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Philippe Viguie-Despaces, « Metz, l’art, se lève à l’est… », Le Figaro, 10 mai 2010.
12010 : « Metz, l’art se lève à l’Est… [1] ». Du haut de ses colonnes, Le Figaro contemple l’émergence d’un événement de premier plan. Une fois n’est pas coutume dans un État très centralisé, l’affaire se passe « en province ». Le centre Pompidou-Metz ouvre ses galeries au fait artistique. Du même geste, c’est un véritable zoom qui s’opère sur la cité. Partout dans les grandes villes, Paris, Lyon, Marseille…, sur près de 3 000 affiches, Dalí, Picasso ou encore Warhol l’affirment : « Je m’installe à Metz ». Pour marquer l’ampleur du phénomène, les décideurs ne lésinent pas sur la communication ! S’élevant dans le quartier de l’amphithéâtre, en fait un terrain devenu vague au cours du temps, les travaux s’étaient offerts au regard de quelque 100 000 visiteurs, passionnés de nouveauté. Profitant des 800 visites de chantier, le tout un chacun pouvait apprécier les six points de vue sur la ville proposés par les trois galeries. L’occasion de réinventer son quotidien et de se créer une nouvelle carte mentale de la cité. Pour se mettre en appétit, le bâtiment proposait déjà quelques délices. La charpente du toit surtout. Patiemment agencé sur l’armature métallique du centre, le maillage constitué de bois lamellé – collé fut bientôt rejoint par les six piliers qui jaillirent du sol en d’élégantes torsades. Bref, en termes de symbole, ce lien entre le ciel et la terre résonnait comme une belle promesse. Accompagnée de la rénovation de plusieurs places, la ville, sans changer pour autant son périmètre, s’était comme agrandie de l’intérieur.
2 Cependant, des bruits courent… Il n’y aura pas grand-chose dans ce centre ! Ah bon ! Sous l’égide experte et le regard malicieux du directeur Laurent le Bon, la première exposition sera Chefs-d’œuvre ?. Couvrant les parois de la Grande Nef et des trois galeries, plus de 700 œuvres jalonnent le parcours du public. En présentant des tableaux et en visitant l’histoire des arts, l’entreprise déjoue les attentes des branchés de l’art contemporain ne jurant que par les installations et les performances, et réenchante, du même geste les défaitistes de ces régions de province ayant incorporé les effets de l’hégémonie culturelle parisienne ensuite. Vous vouliez voir des chefs-d’œuvre ? En voilà ! Et certains rarement vus comme La tristesse du roi de Matisse ou les trois Bleu de Miró, restaurés pour l’occasion. Et en prime, une scénographie plasticienne proposant, en les fragmentant parfois, plusieurs façons de percevoir une même œuvre. Mais aussi permettant au spectateur d’être ici et là-bas, à l’image de ce grand miroir révélant au loin, des œuvres comme vues d’en haut. Au final, une question : qu’est-ce que voir ? Le monde comme construction et comme représentation, l’adage, on le sait, a fait fortune. Le voici magnifié ! Cerise sur le gâteau, ces expositions ne seront visibles qu’à Metz ! Que ceux qui aiment l’art prennent le train !
3 Une Grande Nef, trois galeries, un auditorium une salle de spectacle, l’idée se veut limpide : offrir au plus grand nombre des usages pluriels de l’art et des arts, proposer différentes façons de le dédier et de le présenter au public en multipliant les approches pour le donner à voir et le saisir. Magnifiant les concepts de chaque exposition, les scénographies plasticiennes habilement recyclées, ou entièrement créées pour l’occasion peaufinent le trait (celle toute en courbe et en pastel de plusieurs couleurs conçue par Laurence Fontaine pour Formes simples reste un modèle d’intelligence et de sensibilité). Mêlant les démarches essentiellement anthropologiques – 1917, Paparazzi […] – ou esthétiques – Sol Le Witt. Dessins muraux de 1968 à 2007, Buren, Échos, travaux in situ, […] –, la variété des thématiques anime de concert les diverses galeries et permet à tous, selon ses appétences et ses désirs, de jouir des œuvres, mais aussi de s’ouvrir aux différents dispositifs proposés. Car, rien n’étant univoque, des médiateurs très avertis sont là pour anthropologiser les unes et esthétiser les autres en vantant les attraits d’une approche culturaliste de l’art et de l’esthétique. Doublé d’une exigence économique (assurer un bon nombre d’entrées), le renouveau de la démocratisation de l’art est en marche.
4 Expositions temporaires donc. Cependant, pour pallier les effets d’une baisse relative de fréquentation, le centre a mis en place dans la Grande Nef, des expositions semi-permanentes pour répondre aux attentes les plus convenues. En 2014, Phares a présenté des chefs-d’œuvre de grande dimension. La hauteur de 22 mètres, la plus élevée d’Europe, permet de montrer des toiles qui ne trouvent pas de lieux appropriés ailleurs. 2016 : Musicircus, la seconde, est un hommage vibrant au compositeur John Cage, à la polysensorialité et aux mélanges des arts.
5 Comme chez son grand frère parisien, le centre Pompidou-Metz décline l’art au pluriel. À l’affiche, une programmation ambitieuse et thématique où cinéma, mais aussi performance et danse font florès. D’un studio à l’autre, comme pour les expositions, le centre se fait le chantre de l’excellence : le cycle Résistances autour des cinéastes Danièle Huillet et Jean-Marie Straub reste un moment fort, tout comme la présence de chorégraphes de renom, qu’ils soient français, comme le très conceptuel Jérôme Bel, ou étrangers, comme l’une des chefs de file de la post-modern dance et de la Judson Church Yvonne Rainer. Que du beau monde ! Même si le centre subit de plein fouet les baisses de subventions, Emma Lavigne, la nouvelle directrice, cultive, elle aussi, ce désir de présenter le meilleur pour tous et toutes, tout en structurant les regards. Ateliers pour les plus jeunes, conférences liées aux expositions, ou causeries du style Un dimanche, une œuvre ouvrent (comme à Pompidou Paris) ces temps où l’art se saisit, s’incorpore et se comprend.
6 Quant au pass annuel, il offre à chacun la possibilité de varier ses approches des différents événements proposés : aujourd’hui, « Je visite tout », à un autre moment, une exposition, une salle, un tableau, une vidéo. Mais plus encore, ce sésame permet d’inviter une personne par jour. Car l’art reste aussi l’occasion d’un partage, d’une sociabilité. Cette sociabilité, le centre y a pensé : mais c’est ici que le bât blesse. Qu’on en juge ! Un restaurant, mal signalisé, un café dont la superficie est à l’image des restrictions budgétaires initiales, et une librairie exiguë devenue (appels d’offres obligent !) un point de vente de souvenirs ! Pourquoi donc nos sociétés de marché négligent-elles parfois de la sorte les lieux du savoir, de la pleine conscience et de l’imagination ? Sans parler du hall non chauffé. Bien sûr, lorsque le temps le permet, le centre relève ses grandes portes amovibles et, en guise de symbole, s’ouvre alentour. Trouvés à l’ombre des bouleaux ou de l’avancée du toit, sièges en rotin et chaises longues offrent alors, à ceux qui le désirent, l’occasion de se relaxer avant de visiter une nouvelle galerie. Mais que déclinent les saisons les plus chaudes, et dans ce hall d’accueil, le public doit affronter les affres de l’hiver en prenant son billet d’entrée et gagner ensuite les lieux de ces si belles expositions et de ces spectacles de qualité ! Quel dommage ! Comment et pourquoi, dans l’antre même de ce bâtiment où le cœur et la raison œuvrent de concert pour le plus grand bonheur de l’assistance, ne pas avoir pensé aux désagréments que provoque un tel dispositif ?
Notes
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Philippe Viguie-Despaces, « Metz, l’art, se lève à l’est… », Le Figaro, 10 mai 2010.