1 L’ouvrage intitulé Évaluation et didactique : un dialogue critique se penche sur les travaux traitant des théories de l’évaluation et des recherches didactiques sur l’évaluation et entend élucider les diverses approches de l’évaluation scolaire, clarifier les enjeux sous-jacents aux débats les animant et contribuer à identifier les difficultés soulevées par ces discussions. Le livre cherche également à apporter des éléments de réponse à des questions cruciales, telles que la spécificité et les convergences des approches de l’évaluation, les perspectives que celles-ci adoptent, ainsi que les tensions et les polémiques résultant du dialogue théorique entre ces approches.
2 Daniel Bart met en débat les théories de l’évaluation et les approches didactiques de l’évaluation. Aussi l’auteur précise-t-il que son point de vue s’inscrit dans des orientations de recherche critiques au sein des deux domaines scientifiques concernés.
3 Fort de son argumentation et de sa réflexion à la fois progressive et cohésive, l’ouvrage cherche, à travers les orientations de recherche présentées ici, à dépasser les tendances prédominantes dans les approches spécialisées et dans les didactiques de l’évaluation en mettant en avant des éléments critiques. L’auteur identifie trois tendances majeures dans ces approches : la focalisation sur la diversité des pratiques évaluatives, les objectifs prescriptifs ou normatifs et l’indifférenciation des méthodologies de recherche et d’évaluation.
4 L’auteur loue le rôle essentiel du dialogue théorique dans cette démarche d’orientation. L’approche didactique de l’évaluation est présentée comme un moyen de rupture avec les approches qui accordent une importance ontologique à l’opération, en replaçant l’évaluation dans le contexte du fonctionnement des systèmes didactiques.
5 Comptant près de 300 pages, son ouvrage, complet et synthétique, trouve son origine dans une note d’habilitation à diriger des recherches présentée à l’Université Paris Cité en 2021. Il repose sur la mise en dialogue de plusieurs décennies de travaux de recherche sur l’évaluation menés en Sciences de l’éducation. Ces travaux englobent la recherche spécialisée en évaluation, notamment représentée par les activités scientifiques de l’association savante Adméé (Association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation), ainsi que la recherche didactique.
6 Dans une démarche critique expliquée dans l’introduction et réitérée dans la conclusion, Daniel Bart cherche à identifier et à contextualiser les grandes tendances et les polémiques dans ces domaines de recherche. Le livre se divise en quatre parties pensées dans une logique d’articulation à l’aune de deux ensembles de réflexions. Chacune des trois premières parties imbriquées est composée de trois chapitres et de trois points de réflexion, explorant les approches spécialisées et les didactiques de l’évaluation en considération de trois axes majeurs. La quatrième partie de l’ouvrage n’est nullement moins importante du fait qu’elle détaille les caractéristiques d’une orientation de recherche sur l’évaluation. En effet, la première partie « Contenus et disciplines dans la recherche en évaluation et en didactique » engage une réflexion sur le rôle des contenus disciplinaires dans la recherche en évaluation et en didactique. L’auteur montre comment la recherche spécialisée en évaluation s’est principalement appliquée, de manière historique, à une étude généraliste plutôt qu’à une approche spécifique des pratiques évaluatives. Dans le domaine de la didactique, l’auteur a décrit comment les disciplines scolaires et leurs contenus ont joué un rôle central dans les fondements même de ce domaine en examinant des initiatives telles que le projet de didactique comparée, la théorie de l’action conjointe et la théorie anthropologique du didactique. L’auteur pointe également les limites et l’identité scientifiques de la recherche didactique qui peuvent être expliquées par les propositions théoriques récentes appelant explicitement à s’éloigner des cadres disciplinaires et de leurs contenus.
7 La deuxième partie « Visées descriptives et normatives dans les recherches sur l’évaluation » se focalise sur les visées descriptives et normatives dans ces domaines de recherche. Daniel Bart explique que les objectifs normatifs ou prescriptifs prévalent souvent, négligeant ainsi l’analyse des pratiques réelles promues par des approches moins influentes, notamment en ce qui concerne l’évaluation formative. Cette orientation de la recherche sur l’évaluation formative vers des objectifs nettement prescriptifs ou praxéologiques s’observe dès les travaux fondateurs et leurs polémiques avec les théorisations didactiques qui critiquaient cette manière d’aborder l’évaluation.
8 La troisième partie « Débats sur l’assimilation de l’évaluation et de la recherche » met l’accent sur les controverses méthodologiques concernant l’assimilation de l’évaluation et de la recherche. En effet, l’auteur souligne que l’influence de la propension à une certaine uniformisation des méthodologies de recherche et d’évaluation se fait sentir, à la fois dans le domaine des théories de l’évaluation et dans celui de la didactique. En matière de recherche en évaluation, cette assimilation entre recherche et évaluation se manifeste dans les approches fondamentales du domaine, où les pratiques évaluatives sont conceptualisées comme des opérations de mesure scientifique. Cette tendance se retrouve également dans les recherches plus compréhensives, qui cherchent à renforcer théoriquement et méthodologiquement les pratiques évaluatives. Dans le contexte de la didactique du français, l’auteur décrit la manière dont l’évaluation est historiquement définie en tant qu’opération de recherche-action, et comment elle tend aujourd’hui à se manifester de manière plus diffuse, notamment à travers la propension de la discipline à évaluer les écarts entre les pratiques et les modèles de recherche. En ce qui concerne la didactique des mathématiques, Daniel Bart observe qu’après une nette affirmation de la nécessité de distinguer la recherche de l’évaluation dans les approches fondamentales du domaine, les développements théoriques récents, tels que la perspective anthropologique, ont tendance à intégrer explicitement une composante évaluative des pratiques dans leurs propositions.
9 La quatrième partie, composée de sept chapitres et intitulée « Perspectives pour une description spécifique et critique de l’évaluation », est construite sur une analyse critique des modèles théoriques et des démarches institutionnelles, en mettant à l’épreuve les contenus et les cadres disciplinaires de l’école. Cette partie propose des perspectives pour une description spécifique et critique de l’évaluation en proposant sept orientations possibles. Dans cette partie, qui a pour dessein de détailler les caractéristiques de l’orientation de recherche que l’auteur envisage de développer à partir de la discussion des travaux existants, Daniel Bart cible principalement les débats théoriques dans les domaines de l’évaluation et de la didactique, en mettant particulièrement l’accent sur les discussions francophones et européennes, avec une focalisation spécifique sur la didactique du français et sur la didactique des mathématiques. L’auteur s’appuie sur une revue approfondie de la littérature théorique, principalement issue des revues de référence dans ces domaines.
10 La bibliographie exhaustive couvre environ trente pages, illustrant la richesse des travaux dans ces domaines. Il est important de rappeler que l’auteur se concentre principalement sur des travaux francophones européens, ce qui limite la considération des débats anglophones majeurs en évaluation ou encore les travaux sur l’évaluation en didactique de l’éducation physique et sportive de Marsenach ou sur l’évaluation des erreurs des élèves en didactique des sciences d’Astolfi.
11 En se penchant sur la manière dont la recherche spécialisée en évaluation, la didactique du français et la didactique des mathématiques ont abordé les questions de recherche liées aux pratiques évaluatives scolaires, l’auteur se focalise sur trois tensions scientifiques majeures, abordées dans des discussions antérieures. Ces tensions portent notamment sur la considération à accorder aux spécificités des contenus disciplinaires et aux disciplines dans l’approche théorique de l’évaluation, sur l’adoption de postures plus ou moins interventionnistes ou normatives en évaluation en lien avec les exigences politiques, administratives et professionnelles (enseignants, cadres de formation, etc.), et enfin sur la théorisation de l’évaluation, allant des approches qui la construisent comme un objet d’étude (rupture épistémologique) aux approches, qualifiées de praxéologiques émanant de la mise en œuvre même de l’évaluation (par exemple, la recherche évaluative). La confrontation proposée par l’auteur entre la recherche spécialisée et la didactique apporte ainsi un nouvel éclairage à la réflexion en mettant en évidence les difficultés et les limites épistémologiques anciennes et structurantes dans les orientations débattues. Toutefois, l’auteur évoque que certains débats moins visibles ou plus marginaux restent dans l’ombre, à juste titre les discussions sur les recherches participatives ou les demandes praxéologiques émanant des acteurs eux-mêmes dans leur volonté de travail et d’action.
12 Bien que le livre offre un renouvellement de la réflexion en montrant les difficultés et les limites épistémologiques, l’ouvrage constitue une ressource pertinente et une référence clé pour les chercheur.euses engagé.e.s dans les domaines de l’évaluation et de la didactique. La démarche descriptive et critique de l’auteur peut également intéresser la communauté scientifique au-delà de ces domaines, contribuant aux débats plus larges sur les données probantes en éducation.
13 Comme l’a souligné l’auteur, ces domaines sont actuellement en évolution constante. Néanmoins, l’approche descriptive et critique adoptée par l’auteur, notamment dans la quatrième partie, suscite également l’intérêt de la communauté scientifique au-delà du champ de l’évaluation. Le livre peut ainsi contribuer aux discussions et aux débats en éducation sur des concepts tels que les données qui échappent tant à une démonstration logique qu’à une validation directe par l’observation empirique, les preuves, l’éducation basée sur des éléments concrets, etc., remettant en question des perspectives descendantes sur les liens entre la recherche et les acteurs éducatifs. De manière significative, le livre met en lumière l’ancienneté de ces questions, comme illustré dans la deuxième partie, abordant des aspects tels que la normativité et l’« applicationnisme ».
14 Bien que les développements avancés à la croisée de l’évaluation et de la didactique soient substantiels et complexes, en particulier grâce à la mise en relation argumentée et critique entre les courants de recherche et les auteurs, une impression paradoxale peut émerger en raison d’une certaine « compression des débats ». Le traitement de trois questions majeures, à savoir la richesse, la diversité et les nuances, ainsi que les incertitudes dans les approches, contribue à rendre plus explicites les tensions historiques et structurantes des débats de recherche, en s’interrogeant sur la minimisation de ces aspects.
15 En résumé, l’ouvrage offre une analyse approfondie des débats historiques et structurants dans les domaines de l’évaluation et de la didactique. En établissant un dialogue entre les théories de l’évaluation et les approches didactiques (français et mathématiques) pour mieux comprendre les problèmes liés aux dispositifs et aux pratiques d’évaluation scolaire, en mettant l’accent sur le traitement des disciplines et des contenus d’enseignement vise à expliciter et à promouvoir son appropriation collective et son débat voire modèle théorique mais aussi à remettre constamment en question les évidences et les limites de la littérature spécialisée sur l’évaluation. C’est peut-être ce que d’autres travaux développeront en s’emparant des analyses proposées par le livre de Daniel Bart.