Couverture de SPEC_006

Article de revue

Quelles perspectives pour les jeunes migrants isolés ?

Pages 178 à 187

Notes

  • [1]
    Barreyre J.-Y., Fiacre P., Joseph V. et Makdessi Y., Une souffrance maltraitée. Parcours et situation de vie des jeunes dits incasables, Oned, 2009, disponible sur Internet : http://www.cairn.info (consulté le 20 mars 2013).
  • [2]
    Entretien fait le 11 mars 2013 à l’Antenne jeunes Flandre.
  • [3]
    L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) est une mesure administrative d’éloignement des étrangers prévue par l’article L.511-1 du code de l’entrée de séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette mesure peut être prise par le préfet dans plusieurs situations: refus de la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour, retrait du titre de séjour, retrait de l’autorisation provisoire de séjour. Le délai est d’un mois pour quitter volontairement le territoire français, ou pour demander l’annulation de cette mesure d’éloignement. Cf. http://www.cimade.org (consulté le 20 mars 2013).
  • [4]
    Tous les entretiens ont été faits entre le 26 et le 29 mars 2013 à l’Antenne jeunes Flandre. Les prénoms des jeunes interviewés ont été modifiés.

1 Les jeunes migrants isolés en difficulté sociale sont confrontés à l’exclusion dans la vie quotidienne. Ce phénomène d’exclusion peut les conduire à une rupture du lien social. De plus, ils doivent faire face à des difficultés d’accès à l’hébergement, aux soins, à l’emploi, et à l’éducation. Ils se retrouvent parfois en marge de la société. Pour construire des liens sociaux, les institutions, les associations et les professionnels constituent des moyens privilégiés. Dans ce scénario, quelles réponses peuvent donner les professionnels aux jeunes migrants isolés en grande difficulté économique et administrative ? Quel type d’acteurs faut-il mobiliser à cet égard ? Voici quelques questions qui orienteront notre enquête au cœur d’un lieu d’information et de rencontre fréquenté par des jeunes venus du monde entier.

Un lieu d’accueil pour les jeunes

2 Il s’agit de l’Antenne Jeunes Flandre au XIXe arrondissement de Paris, en plein cœur du secteur Flandre, un des trois quartiers de la politique de la ville. Située au 49 avenue de Flandre, entre le métro Stalingrad et Riquet. Depuis son ouverture, cette structure est devenue un lieu incontournable pour un grand nombre de jeunes âgés entre seize et vingt-cinq ans qui souhaitent avoir des informations concernant l’insertion professionnelle, et les dispositifs d’aides pour les jeunes à Paris. Ils désirent participer aux différents ateliers artistiques ou linguistiques proposés par la structure. C’est aussi pour rencontrer des amis dans ce nouveau pays qu’ils espèrent intégrer et découvrir. Parmi ces jeunes, nous avons rencontré une population ayant un parcours de vie différent par rapport aux autres : les jeunes migrants isolés. Confrontés à leurs situations juridiques et sociales très complexes, les professionnels qui travaillent au sein de l’Antenne Jeunes Flandre se sentent parfois démunis dans leur mission d’information et d’orientation. La méconnaissance de la problématique des jeunes migrants de la part des acteurs sociaux présents sur le territoire, un cadre juridique très instable concernant la migration, et des dispositifs de prise en charge insuffisants ou pas adaptés aux besoins des jeunes, font partie du quotidien des travailleurs sociaux chargés de l’information d’un public considéré comme incasable [1] par les services sociaux. Conçu au départ comme un lieu d’information et d’orientation des jeunes, l’Antenne Flandre a dû diversifier ses missions afin de répondre aux besoins des jeunes migrants isolés, un public qui n’hésite pas à s’approprier des lieux où il se sent accueilli. Les travailleurs sociaux de la structure ont été obligés d’adapter leurs pratiques professionnelles afin de pouvoir répondre aux besoins des jeunes. Ils pratiquent de manière informelle un travail de suivi personnalisé des jeunes migrants afin de pallier la manque de prise en charge. Ces jeunes viennent de manière libre, anonyme, gratuite et sans rendez-vous préalable. Un lieu idéal pour les quarante ou cinquante jeunes qui fréquentent l’Antenne Jeunes chaque jour, cinq jours par semaine. Dans l’Antenne, on peut remarquer un grand nombre qui investit l’espace. Certains sont plongés dans la rédaction d’un Curriculum Vitae qui leur permettra de décrocher une formation ou un stage, d’autres dans la constitution d’un dossier administratif. Un groupe d’adolescents s’adresse aux professionnels pour connaître la procédure à faire pour la scolarisation d’un jeune mineur. Une réunion d’information informelle s’improvise avec les professionnels sur fond d’appels téléphoniques incessants. D’autres jeunes entrent, sortent et discutent de solutions pour faire face à leur quotidien difficile.

Des jeunes vivants sous le seuil de pauvreté à Paris

3 Derrière cette ambiance souvent allègre, on aurait du mal à imaginer les difficultés rencontrées par ces jeunes, et plus particulièrement par les jeunes migrants isolés qui passent une bonne partie de leurs journées à l’Antenne Jeunes Flandre. Touchés par des difficultés d’ordre économique et social dans leur pays d’origine, ces jeunes ont pris la décision de fuir leur pays. Sans argent, sans un réseau social ou familial qui puisse les aider et en l’absence d’une structure ou un dispositif pour les prendre en charge dans l’immédiat ou à court terme, ils squattent l’Antenne. Youri Khelifi, animateur et médiateur de l’Antenne Flandre, nous confie qu’ils ont de grandes difficultés pour répondre aux besoins des jeunes migrants. D’une part, leur situation économique, sociale et administrative en France est très diverse et implique une connaissance assez vaste en termes juridiques, des dispositifs existants et de la mobilisation des acteurs sociaux qui puissent les informer de manière plus pertinente. D’autre part, la méconnaissance de la problématique des jeunes migrants par les professionnels présents sur le territoire, ainsi que des dispositifs insuffisants ou non adaptés à leur besoin, entraînent un manque de prise en charge et en quelque sorte, un abandon de cette population à son sort.

4 « À l’Antenne Flandre, à la différence des structures comme la mission locale, nous ne sommes pas censés faire un suivi des jeunes, mais nous le faisons. Étant donné qu’il s’agit de jeunes migrants qui ne sont suivis par personne, nous nous retrouvons à faire des dossiers sur chaque jeune. Ils sont dans une situation incasable où aucune structure ne peut les accueillir parce qu’ils n’ont plus ou ils n’ont pas eu de prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance [2]». Parmi les jeunes qui fréquentent l’Antenne, une grande partie doit faire appel au 115 (Samu social destiné à répondre aux demandes d’hébergement d’urgence). Quelques-uns sont hébergés de façon temporaire dans des foyers, d’autres où ils peuvent (gare, parc, squat). Ils prennent leurs repas auprès des institutions qui distribuent des plats gratuits, parfois ils ne font qu’un seul repas par jour. La plupart des jeunes vont constituer ou ont déjà déposé un dossier de demande d’asile. Plusieurs mois d’attente sont nécessaires avant d’obtenir une réponse de la préfecture, et ils risquent en attendant de recevoir une ordonnance de quitter le territoire français (OQTF) [3] avec obligation d’exécution.

5 La présence des jeunes migrants isolés à l’Antenne, qui représentent plus d’un tiers de la population accueillie, peut être expliquée par les liens qui ont été tissés avec les bénévoles et les acteurs sociaux présents sur le territoire et aussi par la présence dans le quartier d’une permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés (PAOMIE) gérée par France terre d’asile (FTDA). Souvent, ces jeunes migrants sont envoyés vers l’Antenne par le groupe de juristes de la PAOMIE pour une première prise en charge, afin qu’ils bénéficient des dispositifs destinés à l’apprentissage de la langue française (cours d’alphabétisation et de FLE). Mis à part l’information générale dispensée par l’antenne, il existe différents types d’ateliers et d’activités qui ont pour but de répondre aux besoins des jeunes. À cet égard, l’offre culturelle et pédagogique est faite en fonction des besoins repérés dans le quartier et des compétences mises à disposition par les acteurs sociaux impliqués dans ce travail. Par exemple, la mise en place des ateliers de français langue étrangère (FLE) et d’alphabétisation ont été possible grâce au travail en partenariat avec l’association Kolone et France terre d’asile. Une importance particulière est attribuée à la problématique des jeunes migrants qui fréquentent l’Antenne Flandre. D’ailleurs, la présence d’une médiatrice culturelle au sein de la structure a mis en avant un travail axé sur la culture comme un moyen d’intégration, de mixité et de cohésion sociale entre les jeunes. Ainsi les projets culturels menés entre les jeunes primo-arrivants et les jeunes migrants qui vivent en France depuis plusieurs années, ont pour objectif de les sensibiliser au champ culturel et de promouvoir l’échange entre jeunes de cultures différentes. Dans ce sens, les acteurs sociaux ont une marge de manœuvre assez large leur permettant d’adapter et d’améliorer le travail institutionnel.

Le paradoxe des dispositifs : entre l’aide et l’exclusion !

6 Une importante problématique soulevée par les professionnels rencontrés est l’inexistence de dispositifs adaptés aux difficultés particulières des jeunes migrants isolés. L’ASE, structure chargée d’assister les jeunes jusqu’à leur vingt et un ans, a de grandes difficultés à insérer ces jeunes, notamment avec les programmes d’insertion et les conditions d’accès au contrat jeune majeur. À cela il faut ajouter le manque de moyens financiers mis à disposition par le département. Au manque de prise en charge des jeunes migrants se rajoute une contradiction entre les différents dispositifs destinés aux jeunes. Souvent, l’ASE propose une insertion socioprofessionnelle à court terme en proposant des formations de courte durée (six mois environ) à ces jeunes en grande difficulté sociale, afin de les insérer rapidement dans le marché du travail. À la fin de cette formation semi-professionnelle, l’ASE peut éventuellement proposer un contrat jeune majeur, mais ce n’est pas toujours le cas. D’après l’expérience des professionnels à l’Antenne Flandre, la scolarisation reste le meilleur moyen d’insertion professionnelle de ces jeunes, avec un diplôme reconnu et valorisé par l’État (baccalauréat professionnel, CAP).

Une gestion des dispositifs d’aides défaillantes ?

7 Les jeunes bénéficiaires du dispositif contrat jeune majeur vont rentrer dans une spirale de précarité latente, dans le sens où le renouvellement de leur contrat est de durée relativement courte (un à six mois). De plus, l’échéance de leur contrat est établie en fonction du niveau d’engagement et d’autonomie constatés par le travailleur social au sein de l’ASE. L’incertitude du lendemain, l’appréhension quant au renouvellement ou non du contrat, voire un décalage complet entre l’exigence du contrat et la situation du jeune, sont des exemples de situations angoissantes perçues par les travailleurs sociaux. Les difficultés rencontrées par les jeunes migrants isolés en termes d’insertion sociale sont de plusieurs ordres : leurs situations administratives, l’absence d’un permis de séjour provisoire ou d’un titre de séjour et leur faible parcours scolaire, rendant ainsi leur insertion sociale très difficile voire impossible.

Expériences de vie des jeunes migrants à Paris

8 Pourquoi des jeunes immigrent clandestinement vers la France au risque de perdre leur vie ? Qu’est-ce qui les pousse à partir ? Ils parlent souvent du rêve de vivre en France, ils parlent aussi de l’oncle, du frère ou du copain qui est parti vers la France et qui a réussi à avoir un travail. Pour eux, quitter la misère ou la guerre dans leur pays représente d’une part la fin de leurs souffrances et d’autre part un nouvel espoir de réussite. Les jeunes immigrent pour avoir une vie meilleure et une fois le pays atteint, ils doivent s’adapter à leur nouvel environnement, aux règles et aux lois du pays d’accueil. Après plusieurs contacts sur le terrain, quelques jeunes ont accepté de partager leurs expériences et de nous raconter les diverses situations qu’ils doivent affronter au jour le jour à Paris [4]:

9 Ali, jeune afghan qui fréquente régulièrement l’antenne nous confie : « À cause de la guerre et après la mort de mon père, j’avais peur pour ma vie. J’ai décidé de quitter l’Afghanistan à pied, je suis passé par l’Iran, puis la Turquie, ensuite je suis arrivé en Grèce avant d’atteindre la France en restant environ trente heures sous un camion. Depuis que je suis arrivé en France, il y a huit mois, je suis suivi à l’Antenne Jeunes Flandre ».

La barrière de la langue

10 Beaucoup des jeunes migrants ne parlent pas le français. La barrière de la langue, mais aussi le fait d’avoir une culture différente, renforcent le sentiment de solitude et d’isolement chez ces jeunes. Aisha, âgée de dix-huit ans, malienne, a suivi une scolarité jusqu’au collège. Elle avait du mal avec les rendez-vous administratifs qu’on lui fixait. L’Antenne Jeunes a été alertée à plusieurs reprises par FTDA qu’elle ne se rendait pas à ces rendez-vous. Mais Aisha au contraire disait qu’elle y allait, mais qu’ils ne la recevaient pas. Il se trouvait qu’Aisha se rendait quand elle le pouvait et non quand elle le devait pour la bonne et simple raison qu’elle n’avait pas su lire sur sa convocation, l’heure et la date des rendez-vous.

Le marché du sous-emploi

11 L’emploi est un problème majeur chez les jeunes migrants isolés, ils ont besoin d’être accompagnés dans leurs démarches d’insertion professionnelle. Ils sont souvent soumis à de grandes difficultés liées à une faible qualification ou à une difficulté à faire reconnaître leurs diplômes ou expériences passées. Nombreux sont ceux qui participent à une formation linguistique afin de maîtriser le français pour pouvoir trouver du travail.

12 Ranzem, 25 ans, d’origine Tchétchène, est en France depuis dix-neuf mois. Il dit travailler au noir dans le bâtiment. « Depuis que je suis arrivé en France, j’ai rencontré des gens de mon pays avec lesquels j’ai commencé à travailler dans le bâtiment. Comme je ne savais pas parler la langue, c’était le seul moyen que j’avais pour vivre en France. Au départ c’était très dur parce que souvent les gens ne me payaient pas même si je travaillais dix heures par jour, le week-end compris. Je me suis fait avoir plusieurs fois, mais je ne pouvais rien dire parce que je ne maîtrisais pas la langue ».

Des futurs insérés ?

13 Nous avons constaté au cours de cette enquête les déficiences et les contradictions existantes à l’intérieur des dispositifs d’accueil et de prise en charge destinés aux jeunes migrants isolés. L’Antenne Jeunes Flandre manque de moyens humains et économiques permettant l’accompagnement et le suivi de cette population. Leur intervention répond aux objectifs d’insertion sociale « à court terme » par des formations linguistiques avec une portée professionnelle limitée. La stigmatisation qui pèse lourdement sur ces jeunes migrants, ainsi que leur situation administrative, les condamnent à une spirale d’exclusion et de précarité permanente. L’insertion scolaire, professionnelle et sociale n’est pas prise en compte dans sa globalité. Comment faire face à cette situation ?

14 Le développement et le renforcement du travail en réseau sont un moyen d’agir et de répondre aux besoins des jeunes en difficulté. Les travailleurs sociaux ont la mission d’aller au-delà des simples fonctions d’information et d’orientation, et de mettre en place des dynamiques d’affiliation.

Bibliographie

  • Barreyre J., Bouquet B., Chantreau A., Lassus P. (dir.), Dictionnaire critique d’Action sociale, Paris, Bayard, 1995.
  • Castel R., De l’indigence à l’exclusion, la désaffiliation. Précarité du travail et vulnérabilité relationnelle, in Donzelot J. (dir.), Face à l’exclusion. Le modèle français, Paris, Esprit, 1991.
  • Cornuau F., Dunezat X., L’immigration en France : concepts, contours et politiques, Espace populations sociétés : de nouvelles mobilités dans une Europe élargie, vol. 2, 2008, http://eps.revues.org/index3330.html, (consulté le 19 mars 2013).
  • Régnard C., Domergue F., Les nouveaux migrants en 2009, Infos migrations, n° 19, 2011.
  • Sitographie


Mots-clés éditeurs : jeunes migrants, insertion, travail social, exclusion

Date de mise en ligne : 13/04/2015

https://doi.org/10.3917/spec.006.0178

Notes

  • [1]
    Barreyre J.-Y., Fiacre P., Joseph V. et Makdessi Y., Une souffrance maltraitée. Parcours et situation de vie des jeunes dits incasables, Oned, 2009, disponible sur Internet : http://www.cairn.info (consulté le 20 mars 2013).
  • [2]
    Entretien fait le 11 mars 2013 à l’Antenne jeunes Flandre.
  • [3]
    L’obligation de quitter le territoire français (OQTF) est une mesure administrative d’éloignement des étrangers prévue par l’article L.511-1 du code de l’entrée de séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette mesure peut être prise par le préfet dans plusieurs situations: refus de la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour, retrait du titre de séjour, retrait de l’autorisation provisoire de séjour. Le délai est d’un mois pour quitter volontairement le territoire français, ou pour demander l’annulation de cette mesure d’éloignement. Cf. http://www.cimade.org (consulté le 20 mars 2013).
  • [4]
    Tous les entretiens ont été faits entre le 26 et le 29 mars 2013 à l’Antenne jeunes Flandre. Les prénoms des jeunes interviewés ont été modifiés.

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