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Article de revue

Féminin sacré et sensibilité écoféministe. Pourquoi certaines femmes ont toujours besoin de la Déesse

Pages 77 à 91

Notes

  • [1]
    Je mets dans cet article une majuscule à l’expression pour désigner la mouvance psycho-philosophico-spirituelle, et une minuscule pour le concept. Le sous-titre de l’article est un clin d’œil à l’article de Carol Christ (1979) qui explique que la question n’est pas tant de savoir s’il y a effectivement eu un culte originel de la Déesse, que de voir les effets psychologiques et politiques que pourrait avoir une religiosité nouvelle féministe.
  • [2]
    Inspirées de l’ouvrage La Tente Rouge d’Anita Diamant (1997 éd. originale), les « tentes rouges » sont des cercles de paroles en non-mixité, où des femmes se réunissent dans un espace-temps délimité pour échanger et tisser des liens de sororité.
  • [3]
    Bien qu’il ne soit pas exclu qu’un homme s’intéresse à ce concept, les réseaux du Féminin sacré sont essentiellement composés de personnes se reconnaissant comme femmes et sont, dans certains cas, explicitement non-mixtes. J’ai donc choisi d’employer le féminin générique.
  • [4]
    La double connotation du mot « sens » informe cette quête : il s’agit autant de chercher des clefs de compréhension de l’existence, que de trouver des directions à suivre pour vivre en cohérence avec les valeurs qu’on associe à cette existence et à sa visée éventuelle.
  • [5]
    Françoise Champion (1989) propose de réunir sous ce terme les groupes et réseaux qui, dans le sillage de la contre-culture des années 1970, conjuguent des références mystiques, ésotériques et psychologiques.
  • [6]
    Je reprends ici un terme indigène.
  • [7]
    Non péjorative, cette fameuse métaphore – largement employée dans l’étude sociologique des nouveaux mouvements religieux – découle de l’analyse des mythes par Claude Lévi-Strauss (1962, p. 32) : « Le propre de la pensée mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d’élaborer des ensembles structurés non pas directement avec d’autres ensembles structurés, mais en utilisant des résidus ou des débris d’évènements. »
  • [8]
    Je reprends ici partiellement l’expression de « religions à la carte » employée par Jean-Louis Schlegel (1995) pour caractériser la recomposition individuelle de la religiosité à la suite du processus de sécularisation.
  • [9]
    Nous n’avons pas ici la place d’entrer dans le détail de ces deux épisodes, de la manière dont les milieux (éco)féministes s’en saisissent et des controverses scientifiques qui les entourent. Une littérature abondante existe sur le sujet, aussi bien dans le champ scientifique que militant.
  • [10]
    En sanskrit, la Shakti signifie « pouvoir », « puissance ». Dans l’hindouisme, il désigne l’énergie créatrice primordiale, le principe divin féminin.
  • [11]
    La Kundalini est un terme sanskrit signifiant « boucle », utilisé pour désigner une puissante énergie vitale circulant dans la colonne vertébrale.
  • [12]
    Dérivé du terme sanskrit signifiant « roue », les chakras désignent sept points de jonction de canaux énergétiques dans le corps humain.
  • [13]
    Sur ce point on peut renvoyer aux travaux d’Anna Fedele (2013).
  • [14]
    Dans ce rituel d’origine amérindienne tourné vers l’idée de purification, un petit groupe de personnes se réunissent dans une tente chauffée à 90 °, et sont conduites par le chaman dans différentes pratiques (offrandes, chants, prières, etc.).
  • [15]
    Autre pratique inspirée des traditions amérindiennes, la roue de médecine consiste à créer un « cercle sacré », en invoquant les différentes directions (nord, sud, est, ouest), les esprits, éléments et animaux-totems qui y sont associés.
  • [16]
    Dans différentes traditions chamaniques, amérindienne et nord-asiatique notamment, le tambour est considéré comme « animé », vivant, et ses vibrations sont utilisées pour se relier au monde des esprits, pour atteindre des états modifiés de conscience, tels que l’état de transe.
  • [17]
    Ce qui contraste fortement avec la littérature anglo-saxonne, bien plus prolifique sur le féminin sacré – désigné sous feminine divine –, les diverses spiritualités féministes et leurs courants.
  • [18]
    La permaculture – contraction de permanent agriculture –, théorisée dans les années 1970 par les Australiens Bill Mollison et David Holmgren, est à la fois une éthique et une méthode visant la conception de systèmes intégrés, durables et résilients, où l’activité humaine est pensée en harmonie et en interconnexion avec les écosystèmes naturels.
  • [19]
    Les deux autres réponses possibles étaient : « la notion de féminin sacré ne vous parle pas particulièrement ; à l’égard de laquelle vous êtes indifférent·e » et « la notion de féminin sacré vous interpelle ou vous questionne ; à l’égard de laquelle vous êtes curieux·se ».
  • [20]
    11 000 pour la page du « Festival du Féminin », principal réseau de festivals sur le féminin sacré depuis 2012, 14 000 pour la page générique « Féminin sacré », 12 000 pour la page de la revue « Rêves de femmes », principale revue francophone sur le féminin sacré.
  • [21]
    Consulté en mars 2020.
  • [22]
    Une doula accompagne et soutient la femme enceinte pendant la grossesse, l’accouchement et la période postnatale. Sa fonction n’est pas thérapeutique ou médicale.
  • [23]
  • [24]
    On peut notamment reprocher à la notion de « créatifs culturels » ses contours flous. Cependant, comme ici avec le Féminin sacré, il s’agit de cerner une nébuleuse hétérogène, à partir de valeurs et comportements partagés, ce qui complique la détermination de frontières nettes autour de la population étudiée.
  • [25]
    L’expression n’est pas reprise directement par les femmes rencontrées, mais plusieurs travaux de Françoise Héritier sont convoqués par ces dernières lors de discussions.
  • [26]
    Publiée entre 2005 et 2019, Rêve de Femmes s’est présenté comme un magazine « rêvé et créé par des femmes pour celles et ceux qui souhaitent mieux connaître les femmes », puis comme « une revue participative rêvée et créée par des femmes. Une invitation à s’ouvrir au Féminin Sacré pour les hommes et les femmes en chemin » à partir de 2011.
  • [27]
    Cette vision est notamment relayée par l’ouvrage Les 13 mères originelles : La voie initiatique des femmes amérindiennes (Jamie Sams, 1992 éd. originale, 2011 traduction française), présenté comme « incontournable » dans les milieux du Féminin sacré et à l’origine de nombreux stages. L’auteure, dont l’authenticité des origines est controversée, présente à travers des contes l’enseignement qu’elle dit avoir reçu de ses deux grands-mères Kiowas (nation amérindienne).
  • [28]
    Utilisé dans de multiples concepts, le concept d’empowerment est alternativement traduit par « pouvoir d’agir », « encapacitation » ou encore « empuissantement ». Nous avons ici arrêté notre choix de traduction sur ce troisième terme, qui fait écho à la mention – extrêmement fréquente dans les réseaux du Féminin sacré – d’une « puissance féminine ».
  • [29]
    Cette idée de « bouclier » protégeant des « énergies négatives » fait partie des emprunts au chamanisme amérindien.
  • [30]
    On peut penser notamment à Lune rouge : les forces du cycle féminin (1994) de Miranda Gray.
  • [31]
    Ce rituel énergétique créé par Miranda Gray est pratiqué dans l’intimité ou dans un cercle de femmes, devant un autel composé en vue de représenter la féminité (avec des bols d’eau représentant l’utérus, des fruits, des fleurs…). Il consiste en une succession de visualisations et un temps de méditation visant à « honorer la féminité », accompagner des tournants de vie, et guérir de blessures antérieures. L’appellation anglo-saxonne, « Womb Blessing ® » est une marque déposée donnant lieu à la certification de praticiennes autorisées.
  • [32]
    « Yoni » est le terme sanscrit désignant le sexe féminin. Cette pratique, inspirée d’une tradition taoïste, consiste à y insérer une pierre semi-précieuse en forme de petit œuf, ce qui permettrait de renforcer le périnée et d’améliorer la vie sexuelle, en bénéficiant des propriétés que la lithothérapie attribue aux différentes pierres.
  • [33]
    Difficilement traduisible en français, le terme reclaim « signifie tout à la fois réhabiliter et se réapproprier quelque chose de détruit, de dévalorisé, et le modifier […] aucune idée de retour en arrière, mais bien plutôt celle de réparation, de régénération et d’invention » (Hache, 2016).
  • [34]
    On retrouve ici une pratique militante héritée des mouvements de self-help qui émergent à partir des années 1970 et favorisent la circulation de savoirs sur la santé gynécologique à travers des circuits militants féminins non spécialistes.
  • [35]
    La question était formulée de la manière suivante : « Votre intérêt pour le Féminin sacré et votre fréquentation éventuelle de groupes ou d’évènements liés à cette thématique a modifié votre rapport [à la maternité] : pas du tout/légèrement/beaucoup », et était suivie d’un champ libre pour justifier la réponse, expliquer les changements éventuels.
  • [36]
    Nous nous appuyons sur la carte conceptuelle de la participation politique élaborée par Jan van Deth (2014).

1« Aujourd’hui, la pluralité des bricolages spirituels et la diversification des références et des pratiques qui débordent le champ religieux classique débouchent sur la constitution de mouvances diffuses et par conséquent difficilement repérables » (Garnoussi, 2007). Le Féminin sacré [1] en fait partie. Derrière cette expression, point d’institution ou de communauté de croyantes bien délimitée, mais plutôt un réseau souple, un entrelacs de festivals, de cercles de femmes et de tentes rouges [2], de stages, de publications, de cérémonies, où chacune [3] explore une voie personnelle de recherche et de célébration d’une « puissance féminine » intérieure. S’inscrivant dans une quête de sens [4] et de réenchantement du monde, cette démarche présente des caractéristiques des spiritualités alternatives inscrites dans le sillon du Nouvel Âge (New Age) et dans la « nébuleuse mystique-ésotérique [5] » (Champion, 1989, p. 155) : la primauté accordée à l’expérience, l’appel à cultiver son intériorité, à habiter son corps, l’optimisme quant aux possibilités pour l’humanité de « s’éveiller [6] », d’entrer dans une période d’harmonie, ainsi que l’accent mis sur la transformation intérieure et sur la notion de guérison, avec un « débordement […] à la fois du côté du magique et du côté du psychologique » (Champion, 2000, p. 526). Ces orientations sont tout à fait caractéristiques des nouveaux mouvements religieux issus de la contre-culture des années 1970, dont l’orientation est majoritairement intramondaine : l’horizon n’est plus le salut, mais l’épanouissement dans la vie incarnée et le fait de trouver sa place dans un environnement humain et non-humain perçu de manière holistique comme un tout. Le Féminin sacré peut également être rattaché aux spiritualités féministes, qui ajoutent à ces désirs d’autres modes d’être des « motivations féministes, sans craindre parfois de revendiquer des expériences, des savoir-faire plus spécifiquement féminins » (Daviau, 2010, p. 105). Ces spiritualités se sont développées en Amérique du Nord au début des années 1970, puis ont essaimé en Europe dans les années 1975-1985. Elles puisent leurs racines aussi bien dans l’expérience de la non-mixité et de la sororité prônées dans les groupes de prise de conscience de la deuxième vague du féminisme, que dans le développement de thérapies féministes et de lectures critiques des théories psychanalytiques.

2Plusieurs traditions s’entremêlent au sein du Féminin sacré, comme le mouvement de la Déesse, la néo-sorcellerie ou les néo-paganismes. Davantage qu’elles ne s’inscrivent dans l’une d’entre elles de manière définie, les adeptes opèrent des « bricolages [7] » individuels en assemblant des croyances et des rituels de différentes traditions. Les panthéons de déités et archétypes se composent « à la carte [8] » et font l’objet d’un traitement différencié : pour certaines, il s’agit avant tout d’une imagerie symbolique, pour d’autres, les déesses – ou la Déesse – font l’objet d’un culte. Sur le plan des pratiques, les unes privilégient une recherche autonome, d’autres s’intègrent davantage dans une communauté de femmes. Le degré d’adhésion spirituelle, la dimension ésotérique varient. La pluralité se retrouve jusque dans la conception même de ce que recoupe le concept de féminin sacré, qui n’a pas de définition arrêtée. Certaines adeptes reconnaissent une nature profonde spécifique aux femmes, liée notamment à la potentialité de porter la vie, d’autres mettent en avant un jeu constant de balancier entre des polarités féminines et masculines, yin et yang, présentes en tout individu indépendamment de son sexe. Dans cette vision, inspirée du taoïsme, le souhait de revaloriser les qualités yin associées culturellement au féminin prédomine, sans que soit occulté le rôle de la socialisation différenciée dans la reproduction de qualités et rôles genrés.

3Au-delà de cette hétérogénéité, il est tout de même possible de circonscrire, à des fins d’objectivation sociologique, un périmètre d’inspirations, de croyances, de pratiques qui forment le noyau dur du Féminin sacré. Deux épisodes – fondés sur des recherches archéologiques et historiques, mais aussi interprétés, revisités, jusqu’à en être mythifiés – composent l’« histoire sacrée » (Eller, 1993, p. 151) de cette spiritualité et en irriguent l’imaginaire : celui d’un matriarcat originel, période d’harmonie entre hommes et femmes, entre l’humain et son environnement, qui aurait précédé le patriarcat, et celui de la chasse aux sorcières ayant fait rage à la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance, interprétée comme une tentative d’éliminer les savantes, les soignantes, les « rebelles » risquant de subvertir l’ordre social [9]. Les cultures amérindiennes et celtiques forment le creuset principal de références mobilisées par les adeptes du Féminin sacré qui s’inscrivent pour certaines dans des formes de néo-chamanisme et de néo-druidisme. La Shakti[10], la Kundalini[11] et les chakras[12], concepts issus de la philosophie indienne sont fréquemment mobilisés, de même que la Pachamama (Terre-mère), divinité célébrée dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. De manière moins récurrente, la déesse égyptienne Isis et la figure chrétienne de Marie-Madeleine [13] sont également revisitées par certaines et intégrées à leur système de croyances. Un ensemble d’outils et de pratiques communément partagés peut être identifié : l’astrologie et la divination, des rituels associés au chamanisme – la hutte de sudation [14], la roue de médecine [15] et les voyages au tambour [16] –, des pratiques yogiques, des soins énergétiques, la tenue de cercles de femmes et de célébrations liées au cycle des saisons et à la temporalité du cycle biologique féminin (premières menstruations, enfantement éventuel, ménopause). À la croisée de l’héritage jungien et de la psychologie archétypale, les contes et les archétypes sont fortement investis comme outils thérapeutiques et de développement personnel (Netz, 2019, p. 72). Enfin, à défaut d’avoir un livre sacré, plusieurs lectures reviennent comme des constantes dans la trajectoire de nombre d’adeptes du Féminin sacré en France, tel que Femmes qui courent avec les loups. Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage (Clarissa Pinkola Estés, 1992 éd. originale, 1996 traduction française), Les Cinq blessures qui empêchent d’être soi (Lise Bourbeau, 2000) et les ouvrages de Miranda Gray et Jamie Sams, dont il sera fait mention au gré de l’article.

4Le Féminin sacré comme mouvance plurielle n’a pas encore été étudié en tant que tel dans l’espace francophone [17] : les rares travaux existants se sont focalisés sur une tradition en particulier – notamment les cultes de la Déesse – ou sur l’aspect rituel des cercles de femmes, dans une tradition anthropologique (Netz, 2019). La difficulté à cerner un réseau diffus, en constante évolution, situé au croisement de multiples phénomènes qui font, eux, l’objet d’études – les nouveaux mouvements religieux ou la progression d’une culture psychologique de masse, entre autres – contribue certainement à le laisser dans un angle mort. D’autres éléments expliquent que le monde militant partage cette lacune du monde académique : les assises essentialistes du Féminin sacré et des réseaux qui l’entourent, ainsi que la dimension « magico-spirituelle », ésotérique, font figure de repoussoir et font craindre une délégitimation politique et intellectuelle. Il y a également l’accusation d’être dans une forme d’appropriation culturelle en empruntant des rites et croyances à diverses traditions de peuples colonisés. Est enfin pointé le risque de dépolitisation, de repli sur le bien-être individuel dans la lignée de la vague Nouvel Âge, au détriment de l’action collective. Cette dernière critique n’est pas propre au Féminin sacré, elle est régulièrement formulée à l’encontre des nouveaux mouvements religieux et de la « nébuleuse psycho-philo-spirituelle » (Garnoussi, 2007), qui ont parmi leurs caractéristiques communes de mettre l’accent sur la transformation de soi.

5Si je ne détaille pas l’ensemble de ces critiques, comme cela a déjà été fait (Snyder, 2019), je souhaite ici m’arrêter sur l’apparente tension en France entre féminisme et Féminin sacré, afin d’en comprendre les ressorts et de nuancer l’idée qu’il s’agit de deux voies d’émancipation opposées. Il s’agit de défendre l’idée que le Féminin sacré constitue un terreau propice au développement d’une sensibilité écologiste et féministe, qui peut s’accompagner d’un engagement concret. Ce constat découle d’une enquête que j’ai menée entre 2015 et 2020 sur la coloration écoféministe (Cambourakis, 2019) d’une partie des alternatives du « retour à la terre ». Mouvement politique et philosophique pluriel, l’écoféminisme entrecroise les problématiques environnementales et de genre, en soulignant un lien structurel entre la domination des femmes et la destruction de la nature. Si le Féminin sacré et ses réseaux en France ne constituent pas le cœur même de ma recherche, les récits de vie recueillis se positionnent par rapport à ce phénomène et certaines informantes témoignent d’un engagement dans une voix spirituelle autour du féminin sacré, ou ont dans leur entourage néo-rural des amies, des voisines, qui s’y inscrivent. Geneviève Pruvost, qui a enquêté pendant huit ans sur les alternatives écologiques en milieu rural note la présence de « discours sur la force du principe féminin […] La moitié des femmes rencontrées […] se reconnaissent dans l’équation suivante : “je suis femme, je n’ai pas perdu le lien avec la nature, il y a de la puissance en moi” » (Pruvost, 2019, p. 32). Pour réinscrire les initiatives que j’étudie dans le champ plus large des alternatives, j’ai complété mon enquête de terrain par une formation certifiante en permaculture [18] et par un volet d’enquête sur le féminin sacré au-delà du retour à la terre. Si mon enquête est transnationale et porte sur la France, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, les différences de réception et de développement du Féminin sacré selon les contextes nationaux sont suffisamment importantes pour faire l’objet d’un développement en soi. Je m’appuierai donc dans cet article uniquement sur le volet français de l’enquête, dont je détaille la méthodologie en encadré.

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Méthodologie
Entre 2015 et 2019, j’ai effectué des séjours réguliers dans quatre lieux néo-ruraux permacoles tenus par des (éco)féministes. Cette observation participante en immersion de trois mois m’a permis d’ethnographier les activités productives et reproductives au quotidien et de découvrir les réseaux alternatifs dans lesquels s’insère la population néorurale. J’ai également participé à trois rencontres ponctuelles en non-mixité : la rencontre nationale « terres de femmes, terres lesbiennes » à l’occasion du printemps lesbien de Toulouse en 2016 et le festival des Limous’ines en 2019 et 2020. Une vingtaine d’entretiens semi-directifs viennent s’ajouter aux multiples entretiens informels réalisés sur ces différents terrains.
Cette enquête de terrain est complétée par une veille sur les réseaux sociaux et la diffusion d’un questionnaire très détaillé, avec près de 80 questions et champs libres, au sein de groupes Facebook et listes de diffusion ayant trait au féminin sacré, à la Déesse ou à la mise en place de cercles de femmes ou tentes rouges (N = 97). Étant donné que certaines femmes peuvent se retrouver sur ces espaces numériques par curiosité ou vouloir prendre part à un cercle de paroles non mixte sans pour autant être engagées dans la voie spirituelle du féminin sacré, plusieurs questions étaient posées de manière à pouvoir affiner l’échantillon. Un échantillon d’adeptes du féminin sacré a été constitué en extrayant les réponses de celles qui ont répondu que le féminin sacré est un concept qui « [leur] parle ; à l’égard duquel [elles] ont des sentiments positifs » ou qui « [les] passionne et occupe une place importante dans [leur] vie actuelle [19] » (N = 60). Suivant la technique de l’entonnoir, la première partie du questionnaire permet d’obtenir des données sociologiques de cadrage (âge, situation géographique, conjugale, familiale, orientation sexuelle, activité exercée, niveau de vie, professions des parents, socialisation religieuse et politique, positionnement politique…), avant de creuser la dimension spirituelle (que signifie le féminin sacré pour la répondante ? Quand a-t‑elle été sensibilisée à cette notion ? Par quels biais ? Comment cela se traduit-il en termes de pratiques ?) puis, dans une troisième partie, d’explorer la dimension politique et la notion d’engagement (autodéfinition ou non comme (éco)féministe, place des questions d’égalité des sexes et de préservation de l’environnement dans le quotidien, biais de sensibilisation, traduction en actes, participation à d’autres luttes…).
Les répondantes « adeptes du féminin sacré » (N = 60) ont entre 21 et 54 ans, avec un âge médian de 34 ans et se répartissent dans 38 départements. Si d’après l’Insee 75 % de la population française vit dans une commune de plus de 2000 habitants, elles ne sont que 55 % dans ce cas et sont donc plutôt rurales.
Outre ce volet français d’enquête, trois mois d’enquête ethnographique aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande (dans deux terres de femmes séparatistes et un sanctuaire végane), la participation à un festival en non-mixité et un week-end de célébration spirituelle autour du féminin sacré, et 31 entretiens semi-directifs supplémentaires réalisés dans ces contextes viennent compléter l’assise empirique sur laquelle s’appuient les réflexions développées ici.

7L’analyse, qui propose de dépasser la critique de dépolitisation souvent adressée aux nouveaux mouvements religieux, suivra trois grands mouvements. Dans un premier temps, j’analyserai le Féminin sacré comme phénomène nébuleux à la croisée de la spiritualité et du féminisme. Puis je tenterai de qualifier la nature de l’engagement des adeptes du Féminin sacré, ainsi que les processus d’affirmation et de solidarité qui s’élaborent au gré de leur cheminement. Se posera alors la question des bifurcations biographiques et « bricolages » individuels, qui placent la quête de sens et d’appartenance successivement ou simultanément dans la spiritualité et le militantisme à l’échelle d’une trajectoire de vie. Dans la lignée des travaux sur les « féministes ordinaires » (Achin & Naudier, 2010) et sur les « écoféministes vernaculaires » (Pruvost, 2019) je souhaite apporter ici un regard original, croisant sociologie des mouvements sociaux, du genre et de la religion, pour appréhender l’impensé de cette autre voie d’émancipation pour des femmes qui interrogent les inégalités de genre, les violences sexistes et affirment l’importance de la sororité au xxie siècle, sans que leur ancrage principal soit un réseau féministe militant.

Entre quête de sens et recherche de sororité : la nébuleuse du féminin sacré

Dans l’espace pluriel des nouvelles religiosités

8Relevant du « spirituel diffus » (Garnoussi, 2007, p. 34), les réseaux du féminin sacré sont parcourus de plusieurs traditions et non délimités par une adhésion maîtresse, des institutions ou un ensemble de croyances fixes. Certaines femmes intègrent le concept de féminin sacré à la marge, comme un outil de développement personnel et de cheminement vers un mieux-être. D’autres l’associent à d’autres offres de sens religieuses ou laïques, formant un ensemble hétéroclite visant à traverser l’existence avec davantage de conscience. D’autres enfin font du féminin sacré le cœur de leur spiritualité, reconfigurent leur réseau amical en fonction, s’inscrivent dans une pratique régulière et font de leurs croyances leur grille principale de lecture de l’existence. Comment appréhender de concert le vécu d’une adepte qui a un autel chez elle, participe à des célébrations païennes au moment des changements de saison, se définit comme sorcière et celui d’une autre qui, tout en s’intéressant également au bouddhisme, participe quelques fois par an à des cercles de femmes, explore la dimension symbolique des archétypes de la Déesse et conçoit la maternité comme une expérience sacrée ? L’image de la nébuleuse, régulièrement utilisée en sociologie des religions « pour qualifier des phénomènes hétéroclites et aux contours flous car ne disposant pas d’instance régulatrice stable » (Garnoussi, 2007, p. 11) semble particulièrement adéquate.

9Du fait de ce caractère nébuleux, donner une estimation du nombre d’adeptes ou de groupes en France à l’heure actuelle est délicat. Les principales pages Facebook sur le féminin sacré regroupent jusqu’à 14 000 personnes [20]. L’association Tentes Rouges, qui se donne pour mission de promouvoir et fédérer le réseau de cercles de femmes, recense dans son annuaire en ligne [21] 156 facilitatrices de tentes rouges réparties sur tout le territoire national, mais cela laisse de côté de multiples cercles informels, non répertoriés, n’ayant pas choisi de se nommer « tentes rouges ». Le boom éditorial de publications autour du féminin sacré depuis 2015, s’il n’a pas encore été étudié et chiffré, est également un indicateur de la diffusion du concept. Femmes qui courent avec les loups. Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage de Clarissa Pinkola Estés, précédemment cité, et Lune rouge. Les forces du cycle féminin de Miranda Gray (1994 pour l’édition originale et la traduction française), deux ouvrages de référence dans les milieux du Féminin sacré, ont été lus par des millions de lectrices à travers le monde et connaissent plusieurs rééditions en France. Enfin, les doulas[22], apparues en France en 2003, sont aujourd’hui une centaine répertoriées dans les annuaires professionnels et leur nombre est en augmentation. Chacun de ces éléments pris isolément ne suffit pas à mesurer la diffusion du Féminin sacré, mais les considérer ensemble permet d’appréhender la manière dont cette thématique se diffuse et trouve une audience, via des canaux aussi divers que les réseaux sociaux, la lecture, l’accompagnement de la naissance. Si la présence en France d’un écoféminisme teinté de spiritualité dans les années 1970 et 1980 reste à historiographier, on peut affirmer que l’essor du Féminin sacré comme mouvement est très récent. Seules dix-huit adeptes interrogées via le questionnaire (N = 60) datent leur découverte du féminin sacré d’il y a cinq ans ou plus.

10J’ai choisi de me focaliser ici sur le développement du Féminin sacré en France, mais une comparaison outre-Atlantique permet de mieux comprendre le contexte hexagonal. Une différence culturelle majeure doit en effet être évoquée : si les États-Unis et la France sont deux pays laïcs, la laïcité y est conçue de manière fort différente. Aux États-Unis, pays dont l’histoire et les valeurs sont intrinsèquement liées à l’arrivée de groupes religieux fuyant les persécutions, le respect de la pluralité des groupements religieux prévaut, alors qu’en France, c’est la séparation entre le religieux et la République, et le fait de circonscrire la religion à une quête spirituelle individuelle. Tout groupe autorégulé sortant des grandes confessions reconnues est susceptible d’être associé au « risque sectaire » (Hervieu-Léger, 2001), un enjeu qui fait l’objet d’une lutte forcenée ayant suscité des critiques internationales. Aux États-Unis les spiritualités féministes se sont implantées plus tôt, dès le début des années 1970, ont trouvé une audience plus vaste et les courants évoqués en introduction – sorcellerie, culte de la Déesse, néopaganisme – s’y sont davantage développés comme des voies distinctes et structurées. Outre cette différence de réception, on peut noter que le Féminin sacré a été considéré différemment dans les milieux académiques de ces deux pays. Aux États-Unis, plusieurs études de référence (Eller, 1993 ; Spretnak, 1981) s’intéressent à ce qu’une expression consacrée désigne comme spiritual feminism (« féminisme spirituel »), et de multiples débats ont agité l’observation et l’analyse de cette spiritualité, et de ses liens avec le mouvement des femmes, là où ces questions demeurent des impensés dans le milieu universitaire français.

Sensibilité écologique et ancrage dans le champ des alternatives

11La nébuleuse du Féminin sacré forme des entrelacs multiples avec l’archipel des modes de vie alternatifs. La naissance naturelle, les médecines alternatives, l’intérêt pour les pratiques énergétiques, le respect de la Terre et des rythmes naturels constituent autant de points de convergence et de rencontre de ces réseaux, bercés par l’influence commune des mouvements écologiste, féministe, pacifiste, antimilitariste et décroissant. Nombre de trajectoires recueillies lors de mon enquête en témoignent. Vanessa, 36 ans, ancienne animatrice nature et désormais formatrice et accompagnatrice holistique, intervient lors de l’édition 2019 du festival des Limous’ines en proposant un cercle de paroles sur les sexualités et une table-ronde sur les femmes dans le cycle des richesses. Quelques mois plus tard, elle organise un sommet virtuel de « femmes qui font changer le monde […] à travers le choix conscient et aligné avec leurs valeurs de leur carrière, mode de vie, sexualité, spiritualité, passions [23] », auquel elle convie aussi bien des personnalités des réseaux du Féminin sacré que des activistes engagées dans des ONG telles que Sea Shepherd – vouée à la protection des écosystèmes marins – ou TreeSisters – un réseau de femmes engagé dans le reboisement des zones déforestées (notes de terrain, 2019).

12Les adeptes du Féminin sacré s’inscrivent dans l’ensemble plus vaste des « créatifs culturels ». Cette part croissante de la « population […] tournée vers l’écologie, les valeurs féminines, le social, et le développement psychospirituel » (Ray & Anderson, 2000) a d’abord été décrite à l’issue de quatorze ans d’enquête aux États-Unis auprès de plus de cent mille personnes, puis cette catégorie a été réutilisée dans une enquête sociologique menée en France (Vitalis, 2016), qui conduit à estimer que 17 % des Français seraient en quête de sens et engagés, à leur échelle, contre un modèle de société capitaliste, patriarcal, individualiste et préjudiciable à l’environnement. Critiquables sur le plan de la rigueur méthodologique [24], ces enquêtes permettent cependant de décentrer la question de l’action des organisations militantes ou politiques vers des individus « ordinaires » qui développent une « puissance d’agir » (Achin & Naudier, 2010, p. 78) tintée de féminisme et d’écologie.

Rapports ambivalents avec le féminisme

13Dans cette lignée, sans que le terme de féminisme ne soit systématiquement revendiqué, ni sans nécessairement prendre part à des mobilisations collectives, les adeptes du Féminin sacré œuvrent pour une revalorisation du féminin, hiérarchiquement dominé dans la « valence différentielle des sexes [25] » (Héritier, 1996), et pour une réappropriation par les femmes de leur corps, de leur expérience de la maternité, de leur capacité d’auto-détermination et d’action. Le caractère différentialiste de leur positionnement, la mise en avant d’une « sororité » universelle et le fait de s’appuyer sur la catégorie identitaire de femme – qui plus est en donnant une place à la biologie dans la définition de celle-ci et en embrassant des concepts psychanalytiques jungiens –, les place en porte-à-faux des discours féministes postconstructivistes et queer. Ces derniers soutiennent que le sexe et le genre sont performatifs, déconstruisent la binarité des sexes et considèrent que « recourir à une féminité originelle ou authentique entretient un idéal étriqué teinté de nostalgie qui refuse d’admettre la nécessité actuelle de formuler la question du genre comme une affaire complexe de construction culturelle [ce qui] tend non seulement à servir des fins culturelles conservatrices, mais encore à faire de l’exclusion une pratique féministe, créant précisément des fractures là où l’idéal prétend les dépasser » (Butler, 2006, p. 115). Les craintes exprimées eu égard à la stratégie de revalorisation du féminin ne datent pas de la troisième vague du féminisme. Dès les années 1970 une ligne de clivage émerge, théorisée comme un antagonisme entre féministes universalistes et différentialistes : « pour les unes, il s’agit d’effacer toute distinction entre les hommes et les femmes et d’accéder à part égale pour tous à un véritable universel, pour les autres […] de subvertir cet universel fondement d’une féminité aliénée en œuvrant à d’autres alternatives » (Fougeyrollas-Schwebel, 2005, p. 17). Si le féminisme demeure pluriel et parcouru de controverses, la tendance égalitaire et universaliste devient majoritaire et un certain mépris des différentialistes (Laugier, 2002) a tôt fait de désigner de « mauvaises féministes » accusées d’essentialisme.

14Cette critique d’essentialisme est adressée au Féminin sacré et justifie la distance frileuse avec laquelle certaines féministes – de toutes les vagues du féminisme confondues – observent cette voie spirituelle. Xai, 60 ans, qui a participé au retour à la terre lesbien dans les années 1980, en témoigne :

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Je me méfie par rapport à des questions essentialistes qui ne m’intéressent pas – enfin ce n’est pas que je ne m’y intéresse pas, c’est que je crains que ce soit un piège, dans lequel on tourne en rond autour d’une féminité féminine telle qu’elle est fantasmée dans le monde hétéropatriarcal dans lequel on vit, que ce ne soit pas vraiment une émancipation (entretien, février 2020).

16L’emploi du mot « piège » révèle l’ambivalence de la vision positive qui est donnée des femmes dans le Féminin sacré : le fait de revaloriser la place des femmes, les qualités qu’elles auraient en propre refermerait à nouveau le champ des possibles sur ce que la société permet et valorise déjà chez les femmes, sans briser les barrières érigées par la reproduction des normes. L’idée d’une puissance spécifique des femmes, due notamment à leur capacité biologique de porter la vie, irait à l’encontre d’un projet féministe de libération reposant justement sur la dénaturalisation des rôles genrés.

17Garder en tête que « l’essentialisme n’est pas une position unitaire et cohérente » (Rountree, 1999, p. 139) et s’intéresser à la manière dont les adeptes apprécient la question de la binarité des sexes, ce que représentent pour elles les archétypes symbolisant différentes facettes du féminin, apporte des nuances supplémentaires. Quarante-cinq adeptes sur les soixante ayant répondu au questionnaire sont « plutôt d’accord » ou « tout à fait d’accord » avec l’idée d’une complémentarité des sexes, et quarante-deux reconnaissent des qualités propres aux individus en fonction de leur genre. Cependant, il faut noter que l’intitulé des questions ne présumait pas du fait que ces qualités relèveraient d’une essence, plutôt que d’une socialisation différenciée. À la question suivante, « Si vous avez répondu “plutôt d’accord” ou “tout à fait d’accord” avec l’idée que les hommes et/ou les femmes ont des qualités qui leur sont propres, pouvez-vous lister ici quelques-unes de ces qualités ? », certaines femmes mettent en avant le fait que les femmes seraient plus instinctives, davantage dans la création et l’émotion, tandis que les hommes seraient plus dans la protection, le mental, l’affrontement – en somme des stéréotypes de genre récurrents –, mais d’autres soulignent que le masculin et le féminin sont pour elles des « polarités », des « énergies », présentes en chaque individu. Les entretiens recueillis corroborent ces résultats. Juliette, 43 ans, diététicienne, s’inscrit dans cette vision :

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On a un héritage chromosomique de nos parents qui s’exprime au niveau énergétique et au niveau du patrimoine intérieur : un peu de nous est « typé » féminin, et un peu de nous est « typé » masculin. Quand on travaille sur nos polarités, on regarde comment notre féminin et notre masculin s’expriment, comment ils sont chacun à notre service (carnet de terrain, juin 2019).

19Les archétypes féminins qu’on retrouve le plus fréquemment dans le Féminin sacré, comme le triptyque « maiden-mother-crone » (la jeune fille, la mère et la vieille femme), sont porteurs de la même ambivalence. On peut y voir au premier abord un découpage de la vie des femmes à partir de la seule fonction de reproduction. Pourtant, l’enquête par questionnaire, par entretiens, ainsi que le dépouillement de la revue Rêve de femmes[26] révèlent que l’archétype de la « mère » ne se réduit pas à l’enfantement et à la maternité, et qu’il symbolise plus largement la force de la création intellectuelle ou artistique. L’étude du traitement de la crone – improprement traduit par « vieille femme », alors qu’il représente en fait la période de la vie post-ménopause –, conduit de la même manière à nuancer les stéréotypes : l’image donnée par la société des femmes prenant de l’âge est prise à rebours. Alors que la société invisibilise les femmes âgées et considère la ménopause sur le registre de la dégénérescence, de la carence, la crone est dans le Féminin sacré représentée de manière hautement positive, avec l’idée qu’en cheminant en âge les femmes se connaissent de mieux en mieux, acquièrent en sagesse et en liberté. Inspirées par la vision qu’elles ont des Anciennes dans les communautés autochtones – notamment amérindiennes [27] –, les femmes qui participent à des réseaux sur le féminin sacré considèrent que la vieillesse est propice au fait de prendre un nouveau rôle dans la communauté : la transmission. Ainsi, loin de réduire les femmes à leur potentiel rôle de mère, les archétypes du Féminin sacré tendent à offrir des ressources pour symboliser des étapes du cycle de vie ou des facettes de l’existence. Outre le triptyque évoqué plus haut, de nombreux autres archétypes – déesses grecques, celtes, germaniques, figure de la sorcière, de la guérisseuse, de l’Amazone, de l’amoureuse, de la guerrière – sont plus ou moins investis selon le panthéon personnel de chacune et surtout convoqués en tant que divinités plurielles s’adressant à une multitude de cas. C’est un point que met en avant Christine, 52 ans, qui anime des cercles de femmes :

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Il y a la grande Déesse qui est peut-être comparable à l’Univers finalement, avec ce que ça comporte comme mystère de la Vie aussi. Et puis il y a les mille et un visages de la Déesse, et là, on retombe sur plein de divinités, avec différents archétypes également, et c’est bien justement parce que ça peut parler à plein de femmes différentes : ces visages multiples peuvent toucher des femmes très différentes dans des situations très différentes (entretien, février 2020).

21Enfin, comme le souligne P. Snyder (2019, p. 82) au sujet du mouvement de la Déesse, « le mouvement est certes essentialiste, mais il invite les adhérentes à réfléchir autour des enjeux systémiques de l’oppression patriarcale sur les femmes et la nature et à agir pour changer le monde, développant ainsi leur agentivité ». L’idée de « puissance » est omniprésente dans les écrits sur le féminin sacré et dans les propos des adeptes. Ces dernières sont invitées à prendre leur vie en main, à être dans l’auto-détermination, l’action. On retrouve bien ici l’une des missions du féminisme, à savoir le travail sur l’empuissantement (empowerment[28]) des femmes. À partir de là, il s’agit de déterminer si le changement encouragé se joue uniquement à l’échelle individuelle, à partir de soi, ou si les femmes rencontrées se sentent motrices dans une dynamique de changement plus structurelle.

22Je vais maintenant me pencher sur cette tension entre transformation de soi et changement sociétal, et observer la manière dont le féminisme se manifeste concrètement dans la vie des adeptes du Féminin sacré.

Empuissantement et engagement au quotidien

23L’orientation intramondaine du Féminin sacré et la mobilisation forte d’une rhétorique de respect des femmes et de la nature favorisent, à différents niveaux, une modification de la manière d’être-au-monde des adeptes et une concrétisation par des actes de cette sensibilité, qualifiable d’écoféministe. Deux manifestations seront ici observées : une dynamique d’empuissantement inscrite dans la recherche de nouveaux liens de sororité et un engagement dans la « sphère du proche ».

Une approche psycho-spirituelle de l’empuissantement

24Si les réseaux féministes et du Féminin sacré ont en commun d’offrir des espaces d’écoute et de partage, les uns vont favoriser une lecture politique, tandis que les autres orientent davantage vers une lecture de l’expérience vécue qui emprunte à la psychologie, aux techniques de développement personnel et à la spiritualité.

25C’est le cas des processus de reconstruction après avoir été victime de violences sexuelles. Alors que le féminisme s’est largement emparé de cette question et appelle à la reconnaissance du statut de victime, ainsi qu’à celle de la dimension systémique des abus sexuels, à leur réinscription dans un contexte hétéropatriarcal, les réseaux du Féminin sacré privilégient le discours dominant de la « guérison » et l’approche par le soin. Les références psychologiques et symboliques présentes dans ces réseaux sont largement investies pour réinscrire les épreuves traversées dans un récit de soi et pour se (re)penser comme sujet agissant, avec une force intérieure et une capacité de résilience. Elizabeth, 51 ans, cadre dans le marketing puis énergéticienne et accompagnatrice de femmes, a vécu des abus incestueux des deux côtés de sa famille pendant l’enfance. Lors du recueil de son récit de vie, elle explique qu’elle a su « toute petite qu’[elle] avai[t] un travail de nettoyage des lignées à faire […] qu’il fallait qu’[elle] parle, qu’[elle] lève le secret qui était là depuis le Moyen Âge […] qu’elle était le point de guérison dans la lignée ». C’est à 40 ans, après avoir fait un stage autour du chamanisme et du féminin sacré, où elle a notamment créé un « bouclier de puissance [29] », après avoir exploré l’archétype de la sorcière qui l’a invité, dit-elle, à « nettoyer des mémoires sur la puissance du féminin » qui, chez elle « a été bousillé à 8 ans », qu’elle parvient à lever le voile sur ce traumatisme et à vivre ce qu’elle considère comme une expérience profonde de reconstruction. La référence à la psychogénéalogie, à des symboliques de femmes puissantes, ou encore l’usage de rituels, sont autant de ressources mobilisées dans les réseaux du Féminin sacré face aux violences sexuelles – ce qui n’exclut pas la politisation de la violence subie et le fait de rechercher un accompagnement thérapeutique et juridique. Janet Jacobs (1989), sociologue américaine, a consacré plusieurs articles aux effets des ritualités mêlant des éléments de psychologie et de spiritualité, jugés bénéfiques par des femmes ayant été victimes de violences, notamment sexuelles.

26Un autre exemple parlant est offert par le traitement des menstruations, sorti du placard des tabous très récemment, pour intégrer les revendications féministes (Thiébaut, 2017). Ces dernières portent sur la « taxe tampon » – le fait que les protections périodiques aient une taxe sur la valeur ajoutée de 20 %, et non de 5,5 % comme les autres produits « de première nécessité » –, la « précarité menstruelle » des femmes les plus pauvres ou encore le fait de briser les préjugés et représentations négatives. Dans les réseaux du Féminin sacré, le stigmate social entourant les règles fait l’objet, depuis les années 1970 d’un retournement : les menstruations, souvent appelées « lunes », occupent une place centrale dans la revalorisation du corps féminin. Le cycle menstruel est mis en parallèle avec le cycle lunaire et avec le cycle du vivant qui repose sur un processus ininterrompu de destruction-recomposition. Les menstruations sont donc perçues comme un moyen privilégié de se connecter à son corps, à la nature, au sacré. Les phases du cycle, associés à des archétypes et des énergies spécifiques, constituent un véritable topos des publications sur le féminin sacré qui, pour certaines, sont devenues des best-sellers [30]. Les milieux du féminin sacré diffusent et promeuvent des pratiques alternatives, qu’il s’agisse de pratiques d’hygiène – notamment l’utilisation de protections périodiques lavables puis de la coupe menstruelle – ou de rituels énergétiques visant à rééquilibrer l’énergie sexuelle féminine et à permettre aux femmes de renouer avec leur corps et leur plaisir – on peut penser par exemple à la bénédiction de l’utérus [31] ou à l’usage des œufs de Yoni [32].

27Là où le féminisme démontre que « le personnel est politique » et poursuit un agenda militant, de lutte, le Féminin sacré œuvre ainsi pour une revalorisation symbolique, une réinscription de l’expérience individuelle dans un univers de sens, une opération de réappropriation (« reclaim[33] »). Si ce processus d’empuissantement se traduit à l’échelle de l’individu, il ne faut pas négliger la dimension collective, communautaire, du Féminin sacré. J’évoquais plus haut la recherche de sororité. Celle-ci est réinscrite dans une histoire – le matriarcat, la chasse aux sorcières –, des mythes, et favorisée via des liens qui se tissent lors de cercles de femmes, d’accompagnements à la naissance, de festivals en non-mixité féminine. Céline, 33 ans, artiste, témoigne avoir vécu sa découverte des cercles de parole entre femmes comme « une révélation » :

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Ces femmes qui souvent témoignent de leur sexualité, de leur vie intime, affective, qui font écho de violences conjugales qu’elles ont vécues, d’incestes, de viols, d’abus… on ne se connaît pas, et dans le cercle elles ouvrent ça, elles se mettent à nu. C’est beau, c’est précieux ! […] Ça m’intéressait aussi de retrouver une sororité, parce qu’on ne m’avait pas appris ça […] je crois qu’on apprend aux filles à être rivales à l’école. Ça c’est quelque chose à déconstruire. […] Donc c’est important de reconnecter, de trouver des sœurs, des amies avec qui j’ai de très beaux partages, et de me rendre compte qu’en fait je ne suis pas toute seule, il y en a d’autres comme moi, et qui ont aussi un travail de guérison à faire, en cours (entretien, janvier 2020).

29Des stages, des ateliers, des cycles de formation favorisent le partage d’expériences et la mise en commun d’outils dans les différents domaines de l’existence. Lors de l’édition 2019 du festival des Limous’ines, les participantes pouvaient par exemple s’exercer à pratiquer un auto-examen gynécologique [34], discuter d’un langage plus inclusif, apprendre à faire leurs propres produits d’entretien ou encore échanger sur les manières de vivre la simplicité volontaire au quotidien.

Le Féminin sacré comme catalyseur de changement : agir à partir de soi, au quotidien

D’une évolution des mentalités à une évolution des pratiques

30Les discours autour du Féminin sacré étant fortement imprégnés de l’idée de « transformation », j’ai utilisé le questionnaire pour interroger des adeptes (N = 60) sur la manière dont cette spiritualité avait ou non modifié leur rapport à un ensemble de thématiques évoquées de manière récurrente – le corps, la nature, les femmes et la maternité –, et si oui, dans quelle mesure [35]. Quarante-sept répondantes estiment que leur rapport au corps a été beaucoup modifié et douze légèrement. Les commentaires mettent en avant davantage d’écoute et de respect des besoins et des « ressentis », une plus grande acceptation vis-à-vis de soi. Des modifications de pratiques – notamment l’arrêt de la contraception hormonale et l’utilisation de la coupe menstruelle, perçue à la fois comme écoresponsable et plus saine – sont également évoquées. Le rapport aux femmes a, lui aussi, été modifié pour la quasi-totalité des répondantes : « beaucoup » pour trente-huit, « légèrement » pour seize. Un mot revient comme un raz-de-marée : « sororité ». Certaines détaillent : l’envie d’aider d’autres femmes, de s’unir, le fait de repenser les relations féminines hors de la rivalité et de la jalousie, de faire preuve de plus d’empathie et de bienveillance, de chercher à créer des liens, une communauté. Vingt-neuf répondantes estiment que leur rapport à la maternité a été beaucoup modifié et dix-huit légèrement. Les réponses font ressortir aussi bien le fait de se sentir légitime à ne pas enfanter, que de choisir de donner la vie en quittant la maternité « subie » pour une maternité « choisie ». L’exploration de pratiques alternatives – l’instruction en famille, l’éducation bienveillante, le maternage proximal – et la réappropriation de savoirs et connaissances apparaissent également. De manière légèrement moins unanime, le rapport à la nature a tout de même été légèrement modifié pour vingt et une répondantes, et beaucoup pour vingt-trois. Le mot « connexion » ou « reconnexion » revient de manière récurrente. Là encore, cela se traduit dans des pratiques, comme l’auto-apprentissage ou la formation en cueillette et usage de plantes sauvages et/ou médicinales. Les observations de terrain et les entretiens corroborent tous ces résultats. Une question se pose dès lors : le développement d’une sensibilité nouvelle demeure-t‑il centré uniquement sur la poursuite de l’épanouissement individuel ou donne-t‑il lieu à un engagement ? Sous quelle forme ?

Rejet du militantisme et politique du mode de vie

31Quarante-huit des soixante femmes qui s’inscrivent dans une quête spirituelle intégrant le concept de féminin sacré et qui ont répondu au questionnaire, déclarent que les questions d’égalité des sexes et de lutte contre les violences sexistes occupent une place « importante » ou « prioritaire » dans leur quotidien. Sur les questions de protection de l’environnement et de lutte contre la crise écologique, elles sont cinquante-huit sur soixante. Dire que les formes classiques du militantisme sont complètement rejetées manquerait de nuance. On observe en effet une participation modérée à des manifestations de masse telles que les Marches pour le climat et, chez certaines adeptes, un engagement dans des structures associatives de défense de droits des femmes. Cependant, dans l’ensemble, le militantisme traditionnel est tenu à distance, du fait d’une rhétorique – « lutte », « combat », « conflit » – perçue comme guerrière, agressive. Nombre d’enquêtées mettent en avant une préférence pour le fait de « créer », d’être dans une mise en cohérence concrète entre les valeurs et les pratiques, plutôt que d’entrer dans une dynamique d’opposition. Sur la carte de la participation politique [36], elles se situent dans une participation extra-institutionnelle non tournée vers l’État et plus spécifiquement dans une « politique des modes de vie ». Cette dernière a davantage fait l’objet de recherches, d’une conceptualisation – sous les termes de life politics (Giddens, 1991) ou lifestyle politics (Bennett, 1998 ; Micheletti & Stolle, 2010) – et de tentatives de définition dans la recherche anglo-saxonne. « La politique des modes de vie fait référence à la politisation des choix de la vie quotidienne, qui comprend la prise de décisions inspirées par l’éthique, la morale ou la politique dans différents domaines comme la consommation, les transports […] Elle découle de la prise de conscience du fait que les décisions quotidiennes de chacun ont des implications globales » (De Moor, 2016, p. 181). Selon le niveau d’engagement, cela peut conduire jusqu’à une « politisation du moindre geste » comme l’observe Geneviève Pruvost (2015, p. 103) chez certaines populations alternatives décroissantes.

32Sur la manière dont l’engagement se manifeste, les réponses au questionnaire sont éloquentes : les actes de la vie quotidienne et les prises de position dans un réseau de connaissances sont fortement privilégiés, par rapport aux prises de position publiques ou la participation à des évènements militants. Les détails apportés par les répondantes s’inscrivent dans la lignée de ce que j’ai observé sur le terrain, à savoir l’adoption de gestes écoresponsables – réduction des déchets et recyclage, échelle locale favorisée, modes de transports moins polluants, régime alimentaire végétarien ou vegan… –, le tissage d’un réseau de solidarité féminine passant par des cercles de femmes, un renforcement de l’accompagnement de la maternité, des pratiques de soins holistiques. L’organisation de l’édition 2020 du festival des Limous’ines illustre bien ces tendances. L’évènement a eu lieu dans la ferme d’une jeune maraîchère néorurale qui s’est installée en Creuse avec l’ambition de contribuer à rendre l’alimentation biologique plus accessible. En amont, des chantiers participatifs ont été organisés pour construire des toilettes sèches, des douches solaires et des meubles en palettes de récupération. Sur place, les festivalières ont pu donner une seconde vie à des vêtements et objets dont elles n’avaient plus usage via la mise en place d’une zone de gratuité, et profiter de repas végétariens préparés à base de produits locaux. Un système de garde d’enfants a été instauré, pour permettre aux mères de dégager du temps pour participer aux ateliers (notes de terrain, 2020).

Entre militantisme et spiritualité, une quête de sens et des bifurcations

33S’il apparaît que le Féminin sacré comme le féminisme constituent deux voies pouvant conduire à un empuissantement et une conscientisation d’enjeux abolissant les frontières entre le personnel et le politique suivis d’une modification des comportements, comment s’articule, à l’échelle d’une trajectoire de vie, l’inscription dans ces deux mouvements, dans une voie spirituelle et une voie politique ?

Profils des adeptes du Féminin sacré

34Les adeptes du Féminin sacré s’inscrivent dans une conception du féminin et de l’identité féminine qui s’inscrit plus dans la mouvance différentialiste et dans une approche psycho-spirituelle que dans les orientations idéologiques prédominantes du féminisme contemporain. Pourtant, toutes les tranches d’âge sont représentées : il ne s’agit donc pas d’une différence générationnelle. Cernons à présent les caractéristiques récurrentes que présentent les adeptes du Féminin sacré.

35En termes de socialisation primaire tout d’abord. Quarante et une répondantes (N = 60) estiment que la religion ou la spiritualité était inexistante ou « peu importante » dans le foyer où elles ont grandi, treize « assez importante » et six « importante ou très importante ». Parmi celles qui avaient des parents croyants, la tradition chrétienne prédomine très largement. Plus que la sensibilisation à la religion ou à la spiritualité, c’est le fait d’avoir eu des parents à gauche de l’échiquier politique, ou écologistes, qui se démarque comme un premier déterminant sociologique des adeptes du Féminin sacré.

36Fait tout à fait notable, la totalité des répondantes ont le baccalauréat et 85 % d’entre elles (soit cinquante et une répondantes) ont un diplôme de niveau bac+3 minimum. Si l’on rapporte ce taux au fait que moins de 20 % des Français ont un bac+2, on peut qualifier cette population de surdiplômée. Nombreuses sont celles qui connaissent une forme de déclassement social. En dépit de leur capital culturel et éducatif élevé, vingt-cinq répondantes n’ont pas d’emploi rémunéré au moment de l’enquête. Vingt-six estiment avoir un niveau de vie « moins confortable » que le foyer de leur enfance, vingt-deux « équivalent » et douze « plus confortable ». Parmi celles qui ont un emploi, on peut observer une forte proportion d’indépendantes, d’auto-entrepreneures, avec des activités liées au soin et à la création. Ces résultats doivent toutefois être légèrement pondérés : le questionnaire effectué ouvre des pistes, mais devrait être reconduit auprès d’un échantillon plus conséquent pour prétendre à la représentativité.

37Les entretiens permettent d’affiner ce tableau et de mesurer l’importance des bifurcations biographiques. L’intérêt pour le Féminin sacré est souvent corrélé à une bifurcation professionnelle – licenciement, changement d’activité liée à une quête de sens et d’épanouissement – ou familiale – mise en couple, séparation, et plus souvent encore, entrée dans la maternité. Les parcours des informantes citées précédemment dans cet article sont, à cet égard, exemplaires. Elizabeth se sépare de son conjoint et bifurque professionnellement vers le conseil en image puis l’énergétique après avoir travaillé dans le marketing, dans une période où elle rencontre des femmes qui l’inspirent et qu’elle va considérer comme des guides – y compris une femme chamane qui occupe une place importante dans son récit de vie. Christine connaît également une bifurcation professionnelle, conjugale et spirituelle au même âge, la trentaine : en dépression à l’issue de sa thèse, elle se prend d’intérêt pour le bouddhisme et rencontre dans ce cadre son futur mari. Poursuivant sa quête spirituelle, elle abandonne progressivement le bouddhisme pour le néopaganisme et le druidisme. À la suite d’une rupture sentimentale, Vanessa déménage et quitte son emploi. Elle se met à explorer le tantra et les cercles de femmes, et y trouve progressivement une voie spirituelle et professionnelle.

Dans les angles morts du féminisme

38Au-delà des caractéristiques récurrentes permettant d’esquisser un profil sociologique des adeptes du Féminin sacré, on peut mettre en regard les trajectoires de ces femmes vis-à-vis du militantisme féministe. Plusieurs cas de figure peuvent être distingués.

39Une partie d’entre elles se sent à la marge du féminisme, du fait de leurs choix de vie qui leur semblent en inadéquation avec ce qu’elles imaginent être la norme des féministes : allaiter longuement ou rester à la maison pour s’occuper des enfants, par exemple. Maria, 41 ans le formule explicitement : « Je suis femme au foyer et très heureuse, mais ce statut dérange les féministes qui prennent ça comme une trahison à la cause. » Carine, 43 ans, « [se] défini[t] comme féministe, mais [elle] n’aime pas le féminisme d’aujourd’hui, matérialiste et déconnecté ». On s’approche ici de ce que note G. Pruvost dans ses enquêtes sur la nébuleuse écologiste rurale. Pour une partie des femmes de son échantillon, « le féminisme est compris comme un mouvement normatif qui prône le travail à plein temps, rémunéré, en dehors de chez soi, avec délégation du soin des proches à des services, sans soutien pour les femmes qui font d’autres choix de vie » (Pruvost, 2019, p. 31). Un autre reproche est fait aux féministes : elles seraient trop cérébrales et trop influencées par leur ancrage urbain et par les théorisations universitaires, tandis que le Féminin sacré vise au contraire à favoriser le sensible, l’expérience vécue, la place qu’y joue le corps, à s’inscrire dans le temps long, à donner toute son importance aux énergies, à la connexion au monde végétal et animal, à une vision holiste de l’existence.

40Ce second point nous amène à un autre cas de figure : les femmes qui ont fait partie de réseaux féministes, mais ont ensuite bifurqué vers ceux du Féminin sacré – ce qui ne signifie pas qu’elles rejettent leur bagage féministe et ne soutiennent plus de mobilisations, mais s’apparente plutôt à un changement de netness, ou réseau de sociabilité choisie, pour reprendre le concept de Charles Tilly (1978). La bifurcation peut être causée par une déception dans le milieu militant initial, par la recherche de ressources que l’individu n’a pas trouvé dans le militantisme, ou les deux conjointement. L’exemple d’Ida permet de contextualiser ces éléments à l’échelle d’une trajectoire de vie. Cette jeune femme découvre à 30 ans qu’elle aime les femmes. Elle s’investit alors pendant trois ans dans le milieu féministe et lesbien puis, à l’issue d’un conflit interne au sein de son association lesbienne, elle quitte la sphère militante et se rapproche davantage de réseaux informels « transpédégouines ». Là encore, le constat de divisions internes qui s’enveniment, notamment entre ceux qu’elle appelle les LGBT « traditionnels » et les queer radicaux, la conduit à prendre ses distances. La découverte des cercles de paroles entre femmes et la puissance du partage qu’elle y trouve, puis l’initiation au chamanisme, la déplacent progressivement vers un nouveau réseau où expérimenter la sororité qu’elle recherchait dans le milieu lesbien et féministe :

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J’ai constaté en entrant dans le Féminin sacré, où on est beaucoup dans une ouverture de cœur, que c’était ça qui me manquait dans le militantisme LGBT : c’était l’ouverture de cœur, de corps… Parce que finalement on parle beaucoup de corps, mais il est peu vécu, on est beaucoup dans les mots ! […] Pour moi c’était vraiment de l’intérieur : sentir mon corps, pouvoir parler sans gêne de ma sexualité, c’est-à-dire pas dire « je suis hétéro » ou « je suis lesbienne », mais vraiment de comment je la vis ma sexualité, est-ce que ça se passe bien, pas bien […] dans le milieu LGBT on est quand même beaucoup sur les mots, il y a un milieu universitaire qui est très présent sur le genre, le féminisme et la sexualité, je me rends compte qu’on est vachement sur les mots (Ida, 34 ans, sans profession, entretien février 2020).

42Sur mes terrains de recherche néoruraux, j’ai pu observer le changement de réseau des individus, qui se déplacent de réseaux militants urbains vers des réseaux alternatifs ruraux, où de nouvelles pratiques peuvent être adoptées, encouragées par leurs nouvelles fréquentations. Margot est un bon exemple : jeune trentenaire néorurale rencontrée lors d’un séjour de terrain dans sa ferme, Margot était investie à Paris dans les milieux féministes queer et au sein du syndicat du travail sexuel. Elle a suivi un parcours en sociologie du genre. Installée en zone rurale, elle se rapproche des autres jeunes néoruraux des environs qui partagent un intérêt pour la permaculture, la recherche d’une vie « alternative », plus respectueuse du vivant, et sympathise notamment avec une doula. Deux de ses nouvelles amies sont enceintes et Margot elle-même est en plein processus d’assistance médicale à la procréation, avec son compagnon, qui est transgenre. Sans perdre son bagage militant de féministe intersectionnelle queer, Margot s’intéresse de près à la manière dont les milieux du féminin sacré considèrent la grossesse et l’entrée dans la maternité. Elle participe à des tentes rouges, à un rituel d’inspiration mexicaine réalisée pour une amie après son accouchement, et a pour projet de naissance d’accoucher à domicile ou dans une maison de naissance. Ce parcours nous conduit à noter que les bifurcations ne sont pas uniquement professionnelles et/ou familiales : elles peuvent également être résidentielles. Pour certaines, l’expérience de la ruralité et d’une reconnexion à la terre accompagne et nourrit une quête de sens et de cohérence personnelle (Rimlinger, 2019).

Conclusion

43Tout au long de cet article j’ai cherché à mettre en lumière une porte d’entrée dans la cause des femmes (Bereni, 2012) ignorée par les études sur le genre : la recherche spirituelle autour du féminin sacré. Après avoir présenté la nébuleuse du Féminin sacré, et les craintes d’essentialisme et de « retour en arrière » qu’elles suscitent chez certaines féministes, j’ai investigué la manière dont cette recherche spirituelle favorise, pour nombre d’adeptes, une dynamique d’empuissantement et le développement d’une sensibilité écoféministe qui se traduit par un engagement au quotidien dans la sphère d’interconnaissances, plutôt que via des mobilisations collectives. À partir de trajectoires de vie, j’ai ensuite questionné la manière dont les individus peuvent naviguer entre une quête spirituelle et un engagement militant, et chercher des ressources complémentaires dans les deux. Ces différents éléments, loin d’être des résultats aboutis, ouvrent de multiples pistes d’exploration, sur un sujet encore sous-investi.

44D’ores et déjà, l’étude du Féminin sacré permet d’éclairer des aspects peu mis en avant concernant les religiosités nouvelles, les mouvements féministes et écologistes. Alors que les dynamiques d’emprunt à différentes traditions religieuses et spirituelles, et le bricolage de croyances et de techniques de bien-être prêtent le flanc aux critiques de « consumérisme spirituel », l’analyse des réseaux du Féminin sacré révèle qu’au-delà des problématiques de marchandisation – qui ouvrent en elles-mêmes une piste féconde de recherche –, l’établissement d’un autel à la maison avec diverses statuettes de déesses ou les festivals autour de la « puissance du féminin » sont le signe d’une recherche à la fois individuelle et collective d’une voie spirituelle répondant aussi bien à une quête de sens qu’à une insatisfaction quant à l’état actuel des rapports de sexe dans notre société. La resacralisation du vivant, la célébration des liens unissant les humains entre eux et avec leur environnement, et la posture d’humilité face aux mystères de l’existence informent sur un changement de cosmovision qui nourrit nombre de trajectoires de vies alternatives, engagées, écologistes à leur échelle, à l’ombre des grandes organisations environnementales. Enfin, la culture du féminin sacré et ce que viennent y chercher celles qui s’y intéressent révèlent un sous-investissement de certaines réalités par les milieux féministes. Ainsi, le manque d’intérêt jusqu’à il y a peu pour la maternité et les questions associées de libre choix dans le vécu de la grossesse et de l’accouchement, la mise à distance du corps comme entité concrète, vécue, et non comme concept théorique, la méfiance à l’égard de l’évocation de la nature, et la relégation de la sphère domestique, du foyer, comme « espace déclassé » (Masset & Hitier, 2014, p. 7), s’ils s’expliquent par des épisodes historiques de lutte féministe pour se détacher d’injonctions et de rôles imposés aux femmes, conduisent une partie des femmes à ne pas se sentir représentées et intégrées dans les féminismes, ou à chercher de la sororité ailleurs que dans ce cadre militant.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : féminin sacré, spiritualité, féminisme, trajectoire, émancipation

Mise en ligne 22/03/2021

Notes

  • [1]
    Je mets dans cet article une majuscule à l’expression pour désigner la mouvance psycho-philosophico-spirituelle, et une minuscule pour le concept. Le sous-titre de l’article est un clin d’œil à l’article de Carol Christ (1979) qui explique que la question n’est pas tant de savoir s’il y a effectivement eu un culte originel de la Déesse, que de voir les effets psychologiques et politiques que pourrait avoir une religiosité nouvelle féministe.
  • [2]
    Inspirées de l’ouvrage La Tente Rouge d’Anita Diamant (1997 éd. originale), les « tentes rouges » sont des cercles de paroles en non-mixité, où des femmes se réunissent dans un espace-temps délimité pour échanger et tisser des liens de sororité.
  • [3]
    Bien qu’il ne soit pas exclu qu’un homme s’intéresse à ce concept, les réseaux du Féminin sacré sont essentiellement composés de personnes se reconnaissant comme femmes et sont, dans certains cas, explicitement non-mixtes. J’ai donc choisi d’employer le féminin générique.
  • [4]
    La double connotation du mot « sens » informe cette quête : il s’agit autant de chercher des clefs de compréhension de l’existence, que de trouver des directions à suivre pour vivre en cohérence avec les valeurs qu’on associe à cette existence et à sa visée éventuelle.
  • [5]
    Françoise Champion (1989) propose de réunir sous ce terme les groupes et réseaux qui, dans le sillage de la contre-culture des années 1970, conjuguent des références mystiques, ésotériques et psychologiques.
  • [6]
    Je reprends ici un terme indigène.
  • [7]
    Non péjorative, cette fameuse métaphore – largement employée dans l’étude sociologique des nouveaux mouvements religieux – découle de l’analyse des mythes par Claude Lévi-Strauss (1962, p. 32) : « Le propre de la pensée mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d’élaborer des ensembles structurés non pas directement avec d’autres ensembles structurés, mais en utilisant des résidus ou des débris d’évènements. »
  • [8]
    Je reprends ici partiellement l’expression de « religions à la carte » employée par Jean-Louis Schlegel (1995) pour caractériser la recomposition individuelle de la religiosité à la suite du processus de sécularisation.
  • [9]
    Nous n’avons pas ici la place d’entrer dans le détail de ces deux épisodes, de la manière dont les milieux (éco)féministes s’en saisissent et des controverses scientifiques qui les entourent. Une littérature abondante existe sur le sujet, aussi bien dans le champ scientifique que militant.
  • [10]
    En sanskrit, la Shakti signifie « pouvoir », « puissance ». Dans l’hindouisme, il désigne l’énergie créatrice primordiale, le principe divin féminin.
  • [11]
    La Kundalini est un terme sanskrit signifiant « boucle », utilisé pour désigner une puissante énergie vitale circulant dans la colonne vertébrale.
  • [12]
    Dérivé du terme sanskrit signifiant « roue », les chakras désignent sept points de jonction de canaux énergétiques dans le corps humain.
  • [13]
    Sur ce point on peut renvoyer aux travaux d’Anna Fedele (2013).
  • [14]
    Dans ce rituel d’origine amérindienne tourné vers l’idée de purification, un petit groupe de personnes se réunissent dans une tente chauffée à 90 °, et sont conduites par le chaman dans différentes pratiques (offrandes, chants, prières, etc.).
  • [15]
    Autre pratique inspirée des traditions amérindiennes, la roue de médecine consiste à créer un « cercle sacré », en invoquant les différentes directions (nord, sud, est, ouest), les esprits, éléments et animaux-totems qui y sont associés.
  • [16]
    Dans différentes traditions chamaniques, amérindienne et nord-asiatique notamment, le tambour est considéré comme « animé », vivant, et ses vibrations sont utilisées pour se relier au monde des esprits, pour atteindre des états modifiés de conscience, tels que l’état de transe.
  • [17]
    Ce qui contraste fortement avec la littérature anglo-saxonne, bien plus prolifique sur le féminin sacré – désigné sous feminine divine –, les diverses spiritualités féministes et leurs courants.
  • [18]
    La permaculture – contraction de permanent agriculture –, théorisée dans les années 1970 par les Australiens Bill Mollison et David Holmgren, est à la fois une éthique et une méthode visant la conception de systèmes intégrés, durables et résilients, où l’activité humaine est pensée en harmonie et en interconnexion avec les écosystèmes naturels.
  • [19]
    Les deux autres réponses possibles étaient : « la notion de féminin sacré ne vous parle pas particulièrement ; à l’égard de laquelle vous êtes indifférent·e » et « la notion de féminin sacré vous interpelle ou vous questionne ; à l’égard de laquelle vous êtes curieux·se ».
  • [20]
    11 000 pour la page du « Festival du Féminin », principal réseau de festivals sur le féminin sacré depuis 2012, 14 000 pour la page générique « Féminin sacré », 12 000 pour la page de la revue « Rêves de femmes », principale revue francophone sur le féminin sacré.
  • [21]
    Consulté en mars 2020.
  • [22]
    Une doula accompagne et soutient la femme enceinte pendant la grossesse, l’accouchement et la période postnatale. Sa fonction n’est pas thérapeutique ou médicale.
  • [23]
  • [24]
    On peut notamment reprocher à la notion de « créatifs culturels » ses contours flous. Cependant, comme ici avec le Féminin sacré, il s’agit de cerner une nébuleuse hétérogène, à partir de valeurs et comportements partagés, ce qui complique la détermination de frontières nettes autour de la population étudiée.
  • [25]
    L’expression n’est pas reprise directement par les femmes rencontrées, mais plusieurs travaux de Françoise Héritier sont convoqués par ces dernières lors de discussions.
  • [26]
    Publiée entre 2005 et 2019, Rêve de Femmes s’est présenté comme un magazine « rêvé et créé par des femmes pour celles et ceux qui souhaitent mieux connaître les femmes », puis comme « une revue participative rêvée et créée par des femmes. Une invitation à s’ouvrir au Féminin Sacré pour les hommes et les femmes en chemin » à partir de 2011.
  • [27]
    Cette vision est notamment relayée par l’ouvrage Les 13 mères originelles : La voie initiatique des femmes amérindiennes (Jamie Sams, 1992 éd. originale, 2011 traduction française), présenté comme « incontournable » dans les milieux du Féminin sacré et à l’origine de nombreux stages. L’auteure, dont l’authenticité des origines est controversée, présente à travers des contes l’enseignement qu’elle dit avoir reçu de ses deux grands-mères Kiowas (nation amérindienne).
  • [28]
    Utilisé dans de multiples concepts, le concept d’empowerment est alternativement traduit par « pouvoir d’agir », « encapacitation » ou encore « empuissantement ». Nous avons ici arrêté notre choix de traduction sur ce troisième terme, qui fait écho à la mention – extrêmement fréquente dans les réseaux du Féminin sacré – d’une « puissance féminine ».
  • [29]
    Cette idée de « bouclier » protégeant des « énergies négatives » fait partie des emprunts au chamanisme amérindien.
  • [30]
    On peut penser notamment à Lune rouge : les forces du cycle féminin (1994) de Miranda Gray.
  • [31]
    Ce rituel énergétique créé par Miranda Gray est pratiqué dans l’intimité ou dans un cercle de femmes, devant un autel composé en vue de représenter la féminité (avec des bols d’eau représentant l’utérus, des fruits, des fleurs…). Il consiste en une succession de visualisations et un temps de méditation visant à « honorer la féminité », accompagner des tournants de vie, et guérir de blessures antérieures. L’appellation anglo-saxonne, « Womb Blessing ® » est une marque déposée donnant lieu à la certification de praticiennes autorisées.
  • [32]
    « Yoni » est le terme sanscrit désignant le sexe féminin. Cette pratique, inspirée d’une tradition taoïste, consiste à y insérer une pierre semi-précieuse en forme de petit œuf, ce qui permettrait de renforcer le périnée et d’améliorer la vie sexuelle, en bénéficiant des propriétés que la lithothérapie attribue aux différentes pierres.
  • [33]
    Difficilement traduisible en français, le terme reclaim « signifie tout à la fois réhabiliter et se réapproprier quelque chose de détruit, de dévalorisé, et le modifier […] aucune idée de retour en arrière, mais bien plutôt celle de réparation, de régénération et d’invention » (Hache, 2016).
  • [34]
    On retrouve ici une pratique militante héritée des mouvements de self-help qui émergent à partir des années 1970 et favorisent la circulation de savoirs sur la santé gynécologique à travers des circuits militants féminins non spécialistes.
  • [35]
    La question était formulée de la manière suivante : « Votre intérêt pour le Féminin sacré et votre fréquentation éventuelle de groupes ou d’évènements liés à cette thématique a modifié votre rapport [à la maternité] : pas du tout/légèrement/beaucoup », et était suivie d’un champ libre pour justifier la réponse, expliquer les changements éventuels.
  • [36]
    Nous nous appuyons sur la carte conceptuelle de la participation politique élaborée par Jan van Deth (2014).
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