1 – Introduction
1Le feed-back vidéo (FBV), défini comme le fait d’observer son propre comportement dans un temps différé, est devenu un outil pédagogique très utilisé dans la formation des enseignants (Mottet, 1997), mais également par les entraîneurs sportifs (Wang &Parameswaran, 2004). Cette diffusion est due essentiellement au développement des techniques d’information et de communication. En effet, le fait de pouvoir capter l’image du sportif durant sa prestation et de la lui restituer a été favorisé grâce au développement du caméscope. Au cours des trois dernières décennies, ces appareils n’ont cessé de se miniaturiser, de gagner en autonomie, tout en devenant de plus en plus accessibles au grand public. Par ailleurs, la numérisation des images constitue une étape supplémentaire car elle facilite leur partage, via le réseau internet, par une communauté d’apprenants. À l’aune de cette révolution des techniques d’information et de communication, il nous paraît intéressant de questionner la pertinence des dispositifs d’apprentissage que ces innovations autorisent aujourd’hui.
2Cette étude s’adresse aux entraîneurs de sport collectif et de façon plus spécifique aux entraîneurs en rugby. Dans cette activité, le pratiquant doit agir en s’adaptant à un contexte de jeu très incertain. La prise de décision est donc un facteur de performance déterminant (Gréhaigne, Godbout, & Bouthier, 2001). Dans le sillage des travaux de Malho (1969) et Deleplace (1979), Gréhaigne et al. (2001) ont proposé une didactique de la prise de décision en sport collectif, mais ils ont très peu utilisé la vidéo à des fins de feed-back.
3D’autres chercheurs ont exploré les effets du FBV vidéo, mais essentiellement sur les habiletés fermées (Rothstein & Arnold, 1976 ; Simonet, 1984 ; Mérian & Baumberger, 2007 ; Thow, Naemi, & Sanders, 2012). De plus, ces études ont une finalité descriptive et analytique. Depuis, des travaux plus récents recommandent l’utilisation de la vidéo pour améliorer l’expertise cognitive en sport (Garcia-Gonzalez, Moreno, Moreno, Gil, & del Villar, 2013) et particulièrement la prise de décision des joueurs de sport collectif (Roche, 2011), mais aucun n’a tenté d’en vérifier l’efficacité.
4En poursuivant une finalité fonctionnelle et systémique, l’étude a pour objectif d’étudier l’effet de trois modalités de restitution vidéo sur les capacités de prise de décision du porteur de balle en rugby. Les notions de prise de décision et de feed-back vidéo ainsi que les résultats des études réalisées sur cette question seront successivement présentés. Enfin, la méthodologie et les résultats de l’étude seront présentés puis discutés.
2 – Cadre théorique
2.1 – Le modèle du système de traitement de l’information
5Cette étude repose sur la comparaison de la pertinence des choix du porteur de balle en situation de surnombre latéral. Si la prise de décision ne constitue pas notre objet de recherche à proprement parler, il est malgré tout indispensable de préciser le paradigme que nous avons retenu pour l’étudier, tant cet objet d’étude paraît controversé au sein de la psychologie.
6Historiquement, la prise de décision, et notamment la prise de décision en sport, a été étudiée en référence à une épistémologie cognitiviste reposant sur une analogie entre l’intelligence humaine et le fonctionnement d’un ordinateur, analogie dans laquelle l’Homme est assimilé à un système de traitement de l’information actif, qui manipule des symboles et les transforme en représentations mentales. Ce modèle repose sur le postulat d’un monde prédéfini, indépendant de l’acteur, et dont on peut se représenter des états. La cognition repose alors sur la base de représentations qui ont une réalité physique sous forme de code symbolique et une réalité sémantique qui conditionne la computation. L’information est traitée par une suite de processus cognitifs selon une organisation entrée-sortie. L’input correspond par exemple aux informations prélevées sur le monde objectif extérieur par les systèmes sensoriels. Ces informations sont ensuite traitées à un niveau centralisé. L’output renvoie à l’ensemble des instructions transmises au système moteur déclenchant la réponse motrice (Temprado & Famose, 1993). Dans ce modèle, le cerveau est assimilé à un dispositif réagissant de façon sélective aux aspects de l’environnement. La décision est alors considérée comme une étape intermédiaire dans le déroulement par stade, permettant à partir du traitement des informations recueillies de faire un choix entre différentes alternatives. Le traitement au niveau central s’appuie sur l’utilisation de bases de connaissances qu’il s’agit de structurer et de mobiliser le plus rapidement possible à partir des résultats de l’activité perceptive, afin d’élaborer une représentation du problème posé. Ces connaissances agissent comme des filtres organisateurs du comportement et sont stockées sous forme de schémas et de programmes moteurs. Lors de la réponse motrice, ces programmes sont sélectionnés et spécifiés (amplitudes, forces, etc.) pour réaliser l’action adaptée aux exigences de la situation. Les erreurs d’exécution sont corrigées grâce au traitement sensoriel ré-afférent.
7Un des premiers reproches formulés à l’encontre de ce modèle fut sa difficulté à expliquer la pertinence des décisions prises par les experts dans des contextes de forte pression temporelle (Bossard & Kermarrec, 2011). Dans le cadre des sports collectifs, cette limite pourrait rapidement devenir rédhibitoire. Cependant, le public de notre étude est constitué d’étudiants dont la plupart sont novices dans l’activité rugby. La vitesse à laquelle les événements se présentent à eux n’est pas aussi rapide que dans le contexte du rugby de haut niveau. De plus, l’exigence sécuritaire de ce contexte de formation incite les pratiquants à modérer leur engagement physique. La pression temporelle ressentie par les étudiants au moment de faire leur choix est donc sans commune mesure avec celle que connaissent les experts en situation de match.
8La difficulté à rendre compte des interactions entre le joueur singulier et le contexte original de la situation de jeu constitue le second type de critique adressée à cette approche. Assimilé à un système de traitement de l’information, ce modèle ne prend pas en compte la subjectivité du joueur au moment où il décide. On sait pourtant que les décisions des joueurs ne sont pas toujours rationnelles. Pour expliquer ces distorsions, Mouchet (2006) invoque la mobilisation d’un arrière-plan décisionnel qu’il faut comprendre comme une sorte d’habitus au sens bourdieusien du terme. Dans le contexte du haut niveau où des joueurs expérimentés ne partagent que quelques mois le même maillot, cette négation de la subjectivité serait très préjudiciable à l’étude de leurs décisions. Dans notre étude, nous accueillons un public dont les représentations et l’expérience sont embryonnaires. Notre priorité sera de leur transmettre les éléments d’une culture pour qu’ils puissent juger de la pertinence de leurs actions. À travers leurs décisions en situation de jeu, nous pourrons vérifier l’assimilation du référentiel commun de jeu (Deleplace, 1979) que nous leur aurons enseigné. Notre évaluation sera essentiellement normative et laissera peu de place à leur subjectivité. Ce qui deviendra plus tard un arrière-plan décisionnel (Mouchet & Bouthier, 2006) constitue pour ces jeunes en formation un premier plan qui exige toute leur attention.
9Enfin, le modèle du système de traitement de l’information est considéré comme un processus symbolique et rationnel de traitement (Macquet & Fleurance, 2006). Au cours de cette étude, nous interrogerons la place et le rôle du discours qui accompagne les images. Qu’il soit produit par celui qui diffuse les images ou par celui qui les regarde, le langage engage la fonction symbolique de notre intelligence (Piaget, 1947) et nous renvoie inévitablement vers des processus cognitifs dits de haut niveau. En mobilisant ce cadre théorique, nous nous donnons l’occasion de comprendre comment le langage permet de prendre conscience a posteriori d’un certain nombre de processus décisionnels infraconscients intervenus durant l’action de jeu. Et comment ces connaissances procédurales, devenues déclaratives, enrichissent les bases de connaissance du joueur.
3 – Revue de littérature
3.1 – La prise de décision
10La comparaison expert-novice, qui reste le moyen privilégié d’étude de la prise de décision dans cette approche (Williams & Ericsson, 2008), a permis d’identifier trois raisons expliquant l’optimisation de la prise de décision : les stratégies de prise d’informations, le fonctionnement du système mnémonique, la richesse et l’étendue des bases de connaissance. Concernant la prise d’informations, les résultats indiquent que les experts perçoivent plus précocement, plus vite et avec plus de précision les informations pertinentes que les novices (Savelsbergh, Williams, Van der Kamp, & Wards, 2002 ; Starkes, Edward, Dissanayack, & Dunn, 1995 ; Williams & Burwitz, 1993 ; Williams & Davids, 1998 ; Williams & Ward, 2003). L’utilisation de tâche de rappel et de reconnaissance a mis en évidence que les experts s’adaptent plus vite que les novices aux situations, à condition qu’elles soient structurées, c’est-à-dire crédibles ou typiques du sport considéré (Garland & Barry, 1991), suggérant ainsi qu’ils accèdent plus rapidement aux informations stockées en mémoire. Enfin, McPherson (1993) avance que les experts en sport collectif possèdent des structures de connaissance plus sophistiquées que les novices ; il met en évidence un réseau plus étendu de concepts et un plus grand nombre de liens entre connaissances procédurales et déclaratives.
3.2 – La notion de feed-back
11Rappelons que cette notion provient de la cybernétique. Cette science a mis en évidence les boucles de rétroaction qui permettent à un système de s’autoréguler. Appliqué à la psychologie des comportements moteurs, le feed-back (FB) indique au pratiquant l’écart entre ce qu’il devait réaliser et ce qu’il a effectivement produit. Dans les activités téléocinétiques (Vanpoulle, 2011), ce type d’information est primordial pour assurer un apprentissage de la tâche. Sans aucune connaissance sur le résultat de l’action ou son déroulement, il est impossible d’en assurer l’acquisition (Salmoni, Schmidt, & Walter, 1984 ; Schmidt, 1993).
12Comme dans toute pratique physique, le joueur de sport collectif a recours à deux sources de feed-back pour réguler ses actions : le FB intrinsèque et le FB extrinsèque (Schmidt & Lee, 1999). Dans cette étude, nous nous focaliserons sur la seconde source, celle qui permet à un formateur d’apporter des informations à l’apprenant et à celui-ci d’apporter des corrections sur l’action qu’il vient de produire.
13Le feed-back extrinsèque peut être administré au pratiquant de différentes manières. La plupart du temps c’est un signal verbal (Hebert & Landin, 1994 ; Salmoni et al., 1984), mais il peut également être administré de manière visuelle par l’intermédiaire de photos, vidéos, tracé GPS (Magill, 1993 ; Schmidt, 1993). Il peut également porter sur différents aspects du comportement. Ainsi, la connaissance du résultat de l’action (CR) est définie comme une information sur « le succès d’une action par rapport au but environnemental » (Schmidt, 1993, p. 256), alors que la connaissance de la performance (CP) porte sur le déroulement des différentes parties du mouvement réalisé. Dans les activités sportives où l’acquisition d’une technique gestuelle est primordiale, la CP permet à l’apprenant de se construire une image précise du mouvement réalisé (Buekers, 1995), mais dans le cas des sports collectifs, la CP peut également porter sur la pertinence du choix réalisé.
14Enfin, et c’est un point fondamental, Gentile (1972) fait apparaître que, dans les habiletés ouvertes, l’administration du FB doit établir la relation entre les éléments pertinents de la situation et l’obtention du résultat. Autrement dit, lorsqu’il s’agit de produire un comportement moteur adapté à une situation incertaine, cet auteur postule que le FB doit permettre de revenir sur les conditions présentes au moment du choix et les mettre en relation avec le résultat de l’action du joueur. Même si le cadrage de l’image constitue une limite non négligeable, seule la vidéo semble capable d’offrir un tel compromis. C’est pourquoi ce média s’est imposé comme une source de feed-back augmenté incontournable dans les sports collectifs.
3.3 – Le feed-back vidéo
15La vidéo est une source de feed-back extrinsèque, qui peut donner des informations tant sur la CR que sur la CP (Mérian & Baumberger, 2007). La rétroaction vidéo permet à l’apprenant de visionner sa propre performance immédiatement après sa réalisation ou dans un temps différé et de la comparer au souvenir qu’il en garde (Simonet, 1984 ; Haensler, 2013). Cet outil offre de plus une souplesse d’utilisation intéressante puisqu’une séquence d’action peut être visionnée plusieurs fois à différentes vitesses. Elle peut être également ralentie ou arrêtée sur une image fixe pour analyser une situation de jeu particulière (Lorains, Ball, & MacMahon, 2013). Enfin, les travaux sur les FBV qui se sont intéressés aux habiletés fermées convergent pour reconnaître la nécessité de guider l’activité de lecture de l’observateur et l’aider à détecter les indices qui mènent à la réussite (Rothstein & Arnold, 1976 ; Gadagnoli, Holcomb, & Davis, 2002 ; Vickers, Livingston, Umeris, & Holden, 1999). Dans les habiletés ouvertes, caractérisées par une forte incertitude événementielle et temporelle (Famose, 1990), nous faisons l’hypothèse qu’il convient là aussi de guider l’activité de lecture du FBV pour aider le joueur à développer ses structures de connaissance (McPherson, 1993) stockées en mémoire à long terme et ainsi rappeler plus rapidement et plus opportunément les connaissances dont il a besoin au moment où il doit décider (Garcia-Gonzalez et al., 2013).
16Plus récemment, le développement des technologies de communication permet de diffuser des films par le réseau internet. Désormais, ces images peuvent être visionnées à tout moment et de n’importe où, dès lors qu’une connexion est disponible. Sans pouvoir prouver l’efficacité de ce type de feed-back, Noordmann, Verhaak et Dulmen (2011) ont démontré qu’en diffusant les images vidéo des consultations de jeunes médecins en fin de formation sur le web, ces derniers ressentaient des effets bénéfiques sur leurs capacités à communiquer avec leurs patients. Enfin, dans la mesure où les conditions météorologiques peuvent perturber le déroulement d’une séance en plein air, le terrain de sport n’est pas toujours un espace propice à la formalisation des expériences vécues. Le FBV différé peut alors être un vecteur efficace de connaissances déclaratives. Il peut également contribuer à enrichir la base de connaissances des joueurs (McPherson, 1993).
17Comme nous l’avons souligné en introduction, l’usage du FBV dans le milieu fédéral des sports collectifs s’est généralisé. Cette tendance est moins nette en éducation physique (Mérian & Baumberger, 2007). Notre étude consiste alors à étudier dans quelle mesure des procédés de FB à distance permettent aux joueurs de progresser dans leur capacité à identifier les indices pertinents à l’élaboration de leurs décisions en situation de jeu. Le rugby offre une multitude d’occasions de décision et les théoriciens de ce jeu proposent des modélisations où ces occasions sont répertoriées et catégorisées en fonction des niveaux de jeu des pratiquants et de la spécificité du poste qu’ils occupent (Collinet & Nérin, 2003). Nous avons choisi de centrer notre étude sur la situation de surnombre latéral (SNL), car cette situation, qui n’est ni trop spécifique à un niveau de jeu ni trop spécifique à un poste particulier, reste cruciale, car elle survient souvent à la fin d’une action de jeu et permet de concrétiser la pression offensive collective de l’équipe en ouvrant la porte de l’essai à un de ses coéquipiers.
4 – Options méthodologiques
4.1 – Trois modalités de feed-back vidéo
18Pour simuler la relation physique du joueur avec son entraîneur, nous avons choisi de diffuser le feed-back selon une première modalité que nous avons appelée « Voix off ». Pour simuler la relation physique du joueur avec ses partenaires de jeu, nous avons choisi de diffuser le feed-back selon une seconde modalité que nous avons appelée « Autoscopie collective ». Enfin, pour comparer les effets de ces deux modalités sur les capacités d’apprentissage, nous avons choisi de diffuser le feed-back selon une modalité témoin que nous avons appelée « Intégral ».
19Dans la première modalité (Voix off), seules les images du groupe montrant les situations les plus typiques sont mises en ligne. La bande-son originale est écrasée au profit de la « voix off » de l’enseignant qui commente la pertinence des choix, dans les situations de surnombre latéral (SNL). Nous avons choisi cette modalité pour recréer les conditions d’un apprentissage par instruction où un expert (le coach) doit aider un novice (le joueur) à établir la relation qui existe entre les indices à percevoir et le résultat de l’action. Cette modalité présente les actions les plus typiques et s’accompagne d’un commentaire verbal sur la pertinence des choix. Il s’agit également d’une communication unilatérale qui ne laisse pas de place à l’interactivité.
20Dans la seconde modalité (Autoscopie collective), les étudiants se regroupent par trois pour visionner l’intégralité de l’enregistrement vidéo. Lorsque l’un d’entre eux est concerné par une situation de surnombre latéral (SNL), les étudiants procèdent à une autoconfrontation selon un script préétabli. Le but étant de prendre conscience de la pertinence du choix, de verbaliser les causes qui ont présidé au choix et éventuellement de verbaliser les indices à prendre en compte si une situation similaire se représentait. Nous avons retenu cette modalité, pour recréer les stratégies d’opposition de réponse qu’utilise le coach lorsqu’il invite ses joueurs à débattre sur la pertinence du choix de l’un d’entre eux au cours d’une séance de rétroprojection collective. Dans le domaine de la prise de décision, ces discussions ont pour effet de faire émerger les relations entre le résultat de l’action et les indices déterminants pour la réussite de l’action.
21Dans la troisième modalité (Intégral), les images du match de fin de séance sont restituées intégralement sans montage ni commentaire. En les regardant sur son ordinateur, le joueur accède à la connaissance du résultat de ses actions, éventuellement aux indices à percevoir pour prendre les bonnes décisions, mais personne ne l’aide à établir la relation entre les deux.
22Au cours de cette expérimentation, nous nous attendons à ce que la capacité à gérer une situation de surnombre latéral progresse moins rapidement pour le groupe qui aura bénéficié de la modalité « Intégral » que pour les deux autres. Ce dernier, ne bénéficiant d’assistance ni pour évaluer le résultat de l’action ni pour identifier les indices pertinents de la situation de jeu, sera en difficulté pour juger la pertinence de ses choix. Il est donc fort probable que les images du FBV ne modifient pas le codage mnésique que l’expérience de cette situation aura laissé dans la mémoire à long terme pendant le jeu. En revanche, dans les groupes de trois, constitués pour l’autoscopie collective, le niveau des étudiants ne sera jamais totalement homogène. Il est fort probable que les plus novices profiteront des interactions pour améliorer la sélection des indices utiles pour la décision, quand les plus experts profiteront du statut de tuteur pour formaliser des savoirs sourds qui auront émergé de leur pratique. Cependant, la modalité pour laquelle nous attendons le plus de progrès est la « Voix off ». En ne retenant que les actions les plus caractéristiques de la séquence de jeu et en utilisant les deux sources d’information que sont l’image et le son, l’attention des joueurs a plus de chance de se focaliser sur les indicateurs pertinents. De plus, par ses commentaires avisés, le formateur, expert de cette APSA, donne aux étudiants plus de chance de modifier leurs représentations. On postule ici que le processus de double sémiotisation proposé par Schneuwly (2000) vient jouer dans l’association du FB verbal et visuel.
4.2 – Participants
23Cent soixante-dix-sept étudiants de deuxième année, en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), répartis en sept groupes de pratique constituaient la population de l’étude. Les sept groupes ont été répartis de façon aléatoire selon les trois modalités de la rétroaction vidéo : 2 groupes (n = 51) bénéficiaient de la modalité « Intégral » ; 3 groupes (n = 76) bénéficiaient de la modalité « Autoscopie collective » ; 2 groupes (n = 50) bénéficiaient de la modalité « Voix off » (voir le détail de la composition des groupes dans le tableau 1). Le protocole s’est déroulé sur un total de 6 séances d’une durée de 1 h 30 permettant de valider la moitié d’un module d’enseignement.
Effectifs des groupes de pratique pour chacune des modalités de FBV
Effectifs des groupes de pratique pour chacune des modalités de FBV
4.3 – Dispositif, matériel et organisation des séances
24L’ensemble des groupes a connu des conditions de pratique tout à fait identiques. Le terrain engazonné et régulièrement tracé n’a connu aucune détérioration durant cette période du fait d’une météo particulièrement clémente cette année-là. Aucune séance n’a dû être interrompue ou reportée.
25Chaque groupe était encadré par un des deux enseignants de la faculté des sciences du sport, spécialistes de l’activité. Ils étaient assistés par un caméraman. Les contenus des séances étaient identiques pour chacun des sept groupes. Les situations s’enchaînaient selon un protocole très précis. Après vingt minutes d’échauffement autour d’exercices de passes, succédait une situation d’opposition à effectif réduit qui durait vingt-cinq minutes. Au cours de cette dernière, les étudiants avaient la possibilité d’affiner leurs repères et leurs techniques gestuelles en SNL. Enfin, une situation de jeu durait quinze minutes et permettait aux étudiants de réinvestir ce qu’ils venaient d’apprendre en situation de jeu réduit à neuf contre neuf sur un terrain de 70 m de long et 45 m de large. Outre les règles fondamentales du jeu (marque, droits et devoirs des joueurs, hors-jeu dans le jeu courant, tenu), les joueurs devaient respecter les règles inhérentes aux regroupements et celles qui s’imposent après une phase de plaquage. Le jeu au pied était autorisé mais pas encouragé. Du point de vue de l’organisation collective, nous avions décidé de ne pas spécialiser les joueurs dans un poste particulier. Toutefois, pour leur permettre d’être confrontés de manière équitable à des surnombres latéraux, nous avions convenu d’une répartition entre joueurs intérieurs et joueurs extérieurs, qui permutaient leur rôle à la mi-temps.
26La motivation des joueurs s’organisait autour de deux préoccupations majeures. D’une part, il fallait gagner le match, d’autre part, dans le tumulte de l’action de jeu, il fallait reconnaître des SNL et les négocier le mieux possible.
27La situation de jeu global était filmée. La caméra était surélevée de trois mètres au-dessus du sol. Elle était positionnée derrière un embut, dans l’axe longitudinal du terrain, afin de bien distinguer les décalages latéraux. Nous avons utilisé un cadrage moyen pour toutes les actions, c’est-à-dire une image assez précise pour distinguer les actions du porteur de balle et assez large pour percevoir les partenaires qui se démarquaient à dix mètres de ce dernier. Seules les actions de jeu étaient filmées, nous demandions au caméraman de couper l’enregistrement à la fin de chaque action et de reprendre quelques secondes avant la remise en jeu du ballon. Nous reconnaissions les joueurs des deux équipes grâce à des chasubles de couleurs différentes qui étaient floquées d’un large numéro sur la poitrine et sur le dos.
28Dans un délai de 48 à 120 heures après la séance, les étudiants étaient invités à se connecter sur l’espace numérique de travail (ENT) de l’université pour y consulter les vidéos qui étaient diffusées selon des modalités propres à leur groupe.
29Pour s’assurer que les étudiants des groupes « Voix off » et « Intégral » avaient bien regardé la vidéo, ils devaient renseigner un tableau interactif sur lequel ils notaient le nombre de SNL dans lesquelles ils étaient impliqués en tant que porteur de balle.
30Pour les étudiants du groupe « Autoscopie collective », nous leur demandions de déposer l’enregistrement oral des réponses sur l’ENT. Nous insistons sur le fait que ce travail faisait l’objet d’une évaluation sommative qui déterminait la note de théorie de l’étudiant dans l’activité rugby.
4.4 – Traitement des données
31Les images vidéo de la phase de jeu global de la première (pré-test) et de la sixième séance (post-test) furent analysées, puis comparées afin de déterminer dans quelle proportion la performance des groupes avait évolué.
32Afin de mesurer l’effet des modalités de FBV, deux types d’habileté furent évalués lors du pré-test et du post-test. La capacité de l’équipe à provoquer une SNL dans la situation de jeu global constituait la première d’entre elles. Il s’agissait d’évaluer le nombre de fois où l’équipe offensive parvenait à se créer une SNL. En effet, la capacité des joueurs à coordonner leurs replacements pour provoquer des déséquilibres latéraux constitue une première habileté. Ainsi, à chaque fois qu’une équipe parvenait à servir un joueur démarqué face à un espace libre compris entre le dernier défenseur et la ligne de touche, nous comptabilisions une SNL. Afin de ne pas comptabiliser plusieurs fois la même situation de surnombre, nous avons convenu de repérer le « point critique » de l’action (Deleplace, 1979), c’est-à-dire le moment au-delà duquel l’action se dénoue : soit le porteur de balle franchit le rideau défensif, soit il fait une passe qui permet à son partenaire de s’engager dans l’espace libre compris entre le dernier défenseur et la ligne de touche, soit il se fait intercepter la passe, soit il fait une faute.
33La capacité du porteur de balle à gérer une SNL constituait la seconde habileté. Pour l’évaluer, nous avons pris en compte la difficulté de la situation à laquelle était confronté le porteur de balle, ainsi que l’efficacité de ce dernier. Concernant la difficulté de la situation, quatre critères furent retenus : la valeur du défenseur, la valeur du partenaire, la pression temporelle qui s’exerce sur le porteur de balle au moment où il doit faire son choix, enfin la clarté de la situation, qui dépend du placement des joueurs dans l’espace proche du porteur de balle et de la direction de leur course. L’évaluateur était amené à faire une synthèse de ces différents paramètres afin de déterminer si la situation était difficile, moyennement difficile ou facile. Concernant l’efficacité du porteur de balle, deux critères furent retenus : l’espace de terrain gagné (par le porteur de balle ou par le partenaire qui recevait sa passe) et la pertinence de son choix. L’évaluateur devait synthétiser ces différents paramètres afin de déterminer si la situation était une réussite, si on ne pouvait se prononcer ou si, au contraire, elle constituait un échec (tableau 2).
Coefficient attribué en fonction de la difficulté de la situation (ordonnée) et de la réussite (abscisse)
Coefficient attribué en fonction de la difficulté de la situation (ordonnée) et de la réussite (abscisse)
34Afin de pouvoir comparer l’évaluation des différents experts, nous leur avons demandé d’identifier les actions en reportant la référence temporelle de l’action (« time code ») du lecteur vidéo. D’autre part, afin de pouvoir mesurer la performance du porteur de balle, nous avons demandé aux experts d’inscrire chaque « time code » dans la grille présentée au tableau 2. Ainsi, chaque « time code » représentait une unité qui était multipliée par le coefficient afférent à cette case.
35Les vidéos de chacun des groupes de pratique furent évaluées par un panel de trois experts choisis parmi cinq experts : les deux enseignants d’EPS de la faculté des sciences du sport, spécialistes de rugby (Experts A et B), un conseiller sportif territorial (CST, Expert C) et deux étudiants en master STAPS évoluant dans les meilleurs clubs de la région (Experts D et E). Le tableau 3 présente la répartition des experts pour chacune des modalités de FBV.
Répartition des experts pour chacune des modalités de FBV
Répartition des experts pour chacune des modalités de FBV
36Pour comparer l’efficacité des trois modalités de feed-back, un certain nombre de précautions furent nécessaires. Tout d’abord, seules les SNL identifiées par les trois experts qui ont observé le groupe ont été retenues. Ainsi, sur un total de 700 SNL relevées en pré- et en post-test, par les cinq experts, seules 123 ont pu être retenues. D’autre part, tous les étudiants qui connurent une interruption de pratique entre la première et la dernière séance du module furent écartés, ainsi que tous ceux qui ne laissèrent pas de trace de connexion sur l’ENT durant les deux semaines où nous avons diffusé les feed-back vidéo. Ainsi, sur les 177 étudiants qui composaient notre population initiale, nous n’avons pu retenir que 97 participants. En cumulant les effets de cette double sélection, les données relevées portent en définitive sur 81 actions de surnombre latéral (21 lors de la séance de pré-test, 60 lors de la séance de post-test).
4.5 – Résultats
37Afin de comparer la capacité à provoquer une situation de surnombre latéral, les nombres de SNL en pré- et post-test pour chaque modalité de FBV, une Anova Modalité de restitution (Collective, Intégral, Voix off) x Test (pré-, post-test) a été réalisée. Les résultats de cette Anova révèlent une interaction entre ces deux facteurs, F(2, 97) = 5.54, p < 0.05. Les comparaisons post hoc de Scheffé indiquent que les occasions de SNL sont identiques lors du pré-test (9, 5 et 7 pour les modalités Collective, Intégral, Voix off respectivement). Par contre, lors du post-test, les comparaisons indiquent que les modalités Collective (22 surnombres) et Voix off (33 surnombres) permettent d’augmenter les occasions de surnombres latéraux, comparativement à la modalité Intégral (5 surnombres). Les données sont illustrées à la figure 1.
Nombre de surnombres latéraux (SNL) provoqués lors du pré-test et du post-test pour chacune des modalités de FBV
Nombre de surnombres latéraux (SNL) provoqués lors du pré-test et du post-test pour chacune des modalités de FBV
38Par conséquent, les résultats plaident en faveur de notre hypothèse principale puisque, dans les groupes qui bénéficiaient des modalités Voix off et Collective, le nombre de SNL a significativement augmenté entre la séance pré-test et la séance post-test, par rapport au groupe qui bénéficiait de la modalité Intégral. Toutefois, ce résultat ne relève que de la production de l’équipe. En effet, c’est la combinaison des choix de placement et de replacement des joueurs de cette équipe qui provoque ces surnombres latéraux. La responsabilité est donc collective. Dans le critère suivant, la responsabilité est individuelle.
39Pour pouvoir juger de l’efficacité des différentes modalités de feed-back sur la capacité du porteur de balle à négocier une SNL, deux types d’analyse ont été réalisés. La première analyse porte sur les scores moyens obtenus par groupes pour chaque test ; une Anova Modalité de restitution (Collective, Intégral, Voix off) x Test (pré-post-test) a été réalisée. La seconde analyse rapporte le nombre de participants, dans chaque modalité, dont le score augmente du pré- au post-test.
40L’Anova Modalité (Collective, Intégral, Voix off) x Test (pré-post-test) sur le score obtenu révèle une interaction entre ces deux facteurs, F(2, 97) = 4.58, p < 0.05. Les comparaisons post hoc de Scheffé n’indiquent pas de différence de notation entre les trois modalités lors du pré-test (0.64, 0.56 et 0.43 pour les modalités Collective, Intégral, Voix off, respectivement). Par contre, lors du post-test, les comparaisons indiquent que les modalités Collective (1.58) et Voix off (1.84) permettent d’augmenter la capacité du porteur de balle à négocier les occasions de SNL comparativement à la modalité Intégral (0.45). Les données sont illustrées à la figure 2.
Score obtenu par le porteur de balle lors du pré-test et du post-test pour chacune des modalités de FBV
Score obtenu par le porteur de balle lors du pré-test et du post-test pour chacune des modalités de FBV
41Le tableau 4 présente, pour chaque modalité de FBV, le nombre de participants dont le score a augmenté entre le pré-test et le post-test. Dans l’ensemble, les résultats indiquent que non seulement le score moyen des participants des modalités Collective et Voix off augmente du pré-test au post-test, mais également que le nombre de joueurs impliqués dans cette augmentation est plus important pour ces deux modalités que pour la modalité Intégral.
Nombre de participants dont le score augmente entre le pré- et le post-test par rapport à l’effectif de chaque groupe
Nombre de participants dont le score augmente entre le pré- et le post-test par rapport à l’effectif de chaque groupe
5 – Discussion
42Soucieux de ne pas empiéter sur le temps de pratique de leurs joueurs, des entraîneurs peuvent être tentés de gagner du temps en leur donnant un FBV par internet. Cette étude avait pour objectif de démontrer que la simple restitution vidéo (modalité Intégral dans notre étude) ne permet pas l’amélioration de la prise de décision de façon significative puisque le résultat de l’action, mais surtout l’identification des indices pertinents à la prise de décision, ne sont pas mis en valeur lors de cette modalité de restitution. À l’opposé, des méthodes de guidage de l’activité de lecture du joueur de rugby sont indispensables pour créer le lien entre les indices prélevés de la situation et la prise de décision. Les résultats que nous avons obtenus vont dans ce sens puisque la capacité à créer des situations de surnombre latéral ainsi que la capacité du porteur de balle à négocier ces situations s’améliorent pour les modalités Voix off et Autoscopie collective comparativement à la modalité Intégrale.
43Pourquoi la modalité Autoscopie collective s’est-elle avérée plus efficace que la modalité Intégral ?
44En regroupant les participants par trois autour d’un même ordinateur et en enregistrant leur jeu de question/réponse, à propos des situations de SNL qu’ils découvraient à l’écran, nous avons provoqué des interactions sociales qui peuvent être à l’origine des progrès observés en matière de prise de décision en situation de jeu. Lorsque le protocole de questions les amenait, par exemple, à se prononcer sur la pertinence du choix qu’ils se voyaient réaliser à l’image, nul doute que ces étudiants de L2 STAPS aient confronté leur point de vue avant d’enregistrer leur réponse. Avons-nous provoqué des conflits sociocognitifs (Doise & Mugny, 1981) entre les participants ? N’ayant pas pu contrôler suffisamment les conditions dans lesquelles les étudiants ont procédé à cette autoscopie collective, nous n’avons pas connaissance du contenu des discussions qui ont précédé l’enregistrement du fichier vocal, et nous ne sommes donc pas en mesure de le prouver. Seule une analyse interlocutoire minutieuse (Darnis & Laffont, 2008) pourrait éventuellement en attester. En définitive, si les réponses des participants ne paraissent pas très spontanées sur les fichiers audio enregistrés, c’est vraisemblablement par respect pour le protocole de questions que nous leur avions imposé. Cependant, il est possible de supposer un moment plus ou moins long de discussions informelles entre les trois participants avant qu’ils aient enregistré leur réponse. C’est probablement au cours de ces échanges informels que pourraient s’être déclenché un processus de conflit sociocognitif qui aurait modifié leurs représentations individuelles et favorisé les apprentissages. Dans une prochaine étude, il serait intéressant d’enregistrer l’intégralité des échanges, afin de les analyser et de vérifier l’influence qu’ils exercent effectivement sur la prise des décisions des joueurs.
45Les résultats de l’analyse statistique indiquent que la modalité de FBV Voix off est également une modalité particulièrement propice à l’apprentissage de la prise de décision. Une des caractéristiques importantes de la modalité Voix off est qu’elle présente des images sélectionnées, commentées par l’enseignant ou le coach, alors que les images de la modalité Autoscopie collective ne font l’objet que des interactions entre participants. Autrement dit, il s’agit d’une sélection des actions les plus typiques, que le groupe a produites au cours de la dernière séquence de jeu. Sur ce point, de nombreuses études convergent pour reconnaître la nécessité de recourir à un guidage du sujet dans son activité de lecteur d’images (Ljubojevic, Vaskovic, Stankovic, & Vaskovic, 2014). Ainsi, Bouthier (2014) suggère d’« armer » le regard de l’observateur afin qu’il reste concentré sur ce qu’il y a à observer. La richesse du contenu informatif de l’image est paradoxalement un obstacle à l’acquisition d’informations pertinentes (Mottet, 1997). Aussi pouvons-nous avancer qu’en proposant un montage de trois minutes d’images triées et sélectionnées, l’attention des étudiants était plus concentrée sur les points importants qu’en diffusant l’intégralité des dix minutes d’images. Cela va dans le sens développé par Schneuwly (2000) qui avance qu’un tel dispositif met à l’œuvre une double sémiotisation : d’une part, parce que l’image sélectionnée rend présent l’objet de savoir pour le faire rencontrer et travailler par les joueurs ; et d’autre part, que le commentaire associé permet de focaliser l’attention sur les dimensions pertinentes de l’objet de savoir.
46Nous relèverons ensuite que, dans la modalité Voix off, les images sont commentées, alors que dans les deux autres elles ne le sont pas. Ces commentaires provoquent deux effets : d’une part, ils permettent de focaliser l’attention des étudiants sur les indices pertinents à percevoir et, d’autre part, ils permettent de répartir le traitement cognitif sur deux canaux sensoriels différents que sont l’ouïe et la vue (Mayer & Moreno, 2003). En outre, au-delà d’un certain seuil d’apprentissage, les conseils d’un expert sont indispensables pour aider le joueur à progresser. En effet, Geary (2008) oppose les connaissances primaires aux connaissances secondaires. Les premières peuvent s’apprendre par le biais d’apprentissages implicites, tandis que les secondes nécessitent un apprentissage par instruction. Dans la modalité Voix off, les commentaires de l’expert sont irremplaçables pour permettre au participant d’identifier sa part de responsabilité dans le résultat de l’action collective de jeu. Les commentaires l’aident également à distinguer, parmi les indices comportementaux de ses partenaires ou de ses adversaires, ceux qui annoncent le prolongement de l’action et auxquels il convient d’être attentif de ceux qui ont pour objectif de leurrer les adversaires et qu’il faut négliger. Cette expertise sémiotique appartient au registre technique de l’activité et les apprentissages par découverte sont insuffisants pour en permettre l’acquisition (Geary, 2008).
47Enfin, le commentaire oral enrichit le sens que les étudiants peuvent trouver dans ces images. Des études sur la sémiologie de l’image (Jacquinot, 1977) démontrent que, contrairement à une idée très répandue, une image ne vaut pas mieux qu’un discours. Dans la modalité Voix off de notre expérimentation, le fait que nous ayons enregistré un commentaire par-dessus les images a vraisemblablement enrichi et homogénéisé la signification du message filmique.
6 – Conclusion
48Dans cette étude, nous sommes partis d’un constat : toutes les équipes de sport collectif de haut niveau utilisent la rétroprojection vidéo collective en présentiel pour donner des feed-back à leurs joueurs. La systématisation de ce procédé didactique nous laisse penser qu’il s’accompagne d’effets majorants. Plus récemment, des entraîneurs, soucieux d’optimiser leur intervention, diffusent ces images par le biais d’internet. Cette étude avait pour objectif d’étudier l’efficacité de tels procédés sur les progrès de l’activité décisionnelle du joueur. Les résultats démontrent qu’il ne faut pas sous-estimer le discours et les échanges verbaux qui accompagnent la diffusion des images. Un FBV à distance peut provoquer des progrès dans le domaine de la prise de décision, à condition que ces images soient sélectionnées et commentées par un expert. L’étude suggère également qu’une discussion plus ou moins formalisée entre pairs à propos des images vidéo du match provoque des effets bénéfiques sur l’apprentissage de la prise de décision. Néanmoins, l’étude n’ayant pas pris en compte rigoureusement ces échanges entre joueurs, elle ne peut avancer de résultats suffisamment fiables sur ce point. Il appartiendra à de prochaines investigations d’intégrer cette question dans leur protocole.
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Mots-clés éditeurs : apprentissage, prise de décision, rugby, feed-back, vidéo
Mise en ligne 11/07/2016
https://doi.org/10.3917/sta.111.0081