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Article de revue

Entre signature et biffure : du tatouage et du piercing aux scarifications

Pages 119 à 133

Notes

  • [1]
    Béatrice Fraenkel, La Signature. Genèse d’un signe, Paris, Gallimard, 1992, pp. 7 et 9.
  • [2]
    David Le Breton, Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles, Paris, Métailié, 2002, 224 p.
  • [3]
    Béatrice Fraenkel, La Signature…, op. cit., p. 11.
  • [4]
    Le tatouage ne marque pas seulement la peau comme un art ou une proclamation d’existence, il lui fait aussi la peau de manière détournée en attirant l’attention sur lui et en le rendant immédiatement identifiable pour les autorités. « Signe particulier », comme le dit l’administration, il permet non seulement la description d’un suspect ou la transmission de son signalement mais aussi une identification post-mortem sans ambiguïté (David Le Breton, Signes d’identité, op. cit., p. 45 sq.) De longue date, les soldats se marquent le corps de tatouages ou d’inscriptions de peur que leur dépouille ne connaisse le traitement anonyme des champs de bataille. Nombre de GI’s l’ont encore fait en 2003 avant de partir en Irak.
  • [5]
    David Le Breton, L’Adieu au corps, Paris, Métailié, 1999, 237 p. ; Victoria Pitts, In the flesh. The Cultural Politics of Body Modification, New York, Palgrave Mcmillan, 2003, 239 p.
  • [6]
    Les tatouages ou les piercings, d’une part, les scarifications de l’autre, ne sont jamais univoques et leur signification varie selon l’histoire du sujet et les circonstances. Dans ce texte, j’isole deux lignes de force : celle de la signature, où la marque redouble l’appartenance à soi, et la biffure, où, à travers l’attaque au corps, l’une des significations possibles est la volonté de s’arracher à soi, de changer de peau. Toute marque corporelle, propice ou rageuse, est polysémique, et nombre d’entre elles sont simultanément biffure et signature, effacement d’un brouillon pour accéder au propre (David Le Breton, Signes d’identité, op. cit. et La Peau et la trace. Sur les blessures de soi, Paris, Métailié, 2003, 141 p.).
  • [7]
    David Le Breton, L’Adieu au corps, op. cit.
  • [8]
    David Le Breton, Signes d’identité, op. cit. ; Christiane Falgayrettes-Leveau (dir.), Signes du corps, Paris, Musée Dapper, 2004, 389 p.
  • [9]
    Pour une approche spécifique des scarifications, voir David Le Breton, La Peau et la trace, op. cit.
  • [10]
    David Le Breton, La Peau et la trace, op. cit.
  • [11]
    Hakima Aït el Cadi, « Au féminin », Autrement. Série mutations, n° 211, 2002, p. 157.
  • [12]
    Caroline Kettlewell, Skin game, New York, St Martin’s Griffin, 1999, 178 p.
  • [13]
    Idem, pp. 58-60.
  • [14]
    Idem, p. 63.
  • [15]
    De nombreuses recherches observent qu’environ la moitié des femmes qui attentent régulièrement à leur corps sont aussi touchées par l’anorexie et la boulimie (Armando R. Favazza et Barbara Favazza, Bodies under siege. Self-mutilation in culture and psychiatry, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1987, p. 206).
  • [16]
    Caroline Kettlewell, Skin game…, op. cit., p. 155.
  • [17]
    Janice McLane, « The voice on the skin : self-mutilation and Merleau-Ponty’s theory of language », Hypatia, n° 11-4, 1996, p. 113.
  • [18]
    Catherine Matha et Claude Savinaud, « Scarifications : De blessures en mortifications sacrificielles », Adolescence, n° 48, 2004, p. 288.
  • [19]
    Kim Hewitt, Mutilating the body. Identity in blood and ink, Bowling Green, Bowling Green State University Popular Press, 1997, p. 80.

À fleur de peau

1La signature est « ce signe hybride qui tient du mot et de l’image » ou de « l’apposition autographe du nom propre » [1]. Le tatouage, lui, ne prend pas le nom comme matière première ; inscription sur la peau à tonalité figurative, scripturaire ou plus abstrait, il est vécu comme une trace intime symbolisant au plus proche le sentiment de soi. De même le piercing. Les marques corporelles fortement investies par les acteurs deviennent dès lors des « signes d’identité [2] » des manières d’afficher une singularité et d’attester une présence à travers des signes qui valent pour soi, car ils sont non seulement nécessaires à la définition de soi mais il serait impossible de s’en séparer. Ce que dit Béatrice Fraenkel de la signature vaut pour le tatouage, et jusqu’à un certain point pour le piercing :

2

Si l’on compare les manières de lire, de regarder, de comprendre ces signatures lointaines, la signature actuelle prend encore valeur de symptôme : une souscription mérovingienne se lisait, parfois se décryptait ; un sceau armorié se décodait ; mais sous le tracé de la signature moderne, c’est le caractère de son auteur que l’on tente de percer [3].

3Le corps est toujours un analyseur des rapports sociaux ; les attitudes à son égard disent des tensions, des aspirations, des affrontements de valeurs, un état de la société. Aujourd’hui, il est un texte sans cesse révocable, support virtuel, en quelque sorte, d’une affirmation momentanée de soi. Objet d’un bricolage identitaire, il est une proclamation personnelle qui se déploie par la peau et la parole. Tout individu marquant délibérément son corps tient un discours à ce propos, et il est disposé à en rendre compte. Le corps, et particulièrement la peau qui en est l’instance visible, est le recours le plus immédiat pour changer son rapport au monde. En en remaniant les frontières et l’apparence, l’individu manipule les relations entre soi et l’autre, le dedans et le dehors, le corps et le monde, etc. Il cherche à s’inscrire dans une autre dimension du réel. En changeant son corps, il entend d’abord changer sa vie.

4Autrefois plutôt recouverte par les vêtements et évidence sensible du rapport au monde qui ne suscitait guère d’attention, la peau a radicalement changé de statut [4]. Jamais elle n’a été à ce point investie comme un objet à la fois intime et public. Lieu d’une communication permanente avec les autres à travers les signes affichés, et simultanément objet sexualisé, sensualisé qui occupe une bonne part de l’emploi du temps du sujet contemporain : tatouage, piercing, branding, implant, mais aussi bronzage, chirugie esthétique, cosmétique, culturisme, remaniement de sa forme dans le transsexualisme ou la mouvance queer, etc.[5]. Ces ajouts ou ces transformations fonctionnent comme des signes d’identité, des outils de métamorphoses qui prennent l’allure de signature, d’attestation de soi. Transformation propice qui investit le signe d’une haute valeur symbolique.

5La peau est l’objet d’une revendication esthétique mais, simultanément, à travers la prise d’importance des attaques au corps chez les jeunes générations, à travers notamment les scarifications, elle incarne le lieu sensible de l’identité contemporaine, elle en traduit l’ambivalence, la frontière ambiguë et difficile entre soi et l’autre qui implique une mobilisation et un souci sans repos. La peau est saturée d’inconscient et de culture, elle dévoile certes le psychisme du sujet, mais aussi la part qu’il prend à l’intérieur du lien social, l’histoire qui le baigne. Le privé et le public se rejoignent en elle. Toujours matière de sens, la peau est le point de contact avec le monde et les autres. Lieu de salut à travers une identité affichée et fortement investie, le corps est pour d’autres (ou les mêmes) celui de la chute, de l’enfermement en soi dont il faut se délivrer en le rayant, en le biffant, en bouleversant sa forme, pour accéder enfin à soi [6].

La signature comme attestation de soi

6Dans une société d’individus, la collectivité d’appartenance ne fournit plus que de manière allusive les modèles ou les valeurs de l’action. L’acteur lui-même est le maître d’œuvre qui décide de l’orientation de son existence. Le sens s’individualise. Le monde, dès lors, est moins l’héritage incontestable de la parole des aînés ou des usages traditionnels qu’un ensemble disponible à sa souveraineté personnelle moyennant le respect relatif de certaines règles. La signification de l’existence est une décision propre de l’individu et non plus une évidence culturelle. Le désinvestissement des systèmes sociaux de sens amène à une centration accrue sur soi. Le repli sur le corps, l’apparence, les affects, sont des moyens de réduire l’incertitude en cherchant des limites symboliques au plus proche de soi. Il ne reste plus que le corps auquel l’individu puisse croire et se rattacher. La peau qui enserrait le monde social à l’intérieur de frontières relativement précises et cohérentes donnant au lien social un point d’appui et des repères prévisibles est aujourd’hui trouée de toute part. Si la peau du monde se relâche, le sujet, à l’inverse, se replie dans la sienne pour tenter d’en faire son refuge – un lieu qu’il contrôle à défaut de contrôler son environnement. Il s’agrippe à son corps pour se procurer les limites de sens nécessaires à la poursuite propice de son existence. La relation au corps est désormais celle à un objet nourrissant la représentation de soi. Le sceau de la maîtrise est le paradigme de la relation au corps propre.

7La recherche d’une transcendance par le corps implique sa transformation en une forme choisie. La dispersion des signes visibles sur le paysage cutané accomplit la métamorphose, la jubilation d’être dans l’air du temps et de bénéficier d’un look favorable. La peau est entrée dans le registre de l’hypervisibilité, medium qui affiche le message de la présence de l’acteur à travers les signes cutanés, capillaires ou vestimentaires qu’il diffuse comme un brevet d’existence. Pour beaucoup, vivre se confond avec la tâche de communiquer en permanence sur soi en arborant des emblèmes.

8L’enveloppe de signes ajoutés par l’acteur remanie une chair revendiquée désormais de manière stéréotypée comme sienne, en opposition à celle des parents, à la religion, à la société, etc., selon le discours tenu. Dans tous ces cas, il s’agit d’en prendre enfin possession, d’advenir à soi à travers une sorte de signature symbolique. Ainsi, pour nombre de jeunes, la marque est-elle vécue comme une manière de se singulariser, de broder un motif personnel sur l’étoffe collective, de signer ainsi leur présence au monde. Non seulement de se détacher symboliquement de leurs parents en prenant possession de leur corps, en faisant leur affaire de leur peau, mais en ayant désormais quelque chose d’inaliénable. Certains cherchent un motif singulier ou se livrent à une recherche pour le rendre unique. La marque est intime, gravée dans la chair. Signature, elle personnalise, parfois même jusqu’à la caricature :

9

Les produits ont un code-barres, moi un tatouage. C’est le reflet de mon âme, il me représente. [Ludovic, étudiant, 19 ans]
J’ai fait moi-même des dessins uniques pour être seule au monde à les porter. Comme ça personne ne me ressemble. [Claire, 27 ans]

10Il s’agit de devenir enfin soi. Puisque l’existence ne suffit plus, le signe corporel affirme avec force une individualité. Il est une cuirasse symbolique, une ligne de défense permettant éventuellement de se séparer des autres, des parents notamment, d’échapper au malaise de l’adolescence ou de prendre enfin corps dans son existence. La marque assure de soi, à l’image de cette étudiante confessant que c’est seulement après son premier tatouage qu’elle s’est sentie enfin « complète ».

11La volonté d’auto-filiation, qui pousse l’individualisme démocratique à son point culminant d’être jusqu’au bout le maître de soi, se heurte à l’irréductibilité du corps comme héritage d’une histoire compromise avec les autres, à commencer par les géniteurs. Les technologies contemporaines donnent à l’acteur le sentiment d’un pouvoir d’action symbolique sur son corps et ses origines. L’acteur récuse dès lors que celui-ci soit sa racine identitaire, son « destin » ; il entend le prendre en main comme un accessoire pour lui donner une marque qui n’appartienne qu’à lui [7]. Répondant à un entretien, la cinéaste Marina de Van écrit à ce propos :

12

Quand je me regarde dans une glace, il faut que je ressemble à ce que j’ai moi-même créé. Je ne supporte pas l’idée que mon unité physique soit une donnée que je n’ai pas façonnée moi-même.

13Une autre jeune femme précise :

14

C’est une touche personnelle que je voulais donner à mon corps. Une touche qui vient de moi, non de monsieur génétique. [Julie]

15Son tatouage, une fleur, lui rappelle le moment où elle a quitté ses parents pour commencer ses études de médecine. « Quand tu te lèves de la chaise, après le tatouage, ton corps a changé, mais toi aussi tu n’es plus la même ». Après son tatouage et son piercing, elle s’est trouvée « plus désirable, plus sexy, plus femme, plus authentique ».

16On n’a pas pris possession de son corps sans l’avoir attesté d’une marque. Le corps est d’abord autre que soi. L’intériorité du sujet est un effort constant d’extériorité. Il faut se mettre hors de soi pour devenir soi.

17

Quand j’enlève mes piercings j’ai l’impression que je ne suis plus moi. J’ai l’impression d’être nue. [Vanessa]
J’étais trop heureuse. C’était magnifique, difficilement explicable tellement ça m’a rendue heureuse. Je me sentais MOI. C’était mes choix, mes désirs. J’avais pris une décision par moi-même. Même si ça allait pas se passer super bien chez moi, je me sentais tellement bien, soulagée. [étudiante, 20 ans]

18« Je suis devenu enfin moi après mon piercing ou mon tatouage » est un lieu commun du discours des jeunes générations où le jugement des pairs est impitoyable. Être soi n’est plus une évidence mais un travail qui impose de posséder la panoplie requise. On n’est plus soi par ses œuvres mais par la possession émerveillée d’un objet socialement valorisé, d’une marque, au sens commercial ou corporel du terme. Le look devient une forme première de socialisation pour les jeunes générations où une erreur de marque vestimentaire provoque par exemple le qualificatif de « bouffon ». Et dans le contexte d’indifférenciation grandissante dû à la marchandisation de la jeunesse et de ses produits, le narcissisme de la petite différence bat son plein et se traduit par le surinvestissement des marques corporelles.

19Pour les générations les plus jeunes, le goût du piercing ou du tatouage est un mélange ambigu de revendication d’originalité et de soumission aux attitudes conformes d’une classe d’âge. Il s’agit de trouver une manière personnelle de s’affilier à la foule et de s’en détacher discrètement aux yeux de ceux dont le regard compte. Tentative de se distinguer, d’établir une frontière entre soi et les autres, tout en ménageant des passerelles pour ne pas se perdre dans la solitude. Le signe corporel a souvent pour l’adolescent une tâche de différenciation des parents et d’assimilation aux pairs. D’où ce discours contradictoire et ambivalent où l’adolescent affirme avec complaisance sa radicale singularité grâce à son signe, tout en soulignant dans le même propos que sa marque est à la mode ou que sa meilleure amie porte la même ou que le leader d’un groupe de rock l’arbore sur son bras.

20Nombre de témoignages mêlent un discours de singularité et le sentiment de participer à un courant de fond de la société. La contradiction n’est pas perçue, car elle participe des logiques de consommation.

21

Ma rencontre avec le piercing, c’est pour avoir une boucle d’oreille ailleurs que sur le bas des oreilles. Pourquoi, je n’en sais rien. J’ai voulu ça parce que c’était la mode. Ouais, j’ai voulu faire ça pour avoir quelque chose de différent par rapport aux autres. [Claire]
Je ne suis pas comme tout le monde. Je n’aime pas les moules. Je refuse d’y participer. Les gens sont tous identiques. Un piercing ça me différencie. [Sandra]
J’ai essayé avec des fringues, mais ça tape pas assez. Je voulais me différencier. [Thierry]
Je voulais être différent des autres, j’ai fait comme les gens qui veulent se marginaliser. [Luc, 20 ans]
Pourquoi l’arcade ? Ben, je trouve qu’il y a pas beaucoup de personnes qui l’ont là. Ça sort un peu de l’ordinaire. Et aussi ça se fait plus chez les mecs que chez les nanas. Des amis m’ont conseillé. J’avais d’abord pensé à l’oreille, mais c’est trop banal. Je me suis dit pourquoi pas l’arcade finalement. [Franck, lycéen, 18 ans]
J’avais envie d’être unique. [Fred, 23 ans]

22La marque corporelle signe l’appartenance à soi. Dans une société de l’apparence et du spectacle où le fait d’être visuellement distingué est une forme de salut, être soi ne suffit plus, il faut afficher des signes à la surface pour que les autres en prennent acte. On devient « soi » dans la croyance que le regard des autres ne reste jamais indifférent à cette différence.

23On accède à sa singularité moins pour être soi que par le fait de porter un piercing ou un tatouage, paradoxalement pourtant revêtu par des millions d’autres adolescents et réalisé, en outre, par une autre personne, et non par soi. La modification corporelle – le terme est déjà révélateur – devient une sorte de badge identitaire, une signature de soi. Elle confère à nombre de contemporains une identité et une radicale distinction ; sans elle, ils disent qu’ils ne seraient plus rien. Ils ne seraient plus « eux-mêmes ». Une signature s’inscrit sur un support extérieur, par exemple le papier. S’agissant d’un signe apposé sur le corps, l’altérité n’en est pas moins présente ; le tatouage vient justement rappeler le corps à soi, en faire un objet propre. Si la marque est vécue comme une signature, comme l’opérateur d’une cristallisation de soi, il y avait au départ un sentiment d’altérité envers le corps propre, le sentiment de ne pas avoir pris chair en soi.

24Le corps légué par les parents est à modifier pour devenir soi et ne plus être entaché d’une origine. On retrouve là un fantasme d’auto-génération dans la volonté de rompre symboliquement les amarres, renforcée par l’attitude souvent autoritaire des parents. Une mère refusant un piercing à sa fille déclare avec colère : « C’est moi qui t’ai faite, je ne veux pas que tu abîmes ton corps ». On comprend la hâte de sa fille de courir à la première boutique venue pour s’en faire poser un. D’autres mères poussent un cri du cœur : « Tu ne me feras pas ça ! ». Le piercing au nombril, le plus courant sans doute, est un archétype de la volonté de rompre symboliquement le cordon ombilical, de voler enfin de ses propres ailes. De même, celui de la langue qui témoigne d’une rupture de l’oralité ancienne, liée à la mère, pour accéder à sa propre parole

25Souvent unique et « programmé », surinvesti, l’enfant est venu combler les failles narcissiques des parents et il est en position écrasante de dette à leur égard. La marque corporelle est une sorte de cran d’arrêt symbolique pour se défaire du sentiment de ne pas s’appartenir. D’où le propos de bien des jeunes : « Je me suis réapproprié mon corps ». Comme si leur corps leur avait été dérobé ou comme s’ils n’en disposaient pas auparavant. La volonté est claire, même si elle échappe à toute lucidité, de ne devoir qu’à soi, de signer son corps comme ne devant rien aux parents, même si elle doit tout à l’ambiance sociale d’un moment pour une classe d’âge.

26Le tatouage ou le piercing induisent ou accompagnent le passage délicat vers l’âge d’homme ; ils accroissent la confiance en soi, le mûrissement personnel. D’où la jubilation de leur mise en place. Ils mettent symboliquement un terme à une situation d’incertitude et opèrent un sentiment de maîtrise de soi. En opposition à des passages à l’acte, ce sont des actes de passage qui contribuent à ritualiser un moment essentiel : obtention d’un diplôme, succès professionnel, scolaire, universitaire, décision importante au regard des études, de la vie amoureuse, de la vie professionnelle, début ou fin d’une relation, commémoration personnelle sont des moments souvent évoqués. Le changement de statut se dédouble d’un signe d’autonomie. Le signe cristallise non seulement le plaisir d’embellir son corps mais il fonctionne aussi comme rappel de singularité personnelle qui appelle la métaphore de la signature attestant l’appartenance à soi.

27Les marques corporelles de nos sociétés sont, à l’opposé de celles des sociétés traditionnelles – même si elles en miment le principe –, souvent accompagnées de la revendication enthousiaste de l’acteur. Dans nos sociétés, elles sont individualisantes ; elles signent un sujet singulier dont le corps n’est pas relieur à la communauté et au cosmos comme il l’est dans ces sociétés mais, à l’inverse, elles affirment leur irréductible individualité [8]. La marque traditionnelle est affiliation de la personne comme membre à part entière de sa communauté d’appartenance ; dans nos sociétés, elle affiche la différence du corps propre, coupé des autres et du monde mais lieu de liberté. L’individu qui choisit un tatouage ou un piercing dit sa dissidence d’individu, sa quête de différence, là où le membre d’une société traditionnelle proclame son affiliation à une totalité symbolique d’où il ne saurait se soustraire sans se perdre.

Biffer, s’exclure symboliquement de soi

28Exister c’est aujourd’hui être reconnu, ou plutôt recevoir l’onction du regard des autres. Le salut est d’être remarqué, c’est-à-dire marqué et démarqué. La peau devient l’écran proposé à l’appréciation des autres. L’impératif de représentation touche particulièrement les jeunes, et de plein fouet les adolescentes, à travers la double nécessité de séduire pour exister et de parer son corps. Un film comme Thirteen (de Catherine Hardwicke, 2003, 95 minutes) le traduit douloureusement en racontant la fuite en avant de deux adolescentes hantées par les objets de consommation relevant de la cosmétique ou de la tenue vestimentaire qu’elles achètent ou volent en permanence. Leur existence entière se résume à attirer l’attention de leurs compagnons par la mise en scène de leur féminité, se prêtant à tous les compromis. Les garçons sont le public dont il faut capturer le regard ; les jeunes filles sont prestataires de services sur une scène sociale masculine réelle ou fantasmée. Parfois le miroir se morcelle, car l’adolescente ne se sent pas à la hauteur. Elle finit par craquer : l’une des deux héroïnes s’entaille à chaque fois qu’elle est confrontée à une frustration, l’autre recourt aux drogues dures. Un monde qui ne se donne plus d’emblée à la volonté est intolérable, et il faut se purger de la violence de l’émotion ressentie.

29L’anorexie, la boulimie, l’obésité, et surtout les blessures corporelles délibérées, sont des critiques « par corps » de ce que la femme n’a d’autre salut que la séduction qu’elle affiche ; elle se sent impitoyablement jugée sur son apparence, sa jeunesse, et elle ne rencontre guère d’intérêt (ou elle le croit) au-delà. Si la femme a un corps qui la définit pour le meilleur ou pour le pire, l’homme est plutôt son corps, il existe par ce qu’il fait, ou simplement du fait d’être un homme, valorisé déjà en tant que tel. La femme doit faire ses preuves par sa séduction. Si la peau est une voie de salut pour les uns, elle est pour les autres l’écran insupportable qui les empêche d’exister sans avoir à rendre compte, et maintient une tension intolérable. D’où le surgissement d’autres marques corporelles touchant surtout les adolescentes dans un geste de refus : les incisions délibérées dans un contexte de souffrance personnelle. Geste polysémique dont j’esquisse quelques éléments d’analyse en contrepoint aux parures ludiques dont j’ai parlé ci-dessus [9] mais dont l’une des significations est le refus inconscient d’être enfermé dans un corps toujours en représentation, assigné à une identité insupportable face à un monde où l’on ne se reconnaît pas. Les incisions sont une volonté de s’arracher à un corps qui épingle à soi, de se dépouiller d’une peau qui colle douloureusement au regard des autres. Tentative symbolique de briser l’image. Biffure de soi comme on raye une phrase malencontreuse. Le corps est en trop : il enferme en soi à la manière d’une prison d’identité.

30Les entames corporelles interviennent dans une situation de souffrance et d’impuissance, d’impossibilité de mettre la tension hors de soi. Face à la paralysie de toute possibilité d’action, elles rétablissent une ligne d’orientation, elles ramènent l’individu au sentiment de sa présence. Acte de passage (et non passage à l’acte comme le dit la psychanalyse) souvent lucide sur le moment ou l’après coup, franchissement in extremis d’une passe dangereuse, les scarifications sont une manière de négocier un entre-deux intolérable. La douleur, l’incision, le sang endiguent le trop plein d’une souffrance débordante et écrasante et rappellent au sujet qu’il est vivant à travers la brutale sensation d’existence ainsi provoquée. L’impossibilité de sortir de la situation par le langage force le passage par le corps pour décharger la tension. La trace corporelle porte la souffrance à la surface de soi, là où elle devient visible et contrôlable. On l’extirpe d’une intériorité qui parait comme un gouffre, ultime tentative de se maintenir au monde, de trouver une prise. La douleur physique est une butée symbolique opposée à une souffrance indicible et écrasante.

31Nombre d’adolescentes surtout – les garçons sont moins nombreux – y recourent comme à une forme de régulation de leurs tensions. La plupart du temps, elles dissimulent leur comportement, même à leurs proches. La scarification est une saignée identitaire [10] qui draine le « mauvais sang », le « pus », l’ « énergie noire », la « merde », la « pourriture », la « saleté » qu’il y a en elles.

32

Je veux évacuer quelque chose de mauvais, ce qui me ronge et me détruit, je veux l’expulser, que ça s’arrête » [Vanessa, étudiante, 19 ans].
Il fallait que je le fasse souffrir, ce sale corps, dit Aïcha. Je le haïssais, il ne m’a fait que des problèmes. Je l’ai pas choisi, moi. J’ai pas demandé à naître. Dès que j’avais le courage, je lui faisais des crasses en vrai : je m’amusais à me brûler avec des mégots de cigarettes, ou, quand j’étais en cours, je prenais mon cutter et je me saignais, plein de trucs comme ça. Une vraie sadique, en vrai. [11]

33Quand elle se coupe pour la première fois, Caroline Kettlewell [12] a 12 ans. Elle se sent déjà sans relief, vide, guère populaire sans être rejetée, sans histoire, invisible, sans cesse comparée à une sœur aînée plus âgée de deux ans, entourée d’amies, meilleure en sport, à l’école, au dessin, en peinture. Son corps lui paraît une pièce rapportée. Elle ne l’habite pas à part entière et n’aime pas sa féminité.

34

C’est l’histoire d’une personne ordinaire qui essaie d’arrêter un voyage dans l’obscurité et sur des routes inattendues. Je peux vous dire que n’importe qui peut être conduit vers une voie aveugle et chaotique. Je peux vous dire que l’idée et l’urgence de se couper semblaient venir de ma peau elle-même. […] Je me suis coupée parce que ça marchait et parce que les alternatives étaient pires […] Me couper était ma défense contre un chaos interne, contre un monde qui échappait à mon contrôle. Mais je ne sais pas d’où venait ce chaos. [13]

35Après la première incision, Caroline dit ne jamais avoir eu l’intention de s’arrêter tant ce geste est une mise en ordre de son chaos intérieur, un apaisement qui lui paraît inaccessible autrement. Elle se coupe selon les circonstances qui émaillent ses journées, parfois chaque jour, éprouvant aussitôt le sentiment d’être à nouveau « propre », parfois deux ou trois fois dans la semaine. « Couper était une solution à tout [14] » : déception, regret, culpabilité, insécurité, frustration, incertitude de l’avenir, etc. L’incision est une sorte de balancier l’aidant à tenir sur le fil du rasoir de son existence. Elle dit elle-même chercher la bonne mesure de l’apaisement en se coupant plus ou moins profondément selon la peine éprouvée, traçant sur sa peau (bras, hanche, jambe, lobe de l’oreille) des lignes parallèles dont elle dit toujours veiller à les soigner ensuite. Caroline se coupe plutôt la nuit, à la lumière d’une lampe. Elle masque soigneusement les plaies sous ses vêtements, dissimulant son secret aux personnes de son entourage. Elle les tait même aux thérapeutes qu’elle rencontre parfois.

36Parallèlement aux incisions régulières, elle évoque des épisodes fréquents d’anorexie témoignant de la même difficulté à assumer un corps et une féminité insupportables [15]. Elle évoque ses coupures comme une manière de retrouver la « propreté ». Elle tente de se débarrasser d’une chair vécue comme une souillure et qui l’enferme sans issue. Les incisions marquent alors une cérémonie de purification pour en prendre enfin le contrôle. Cet exercice de cruauté sur soi, au-delà de la résolution d’une tension, n’est pas sans bénéfice secondaire. Caroline souligne la « bouffée d’adrénaline » qui accompagne son geste. Elle n’ignore pas l’étrangeté de son recours mais sans pouvoir y échapper. Un soir, alors qu’elle s’est incisée les lobes de l’oreille, elle se demande à qui appartient le visage qui se dessine dans le miroir devant elle.

37

Je porterai le rasoir à mon visage, je couperai et taillerai dans le sang, les os et la structure pour en faire quelque chose que je reconnaisse. J’extirperai cette agréable Caroline, cette merde de Caroline qui n’est jamais elle-même mais ce qu’elle pense que les autres attendent qu’elle soit. [16]

38L’entame est le prix à payer de l’échange symbolique avec la durée pour s’assurer d’un avenir meilleur. Si on se fait soi-même du mal, on peut espérer que le sort relâche enfin son emprise. Lucie, victime douloureuse d’un inceste, explique que :

39

C’est un peu comme si on arrivait nous-mêmes à gérer notre souffrance. C’est pas quelqu’un de l’extérieur qui va nous faire du mal, comme dans le cas de l’inceste ou de l’abus sexuel, ce mal c’est nous-mêmes qui nous l’infligeons. Donc on a un contrôle sur la souffrance subie. D’autres choses entrent en jeu, c’est aussi, entre guillemets, un mal pour un bien. C’est laisser sortir une certaine souffrance qui pourrait être dite avec des mots et qui passe là par une maltraitance du corps.

40L’entaille confère aussitôt une unité, un enracinement du sujet dans l’épaisseur du réel. La restauration brutale des frontières du corps arrête la chute dans la souffrance, en efface le vertige et provoque la sensation d’être vivant et réel, comme de revenir à soi. Le paradoxe de la blessure délibérée est de colmater une brèche de sens par où jaillit la souffrance. « Le ressenti causé par la blessure, écrit Janice McLane [17], rend l’existence du (sujet) inévitablement présent à lui-même. Il se sent, donc il est. »

41En se jetant contre le monde à travers l’incision, le jeune échappe à un affect puissant et destructeur venu de l’intérieur. Il le porte à la surface de soi pour le contenir et en reprendre le contrôle. Le choc de la sensation, le bref instant de douleur résonnent comme un éveil qui rétablit les frontières de soi et coupe court au sentiment de morcellement et de perte. L’entame est un rétablissement brutal du sentiment d’être réel et vivant. Elle a cette vertu d’un rappel à l’existence concrète qui permet de reprendre son souffle, de se retourner contre sa souffrance en une soudaine volte-face. Elle restitue au sujet une initiative, une position d’acteur. Redéfinition provisoire des circonstances, elle éloigne le sentiment d’étouffement et d’impuissance. Elle remanie aussi le sentiment de soi du sujet en souffrance en lui restituant les limites qui lui manquaient pour repousser l’affect douloureux. L’attaque au corps est une mise en ordre symbolique, un apaisement du sens qui relance le temps, et donc la possibilité de vivre. Une manière symbolique de rayer les éléments douloureux de son histoire pour faire peau neuve, se purifier, être moins mal dans sa peau en se faisant mal un instant, non pour avoir plus mal, mais pour faire la part du feu.

42L’attaque au corps permet de survivre au trauma ou à la souffrance à travers une commémoration à l’envers dont la visée est justement le dépassement, une tentative d’effacement de l’intolérable. La répétition est une sorte d’usure de l’événement qui fait mal, une rumination pour en finir avec la virulence, une biffure rageuse et répétitive. La scarification est une technique de survie par le recouvrement de l’événement à travers une reprise en main. Si la tâche est de survivre aux vagues de la souffrance, elle est aussi de se redéfinir en tant que sujet pour pouvoir enfin se retourner sur son histoire propre et ne plus être défait. Si la blessure trouve sur le corps son point d’impact, elle est d’abord une tentative de manipuler du sens pour le rendre habitable et continuer à vivre. Elle est une sorte de biffure symbolique de l’événement et, au-delà, une volonté de se rayer soi-même en tant que corps souillé ou inhabitable pour accéder enfin au corps propre.

Ouverture

43Aucune marque n’est engluée dans l’éternité, sa signification se remanie selon les péripéties et l’histoire de l’acteur, les publics qu’il côtoie, etc. Ce qui était de prime abord vécu comme émerveillement, comme prise symbolique de possession de soi, peut devenir avec le temps un stigmate, une marque qui impose un statut insupportable. Ainsi, aujourd’hui, la banalité, voire le conformisme du piercing pour les jeunes générations, amène-t-il certains, percés parfois de longue date, à retirer leurs bijoux à cause de leur déception de ce qu’il est devenu ces dernières années. Ils ne veulent pas être assimilés à un phénomène de mode et à une futilité qu’ils réprouvent. La dimension de signature s’est effacée, et la marque devient plutôt un stigmate, ou mieux encore un outil d’indifférenciation.

44

Il y a trop de gens qui en ont maintenant. Ça fait midinette. J’ai pas envie d’être associée à une image comme ça. Moi je l’ai fait il y a longtemps. Je m’attendais jamais que ça prenne une telle ampleur. Maintenant tout le monde est percé. Ma sœur l’est, mon autre sœur aussi, ma petite voisine à qui je donnais des cours. Ça devient complètement banal. Ça fait « fashion victim machin » et j’aime pas du tout cette image. [étudiante, 22 ans]

45De signe symbolique de dissidence, le piercing témoigne maintenant plutôt du fait d’être branché. D’autres l’ôtent seulement parce qu’ils ont changé au fil du temps :

46

Je les ai enlevés par rapport à un changement personnel. Je trouvais qu’ils ne m’allaient plus. Ils m’ennuyaient. [employée, 24 ans]

47À l’inverse, le franchissement de la zone de turbulence qui motivait les attaques au corps et le refus de se reconnaître transforme de manière radicale le statut des cicatrices. Traces d’un événement ces dernières sont prises dans la délibération intime de l’acteur, sujettes à des remaniements de sens. Les cicatrices deviennent, selon les sujets, des traces de mémoire auxquelles ils sont attachés, car elles font partie de leur existence, comme ils disent parfois. D’autres, comme Marie, les vivent comme des stigmates qui attirent négativement l’attention sur eux et ils souhaitent les effacer pour conjurer définitivement une histoire pénible et désormais dépassée. La biffure devient parfois une signature malencontreuse qui offre une prise au regard des autres, révélant les traces d’une histoire intime que l’acteur souhaitait tenir dans l’ombre.

48Oria voudrait tourner la page mais les traces cutanées n’ont pas la flexibilité de la volonté personnelle, elles s’incrustent :

49

Envie de tout oublier […] Elles m’encombrent ces cicatrices, elles me dévoilent contre ma volonté, elles sont là, gravées sur mes bras et mes jambes, impossible de les effacer, de les oublier, chaque regard qui s’y pose me rappelle mon passé, ma souffrance, cette violence. Elles montrent à l’autre une faiblesse, une fragilité, ma folie. [18]

50Les signes ajoutés sur la peau viennent aussi recouvrir le corps des origines, souvent pour l’effacer, éradiquer une filiation devenue intolérable, par exemple dans les cas des victimes d’incestes ou d’attouchements sexuels au sein de leur famille ou ailleurs. Kim Hewitt pense qu’aux États-unis nombre de femmes sont enclines à recourir à des piercings dont la visée est en partie thérapeutique après des abus sexuels dans l’enfance ou après. Le piercing marque, selon elle, une volonté de reconquérir un corps qui échappe à cause de la mainmise mortifère d’un autre. Une femme victime d’inceste ou de violence sexuelle choisit « des piercings génitaux pour recréer et revendiquer son corps. Si elle est lucide sur ses motivations alors son choix de subir un moment douloureux et une période de cicatrisation lui donne du pouvoir. Même si elle n’est pas tout à fait lucide sur son désir de piercing, elle bénéficie du processus d’intégration du corps et de la psyché à travers le fait du bijou. [19] »

51Renouement avec son histoire à travers un contrôle du corps passant par une action qui, à la fois, efface le passé en le recouvrant et signe le présent, manifeste un acte de passage qui a valeur d’auto-initiation. Il s’agit de se refaire un corps à soi, délivré de l’empreinte de l’autre. Le recouvrement du corps par un signe autorise ici à recouvrer justement un sentiment d’identité moins meurtri, à reprendre possession de soi. En période de crise personnelle, la marque corporelle est un instrument symbolique de reconquête de soi, un motif de construction identitaire, de transformation de soi du fait de l’investissement dont le tatouage ou le piercing sont l’objet pour le sujet. Sa visée est de redéfinir le rapport au monde de l’acteur, mêlant simultanément signature, biffure et recouvrement.

52La marque a un statut de signature quand elle est une trace de subjectivité apposée sur un corps perçu auparavant comme n’étant pas tout à fait le sien. Elle traduit une symbolique d’appropriation, d’inclusion à soi. À l’inverse, la biffure cutanée est une tentative de se défaire de soi, une volonté de s’arracher une peau qui colle à la peau et enferme dans un intolérable sentiment d’identité. Il s’agit de faire peau neuve, en se désengluant de la souffrance dans un geste douloureux qui est justement le prix à payer de la survie. Mais la marque n’a que le sens que l’individu lui confère, et celui-ci résonne de son histoire personnelle. Acquitter la part du feu à travers la trace, la douleur et le sang. Si la signature traduit le fait de se revendiquer comme soi, la biffure en manifeste l’intolérable, le refus de se reconnaître. Et parfois, comme une échappée belle, la marque permet de jouer sur tous les tableaux du sentiment de soi. Entre signe et biffure, elle recouvre une plaie intérieure et devient un élément de guérison, ou du moins un remède pour entrer dans une existence plus propice.


Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/sr.025.0119

Notes

  • [1]
    Béatrice Fraenkel, La Signature. Genèse d’un signe, Paris, Gallimard, 1992, pp. 7 et 9.
  • [2]
    David Le Breton, Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles, Paris, Métailié, 2002, 224 p.
  • [3]
    Béatrice Fraenkel, La Signature…, op. cit., p. 11.
  • [4]
    Le tatouage ne marque pas seulement la peau comme un art ou une proclamation d’existence, il lui fait aussi la peau de manière détournée en attirant l’attention sur lui et en le rendant immédiatement identifiable pour les autorités. « Signe particulier », comme le dit l’administration, il permet non seulement la description d’un suspect ou la transmission de son signalement mais aussi une identification post-mortem sans ambiguïté (David Le Breton, Signes d’identité, op. cit., p. 45 sq.) De longue date, les soldats se marquent le corps de tatouages ou d’inscriptions de peur que leur dépouille ne connaisse le traitement anonyme des champs de bataille. Nombre de GI’s l’ont encore fait en 2003 avant de partir en Irak.
  • [5]
    David Le Breton, L’Adieu au corps, Paris, Métailié, 1999, 237 p. ; Victoria Pitts, In the flesh. The Cultural Politics of Body Modification, New York, Palgrave Mcmillan, 2003, 239 p.
  • [6]
    Les tatouages ou les piercings, d’une part, les scarifications de l’autre, ne sont jamais univoques et leur signification varie selon l’histoire du sujet et les circonstances. Dans ce texte, j’isole deux lignes de force : celle de la signature, où la marque redouble l’appartenance à soi, et la biffure, où, à travers l’attaque au corps, l’une des significations possibles est la volonté de s’arracher à soi, de changer de peau. Toute marque corporelle, propice ou rageuse, est polysémique, et nombre d’entre elles sont simultanément biffure et signature, effacement d’un brouillon pour accéder au propre (David Le Breton, Signes d’identité, op. cit. et La Peau et la trace. Sur les blessures de soi, Paris, Métailié, 2003, 141 p.).
  • [7]
    David Le Breton, L’Adieu au corps, op. cit.
  • [8]
    David Le Breton, Signes d’identité, op. cit. ; Christiane Falgayrettes-Leveau (dir.), Signes du corps, Paris, Musée Dapper, 2004, 389 p.
  • [9]
    Pour une approche spécifique des scarifications, voir David Le Breton, La Peau et la trace, op. cit.
  • [10]
    David Le Breton, La Peau et la trace, op. cit.
  • [11]
    Hakima Aït el Cadi, « Au féminin », Autrement. Série mutations, n° 211, 2002, p. 157.
  • [12]
    Caroline Kettlewell, Skin game, New York, St Martin’s Griffin, 1999, 178 p.
  • [13]
    Idem, pp. 58-60.
  • [14]
    Idem, p. 63.
  • [15]
    De nombreuses recherches observent qu’environ la moitié des femmes qui attentent régulièrement à leur corps sont aussi touchées par l’anorexie et la boulimie (Armando R. Favazza et Barbara Favazza, Bodies under siege. Self-mutilation in culture and psychiatry, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1987, p. 206).
  • [16]
    Caroline Kettlewell, Skin game…, op. cit., p. 155.
  • [17]
    Janice McLane, « The voice on the skin : self-mutilation and Merleau-Ponty’s theory of language », Hypatia, n° 11-4, 1996, p. 113.
  • [18]
    Catherine Matha et Claude Savinaud, « Scarifications : De blessures en mortifications sacrificielles », Adolescence, n° 48, 2004, p. 288.
  • [19]
    Kim Hewitt, Mutilating the body. Identity in blood and ink, Bowling Green, Bowling Green State University Popular Press, 1997, p. 80.

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