Introduction
1 Alors que le football (dit football-association pour le distinguer du football-rugby) s’étend sur l’Europe à partir des années 1880, la France reçoit cet élan avec plus de modération : alors que la région parisienne et notamment ses écoles prestigieuses toutes inspirées de culture anglaise accueillent plutôt favorablement cette pratique tout comme le Nord et la Normandie ou encore le Sud avec ses ports grands ouverts aux pratiques nouvelles, le pays en général reste assez méprisant à l’égard du ballon rond qui entre en concurrence directe avec le ballon ovale par ailleurs mieux installé. À Lyon, il fait l’objet d’une introduction non seulement tardive mais surtout confidentielle liée à la présence d’une colonie suisse et de quelques Anglais et Allemands dans la ville.
2 Ainsi, jusqu’à la Première Guerre mondiale, le football lyonnais s’installe timidement. Trop ? Selon certains, l’association n’est pas encore le sport qui attire en masse les sportifs et le public lyonnais (Robelin, 1991, 47) et, globalement, la situation lyonnaise ressemble à celle d’autres villes de France (Dubois, 1992 ; Wahl, 1989). Cependant, l’épisode de la Coupe Charles Simon, pendant la Grande Guerre, laisse croire, un temps, que le football lyonnais s’installera durablement ; mais force est de constater qu’il reste extrêmement fragile. Entre les deux guerres, il se heurte à la politique municipale du maire Édouard Herriot. Cette politique, étudiée par Élisabeth Lê-Germain (2001), peut être caractérisée par des positions très vigoureuses contre le sport de compétition. Le football lyonnais en ferait-il les frais ?
3 Lorsque le championnat professionnel se met en place, Lyon n’est pas au rendez-vous ! Jean Mazier, entrepreneur en travaux publics, tente néanmoins sa chance, mais la ville, le maire et les Lyonnais ne semblent pas (encore) prêts à soutenir une telle initiative.
4 Pourtant, Pierre Lanfranchi (1986) note que le sentiment d’appartenance à une communauté dont l’équipe de football devient le centre facilite l’insertion sociale des membres de cette communauté. Les ouvriers lyonnais, d’origine souvent étrangère, ne semblent cependant pas réceptifs… À Lyon, tout cela reste très superficiel. À titre d’exemple, le groupement des supporters lyonnais « Allez-Lyon » ne sera créé qu’en 1949, en même temps que l’autre grande équipe professionnelle de l’agglomération, celle de l’ASVEL, l’équipe villeurbannaise de basket-ball, alors que la Fédération Nationale des Associations de Supporters de clubs, dont le but est « d’intéresser par tous les moyens le public à toutes les manifestations sportives sans aucune restriction, [et de] combattre le chauvinisme sportif au bénéfice de la bonne courtoisie » (Dubois, 1992), existe depuis 1929 ! Ainsi, le sentiment d’appartenance à une communauté sportive en général et footballistique en particulier est longtemps étranger au public lyonnais. Le processus individuel qui pourrait se déplacer vers un processus collectif grâce au sport et notamment au football (Bromberger, 1998) se reporte, probablement, sur d’autres supports culturels. Pierre Arnaud (1985) note, en effet, qu’il existe, à Lyon, une tradition gymnique solide. On peut alors supposer que l’enthousiasme des Lyonnais se porte en priorité sur ces grands rassemblements populaires, organisés au cœur de la ville, sur les places publiques. Le football n’est décidément pas un support identitaire. Pis, les Lyonnais boudent le ballon rond !
5 Les raisons de cette indifférence pour le football ne sont-elles pas plus profondes ? Comment est organisé le football à Lyon ? Aides municipales ? Mécénat ? Quel rapport le football entretient-il avec les fédérations, la presse, la municipalité ? Étudier l’ensemble de ces relations et montrer pourquoi l’équipe professionnelle de la ville tarde à s’installer constituent l’ambition de notre recherche. Nous chercherons à montrer que des facteurs intrinsèques (constitution des équipes, organisation du football local, rivalités avec le rugby, étude du mécénat) conjugués à des facteurs extrinsèques (infrastructures, rapport avec la municipalité, la presse, les fédérations et les autres sociétés locales) entravent le développement du football à Lyon.
6 La méthodologie de la recherche s’appuie précisément sur la démarche historique : les informations collectées proviennent essentiellement de sources d’archives, notamment des Archives Municipales de Lyon et des Archives Départementales du Rhône. Mais, alors que les données concernant les sociétés sportives se trouvent ainsi enrichies, ces informations ne sont d’aucun secours pour valider notre hypothèse. Nous avons alors choisi de nous orienter vers la presse locale et avons dépouillé systématiquement les quotidiens sportifs. Pour confirmer l’idée que le football reste à Lyon un sport relativement confidentiel, nous avons choisi d’observer la part accordée à ce sport à la une des journaux. Nous avons systématiquement recueilli la nature de cette une (article, photo). Par ailleurs, l’étude du Bulletin Municipal Officiel a permis de valider certaines de nos interrogations, notamment celles relatives aux prises de position du Conseil municipal vis-à-vis du sport professionnel.
7 L’étude des documents d’archives et de la presse locale permet de mettre en évidence une résistance persistante et profonde à l’implantation du football professionnel à Lyon. Ces facteurs de résistance s’organisent autour de trois périodes.
8 Dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, malgré un contexte plutôt favorable susceptible d’induire des changements dans le paysage footballistique lyonnais, notamment grâce à l’institutionnalisation progressive de ce sport, le football est atteint par une crise sévère : contre-performances, amateurisme marron, dédain de la presse locale qui n’hésite pas à titrer « pauvre football » (Lyon-Sport, 23 mars 1930), surreprésentation des joueurs étrangers dans les équipes locales sont autant de facteurs qui ont pour conséquences le désintérêt du public et le déclin du poids du football dans le paysage sportif local.
9 À partir de la saison 1931-1932, le football professionnel est lancé en France. Mais à Lyon, les défenseurs de l’amateurisme, largement relayés par la municipalité, résistent à la vague professionnelle à tel point que les expériences conduites par Jean Mazier avec le FCL, puis l’Association Sportive Villeurbanne, et enfin le Lyon Olympique Villeurbanne sont toutes vouées à l’échec. Faute de mécénat, faute d’organisation solide, faute de volonté politique et d’élan populaire, le football lyonnais est condamné à sommeiller jusqu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
10 En 1945, Félix Louot reprend l’initiative et soutient une équipe professionnelle qu’il parvient à hisser à un niveau et à des résultats honorables. Dans le même temps, l’exercice du pouvoir municipal d’Édouard Herriot s’essouffle. Nous montrerons que ces deux facteurs se combinent : la poussée du football professionnel devient telle qu’en 1951, nul ne peut s’opposer à l’installation du club lyonnais, « l’Olympique Lyonnais » (OL). Dès cette rupture, le football s’établit à Lyon et l’OL devient même une grande équipe de football dont l’histoire est ponctuée de résultats brillants et d’un soutien inconditionnel du public local.
1 – Les difficultés du football lyonnais : 1918-1932
1.1 – Un contexte plutôt favorable : 1918-1925
11 Au lendemain de la Grande Guerre, le football tend à s’imposer en France comme un véritable phénomène de société. En effet, le nombre d’associations de football et corrélativement de pratiquants ne cesse de croître. En 1920, la Fédération Française de Football-Association répertorie un millier de clubs pour 30 000 licenciés ; dix ans plus tard, la proportion est de 3 500 pour près de 130 000 joueurs (Augustin, 1995). Parallèlement à cet accroissement, le football-association s’impose rapidement comme un véritable sport « populaire ». Sa diffusion s’est amorcée lors de la Guerre de 1914-1918. Durant le conflit, les officiers ont encouragé la pratique de ce sport parmi les soldats en organisant des rencontres sportives amicales avec les « tommies » anglais. Ces matches inter-armées ont rencontré un tel succès qu’« un grand désir de pratiquer le football s’empare de la jeunesse […] Tout au long du front, quelques fois à quelques mètres des tranchées, les soldats alliés et français se mettent à jouer et pour beaucoup à apprendre à jouer au football » (Delaunay, de Ryswick & Cornu, 1982, 118). Ainsi, la guerre a favorisé indirectement la diffusion du football parmi les ouvriers et les paysans combattant sur le front (Wahl, 1989). Dans les lieux de garnisons, les équipes se multiplient et les spectateurs commencent à se déplacer pour assister à ces matches. Au lendemain de la guerre, le succès du football est tel dans l’Armée et en dehors, qu’Henri Delaunay affirme, dans l’éditorial du premier numéro de Football Association, que « ce n’est pas trop dire que la guerre a magnifié [les sports] et que notre football marche en avant-garde » (4 octobre 1920). La ville de Lyon n’échappe pas à cet engouement pour le ballon rond.
12 Les clubs lyonnais accèdent par trois fois à la finale de la Coupe des Alliés et, le 3 mars 1918, 2 à 3 000 personnes assistent à la demi-finale de la Coupe Charles Simon au Parc de la Tête d’Or (Robelin, 1991). En finale, le Football Club de Lyon s’incline devant l’équipe de Pantin, mais la popularité du ballon rond s’accroît : le football local se forge une réputation dépassant le cadre régional. Les retombées sont alors multiples : début de fidélisation du public, reconnaissance de l’esthétisme du jeu, amélioration du niveau de jeu et initiation des jeunes (Robelin, 1991).
13 Ces succès sportifs provoquent aussi une émulation qui se traduit par la création de nombreuses sections de football au sein des clubs omnisports, mais aussi par la fondation d’associations unisports. Entre 1918 et 1925, la Ligue du Lyonnais de Football enregistre une forte hausse du nombre de ses sociétés, passant de 26 clubs en 1919 à plus de 85 en 1923 (Malservisi, 1998). Parmi les créations d’associations nouvelles à Lyon, on observe une répartition de près de 20 % en faveur du football, que ce soit pour des créations de sociétés de football (unisport) ou de section de football dans des sociétés omnisports (Lê-Germain, 2001). En d’autres termes, une société nouvelle sur cinq est appelée à proposer la pratique du football. Dans les années 1920, la vague footballistique gagne progressivement le sport corporatif ; l’Union Sportive Berliet (1918) et le Club Athlétique de la Société Générale ouvrent une section football en 1921, mais leur nombre est trop faible pour organiser un véritable championnat corporatif. La population immigrée prend également une part active dans le développement du football sur l’agglomération lyonnaise, par la création de plusieurs associations sportives (le club des Italiens, des Espagnols, des Arméniens à Villeurbanne), dont la plus connue est l’Atletico Club Español, qui organise un tournoi de football annuel très populaire à Pâques (Brouilloux, 2002). Les patronages catholiques encouragent eux aussi, de leur côté, la pratique du football, jugé moins violent et brutal que le football-rugby, et assurent ainsi sa propagation dans les classes populaires. Le plus important d’entre eux, le Rhône Sportif Terreaux (1919), dirigé par l’emblématique abbé Firmin, se distinguera notamment par son opposition farouche au professionnalisme.
14 Avec un réseau et une trame de clubs aussi serrés, le football paraît être armé pour s’enraciner durablement au cœur de la société lyonnaise. Pourtant, dès les années 1925, un certain nombre de faiblesses apparaissent au sein du système footballistique local, empêchant ce sport de s’imposer à terme comme un véritable support identitaire.
1.2 – La crise des années 1925-1932
15 En 1925, le football lyonnais entre dans une période de crise déclenchée par les contre-performances enregistrées par les équipes lyonnaises dans les différents championnats régionaux et nationaux. En effet, alors que, durant la guerre, le Football Club de Lyon ou le Club Sportif de Lyon se sont brillamment illustrés dans les grandes compétitions nationales, il en est tout autrement les saisons suivantes. Durant les années 1925-1930, les clubs lyonnais cumulent les défaites, comme en atteste l’incapacité des équipes lyonnaises à franchir les tours éliminatoires de la Coupe de France. Seul le Football Club de Lyon parvient à se qualifier pour les quarts de finale en 1926 ! La presse fait état de ces échecs en ces termes : « Après les dernières rencontres de Coupe auxquelles nous avons eu l’occasion d’assister […], plus d’un Lyonnais se demande si la place du football régional est bien celle qui correspond à sa valeur. Se basant sur le fait que, dès les éliminatoires, la plupart de nos équipes disparaissent de la compétition nationale, on en a conclu, une fois pour toutes, à la nullité de nos teams régionaux » (Lyon-Sport, 29 mars 1929). Selon elle, ces contre-performances sont imputables principalement aux carences techniques dont souffrent les footballeurs lyonnais. Durant cette période, les dirigeants sportifs lyonnais mènent une politique de racolage dans les clubs des régions voisines et recrutent bon nombre de joueurs étrangers. La presse critique principalement les équipes lyonnaises qui possèdent, selon elle, un trop grand nombre de joueurs « étrangers » au détriment du vivier local. « Il est temps de réagir et […] de former des jeunes […] il conviendra d’étudier la question des entraîneurs et d’examiner la possibilité de réduire le nombre de joueurs étrangers participant aux épreuves de championnat, ce qui est admis dans le règlement de la Coupe de France » (Lyon-Sport, 1er février 1929). Ces critiques paraissent fondées puisque les principaux « teams » lyonnais sont composés à 41 % d’étrangers (tableau 1) contre 30 % au niveau national (Barreaud, 1998). Cette surreprésentation des joueurs étrangers à Lyon n’incite probablement pas le public à s’enflammer ! Les Lyonnais, qualifiés d’austères et de conservateurs, ne se retrouvent pas dans ces équipes de « mercenaires du ballon rond ». D’autant que, comme le souligne Alfred Wahl (1990), les grands noms des années 1920 viennent des couches populaires. Les Lyonnais revendiquent une identité locale : elle repose, selon Pierre-Yves Saunier, sur des faits et des événements particuliers qui ont jalonné son histoire et rassemblé les personnes derrière une cause commune. Par ailleurs, la ville de Lyon a toujours revendiqué un statut de capitale, statut qui n’a cessé de lui échapper. La capitale des Gaules est aussi la porte d’entrée du christianisme. Cette tradition chrétienne, très étendue dans la ville, explique aussi le poids des associations paroissiales. Mais Lyon défend surtout son rôle de capitale régionale face à ses deux « satellites », Grenoble et Saint-Étienne. Ainsi, lorsque Lyon rencontrera Saint-Étienne, la couleur des matches sera particulière (Saunier, 1995 ; Lê-Germain, 2001) !
Les étrangers dans les équipes lyonnaises amateurs et professionnels (FC Lyon - Lyon Olympique Universitaire) 1920-1940
Les étrangers dans les équipes lyonnaises amateurs et professionnels (FC Lyon - Lyon Olympique Universitaire) 1920-1940
16 Bien que l’amateurisme soit un leurre (Grün, 2003), le débat amateurisme/professionnalisme n’est pas encore lancé à Lyon dans les années 1920 et, pour l’heure, la presse est convaincue que la popularité du football sera acquise dès lors qu’il présentera un intérêt intrinsèque, c'est-à-dire technique et esthétique. D’ailleurs, elle remet très largement en cause les compétences des entraîneurs. Selon elle, la formation technique individuelle et collective des joueurs est dédaignée au profit d’un apprentissage sur le tas, néfaste à la qualité du jeu. Alors que l’évolution du football se fait dans le sens du « dribbling game » au « passing game » (Wahl, 1990, 26), à Lyon, on voudrait atteindre le second sans même se donner la peine d’inculquer un peu du premier ! Or cette infériorité technique des équipes lyonnaises est manifeste lors des rencontres de championnat ou à l’occasion des matches de sélection : « Les deux matches auxquels il nous fut donné d’assister nous laissèrent cette impression : lenteur désabusée, manque d’assurance dans les passes, technique pauvre, bref, un manque évident de préparation, ce qui engendre un grand scepticisme sur les progrès réalisés dans le Lyonnais cette saison » (Lyon-Sport, 1er février 1929).
17 Les journalistes de Lyon-Sport, en particulier Jean Thurilleux et Maxime Le Goff dans une rubrique spécialisée intitulée « Le journal du soccer », critiquent par ailleurs ouvertement la formule du Championnat d’Excellence. Ils la jugent trop longue, ennuyeuse et n’incitant guère les clubs à produire un jeu de qualité. « On s’achemine peu à peu vers la conclusion du championnat. […] On sent du reste une lassitude excessive. L’énervement naît de cet état d’esprit et le football réalisé est des plus pauvres » (Lyon-Sport, 24 avril 1926). Trop long malgré la création des districts, ce championnat empêche les clubs d’organiser des rencontres amicales avec les meilleures formations françaises, des rencontres qui seraient bénéfiques sur le plan de l’apprentissage technique et collectif : « Car on ne doit pas limiter le nombre de rencontres amicales. Il est nécessaire aux clubs, pour leurs finances d’abord, pour leur éducation ensuite, de se confronter avec des clubs étrangers à notre Ligue » (Lyon-Sport, 23 janvier 1926).
18 Ainsi, l’image du football lyonnais se dégrade-t-elle durant toute la période, provoquant un désintérêt progressif du public pour ce sport qui revêt, ailleurs, un intérêt croissant. Au contraire du rugby qui attire les foules (Gros, 2002), le nombre de spectateurs passe en moyenne pour les grandes rencontres sportives de 3 000 en 1925 à 1 500 cinq ans plus tard. « Le public se désintéresse du reste de ces rencontres à répétition dont l’intérêt s’effrite après chaque résultat » (Lyon-Sport, 24 avril 1926). Les contre-performances sportives ne sont pas les seules en cause. En effet, de leur côté, les dirigeants lyonnais n’effectuent pas les démarches promotionnelles suffisantes pour mobiliser les spectateurs et les médias efficacement et durablement (affiches, annonces et publicités dans les journaux). « Le championnat […] n’attire pas la foule, il faut avouer que les clubs ne font rien pour cela ! Aucune publicité n’est faite autour des rencontres. On s’en désintéresse tout à fait, la caisse du club n’ayant pas à souffrir en cas d’insuccès […] Nous ne le répéterons jamais assez. Le public viendra à tous les matches quand il y sera convié par une réclame intensive » (Lyon-Sport, 23 janvier 1926). Pourtant, P. Robelin (1991) souligne quelques initiatives pour attirer les spectateurs et notamment l’organisation de matches prestigieux tout au long de la saison car l’augmentation de la fréquentation, en permettant d’accroître les ressources, se traduirait par un investissement plus conséquent au niveau des clubs et des infrastructures.
19 À l’indifférence du public se joint celle de la presse locale qui consacre peu de premières pages au football : 6 % des unes (articles et photos réunis) des principaux journaux lyonnais sont dévolues au football contre 26 % pour son homologue du ballon ovale (tableau 2a).
Nombre d'articles et de photos publiés en première page de Lyon-Sport, Le Progrès, Lyon Républicain, Le Nouvelliste entre 1920 et 1930
Nombre d'articles et de photos publiés en première page de Lyon-Sport, Le Progrès, Lyon Républicain, Le Nouvelliste entre 1920 et 1930
20 L’absence de représentativité locale dans les clubs lyonnais, le manque de performance technique et de « suspens » apte à susciter l’enthousiasme, le défaut d’une organisation ambitieuse des clubs sont autant de facteurs qui entravent la diffusion du football dans la ville. On peut ainsi considérer qu’entre 1918 et 1932, Lyon a manqué son rendez-vous avec le football, notamment parce qu’il a été incapable de conquérir un public fidèle. Et, lorsque le championnat professionnel se structure lentement, les facteurs de résistance en présence se cristallisent autour d’un thème clé, celui de la défense de l’amateurisme.
2 – Espoirs déçus et échec du professionnalisme : 1932-1945
2.1 – Les premières tentatives au cœur du débat entre amateurs et professionnels
21 La constitution d’une équipe de football professionnelle à Lyon peut paraître vouée à l’échec, avant même sa mise en œuvre : selon M. Malservisi (1998), le niveau du football lyonnais est trop faible pour espérer rivaliser avec les meilleures équipes françaises. Pour d’autres, il semble même « en régression d’années en années » (Le Progrès, 21 mai 1931). Aussi la presse se demande-t-elle si « ce sont les mauvaises performances de nos équipes qui ont éloigné le public des terrains d’association ? Ou plutôt, [si c’est] le manque de public qui a empêché nos équipes régionales d’atteindre le niveau supérieur ? » (Lyon-Sport, 29 janvier 1929). Si l’une des conditions de fréquentation des stades repose sur les aspects spectaculaires du jeu, le football lyonnais n’est alors pas près de rassembler les foules ! Et ce n’est pas là son moindre défaut. Guère apprécié, le ballon rond est « méprisé » par la presse sportive régionale (cf. résultats de l’étude, tableaux 2a et 2b). Si on peut évaluer la représentativité d’une pratique aux échos que lui réserve la presse, alors le football apparaît encore bien isolé : entre 1930 et 1940, les premières pages des grands hebdomadaires consacrés aux sports dans la région accordent un peu plus de 7 % de leur espace au football. La part réservée aux articles est d’ailleurs légèrement supérieure. Dans les journaux locaux, on trouve à peu près autant de photos de football que de tennis, tandis que le rugby et le cyclisme s’accaparent à eux deux près de la moitié des photos publiées. Incontestablement, ces deux activités sont populaires entre les deux guerres à Lyon comme partout en France, comme le montrent B. Dumons, G. Pollet et M. Berjat (1987). Sur le plan des articles, le football apparaît encore plus misérable : le rugby et le cyclisme le supplantent très largement mais, plus inattendu, l’athlétisme et la boxe étalent aussi une notoriété supérieure. Pourtant, au niveau national, le football, qui a déjà supplanté toutes les autres pratiques (Wahl, 1990) met en œuvre, à partir de 1932, un championnat professionnel destiné à clore le débat entre partisans de l’amateurisme et partisans du professionnalisme. Car on ne peut ignorer ce débat qui secoue le monde des sportifs et notamment les milieux du football depuis quelques décennies déjà.
Nombre d'articles et de photos publiés en première page de Lyon-Sport, Le Progrès, Lyon-Républicain, Le Nouvelliste entre 1930 et 1940
Nombre d'articles et de photos publiés en première page de Lyon-Sport, Le Progrès, Lyon-Républicain, Le Nouvelliste entre 1930 et 1940
22 Avec l’arrivée du football spectacle et de l’argent (les entrées sont payantes à Lyon depuis 1910), le mercantilisme s’est généralisé selon des formes relativement différentes (emplois, licences gratuites, remboursements, etc.) si bien que le statut « amateur » de la plupart des joueurs s’est avéré caduc. Laurent Grün (2003) constate qu’en 1927 la Fédération Française de Football Association, en créant deux statuts différents de joueurs (joueur olympique et joueur amateur), tente de résoudre le problème mais, dans le fond, contribue à renforcer la position des partisans du professionnalisme en officialisant implicitement l’amateurisme marron. Ce débat national partage aussi la région lyonnaise : les uns prêchent un retour à l’amateurisme intégral affirmant que « le public lyonnais n’aime pas les pros » et qu’il faut « lutter contre le professionnalisme qui tend à faire des adeptes et qui, nous en sommes sûrs, ne réserve que des déboires à ses partisans » (Lyon-Sport, 15 janvier 1932). L’un des défenseurs les plus virulents du football amateur est incontestablement l’abbé Firmin, directeur du Rhône Sportif Terreaux. Dépassant le cadre strictement paroissial, ce club a développé une politique de multiplication des activités au point de regrouper 3 à 400 sociétaires en 1934 et d’adhérer à quasiment toutes les fédérations sportives. Dans une interview accordée à G. Saraillon pour le journal Lyon-Sport en décembre 1934, Firmin dénonce le professionnalisme car, dit-il, « le sport doit rester une distraction et non un métier ». D’ailleurs, il défend la « propreté morale » et remarque qu’au point de vue social, le sportif est une « nullité » (Lyon-Sport, 27 décembre 1934) car, encourager le professionnalisme revient à se poser une double question : le football est-il une activité susceptible de « nourrir son homme » ?
23 À l’opposé, les partisans du football d’élite estiment que le meilleur moyen de moraliser les pratiques consisterait justement à instaurer le professionnalisme. Ces derniers l’emportent rapidement et les règles du professionnalisme vont se préciser entre 1931 et 1932 : les équipes professionnelles doivent disposer d’au moins huit joueurs professionnels, tandis que les sociétés restent sous le coup de la loi de 1901. Ces équipes se rencontrent par ailleurs au sein d’un championnat régional spécifique (Dubois, 1992). À Lyon, nostalgique des résultats de 1918, Jean Mazier tente l’expérience avec le FCL pour la saison 1933-1934. Malgré sa détermination, il est finalement peu encouragé et les résultats sont éloquents : dernière place en deuxième division, zone sud. Mais Mazier n’abandonne pas. L’année suivante, grâce à de nouveaux appuis, il engage l’Association Sportive Villeurbannaise dans le championnat professionnel mais, là encore, le verdict sportif est fatal. En 1935-1936, il regroupe au sein d’une nouvelle structure ceux qui veulent le suivre. Mais le Lyon Olympique de Villeurbanne, malgré quelques joueurs d’envergure, ne termine même pas la saison 1935-1936. Usé physiquement et moralement, Mazier abandonne faisant dire à Olivier Blanc qu’« on retourne au football des patronages des années vingt et trente » (1989, 25). Dès lors, il n’y aura pas de football professionnel à Lyon avant 1945.
2.2 – Analyse de ces premières tentatives
24 Malgré l’échec apparent, cette première expérience enthousiasme la presse lyonnaise : « Le football régional est en voie de net progrès […]. Le football construit par des joueurs rémunérés […] est capable de créer dans le public une atmosphère » (Lyon-Sport, 12 janvier 1934). « Sous la baguette invisible d’un chef d’orchestre sont groupés tous les musiciens nécessaires pour constituer l’ensemble rêvé » (Lyon-Sport, 5 janvier 1934).
25 Pour les uns, le niveau monte : « Nos footballeurs affichent une amélioration certaine » (Lyon-Sport, 24 novembre 1934). Cette euphorie laisserait espérer qu’il existe un public pour le football. Mais ce public est connaisseur : mis à part une poignée d’irréductibles, le public ne se déplace que pour les matches de haut niveau et boude le championnat. Selon Gambardella, le célèbre journaliste sportif, pour que le football soit prospère à Lyon, « il faut un public disposé à l’accueillir et donc, une presse capable de le soutenir et de le défendre. Il faut des dirigeants capables de cristalliser autour d’eux les efforts et les dévouements, il faut encore et surtout, des équipes ou des pratiquants qui ne sont plus au balbutiement du début mais qui puissent donner à la population régionale les victoires qui flattent son amour-propre et l’attirent » (Lyon-Sport, 5 janvier 1934).
26 Pour d’autres, la question du niveau interroge : « Parce que notre sélection régionale fait match nul avec un club étranger, déjà fortement handicapé par un interminable voyage, on crie au miracle ! » (Lyon-Sport, 15 janvier 1932). L’intérêt est une fois de plus mis en cause. « À force de chocs entre équipes médiocres, la compétition régionale ne peut produire rien de bon » (Lyon-Sport, 15 janvier 1932). Les joueurs lyonnais, sûrs de leur pécule, seraient-ils pervertis par le dilettantisme qui semble toucher la majorité des joueurs professionnels ? La politique de Mazier est remise en cause. Faute de perspectives à long terme, elle ressemble à celle du « petit épicier qui vit au jour le jour » (Lyon-Sport, 15 janvier 1932) ! On regrette que les lois du marché ne soient pas appliquées, « un club professionnel, c’est une affaire commerciale. De sa direction, de sa conduite dépend sa prospérité » (Lyon-Sport, 25 janvier 1934).
27 Au milieu des années 1930, la ville de Lyon n’est donc pas encore prête : l’absence de dirigeants d’envergure nationale, le manque de soutien financier et le conservatisme de la société lyonnaise expliquent probablement en partie cet échec (Malservisi, 1998 ; Brouilloux, 2002), mais les divergences politiques entre les tenants du professionnalisme et la municipalité sont telles que les échecs des années 1930 ne peuvent que réjouir la municipalité qui s’oppose fermement au sport spectacle comme au sport professionnel et défend l’idée d’une culture sportive de masse (Lê-Germain, 2000).
28 Le maire de Lyon, Édouard Herriot développe en effet, depuis 1905, une politique sportive locale originale qui va progressivement le placer très clairement contre le sport professionnel. À Lyon, cela se traduit par une politique en faveur de l’éducation physique qui prive les associations les plus sportives de subventions nécessaires à leur développement (Lê-Germain, 1998). Par ailleurs, Lyon, pourtant dotée d’un stade municipal digne des grandes villes de football depuis 1919, reste fidèle au principe de participation des masses et s’oppose ainsi à soutenir une élite. Contrairement à d’autres grandes villes de France qui soutiennent, en fonction de leur importance démographique, une à plusieurs équipes d’élite et notamment une équipe de football (Ravenel, 1998), Lyon tarde à attacher son nom et sa puissance à une équipe d’élite. Le stade municipal de Gerland reste désespérément inaccessible et les clubs locaux déploient leurs talents sur des stades privés (La Plaine, Les Iris…), sauf lors de rencontres prestigieuses qui obtiennent les faveurs du stade, la recette étant assurée d’une part, et l’image et le prestige de la ville étant en jeu d’autre part.
29 Précurseur par certains aspects des idées de Léo Lagrange, Herriot n’encourage pas la formation du champion sportif (Lê-Germain, 2001), alignant ses convictions sur celles des détracteurs d’un sport purifié, amateur et sain : ce serait « une monstrueuse erreur que de favoriser le professionnalisme, qui reviendrait à faire de l’amateurisme, l’école du premier » (Football Association, 12 août 1922). Le stade est destiné à accueillir les enfants des écoles pour une pratique hygiénique basée essentiellement sur la gymnastique. Car le sport n’est pas un jeu d’enfant. Il peut éventuellement parachever la formation acquise, mais pour les jeunes gens et les adultes seulement. À Lyon, la défense des jeunes et la prudence dans la pratique précoce des sports restent un leitmotiv : « Ne fait-on pas [en effet] des pros avec des amateurs comme on fait des seniors avec des juniors ? » (Lyon-Sport, 25 janvier 1934).
30 Ces questions loin d’être tranchées à Lyon planeront sur l’organisation du football professionnel jusqu’au début des années 1950 et on peut observer que la résistance municipale s’estompera en même temps que la carrière du député-maire Herriot touche à sa fin.
31 Le sport est donc considéré comme dangereux et la compétition, loin de permettre une saine émulation, déclenche selon les édiles municipaux trop de passions malsaines. Le Comité Lyonnais des Sports, chargé de gérer les équipements sportifs de la ville depuis 1914 établit, de ce point de vue, un règlement très dissuasif. Les redevances sont telles que seules les grandes institutions sportives peuvent programmer des rencontres. Dans ces conditions, la Ligue du Lyonnais de Football organise, lorsqu’elle en est chargée par la fédération, des matches prestigieux… les clubs ne pouvant pas prendre ce risque financier.
32 Pourtant, la politique municipale peut être qualifiée de sociale : alors que la crise économique s’installe dans la capitale rhodanienne, en 1932, Herriot propose de prélever sur les recettes des manifestations sportives qui sont plus spectaculaires que sportives une part pour alimenter les caisses de chômage de la ville (Bulletin Municipal Officiel de Lyon, 29 février 1932). Certes les aspects sociaux sont louables, mais on peut observer que le bien intentionné maire de Lyon prive aussi les Lyonnais de grands matches qui auraient pu asseoir, dans la ville, la notoriété du football (Lê-Germain, 2001, 361) ! Dès les années 1930, le milieu footballistique tente de « faire pression » : « il est urgent et nécessaire de faire travailler l’arène municipale » (Lyon-Sport, 11 avril 1935). Faire de Lyon la cité du football où les grandes équipes viendraient donner un spectacle de choix et faire travailler le commerce lyonnais pourrait, selon la presse, être facilement mis en place, notamment « à la veille des élections municipales… » (Lyon-Sport, 11 avril 1935).
33 La mairie fait la sourde oreille, déchaînant en retour la colère des journalistes : « Dimanche dernier, alors qu’au stade des Iris, la foule [s’entassait], là-bas, à l’autre bout de Lyon, un pauvre géant, le Stade Municipal et ses 40 000 places présentait son aspect habituel de Sahara. Ainsi, l’effort financier d’une Cité, les millions engloutis sous une masse bétonnée restent improductifs […] Et puis, il y a une question de prestige. 3 000 Marseillais ont emporté une mauvaise impression […] 14 000 F [auraient été encaissés par la municipalité]. Inclinons-nous devant ce mépris de l’argent car il indique certainement des finances prospères » (Lyon-Sport, 7 mai 1935).
34 Entre 1932 et 1945, malgré la tentative isolée de Jean Mazier, le football professionnel ne peut s’installer dans la capitale rhodanienne. Les efforts répétés des défenseurs du ballon rond n’y font rien, les facteurs de résistance évoqués sur la période précédente se conjuguent à l’opposition municipale au sport d’élite pour entraver durablement la diffusion populaire du football jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
3 – La naissance de l’Olympique Lyonnais : 1945-1964
3.1 – Les tentatives d’après guerre : 1945-1950
35 Après la Seconde Guerre mondiale, alors que les priorités se portent sur le relèvement économique et social et qu’Herriot dispose d’un pouvoir municipal très relatif, la montée du football ne pourra plus être contrée par les pouvoirs locaux. À partir de 1945, le football professionnel s’organise grâce à Félix Louot.
36 Félix Louot est né en 1872. Il est négociant en chaussures et possède plusieurs magasins dans la ville. Entre 1944 et 1950, il va investir près de 13 millions de francs pour mettre en place le football professionnel à Lyon (Malservisi, 1998). Le Lyon Olympique Universitaire entre alors dans le monde des professionnels en véritable vainqueur. Le pari est un peu fou… mais l’idée est d’accéder au plus vite à la première Division. Malgré des moyens d’existence précaires, Louot parvient à imposer les fondations définitives et indispensables à l’éclosion du football professionnel (Blanc, 1989). Les bons résultats ne se font pas attendre : vainqueur du championnat Sud en 1944-1945, le club se hisse dans la cour des grands. Mais pour une année seulement ! Quinzième à l’issue de la saison, le club est relégué et s’installe, dans la deuxième division, durablement. Car les problèmes sont ailleurs. Les difficultés financières ne font que s’ajouter aux problèmes de cohabitation qui ne tardent pas à intervenir. À cette époque, « le football n’est qu’une section d’un club omnisport où le rugby est roi » (Mesplede & Naville, 1986). Les footballeurs professionnels sont très mal tolérés au sein d’une structure qui prône… l’amateurisme ! La section professionnelle sera transférée intégralement, entraîneur, joueurs et dettes ; l’Olympique Lyonnais est sur le point de naître.
37 Cette deuxième tentative professionnelle ne fait pas l’objet d’une opposition municipale. Les clubs sportifs sont en passe de devenir des acteurs politiques chargés d’enjeux sociaux, culturels et symboliques (Callède & Dané, 1991), au niveau local que la mairie ne peut désormais plus ignorer. Par ailleurs, Herriot ne dispose plus d’une marge très grande dans la cité : malgré ses convictions qui prônent la pratique et non le rôle de spectateur, il s’incline en prenant conscience que « le spectacle sportif est devenu un élément consensuel au niveau local qui efface les limites ou les luttes de classe » (Chateaureynaud, 1989). Le prestige dont la ville peut tirer parti grâce à une équipe de football n’échappe pas non plus aux élus : cet argument occupera très largement le cœur des débats lors de l’attribution de la première subvention municipale à l’Olympique Lyonnais, en 1951 (Bulletin Municipal Officiel, 15 octobre 1951).
3.2 – L’Olympique Lyonnais : 1951-1964
38 L’Olympique Lyonnais est fondé le 3 août 1950, quelques jours à peine avant son premier match de championnat. Armand Grosvelain, président du club, est entouré de diverses personnalités dont Trillat, chirurgien de renom, qui va proposer la dénomination du club. Décidés à consolider de bonnes et durables relations avec la municipalité, le club décide d’emblée de porter les couleurs de la ville. Ainsi les joueurs de l’Olympique Lyonnais sont-ils vêtus de rouge et de bleu.
39 La première subvention spéciale attribuée au club est votée lors de la séance du Conseil municipal du 15 octobre 1951. Le débat entre détracteurs du sport professionnel et défenseurs du sport amateur (notamment les élus communistes), qui s’insurgent face à la vente des joueurs telle une marchandise, est un peu rude d’autant que la destination de la subvention est très claire : « ce crédit sera destiné non pas à réaliser des aménagements sportifs ou à l’achat d’équipements sportifs. Il s’agit de l’achat de joueurs (…) » (Bulletin Municipal Officiel, 15 octobre 1951). Les réactions d’Hugonnier, par ailleurs président de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail, relancent le débat : « c’est le sport amateur qui devrait être subventionné », dit-il. « En subventionnant des clubs amateurs, on formera des joueurs de grande classe » (Bulletin Municipal Officiel, 15 octobre 1951). Mais tout cela est sans effet, l’attribution de la subvention est votée à l’unanimité : l’image de la cité et les intérêts économiques gagnent la municipalité. Les caisses de bienfaisance lyonnaises seront renflouées grâce aux bénéfices provenant des redevances d’utilisation du stade qui, par ailleurs, sont majorées par la même occasion (Lê-Germain, 2001).
40 Ainsi l’OL peut-il espérer un avenir radieux ! D’autant plus radieux que les dirigeants, attentifs à ne pas décevoir les nouvelles faveurs municipales (subvention, stade) s’attachent à retrouver rapidement la première division. C’est chose faite dès la première saison, grâce à l’entraîneur Oscar Heisser qui, grâce à un recrutement « intelligent », obtient rapidement des résultats intéressants (Blanc, 1989). Malgré un public bien maigre (5000 personnes), la remontée est assurée lors du match gagné contre Monaco. Trop jeune pour jouer dans la cour des grands, l’OL « redescend », victime de finances trop restreintes pour assurer un recrutement efficace. Visant la remontée pour juin 1954, l’OL se donne « les moyens de ses ambitions » et s’offre non seulement cette D1 tant attendue mais aussi la victoire dans le championnat de France de deuxième division. L’enfance du club s’achève ainsi : deux accessions et deux titres de champion de France en quatre saisons. L’OL s’installe en D1 pour un peu plus d’un quart de siècle, attirant de plus en plus de Lyonnais au stade (22 482 spectateurs contre l’Olympique de Marseille) et notamment le premier d’entre eux, Édouard Herriot, qui n’avait pas assisté à un match de football depuis plus de dix-sept ans !
41 Alors que le football semble s’installer durablement à Lyon, le public reste encore très partagé (en moyenne 14 000 personnes) ! Les variations en fonction de l’attrait du match sont encore très importantes, de 5 000 à plus de 20 000 personnes ! Jean-François Mesplede et Marc Naville (1986) notent que les records d’affluence sont enregistrés autour de 30 000 spectateurs entre 1953 et 1956. Les chiffres les plus élevés sont obtenus lors de matches dotés d’enjeux sportifs ou identitaires, le premier d’entre eux étant le derby opposant l’OL à l’A.S.S.E. (Association Sportive de Saint-Étienne). En moyenne, ces rencontres rassemblent 24 500 personnes au stade de Gerland contre 22 000 au stade Geoffroy Guichard à Saint-Étienne. On observe donc, en dépit de la différence de poids démographique de ces deux villes, une affluence sensiblement égale d’une ville à l’autre. Cela peut s’expliquer par les capacités d’accueil de ces deux stades qui sont sensiblement les mêmes ! En revanche, si le partage des victoires semble équilibré entre les deux villes, les « gônes » lyonnais ne s’imposent qu’une fois face aux « gagas » de Saint-Étienne, sur leur terrain en 1955 (Mesplede & Naville, 1986).
42 Entre 1954 et 1964, le club vit son adolescence : globalement, les résultats sont convenables mais sans éclat. Oscar Heisser, qui incarnait l’OL « artisanal » (Mesplede & Naville, 1986), laisse sa place à Lucien Troupel en 1956. En décidant d’intégrer dans les rangs des joueurs confirmés les jeunes talents formés au club, il réalise de notables économies et insuffle aux joueurs lyonnais un véritable esprit d’équipe. Bien que le jeu des Lyonnais demeure très irrégulier et « fantasque » pour certains, il faut admettre que l’équipe devient capable d’exploits. L’élimination de l’équipe de Reims, pourtant leader à Oran, lors d’un match de Coupe de France, fait dire à Blanc (1989, 39) que « le jeu griffé ‘Troupel’ a conquis les cœurs ». Lyon est désormais capable de coups d’éclat et le public lyonnais se laisse séduire. Il se rend plus nombreux au stade, établissant, contre Saint-Étienne encore, un record de recettes, plus de 9 millions de francs, avec plus de 30 000 spectateurs, le 28 octobre 1956. Décidément, lorsqu’il s’agit de défendre son « honneur », c'est-à-dire les couleurs de la cité face à un adversaire de toujours, les Lyonnais répondent présents.
43 Lyon s’aligne ainsi sur les autres clubs français et, comme ailleurs, le montant des transferts flambe d’années en années. Lucien Cossou est recruté pour 7 millions en 1956, Dalla Cieca pour 15 en 1957… mais les affaires commencent à secouer le monde du football : l’affaire Herbin à Saint-Étienne ou, moins médiatique, l’amende de 1 million de francs infligée à l’OL pour « manœuvres illicites » de recrutement en 1957 ! Tout cela est bien vite oublié lorsque les joueurs entrent en scène ! D’autant qu’à partir de 1957, l’OL participe au tournoi européen des Villes de Foire, même si cette première expérience s’avère plutôt douloureuse.
44 Le tournant des années 1960 est marqué par de nombreux changements : le président Maillet succède à Groslevain, les entraîneurs et les joueurs subissent une refonte entre 1959 et 1962. L’équipe, renouvelée par l’entraîneur Lucien Jasseron, signe alors « les plus belles heures de l’OL » (Mesplede & Naville, 1986). Réputé pour ses qualités techniques et son sens tactique, Jasseron emmène l’équipe en finale de la Coupe de France en 1963. Le doublé monégasque permet à Lyon d’accéder alors à la Coupe d’Europe des champions, faisant de 1964 une année historique. Bien que les résultats en championnat restent honorables (5e en 1963), Lyon renoue « son idylle avec la vieille dame » (Mesplede & Naville, 1986, 33) en décrochant, en 1964, pour la première fois de son histoire, la Coupe de France sous les yeux du Premier ministre, Georges Pompidou, et devant plus de 32 000 spectateurs au Parc des Princes. Les Lyonnais ne déméritent pas non plus en Coupe d’Europe en accédant au niveau des demi-finales.
45 On peut considérer qu’à partir de 1964 et grâce à de très bons résultats, l’Olympique Lyonnais a su s’installer définitivement dans la capitale rhodanienne. Pour preuve, les joueurs lyonnais, Marcel Aubour, Fleury Di Nallo ou Jean Djorkaeff, sont désormais appelés régulièrement en Équipe de France. Les critiques se taisent, on salue plus généralement les joueurs, on applaudit les stars et, même si le football professionnel lyonnais a atteint l’âge adulte tardivement, même si parfois certains de ses résultats sont encore jugés aléatoires, sa maturité n’est plus discutée et le public semble fidélisé. La municipalité de Louis Pradel et de son adjoint aux sports Tony Bertrand est désormais toute acquise à la cause du professionnalisme.
Conclusion
46 L’objet principal de cette étude était de comprendre pourquoi le football de haut niveau ne parvient à s’affirmer que tardivement à Lyon. La lecture approfondie des documents d’archive et de la presse locale a confirmé une combinaison de facteurs de résistance qui entravent la diffusion de ce sport.
47 On peut considérer que, jusqu’en 1932, des facteurs principalement intrinsèques entravent son développement : fluctuation des résultats, insuffisance du niveau technique, ignorance des méthodes d’entraînement, violence du jeu, organisation défectueuse des clubs locaux nuisent à la fidélisation du public local. Le football n’est alors populaire que lorsque l’honneur de la ville est en jeu et « toutes les sympathies locales s’unissent [alors] autour du club de la ville » (Robelin, 1991).
48 À partir de 1932, des facteurs extrinsèques viennent les renforcer et expliquent l’absence d’un grand club à Lyon : le parti pris de la municipalité contre le sport d’élite se conjugue à l’inconstance du public et voue à l’échec toute tentative de professionnalisation du football local. Alors que le football professionnel s’implante durablement en France et malgré les pressions de la presse locale et des instances sportives, le maire de Lyon, alors au sommet de son pouvoir, ne cède pas. L’implantation du football professionnel est, de ce fait, stoppée net jusqu’en 1945.
49 Après la Seconde Guerre mondiale, les résistances s’estompent : le football local entre dans une période beaucoup plus radieuse. L’opposition municipale s’effrite ; l’influence politique d’Herriot décline et il se résout à subventionner une équipe professionnelle qui, l’espère-t-il, portera haut les couleurs de la ville. Ainsi, on passe d’une opposition farouche à un soutien résigné. Par chance, le club se dote d’entraîneurs compétents qui réussissent avec peu de moyens le pari d’imposer une équipe compétitive dans la cité rhodanienne. Dès lors, en un peu plus de dix ans, l’OL va construire son jeu et fidéliser son public. On peut considérer qu’à partir de 1957, avec l’arrivée d’un nouveau maire, et plus encore à compter de 1964, avec les victoires lyonnaises sur les scènes nationales et internationales, le football professionnel incarné par l’OL est définitivement installé dans la ville.
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Mots-clés éditeurs : é, professionnalisation, football, histoire, Lyon
Mise en ligne 01/10/2005
https://doi.org/10.3917/sta.068.0007