Sociologie 2016/1 Vol. 7

Couverture de SOCIO_071

Article de revue

Esprit de corps et jeux de distinction étudiants Deux faces d’un week-end d’intégration dans une école de commerce

Pages 5 à 22

Notes

  • [1]
    Nous tenons à remercier sincèrement les personnes ayant contribué à cet article : ceux qui nous ont aidé sur le terrain, au premier rang desquels Alexandre Severac et Yoann Buzenet, mais plus généralement l’ensemble des étudiants ayant accepté de nous répondre ; ceux également qui ont posé un œil critique sur ses versions successives : Anni Borzeix, Olivier Roueff, Evelyne Ribert, les membres de l’atelier d’écriture animé par Linda Rouleau (en particulier Rachel Beaujolin et François Goxe), et bien entendu les relecteurs anonymes de la revue Sociologie.
  • [2]
    Benjamin Masse (2002) constituant une exception en la matière, puisqu’il l’envisage comme un des rites festifs rythmant la vie étudiante dans deux des trois cas qu’il compare – mais il s’agit alors ici d’un rite parmi d’autres, permettant d’accéder à la compréhension des « manières de boire » et non le sujet de réflexion du chercheur en tant que tel.
  • [3]
    L’événement a été rebaptisé week-end de parrainage ou WEI dans l’école étudiée. Nous utiliserons indifféremment les deux termes dans cet article,
    dans la mesure où le changement de dénomination n’a eu que très peu d’impact sur les pratiques.
  • [4]
    Les « polars » sont les étudiants qui passent leur temps à travailler ; les « no life » ceux dont on considère qu’ils n’ont pas de vie sociale ; les « nobods » (de l’anglais nobody) quant à eux sont les étudiants que personne ne connaît dans la promotion.
  • [5]
    Cela n’empêche pas toutefois ces « nobods » et « polars » d’avoir un engagement associatif actif dans ou en dehors de l’école, bien que dans le cadre de l’école il s’agisse souvent des petites associations qui peinent à survivre et avec une vocation moins festive (écologie, humanitaire, etc.).
  • [6]
    Que cette dimension « incontournable » du week-end d’intégration soit devenue une doxa partagée par les étudiants d’autres écoles de commerce également apparaît clairement dans le témoignage d’un étudiant boursier à HEC interrogé par Anne Lambert (2010).
  • [7]
    Ce consensus autour de l’objectif d’intégration n’interdit toutefois pas des divergences, par exemple sur les activités proposées – le responsable de la vie associative au sein de l’administration trouvait ainsi que le contenu était trop pauvre pendant la journée, et qu’un WEI ne devrait pas se limiter à des fêtes –, ou encore sur l’attention portée à la sécurité – même si les BdE rencontrés semblaient y attacher une importance croissante et chercher à se « professionnaliser » de ce point de vue.
  • [8]
    Nous n’avons pas eu accès aux échanges entre étudiants via les réseaux sociaux. Ceux-ci pourraient donner à voir des controverses plus vivaces sur les sujet évoqués (tarification, ambiance…) ; mais ces éventuelles controverses en ligne ne sont pas évoquées dans les entretiens pour autant.
  • [9]
    Plus de la moitié des répondants à notre enquête disent qu’ils ne connaissaient personne à leur arrivée à l’école.
  • [10]
    Une forte rivalité était traditionnellement entretenue avec cette école, à la fois dans les classements des écoles, et dans les tournois sportifs entre étudiants, etc.
  • [11]
    Notamment ceux qui n’ont pas bénéficié dans les classes préparatoires de l’apprentissage préalable des comportements extra-scolaires, c’est-à-dire une socialisation anticipatrice. Voir Darmon (2013, pp. 253, 277).
  • [12]
    Préparation au Cycle Master. Voir supra « L’origine scolaire » pour plus de détails.
  • [13]
    Dans les écoles de commerce en effet, les associations étudiantes contribuent à la formation professionnelle des étudiants (Lazuech, 1999 ;
    Abraham, 2007), ce qui explique pourquoi les administrations leur fournissent souvent locaux et financements (Lambert, 2010).
  • [14]
    Mentionnons tout de même quelques débats parmi les 4A, dont certains considèrent que de tels messages ne devraient pas être repris, proposant par exemple de leur substituer « je suis 4A, dans mes bras ».
  • [15]
    On peut faire un parallèle ici avec l’étude de Brigitte Larguèze (1995) qui montre que les élèves les plus impliqués dans le bizutage sont également ceux qui s’investissent le plus dans les activités associatives en général.
  • [16]
    Une association se démarque, il s’agit d’un club de voile, dont on dit qu’il a été fondé par une ancienne liste BdE « qui a refusé de perdre » et s’est constituée en association. Son recrutement se veut très sélectif, selon une logique exclusive favorisant les étudiants de « bonnes familles » qui n’est pas du tout celle des listes et interdit même aux futurs membres de « lister ».
  • [17]
    Il s’agit d’une sorte de who’s who de la promotion mais dont la conception se veut collaborative et permet donc les commentaires et échanges sur tel ou tel.
  • [18]
    Si l’école observée promeut la diversité dans ses recrutements – toutefois principalement en direction des classes préparatoires littéraires –, et si une partie de chaque promotion comprend des étudiants étant passés par des BTS, DUT ou IUT, il n’en reste pas moins que les classes préparatoires représentent la grande majorité des étudiants de l’école.
  • [19]
    C’est le nom donné à l’« élite de l’alcool » de l’école, les anciens cooptant les nouveaux étudiants ayant démontré leur capacité à tenir la boisson.

1 À chaque rentrée universitaire, les « grandes écoles » de commerce et d’ingénieurs sont le cadre d’un événement singulier, le week-end d’intégration (WEI) [1]. Organisé sous l’égide du Bureau des élèves (BdE) élu, l’événement consiste à transporter plusieurs centaines d’étudiants composés essentiellement de primo-entrants en car, en train, voire même en avion à un village-vacance qui se trouve généralement au bord de la mer. Là, pendant deux ou trois jours dans une ambiance festive où les apéritifs généreusement arrosés se succèdent, les étudiants font connaissance avec les membres de leur promotion et des anciens, dont le rôle est de les intégrer à la communauté estudiantine, ce qui passe souvent par des pratiques de bizutage.

2 Evénement emblématique de la vie des « grandes écoles » dont les médias aiment se faire l’écho, le WEI ne bénéficie pas d’une attention aussi soutenue de la part des sociologues. La plupart de ceux qui ont étudié les grandes écoles et les classes préparatoires (prépa) qui permettent d’y accéder, ne s’attardent pas sur ce micro-événement [2]. Dans les travaux de Pierre Bourdieu (1981, 1989), c’est moins la vie interne de ces écoles qui comptent, que la consécration qu’elles offrent vis-à-vis de l’extérieur et la reproduction de la domination qu’elles permettent ainsi. Ainsi, Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin (1987) décrivent les relations entre écoles pour donner à voir la division entre les écoles « intellectuelles » et les écoles de « pouvoir ». Même un article comme celui de Denys Cuche (1985), décrivant par le menu les rites si spécifiques des Arts et Métiers, en propose une interprétation tournée vers l’extérieur, puisqu’il s’agit selon lui de la défense d’une spécificité culturelle et d’un statut.

3 Une autre série de travaux se penchent attentivement sur l’intérieur des grandes écoles ou des classes préparatoires. Ainsi Muriel Darmon (2013, p. 16) propose de considérer la fonction technique des classes préparatoires, donnant ainsi à voir la fabrique d’un « type particulier de personnes », façonnant des individus que nous retrouvons pour un bon nombre au WEI. Mais les participants d’un WEI ne se réduisent pas à des individus préparés pendant deux, voire trois ans, et l’étude de cet amont préparationnaire ne peut donc suffire, surtout si l’on considère la diversité des formations d’origine des étudiants en école de commerce dont une part significative n’est pas issue des classes préparatoires.

4 Tenir compte des différences, c’est laisser la possibilité de saisir l’école comme un espace social, là où les travaux existants considèrent souvent cet aspect comme marginal. Ceux-ci portent en effet principalement leur attention sur la « force » de l’institution par opposition à « l’institution faible » qu’est l’université (Felouzis, 2001, p. 225), qui se traduit notamment par la prégnance de ses rites festifs, homogènes à l’intérieur par distinction d’avec les autres écoles (Masse, 2002).

5 Une recherche comme celle d’Yves-Marie Abraham (2007) a bien montré les stratégies distinctives des étudiants de L’École des hautes études commerciales de Paris (HEC) pour évoluer en son sein (polars, héritiers, etc.) ; mais il s’agissait avant tout de rendre compte de l’école comme milieu de transition, correspondant à un moment de transformation des étudiants, produisant in fine peu ou prou le même effet sur « la grande majorité » des étudiants. Pourtant, comment les étudiants envisagent-ils leur installation dans l’école, comment cherchent-ils à l’investir comme espace social ?

6 D’autres recherches sociologiques, notamment celles qui se donnent pour objet la fête estudiantine rendent compte des pratiques étudiantes en évacuant une analyse des relations entre les acteurs sociaux pour se concentrer sur la consommation d’alcool et les comportements extrêmes que celle-ci tend à provoquer en tant que tels (Deroff, 2007 ; Le Breton, 2002 ; Moreau, 2010 ; Moreau & Sauvage, 2006 ; Neyrat, 2010). Certains auteurs décrivent « l’apogée de tous les excès » (Dagnaud, 2009) et les approches centrées sur les week-ends d’intégration font ressortir des pratiques de bizutage scabreuses, voire dégradantes (voir inter alia dans Bourgeois, 2002 ; Larguèze 1995 ; Renaud & Lamy, 1992). Ces recherches nous paraissent d’autant plus réduire le champ de l’analyse que, comme nous le verrons, les comportements extrêmes, lorsqu’il y en a, sont les symptômes d’éléments plus importants à analyser.

7 À quoi sert donc le WEI ? Et quelle place lui donner dans l’analyse sociologique ? Une analyse ethnographique serrée et attentive notamment au point de vue des étudiants, les principaux acteurs sociaux concernés, nous permettra de saisir comment le WEI, au prétexte d’une intégration heureuse aussi évidente que l’appartenance à la nouvelle promotion, initie en fait un questionnement pour les nouveaux étudiants quant à leur place dans l’école ; questionnement double puisqu’il concerne simultanément la position par rapport à un ailleurs (les autres écoles) et par rapport à un hic et nunc (son rôle et sa reconnaissance au sein même de l’école).

8 Nous inspirant de la démarche adoptée par Howard Becker et al. (1992, pp. 19-21), nous avons porté notre attention sur ce qui semblait important pour les participants observés, sur ce qui représentait un enjeu ou éveillait leur intérêt. Nous avons également étudié les aspects de l’événement qui semblaient donner lieu à des conflits ou des tensions entre étudiants. En fait, nous nous sommes intéressés aux « formes collectives de l’action sociale et à ses effets sur les étudiants » (ibid., p. 20).

9 Ainsi nous avons cherché à déceler, derrière les interactions à première vue innocentes des participants, les rites favorisant la reproduction d’une structure de relations et de distinctions entre les étudiants de l’école. Notre objectif à travers la description du WEI tel que les étudiants le vivent est d’appréhender la genèse d’une communauté estudiantine qui unit ses membres tout autant qu’elle prépare leur différentiation. Nous avons donc cherché à dépasser dans l’analyse les perceptions et représentations spontanées de cet événement, sans pour autant rompre avec le point de vue des acteurs. Comme l’écrit P. Bourdieu (1987, pp. 154-156), la « rupture objectiviste » avec la sociologie spontanée ne doit pas conduire à occulter les perceptions des acteurs du monde social même si l’analyse permet de les situer dans leur contexte pour saisir comment les acteurs se positionnent dans l’espace social.

10 Nous allons tout d’abord examiner de façon critique les fonctions socialisatrices et intégratrices du WEI ; puis nous analyserons les jeux de pouvoir et de domination qui se déroulent pendant le week-end et montreront en quoi, bien qu’indissociables des pratiques d’intégration, ils participent activement à la mise en place de distinctions au sein de la communauté étudiante. Ces distinctions seront analysées de deux façons : d’une part, comme résultant d’effets de domination autour de critères de genre, d’origine sociale et de parcours scolaire notamment, liés à une inégale répartition des ressources et des contraintes entre les nouveaux venus ; d’autre part, comme façonnées par les stratégies individuelles et collectives à l’occasion du WEI et des rencontres, provoquées et aléatoires, qu’il permet. Pour le dire vite, nous rendrons compte des jeux sociaux dont le WEI est le théâtre par des contraintes structurelles tout autant que des actions individuelles.

11 Ainsi, nous donnerons à voir comment chaque nouvel étudiant, justement dans la mesure où il entend rentrer dans le jeu et en fonction de la façon dont il aborde ce jeu et des ressources et contraintes qui sont les siennes, contribue à la production d’une communauté à la fois homogène et différenciée, découvrant le cadre général de la vie de l’école mais aussi les frontières internes qui la traversent. L’analyse du déroulement du WEI mettra donc progressivement en évidence la dimension « politique » d’un tel événement, dont une des fonctions non-explicite est la répartition des positions de pouvoir entre étudiants. Dit autrement, si les enjeux d’intégration n’excluent pas les stratégies de recherche distinctive et de domination, celles-ci ne disqualifient pas pour autant la visée intégratrice de l’événement. Tenir ensemble ces deux dynamiques imbriquées nous semble essentiel pour proposer une lecture équilibrée de l’événement. En somme, notre article cherche tout autant à contribuer aux travaux dans un domaine encore peu développé, le fonctionnement interne des « grandes écoles » qu’à enrichir les analyses dédiées à la sociabilité et aux rites d’intégration estudiantins (ex. Dagnaud, 2009 ; Deroff, 2007 ; Masse, 2002 ; Moreau & Sauvage, 2006 ; Neyrat, 2010).

12 La description dont procède l’article porte sur un WEI qui s’est déroulé en 2011 à Excelensias, une école de commerce située à proximité de Paris, et qui appartient aux quinze premières écoles de commerce françaises d’après les classements établis par certains magazines français (L’Étudiant, Le Figaro, Le Point…). Près de 700 étudiants ont pris le train pour participer à l’événement, moment phare du calendrier des activités extra-scolaires estudiantines, qui a duré trois jours entiers à la fin du mois de septembre dans un village vacance situé dans les Landes.

Méthodologie

L’intérêt pour cette enquête a été éveillé par le discours de certains acteurs de l’administration de l’école, sur l’importance apparente du
week-end d’intégration [3]
dans la vie de l’école et celle des étudiants. L’enthousiasme fort qu’il soulevait, et l’unanimité des acteurs à le présenter
comme incontournable, du moins les premières fois où nous en avons entendu parler, ont éveillé notre curiosité pour un événement majeur de
la vie de l’école dans laquelle nous travaillions.
Du fait de notre position d’enseignants en analyse du travail et des organisations, nous entretenions une position à la fois de proximité et d’étrangeté
à cet événement, qui a d’ailleurs attisé cette curiosité. Notre fonction au sein de l’école nous garantissait, d’un côté, une double proximité
au terrain, à la fois géographique et institutionnelle. D’un autre côté, la relation pédagogique aux étudiants laissait hors de portée la vie sociale
de ces derniers en dehors de la salle de classe.
Il n’était pas aisé d’être réflexif en tant que partie prenante de l’école, aussi cette distance résiduelle est importante à souligner : elle a permis
de maintenir un certain recul par rapport aux discours des étudiants et de l’institution. L’un des auteurs avait de plus une connaissance préalable
de ce type d’événement, auquel il avait déjà participé en tant qu’étudiant d’une « grande école ». Le fait de se remémorer cette première expérience
d’un week-end d’intégration et de confronter ces souvenirs à ce qui était observé, en compagnie d’un collègue découvrant quant à lui ce
genre de situation, a également favorisé une attitude de réflexivité par rapport à ce que nous voyions et entendions.
Notre demande d’enquêter sur l’événement a reçu une réponse extrêmement favorable de la part de l’administration et nous avons été pris en
charge par le BdE organisateur du WEI, qui a accepté de se laisser accompagner et observer. Nous avons ainsi pu accéder au terrain tout d’abord
à travers le BdE, tant dans les entretiens réalisés que dans l’observation directe. Nous avons par la suite progressivement élargi le périmètre au
fur et à mesure du déroulement de l’événement et de la rencontre d’autres étudiants. Notre statut d’enseignants-chercheurs n’était pas caché,
et notre présence lors de l’événement – en tant que membre de l’administration, au sens large – a été annoncée par la direction de l’école.
Nous avons procédé de trois façons pour collecter nos données. D’une part, nous avons réalisé une vingtaine d’entretiens semi-directifs auprès
d’étudiants, portant sur le déroulement du (des) WEI au(x)quelle(s) ils/elles avaient participé, leur jugement sur ce type de week-end et la relation
avec le reste de la vie de l’école. Certains d’entre eux étaient préalables à l’observation et visaient à nous familiariser avec le terrain. D’autres
ont été réalisés au contraire après le WEI et nous ont servi, d’une part, à saisir les effets de l’événement et, d’autre part, à obtenir des commentaires
« à froid », quelque temps après la fête. Pour recruter nos interlocuteurs, nous avons cherché à diversifier les promotions, le genre, la
participation au WEI, ainsi que l’investissement associatif et la proximité à l’organisation de l’événement. Des entretiens avec trois étudiant(e)s
qui n’ont pas participé à la manifestation ont servi à diversifier les points de vue et les représentations. Nous avons également interrogé trois
personnes de l’administration.
Par ailleurs, nous avons réalisé une observation non participante de trois jours, depuis le départ du train jusqu’à son retour. Nous avons noté
chacun nos observations au fur et à mesure sur un carnet de notes et pris des photos. La place d’observateur n’était pas toujours aisée dans un
contexte festif. Nous passions fréquemment pour des personnes de la sécurité et l’information ayant été donnée que deux professeurs faisaient
une étude sur le WEI, nous étions souvent reconnus, ce qui occasionnait une certaine distance parfois et nous empêchait de saisir tous les
aspects du WEI – ainsi notre statut de professeurs faisait qu’il était difficile de poser des questions trop directes sur le côté « orgiaque » qui est
censé caractériser le WEI. Inversement, cette place d’observateur suscitait parfois un enthousiasme : « c’est cool des profs qui analysent des
comportements sociologiques ». Et en présence d’étudiants alcoolisés, on pouvait constater une faible inhibition qui facilitait l’entretien. Nous
n’avons pas cherché à avoir accès à l’intérieur des bungalows car nous n’avons pas souhaité nous immiscer dans la vie privée des étudiants. Ces
trois jours ont été l’occasion d’observations mais aussi d’échanges spontanés, largement informels et souvent courts, circonscrits dans le temps
de l’attente d’un repas, par exemple. Les conditions n’étaient pas les mêmes que pour des entretiens classiques, et ont fait que nous n’avons
pas systématiquement pu approfondir avec nos interlocuteurs des éléments tels que l’origine sociale. Malgré leur incomplétude, ces données se
sont souvent révélées très riches et nous avons choisi de les utiliser.
Enfin, de façon largement postérieure au week-end en question, nous avons réalisé une enquête via le site d’enquête en ligne surveymonkey
auprès d’étudiants de l’école, d’une part, afin d’approfondir l’analyse sur les caractéristiques antérieures à leur arrivée à l’école (profession des
parents et parcours scolaire) et, d’autre part, pour vérifier la solidité de certaines régularités qui nous étaient apparues au cours de l’observation
et lors des entretiens. Nous avons profité du fait que nous enseignons dans un cours obligatoire pour l’ensemble de la promotion, pour contacter
nos anciens étudiants sur les dernières années, diffusant ainsi le questionnaire à 946 étudiants répartis sur les dernières promotions, correspondant
en bonne partie à la période de référence des étudiants rencontrés à l’occasion de l’observation – plus de 85 % des 158 répondants sont
entrés à l’école entre 2010 et 2013 inclus.
Nous avons complété cette enquête par une autre réalisée auprès du responsable de la vie associative de l’école afin de déterminer la répartition
par sexe des principaux postes au sein des trois associations majeures de l’école, le Bureau des Élèves, le Bureau des Arts et le Bureau des Sports.

Le WEI comme opportunité de socialisation

L’intégration, un discours dominant

13 Comme les soirées étudiantes (Neyrat, 2010), le week-end d’intégration a été assimilé aux célèbres rites de passage d’Arnold van Gennep (1991 [1909]) censés marquer un changement de statut social des individus. Dans son étude sur les pratiques alcoolisées en vigueur dans les grandes écoles, Benjamin Masse (2002) suggère que le week-end d’intégration a pour objectif de faire passer les nouveaux étudiants du statut d’outsider à celui d’insider, un membre à part entière de la communauté. Ainsi compris, le week-end de parrainage que nous avons observé prend sens comme rituel contribuant à fabriquer de l’homogénéité et de la solidarité.

14 Une telle interprétation semble relativement attendue et peu originale ; elle n’en reste pas moins conforme à de nombreux témoignages recueillis. Cette compréhension est reprise par le BdE :

15

On voulait faire passer le message qu’il y avait un avant et un après. Créer une atmosphère comme quoi… maintenant vous êtes dans l’école… c’était ça l’intégration (Lucas, membre du BdE, 2A, H, prépa éco, père cadre, région parisienne).

16 Si le BdE en tant qu’organisateur de l’événement a tout intérêt à mettre en avant la construction d’une identité nouvelle et commune, la similitude dans les termes employés par les étudiants évoquant toute une série d’oppositions – « avant-après », « dedans-dehors », « initié-non initié » – montre que l’idée selon laquelle le WEI constitue ce que Victor Turner (1990 [1970]) appelle un passage liminaire est largement partagée au sein de la communauté estudiantine.

17 Du côté de l’administration également, c’est l’intégration sur laquelle on braque les projecteurs, tout en répétant les efforts auprès des BdE, d’une année sur l’autre, pour déplacer le curseur du bizutage – au sens d’un rite de passage, éventuellement cruel – vers l’intégration – apprendre à être ensemble comme communauté. Le BdE et l’administration, notamment, mais aussi la grande majorité des étudiants interviewés se font donc le relais de cette évidence de l’intégration par le WEI.

18 Une lecture critique de ces déclarations sans demi-mesure est-elle possible ? Le WEI est-il vraiment un incontournable sans lequel aucune intégration n’est possible ? La réponse est contrastée. Le cas des non-participants est éclairant de ce point de vue. Un clivage net sépare les « présents » et les « absents ». Une forte pression sociale s’exerce avant l’événement (« tu veux être avec nous dans le bungalow ? » ; « tu ne viens pas au WEI ? »), mais aussi après, par le partage des souvenirs. Pourtant malgré cette pression, tous les nouveaux étudiants, dits 1A, sont loin d’y participer. Chaque année en moyenne environ un tiers de la nouvelle promotion ne se rend pas à l’événement.

19 Plusieurs raisons sont données à cette absence à la fois par les étudiants qui ne se rendent pas à l’événement comme par ceux qui s’y rendent. La première et la plus importante des justifications données par les absents est financière. Les frais d’inscription au WEI s’élevaient à 280 euros en 2010. Payer une telle somme pour un week-end même « inoubliable » est bien entendu inconcevable pour les étudiants dont la situation financière est plus précaire. Les étudiants boursiers notamment, dont Excelensias compte un bon nombre, mentionnaient en premier lieu cet argument. Cette barrière financière à la participation doit néanmoins être nuancée, dans la mesure où les réponses à notre enquête ne faisaient pas paraître une participation moindre des boursiers par rapport aux autres étudiants. Par ailleurs, plus d’un participant avoue avoir hésité à cause du prix mais y est finalement allé.

20 D’autres barrières plus sociales et psychologiques que matérielles dissuadent également certains de faire le voyage : certains s’inquiètent des pratiques du bizutage tandis que l’ambiance très alcoolisée qui caractérise l’événement peut également constituer un frein pour ceux qui ne boivent pas du tout. Parce qu’ils s’estiment incapables de se conformer aux règles d’engagement, au sens d’Erving Goffman (1963), exigées lors du WEI par les autres participants – boire, faire la fête, « choper » (trouver un partenaire sexuel dans le jargon estudiantin), etc., et telles qu’ils les anticipent en tout cas – ces personnes choisissent de ne pas s’exposer à des situations qui pourraient compromettre leur intégrité, leur image d’eux-mêmes et leurs valeurs.

21 Ces mêmes personnes sont souvent celles que les autres rangent dans la catégorie des « polars » (Abraham, 2007), à savoir les étudiants qui intègrent une école de commerce dans la seule perspective de faire des études et qui ne sont nullement intéressés par les activités extra-scolaires proposées par les différentes associations. Si ce raisonnement est significatif, c’est qu’on le retrouve dans tous les entretiens, la qualification de « polars [4] » ayant toujours été mobilisée en général, sans qu’il s’agisse de cas précis.

22 Ces différents indices amènent à considérer la participation au WEI, en creux, comme une norme puissante, dont le non-respect déclenche le soupçon : « l’esprit d’école ils s’en foutent, ils ne sont pas dans le délire, ils veulent leur diplôme » (Sandra, 1A, F, prépa éco) [5]. Ce commentaire venu d’une première année étant passé par la prépa et ayant déjà anticipé en partie les codes de l’école, peut être interprété comme le besoin, au sein d’une nouvelle promotion, de pouvoir catégoriser facilement ceux qu’on ne connaît pas – le WEI fonctionne ici comme un marqueur. Cette norme de participation peut parfois provoquer une contre-réaction chez les esprits les plus indépendants. Ainsi, Margaux (2A, F, prépa éco, province) de déclarer : « Si ! Je le refuse et j’assume même si ça doit avoir des conséquences »… Avant d’ajouter : « on assume mais on ne va non plus le crier sur tous les toits… ».

23 Le discours présentant le WEI comme passage obligé de l’intégration, comme moment incontournable, est donc un discours dominant [6]. En effet, ce qui se donne à entendre dans l’école, c’est ce consensus fort autour de l’intégration, entre la direction et le BdE, en premier lieu, qui vise à promouvoir l’école [7]. Cette promotion se comprend, d’une part, dans un objectif de recrutement des futurs étudiants, au sens de la renommée extérieure de l’école et elle s’observe notamment dans les efforts réalisés par les étudiants et l’administration, au cours des oraux de recrutement pour « vendre » l’école. Le WEI fait partie des arguments de vente – ainsi de nombreux étudiants interviewés s’étaient entendus vanter les mérites du train disco, que l’école serait une des dernières à proposer. D’autre part, cette promotion prend sa signification à destination des étudiants de l’école, car il s’agit pour le BdE comme pour l’administration, que la vie interne soit agréable et perçue comme telle, de façon à stimuler tant les projets associatifs et la participation des étudiants à divers événements tout au long de l’année que les relations quotidiennes. Les fêtes, et le WEI en premier lieu, en sont des occasions toutes désignées.

24 Ce qui renforce le caractère dominant de ce discours, ce n’est pas seulement la coalition des intérêts largement convergents du BdE et de l’administration, acteurs institutionnels de premier plan au sein de l’école. C’est aussi le silence des éventuels résistants à ce discours. Soit parce que n’étant pas encore en position de prendre parole, ils se taisent ; soit parce que leur discours, lorsqu’il est entendu, est quasi-systématiquement disqualifié car ceux qui l’émettent sont rabattus sur les catégories de « polars », « nobods », etc. [8].

L’intégration ralentie des absents

25 Entre ceux qui sont « dans le délire » et les « polars », catégories qui relèvent à l’évidence du discours officiel et de la norme estudiantine, comment se positionnent les étudiants hésitants ? Au-delà du discours, quel est le degré d’intégration de ces étudiants qui décident de faire l’impasse sur le WEI ? Sont-ils moins insérés dans la vie quotidienne de l’école ? L’intégration peut-elle être envisagée en dehors de ce passage obligé que le WEI est censé constituer ? Les témoignages recueillis laissent transparaître une certaine ambiguïté à la fois dans les discours des présents et des absents. Derrière l’affirmation unanime que l’intégration est loin d’être exclusivement conditionnée par une participation au WEI, on trouve tout de même un accord sur le ralentissement de la socialisation ainsi que le sentiment d’un clivage, sur le mode fantasmatique, entre ceux qui y étaient et les autres, à qui il « manque quelque chose » (Michel, 2A, H, prépa éco, région parisienne).

26 Soulignant la dimension normative qui caractérise la vie sociale d’une école de commerce, Lorraine (2A, F, prépa éco, père médecin, province) avoue que « quand on (n’y) rentre pas on est à part… il y a un certain isolement ». Elle souligne que faire partie des « minoritaires » qui s’excluent de l’événement n’aurait pas été une posture facile à vivre au quotidien si elle n’avait pas sa bande de copines de prépa avec lesquelles elle est rentrée à Excelensias. « Certains qui n’y sont pas allés et qui sont arrivés seuls […], ils disent que c’était plus dur ». Ainsi, si rétrospectivement, les étudiants peuvent reconsidérer avec sérénité leur socialisation dans l’école, au moment où le choix doit se faire, l’ignorance des opportunités de rencontres futures et les risques perçus de ne pas bien s’intégrer, notamment pour les étudiants ne connaissant que peu de monde à l’école [9], semblent peser fortement sur leur décision, les empêchant d’être détachés par rapport au WEI.

27 Le cas de Michel est d’ailleurs éclairant. Ayant décidé de ne pas aller au week-end d’intégration, il choisit d’organiser un « contre-WEI » avec un groupe d’amis des classes préparatoires. Non seulement n’agit-il pas en solitaire, mais le choix même du terme indique la nécessité de se positionner par rapport à l’événement légitime : il lui était inconcevable d’avouer n’avoir « rien fait pendant le week-end d’intégration ». Il fallait en quelque sorte justifier son absence, ou comme il le dit « répondre à une posture par une autre ». Par ce clivage qu’il induit entre les participants et les non-participants, en tout cas à ce moment du cursus des étudiants, le week-end d’intégration correspond tout à fait à un rite d’institution tel qu’il a été défini par p. Bourdieu (1982). Celui-ci consiste à « séparer ceux qui l’ont subi non de ceux qui ne l’ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon » parce qu’il ne les concerne pas (ibid., p. 58).

28 Le clivage n’aura, en revanche, pas duré trop longtemps pour Michel. Alors qu’il avait l’impression suite au WEI d’être « un peu une pièce rapportée » au milieu d’un groupe où la plupart connaissait déjà les prénoms des uns et des autres, il lui a suffi de quelques soirées bien arrosées pour « se faire un groupe d’amis très rapidement…[et] retrouver une sorte d’appartenance » parce que l’école de commerce est un « lieu d’échange facile ». Mais il reconnaît lui-même que le fait d’avoir « raté un moment où se forgeait une sorte de conscience d’appartenance… à une promotion notamment » a pour conséquence que l’intégration « est un peu plus longue parce qu’au départ, c’est pas forcément facile ».

29 Au-delà de cette intégration ralentie, Michel est aussi conscient qu’à cause de sa non-participation, le WEI restera à jamais un « objet de fantasme » et qu’il y aura toujours un clivage entre ceux qui possèdent des souvenirs en commun et d’autres comme lui qui ne peuvent que le connaître sur le mode fantasmatique. Jérôme, responsable de la vie associative, confirme :

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Certains te le disent […] « J’ai raté quelque chose… Ça n’empêchera pas de vivre après ». Mais tu sens, si tu veux, que c’est un évènement, une culture, une valeur commune qu’il n’a pas… il lui manque quelque chose.

31 Au final, la non-participation au WEI ne semble pas condamner à l’exclusion définitive, à « une différence durable» (Bourdieu, 1982) entre les présents et les absents. Plutôt, le WEI agit comme une norme puissante, par rapport à laquelle les étudiants doivent se positionner, et une convention prégnante qu’on ne peut ignorer et qui structure les mises en relation au début de l’année. Pour ces raisons, il semble nécessaire, avec les nouveaux venus pour qui un des principaux enjeux est leur insertion dans l’école, de prendre au sérieux la fonction d’intégration du WEI.

32 Mais il faut distinguer alors, pour tenir compte du fait que tous ne viennent pas et qu’une fois sur place, tous ne participent pas à tout, et pas autant, deux horizons d’intégration : l’un qui procède d’une motivation qu’on pourrait dire « anthropologique » – conscience collective, solidarité interne forte, valeurs partagées… –, l’autre lié à une sociabilité plus classique qui découle de la volonté de tisser des relations en vue des prochaines années passées à l’école.

Le WEI comme triple levier de socialisation

33 Nous envisageons ici le WEI comme un levier de socialisation, amenant les nouveaux venus à découvrir et s’approprier les éléments d’une culture estudiantine, qui passe à la fois par une structure relationnelle – hiérarchie symbolique entre associations et entre membres des associations, ennemis et alliés de l’école, par exemple –, des valeurs et des comportements, notamment relatifs à la fête, une histoire commune signalée par un ensemble de rites, comme le train disco, et une langue (les termes de « nobod », par exemple).

Créer un esprit de corps

34 Favoriser la cohésion et l’homogénéité du groupe étant un objectif des fêtes en général, telles que les considèrent l’administration, le BdE et la majorité des étudiants, le week-end d’intégration observé s’efforce de tenir cette promesse à trois échelles distinctes : celle de chaque classe, de la promotion, et celle de l’école. Un des mécanismes récurrents utilisé dans ce but repose sur les affrontements entre classes. Les concours de chorégraphie et autres tournois sportifs entre classes rythment le séjour, contribuant à faire se connaître les différentes classes de la promotion entrante, qui pour la chorégraphie, ont dû se préparer en avance et sont amenées à danser devant l’ensemble des étudiants présents. La présence quasi permanente des étudiants plus anciens, dans différents rôles (animateurs, jurys, etc.) organise par ailleurs une distinction entre les promotions, propice à la constitution d’un sentiment de promotion. Celui-ci est par ailleurs également ritualisé par une photo de promotion avec le nom et le logo d’Excelensias.

35 Au-delà de l’esprit de promotion, l’événement est orienté vers la création d’une « vraie unité d’école » pour reprendre les mots de Stéphan (ancien président BdE, H, prépa éco, région parisienne, père cadre), notamment à travers des chansons, souvent paillardes. Il s’agit de transmettre aux nouveaux initiés des traditions et des rites afin de garantir l’adhésion collective à une culture ou sous-culture, entendue davantage comme un style de vie ou un ensemble de comportements spécifiques que le partage de valeurs profondes. Stéphan se souvient d’un moment particulièrement fort, au moment du retour, lorsque le train a marqué un arrêt dans la ville d’une école de commerce rivale : « Tout le monde s’est mis aux fenêtres et hurlait tous les chants possibles et inimaginables contre [cette école] [10] ».

36 Par ce biais, les étudiants sont également socialisés à la culture de l’école. Ces chants hautement symboliques signalent aux participants des frontières qui délimitent un dehors et un dedans, et par là-même un groupe. Dit autrement, ils se réfèrent à des manières d’être, des formes de communication extérieure où chaque membre par le fait de cette appartenance à une culture donnée attribue la même signification au rite festif (Leach, 1958).

Transmettre la culture de la fête

37 Mode d’emploi pour agir avec les autres et aussi avec soi-même (Segalen, 2010), le rituel du week-end d’intégration aide par ailleurs les nouveaux arrivants à se familiariser avec le milieu de l’école de commerce qu’ils ne connaissent pas nécessairement [11] : « Personne dans mon entourage n’avait fait d’école de commerce. […] C’est des coutumes un petit peu étranges » (Karine, PCM [12], F, BTS, région parisienne).

38 L’apéro mousse est de ce point de vue un moment unanimement plébiscité par les étudiants comme un des clous du week-end. La conception du dispositif fait tout pour promouvoir l’ambiance joyeuse et le sentiment d’appartenance au groupe : une machine dispensant la mousse, la distribution généreuse de l’alcool, de la musique rythmée et la proximité créée par la concentration de quelques centaines d’étudiants dans un espace réduit, mouillés des pieds à la tête et dansant ensemble en plein air.

39 Autre exemple du travail d’organisation qui sous-tend la spontanéité de la fête, les marqueurs matériels destinés à favoriser les rencontres sexuelles et/ou amoureuses durant les soirées. L’année précédant notre observation, les bracelets distribués étaient verts pour les célibataires, rouges pour les couples et oranges pour qui ne voulait rien divulguer.

Favoriser les rencontres et la découverte des associations

40 Les rencontres ne sont pas qu’amoureuses, et pour presque tous les nouveaux entrants, le WEI est bien entendu l’opportunité de pouvoir « rencontrer énormément de personnes… ce qui peut aider à l’intégration » (Anna, 2A, F, prépa éco). Pour des étudiants cantonnés depuis leur arrivée à leurs classes respectives, l’événement est le moment de découvrir la promotion dans son intégralité, le WEI étant par ailleurs présenté lors des oraux de recrutement comme faisant partie des compensations censées gratifiées leur accession en école de commerce.

41 Dans ce processus d’intégration l’agencement spatial du village vacance peut jouer un rôle important soit en facilitant soit en ralentissant la dynamique. Contrairement à certaines années, le village choisi par le BdE l’année de notre observation, se trouvait à deux kilomètres de la mer. Cet éloignement a contribué à créer une ambiance plus conviviale et intime car les étudiants étaient majoritairement regroupés autour de la piscine, centre névralgique des activités :

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Le fait que la piscine soit centrale par rapport à d’autres villages, ça permettait vraiment de regrouper les gens… C’est se rendre compte de la force de 500 personnes réunies. C’est quand même important (Lucas, membre du BdE).

43 La découverte de la vie de l’école, passe enfin par celle de la vie associative [13]. Le WEI est en effet le lieu de rassemblement des principales associations étudiantes présentes dans l’école. Le BdE, maître d’œuvre de l’événement, est accompagné des deux autres principales associations, le Bureau des Sports (BdS) et le Bureau des Arts (BdA), le premier se chargeant de mettre en place des tournois sportifs et le deuxième des concerts. Outre « l’apéro des assoces » qui est officiellement programmé, les différentes associations veillent également à organiser des apéros dans leurs bungalows respectifs, généralement avant les soirées. Pour les nouveaux arrivants, il s’agit d’une première approche des différentes associations qui se présentent à eux, leur donnant l’occasion d’envisager leur implication dans « la vie de l’école ».

44 Pour résumer, la force d’attraction du week-end d’intégration découle précisément de la conjugaison, d’un côté, d’une plasticité certaine dont témoignent les multiples opportunités qu’il offre, et de l’autre, d’une unité spatiale et temporelle lui permettant de remplir plusieurs fonctions en même temps pour les mêmes personnes. Espace de socialisation secondaire facilitant l’apprentissage des styles de vie en vigueur dans une école de commerce, il est également un espace de sociabilité où les festivités tiennent une place essentielle.

Le WEI comme opportunité de positionnement

Les anciens et la (dés)intégration

45 Contrairement à ce que laisse croire l’intitulé de l’événement, le week-end d’intégration n’est pas investi uniquement par les nouveaux venus. Les anciens, c’est-à-dire essentiellement les étudiants de troisième et quatrième années (3A et 4A) y retournent également en plus ou moins grand nombre. La grande majorité de ces revenants sont d’anciens membres des différentes associations. En 2011, par exemple, étaient présents 22 des 28 membres qui faisaient partie du BdE officiant deux ans plus tôt.

46 Se retrouver pour festoyer intensément s’avère être un objectif encore plus important pour les 4A, eux qui participent à ce qu’on appelle le week-end de « désintégration » pour leur dernière année à l’école. De la présence de ces anciens découle une des contradictions majeures du WEI : alors que les 1A s’y rendent avant tout avec une volonté d’intégration, les 3A et les 4A y vont pour rester résolument entre eux.

47 Revenons de manière plus approfondie sur cette catégorie de participants. La présence et le rôle des 3A et 4A pointent les limites d’une compréhension par l’intégration. En effet, si le souci de la communauté est net dans les discours, l’observateur ne découvre pas pour autant un groupe complètement homogène, reflet d’une sociabilité lisse découlant de la seule appartenance à l’école. En fait, au cours du week-end, mais aussi dans les discours entendus à son sujet, tout un ensemble de distinctions apparaissent, comme autant de frontières parcourant la communauté des étudiants : anciens/nouveaux, prépas/non-prépas, garçons/filles et parisiens/non-parisiens.

Nouveaux et anciens

48 Parmi les troisièmes et quatrièmes années, certains se mettent particulièrement en scène. Sur le quai de la gare par exemple, un groupe se présente en camisole, le visage masqué, et déambule le long du quai à la recherche de premières années impressionnables, qu’ils vont entourer en répétant : « baiser, baiser, baiser… ». Les 1A sont d’ailleurs nombreux aux fenêtres des voitures, à guetter le défilé des anciens. L’organisation de l’accueil par le BdE renforce cet effet : les spectateurs sont déjà dans le train au moment où les anciens arrivent, ces derniers devant de plus longer le quai pour atteindre leur place.

49 Ce tableau signale l’importance, pour mieux comprendre les comportements des anciens tout au long du WEI, de revenir à la notion de virilité, au sens de l’ensemble des attributs sociaux (force, courage, etc.) associés à la domination masculine (Molinier & Weltzer-Lang, 2000), et qui sont inculqués aux garçons par le groupe des hommes au cours de leur socialisation pour qu’ils se distinguent hiérarchiquement des femmes. C’est utile pour rappeler le rôle clé joué pendant le WEI par les anciens dans l’éducation masculine, la transmission de certaines valeurs viriles aux nouveaux.

50 L’affirmation de la virilité telle que nous avons pu l’observer comprend des composantes somme toute assez banales : si les aspects physiques tels que la force et le recours à la violence observés dans certains milieux (Bargel, 2007) en sont absents, on y trouve la capacité à tenir l’alcool, la grossièreté et surtout la mobilisation systématique du registre sexuel. Ainsi, se mettre en scène en chasseur hétérosexuel permet d’utiliser la sollicitation sexuelle comme un instrument de pouvoir sur les femmes et sur les hommes moins virils. De même l’importance accordée au volume de l’alcool bu chez les anciens, la propension à l’endurance, signifie un rapport au corps qui est différent de celui qu’entretiennent non seulement les filles mais aussi les jeunes étudiants. Tous ces éléments servent aux anciens à se distinguer des nouveaux – distinction qu’ils vont chercher à confirmer tout au long du week-end. Parcourir le village à moitié ou complètement nu, faire du bruit, verser du vinaigre dans les pichets de vin ou jeter des pâtes pendant les repas, etc., sont quelques exemples des comportements recensés.

51 L’important n’est pas tant ici la fréquence réelle de ces comportements, finalement limitée par rapport à ce que les interviews en amont de l’événement laissaient entendre, que la visibilité qu’ils reçoivent. Certains 1A disent en avoir « un peu peur », ne pas être « dans le même délire » qu’eux, et limiter les interactions avec ceux que le BdE surnomme les « sales » ou « les animaux » (les animaux sont définis par leur manque de docilité, contrairement à ce qui est supposé des premières années). La spécificité des 3A et 4A se remarque également au niveau de la réputation : « Eux, ils peuvent tout se permettre. On pourra dire “tiens telle personne était bourrée H24, c’est un 4A”, “ah ben cool, oui c’est un 4A” » (Sandra, 1A).

52 Cette distance entre nouveaux et anciens ne peut être mieux marquée que par le T-shirt arboré par nombre de ces derniers : « je suis 4A, écarte toi » certains allant jusqu’à cacher le « toi » pour signifier le droit de cuissage. Il y a trois ans, les T-Shirts proclamaient « Je suis 4A, prosterne toi [14] ». Pourtant, ce jeu de mise à distance est paradoxal, puisque pour se distinguer des 1A, les anciens n’ont de cesse de s’adresser à eux. Ainsi, les comportements des « animaux » les isolent en tant que groupe avec lequel toute interaction est délicate, mais en même temps alimente les conversations des 1A durant tout le week-end.

53 Tout cela nous permet de saisir la dimension relationnelle des jeux de distinction où les pratiques doivent être appréhendées comme des prises de position ne faisant sens que vis-à-vis de l’ensemble des pratiques du même univers d’activité, perçues consciemment ou non comme plus ou moins proches ou éloignées, alliées ou concurrentes (Bourdieu, 1979). L’enjeu est en fait la transmission d’un modèle à suivre, dont les 3A et 4A sont la représentation achevée dont le BdE a besoin au cours du week-end. En témoigne justement son comportement à leur égard. D’un côté, il établit une liste noire de persona non grata, craint leurs débordements et n’hésite pas à les recadrer. Mais les 4A sont, de l’autre côté, choyés et bénéficient d’un certain nombre de « privilèges » : avoir une couchette par personne (alors que les 1A en ont une pour deux), obtenir des coups à boire gratuitement…

54 Ainsi, ces « VIP » sont le témoignage incarné d’une intégration réussie, au sens associatif du terme [15]. Il suffit pour s’en convaincre d’analyser le parcours associatif des 3A et 4A présents au WEI. Ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble de leur promotion. Plutôt, et à quelques exceptions près, ils en constituent une sorte d’élite associative, ayant a minima participé à une liste pour gagner une des élections qui conditionnent l’accès aux associations majeures, les plus prestigieuses : Bureau des élèves (BdE), Bureau des Sports (BdS), Bureau des Arts (BdA) [16].

55 Bien que leurs profils soient variés, tous ont en commun le fait d’avoir investi l’activité associative de l’école. L’un a participé à une liste BdE, qu’il a finalement quitté pour ne pas en avoir eu la présidence ; l’autre était l’année précédente trésorier du BdS ; celle-ci présidente du BdE d’il y a deux ans ; celui-là fut un soutien indéfectible d’une liste BdE dans laquelle il n’a pas eu de rôle officiel, mais autour de laquelle il n’a cessé de graviter. Leur intégration à tous a été en partie réussie, dans le sens où ils ont au moins participé activement au jeu.

56 La distinction entre anciens et nouveaux ne trace ainsi pas simplement une ligne entre les inexpérimentés et ceux qui ont déjà au moins un an d’école derrière eux. Elle fait émerger une ligne de séparation à venir à l’intérieur du groupe des nouveaux ; elle permet de ne pas voir les nouveaux étudiants comme un groupe homogène, et au contraire d'identifier les lignes de fracture en interne. D’une certaine façon, la double question que pose le WEI est celle de la possibilité et de la volonté de participer au jeu associatif, l’enjeu étant l’accès aux places de pouvoir dans la communauté étudiante.

L’accès aux associations

57 En ce qui concerne la possibilité de participer, il apparaît clairement que tous ne sont pas égaux quand il s’agit d’être accepté dans le jeu. Des obstacles structurels existent, qui influent significativement sur les chances des joueurs, en ce que la distribution des ressources et des contraintes entre ces derniers s’avère inégale. Nous les explicitons l’un après l’autre, avant d’en envisager l’articulation. L’ordre de présentation est un classement décroissant de chacun de ces facteurs, tenant compte à la fois de la trace de ces facteurs dans les pratiques (effet sur les comportements), les discours (normativité exprimée) et de la distance que nos interlocuteurs semblaient capables de prendre.

Le genre

58 Les filles qui souhaiteraient intégrer le devant de la scène associative, doivent composer avec la domination masculine. Lynne (ancienne présidente du BdE) plante le décor sans détour : « on est dans une école assez machiste ». Nous avons déjà pu souligner différents comportements – par exemple entourer les filles en répétant « baiser » – ou éléments de discours – « je suis 4A, écarte (toi) » – confirmant cette domination. Si ces constats sont cohérents avec ceux de Brigitte Larguèze (1995) sur le bizutage, il faut souligner en tout cas une différence de degré entre la « ritualisation de l’obscénité » décrite dans son article – par exemple décliner ses diverses mensurations, la profondeur de son vagin et le taux d’hémorragie lors de ses menstruations.

59 Pour autant, il est clair que filles et garçons ne sont pas jugés de la même façon. Deux étudiantes de première année posent clairement les enjeux : « Parce que les mecs bourrés à la limite, au pire ils sont lourds, sinon ils sont marrants. Une fille c’est un déchet, c’est méprisable » (Annabelle et Sandra, 1A). En fait, les filles se voient conseiller un comportement prudent, y compris par l’administration, de façon à protéger leur réputation : « un garçon qui couche avec trois filles au WEI, c’est un héros. Une fille qui couche avec trois garçons, une pute » (Stephan, ancien président BdE). Ces propos sont intéressants parce qu’ils montrent clairement l’existence d’un double discours ou double standards (Crawford & Popp, 2003) en matière de pratiques sexuelles que des travaux sur les rapports de genre ont largement mis en évidence dans des univers aussi variés que la politique (Bargel, 2007), l’armée (Prévot, 2010), la banlieue (Clair, 2007, 2012) ou l’université (Reid et al., 2011). Les femmes sexuellement actives sont stigmatisées, y compris par d’autres femmes, pour des comportements qui sont considérés « naturels » chez les hommes, car marqueurs de virilité et source de prestige auprès de leurs pairs masculins notamment contribuant ainsi à perpétuer la masculinité hégémonique (Connell & Messerschmidt, 2005).

60 La direction de l’école incite également à la retenue pour des raisons de sécurité, soulignant que les filles peuvent être la cible d’agressions. Ainsi elle relaie des appels à la prudence, en particulier à leur intention : « le message qu’on avait surtout c’était qu’au WEI [d’une autre école] il y avait eu cette histoire d’agression par un groupe de garçons dans les bois » (Katia, 3A). Il incombait ainsi aux filles de se montrer vigilantes et non aux garçons de modifier leur comportement. On retrouve dans cette gestion du risque le schéma commun à de nombreux contextes, qu’Emmanuelle Prévot (2010, p. 91) a bien illustré au sein de l’armée : les femmes doivent « être irréprochables » et cela passe par un comportement de modération à la fois en matière de consommation d’alcool et de pratiques sexuelles.

61 Ces anticipations, tant des étudiants que de la direction de l’école, limitent donc les possibilités pour les étudiantes de suivre pleinement la logique festive de l’événement, et les amènent au contraire à se surveiller selon une logique similaire à celle mise en évidence dans d’autres contextes sociaux (voir notamment Clair, 2012 et Dorlin, 2003). De même, B. Larguèze (1995) avait déjà signalé les enjeux de réputation pour les participantes aux rituels de bizutage, leur image pouvant en être écornée pour la suite de leur cursus. On retrouve ce phénomène dans notre cas, entretenu notamment par les réseaux sociaux, à commencer par le Yearbook[17], mis en place par le BdE.

62 Très clairement, un garçon et une fille ne bénéficient pas de la même liberté pour participer et se mettre en évidence lors du WEI. Les chiffres provenant d’une autre enquête sur la composition des bureaux au sein des trois associations principales permettent d’ailleurs d’illustrer de façon claire les effets de cette domination sur l’insertion associative – dont le comportement au moment du WEI n’est qu’un aspect. Sur une période de sept ans allant de 2007-2008 à 2013-2014, les garçons trustent 64 % des postes de bureau dans les trois associations. Élément plus marquant encore, sur la même période les filles n’occupent le poste de président qu’une fois au BdE et deux fois au BdA sur un total de vingt-et-un postes possibles. Ceci s’avère être également le cas pour le poste de trésorier qui ne se voit confié aux filles qu’à seulement une occasion au sein du BdE et à deux occasions au BdA. Ainsi à la domination masculine par l’affirmation des valeurs viriles s’ajoute une sur-représentation masculine à la tête des principales associations étudiantes.

L’origine scolaire

63 Pour une grande majorité des étudiants, l’accès aux grandes écoles de commerce se fait par la voie prestigieuse des concours suivant les années de classes prépas, le verdict scolaire étant censé « faire connaître et reconnaître l’excellence des élus » (Bourdieu, 1981, p. 49). La consécration du passage dans les filières d’élite que représentent les classes prépas par rapport à l’université, met en lumière une distinction entre les étudiants issus de classe prépa, en position dominante, et ceux qui sont passés par l’université. Cette position dominante des étudiants prépas se trouve accentuée par le fait qu’ils sont non seulement numériquement majoritaires à Excelensias [18] mais l’institution préparationnaire les aide également à être socialisés au préalable aux normes de comportement en vigueur dans les écoles de commerce à la différence des étudiants, dits PCM ou Préparation au Cycle Master, qui sont admis directement en période master moyennant un cursus universitaire préalable. Cette différenciation entre les étudiants prépas et les PCM crée une ligne de fracture importante au sein du collectif étudiant dont les effets pèsent sur la dynamique du week-end d’intégration à différents moments.

64 Peu familiers des codes extra-scolaires en particulier et très occupés par leurs examens de début de cursus, les PCM n’ont pas autant de temps que les 1A pour les assimiler. Arrivés en milieu d’année, c’est-à-dire trop tard pour le WEI de l’année précédente, mais en avance par rapport à la rentrée des 1A, ils forment rapidement un groupe à part, d’autant plus que numériquement minoritaire. Cela se traduit par une plus faible insertion associative, qui fonctionne comme un véritable cercle vicieux, puisque les BdE, formés en majorité de 1A, les oublient fréquemment. Par exemple, la présentation en amphithéâtre du WEI n’a, l’année de notre observation, pas été programmée en tenant compte des contraintes de cours des PCM, qui n’ont pas pu y assister.

65 Les PCM eux-mêmes marquent souvent leur distance par rapport à la culture festive affichée dans le WEI et à la vie associative de l’école. Ainsi Cyprian se dit « pas intéressé » par la vie associative rejoignant ainsi huit des quatorze PCM ayant répondu à notre enquête en ligne, qui déclarent une absence totale de participation à la vie associative de l’école, toutes associations confondues. On pourrait y voir une anticipation négative de l’attention qui leur est portée, un ajustement « heureux » entre dispositions et environnement, mais cela témoigne peut-être surtout d’une instrumentalisation différente de l’école. Selon Romain, Excelensias est pour les PCM un « tremplin professionnel », là où il s’agit pour les 1A d’un « tremplin social » : « Quand ils arrivent à Reims, ils commencent une nouvelle vie ; ils cherchent à s’y intégrer. Ce n’est pas notre cas ».

66 Au-delà de ce traitement différencié quasi constant, il faut souligner aussi les jeux et provocations auxquels donne lieu la frontière entre 1A et PCM, qui ne sont pas l’apanage des 1A, mais sont également repris par les anciens. Ainsi, des chansons visant spécifiquement les PCM sont reprises par un grand nombre d’étudiants. « Les PCM sont là pour nous sucer ! ». À l’issue de leur chorégraphie, dont certains disent n’avoir même pas été prévenus, les PCM ne reçoivent pas d’applaudissement, contrairement aux autres classes de 1A passées avant eux. Jérémy (1A) le confirme : pour la majorité des étudiants, « un PCM reste un PCM ».

67 Ce dernier aspect semble important, car il désigne quelque chose de plus qu’un simple désintérêt des PCM, du fait d’une organisation peu favorable de leur cursus. À travers les moqueries à l’endroit des PCM, se jouerait-il une dévalorisation de parcours scolaire universitaire, là où le modèle dominant de l’école, et des 1A, reste le passage par les classes préparatoires ? La question d’un effet de domination lié au parcours scolaire antérieur est donc clairement soulevée ici. Toutefois, si le clivage 1A/PCM est très net en effet, les 1A ne sont pas tous des classes prépas ; or, nous n’avons pas observé le même type de clivage à l’intérieur de la première année, entre les étudiants issus des classes prépas et les titulaires d’un diplôme universitaire de technologie (DUT) ou d’un diplôme d’études universitaires générales (DEUG) par exemple. Arnaud, le président de la liste BdE (H, père cadre, région parisienne), explique même : « j’avais un DEUG de droit avant, donc j’ai pu rentrer en première année, et… je n’ai eu aucun clivage avec les prépas… je n’ai eu aucun problème… Les gens ne demandent pas si on est prépa ou si on est un autre quoi ».

Capital social et origine sociale

68 En ce qui concerne le WEI en tant que tel, la barrière à l’entrée que constitue la provenance sociale peut jouer tout d’abord en tant que capital social, via un réseau de connaissances. Un certain nombre d’étudiants, et notamment parmi ceux qui ont réussi leur insertion associative – on y compte deux présidents de BdE –, mentionnent le rôle joué par les liens tissés avec des anciens en amont du WEI. Pour l’un, c’était une amitié de plusieurs années avec le précédent président de BdE ; pour l’autre, des liens créés au cours des premières semaines de présence à l’école et qui ont pu être valorisés au cours du WEI.

69 Dans les deux cas, pourtant bien différents, la relation à une ou plusieurs personnes déjà en place permet d’accéder à d’autres anciens, de bénéficier de leurs conseils, etc. Dans le même temps, cela permet d’être identifié auprès des premières années comme quelqu’un qui a des connaissances sur la vie de l’école, qui a dépassé le stade de la découverte. Dit autrement, le capital social généré grâce aux liens avec les anciens permet de partir en avance par rapport aux autres nouveaux venus.

70 Mais en deçà du capital social, certains entretiens signalent l’importance de l’origine sociale, au sens de la classe d’appartenance. Ceci n’est pas surprenant au regard de la littérature sociologique existante. Excelensias, en tant que « grande école de commerce », est par définition une institution caractérisée par une très faible ouverture sociale. La sociologie de l’éducation a montré comment le système des grandes écoles contribue à la (re)production des classes dominantes. Les écoles de commerce se distinguent des autres grandes écoles par un recrutement encore plus sélectif socialement que les autres (Baudelot et al., 2003). Selon A. Lambert (2010) plus de la moitié des effectifs des deux premières écoles de commerce françaises est composée d’enfants de cadres et de professions libérales. D’autres auteurs (Albouy & Wanecq, 2003 ; Duru-Bellat & Kieffer, 2008 ; Marry, 2004, pp. 135-138) ont confirmé ce constat sur la durée : la probabilité d’accès pour les enfants d’origine « populaire » aux grandes écoles reste très faible.

71 Dans nos entretiens, cette distinction de classe sociale semble suivre une ligne de fracture qui oppose « parisiens » et « non parisiens », que les étudiants eux-mêmes ont souvent eu du mal à expliciter. Les premiers sont décrits, toujours par les non parisiens, par leur attitude « hautaine » et « inaccessible », mais aussi un style vestimentaire et une prestance physique, bref un hexis corporel – « des gens qui vont marcher la tête haute, qui ne te parlent pas si tu n’es pas quelqu’un dans l’école ». À l’opposé, on trouve en creux l’accessibilité, la simplicité. Lynne (ex-présidente BdE, F, DUT, province), tentant d’expliciter ce que recouvre cette distinction, insiste également sur la distinction culturelle : « nous, nous aimons nous amuser sur du Patrick Sébastien en soirée ». Derrière cette appellation, on peut deviner un critère de répartition selon le capital symbolique à disposition, qui rendrait compte d’une plus grande aisance et assurance des uns, du fait de leur classe d’appartenance, alors que les autres, moins bien nés, auraient plus à prouver et à acquérir.

72 Les résultats de l’enquête en ligne permettent d’étayer cette hypothèse, en comparant deux groupes d’étudiants : ceux dont un parent au moins appartient à la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures », et ceux dont les parents sont dans l’une des catégories « agriculteurs », « ouvriers », « employés » ou « professions intermédiaires ». Ces deux groupes d’étudiants se distinguent en effet dans leur accès aux associations « phares » que sont le BdE, le BdA et le BdS, puisque un peu moins de 25 % (10/41) du second groupe déclare un lien avec ces associations (participation à une liste perdante ou gagnante), contre 39 % (39/100) pour le premier. Confortant ce premier résultat, 15 % (6/41) des répondants du second groupe participent aux WEI suivant leur première année, contre 29 % (29/100) du premier groupe.

73 Il semble donc y avoir une barrière (relative) à l’entrée de la vie associative, reposant sur des critères d’origine sociale. On retrouve ici la plus grande aisance, en général, des catégories sociales supérieures, à évoluer dans l’environnement des écoles de commerce, qui leur est plus familier (voir notamment, Lambert, 2010).

Cumulation, compensation et retournement

74 Nous avons donc trois facteurs – à savoir l’origine scolaire, le genre ainsi que le capital et l’origine sociale – assez nets de domination visibles dans l’accès à la vie associative. Mais comment s’articulent-ils ? Au-delà des effets spécifiques de chacun des facteurs pris séparément, il y a des effets de composition. Ceci apparaît peu surprenant au regard de ce que Jean-Claude Passeron et François de Singly (1984) par exemple, ont appelé la « différence dans la différence », à savoir les différences plus ou moins marquées dans l’éducation des filles et des garçons selon le milieu social d’appartenance. Dans notre cas, nous notons surtout un effet cumulatif : nul doute qu’un garçon 1A déjà familier de l’environnement des écoles de commerce aura de plus fortes chances d’accéder aux postes clés des bureaux (trésorier et surtout président).

75 Nous pouvons aussi revenir sur le cas d’Arnaud, qui mentionnait ne pas s’être senti mis de côté du fait de ne pas être passé par la prépa. La confrontation de son origine scolaire avec son origine sociale et son genre suggère pourtant qu’il ait pu compenser ce désavantage par un capital social important (le précédent président du BDE était son ami avant l’arrivée à l’école), une origine sociale plutôt favorisée (père cadre et DEUG, certes, mais de droit) et le fait d’être un garçon, bien entendu. Les critères de domination peuvent donc se compenser ; et même plus, certains étudiants en jouent et parviennent à les retourner à leur avantage.

76 Rien n’illustre mieux cela que le cas de Lynne qui, bien que fille, « non-parisienne » revendiquée et issue d’un DUT, a réussi à devenir présidente du BDE.

77

Quand j’ai passé mes oraux ici, j’ai rencontré un 2A qui est devenu mon parrain. Venant d’un DUT, je ne connaissais personne en arrivant à l’école. Cette personne était en deuxième année et m’a du coup présenté à toutes les deuxièmes années avant même que l’école reprenne, donc j’avais déjà beaucoup entendu parler des week-ends d’intégration, de la vie de l’école.

78 Ainsi, une étudiante cumulant tous les traits contribuant négativement à son insertion associative, a pu faire de cette situation extrême un avantage, sur lequel elle a joué – Lynne mobilise dans son entretien le registre de la féminité traditionnelle, se décrivant comme une mère avec son équipe, et assume un argument électoral valorisant le caractère non-parisien. Son propos amène à s’interroger sur les stratégies, notamment relationnelles, qui peuvent se déployer à l’occasion du WEI.

79 Il semble donc, à travers l’exemple de Lynne, que les contraintes structurelles listées ci-dessus ne permettent pas de donner à l’avance la composition des futures listes et des bureaux à venir. Le WEI est ainsi le théâtre de tout un travail de positionnement des étudiants : quelle alliance et quel recrutement réaliser ? Quel type d’association privilégier ? Quelle ressource, quelle qualité mobiliser ? Le WEI est le moment des choix et des tactiques.

Prendre place : opportunités de rencontre et stratégies d’alliance

80 Tout le monde le confirme : les listes se font au WEI. « T’as des groupes, des amitiés, des entités qui vont se former à ce moment-là. C’est un vecteur social » (Jérôme, responsable de la vie associative). Par ailleurs, un des critères d’évaluation du succès d’un WEI se mesure par le nombre de listes concurrentes BdE qui apparaissent à la suite de l’événement. Le cru 2011 a été jugé particulièrement bon car il aurait apparemment fait émerger trois listes différentes.

81 Comment se forment les listes ? Elles peuvent être favorisées par la répartition des bungalows, qui mettrait en présence des personnes déjà intéressées par le fait de lister :

82

Moi dans mon bungalow, j’avais le président de la JE (Junior Entreprise) et le vice-président du futur BdS. Finalement, on avait vraiment fait des bungalows où on était que des personnes qui listaient (Lynne, ancienne présidente BdE).

83 Plus largement, à l’intérieur du village, comme dans le train disco, les opportunités de rencontre sont nombreuses et peuvent aisément déboucher sur un projet commun. Dans ce contexte, les rencontres, avec les anciens et avec les associations, permettent de se faire une idée et de décider de celle dans laquelle on veut s’impliquer :

84

Je ne serai jamais allée dans le bungalow des BdS, c’est un peu l’ambiance gros bourrin […] Le BdA c’est plus ouvert. C’est un peu un premier aperçu des différentes ambiances. […] Est-ce que tu vas être un futur BdS, est-ce que tu as leur potentiel, est-ce que tu vas les séduire ? (Sandra et Annabelle, 1A).

85 Il faut souligner d’ailleurs que les acteurs déjà en place peuvent eux aussi chercher à profiter des opportunités de rencontre dans une optique stratégique. Ainsi, pour les associations existantes, le recrutement des nouveaux peut motiver leur présence. C’est en se présentant et en se montrant attractive, qu’une association pourra recruter et accroître ou maintenir sa puissance. Certaines associations profitent des apéros dans leur bungalow pour tester les nouveaux venus. Un joueur de volley-ball explique aussi que pour son équipe, le WEI est une opportunité de recrutement, qui justifie en partie l’investissement dans un déguisement remarquable.

86 À condition d’en avoir la motivation et d’avoir trouvé l’association idoine dans laquelle s’investir, il s’agit ensuite pour les premières années de constituer une liste, ou bien de rallier une liste en cours de constitution. Celle-ci ne s’opère pas de façon totalement aléatoire, et en fonction des associations, des régularités apparaissent, d’une part, de genre – les filles sont moins nombreuses au BdS et plus nombreuses au BdA, comme l’illustrent bien nos données sur la composition des bureaux –, d’autre part, dans les dispositions – la pratique d’un art ou d’un sport bien entendu, mais aussi la capacité à faire la fête et de tenir l’alcool qui prédispose au BdA et BdE.

87 Concernant le processus de constitution des listes, parfois le noyau du groupe est déjà formé – une partie de la classe par exemple. Dans tous les cas, il convient de s’assurer que d’autres étudiants vont rejoindre l’équipe. C’est un processus masqué de mise en relation, qui occupe une bonne partie du WEI.

88

Il faut d’abord dire « tiens je suis une artiste » pour le BdA par exemple, « ah moi aussi », du coup il faut faire semblant que « moi ça me tenterait peut-être de lister je sais pas », « ah je connais peut-être une liste » et c’est comme ça que ça se fait, en disant même pas qu’on est dans la liste, mais qu’on connaît une liste et voilà on sait à peu près, on repère les têtes, on repère les noms (Sandra, 1A).

89 La liste ne se réunira dans son intégralité qu’une fois rentrée à l’école, car il faut que « ça reste secret ». L’incertitude est alors permanente sur place, et les rumeurs circulent en temps réel, notamment sur le nombre de listes BdE potentielles. Dès lors, il convient de jauger les autres étudiants, savoir identifier ceux qui veulent lister – ceux qui sont sans doute des « listeux » – et surtout le rôle qu’ils pourraient occuper.

90 L’incertitude est bien entendu relative, et les rumeurs permettent aux étudiants de savoir à quoi s’en tenir. Qui liste ? Quelles sont les listes qui se constituent ? Quel est le profil des étudiants qui les forment ? Ainsi, Gilliane (1A) explique que pour les personnes de sa future liste s’opposer au type de projets ou aux valeurs que défendaient les listes déjà formées a constitué l’élément déclencheur de leur projet commun : ne pas laisser le champ libre aux autres listes.

91 Pour qui voudrait non seulement intégrer une liste, mais aussi et surtout y occuper un rôle de premier plan, l’enjeu est de se donner la stature correspondante aux yeux de sa promotion ainsi que des anciens, dont le jugement va s’avérer décisif dans l’élection. Cela suppose de définir une stratégie et occasionne deux types de dilemmes.

92 Le premier est celui de la proximité aux « animaux » ou aux « sales ». Certains étudiants se mesurent à eux, ou adoptent un comportement identique. Une telle stratégie peut être payante – on peut penser au Bureau des Grammes [19], mais plus largement le BdS ou toute association valorisant la capacité à « se lâcher ». Pour certains étudiants, il s’agit d’une voie possible de reconnaissance auprès des autres étudiants, qui témoigne d’ailleurs d’un certain ascétisme à rebours (Bourdieu, 1981). Mais ce type de stratégie peut s’avérer risquée et suscite une certaine inquiétude de la part du BdE comme de l’administration.

93 L’autre dilemme concerne les moyens utilisés pour donner l’image d’un(e) leader : comment se mettre en valeur sans donner l’impression de chercher à se faire remarquer, et sans mettre en cause sa réputation ? L’équation est parfois difficile à résoudre, ce dont témoignent deux cas contrastés. Ainsi, « la miss WEI tenait absolument à se faire remarquer, c’était obligé qu’elle allait lister… elle était présidente de sa liste BdE... Et là sa liste a éclaté. Donc généralement ils se répartissent plus ou moins dans les listes restantes, mais elle on ne la veut pas. Elle reste la miss WEI, un peu pu-pute aux yeux de tout le monde » (Annabelle, 1A). En comparaison, certains étudiants ont pu se mettre en avant à l’occasion de la chorégraphie de classe, démontrant aux yeux des anciens une capacité à entraîner, à se faire suivre. La confrontation de ces deux cas illustre bien la ligne de crête très étroite que doivent emprunter les candidats aux premiers rôles, tant la mise en avant repose à la fois sur une motivation et des qualités personnelles que sur l’approbation des autres.

94 À travers ces témoignages on arrive à mieux appréhender un élément clé de la définition que donnent certains auteurs de la réputation (Fine, 2007). Celle-ci n’est pas seulement une représentation collective qui prend corps à travers des relations sociales ; elle a également la capacité d’ouvrir ou de fermer des possibilités d’action pour des individus. Pour les participants au WEI, la question sous-jacente concerne en effet la préservation de sa réputation, car les images restent et les réputations circulent au sein de l’école, y compris après le WEI. Parce que les écoles de commerce sont des « institutions englobantes » (Masse, 2002, p. 106) car la vie scolaire, amicale, associative et amoureuse se déroule dans le cadre de l’école, cela facilite des liens d’interconnaissance extrêmement denses et à son tour renforce le contrôle social, d’où l’importance de protéger sa réputation :

95

« Pendant le WEI on commençait déjà à avoir des images, et puis après quand on se fait chacun le compte rendu après la semaine, c’est fait, et c’est comme ça en bien ou en mal » (Sandra, 1A).

96 En somme, après ces quelques jours, la question est : « les jeux sont-ils faits ? »

Conclusion

97 Le WEI est donc une opportunité exceptionnelle mais récurrente pour un groupe social, ici la communauté estudiantine d’Excelensias, de se faire et de se refaire chaque année, en préparant la reconfiguration de la vie associative et la redistribution des positions sociales liées à la vie associative. Compris comme cela, il ne concerne pas toute la promotion, mais s’adresse à la frange de cette promotion qui accepte de s’investir dans le jeu politique correspondant à « la vie de l’école ». Le week-end s’avère donc être un mécanisme de reproduction efficace qui en jouant sur le registre de la convivialité et la collectivité facilite le renouvellement quasi permanent du tissu associatif de l’école. Ce renouvellement passe par des rites dont le but n’est cependant pas limité à la production d’un groupe social homogène, mais vise la différenciation interne de celui-ci. Il est par ailleurs limité en termes de diversité ou variété des profils, par des jeux de domination déjà présents en dehors de l’école – lié au genre, à l’origine sociale notamment –, qui modèrent la possibilité pour tous les étudiants de participer au jeu.

98 Il n’y a donc pas, d’un côté, une compréhension de cette tradition par l’intégration et, de l’autre, une compréhension par la différenciation : le fonctionnement du WEI repose précisément sur l’articulation des deux, ou dit autrement, sur la capacité à opérer une intégration via la différentiation et vice-versa. Les frontières les plus pertinentes ici ne passent pas entre les participants qui seraient intégrés et les non-participants qui seraient exclus, mais bien plus entre ceux qui rentrent dans le jeu, un groupe minoritaire, et ceux qui restent en dehors (la majorité), quand bien même seraient-ils présents au WEI. On est en présence d’un rituel qui permet, sous couvert de pratiques festives à destination de tous, des degrés d’intégration variables en initiant tout un jeu politique autour de la vie associative de l’école.

99 Si la notion de rite d’institution est utile ici, elle ne permet pas de rendre compte du fait que les participants, en quelque sorte déjà institués par la sélection du concours, jouent ici leur entrée dans l’espace social de l’école. Les frontières sont en partie brouillées, puisque ce qui apparaît comme un événement très ritualisé, et pourrait s’analyser classiquement comme un mécanisme de sélection autorisant l’entrée ou pas dans le jeu, est en fait une occasion pour les acteurs de commencer à jouer. Le rite, fort si l’on en juge par son caractère incontournable au regard des participants et à la régularité des pratiques codifiées qui s’y observent, est également le cadre qui permet aux nouveaux venus de commencer la partie.

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Mots-clés éditeurs : intégration, sociabilité estudiantine, virilité, « grande école », rites festifs, jeux de distinction et domination

Mise en ligne 25/04/2016

https://doi.org/10.3917/socio.071.0005

Notes

  • [1]
    Nous tenons à remercier sincèrement les personnes ayant contribué à cet article : ceux qui nous ont aidé sur le terrain, au premier rang desquels Alexandre Severac et Yoann Buzenet, mais plus généralement l’ensemble des étudiants ayant accepté de nous répondre ; ceux également qui ont posé un œil critique sur ses versions successives : Anni Borzeix, Olivier Roueff, Evelyne Ribert, les membres de l’atelier d’écriture animé par Linda Rouleau (en particulier Rachel Beaujolin et François Goxe), et bien entendu les relecteurs anonymes de la revue Sociologie.
  • [2]
    Benjamin Masse (2002) constituant une exception en la matière, puisqu’il l’envisage comme un des rites festifs rythmant la vie étudiante dans deux des trois cas qu’il compare – mais il s’agit alors ici d’un rite parmi d’autres, permettant d’accéder à la compréhension des « manières de boire » et non le sujet de réflexion du chercheur en tant que tel.
  • [3]
    L’événement a été rebaptisé week-end de parrainage ou WEI dans l’école étudiée. Nous utiliserons indifféremment les deux termes dans cet article,
    dans la mesure où le changement de dénomination n’a eu que très peu d’impact sur les pratiques.
  • [4]
    Les « polars » sont les étudiants qui passent leur temps à travailler ; les « no life » ceux dont on considère qu’ils n’ont pas de vie sociale ; les « nobods » (de l’anglais nobody) quant à eux sont les étudiants que personne ne connaît dans la promotion.
  • [5]
    Cela n’empêche pas toutefois ces « nobods » et « polars » d’avoir un engagement associatif actif dans ou en dehors de l’école, bien que dans le cadre de l’école il s’agisse souvent des petites associations qui peinent à survivre et avec une vocation moins festive (écologie, humanitaire, etc.).
  • [6]
    Que cette dimension « incontournable » du week-end d’intégration soit devenue une doxa partagée par les étudiants d’autres écoles de commerce également apparaît clairement dans le témoignage d’un étudiant boursier à HEC interrogé par Anne Lambert (2010).
  • [7]
    Ce consensus autour de l’objectif d’intégration n’interdit toutefois pas des divergences, par exemple sur les activités proposées – le responsable de la vie associative au sein de l’administration trouvait ainsi que le contenu était trop pauvre pendant la journée, et qu’un WEI ne devrait pas se limiter à des fêtes –, ou encore sur l’attention portée à la sécurité – même si les BdE rencontrés semblaient y attacher une importance croissante et chercher à se « professionnaliser » de ce point de vue.
  • [8]
    Nous n’avons pas eu accès aux échanges entre étudiants via les réseaux sociaux. Ceux-ci pourraient donner à voir des controverses plus vivaces sur les sujet évoqués (tarification, ambiance…) ; mais ces éventuelles controverses en ligne ne sont pas évoquées dans les entretiens pour autant.
  • [9]
    Plus de la moitié des répondants à notre enquête disent qu’ils ne connaissaient personne à leur arrivée à l’école.
  • [10]
    Une forte rivalité était traditionnellement entretenue avec cette école, à la fois dans les classements des écoles, et dans les tournois sportifs entre étudiants, etc.
  • [11]
    Notamment ceux qui n’ont pas bénéficié dans les classes préparatoires de l’apprentissage préalable des comportements extra-scolaires, c’est-à-dire une socialisation anticipatrice. Voir Darmon (2013, pp. 253, 277).
  • [12]
    Préparation au Cycle Master. Voir supra « L’origine scolaire » pour plus de détails.
  • [13]
    Dans les écoles de commerce en effet, les associations étudiantes contribuent à la formation professionnelle des étudiants (Lazuech, 1999 ;
    Abraham, 2007), ce qui explique pourquoi les administrations leur fournissent souvent locaux et financements (Lambert, 2010).
  • [14]
    Mentionnons tout de même quelques débats parmi les 4A, dont certains considèrent que de tels messages ne devraient pas être repris, proposant par exemple de leur substituer « je suis 4A, dans mes bras ».
  • [15]
    On peut faire un parallèle ici avec l’étude de Brigitte Larguèze (1995) qui montre que les élèves les plus impliqués dans le bizutage sont également ceux qui s’investissent le plus dans les activités associatives en général.
  • [16]
    Une association se démarque, il s’agit d’un club de voile, dont on dit qu’il a été fondé par une ancienne liste BdE « qui a refusé de perdre » et s’est constituée en association. Son recrutement se veut très sélectif, selon une logique exclusive favorisant les étudiants de « bonnes familles » qui n’est pas du tout celle des listes et interdit même aux futurs membres de « lister ».
  • [17]
    Il s’agit d’une sorte de who’s who de la promotion mais dont la conception se veut collaborative et permet donc les commentaires et échanges sur tel ou tel.
  • [18]
    Si l’école observée promeut la diversité dans ses recrutements – toutefois principalement en direction des classes préparatoires littéraires –, et si une partie de chaque promotion comprend des étudiants étant passés par des BTS, DUT ou IUT, il n’en reste pas moins que les classes préparatoires représentent la grande majorité des étudiants de l’école.
  • [19]
    C’est le nom donné à l’« élite de l’alcool » de l’école, les anciens cooptant les nouveaux étudiants ayant démontré leur capacité à tenir la boisson.
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