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Article de revue

Une typologie du dialogue en philosophie pour enfants examinée à partir d’un modèle d’analyse de l’éducation éthique

Pages 113 à 122

Notes

  • [1]
    Voir : Bouchard (2017), Bouchard, Daniel & Desruisseaux (2017), Daniel, Bouchard & Desruisseaux (2013), Bouchard, Desruisseaux & Daniel (2013), Desruisseaux, Bouchard, Gendron & Daniel (2013), Gendron, Bouchard, Desruisseaux & Daniel (2013).
  • [2]
    Dit autrement, il ne réfère pas à une philosophie académique (culturelle, fonctionnaliste, rationaliste), psychologique (cognitive, sociocognitive, comportementale), sociale (sociocritique, sociocommunautaire, éco-sociale) ou encore humaniste (de l’épanouissement personnel, de la croissance interpersonnelle).

Introduction

1Dans le cadre de travaux de recherche menés sur l’éducation éthique dans la francophonie, les orientations majeures de programmes du curriculum officiel (de la France, du Québec et de la Belgique) dont une éducation au vivre-ensemble est attendue ont été analysées dans le but de faire émerger un modèle d’analyse de l’éducation éthique [1]. De cette recherche, un modèle en sept composantes a émergé : les trois composantes simples Éducation à la société (ES), Formation personnelle (FP) et Éducation à l’autre (EA) et les quatre composantes à l’intersection de ces dernières (FP/EA, FP/ES, EA/ES et FP/EA/ES). Ce modèle a ensuite été vérifié et validé à l’aide d’autres programmes et contextes dont ceux de l’Angleterre (Bouchard, soumis) et de l’Organisation internationale de la Francophonie et du Burundi (Bouchard & Desruisseaux, 2013). Une première validation théorique a également été réalisée à partir du concept de dignité humaine (Bouchard, 2017). Dans la poursuite de nos travaux et de notre réflexion, nous nous sommes demandé si ce modèle pouvait nous permettre de situer et mieux comprendre les types d’échanges favorisés en classe de PPE, plus spécifiquement, la typologie des échanges de Daniel et ses collègues.

2À l’occasion d’autres travaux de recherche menés en classe de Philosophie pour enfants (Daniel 2013, 2016 ; Daniel & Delsol, 2010 ; Daniel et al., 2005), les échanges dialogiques entre des enfants-philosophants ont été analysés par le moyen de la théorie ancrée dans le but de faire émerger une typologie desdits échanges. Les analyses ont révélé une progression dans les échanges en communauté de recherche dès lors que les enfants ont l’occasion de participer périodiquement à des ateliers de PPE. Cette progression, ou typologie, se déploie en cinq types d’échanges : l’anecdotique, le monologique, le dialogique non-critique, le dialogique quasi-critique et le dialogique critique (Daniel & Delsol, 2010 ; Daniel et al., 2005).

3Si nous examinons cette typologie des échanges à partir du modèle d’analyse évoqué plus haut, que peut-il en être de la contribution de la praxis philosophique en matière d’éducation éthique ? Plus spécifiquement, quel apport à l’éducation éthique se dégage lorsque nous examinons ces cinq types d’échanges à l’aide du modèle d’analyse en sept composantes de Bouchard et ses collègues (Bouchard, 2017 ; Bouchard et al., 2017) ? Telle est la question centrale à laquelle s’attarde le présent texte.

4Ainsi, après une présentation du modèle d’analyse de l’éducation éthique en sept composantes, suivra une présentation de chaque type d’échanges et de leur rapport avec l’une ou l’autre composante dudit modèle. En synthèse, nous discuterons de l’apport à l’éducation éthique qui s’en dégage et des conclusions que nous en tirons.

Un modèle d’analyse de l’éducation éthique

5Soulignons d’emblée que si, étymologiquement, les termes « éthique » (êthos) et « morale » (mos, mores) font tous deux référence aux mœurs et aux comportements et si, de nos jours, l’éthique évoque plutôt un travail d’énonciation (pôle de la réflexion éthique, de la délibération et du débat) et la morale la codification balisant l’agir humain (Bouchard, Daniel & Desruisseaux, 2017 ; Bourgeault, 2004), dans ce texte l’usage du terme éthique désigne ces deux sens du terme. De plus, puisque la fonction de notre modèle d’analyse de l’éducation éthique est de faire émerger les différents portraits possibles, celui-ci n’emprunte pas à un cadre philosophique préétabli ni à une philosophie particulière de l’acte éducatif (Bertrand, 2014 [2]). Notre modèle a pour fonction d’« élaborer des hypothèses explicatives à propos d’une réalité donnée, en vue de comprendre et d’expliquer cette réalité » (Roegiers, 1997 : 61). Il ne réfère donc pas une perspective ou un courant particulier de l’éthique ou de l’éducation éthique, car il n’a pas pour tâche d’évaluer la proximité ou l’éloignement en rapport avec un cadre déterminé a priori.

6Tel que mentionné plus haut, le modèle d’analyse que nous avons développé se présente en sept composantes : trois composantes simples et quatre composantes maillées.

La composante Formation personnelle (FP)

7Elle s’intéresse à la connaissance et à l’estime de soi. Cette composante réfère à l’unicité du sujet. L’identité personnelle, l’idéal moral de la personne, la pensée critique, les valeurs personnelles, le questionnement existentiel font partie de cette composante. Il s’agit de l’être en voie d’émancipation et sa recherche de vie bonne pour soi. Le dialogue intérieur, l’organisation de sa pensée, l’élaboration de son point de vue, l’acquisition d’une pensée autonome, critique et créatrice, s’interroger sur sa démarche, ses perceptions, ses préférences, sont au nombre des apprentissages se classant dans cette composante.

La composante Éducation à l’autre (EA)

8Elle met l’accent sur l’altérité, sur l’acquisition de connaissances ou la construction de savoirs à propos de l’autre/des autres (différents de soi), sur l’identité des personnes et des groupes et à la vie qu’ils mènent pour eux-mêmes. Il s’agit de la connaissance de l’autre dans ses particularités, de son histoire. Cette composante est celle de l’éducation à la diversité, aux cultures, aux ethnies, aux croyances, aux différences. Des apprentissages tels que connaître et analyser des expressions culturelles, ethniques, religieuses, de personnes et de groupes (écologistes, handicapées, immigrants, etc.), en saisir la complexité et en percevoir les différentes dimensions se classent dans cette composante.

La composante Éducation à la société (ES)

9Elle met l’attention sur la connaissance de ce qui nous structure socialement, sur l’enseignement de ce qui est affirmé comme étant commun à l’ensemble d’une société : valeurs communes, bien commun, règles de civisme, normes juridiques et sociales, droits et chartes, institutions publiques, etc. Connaître les valeurs fondamentales de la société, les principes fondamentaux de l’État, des références historiques justifiant ces principes, des textes de droit civique, apprendre les règles sociales par des maximes et adages juridiques sont parmi les apprentissages se situant dans cette composante.

La composante Formation personnelle/Éducation à l’autre (FP/EA)

10Elle met l’attention sur la qualité des relations interpersonnelles, interindividuelles, entre individus différents. Cette composante suppose une éducation à ce qui participe de notre interdépendance les uns envers les autres, dans une reconnaissance affective d’attention et de bienveillance, d’amour, d’amitié, de sollicitude. Se préoccuper des autres, s’en soucier, faire preuve d’empathie, montrer de l’estime pour l’autre, prendre en considération les sentiments, les perceptions, les besoins de l’autre font partie des apprentissages de cette composante.

La composante Formation personnelle/Éducation à la société (FP/ES)

11Elle met l’accent sur la personne en tant que citoyen, membre d’une société, sur le citoyen qui participe au questionnement sur des normes et leur application, bref dans son rapport à ce qui nous structure socialement. Il s’agit d’une éducation à la participation publique, à la délibération démocratique, à la responsabilité citoyenne et au respect de la singularité et de l’égalité des personnes qui apportent des arguments dans la discussion. Elle fait intervenir l’histoire, le droit et la recherche de justice. Interagir avec les autres et exprimer son point de vue en s’appuyant sur des raisons, des arguments, délibérer avec les autres en vue d’adopter des attitudes et des comportements favorables au vivre-ensemble, se mettre réflexivement à la place de l’autre, accorder un respect égal aux personnes dans l’espace de délibération sont au nombre des apprentissages inhérents à cette composante.

La composante Éducation à l’autre/Éducation à la société (EA/ES)

12Elle s’intéresse conjointement aux rapports entre des personnes ou des groupes particuliers et le cadre commun de la société. La solidarité et l’estime sociales, la connaissance des effets de certaines lois sur des personnes et des groupes minorisés, l’importance des lois pour encadrer et limiter les actions de personnes et de groupes pouvant compromettre la paix et la vie en société, comprendre les tensions entre le cadre social commun et des revendications de groupes de la société civile, représentent des types d’apprentissages se situant dans cette composante.

La composante Formation personnelle/Éducation à l’autre /Éducation à la société (FP/EA/ES)

13Elle est celle de l’interrelation entre le soi, l’altérité et la société. Dans cette composante, le mieux-être et le mieux-vivre des personnes, des communautés et en société, sont intrinsèquement liés. Les aspects libérateur, prohibitif et relationnel de la dignité humaine, par exemple, sont pensés ensemble. Ainsi, apprendre à examiner les effets des options ou actions possibles sur soi, sur les autres et sur la société, la formation d’une identité ouverte à l’altérité à l’intérieur d’un système démocratique, se situent dans cette composante.

14Le schéma 1 donne une vue d’ensemble du modèle d’analyse que nous venons de présenter.

Schéma 1 : Modèle d’analyse de l’éducation éthique en sept composantes

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Schéma 1 : Modèle d’analyse de l’éducation éthique en sept composantes

15Examinons maintenant la typologie des échanges entre philosophants résultant des travaux de Daniel et ses collègues à l’aide de ce modèle d’analyse.

La typologie des échanges entre philosophants et les composantes du modèle d’analyse de l’éducation éthique

16À l’occasion de travaux de recherche réalisés dans le cadre de l’approche de PPE en classe du primaire (Daniel et al., 2005) et du préscolaire (Daniel & Delsol, 2010), le verbatim des échanges entre les enfants a été analysé dans le but de faire émerger une typologie de la progression desdits échanges. Si au départ les échanges entre les enfants-philosophants sont de l’ordre de l’anecdotique puis du monologique, ils passent ensuite vers le dialogique. Dans un premier temps apparaît le dialogique non-critique, puis vient le dialogique quasi-critique et, enfin, le dialogique critique. Dans ce qui suit, nous présentons chacun de ces types d’échanges pour ensuite les situer à l’intérieur des composantes du modèle d’analyse de l’éducation éthique.

Les échanges anecdotique et monologique

17En début de praxis philosophique, l’échange n’est pas encore dialogique au sens où il n’y a pas de processus de réflexion critique avec leurs pairs pour résoudre un problème, traiter une question.

18Il est appelé anecdotique lorsque les élèves parlent de façon non structurée à propos de situations particulières, relatent tour à tour leur expérience personnelle, chacun ramenant la question à sa situation particulière. L’échange prend la forme d’une narration d’anecdotes personnelles qui sont adressées à l’enseignante, et qui sont formulées en « je » ou en « mon/ma ». L’expression du « je » y est particulièrement présente, et ce, même lorsque la question de l’enseignante est plus générale et concerne un tiers (« il »).

19Ce type d’échange s’inscrit dans la composante Formation personnelle (FP) puisqu’il s’agit de la sphère du soi. Il s’agit par ailleurs simplement d’une succession d’anecdotes personnelles sans manifestation d’une réflexion personnelle appelant à un jugement de préférence ou de valeur et visant la recherche de la vie bonne pour soi. Il n’y a pas non plus d’interrelation où, par exemple, il y aurait réceptivité d’une anecdote personnelle, reconnaissance affective, écoute, attention, empathie, tel qu’il en est de la composante relationnelle de l’éducation éthique Formation personnelle/Éducation à l’autre (FP/EA).

20Lorsque l’enseignante guide les élèves de manière à recentrer l’échange autour d’une question posée par un autre élève, les élèves se décentrent de leurs expériences personnelles et cherchent à répondre à la question. Ils se questionnent, cherchent « la » bonne réponse, soit la réponse qui serait attendue et récompensée par l’enseignante. Ce type d’échange est alors appelé monologique car les élèves n’échangent toujours pas entre eux. Chaque intervention de l’élève est indépendante de celles des autres et est généralement simple et descriptive.

21L’échange monologique s’inscrit donc aussi dans la composante FP mais dans sa dimension réflexive plutôt qu’expérientielle : les élèves réfléchissent personnellement à la question et de manière plus décentrée et généralisée même s’ils sont en quête de la réponse de l’enseignante. Si dans ce type d’échange l’enseignante en venait à encourager l’une des réponses des élèves (ce qui irait à l’encontre de son rôle en PPE), elle encouragerait à préférer ce qui est valorisé par l’autorité et nous serions alors dans la composante Éducation à la société (ES) de l’éducation éthique.

Les échanges dialogiques non-critique, quasi-critique et critique

22Quel que soit l’âge des élèves, après quelques semaines ou mois de praxis, et dans la mesure où l’enseignante favorise la mise en relation des énoncés des élèves les uns avec les autres, ces derniers commencent à écouter les points de vue des pairs et à les comprendre pour construire leur propre point de vue et l’exprimer. L’échange devient alors dialogique.

23D’abord dialogique non-critique, l’échange engage les élèves dans une co-construction de points de vue respectant les différences d’opinion et la diversité des perspectives. Dans ce type d’échange, les relations entre les points de vue sont justifiées mais essentiellement convergentes.

24Dans un esprit de respect des différences, l’échange dialogique non-critique est très valorisé en classe. Dans ce type d’échange, les élèves écoutent attentivement et cherchent à comprendre le point de vue de leurs pairs avant de formuler leur propre point de vue et de l’exprimer de manière à converger vers les idées de leurs pairs. L’échange dialogique non-critique se situerait donc dans la composante relationnelle Formation personnelle/Éducation à l’autre (FP/EA) de l’éducation éthique car il y a un début d’interdépendance dans le dialogue entre les élèves qui forment, graduellement, une communauté de recherche. Ainsi l’écoute active de l’autre, les relations convergentes qu’ils établissent avec les propos de ces derniers montrent qu’ils sont ouverts et soucieux de ne pas blesser l’autre par une contradiction, voire une divergence d’opinion. Les élèves éviteront donc de critiquer les points de vue des pairs même lorsqu’une intervention s’appuie sur des erreurs logiques ou encore sur des préjugés, des stéréotypes, etc. Le rôle de l’enseignante en PPE consiste alors à stimuler l’échange entre les élèves vers des dimensions critiques, ce qui mène à des échanges dialogiques quasi-critique et critique − notamment par des questions ouvertes à visée philosophique (Daniel, 2013).

25L’échange dialogique est appelé quasi-critique lorsque, dans un contexte de co-construction des points de vue dans une communauté de recherche, des élèves « osent » remettre en question les énoncés des pairs mais ces derniers ne sont pas suffisamment ouverts à la critique pour être influencés par elle. Ainsi la critique ne sert pas à l’amélioration de la perspective initiale, que l’élève conserve, même devant des oppositions justifiées des pairs.

26Par ailleurs, dans l’échange dialogique quasi-critique, il y a co-construction des points de vue et modification de la perspective initiale chez certains élèves, bien que certains autres ne se laissent pas influencer par les propos des pairs ; ils demeurent fermés à la co-construction en conservant leur position initiale. Si dans cet échange les propos qui demeurent non-critiques restent dans la composante FP, ceux qui participent à la co-construction et mènent à la modification de la perspective initiale, se situent plutôt dans la composante Formation personnelle/Éducation à la société (FP/ES). De fait, dans ce type d’échange, les élèves interagissent les uns avec les autres, délibèrent avec les autres. Ce faisant, ils s’initient à la réflexion en commun et à la délibération démocratique.

27Enfin, avec une praxis régulière du dialogue en communauté de recherche stimulé par l’enseignante, l’échange entre les élèves devient dialogique critique. Ce type d’échange est caractérisé par l’ouverture face à la divergence des points de vue, la capacité de prioriser (les points de vue, les critères, les informations reçues, etc.) et la capacité de porter un jugement critique et responsable sur des faits et des valeurs en vue d’un objectif commun ou un bien commun. Dans ce type d’échange, les philosophants considèrent les pairs comme des partenaires différents et nécessaires à l’enrichissement de leurs propres points de vue. La critique (à savoir le doute, la recherche de critère, la nuance, la divergence, etc.) est recherchée pour elle-même car elle permet de cheminer ensemble dans la compréhension d’un problème commun. Des élèves de la fin du primaire qui bénéficient d’une praxis philosophique depuis plus de deux ans parviennent même à dialoguer entre eux de manière critique sans avoir besoin du support de l’enseignante (Daniel et al., 2005).

28Pour que l’échange soit dialogique critique, l’expression d’une pensée critique et autonome sous-tendant la réception des propos de l’autre, l’ouverture à la diversité des points de vue et l’intérêt pour l’amélioration d’un objectif ou d’un bien commun doivent être présents. Ce type d’échange se situe donc dans la composante Formation personnelle/Éducation à l’autre/Éducation à la société (FP/EA/ES) de l’éducation éthique puisqu’il sollicite simultanément des habiletés et attitudes qui sont de l’ordre de la FP (par exemple la pensée critique, l’élaboration de son point de vue), de la FP/EA (par exemple la prise en considération des perspectives des autres, l’enrichissement et l’interdépendance mutuels) et de la FP/ES (la délibération démocratique).

Synthèse et conclusion

29Tel que le résume le schéma 2, les types d’échange dans la typologie de Daniel montrent que le développement des habiletés à échanger en communauté de recherche en PPE peut contribuer à une éducation éthique où la formation personnelle est toujours présente. De fait, toutes les composantes du modèle où la formation personnelle est présente sont représentées, soit : FP, FP/EA, FP/ES et FP/EA/ES.

Schéma 2. Le modèle d’analyse de l’éducation éthique et la typologie des échanges en PPE

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Schéma 2. Le modèle d’analyse de l’éducation éthique et la typologie des échanges en PPE

30D’abord, l’animation de la communauté de recherche philosophique favorise une éducation éthique centrée sur deux dimensions de la personne en tant que sujet en émancipation (FP) : son expérience et sa réflexion personnelles. Progressant vers l’apprentissage de l’écoute de l’autre, l’animation du dialogue favorise alors une éducation éthique centrée sur le souci de ne pas blesser (FP/EA). Puis, recherchant le développement de l’esprit critique, l’animation du dialogue encourage ensuite une éducation éthique initiant à la délibération démocratique entre citoyens égaux (FP/ES). Enfin, avec une régularité de la praxis dialogique dans un groupe d’élèves ayant développé ces différentes habilités, l’échange contribue à une éducation éthique où le dialogue permet simultanément la prise en considération de son point de vue et de la diversité des points de vue en vue d’un objectif ou d’un bien commun. Même si ce ne sont pas tous les aspects pouvant être présents dans les composantes représentées qui sont stimulés − ex. : l’identité personnelle (FP), la sollicitude (FP/EA), la participation publique (FP/ES), le mieux-être des communautés (FP/EA/ES) −, la pratique du dialogue en communauté de recherche ne néglige aucune des composantes de l’éducation éthique en matière de formation personnelle. En résumé, les résultats montrent que les échanges dialogiques − développés avec l’approche lipmanienne et identifiés par Daniel − contribuent au développement de la pensée critique et responsable et au dialogue critique et démocratique. Ils montrent aussi l’importance de la progression vers le dialogue critique pour éviter l’enfermement sur soi, voire la complaisance à l’égard de soi, à l’abri de l’interpellation de la confrontation, pour paraphraser Bourgeault (2012 : 113-114) et de glisser dans la tolérance à tout prix.

31Par ailleurs, les composantes EA, EA/ES et ES de l’éducation éthique ne sont pas sollicitées dans ces échanges. Une hypothèse qui pourrait expliquer ce résultat est que le dialogue philosophique (ou critique) entre pairs est un moyen proposé par Lipman et ses collègues pour former des jeunes à l’esprit critique afin d’améliorer la qualité de l’expérience individuelle et sociale (Lipman, 2003 ; Lipman et al., 1980) mais sans solliciter les contenus. Nous entendons ici l’histoire et l’identité des personnes et des groupes et la vie qu’ils mènent pour eux-mêmes (EA), par exemple, la connaissance et l’analyse de diverses expressions culturelles. Nous entendons également ce qui nous structure socialement (ES), notamment les règles de civisme, les droits et les devoirs. Cela étant, cette approche ne permet pas de s’attarder aux rapports entre la diversité et le cadre social commun (EA/ES) (tensions, enrichissement, droits et obligations, accommodements par exemple).

32À cet égard, dans la poursuite de notre réflexion, l’analyse d’autres approches avec ce même modèle en sept composantes éthiques serait indiquée. Pensons par exemple aux approches narrative, interculturelle, multiculturelle, de la sollicitude, de la discussion, des conflits moraux, de la reconnaissance, etc. dont l’analyse permettrait d’identifier l’apport de chacune à l’éducation éthique et la complémentarité entre ces dernières.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bertrand Y. (2014) Les philosophies contemporaines de l’acte éducatif. Paris : Éditions Fabert.
  • Bouchard N., Desruisseaux, J.-C & Daniel M.-F. (2013) « Éducation éthique et formation au vivre-ensemble dans la différence : émergence d’un modèle d’analyse des programmes éducatifs » – Les Dossiers du GREE, Série 2, Éducation éthique 1 (5-15).
  • Bouchard N. (2017) « La reconnaissance de la dignité humaine interprétée à partir d’un modèle d’analyse de l’éducation éthique : un parcours en sept composantes » − Éthique en Éducation et en Formation, Les Dossiers du GREE 3 (122-136).
    https://gree.uqam.ca/upload/files/Articles/LDG_3.2017.pdf
  • Bouchard N., Danel M.-F. & Desruisseaux J.-C. (2017) « L’éducation éthiquedans les orientations du programme québécois « Éthique et culture religieuse » : une éducation au vivre-ensemble ? » − Éducation et Francophonie XLVI, 1 (60-88).
    http://www.acelf.ca/c/revue/resume.php?id=584#.WWbNYFHkXIU
  • Bouchard N. (soumis) « Ethics education in religious education. Analysis of the major orientations found in England’s National Framework for RE » − Religion & Education (32 p.)
  • Bourgeault G. (2004) Dit et non-dit, contredit, interdit. Québec : PU du Québec.
  • Bourgeault G. (2012) « Éthique professionnelle et réflexivité : quelle connivence ? » – in : M. Tardif, C. Borgès et A. Malo (éds.) Le virage réflexif en éducation. Où en sommes-nous 30 ans après Schön ? (107-120). Bruxelles : De Boeck.
  • Daniel M.-F. (2013) « Pensée critique : pourquoi et comment faire progresser la pensée des élèves au-delà du relativisme ? » − Diotime 57.
    http://www.educ-Revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=45119
  • Daniel M.-F., Bouchard N. & Desruisseaux J.-C. (2013) « L’éducation éthique en France : une analyse des programmes officiels » − Diotime 58.
  • Daniel M.-F. (2016) « La nécessaire praxis du dialogue et de la pensée critique en classe » − Recherches en Éducation 24 (10-22).
    http://www.recherches-en-education.net/?lang=fr
  • Daniel M.-F., Lafortune L., Pallascio R., Splitter L., Slade C. & de la Garza T. (2005) « Modeling the development process of dialogical critical thinking in pupils aged 10 to 12 years » – Communication Education 54, 4 (334-354).
  • Daniel M.-F. & Delsol A. (2010) « Apprendre à dialoguer de manière critique en maternelle. Une étude de cas québécoise » − Psychologie de l’Interaction, Numéro spécial : Les interactions à l’école : Où en sommes-nous ? (64-97).
    http://www.scirp.org/Journal/PaperInformation.aspx?paperID=6707
  • Desruisseaux J. C., Bouchard N., Gendron C. & Daniel M.-F. (2013) « L’éducation au vivre-ensemble dans la différence dans le programme de morale, secondaire, Wallonie-Bruxelles » − Entre-Vues.
    http://www.entre-vues.net/LinkClick.aspx?fileticket=Bvwqw9BLGI0%3d&tabid=622
  • Gendron C., Bouchard N., Desruisseaux J.-C. & Daniel M.-F. (2013) « Le vivre-ensemble dans le programme de morale fondamental de la Wallonie-Bruxelles » − Entre-Vues.
    http://www.entre-vues.net/LinkClick.aspx?fileticket=7Wint1h83Xc%3d&tabid=622
  • Lipman M. (2003) Thinking in education. Cambridge (MA) : Cambridge UP.
  • Lipman M., Sharp A. & Oscanyan F. (1980) Philosophy in the classroom. Philadelphia (PA) : Temple UP.
  • Roegiers X. (1997) Analyser une action d’éducation ou de formation : analyser les programmes, les plans et les projets d’éducation ou de formation pour mieux les élaborer, les réaliser et les évaluer. Bruxelles : De Boeck.

Notes

  • [1]
    Voir : Bouchard (2017), Bouchard, Daniel & Desruisseaux (2017), Daniel, Bouchard & Desruisseaux (2013), Bouchard, Desruisseaux & Daniel (2013), Desruisseaux, Bouchard, Gendron & Daniel (2013), Gendron, Bouchard, Desruisseaux & Daniel (2013).
  • [2]
    Dit autrement, il ne réfère pas à une philosophie académique (culturelle, fonctionnaliste, rationaliste), psychologique (cognitive, sociocognitive, comportementale), sociale (sociocritique, sociocommunautaire, éco-sociale) ou encore humaniste (de l’épanouissement personnel, de la croissance interpersonnelle).
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