Staps 2001/3 no 56

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Article de revue

Football minier et immigration. Les limites de l'intégration sportive dans les années trente

Pages 9 à 18

Notes

  • [1]
    Le présent article reprend en partie des éléments extraits de notre thèse de doctorat en histoire contemporaine : Chovaux (Olivier), un demi-siècle de football dans le département du Pas-de-Calais : pratiques sportives, réalités sociales, ciment culturel (fin XIXe/1940), Université d’Artois, 1999, 647 p. Dir. Alain Lottin.
  • [*]
    Chemin du Marquage, 62800 Liévin.
  • [2]
    Sur 600 joueurs internationaux recensés, un tiers est d’origine étrangère : Afrique du Nord (7 %), Italiens (6,5 %), Polonais (6 %), Espagnols (3 %), Départements et Territoires d’Outre Mer (1 %). Cette immigration ou intégration par le football fut particulièrement visible dans les compositions de l’équipe de France « platinienne » des années 85/86, et de son « carré magique » : Les italiens (Platini, Ferreri, Bellone), Espagnols (Giresse, Fernandez, Amoros), Africains (Tigana, Touré, Ayache), Polonais (Stopyra). Il s’agit d’un phénomène récurrent : l’équipe de France de 1958 reposait déjà sur cette trilogie « Afrique du Nord, Pologne, Italie » : Fontaine, Kopa, Piantoni. D’après : Braun (Didier), In « L’Equipe », 26/31 janvier 1986. Cité par Beaud (Stéphane), Noiriel (Gérard), l’immigration dans le football, In « Vingtième Siècle », N° 26, avril/juin 1990, p. 83.
  • [3]
    Pour la période étudiée, seule la presse sportive régionale fournit de précieuses données. Ont été consultés : Calais Sport (1901/1923), Nord Sportif, La Vie Arrageoise, Archives Départementales du Pas- de- Calais.
  • [4]
    Les bulletins des clubs de supporters mentionnent la nationalité des joueurs transférés au club lors des intersaisons. Ont été consultés : Allez Arras (organe des supporters du Racing Club d’Arras), Le Racing (programme et bulletins officiels du Racing Club de Calais), Sang et Or (bulletin périodique du Racing Club de Lens), Allez l’Union (organe de l’Union Sportive Boulonnaise), Archives Départementales du Pas-de-Calais.
  • [5]
    L’Union des Sokols polonais fédère des sociétés de gymnastique, de tir, mais également d’athlétisme, de basket-ball, de volley-ball, de boxe et de football. « L’union des sociétés polonaises de football et l’association vélocipédique polonaise patronnent les deux sports les plus populaires en France, parmi l’émigration polonaise. (…). On utilise les occupations sportives les jours libres acquis par la semaine de 40 heures, ainsi que les différentes fêtes. La jeunesse passionnée de sport, utilise tout loisir pour la pratique. Aucun effort ne lui résiste, pourvu que soit menée à bien une rencontre et que soit conquise dans une noble lutte, la palme de la victoire. (…) » Extrait du « travailleur polonais », août 1937, Archives Départementales du Pas-de-Calais, G 150.
  • [6]
    Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), les footballeurs professionnels des années trente à nos jours, Ibid., pp. 79/83. On consultera également : Barreaud (Marc), dictionnaire des footballeurs étrangers du championnat professionnel français (1932/1997), L’Harmattan, coll. Espaces et temps du sport, 1998, 319 p.
  • [7]
    Sur l’immigration dans l’entre-deux-guerres, outre les ouvrages de référence de Gérard Noiriel, on pourra consulter le remarquable article « immigration » d’Eric Vial dans : Sirinelli (Jean François), Couty (Daniel), dictionnaire de l’Histoire de France, Armand Colin, 1999, pp. 771/774
  • [8]
    Cité par : Dremière (Laurent), la saga des Sang et Or, Editions La Voix du Nord, 1997, pp. 26/33

Introduction

1L’exaltation médiatique et les récupérations politiques de la victoire d’une équipe de France « multiethnique » lors de la Coupe du Monde de football de 1998 ont largement contribué à la résurgence de la thématique de l’immigration dans et par le football. Plus qu’aucun autre sport, le football professionnel constituerait un formidable « creuset d’intégration » au point de constituer un élément original du « modèle français » (Noiriel, 1999) Les chiffres avancés par Didier Braun en 1986, s’ils ne concernent que les internationaux de l’Equipe de France, confirment la thèse d’une présence significative de joueurs d’origine étrangère ou extra métropolitaine dans les compositions successives du « onze tricolore ». [2]

2Ce rapport entre football moderne et immigration repose d’abord sur une série de facteurs simples, à l’origine de liens plus complexes : le développement de la pratique du football-association au cours du XXe siècle, son enracinement au sein d’aires géographiques identifiées, et les différentes vagues d’immigration que connaît la France, au gré des fluctuations économiques et des choix politiques. Un article de référence de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel (1990) a su décrire les grandes phases de cette « immigration dans le football », et dégager les conclusions suivantes : la carte du football-association se calque sur celle du travail immigré, ses contingents de population fourniront à l’Equipe de France un pourcentage de joueurs naturalisés, variable selon les arrivées et les générations. Quant à la diffusion de ce qu’il convient d’appeler un « football immigré », elle s’opère principalement par la conjonction d’un paternalisme sportif caractéristique des milieux industriels et d’une culture ouvrière qui a su progressivement s’approprier les pratiques sportives dans l’entre-deux-guerres. A ce titre, les phénomènes de sur-représentation précisément observés dans les régions du Nord et du Pas-de-Calais correspondent à la forte présence de communautés étrangères qui ont investi des secteurs d’activités délaissées par les ouvriers français en raison de leur pénibilité (mines, sidérurgie). Le choix du pays minier du Pas-de-Calais se justifie par une conjonction de facteurs expliquant l’implantation précoce du football association dès la fin du XIXè siècle : Importance des pratiques sportives scolaires et régimentaires avant 1914, forte implantation des sports anglais sur le littoral, situation géographique privilégiée et présence avérée des jeux traditionnels… Autant de réalités qui permettent d’avancer l’hypothèse d’une prédestination sportive, dont le football serait l’incarnation la plus remarquable, à l’image de l’Union Sportive Boulonnaise, premier club du département (1898), et du Racing Club de Calais fondé l’année suivante. A la veille de la première guerre mondiale, sur les 22 clubs de la région affiliés à l’Union des Sociétés Françaises des Sports Athlétiques (USFSA), près de la moitié sont implantés dans le bassin minier [Racing Club d’Arras (1901), Stade Béthunois (1902), Racing Club de Lens (1906), US Noeux (1909), etc.]

3Le paternalisme industriel sportif, qui constitue une singularité remarquable dans le bassin minier, peut avoir contribué à l’accélération du phénomène : l’émergence rapide de vedettes sportives ou « d’étoiles » d’origine étrangère s’explique en effet par la précocité de leur recrutement : détectés par les patrons ou les contremaîtres, ces footballeurs désormais « protégés » sont rapidement « mis sur la touche ». Ils bénéficient de conditions d’entraînement adaptées, et de rémunérations bien supérieures à la nature d’une activité professionnelle compatible avec le calendrier des rencontres et des premiers entraînements réguliers. Pour autant, ces exemples de « mineur footballeur » demeurent l’apanage des clubs instrumentalisés par les compagnies minières et engagés dans les compétitions professionnelles à partir des années trente. Il faudra attendre les années cinquante et la généralisation du professionnalisme pour observer une amplification du phénomène et la naissance d’un statut original de « footballeur mineur ». Fondé en 1906, le Racing Club de Lens constitue un exemple symptomatique de cette « culture de l’intégration par le football » devenue, pour des impératifs économiques liés à une indispensable pacification sociale, l’un des éléments constitutifs du creuset identitaire du club.

Immigration conjoncturelle et intégration sportive dans les années trente

4A l’exception des ouvrages de Marc Barreaud (1998) portant sur une période plus contemporaine (1945/1992), l’absence de travaux significatifs sur cette question peut d’abord s’expliquer par les difficultés méthodologiques posées par le caractère plus que fragmentaire des sources. Les clubs du Pas-de-Calais déjà cités n’ont pas conservé d’archives antérieures aux années cinquante, à l’exception de rares bulletins ou journaux émanant des clubs de supporters, lorsqu’ils existent (c’est le cas à Lens et Arras) Il convient donc de se reporter exclusivement à la lecture de la presse sportive régionale et aux comptes-rendus des rencontres sportives, qui indiquent généralement la composition des équipes mais plus rarement l’origine et la nationalité des joueurs. C’est à l’aune de ces rares matériaux qu’il faudra chercher à identifier la réalité d’une intégration sportive, son efficience et ses limites, dans une aire géographique circonscrite au bassin minier du Pas-de-Calais, ce qui interdit toute généralisation, mais permet la formulation d’un certain nombre d’hypothèses, à partir des constats autorisés par l’étude de clubs, souvent considérés comme des modèles d’intégration [3]. La création d’un championnat de France professionnel en 1932 et la définition d’un statut du joueur permettent de mieux mesurer le phénomène, dans la mesure où l’officialisation des transferts et les procédures de naturalisation des joueurs étrangers deviennent plus visibles. Pour autant, il demeure délicat, au-delà d’une analyse purement quantitative de type ethnographique, d’apporter des éléments d’explication significatifs et généraux. Le recrutement de joueurs de nationalité étrangère repose-t-il exclusivement sur leur valeur sportive, condition préalable de leur légitimité puis de leur intégration au sein du club ? Certains dirigeants ont-ils au contraire favorisé la constitution d’équipes plurinationales, prenant en compte les vagues d’immigration successives, observables dans le bassin minier ?

5L’approche quantitative constitue sans doute la partie émergée d’une réalité plus complexe. Au-delà des joueurs eux-mêmes, le premier niveau d’analyse peut concerner des spectateurs ou supporters dont on peut supposer qu’ils ne furent pas exclusivement composés de nationaux. Les travaux récents (Demazière, Carpentier, Maerten, Nuytens, Roquet, 1998) sur le supportérisme régional montrent l’émergence du phénomène dans les années vingt. Que des ressortissants étrangers aient participé aux sections de supporters, aux déplacements organisés par les clubs ne fait aucun doute, mais toute mesure quantitative demeure limitée : Les chiffres plutôt conséquents des affluences lors des rencontres ne distinguent bien évidemment pas les nationaux des étrangers.

6Seule l’analyse de la composition des équipes des clubs amateurs, puis professionnels, engagés dans les différents championnats de 1932 à 1939, peut autoriser une première approche statistique et mieux identifier l’objet de cette étude : l’analyse des flux migratoires par le football suppose une distinction préalable entre une immigration sportive conjoncturelle et une immigration plus structurelle, caractéristique des années vingt, liée à des impératifs économiques. Avant 1914, l’analyse de la composition des équipes et les comptes-rendus des rencontres signalent la présence de joueurs anglais et belges dans les équipes du Racing Club de Calais, de l’Union Sportive Boulonnaise ou du Stade Béthunois : L’adjonction de joueurs étrangers de talent, rompus aux règles du football association, meilleurs techniciens que les joueurs locaux, va contribuer à accélérer l’enracinement de la pratique dans le département. Au Racing Club de Calais, les joueurs anglais Allison, Maloney et Walker évoluent dans l’équipe première pendant près de vingt ans. La proximité géographique des clubs belges et anglais et la vitalité de leur football justifient l’idée d’une « euro-région » sportive, où les flux de joueurs répondent avant 1914, à des opportunités strictement tactiques : l’équipe première du Racing Club de Lens ne comporte aucun joueur de nationalité étrangère avant 1922, date de l’arrivée des italiens Nanni et Andréani (puis du belge Miny en 1923), et cette présence demeure confidentielle pour les principaux clubs du Pas-de-Calais. [4]

7Au seuil des années trente, l’internationalisation progressive de la pratique du football-association, conjuguée aux vagues d’immigration européennes renforce la présence de joueurs originaires d’Europe centrale et de l’Est dans les équipes nordistes : Elle perpétue cette logique « d’importation de la technicité », et développe en particulier le concept d’une « polonisation » des clubs du bassin minier, qui contribuerait au processus d’intégration des populations. Si ce phénomène ne peut être contesté dans les années cinquante, il convient d’en préciser et nuancer les manifestations dès l’entre-deux-guerres : le football ne serait plus un simple lieu d’observation des mouvements migratoires, mais deviendrait un moyen d’intégration, particulièrement performant. Il garantirait aux joueurs concernés une reconnaissance sociale par la considération sportive, la proposition pouvant d’ailleurs s’inverser. Il permettrait également, pour les immigrés de la première génération, de procéder au « gommage » progressif d’une identité culturelle, d’abord linguistique, contribuant ainsi à l’atténuation de la xénophobie ambiante.

8La précocité de l’enracinement du football-association dans le bassin minier explique son appropriation rapide par les populations d’origine étrangère, dès leur arrivée en France. Janine Ponty (1995) insiste sur les formes spontanées et plutôt récréatives d’un « football de rue », ou plutôt de corons, qui voit s’affronter les jeunes français et polonais, au retour de l’école ou de la mine. Rencontres facilitées par l’aménagement d’aires de jeu dans chaque cité à partir des années trente, à l’instigation des Compagnies des Mines, qui perçoivent rapidement l’intérêt de pratiques sportives « hygiéniques ». De plus, la meilleure structuration de calendriers sportifs gérés par la Ligue du Nord (fondée en 1919) et une hiérarchisation progressive des compétitions accompagnent les créations de clubs ou augmentent de manière sensible le nombre d’équipes engagées par les clubs déjà implantés dans le bassin minier. La proportion de joueurs étrangers est plus visible, mais se décline selon des particularismes spécifiques aux clubs : en 1925, l’ES Bully compte dans les rangs de son équipe première quatre joueurs étrangers (deux joueurs anglais, un joueur italien et un belge). Au Racing Club de Lens, à la veille des années trente, le concept de « polonisation » doit être singulièrement nuancé. L’importance de la vague d’immigration (104 000 arrivées entre 1919 et 1923) ne modifie pas de manière sensible la structure de l’équipe première du RCL : les joueurs polonais constituent une composante de l’effectif, au même titre que d’autres joueurs italiens, belges, anglais ou hongrois, à partir d’un recrutement qui demeure majoritairement périphérique (tableau 1). La lente stratification observée avant 1914 semble donc se prolonger dans les années vingt, donnant aux équipes premières des clubs miniers un visage composite, qui prend en compte les réalités des flux migratoires, mais ne reproduit pas nécessairement leur hiérarchie.

Tableau 1
Tableau 1
Répartition des joueurs du Racing Club de Lens de nationalité étrangère dans les années vingt* Saison Etrangers Origine géographique Nbre % frontaliers1 Méditerranée2 Europe de l'Est3 Pologne 1920/22 2 18 2 1922/23 4 25 2 2 1925/26 8 32 4 2 1 1 1926/27 6 26 4 1 1 1928/29 3 27 2 1 1929/30 6 35 2 2 2 27 % 51 % 29 % 6,5 % 13 % 1 Iles britanniques, Belgique 2 Italie, Espagne, Afrique du Nord 3 Europe centrale et orientale : Autriche, Allemagne, Tchécoslovaquie, Hongrie. (La Pologne a été volontairement isolée, en raison de l'importance des mouvements migratoires de 1922/24 ) * Etabli à partir de Dremière (Laurent), Ibid. Hurseau (Paul), Verhaeghe (Jacques), Racing Club de Lens, Alan Sutton éditeur, Coll. Mémoire du football, 1998, 128 p.
Répartition des joueurs du Racing Club de Lens de nationalité étrangère dans les années vingt.

9L’une des explications tient sans doute à la rapide constitution par les immigrés polonais d’une micro communauté, qui en 1936, représente 73 % de la population étrangère du département du Pas-de-Calais. Majoritaire au sein des minorités, cette communauté va tisser un maillage serré d’associations, fédérations et unions à vocation culturelle ou sportive, à l’image de l’Union des Sokols Polonais qui recouvre activités gymniques et sportives [5]. Fondée en 1924, l’Union Polonaise de Football (PZPN) regroupe en 1938 près d’une trentaine de clubs et organise son propre championnat, indépendamment des compétitions gérées par la FFFA et les ligues régionales. La pratique d’un football polonais « endogène » demeure cependant confidentielle : en 1937, le recensement des sociétés polonaises indique que les clubs de football représentent moins de 2 % des associations ou groupements et 1,2 % des pratiquants affiliés à ces diverses organisations (tableau 2). Cette autonomie revendiquée du football polonais participe au maintien du sentiment identitaire de la communauté. Une logique de « proximité », voire d’imitation sportive plutôt que d’intégration par le sport semble être l’objectif des associations polonaises, afin d’entretenir l’originalité linguistique et culturelle de ses membres. Le football pratiqué par les polonais dans l’entre-deux-guerres s’observe au sein de lieux institutionnels différents : Une minorité de joueurs évolue au sein des clubs affiliés à la PZPN, tandis que l’immense majorité s’investit dans des clubs civils, financés par les compagnies minières, rattachés à la FFFA. Cette catégorie regroupant à la fois des clubs « français », et des clubs « polonais » (où ses ressortissants composent l’ossature des équipes). Il convient d’ajouter à ces lieux institutionnels le domaine peu exploré des pratiques strictement ludiques, non compétitives, où se vivent une sociabilité et une intégration au quotidien. Au seuil des années trente, la jeunesse polonaise considère peut-être davantage le football comme une pratique de distraction que comme l’instrument privilégié d’une intégration qui, de toutes les façons s’inscrit dans la longue durée, dans une dimension économique, et relève de mécanismes complexes. La présence de joueurs étrangers dans les clubs du « premier cercle » (qui correspondrait aujourd’hui aux clubs de l’élite professionnelle) répond avant tout à une logique purement sportive. Elle assure toutefois aux joueurs concernés une notoriété certaine, améliore leur situation matérielle, mais ne « gomme » nullement leur identité. Qui plus est, elle permet aux Compagnies des Mines d’entretenir le mythe d’une promotion par le sport et de développer au sein des populations étrangères les premières formes d’identification sportive.

Tableau 2
Répartition des sociétés et associations polonaises en France.1937 [*]
NbreStésMembres
Union des associations de secours mutuels6212636
Union des associations de vulgarisation intellectuelle824512
Union des sociétés des femmes polonaises14414560
Union des sociétés catholiques24225000
Union des sociétés des ouvriers polonais1129754
Fédération des anciens combattants1169257
Union des sociétés sportives « Sokols »1125507
Union des sociétés sportives «Tireurs »1334750
Union des sociétés de scouts32010395
Union des sociétés de footballeurs271380
Union des instituteurs polonais10145
Union des colons polonais34873
Union des commerçants polonais15685
Union des comités locaux91
Union des chorales533779
Union des sociétés de musique24560
Union des sociétés théâtrales792680
Union des aviculteurs261930
Total :1882108 402
  • (*)
    D’après « Le travailleur polonais », août 1937, ADPC, G 150.
  • Répartition des sociétés et associations polonaises en France. 1937

    L’émergence de politiques d'intégration sportive dans les années trente ?

    10Le paysage sportif du football nordiste évolue de manière significative dans les années trente : la création d’un championnat de France professionnel en 1932 accentue les écarts entre les clubs qui composent une « pyramide sportive » de plus en plus hiérarchisée. L’instauration progressive d’un football à deux vitesses accompagne ce changement d’échelle imposé par le professionnalisme, qui affecte de manière sensible la présence des joueurs étrangers au sein des clubs miniers. Les travaux de Pierre Lanfranchi et d’Alfred Wahl (1995) au plan national avancent un pourcentage de joueurs étrangers au sein des clubs professionnels inférieur à 30 %, traduction de la politique libérale de la FFFA qui en 1932 fixe à quatre le nombre de joueurs étrangers autorisés par équipe. [6] Ces mêmes recherches concluent à une réelle diversification des origines des joueurs au cours de la décennie : la « filière britannique » en voie d’extinction, est largement relayée par des flux en provenance d’Europe centrale et orientale et du bassin méditerranéen. La montée des périls extérieurs et la résurgence d’une xénophobie ambiante (en 1936, les départs et naturalisations, ainsi que la radicalisation des discours de la droite vis-à-vis des étrangers, font passer le nombre des étrangers en France de 2,89 millions à 2,45 millions) peuvent expliquer la décision de la Fédération de réduire à deux le nombre de joueurs étrangers par équipe en 1938. Ce qui provoque une diminution de 35 % des joueurs de nationalité étrangère évoluant dans les championnats professionnels (Barreaud, 1998), avant que la guerre puis le régime de Vichy ne modifient en profondeur l’organisation du football au cours des « années noires ». [7]

    11Les clubs du Pas-de-Calais évoluant en deuxième division professionnelle (Racing Club d’Arras, Union Sportive Boulonnaise et Racing Club de Calais) ne semblent pas suivre les évolutions perceptibles au niveau national. Si le pourcentage de joueurs étrangers demeure constant par rapport aux années vingt, la diversification des aires de recrutement n’est pas visible pour les deux clubs du littoral qui continuent à faire appel aux joueurs britanniques. Situés en dehors du bassin minier et de son semis urbain et industriel caractéristique, Calais et Boulogne ont été peu touchées par les flux d’immigration des années 1922/24 et 1928/30. La géographie de l’immigration se calque bien sur celle du football, même si le Racing Club d’Arras affiche des chiffres bien inférieurs aux pourcentages régionaux et nationaux (tableau 3) L’une des explications tient aux origines d’un club qui, à la différence de rivaux miniers d’essence plus populaire, tient à marquer sa différence « culturelle » en recrutant de jeunes joueurs majoritairement issus de la bourgeoisie locale. La composition des équipes, la proportion et l’origine géographique des joueurs étrangers participent dans les années trente à l’édification de la culture des clubs. A la différence du Racing Club de Lens qui voit le nombre de joueurs polonais augmenter au fur et à mesure d’une construction identitaire fondée sur un fort enracinement local et une dimension forcément populaire, les clubs du littoral semblent privilégier des recrutements imposés par les choix tactiques des entraîneurs et peut être moins marqués au plan des enjeux culturels.

    Tableau 3
    Tableau3
    Joueurs de nationalité étrangère dans les clubs du Pas-de-Calais. Championnat de deuxième division professionnelle. 1933/1939* RC Arras RC Calais US Boulogne Saisons Noms % Noms % Noms % 33/34 Farkas (Hong) 9 % Iglodie (GB) Thurley (GB) Walker (GB) 27 % 34/35 Allison (GB) Malonye (GB) O'Brien (GB) Walker (GB) 36 % 35/36 Wonnacott (GB) 9 % Puga (Arg) Allison (GB) O'Brien (GB) Walker (GB) 36 % Rizzo (Arg) Barnes (GB) Collins (GB) Eastman (GB) 45 % 36/37 Higgins (GB) 9 % Puga (Arg) 36 % Cowan (GB) 27 % 37/38 Higgins (GB) 36 % Mc Nally (GB) 18 % Hartong (Aut) 36 % 38/39 Higgins (GB) 18 % Moyenne 18 % 30 % 36 % (*) Etabli à partir de : Barreaud (Marc), les footballeurs étrangers…, Ibid. Arg : Argentine, GB : Iles britanniques, Hong : Hongrie, Aut : Autriche
    Joueurs de nationalité étrangère dans les clubs du Pas-de-Calais. Championnat de deuxième division professionnelle. 1933/1939.

    12La présence de joueurs étrangers au sein de l’équipe première du Racing Club de Lens est pourtant le résultat de la politique élitiste du Comité Directeur : Le professionnalisme impose de procéder au recrutement des meilleures individualités, quelle que soit leur nationalité et le montant des transferts. Le hongrois Ladislas Schmidt est transféré au RCL en 1934 pour la somme de 13 000 francs, l’autrichien Anton Marek rejoindra le club l’année suivante pour 8 200 francs. Au-delà de cette stricte logique à la fois comptable et sportive, la réduction progressive par la FFFA du nombre de joueurs étrangers autorisés incite le club à naturaliser ses joueurs étrangers, à l’image de Stephan Dembicki, dit « Stanis », qui obtient la nationalité française en1936. [8] Leur nombre au sein de l’effectif professionnel peut également contribuer à une meilleure reconnaissance et valorisation des communautés installées dans le bassin minier : l’image du footballeur polonais, robuste, ne s’avouant jamais battu et dont les qualités athlétiques l’emportent le plus souvent sur une technicité superflue, appartient à la culture du Racing autant qu’à la culture minière. Elle est à l’origine d’une identification individuelle et collective tenace, relayée par la presse sportive, et que la Compagnie des Mines de Lens saura parfaitement exploiter. Le club minier reproduisant sur le terrain et dans la composition de son équipe les valeurs ouvrières de solidarité et de virilité, qui attirent les foules autour du stade Félix Bollaert, inauguré en juin 1934.

    13Sur les 177 joueurs recrutés de 1930 à 1939 par le club, 53 % sont d’origine ou de nationalité étrangère (tableau 4). L’analyse des chiffres cités atteste du pragmatisme des dirigeants du Racing, qui tiennent compte à la fois de la singularité polonaise de la région (ses joueurs représentent près de la moitié des effectifs) et de la réalité des flux migratoires des années trente. Ce principe de réalité aboutit à la constitution d’une ligne d’avants presque exclusivement constituée de polonais au cours de la saison 1934/35. C’est même l’ossature de l’équipe première qui connaîtra en 1936 semblable évolution. Il faut cependant nuancer cette large place désormais accordée aux « polonais du Racing », en étudiant attentivement la nature des transferts réalisés lors des intersaisons : la logique d’un recrutement quantitatif exogène, encouragé par les dispositions financières de la Compagnie des Mines de Lens vis-à-vis du club, aboutit à des effectifs souvent pléthoriques, qui peuvent justifier la forte proportion de joueurs étrangers. Outre l’engagement de joueurs professionnels, le Racing attire sans difficulté les jeunes joueurs des clubs miniers voisins, se livrant ainsi à un véritable débauchage auprès des clubs amateurs (Ignace Kowalczyk est ainsi recruté en 1931 alors qu’il évolue dans l’équipe de Noyelles sous Lens).

    Tableau 4
    Tableau 4
    Répartition des joueurs du Racing Club de Lens de nationalité étrangère dans les années trente* Saison Etrangers Origine géographique Nbre % frontaliers1 Méditerranée2 Europe Est3 Pologne 1930/31 7 38 2 2 3 1931/32 6 54 1 1 2 2 1932/33 13 46 1 4 8 1933/34 10 55 2 3 5 1934/35 13 59 1 1 5 6 1936/37 18 64 3 8 7 1937/38 15 50 1 7 7 1938/39 13 59 1 5 7 53 % 8 % 5 % 38 % 47 % 1 Iles britanniques, Belgique 2 Italie, Espagne, Afrique du Nord 3 Europe centrale et orientale : Autriche, Allemagne, Tchécoslovaquie, Hongrie. * Etabli à partir de Dremière (Laurent), Ibid. Hurseau (Paul), Verhaeghe (Jacques), Racing Club de Lens, Alan Sutton éditeur, Coll. Mémoire du football, 1998, 128 p.
    Répartition des joueurs du Racing Club de Lens de nationalité étrangère dans les années trente.

    Conclusion

    14Il serait singulier de tirer des conclusions définitives d’une approche historique inscrite dans une géographie et temporalité limitées. L’étude des processus d’intégration des joueurs de nationalité étrangère dans les clubs de football du pays minier appartenant à l’élite régionale semble avant tout la conséquence d’une politique sportive ambitieuse et relève plutôt d’une nécessité liée à la concurrence qui s’exerce entre les clubs. La notion de « formidable creuset d’intégration », généralement avancée parce que constitutive de l’identité des clubs miniers, doit donc être singulièrement nuancée pour la période considérée. Elle demeure finalement plus la conséquence directe du passage au professionnalisme que l’apanage d’une politique résolument « intégratrice » des comités directeurs des clubs. Mais cette intégration par le football constitue cependant une réalité statistique (se reporter aux tableaux) que l’on ne saurait négliger. Elle permet d’entretenir des formes de sociabilité déjà inscrites dans le patrimoine des jeux traditionnels et la vitalité du mouvement associationniste minier et a pour effet d’accentuer le caractère résolument populaire de la pratique du football association, contribuant à renforcer un processus d’homogénéité culturelle. Même limitée, cette idée d’une intégration dans et par le football ne peut être ignorée, dans la mesure où elle entretient auprès des populations minières, autochtones ou immigrées, la figure emblématique du « footballeur mineur », dont les comptes-rendus des rencontres sportives exaltent les qualités physiques et les vertus morales, cultivant ainsi le mythe d’une intégration et ascension autorisées par le football association, alors que sa diffusion par les compagnies minières répond essentiellement à des objectifs de stabilité et de pacification sociales.

    Sources

    15Archives Départementales du Pas-de-Calais

    16Série Z.

    17258. Sociétés. Boulogne sur mer (1914/1931)

    18259. Sociétés. Calais (1914/1931)

    19Presse sportive

    20Calais sport (mars 1901/février 1923). E 74

    21La vie arrageoise. G 89

    22Nord sportif. G 95

    23Allez Arras, organe des supporters du Racing Club d’Arras (6 décembre 1936/30 juillet 1937). D 15 714

    24Allez l’union, organe de l’union Sportive Boulonnaise (16 avril 1924/24 mars 1937). C 1015/5

    25Le Racing, programme et bulletins officiels du Racing Club de Calais (novembre 1934/ février 1937). C 1042/19

    26Sang et Or, bulletin périodique du Racing Club de Lens et du supporter’s club lensois (août 1937/juin 1955). E 42

    Bibliographie indicative

    • Barreaud M. (1998). Dictionnaire des footballeurs étrangers du championnat professionnel français (1932/1997), Paris, L’Harmattan.
    • Beaud, S. et Noiriel, G. (1990). L’immigration dans le football. Vingtième Siècle, 26, 83-96.
    • Chovaux, O. (2001). Cinquante ans de football dans le Pas-de-Calais. Le temps de l’enracinement (fin XIXe/1940). Artois Presses Université, 376 p.
    • Demazière, D., Carpentier Bogaert, C., Maerten, Y., Nuytens, W. et Roquet, P. (1998). Le peuple des tribunes. Les supporters de football dans le Nord - Pas-de-Calais, documents d’ethnographie régionale du Nord - Pas-de-Calais, 229 p.
    • Lanfranchi, P. et Wahl, A. (1995). Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours. Paris, Hachette, 290 p.
    • Ponty, J. (1995). Les Polonais du Nord ou la mémoire des corons, Autrement, 123 p.
    • Wahl, A. (1990). La balle au pied. Histoire du football, Gallimard, 176 p.
    • Les archives du football : sport et société en France (1880/1980), Paris, Gallimard, coll. Archives, 1989.

    Mots-clés éditeurs : Pas-de-Calais., Football, immigration, égration

    Date de mise en ligne : 01/09/2005

    https://doi.org/10.3917/sta.056.0009

    Notes

    • [1]
      Le présent article reprend en partie des éléments extraits de notre thèse de doctorat en histoire contemporaine : Chovaux (Olivier), un demi-siècle de football dans le département du Pas-de-Calais : pratiques sportives, réalités sociales, ciment culturel (fin XIXe/1940), Université d’Artois, 1999, 647 p. Dir. Alain Lottin.
    • [*]
      Chemin du Marquage, 62800 Liévin.
    • [2]
      Sur 600 joueurs internationaux recensés, un tiers est d’origine étrangère : Afrique du Nord (7 %), Italiens (6,5 %), Polonais (6 %), Espagnols (3 %), Départements et Territoires d’Outre Mer (1 %). Cette immigration ou intégration par le football fut particulièrement visible dans les compositions de l’équipe de France « platinienne » des années 85/86, et de son « carré magique » : Les italiens (Platini, Ferreri, Bellone), Espagnols (Giresse, Fernandez, Amoros), Africains (Tigana, Touré, Ayache), Polonais (Stopyra). Il s’agit d’un phénomène récurrent : l’équipe de France de 1958 reposait déjà sur cette trilogie « Afrique du Nord, Pologne, Italie » : Fontaine, Kopa, Piantoni. D’après : Braun (Didier), In « L’Equipe », 26/31 janvier 1986. Cité par Beaud (Stéphane), Noiriel (Gérard), l’immigration dans le football, In « Vingtième Siècle », N° 26, avril/juin 1990, p. 83.
    • [3]
      Pour la période étudiée, seule la presse sportive régionale fournit de précieuses données. Ont été consultés : Calais Sport (1901/1923), Nord Sportif, La Vie Arrageoise, Archives Départementales du Pas- de- Calais.
    • [4]
      Les bulletins des clubs de supporters mentionnent la nationalité des joueurs transférés au club lors des intersaisons. Ont été consultés : Allez Arras (organe des supporters du Racing Club d’Arras), Le Racing (programme et bulletins officiels du Racing Club de Calais), Sang et Or (bulletin périodique du Racing Club de Lens), Allez l’Union (organe de l’Union Sportive Boulonnaise), Archives Départementales du Pas-de-Calais.
    • [5]
      L’Union des Sokols polonais fédère des sociétés de gymnastique, de tir, mais également d’athlétisme, de basket-ball, de volley-ball, de boxe et de football. « L’union des sociétés polonaises de football et l’association vélocipédique polonaise patronnent les deux sports les plus populaires en France, parmi l’émigration polonaise. (…). On utilise les occupations sportives les jours libres acquis par la semaine de 40 heures, ainsi que les différentes fêtes. La jeunesse passionnée de sport, utilise tout loisir pour la pratique. Aucun effort ne lui résiste, pourvu que soit menée à bien une rencontre et que soit conquise dans une noble lutte, la palme de la victoire. (…) » Extrait du « travailleur polonais », août 1937, Archives Départementales du Pas-de-Calais, G 150.
    • [6]
      Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), les footballeurs professionnels des années trente à nos jours, Ibid., pp. 79/83. On consultera également : Barreaud (Marc), dictionnaire des footballeurs étrangers du championnat professionnel français (1932/1997), L’Harmattan, coll. Espaces et temps du sport, 1998, 319 p.
    • [7]
      Sur l’immigration dans l’entre-deux-guerres, outre les ouvrages de référence de Gérard Noiriel, on pourra consulter le remarquable article « immigration » d’Eric Vial dans : Sirinelli (Jean François), Couty (Daniel), dictionnaire de l’Histoire de France, Armand Colin, 1999, pp. 771/774
    • [8]
      Cité par : Dremière (Laurent), la saga des Sang et Or, Editions La Voix du Nord, 1997, pp. 26/33

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