1Né d’une initiative unique en France de faire dialoguer l’art, les sciences humaines et sociales et les sciences exactes au regard de la notion d’image dans les nanosciences, cet ouvrage hybride réunit les actes du colloque international Images & mirages @ nanosciences, le catalogue de l’exposition qui l’accompagnait en décembre 2010 à l’Université Toulouse Le Mirail et la vidéo de la performance danse et musique réalisée le soir de l’inauguration.
2Les avancées des sciences de la matière, et tout particulièrement des nanosciences, renouvèlent considérablement les relations du visible et de l’invisible, de même qu’elles interrogent sur la matière, ses potentialités, ses flexibilités. Les nouveaux outils scientifiques permettent désormais de donner à voir cet « infiniment petit » qu’est l’atome. Ces nouvelles images, précises jusqu’au nanomètre (millionième de millimètre), interrogent de fait notre façon de percevoir cet « invisible désormais visible », de l’appréhender, de le comprendre et de l’imaginer. Rassemblant un corpus d’artistes, de physiciens, de chimistes, de biologistes, de philosophes, de sociologues, de critiques d’art et de galeristes, l’ouvrage se veut le terrain privilégié d’une réflexion croisée autour des « régimes de visibilité » des nanosciences, constitutives d’une nouvelle « pensée visuelle ». La publication fait état des débats autour de la question d’image dans des champs discursifs scientifiques et artistiques que les pratiques éloignent et rapprochent tout à la fois. Composé de trois grands chapitres, il est question de traiter des rapports d’« échelles du visible, de l’invu et de l’invisible » ; d’en étudier les « transpositions, les médiations et les interprétations » ; et d’en déterminer les « visions, les visées et les esthétiques ».
3Habitué des collaborations avec les scientifiques, Michel Paysant inscrit dans ce premier texte son travail artistique intitulé OnLAB dans la genèse du projet qu’il a exposé au Louvre. Commençons par la conclusion de l’artiste citant Paul Valéry : « Une œuvre d’art devrait toujours nous apprendre que nous n’avions pas vu ce que nous voyons. » Son travail transpose la notion d’original et de copie et joue sur les rapports d’échelle afin de montrer ce qui n’est pas vu et de réduire ce qui l’est trop afin de susciter de nouvelles curiosités. Xavier Bouju aborde ensuite le pouvoir de conviction des images obtenues à partir des microscopes STM et AFM et de la nécessaire phase de déconstruction de l’image afin d’éviter les évidences trompeuses. Mais il ajoute également que ces mirages relèvent souvent de codes visuels construits par les scientifiques eux-mêmes afin de faciliter la reconnaissance de ces images « nano » par le public. Joël Chevrier, quant à lui, s’interroge sur ce que l’on peut voir, ce que l’on peut toucher à l’échelle du sensible et sur les modalités de représentation en transposant ces possibilités à l’échelle des outils nanotechnologiques. Comment rendre palpable et perceptible l’invisibilité de l’infiniment petit à partir de microscopes qui reconstituent des données ? Outils qui à la différence de la photographie – dont l’objet interagit avec la lumière – usent de l’interférence de deux objets entre eux. Grit Ruhland propose ensuite d’inscrire son œuvre d’art « Pantoffel für Pantoffel-tierchen » (Pantoufle pour paramécie) dans l’histoire de l’art académique autour des notions de détournement de sens de l’objet et de sa représentation à partir de l’œuvre de Magritte, de l’appropriation de l’objet depuis Marcel Duchamp et de l’attention portée à la miniaturisation des choses. Dans son article « Des images ni vraies ni fausses », Xavier Guchet montre le glissement sémiotique des images issues des nanosciences vers une économie du symbolique et de « l’imaginaire débridé » qui revient à classer ces images de part et d’autre d’une frontière forgée par des présupposés métaphysiques classiques. Il en décrypte les usages, les travers et les modes de diffusion afin de déterminer la spécificité d’une « bonne image » « nano » qui s’articulerait autour de trois dimensions : la connaissance, l’émotion et l’action. On pourrait sans doute appliquer ces trois dimensions concernant le projet suivant. Avec son œuvre « Au-delà des Colonnes d’Hercule », Alessandro Scali recrée poétiquement et symboliquement ces expéditions d’antan où l’explorateur ne savait pas à l’avance ce qu’il allait trouver. Alors qu’aujourd’hui, les zones d’exploration se font rares à l’échelle humaine, les nanosciences offrent de nouvelles potentialités de découvertes qui suscitent le rêve et la fascination de l’artiste. Ce voyage imaginaire dans le monde des nanosciences pourrait tout à fait devenir une réalité scientifique. Le chimiste André Gourdon illustre comment le perfectionnement technique des microscopes, les avancées en chimie de synthèse et la vitesse de calcul des ordinateurs permettent d’envisager, dans un futur proche, la conception de machines moléculaires artificielles. Il relate, dans cet article, les avancées scientifiques permettant d’envisager la conception de ces « machines molles ». Le dernier article de ce chapitre présente la collaboration de l’artiste plasticien Alain Josseau et de la chercheuse en physique et chimie des nano-objets Laurence Ressier autour de « l’infinie grandeur du ciel étoilé avec l’infinie petitesse du nanomonde ». Ainsi, la photographie originale d’un ciel étoilé passe par différents filtres, elle est recodée, traduite par l’ordinateur, gravée sur une plaque de silicium et synthétisée à nouveau afin d’obtenir l’image finale. Le résultat de ces étapes successives offre l’image symbolique de cette publication en première de couverture.
4Dans le second chapitre, il est question des notions de transposition des images brutes vers des images médiatiques, de leur diffusion et de l’interprétation de ces images « nano ». Christian Joachim envisage les différentes représentations de l’atome à travers l’histoire, au regard des possibilités offertes par les instruments. Ainsi, des représentations hylémorphiques utilisées jusqu’à présent pour symboliser une molécule constituée de plusieurs atomes sphériques reliés entre eux par des tiges, nous sommes passés à la constitution d’images permettant d’observer l’individu « atome », grâce aux microscopes STM et AFM. Joachim constate la tentation des scientifiques de voir dans ces formes plus proches de la réalité la sphère initialement symbolisée. Dans ses œuvres multimédias, Paul Thomas cherche à comprendre la matière en tant que « flux plutôt que chose » et tout particulièrement dans les recherches autour des nanotechnologies. Partant des poèmes de Lucrèce sur la nature des choses et de la définition du Clinamen (caractère imprévisible des atomes), il conçoit les projets Midas et Nanoessence. Tous deux explorent le monde à travers les croyances et les mythes. Le philosophe des sciences qu’est Vincent Bontems nous amène ensuite à réfléchir sur les « régimes de significations » d’une même image selon le contexte de production et de diffusion, mais également selon les conventions artificielles destinées à faciliter la perception. Il montre que cette image « nano » possède son propre cycle de vie in vitro, dans le sens où elle se développe en fonction de l’instrument qui la génère et donc elle évolue avant, pendant et après l’expérimentation. Une fois produite, cette image étant amenée à une diffusion élargie, s’éloigne de son contexte de production. Ainsi, Bontems s’appuie sur la sémiologie de Barthes pour montrer que ce « régime de visibilité » possède différents signifiés en fonction de l’usage symbolique que l’on en fait. Interpréter une image « est une opération cognitive humaine fondamentale », mais Catherine Allamel-Raffin démontre, dans l’article suivant, qu’à la différence des sciences des arts – qui conçoivent la complémentarité des interprétations multiples – les sciences de la nature tentent de réduire la polysémie des données collectées à un sens univoque. Muriel Lefebvre et Sylvie Laval offrent, quant à elles, un regard sociologique sur les dispositifs de mise en valeur de l’image scientifique au sein du service image du CNRS. À mi-chemin entre la recherche et la sphère médiatique, ces images scientifiques sont présentées comme l’expression directe d’une réalité alors qu’elles sont fabriquées. L’article montre que la création d’une image reste le résultat d’un parti pris qui n’est jamais neutre et que ce dispositif de présentation « oscille sans cesse, avec une ambivalence certaine, entre démarche de valorisation d’un organisme de recherche, démarche de recherche et médiation vers un public plus large ». Les trois courts textes suivants présentent les projets des élèves de BTS de Design d’espace et d’arts appliqués et des classes préparatoires aux grandes écoles du design du Lycée Polyvalent Rive gauche de Toulouse. Ils explorent justement cette fabrication d’images métaphoriques autour des notions d’échelles et de détournement, de répétitions de particules ou encore d’échelle de temps. Avec la présentation de son œuvre Al-Amin, Al-Thaniyah district (collateral murder). Coordonnées : 33°18’48.52’’ N, 44°30’43.17’’ E, Alain Josseau opère une critique métaphorique des limites de la rétine humaine face aux possibilités offertes par les technologies sophistiquées destinées à l’armée pour assister et perfectionner notre vision du monde. Son dispositif interroge les rapports d’échelle qui interagissent avec notre réalité sensible et le libre arbitre de l’homme face à ces données codées. Enfin, vdW, relate l’expérience performative entre danse et musique de la manifestation et dont la présente publication offre en prime le DVD. Ce spectacle s’inspire des forces de van der Waals, qui démontre que la matière réagit selon des rapports de force différents en fonction de l’échelle dans laquelle elle se situe. Il s’agit alors d’une lecture interprétative et d’une transposition du corps physique dans un monde infiniment petit.
5Pour introduire ce dernier chapitre portant sur « les visions, les visées et les esthétiques », Sacha Loeve écarte les prénotions d’esthétique en art et en science en s’appuyant sur la notion d’esthétique du « sensible » de Baumgarten en tant que « science de la connaissance du sensible ». Cette esthétique, porteuse d’une « clarté confuse », possède une logique susceptible de rapprocher l’art et la science à propos des images qu’ils véhiculent. Ces appareils qui permettent de nous rendre « sensibles » aux atomes opèrent selon lui non pas une simple représentation de l’atome, mais une « imagina’action » en ce sens que la pointe de STM permet d’interagir avec son objet afin d’en restituer l’image. Gérald Dujardin évoque quant à lui les relations entre art, nature et avancées technologiques à travers l’histoire et la relation de l’humain à son environnement. Qu’il s’agisse d’un artiste ou d’un scientifique, il imagine ce qu’il ne peut voir et s’invente des outils de connaissance afin de l’étudier à sa manière. Ainsi, l’artiste Boo Chapple évoque, dans l’article suivant, son projet Transjuicer B qui interroge la nature piézoélectrique des os de vache et qui tente d’en enregistrer les sons. L’environnement à l’échelle nanométrique est l’objet de tous les fantasmes pour les artistes qui y découvrent de nouvelles formes et Chris Robinson en tant que tel manipule l’image des particules pour en dessiner des paysages lyriques et imaginaires. Il s’interroge sur l’imagerie scientifique qui imite le développement de l’art visuel. Sa question est simple : pourquoi les scientifiques ne se contentent-ils pas des images brutes pour transmettre leurs résultats ? Pourquoi manipuler autant les couleurs, les formes, l’environnement de ces images et pourquoi qualifient-ils ces résultats – souvent fantaisistes – d’images d’art ? L’artiste Ludwig s’approprie les phénomènes de la physique quantique et de l’état d’onde cosmique afin de les rendre palpables et poétiques dans son projet Lucioles quantiques. Jouant savamment des états de superposition de l’art avec son environnement et de la double localisation d’une particule dans l’espace environnant, Ludwig pense les relations entre arts et sciences comme la physique quantique conçoit la dualité des ondes d’une même particule. Valérie Legembre (EXEO, 2010) s’introduit dans l’univers très fermé du CEA de Grenoble. En imprimant ses photographies documentaires sur des “peaux de photos” – technique d’impression photographique inventée par l’artiste sur un support aussi malléable qu’un tissu de peau – elle révèle au public l’aspect humain de ces laboratoires qui alimentent souvent l’imaginaire collectif. Le Cloud Project de Cathrine Kramer et de Zoe Papadopoulou permet de révéler les réticences de la population vis-à-vis des avancées scientifiques à travers un projet d’art appliqué suscitant le dialogue. En investissant un ancien camion à glace, en le rendant séduisant avec des couleurs douces et en revêtant le costume volontairement exagéré du chercheur, elles déambulent dans les rues de Londres proposant à la vente des glaces de prime abord attrayantes, mais au slogan provoquant l’interrogation. Manger des glaces de nuages réalisées à partir de nano-particules a effectivement de quoi rendre perplexe, mais le dispositif permet d’entamer un dialogue fertile avec un public perdu entre le pour et le contre d’éléments qu’il ne maîtrise pas. Ce souci de rendre « sensible » les innovations technologiques liées au micro et au nanométrique, est l’objectif du laboratoire Litus au CEA-Léti dont Tiana Delhomme introduit ensuite les objectifs. La question qui se pose étant principalement celle des rapports « des dynamiques relationnelles entre l’homme, les interfaces et les objets intégrant des micro et nanotechnologies ». Enfin, pour conclure ce chapitre, Stefano Raimondi offre une sorte d’abécédaire d’expériences artistiques qui tantôt critiquent, tantôt adulent ces innovations de l’infiniment petit.