Notes
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Université de Lille 1, Équipe Trigone-CIREL (Centre inter-universitaire de recherche en éducation) Chercheur associé au LISE-CNAM-CNRS.
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L'accent sera mis sur la question de l'incertitude, sachant que Florence Osty explore de façon plus approfondie, dans ce même numéro, la question de la crise sociale telle que théorisée par Marc Uhalde.
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Relatifs à « la dimension subjective du vécu de crise ».
1Constatant les limites des modèles tayloriens et bureaucratiques et cherchant des alternatives pour affronter la concurrence et la compétitivité internationales, les entreprises ont engagé depuis les années 1980, le plus souvent de façon peu concertée, des modernisations gestionnaires importantes, combinant transformations radicales des systèmes de gestion, des innovations technologiques et pratiques de management. C'est en partie ces organisations qui ont constitué des terrains privilégiés des travaux de Marc Uhalde (2004). Celui-ci emploie le terme de modernisation gestionnaire dans le sens de restructuration et de « refonte substantielle du modèle productif de l'organisation », « c'est-à-dire de son système de production, de son organisation du travail et de ses règles de gestion des personnels » (2005a, p. 135). Pour lui, ce type d'organisations se caractérise par un « affaiblissement des régulations sociales... » ; une « présence de forts indicateurs de désorganisation sociale » ; une « perte de repères collectifs » ; des « sentiments de crise et d'incertitude, et de bouleversement des identités de métiers ». Les dispositifs de gestion qu'elles mettent en place sont à l'origine d'un certain nombre de tensions, de perturbations et d'injonctions paradoxales dont souffrent les salariés qui voient leurs activités habituelles percutées en plein fouet. Dans ces différents écrits (2004, 2005, 2007), Marc Uhalde s'interroge sur les raisons qui conduisent ces salariés à se mobiliser fortement dans leur travail au lieu de se replier sur eux-mêmes. Il formule l'hypothèse que le fort investissement et l'engagement subjectif dans le travail constituent une stratégie qui leur sert de « rempart » pour se préserver contre l'inconnu et les angoisses des incertitudes que génère le vécu subjectif de la crise. L'un des objectifs de cette contribution est de repérer, comme Marc Uhalde nous le propose, la façon dont les professionnels des organisations en modernisation gestionnaire, gèrent leurs incertitudes identitaires et résistent. Dans une première partie, nous retraçons quelques conséquences des politiques de modernisation gestionnaire. Dans une deuxième partie nous abordons la question de l'incertitude radicale et celle de la crise sociale [2], deux concepts fortement mobilisés par Marc Uhalde dans ses travaux. La troisième partie sera dédiée tout particulièrement à certains effets identitaires de la modernisation. Dans une quatrième partie conclusive, nous reviendrons sur quelques retombées de ses travaux comparativement aux modèles de retrait (Sainsaulieu, 1976) et de blocage (Dubar, 1991).
De quelques conséquences des modernisations gestionnaires
2Dans un contexte d'incertitude et de crise, les organisations en modernisation gestionnaire renforcent leur politique et pratiques de contrôle des activités de travail. Ce contrôle se manifeste par l'usage démesuré des activités de reporting et le recours intensif aux progiciels de gestion intégrée (PGI). En plus de la remise en cause de leur efficacité (Les Échos, décembre 2009) et du coût financier qu'ils engendrent, ces outils génèrent chez les salariés un sentiment amer de non-reconnaissance, pire encore de non-existence dommageable pour leur santé physique et mentale. Ce sentiment est renforcé par le manque de confiance que ressentent les salariés de la part des directions de leur organisation. Ils en avancent souvent comme preuve, le type d'information que celle-ci cherche à collecter par ces outils. Celle-ci concerne non seulement l'analyse des résultats obtenus (chose qui peut se comprendre) mais également et surtout les processus qu'ils déploient pour y parvenir (clients contactés, les activités conduites, leur planning et leur durée...). Chose qui pose problème. Ils ont, comme le suggèrent Detchessahar et Grévin (2009), le sentiment que la direction se saisit de tous les prétextes de la crise pour renforcer son système de contrôle sur eux et pour « une reprise en main qui ne dit pas son nom ». La direction non seulement ne les reconnaît pas, mais donne plus d'importance aux « indicateurs gestionnaires » au détriment de la qualité du travail et des conditions dans lesquelles ils la réalisent. Les outils de gestions mobilisés en place et lieu de la communication humaine directe les privent de l'écoute, du soutien et de la disponibilité accompagnatrice de leur hiérarchie de proximité. En effet, alors que les managers, occupés à élaborer « des systèmes de pilotage [...], les salariés sont laissés seuls face aux multiples contradictions qu'ils doivent chaque jour affronter [...] » (p. 33). Si l'encadrement a ses propres raisons et injonctions auxquelles il doit répondre, les salariés vivent l'investissement de ces derniers ailleurs que sur le terrain des activités réelles, sous le registre de l'abandon. Marc Uhalde (2004) analyse cet état de fait comme un déficit de la régulation conjointe en l'absence de laquelle les tensions et contradictions générées par la modernisation gestionnaire se trouvent de fait entièrement ou partiellement prises en charge dans leur régulation concrète, par les agents.
L'incertitude, la crise et leurs impacts identitaires
3À la suite des travaux de Knight (1921), la littérature économique fait la différence entre incertitude et risque parfois utilisés de façon proche, voire indifférenciée. M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe (2001) attirent notre attention sur l'importance de ne pas « confondre la notion d'incertitude avec celle de risque, qui constitue en quelque sorte son faux ami » (p. 37).
Risque, incertitude probabiliste et incertitude radicale
4Dans le risque, les événements sont calculables et mesurables et l'univers des possibles peut être défini et appréhendé par des concepts de fréquence et de probabilité. Pour Callon, Lascoumes et Barthe (2001), « on connaît parfaitement ces événements et les conditions requises pour qu'ils se produisent, même si l'on ne sait pas s'ils se produiront vraiment, même si l'on ne connaît que leur probabilité d'occurrence » (p. 37). Défini comme tel, le risque est en quelque sorte une « incertitude probabiliste ». C'est ainsi que Marc Uhalde (2005c) désigne ce terme mobilisé par Crozier et Friedberg (1976) dans l'expression « zone d'incertitude ». En effet, nous dit-il, « dans une négociation, l'acteur stratégique mobilise ses ressources car il sait qu'il peut espérer tourner la situation à son avantage (plus précisément, il connaît le champ des possibles de l'issue de la relation) ». De son côté, le collectif AO2008 (2011) parle de niveau minimal de l'incertitude. En effet, nous dit-il, « le risque et l'incertitude représentent, tous les deux, la même chose bien qu'à des degrés différents. Ils désignent un événement dont la survenance n'est pas sûre. Mais le risque est identifiable, descriptible, imaginable et contrôlable. On sait donc de quel événement on parle et on connaît la probabilité d'occurrence. Cela correspond alors au niveau minimal de l'incertitude » (p. 16) Ce premier niveau ou « incertitude probabiliste » est à distinguer de son deuxième niveau ou « incertitude dite radicale » dans laquelle « on connaît l'événement, mais pas sa probabilité, qui est de ce fait incontrôlable ». C'est ce type d'incertitude que l'on trouve dans certaines modernisations gestionnaires analysées par Marc Uhalde. Les acteurs y « sont exposés à un contexte de travail, d'emploi et de gestion des hommes inédits et dont ils ne comprennent ni le sens ni les finalités. Ils vivent l'entreprise sous le mode de l'incertitude radicale. Leurs schémas antérieurs de prévisibilité de leur jeu deviennent inopérants » (2005c).
Des incertitudes épistémiques et identitaires
5De leur côté, F. Aguirre, M. Sallak, M. & W. Schön (2013) rappellent l'existence de deux types d'incertitude, l'aléatoire et l'épistémique. « Le premier étant irréductible est dû à la variabilité naturelle des phénomènes aléatoires. Le deuxième est dû à un manque de connaissance ». David Moroz (2007), quant à lui, différencie « l'incertitude liée à un déficit de connaissances propre à l'individu de celle liée à l'absence totale de connaissance au sein de la communauté de l'ensemble des individus ». Dans les organisations en modernisation gestionnaire, du fait de l'incomplétude de la connaissance, l'incertitude qui se présente dans un premier temps sous sa version organisationnelle, se meut rapidement en incertitude épistémique et identitaire. Son impact émotionnel et affectif sur les salariés est lourd de conséquences.
6Revenons tout d'abord sur l'incertitude épistémique. La littérature distingue deux genres de situations sollicitant l'agir d'un individu. Dans les premières, celui-ci « dispose dans son répertoire [...] des compétences nécessaires au traitement immédiat de la situation » (Vergnaud, 1990, p. 136). Il y réagit par la mobilisation d'un « programme d'exécution » appris et déjà activé dans le passé », « un répertoire de schémas de réponses » disponible » (March et Simon, 1991, p. 137). Dans le deuxième genre de situations, l'individu n'a pas toutes les compétences requises pour faire face à l'inédit des situations rencontrées. Ceci l'installe dans l'inconfort psychologique. C'est le cas dans les organisations en modernisation gestionnaire où, comme le signale Marc Uhalde (2005a, p. 139), « le système devient, pour les individus, le théâtre de l'insaisissable, de l'irrationnel, de l'angoissant » qui les confronte « d'une part à des changements irrémédiables et d'autre part à une absence de clarté du nouvel avenir annoncé par ces changements. ». Les différents acteurs, y compris la direction, « se montrent en proie à l'épuisement de leur schéma de compréhension du monde », « ne parvenant plus à comprendre les raisons des dysfonctionnements », « sont cognitivement dépassés ». Ils doivent faire face à l'inconnu des situations auxquelles ils se trouvent confrontés sans pouvoir « puiser dans leurs expériences passées les repères nécessaires à un engagement dans des relations de négociation du changement ».
7Cette composante sociocognitive de l'incertitude se double d'une incertitude identitaire. Des sentiments de flou et de doute sont générés par son devenir incertain dans une organisation en profond changement. Cela met les salariés concernés dans un état anxiogène bloquant non seulement les possibilités de l'action mais également la représentation de soi dans le devenir de l'organisation. La probabilité et le calcul des événements, en l'occurrence ici le maintien de son emploi, s'avère impossible. En effet, comme le souligne Marc Uhalde (2004), « la question qui taraude chacun est de ce fait moins celle de l'optimisation de sa place dans l'organisation que celle de sa survie sociale et identitaire ». Pour lui, ces incertitudes sont bien identitaires car elles s'expriment dans la subjectivité des acteurs par un sentiment de rupture sociale entre un avant et après vécus comme radicalement différents. Les acteurs y sont dans l'incapacité de se projeter dans un projet d'identité professionnelle au sein d'une organisation « en mouvement incessant et global touchant ses différentes arcades ». Ceci se traduit par « un brouillage des projections individuelles dans l'avenir » et une « ambivalence à l'égard du changement ». Mais cette incertitude, comme nous le verrons ci-dessous, contrairement à l'analyse qu'en font Crozier et Friedberg (1976), est source d'inhibition et non source de pouvoir et de mobilisation.
La crise et son impact sur les individus et les collectifs
8Se référant aux travaux de Bolzinger (1982) [3], Marc Uhalde forge le concept de « vécu collectif de crise » qu'il applique à l'analyse des organisations en modernisation gestionnaire. Il s'agit, nous dit-il (2005a, p. 138), d'une « structure de représentations collectives, là où, au niveau individuel, on ne vit que confusion et désordre ». S'interrogeant sur la nature de cette crise, Marc Uhalde observe que celle-ci, loin d'être conjoncturelle et passagère, relève bien de l'anomie, « c'est-à-dire d'un état du social durablement dégradé et disposant de ses propres lois de reproduction » (p. 138). Il s'agit bien pour lui, d'une crise de nature sociale qui pénètre « de manière progressive et insidieuse » le corps social. Contrairement aux « crises-événements », elle se caractérise par son intériorité dans les organisations en modernisation gestionnaire. Celles-ci, tentant de se transformer, « s'enlisent dans une dérégulation sociale » engendrant par-là « un désordre social durable dans le fonctionnement des organisations » et générant « de véritables situations de malaise et d'incompréhension généralisée ». Elle conduit les salariés à vivre subjectivement une « très forte disjonction entre la sphère de l'activité de travail et celle de l'organisation ». La sphère de l'organisation est vécue avec « des sentiments de plus en plus négatifs », elle est « perçue comme un lieu de contraintes, de régression et de menace pour les individus » (Uhalde, 2007). Par contre, dans la sphère du travail, les salariés vivent leurs activités professionnelles sous le mode de l'attachement, de la satisfaction, de la « valorisation et identification positive ». La complexité qui caractérise cette sphère est vécue de façon stimulante, riche et intéressante. Ils y déploient et développent des « savoir-faire particuliers ». Le travail est « perçu comme une instance productrice de sens, pour soi et pour autrui. Il est à ce titre assorti d'une finalité qui ne peut se résumer à la seule performance productive » (Uhalde, 2005). Cette disjonction et le fort investissement dans le travail sont des indicateurs des dynamiques identitaires d'inscription des professionnels des organisations en modernisation gestionnaire, sur lesquelles nous revenons ci-dessous.
Dynamiques identitaires dans un contexte de crise et d'incertitude liées à la modernisation gestionnaire
9C'est dans le cadre d'organisations en modernisation gestionnaire que Marc Uhalde a analysé les dynamiques identitaires de professionnels confrontés à des transformations profondes de leurs identités professionnelles. Comme cela a été relaté plus haut, ces professionnels vivent subjectivement une incertitude générée par « l'éventualité d'une exclusion professionnelle, sociale et symbolique » au sein de leurs organisations. Dans leur cas, toujours selon Marc Uhalde (2005), « la frontière entre l'incertitude organisationnelle et sociale d'un côté, l'incertitude identitaire de l'autre, s'estompe ». Ils présentent « des formes rétractées d'identité de métier qui sont à la fois le produit d'un processus de dérégulation sociale et l'une des composantes de l'équilibre dégradé de fonctionnement qui en résulte ». L'une des hypothèses centrales qu'il avance est le lien fort entre « régulations organisationnelles et régulations identitaires ». Fragilisés par l'incertitude, objectivement délaissés par leur hiérarchie, supportant dans la solitude la charge mentale et cognitive de la crise sociale que traversent leurs organisations, ces professionnels, au lieu d'avoir un « comportement de révolte, de retrait ou de démission », ne mobilisent pas « leur expertise et leur pouvoir pour chercher de la reconnaissance de l'organisation », bien au contraire, ils « orientent leur activisme vers l'autonomie et l'évitement de la confrontation à d'autres logiques sociales ». Ce qui, nous dit Marc Uhalde, constitue un véritable paradoxe et une vraie énigme. Se référant à la théorie de la régulation sociale, il considère que ces stratégies correspondent à une intense activité de régulation autonome et au renoncement à la reconnaissance de l'organisation. En effet, le fort investissement dans des activités de travail constitue pour eux, un enjeu principal. Il leur permet, d'une part de sauvegarder leur « continuité subjective », d'autre part, de préserver leur identité professionnelle. Il s'agit pour Marc Uhalde (2007) de stratégies déployées pour préserver les identités de métiers en se rabattant « sur ce qu'ils maîtrisent le mieux, leur travail ou leur fonction, avec le sentiment qu'ils pourront ainsi limiter les incertitudes de la modernisation ».
10Les professionnels en question réussissent à conserver leur équilibre identitaire et à le préserver dans un contexte de fragilisation généralisée. Cette réussite est rendue possible par une stratégie à double aspect : le renoncement à la reconnaissance de l'organisation, d'une part, la quête de la reconnaissance professionnelle auprès des bénéficiaires de leurs activités de travail, d'autre part. C'est là, nous dit Marc Uhalde (2005) « où se déploient leurs qualités professionnelles, en faisant face aux aléas et à la résolution de problèmes des bénéficiaires ».
11 Cette stratégie n'est pas donnée à tout le monde. Elle est possible chez les professionnels des organisations en modernisation gestionnaire parce que ces derniers maîtrisent une double ressource de pouvoir et ce « malgré l'évident resserrement de la régulation de contrôle autour de leur travail ». La première source de pouvoir est leur réelle expertise, c'est-à-dire, « la maîtrise technique de l'activité ». Il s'agit de réels « savoir-faire élaborés par la pratique ». La deuxième source de pouvoir est la maîtrise de segments pertinents de l'environnement (la clientèle, les usagers, etc.). Ces deux sources de pouvoir, nous dit Marc Uhalde, sont mobilisées « non pas dans une logique offensive de négociation avec la hiérarchie, mais dans une logique plus défensive de statu quo, qui vise surtout à préserver un ‟quant à soi” professionnel individuel ou micro-collectif selon les cas ».
En guise de conclusion
12Comme cela a été indiqué dans la partie introductive, je voudrais, dans cette brève conclusion, mettre en relief quelques retombées des travaux de Marc Uhalde concernant les modèles de retrait (Sainsaulieu) et le modèle du blocage (Dubar).
Repli sur la fonction et modèle du retrait de Sainsaulieu
13 Nous l'avons vu ci-dessus, dans le cadre de la disjonction entre la sphère du travail et celle de l'organisation, les professionnels adoptent une attitude de repli sur leur fonction. Ils désinvestissent la négociation relationnelle pour ne pas être en contact ni en opposition aux logiques des autres acteurs. Pour Marc Uhalde (2005), ceux-ci « minimisent ainsi le risque de perdre leurs ressources d'action dans un jeu social qu'ils ne maîtrisent pas » (p. 151). Pour ce faire, ils se replient sur leurs fonctions et investissent de façon forte leurs activités de travail, source de renforcement de leur image de soi dans la relation avec les bénéficiaires de leurs activités. Mais, pour Marc Uhalde, ce repli n'est pas de même nature que celui décrit par Sainsaulieu dans son livre L'identité au travail. Chez Sainsaulieu, nous dit-il, le repli « correspond à un état de désimplication affective et cognitive par rapport au travail, en raison d'un trop faible pouvoir dans l'organisation ». Pour lui, ce n'est pas le cas, chez les professionnels des organisations en modernisation gestionnaire. Ainsi, c'est moins le comportement du « retrait » qui caractérise leur action et leur identité, qu'un comportement « d'activisme défensif ».
Repli sur le métier et le modèle du blocage de Dubar
14Par manque de reconnaissance identitaire de la part de l'organisation, et au regard de « l'affaiblissement de leur pouvoir de négociation » et du « tassement de la solidarité corporative », les professionnels des organisations en modernisation gestionnaire se replient sur leur métier. Leur identité collective, comme le dit Marc Uhalde (2005), est « contrariée ». Mais cette contrainte « ne signifie pas pour autant un effondrement de l'ensemble de leur économie identitaire ». Ceux-ci disposent de ressources indéniables leur permettant d'entrer dans une « résistance identitaire ». Dans ce contexte, comme le remarque Marc Uhalde (p. 151), les professionnels, par la maîtrise des deux sources de pouvoir dont ils disposent (la maîtrise technique et des segments pertinents de l'environnement) restent maîtres de leur situation. Ils préservent ainsi, « de manière individuelle, un pouvoir local centré sur l'activité (celui de l'efficacité productive), au détriment d'un pouvoir organisationnel collectif ». Mais ce repli sur leur métier ne signifie nullement une dynamique de blocage telle que décrite par Dubar. En effet, toujours selon Marc Uhalde, le modèle du « blocage » identifié par ce dernier, « comme le lot des identités de métier confrontées à une redéfinition du travail par la polyvalence, ne tient pas compte des transactions relationnelles qui peuvent persister dans les relations entre pairs et surtout avec les bénéficiaires de l'activité (clients, patients, usagers...) ». Même si la logique de métier « perd effectivement sur étoffe collective ainsi que la ressource d'action commune qui la soutenait », les professionnels préservent la « ressource cruciale d'expertise et de maîtrise des aléas opérationnels ».
15La théorisation de la crise sociale élaborée par Marc Uhalde dans le cadre de ses travaux de recherche sur les organisations en modernisation gestionnaire est prometteuse. Elle constitue une importante matrice d'analyse pour l'approche des organisations en transformation. Il serait important, comme le propose Florence Osty (2008, p. 75), que « la valorisation des recherches empiriques participe de ce travail de théorisation par l'analyse des processus de décompositions identitaires sur fond de crise de l'emploi et des imaginaires collectifs ».
Bibliographie
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Notes
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[1]
Université de Lille 1, Équipe Trigone-CIREL (Centre inter-universitaire de recherche en éducation) Chercheur associé au LISE-CNAM-CNRS.
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[2]
L'accent sera mis sur la question de l'incertitude, sachant que Florence Osty explore de façon plus approfondie, dans ce même numéro, la question de la crise sociale telle que théorisée par Marc Uhalde.
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[3]
Relatifs à « la dimension subjective du vécu de crise ».