nécessaire modification des manuels, l’article propose aux enseignants des formations de sensibilisation. Ces dernières aiguiseraient ainsi leur regard et leur esprit critique sur l’invisibilisation des femmes et pallieraient celle-ci par l’apport d’autres ressources. Par ailleurs, les auteurs de ce chapitre interpellent le monde éducatif et les maisons d’édition sur ces enjeux afin de transformer les manuels scolaires en véritables outils de formation à l’égalité. Dans le dernier article de ce chapitre, l’auteur propose de passer par l’écrit, ce qui, selon lui, permettrait à chaque élève de conscientiser et de construire sa propre identité sexuée, afin de limiter les préjugés entre les filles et les garçons.
27Le dernier chapitre, « Attitudes », constitue, pour les enseignants, une boîte à outils sur les conduites à tenir face aux violences de genre. Dans une contribution de ce chapitre, l’auteure dénonce la violence de genre dans un établissement secondaire. Elle remarque, en outre, que les insultes proférées par les garçons vis-à-vis des filles se banalisent au fur et à mesure du temps. Dans l’ensemble, elle montre que les décisions seraient rarement prises à l’avantage des filles. Pour remédier à ce que l’auteure qualifie de domination symbolique des garçons, elle propose des conduites à tenir face aux violences sexistes. Deux pistes sont avancées. La première est de donner la parole à la majorité silencieuse et la seconde est de faire vivre réellement la mixité et de créer de l’empathie entre les élèves des deux sexes. L’auteure avance que la violence de genre est davantage sous la responsabilité des élèves que de la communauté éducative. Son travail poursuit trois objectifs : 1) montrer que la violence des genres n’existe pas qu’en banlieue ; 2) proposer une boîte à outils pour les enseignants afin de faire face à une situation délicate ; 3) mettre en évidence que la violence de genre est fréquente mais souvent niée.
28L’ouvrage se conclut par l’ambition d’offrir des pistes d’actions pour réagir face aux violences, des leviers pour les enrayer et des moyens pour les prévenir. Plusieurs propositions émergent. Ainsi, il s’agirait d’identifier les problèmes, de contextualiser les formations, de mieux appréhender les modalités d’émergence, de travailler sur la mise en projets et la mise en perspectives de pistes d’actions pour proposer des outils pédagogiques adaptés. Afin de mener vers une éducation et des dispositifs de formation plus égalitaires, l’auteure de la conclusion s’appuie sur des témoignages d’élèves ayant subi des violences homophobes. Elle insiste sur la nécessité que le corps enseignant mène, de front, des actions. Elle évoque l’idée que les enseignants sont, par leur formation initiale et continue, capables d’augmenter, chez les élèves, le sentiment de sécurité et de créer les conditions d’un climat d’apprentissage plus serein. De plus, elle met en lumière l’importance de ces actions dans la réussite scolaire et dans la diminution des risques de décrochage scolaire et d’absentéisme. Par ailleurs, l’auteure montre également la nécessité d’apprendre à réagir, en amont, contre les violences fondées sur le sexe, le genre et/ou la sexualité. Pour y faire face, elle met sous le feu des projecteurs l’importance de la reconnaissance politique, de l’implication de toute la communauté éducative et de la participation des élèves. Tous ces partenaires constituent la base de la construction d’une culture de la non-violence. Il s’agit ainsi de réfléchir à des projets d’établissements durables et favorables à l’instauration d’un climat scolaire respectueux et propice aux apprentissages. Sans cet alliage permanent, les risques d’échec scolaire, de violence et de discrimination naissent et/ou se développent.
29Enfin, la postface de l’ouvrage souligne la richesse des analyses, de la réflexion, des manières de faire et des dispositifs proposés. L’idée directrice qui en ressort est de déconstruire ce système de genre, les modèles de rôles et les stéréotypes sexistes par les pratiques enseignantes. Aussi, l’auteure note que les enseignants formés et qui se préoccupent de ces questions changent l’atmosphère de leur classe et facilitent les apprentissages scolaires et sociaux. Enfin, elle soutient l’idée selon laquelle l’éducation à l’égalité entre les sexes est une finalité fondamentale du système éducatif actuel.
30Ainsi que le révèle cet ouvrage, les préoccupations relatives à la mixité et à l’égalité sont nombreuses et variées. L’ouvrage dénonce avec justesse et réalisme les violences sexistes. Il met en avant la nécessité de former tous les acteurs scolaires à une éducation égalitaire entre les sexes et entre les genres. En effet, même si dans les textes officiels cet enjeu d’égalité est affiché et que des formations continues proposées sur la mixité existent, la réalité du terrain invite à renforcer ces actions et à en trouver d’autres, plus innovantes. Les enquêtes de terrain réalisées offrent de solides bases de réflexion et des pistes d’amélioration tout en ouvrant un vaste champ de recherches.
31Collard Jonathan
32Étudiant en Master 2 Santé Psycho-Sociale par le Sport (SP2S)
33UFR STAPS, Université Paris Descartes
Giambattista Rossi, Anna Semens et Jean-François Brocard (2016). Sports agents and labour markets: evidence from world football. Abingdon: Routledge, 210 p.
35Dans le marché des footballeurs, les réseaux de transfert se composent de trois types d’acteurs. Les relations qu’ils entretiennent sont à la base de la circulation des sportifs entre les clubs. On compte les footballeurs, les acteurs liés aux clubs (présidents, directeurs sportifs, entraîneurs et recruteurs) et ceux qui gèrent l’intermédiation entre les clubs et les joueurs : agents sportifs et autres intermédiaires comme les journalistes, supporters, avocats et familles de joueurs (Poli, 2010). Servant d’intermédiaire légal entre des clubs professionnels, l’agent occupe une activité de conseil et d’assistance au joueur. En tant qu’expert du marché, cet intrigant et décrié « faiseur de réseaux » est à la fois conseiller, porte-parole et parfois confident de son client. Il est payé, en principe, par un pourcentage – entre 6 et 10 % – de la rémunération brute annuelle, du joueur, indiquée dans un nouveau contrat dont il négocie les termes (durée, salaire et primes). Il arrive aussi que mandaté par un club acheteur ou vendeur, l’agent soit rétribué par une somme forfaitaire ou un pourcentage du montant du transfert. Les commissions perçues varient donc en fonction de chaque négociation. Quant à l’utilité sociale, économique et humaine des agents devenus incontournables dans cette industrie mondiale (Lanfranchi & Taylor, 2001), elle est liée au fait qu’ils sont censés minimiser les coûts de transaction, liés à l’asymétrie d’information (Gouguet & Primault, 2006) du côté du joueur (prétentions salariales, santé financière et projet sportif du futur employeur) et du club (caractère, capacités d’adaptation et professionnalisme du sportif). D’un côté, les clubs disposent souvent de cellules de recrutement couvrant une aire géographique limitée. De l’autre, solliciter les services d’un agent est pour les footballeurs un critère de professionnalité et un moyen de pénétrer un marché qui génère plusieurs milliards d’euros par an.
36Qui est « Monsieur 10 % » ? Et comment se structure et se régule la profession d’agent dans la gestion des flux sportifs internationaux ? En 2016, trois auteurs, Giambattista Rossi, enseignant-chercheur à la Birkbeck University of London, Anna Semens, Head of Analytics chez Havas Sports and Entertainment, et Jean-François Brocard, maître de conférences à l’Université de Limoges, répondent brillamment à ces questions dans cet ouvrage publié en anglais (une version française sera éditée prochainement). Ils approfondissent ainsi des enquêtes journalistiques (Azhar, 1996 ; Lecadre, 2010), des rapports parlementaires (Juillot, 2007 ; Glavany, 2014), des témoignages d’agents (Diouf, 2013 ; Roger, 2015 ; Bonnot, 2016) et des travaux sociologiques sur les agents (Demazière & Jouvenet, 2011 ; Sekulovic, 2013) en mettant en valeur un cadre théorique international peu connu en France, fort de 200 références. En outre, ce livre présente d’indéniables qualités de forme : une introduction et une conclusion encadrent huit chapitres d’une longueur moyenne de 25 pages (reposant chacun sur une introduction, plusieurs sous-parties, une conclusion, de rares notes de fin puis une bibliographie). Croisant des analyses sociologiques, démographiques, économiques et juridiques, les chapitres traitent successivement de l’histoire de la profession d’agent, leur rôle, la consolidation et la concentration du marché, les cadres réglementaires de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), les réseaux de transfert, les propriétés tierces et les prochains défis du milieu face à l’encadrement législatif renforcé. Le lecteur apprécie également l’existence d’une préface et de trois listes récapitulatives (graphiques, tableaux et abréviations). S’il pourra regretter l’absence d’images, de couleurs et d’une seule bibliographie évitant ainsi d’inutiles répétitions sans oublier un tarif quasi prohibitif d’une centaine d’euros (une trentaine en version dématérialisée), il se réjouira de retrouver un index de plus de 1 000 personnages du football à la fin d’un livre de 210 pages qui présente deux mérites.
37Tout d’abord, il renouvelle les connaissances sur les origines historiques de la profession pour étudier ses racines nord-américaines. Si peu de portraits et témoignages surgissent, on découvre comment les agents s’affirment progressivement au XXe siècle face aux intermédiaires. Trois périodes marquantes sont mises en évidence : la prospection (scouting) et l’intermédiation au service des clubs dès la seconde moitié du XIXe siècle, la représentation des joueurs de football à partir du début des années 1960 et la professionnalisation des agents de footballeurs du milieu des années 1990 à nos jours. Cette première conjoncture nous replonge dans la guerre de Sécession (1861-1865) quand les premiers intermédiaires sportifs, rejoints plus tard par Albert Goodwill Spalding et l’inévitable Charles C. Pyle, organisent les tournées d’équipes professionnelles américaines de base-ball et négocient les cachets des vedettes du football américain. Au fil des pages, le lecteur remonte le temps, rencontre le premier agent de footballeurs en Angleterre en 1891, J.P. Campbell. Il remarque les stratégies des clubs européens et de leurs « sergents-recruteurs » sillonnant l’Europe et l’Afrique du Nord des années 1930. Bien avant la création de la licence d’agent de matchs par l’UEFA en 1969, se reconstruisent donc de manière inédite l’univers et les rapports de force des intermédiaires du football des années 1950. L’évolution progressive du service apporté au club vers le joueur, la spécialisation des agents, l’affirmation des « full-service » firmes internationales des années 1960, telle IMG McCormack, l’augmentation vertigineuse des salaires dans les années 1980, les premières tentatives étatiques de régulation (en 1992, en France), l’apparition de la licence FIFA (1994), les conséquences de l’Arrêt Bosman (1995) et du nouveau règlement FIFA sur la collaboration avec les intermédiaires (2015) sont minutieusement examinées.
38La seconde qualité indéniable de ce travail est de dépasser le cadre national (Bulliard, 2010 ; Frenkiel, 2014) et européen (KEA, CDES & EOSE, 2009). En effet, le regroupement des « agents solo » (631 en 2001, 5 193 en 2009 enregistrés par la FIFA) en agences comme First Artist opérant également en Asie, en Amérique du Sud et du Nord est traité. On reconnaît l’expertise des trois auteurs qui dévoilent des chiffres saisissants sans négliger la caractérisation sociodémographique des agents dans un marché mondial concentré et menacé par les conflits d’intérêts. À 42 ans en moyenne, 90 % des agents représentent exclusivement des footballeurs. Parmi eux figurent une minorité d’anciens footballeurs professionnels et de femmes ; seuls 41 % d’entre eux exercent à plein temps. Autre exemple, à l’échelle planétaire, entre 2011 et 2014, 754 millions de dollars sont dépensés par les clubs en commissions d’agents. En France, ce montant en augmentation s’élève à 60 millions d’euros pour la seule saison 2011-2012. À travers des études de cas encadrées, on retient ainsi l’importance des cinq championnats européens majeurs (Allemagne, Angleterre, Espagne, France et Italie) où 20,2 % des joueurs sont représentés dans vingt agences (dont quatre françaises). Friands du comparatisme et désireux de mettre en lumière des spécificités nationales, les auteurs écrivent en une vingtaine de pages cinq études du marché des intermédiaires dans chacun des championnats du Big Five qui regroupent 2 400 agents en 2015. Giambattista Rossi, Anna Semens et Jean-François Brocard précisent les noms des agents influents et leurs stratégies de construction de réseaux pour accéder et se maintenir dans la profession. Leurs indispensables collaborations avec d’autres intermédiaires, notamment les avocats, et leur implication syndicale auraient d’ailleurs pu être davantage considérées. Ceci étant, la participation d’agents dans des fonds de placement, leur faisant outrepasser la simple intermédiation, fait l’objet d’un chapitre entier. Les trajectoires des joueurs, parfois mineurs, transformés en biens de consommation détenus par des propriétés tierces sont recomposées. Distanciée des « affaires » et des polémiques, cette enquête s’avère donc aussi être une précieuse ressource pour souligner certaines dérives spéculatives du sport moderne : profiter à tout prix des dividendes liés à l’augmentation de la valeur marchande des footballeurs les plus prometteurs.
39Alors que depuis 2015 l’accès à l’activité est dérégulé par la FIFA qui a supprimé la licence d’agent (maintenue en France jusqu’en 2020), nul doute que cette éclairante contribution intéressera les agents, apprentis comme confirmés, et les autres acteurs et analystes du marché des footballeurs. Tous conscients de la difficulté de le réguler et qu’à l’avenir, comme le soutiennent les auteurs, « les meilleurs joueurs seront toujours représentés par les meilleurs agents » (p. 63).
40Stanislas Frenkiel
41Maître de conférences
42UFR STAPS, Université d’Artois
43Atelier SHERPAS (URePSSS – EA 7369)