Notes
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[*]
Ce dossier est issu de deux journées d’études organisées à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne par le Centre de recherches en Histoire du xixe siècle, les 6 novembre 2004 et 5 novembre 2005. Elles avaient réuni, autour de la question des approches culturelles du voyage au xixe siècle, des historiens, des géographes et des littéraires.
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[1]
Katerina Stenou, Images de l’Autre. La Différence : du mythe au préjugé, Paris, Le Seuil/Unesco, 1998, pp. 121-122.
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[2]
Par exemple, Annick Foucrier, Le Rêve californien. Migrants français sur la côte Pacifique (xviiie-xxe siècles), Paris, Belin, 1999. Parmi les tentatives peu convaincantes pour mêler les problématiques de l’histoire du voyage et des migrations : Par monts et par vaux. Migrations et voyage, Festival d’Histoire de Montbrison, 23 sept.-1er oct. 2000, Ville de Montbrison, 2001.
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[3]
Voir, par exemple, le livre à paraître de Sylvie Aprile sur les proscrits français sous le Second Empire.
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[4]
Par exemple, François Caron, Histoire des chemins de fer en France, 2 t., Paris, Fayard, 1997 et 2005.
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[5]
Georg Simmel, La Tragédie de la culture et autres essais, Paris, Rivages, 1988, p. 160.
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[6]
Voir, sur ce point, les travaux de Marc Boyer (L’Invention du tourisme, Paris, Gallimard, 1996 ; Histoire de l’invention du tourisme, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2000 ; L’Invention de la Côte d’Azur : l’hiver dans le Midi, La Tour d’Aigues, Édtions de l’Aube, 2001) et la thèse de Gérard Fontaines (éditée sous le titre La Culture du voyage à Lyon de 1820 à 1930, Lyon, PUL, 2003).
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[7]
Marc Martin, Les grands Reporters. Naissance du journalisme moderne, Paris, Audibert, 2005.
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[8]
Sylvain Venayre, « L’Avènement du voyage de noces (xixe-xxe siècles) », in Sabine Melchior-Bonnet (dir.), Histoire du mariage, Paris, Robert Laffont, à paraître.
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[9]
Sur les explorateurs lire deux thèses récentes : Hélène Blais, Voyages au grand Océan. Géographies du Pacifique et colonisation. 1815-1845, Paris, CTHS, 2005 et Isabelle Surun, Géographies de l’exploration. La carte, le terrain et le texte (Afrique occidentale, 1780-1880), Paris, EHESS, 2003.
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[10]
Par exemple, Bernard Salvaing, Les Missionnaires à la rencontre de l’Afrique au xixe siècle, Paris, L’Harmattan, 1995.
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[11]
Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, Paris, EHESS, 2002.
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[12]
Sur cette question, voir la thèse de Pierre Karila-Cohen, L’État des esprits. L’Administration et l’observation de l’opinion départementale en France sous la monarchie constitutionnelle (1814-1848), Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2003.
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[13]
Voir Jean Copans et Jean Jamin, Aux origines de l’anthropologie française, Paris, Le Sycomore, 1978.
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[14]
Dominique Kalifa, « Archéologie de l’“apachisme”. Barbares et peaux-rouges au xixe siècle », Le Temps de l’Histoire, n° 4, 2002, pp. 19-37, repris in Crime et culture au xixe siècle, Paris, Perrin, 2005, pp. 44-66.
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[15]
Alain Corbin, « Du loisir cultivé à la classe de loisir », in L’Avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Aubier, 1995 ; Christophe Studeny, L’Invention de la vitesse, Paris, Gallimard, 1995 ; Marc Desportes, Paysages en mouvement, Paris, Gallimard, 2005 et la thèse de Stéphanie Sauget, À la recherche des pas perdus. Dans la matrice des gares parisiennes, 1837-1914, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2005.
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[16]
Sylvain Venayre, La Gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne, 1850-1940, Paris, Aubier, 2002 et Jean-François Wagniart, Le Vagabond à la fin du xixe siècle, Paris, Belin, 1999.
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[17]
À l’image de la thèse en cours d’Hervé Mazurel, Désirs de guerre et rêves d’Orient. Lord Byron et les Philhellènes engagés dans la guerre d’indépendance grecque (1821-1830).
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[18]
Histoire très bien faite par Daniel Nordman et Marie-Vic Ozouf-Marignier, par exemple.
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[19]
Philippe Roger, L’Ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Le Seuil, 2002.
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[20]
Par exemple, Jeremy Black, Regards sur le monde. Une histoire des cartes, Paris, Octopus/Hachette, 2004.
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[21]
Isabelle Laboulais-Lesage (dir.), Combler les blancs de la carte. Modalités et enjeux de la construction des savoirs géographiques (xviie-xxe siècle), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2004.
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[22]
Voir François Walter, Les Figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe, xvie-xxe siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004. Quelques grandes exceptions : Serge Briffaud, Naissance d’un paysage : la montagne pyrénéenne à la croisée des regards, xvie-xixe siècles, Toulouse, CIMA-CNRS, 1994 et Philippe Joutard, L’Invention du mont Blanc, Paris, Gallimard, 1986.
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[23]
Sur tout cela, voir le résumé d’Alain Corbin, L’Homme dans le paysage, Paris, Textuel, 2001, ainsi que son livre Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, 1750-1840, Paris, Aubier, 1988 et les travaux de deux de ses étudiants : François Guillet, Naissance de la Normandie : genèse et épanouissement d’une image régionale en France, 1750-1850, Caen, Annales de Normandie, 2000, et Karine Salomé, Les Îles bretonnes : une image en construction, 1750-1914, Rennes, PUR, 2003.
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[24]
Les travaux de Paul Gerbod, pionnier dans le domaine de l’histoire culturelle du voyage, portaient précisément sur cette question. Cf. Voyages au pays des mangeurs de grenouilles. La France vue par les Britanniques du xviiie siècle à nos jours, Paris, Albin Michel, 1991, et Les Voyageurs français à la découverte des îles britanniques du xviiie siècle à nos jours, Paris, L’Harmattan, 1995. Du même : Voyager en Europe, du Moyen Âge au IIIe millénaire, Paris, L’Harmattan, 2002.
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[25]
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et alii, Zoos humains : de la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002, et Michael A. Osborne, Nature, the exotic and the science of French Colonialism, Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press, 1994.
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[26]
Sur ces questions déjà posées par Michelle Perrot dans l’Histoire des femmes (t. 4, Paris, Plon, 1991, pp. 479-486), voir notamment Bénédicte Monicat, Itinéraires de l’écriture au féminin : voyageuses du xixe siècle, Amsterdam, Rodopi, 1996.
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[27]
Voir ainsi, à propos du xxe siècle, le récent colloque du CHEVS de Sciences Po (13-14 janv. 2005) : Intellectuels, artistes et militants. Le Voyage comme expérience de l’étranger (à paraître).
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[28]
Nélia Dias, La Mesure des sens. Les anthropologues et le corps humain au xixe siècle, Paris, Aubier, 2004.
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[29]
Christelle Taraud, La Prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc, 1830-1962, Paris, Payot, 2003.
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[30]
Alain Corbin, « L’imaginaire érotique colonial », in Histoire du corps, t. 2, Paris, Le Seuil, 2005, pp. 193-198.
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[31]
Éric Baratay, Et l’homme créa l’animal. Histoire d’une condition, Paris, Odile Jacob, 2003.
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[32]
Voir Gérard Fontaines, La Culture du voyage à Lyon…, op. cit. et Gilles Bertrand (dir.), La Culture du voyage : pratiques et discours de la Renaissance à l’aube du xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2004. Gérard Fontaines est d’ailleurs intervenu à la première des journées d’étude dont ce dossier est issu.
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[33]
Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire culturelle du contemporain, Paris, Nouveau Monde, 2005.
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[34]
Jean-François Staszak, Géographies de Gauguin, Paris, Bréal, 2003, p. 14. Parmi les ouvrages de ce type, citons Claire Hancock, Paris et Londres au xixe siècle. Représentations dans les guides et récits de voyage, Paris, CNRS Éditions, 2003. Cette définition de la « culture du voyage » justifiait bien évidemment la présence d’Alain Corbin et de Paul Claval pour animer les débats de la première des journées d’étude dont ce dossier est issu.
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[35]
Nicholas Dirks (dir.), Colonialism and Culture, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1992, p. 3 (cité par Ed Berenson, « L’histoire culturelle du colonialisme français vue d’Amérique », in Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire culturelle du contemporain, op. cit., p. 390).
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[36]
Ce dont témoigne l’excellente collection des « Voyages » des éditions Robert Laffont (Bouquins), tout entière fondée sur cette approche du voyage.
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[37]
On doit souligner ici l’exception que constituent les séminaires de Marie-Noëlle Bourguet, du point de vue des voyages scientifiques, et de François Moureau, du point de vue des voyages littéraires. Tous deux animèrent d’ailleurs les débats de la seconde journée d’étude dont ce dossier est issu.
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[38]
Démarche déjà préconisée, à propos de l’étude de « la guerre au xxe siècle » par Stéphane Audoin-Rouzeau. Voir Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire culturelle du contemporain, op. cit., pp. 409-420.
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[39]
Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Paris, Le Seuil, 1989.
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[40]
Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973, chap. I, trad. française : « La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture », Enquête. Anthropologie, histoire, sociologie, n° 6, 1998, pp. 73-105.
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[41]
Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, nov.-déc. 1989, n° 6, pp. 1505-1520, repris in Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1988, pp. 67-86.
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[42]
François-Xavier Fauvelle-Aymar, L’Invention du Hottentot. Histoire du regard occidental sur les Khoisan, xve-xixe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.
1Plusieurs légendes, particulièrement vivaces dans le monde orthodoxe, rapportent que Saint Christophe, avant sa conversion, était un cynocéphale, un homme à tête de chien, et que, par sa conversion, il serait devenu un homme à tête d’homme. Cette conversion, nul ne l’ignore, s’est faite à la suite de l’épisode par lequel Christophe, qui ne s’appelait pas encore ainsi, aida le Christ enfant à franchir un torrent. Par cette action, Christophe gagna son nom, son statut de saint patron des voyageurs et, donc, son visage d’homme [1].
2Ces vieilles fables illustrent à merveille l’essence du voyage, qui est non seulement rencontre de l’autre, mais plus encore transformation de soi au moyen de cette rencontre. Christophe cynocéphale incarne cette dimension culturelle qui donne tout son sens à l’acte de voyager. Les automobilistes, qui nomment encore parfois « Saint Christophe » la petite amulette grâce à laquelle ils espèrent se protéger des accidents de la route, ne rendent pas justice à l’homme à tête de chien qui transporta le Christ enfant. De la figure tutélaire du voyage, représentant celui qui accepte l’altérité et la possibilité d’être transformé par elle, ils ne font qu’un saint patron du trajet, dont la fonction est réduite à la préservation du corps, au refus de l’accident et, avec celui-ci, au refus même de cette rencontre de l’autre dont le risque d’accident est comme la contrepartie.
3Contre cette réduction du voyage au trajet, on postulera ici que la rencontre de l’autre est au cœur du voyage, qu’elle en est la marque intime. On définira ainsi le voyage comme un déplacement dans l’espace caractérisé par la rencontre de l’autre et, à partir de cette définition, on tentera de jeter les bases de ce que pourrait être une histoire culturelle du voyage au xixe siècle.
De l’historiographie du voyage au xixe siècle
4Cette histoire est à la confluence de trois historiographies distinctes – du déplacement, de l’espace et de la rencontre de l’autre – que nous allons examiner successivement.
5Les historiens du xixe siècle ont déjà beaucoup travaillé, dans une optique démographique, sur ces déplacements que sont les migrations [2]. Ils ont également étudié, d’un point de vue politique, ces déplacements qui accompagnent les révolutions et les guerres : les exils et exodes [3]. Ils ont analysé enfin, dans une perspective économique ou technique, ces déplacements que sont les trajets [4]. Mais dès lors que l’on définit le voyage comme un seul déplacement, plusieurs problèmes de définition apparaissent : à partir de quelle longueur de déplacement parle-t-on de voyage ? À partir de quel temps passé dans l’espace d’accueil cesse-t-on d’être un voyageur pour devenir un migrant ? Autant de questions insolubles, qui sont finalement toujours tranchées par des décisions arbitraires fixant des seuils – de temps ou d’espace – en deçà ou au-delà desquels on décidera de parler, ou pas, de voyage.
6Pour éviter ces débats un peu vains, la meilleure solution réside dans le coup de force méthodologique consistant à ne considérer comme voyage que ce qui fut identifié comme tel par les contemporains. Georg Simmel suggérait déjà cette piste de recherche en soulignant que l’animal peut, certes, parcourir de grandes distances, s’orienter, suivre des empreintes, mais qu’« il n’opère pas le miracle du chemin : à savoir, coaguler le mouvement par une structure solide, qui sort de lui » [5]. L’approche culturelle du phénomène du voyage relève précisément de ce « miracle du chemin », de cette objectivation par laquelle l’homme prend conscience du déplacement, et lui donne un sens.
7L’historiographie du déplacement au xixe siècle n’a pas méconnu cet angle d’approche. La définition nouvelle du tourisme, aux alentours de 1830 [6], celle du grand reportage, dès les années 1870 [7], celle du voyage de noces à la Belle Époque [8], le sens neuf accordé au mot « explorateur », qui se précise dans la seconde moitié du siècle [9], les formes nouvelles du pèlerinage ou celles prises par l’essor missionnaire [10], la création d’institutions coloniales qui mirent en place de multiples pratiques du déplacement – scientifiques, militaires, administratives [11] – ont été l’objet de l’attention des historiens. Il en a été de même de la masse énorme des enquêtes sociales du xixe siècle. Des déplacements du docteur Villermé à ceux de l’ingénieur Le Play, des chevauchées des préfets aux visites pastorales des évêques, de la singularité d’une Flora Tristan à la masse de tous les folkloristes, antiquaires et archéologues des provinces françaises, les enquêteurs du xixe siècle, dans leur infinie diversité, ont mis en œuvre des pratiques originales du voyage et les ont codifiées. De l’opuscule de Flora Tristan, intitulé Nécessité de faire bon accueil aux femmes étrangères (1835), à la fondation, par les disciples de Frédéric Le Play, après la mort du maître, d’une école sociologique significativement baptisée « École des Voyages », l’enquête sociale du xixe siècle fut ainsi à l’origine d’un volumineux discours normatif sur le voyage auquel les historiens se sont parfois intéressés [12]. L’histoire culturelle du voyage doit s’adosser à ces nombreuses études. La relativité des distances s’y montre comme une évidence : on sait que le même homme qui codifia l’enquête philanthropique, le baron de Gérando, fut aussi l’auteur des Considérations pour l’étude des peuples sauvages, texte paru en 1800 : par l’attention qu’il porte à la rencontre de l’autre, par le vœu qu’il formule de la nécessité pour les voyageurs de se déprendre de leurs propres systèmes logiques pour réussir cette rencontre, il constitue l’acte de naissance du voyage au xixe siècle [13]. On sait aussi que les « barbares », identifiés lors de la première révolte des canuts, en 1831, convoquèrent les figures de la sauvagerie des confins pour produire un exotisme des bas-fonds faisant intervenir dans l’appréhension de la société la moins lointaine des catégories traditionnellement liées aux récits de voyages, jusqu’à l’invention des « Apaches » au cœur de Paris en 1900 [14].
8D’autres exemples montreraient comment l’historiographie des pratiques du déplacement au xixe siècle a pu ainsi étudier un discours laissant entrevoir les contours de ce qu’on pourrait appeler un « imaginaire du voyage » propre au xixe siècle.
9Certains travaux, plus rares, se sont récemment proposés d’analyser les représentations du déplacement elles-mêmes. D’une part, leurs auteurs ont mis l’accent sur les conséquences des mutations technologiques du xixe siècle, sur les images et les pratiques culturelles inédites qu’accompagnèrent l’ère des grands paquebots transatlantiques ou la construction des gares parisiennes – mais aussi sur l’évolution du sentiment de la vitesse dans un siècle qui passa du galop du cheval au rythme de l’automobile et aux balbutiements de l’aviation [15]. D’autre part, quelques grandes figures du déplacement, celles de l’aventure ou celles du vagabondage, ont fait l’objet d’analyses historiques [16]. Bien d’autres, qui permettraient d’écrire l’histoire des désirs et des anxiétés liés au déplacement devraient l’être [17] : que l’on songe, par exemple, à la fortune, au xixe siècle, du mythe du Juif errant, ou encore à cette expression argotique : le « long voyage », qui, sous le Second Empire, désignait la captivité au bagne.
10Ainsi peut-on repérer une première tradition historiographique au sein de laquelle le déplacement a été étudié, sans que cette analyse fût rapportée aux seules considérations démographiques, politiques ou économiques. Les historiens du déplacement et de ses représentations dessinent ensemble les contours d’une approche qu’on pourrait nommer « culturelle » de celui-ci. Reste que l’histoire du voyage, on l’a dit, n’est pas exactement celle du déplacement, mais celle du déplacement dans l’espace caractérisé par la rencontre de l’autre. Dans cette définition, l’espace doit faire l’objet d’une attention d’autant plus particulière que, depuis une vingtaine d’années, les historiens s’y sont beaucoup intéressés.
11Cependant, tout ce qui relève de l’histoire de la transformation de l’espace en territoire [18] ne concerne pas directement l’histoire culturelle du voyage. La définition progressive des frontières, le repérage du territoire – c’est-à-dire de l’espace organisé par des enjeux de pouvoir – sont des objets aux marges de l’histoire que nous proposons ici. Certes, le repérage et l’installation concrète des frontières ont impliqué des déplacements. Bien sûr, des individus ont pu ressentir très fortement le passage des frontières à l’occasion d’un déplacement. Par exemple, le franchissement par un navire d’une frontière aussi imaginaire que celle qui sépare l’hémisphère nord de l’hémisphère sud est l’occasion des cérémonies éminemment culturelles du « passage de la ligne ». Mais ces rites ne nous intéressent que dans la mesure où ils manifestent l’expression d’un sentiment lié au voyage – et non comme manifestation de l’existence de l’équateur. L’espace dont il est question dans l’histoire culturelle du voyage est d’abord un espace ressenti.
12Cela ne signifie pas que l’histoire des constructions savantes de l’espace en soit exclue. Bien au contraire, elles furent souvent à l’origine des représentations de l’espace qui animèrent les voyageurs – et qui les poussèrent, éventuellement, à voyager : on sait, par exemple, la force mobilisatrice, au xixe siècle, des légendes compilées par les savants sur l’Afrique. On sait aussi l’importance des ukases de Buffon sur la représentation, au début du xixe siècle, d’un espace américain humide, marécageux, où les hommes et les animaux dégénèrent, ce qui semblait prouvé par la plus petite taille des espèces animales américaines [19]. On trouverait sans peine de multiples exemples illustrant l’influence décisive des convictions scientifiques sur les représentations de l’espace. À tous ces discours, il convient d’ajouter l’importance tout aussi centrale des images et des cartes, issues du monde savant et qui, non seulement donnent à voir une représentation particulière de l’espace, mais influèrent aussi directement sur les représentations que les lecteurs de ces cartes pouvaient avoir de l’espace [20]. Pour s’en tenir à ce seul exemple, on sait le rôle majeur joué au xixe siècle, dans les rêveries sur l’ailleurs, par ces « taches blanches » à l’intérieur des continents, qui étaient un mode de représentation de l’inconnu géographique inventé par les cartographes des Lumières [21]. Ces aspects de l’histoire des sciences sont évidemment essentiels dans l’optique d’une histoire culturelle du voyage.
13Mais toute aussi essentielle est l’étude des vecteurs de transmission de ce savoir au sein du grand public. Les distorsions que le populaire Jules Verne fait subir aux récits des explorateurs, par exemple, sont au moins aussi importantes que les discours savants qui ont informé les récits des explorateurs les plus sérieux. Ces modalités des appropriations du discours savant par les grands vulgarisateurs sont fondamentales – et, au premier rang de ces grands vulgarisateurs, il faut compter l’œuvre commune, véritable discours aux cent bouches, que constitue, au xixe siècle, une presse de plus en plus volumineuse et variée, le plus souvent illustrée, dont une partie fut explicitement désignée, dans le dernier quart du siècle, comme une presse de voyage.
14À ce premier point – le discours scientifique et ses altérations « médiatiques » – il faut ajouter l’étude de ce regard particulier porté sur l’espace que résume la notion de paysage. L’espace du voyage, en effet, qu’il soit décrit, figuré ou vécu, est d’abord un paysage. Si l’historiographie française a longtemps tenu cet objet à l’écart [22], les développements de l’histoire des sensibilités, depuis une vingtaine d’années, ont posé de façon nette la question de l’émotion ressentie face au paysage – émotion qui n’est pas secondaire, mais qui est partie prenante d’un paysage que l’on doit bien définir, d’abord, comme une lecture de l’espace [23].
15Une seconde historiographie se dégage ainsi qui, issue de l’histoire culturelle des sciences – et de leur vulgarisation – et de l’histoire du paysage, permet d’aborder l’histoire des représentations de l’espace. Cette dernière est étroitement liée au thème de la rencontre de l’autre qui constitue le cœur de l’histoire culturelle du voyage. Bien des voyageurs du xixe siècle soulignèrent, en effet, que voyager dans l’espace, c’était aussi voyager dans le temps. Les voyageurs français dans le Lancashire des années 1830, par exemple, dirent volontiers leur sentiment de voyager dans le futur, de même que, parfois, ceux qui arpentèrent alors le Nord-Est américain. La plupart du temps, néanmoins, il s’agissait d’une plongée dans le passé. Or, ce hiatus qui transformait un voyage dans l’espace en voyage dans le temps n’était rendu possible que par la rencontre avec des modes de vie, des comportements, – ce qu’on appelait à l’époque une « civilisation » – ressentis comme autres – au point d’ailleurs de donner naissance à de multiples lieux communs, comme celui selon lequel les mondes musulmans vivraient exactement 622 ans en arrière de l’espace chrétien…
16L’historiographie des représentations de l’autre constitue ainsi une masse énorme de travaux sur laquelle l’histoire culturelle du voyage peut prendre appui [24] – masse d’autant plus énorme qu’il faut lui adjoindre l’innombrable littérature grise composée des mémoires et des thèses qui, de cette façon, ont pris pour objet une région ou un peuple tels qu’ils pouvaient être perçus par une catégorie de voyageurs ou un vecteur particulier. L’étude de la construction des savoirs racistes et de leur diffusion au xixe siècle, en relation avec l’avènement de l’anthropologie et des sciences coloniales, est tout aussi essentielle. Elle implique de s’interroger sur des médias originaux, telles ces « exhibitions ethnographiques » que le siècle inventa et popularisa [25].
17Cela dit, l’histoire de la rencontre de l’autre n’est pas seulement celle des expressions de l’altérité. Elle est aussi celle des représentations du voyageur lui-même, qui, dans leur diversité, commandent celles de la rencontre, qui est toujours rencontre de soi et d’un autre. Les catégories de l’histoire du genre doivent donc être ici convoquées, dans la mesure où les modalités de la rencontre de l’autre sont étroitement liées au sexe : le xixe siècle des femmes fut aussi le temps du combat pour le voyage solitaire, en dehors des normes du séjour dans les villes d’eaux ou les stations balnéaires, en dehors aussi de celles de ce voyage de noces qui, à bien des égards, fut alors codifié comme un anti-voyage [26]. L’âge entre également en ligne de compte, dans la mesure où, depuis les robinsonnades jusqu’à l’invention du scoutisme, le xixe siècle a décliné sous bien des formes l’idée venue de la Renaissance selon laquelle les voyages forment la jeunesse. Il y a enfin tout ce qui relève des phénomènes d’identités sociales, à l’image de ces voyages d’intellectuels pour lesquels il s’agissait davantage, en franchissant les frontières, de rejoindre ses semblables en matière d’art, de pensée ou de littérature, plutôt que de se confronter à une différence qui, du point de vue social, n’aurait jamais été aussi forte que dans leur pays d’origine [27]. Là aussi, d’ailleurs, le modèle est ancien : Montaigne, à qui l’on doit la formule « les voyages forment la jeunesse », se sentait beaucoup plus proche des aristocrates italiens qu’il rencontrait à l’occasion de son voyage que des paysans de son Bordelais natal – et il serait intéressant d’étudier la permanence et les modifications de ce phénomène au xixe siècle.
18Cette histoire culturelle de la rencontre de l’autre, via le déplacement dans l’espace, permet de toucher au plus secret de l’homme, dans la mesure où le sentiment de l’étrangeté est d’autant plus fort qu’il concerne les pratiques les plus courantes et les plus intimes. On sait ainsi l’attention que les voyageurs portent aux usages des sens et, malgré l’identification récurrente du voyageur au voyeur (est voyageur celui qui a vu ce que les autres n’ont pas vu), on doit être frappé par l’importance accordée, dans les descriptions de l’autre, au goût et à l’odorat. Indépendamment du postulat de l’anthropologie du xixe siècle selon lequel les peuples primitifs se signaleraient par un odorat plus développé que les peuples civilisés [28], on doit remarquer, par exemple, à quel point les stéréotypes de l’étranger se confondent avec la caricature de leur régime alimentaire : c’est au xixe siècle qu’apparaissent les désignations de « mangeurs de grenouilles » en Angleterre, pour désigner les Français, et de « rosbifs » en France, pour désigner les Anglais – l’apogée de l’altérité, dans ce domaine, étant atteint avec la figure du cannibale, celui dont le régime alimentaire est monstrueux : la littérature d’aventures du xixe siècle en a fait un très grand usage.
19Cette histoire passe aussi par l’étude d’un discours sur la sexualité beaucoup plus explicite que dans d’autres secteurs de l’activité européenne du xixe siècle. L’importance du phénomène de la prostitution coloniale, à la fin du siècle [29], confirme ce fantasme des noces exotiques qui fut alors si prégnant et qui s’exprima aussi bien par la diffusion de célèbres motifs (celui du harem notamment) que par des pratiques exotiques dont la réputation fit le succès de certains bordels parisiens [30]. Ces liens du voyage et de la sexualité semblent si étroits que l’on peut même se demander si c’est vraiment un hasard que la forme la plus canonique du coït occidental ait pris le nom d’une des figures du voyage les plus emblématiques du xixe siècle : le missionnaire.
Des sources de cette histoire
20Tout ce qui précède nous invite à redéfinir le voyage. Est voyage, en effet, le déplacement qui nous conduit dans un espace dont on ressent l’étrangeté – cette étrangeté qui apparaît à la lumière des différences les plus intimes. Le problème de la quantité d’espace parcouru se résout donc de lui-même, dans la mesure où celle-ci est très variable, car reposant sur des critères éminemment subjectifs. La notion d’étrangeté est ainsi au cœur de l’histoire culturelle du voyage : elle concerne les hommes comme les paysages ; elle concerne aussi les animaux, dont l’étude de ce point de vue est passionnante [31] ; de façon générale, elle s’articule à la notion fondamentale de dépaysement : est voyage ce qui dépayse, quelle que soit la distance du déplacement.
21Corollairement, constituent l’ensemble des sources sur l’histoire culturelle tous les discours, toutes les images qui manifestent ce dépaysement. Tel est, de fait, le premier objectif de ce dossier : ouvrir le plus possible l’éventail des sources sur lesquelles se fonder pour faire l’histoire culturelle du xixe siècle.
22La première d’entre elles est bien entendu constituée de l’ensemble des récits de voyage publiés à cette époque. Anne-Gaëlle Weber en compte 6113, qui furent publiés entre 1800 et 1899. Rapportés aux chiffres connus pour le xviiie siècle (3 540 récits), ceux-ci ont évidemment valeur d’indice, contribuant à prouver l’importance du voyage, comme texte autant que comme réalité, au sein de la société du xixe siècle. Ils permettent, à l’évidence, de circonscrire un gisement de sources fondamental pour tous ceux qui entendent analyser le voyage à cette époque. Sarga Moussa montre ainsi, à propos de l’exemple de la destination égyptienne, la richesse extrême de ce type de documents, tant par la variété de la situation sociale de leurs auteurs (écrivains, artistes, archéologues, historiens, journalistes, diplomates, naturalistes, ingénieurs, etc.) que par le caractère « intrinsèquement labile » des récits eux-mêmes, propre à susciter l’intérêt de chercheurs venus d’horizons variés. La plasticité du récit de voyage est ainsi au cœur de plusieurs articles : ceux d’Anne-Gaëlle Weber et de Philippe Antoine, par exemple, qui s’interrogent sur les rapports complexes que le genre entretient avec la science d’une part, la littérature de l’autre ; ou ceux d’Alain Guyot, d’Isabelle Surun et de Nathalie Richard qui mettent en évidence, dans des registres très différents, la complexité des sources sur lesquelles les récits de voyages eux-mêmes étaient fondés.
23Le nombre des récits de voyage publiés au xixe siècle, leur variété – quels que soient les termes dans lesquels on pose le problème de cette variété – ne suffisent toutefois pas à rendre compte de la présence du voyage au xixe siècle. Il faut leur ajouter bien d’autres sources, que ce dossier se propose d’inventorier brièvement, afin d’en souligner l’intérêt. Il y a ainsi la masse des récits de voyage non publiés, qui prennent bien souvent la forme de rapports ou de correspondances, actuellement conservés dans les centres d’archives. Le volume en est aussi vaste que la forme en est variée. Ils expriment tout autant les expériences vécues par les « grands voyageurs » encouragés et suivis par les institutions scientifiques étudiées par Isabelle Surun que celles de ces innombrables enquêteurs qui arpentèrent la France du xixe siècle et dont Pierre Karila-Cohen souligne à quel point ils se présentaient eux-mêmes comme des voyageurs, et leur courrier comme un journal de voyage.
24Il y a ensuite le vaste ensemble de textes qui fut désigné, de plus en plus explicitement au xixe siècle, comme de la littérature – et distinct, par là même, de ce genre du récit de voyage dont Philippe Antoine montre que, même s’il convient de se méfier d’une telle proclamation, il se donnait comme extérieur à la littérature. Le Mardi de Melville, l’À rebours de Huysmans, la Gravida de Jensen et jusqu’au Lucien Leuwen de Stendhal – pour s’en tenir à quelques exemples particulièrement représentatifs en ce que leurs auteurs ont affirmé les avoir conçus très précisément comme des œuvres littéraires –, ces exemples sont analysés ici comme des sources précieuses dans l’optique d’une analyse du phénomène du voyage au xixe siècle. On ne limite pas, du reste, l’apport de la littérature au seul genre romanesque : analysant la première scène du Bourgeois de Paris de Henri Monnier ou les deux premiers chants du Childe Harold de Byron, Stéphanie Sauget et Hervé Mazurel soulignent l’intérêt historique que peuvent revêtir les pièces de théâtre et la poésie, non seulement dans l’ordre de l’expression des représentations du voyage, mais aussi, c’est particulièrement le propos d’Hervé Mazurel, dans l’ordre de la prescription de pratiques originales du voyage.
25Aux œuvres de ce qui fut, au xixe siècle, de plus en plus explicitement considéré comme de la littérature, il convient d’ajouter ces textes qui furent alors de plus en plus précisément définis comme des guides, détachés de l’ancien modèle de l’itinéraire. Tangi Villerbu, à propos des Parcs naturels américains, Noémie Giard, à propos de Barcelone, analysent cette évolution, scandée par ces moments forts de renouvellement que furent les expositions universelles. Joanne Vajda centre également son analyse sur ces questions, en soulignant notamment tout l’intérêt d’une presse encore très peu travaillée par les historiens : celle qui, avec le Journal des étrangers, la Gazette des étrangers, Le Touriste ou L’Excursionniste Cook, s’adressait alors aux étrangers en voyage à Paris.
26Cet exemple singulier doit nous conduire à mettre l’accent sur un cinquième type de sources, évidemment essentiel : la presse. Yasmine Marcil rappelle ici la fonction essentielle de « l’extrait » de récit de voyage, avec toutes les ambiguïtés du mot « extrait », dans les journaux du xviiie siècle – et la survivance de ce modèle au début du xixe. Les liens de la presse et du voyage, par la suite, se renforcèrent. Fabien Locher montre l’importance accordée par Camille Flammarion, non seulement au fait de nommer « Voyages » ses déplacements en ballon, mais aussi d’en publier le récit sous forme d’articles de journal. La convocation de l’imaginaire du voyage et l’appel aux technologies narratives de la presse avait pour Flammarion la même fonction de distinction de l’identité du « journaliste scientifique », tant vis-à-vis du modèle scientifique dominant de l’observation météorologique représenté par les sédentaires sérieux de l’Observatoire impérial de Paris que par rapport aux aéronautes forains dont la brève ascension en ballon qu’ils proposaient à leurs clients ne saurait être définie comme un voyage et ne saurait justifier une narration. Quelques années plus tard, l’homologie de la presse et du voyage s’exprima plus nettement encore dans l’émergence du « grand reportage », comme pratique du voyage et comme style d’écriture, analysée ici par Marie-Ève Thérenty.
27À toutes ces sources textuelles, il faut ajouter la multiplication de ces images qui, au xixe siècle, ont considérablement modifié l’appréhension des espaces lointains. Les affiches des compagnies de chemin de fer vantant les beautés des parcs naturels américains se mêlent ainsi aux illustrations et aux cartes qui, de plus en plus souvent, accompagnèrent les récits de voyage, les articles de journaux et les guides – à quoi il faudrait ajouter, au moins, les cartes postales et les manuels scolaires. Tous ces supports interagirent : Jean-François Staszak le démontre à propos des rapports entre l’art de Gauguin et le voyage à Tahiti – tel tableau de Gauguin, lui-même inspiré d’affiches ou d’illustrations de l’époque transfigurées par le peintre, fournira ensuite la matière même des rêves dont les publicitaires croiront s’inspirer en proposant des cartes postales ou de nouvelles affiches conçues dans le genre de Gauguin pour inviter au voyage tahitien.
28Enfin, il convient d’ajouter à cette production déjà vaste tous les textes qui, n’étant pas écrits par des voyageurs – ou ne se donnant pas comme tels – n’en proposent pas moins un discours normatif sur le voyage. Il y a bien évidemment la masse des « Instructions aux voyageurs », genre qui remonte à l’époque moderne et que le xixe siècle développa, tant dans le domaine de l’exploration lointaine que dans celui de ces enquêtes sociales qui se donnaient alors la France comme objet d’investigation. Mais on ne saurait se limiter à ces Instructions : les débats architecturaux qui entourèrent la construction des gares parisiennes, étudiés par Stéphanie Sauget, les débats pédagogiques de l’École forestière de Nancy, analysés par Jean-Yves Puyo, étaient eux aussi porteurs de conceptions du voyage qui se manifestèrent, une fois la gare construite, une fois les consignes pédagogiques appliquées, par des pratiques du voyage génératrices de désirs et d’anxiétés bien réels. D’autres sources, que l’on jugerait a priori très excentriques du point de vue de l’étude du voyage, peuvent pourtant y ramener, et avec profit : c’est la démonstration que fait Nathalie Richard en opérant un détour fructueux par les récits de rêve.
De la culture du voyage au xixe siècle
29Cette énumération des sources inventoriées à l’occasion de ce dossier témoigne avec éloquence de la présence du voyage au xixe siècle. Cette présence, il est clair qu’elle fut l’agent d’une profonde transformation de la façon d’être au monde des Européens de ce temps ; et les innombrables sources dont nous disposons aujourd’hui, qui manifestent cette transformation, permettent aussi d’en suivre les étapes.
30Retracer le cheminement par lequel la multiplicité croissante des pratiques et des représentations du voyage a bouleversé en profondeur la manière d’être des Européens du xixe siècle : tel est bien l’horizon de ce dossier. On peut le résumer par le vœu de mettre en évidence ce qui fut alors la « culture du voyage » du xixe siècle, et son évolution. Encore convient-il de s’arrêter un instant sur cette notion ambiguë de « culture du voyage ».
31La notion est aujourd’hui dans l’air du temps. La Culture du voyage, c’est à la fois le titre du livre issu de la thèse de Gérard Fontaines et celui d’un recueil d’articles dirigé par Gilles Bertrand [32]. Elle renvoie à un souffle plus large encore, qui semble emporter, depuis une vingtaine d’années, l’histoire contemporaine vers les horizons d’une « histoire culturelle » aux contours certes imprécis, mais qui n’en est pas moins fondée sur une acception de plus en plus nettement anthropologique de la notion de culture [33]. Dans cette perspective, évoquée notamment par Alain Guyot et Isabelle Surun, on pourra définir la « culture du voyage au xixe siècle » comme l’ensemble des représentations que l’on pouvait alors se faire du voyage, mais aussi comme l’ensemble des pratiques qui manifestèrent – qui objectivèrent – ces représentations. La « culture » du voyage, finalement, c’est le sens que l’on pouvait donner, au xixe siècle, aux pratiques et aux discours que l’on désignait alors sous le nom de « voyage ». Cette définition, notons-le, encourage les historiens à travailler avec ceux des géographes qui, comme l’écrit Jean-François Staszak à propos de ses recherches sur le xixe siècle, inscrivent leur démarche « dans cette géographie culturelle et cette histoire des représentations qui s’emploient à déconstruire les discours et à analyser les pratiques pour tenter de comprendre comment les gens voient, vivent et finalement produisent le monde dans lequel ils vivent » [34].
32Reste que cette définition de la culture du voyage pose problème, dans la mesure où l’approche anthropologique qu’elle suppose résulte elle-même d’un processus historique dans lequel le voyage, et plus exactement le voyage au xixe siècle, joue un rôle central. L’historien et anthropologue américain Nicholas Dirks a ainsi souligné que la démarche anthropologique avait été conceptualisée précisément en relation avec le voyage et que, pour le dire comme lui, « la majorité de ce que nous reconnaissons comme étant de la culture est issue de la rencontre coloniale, [y compris] le concept [de culture] lui-même » [35]. Si l’on veut bien mettre de côté le fait colonial, dont le lien avec la notion de « rencontre » est bien moins clair que ne le suppose ici Nicholas Dirks, on en retiendra quand même que l’essor du voyage au xixe siècle – en tant qu’expérience du déplacement mais aussi en tant que récit de cette expérience – se trouve au fondement de cette notion de culture par laquelle nous essayons aujourd’hui de ressaisir ce que fut le voyage au xixe siècle. Est-ce un problème ? Doit-on en conclure au risque d’un raisonnement tautologique, par lequel on expliquerait l’évolution du voyage au xixe siècle par des catégories elles-mêmes issues de cette évolution, ce qui nous empêcherait d’en saisir toutes les dimensions ? Sans doute pas, mais il convient d’être conscient de cette ambiguïté constitutive de l’expression « culture du voyage ».
33La valeur heuristique de la notion, en tout cas, paraît forte. Parler de « culture du voyage », dans le sens anthropologique que nous avons dit, implique en effet trois protocoles d’enquête susceptibles de produire des résultats neufs.
34Le premier est inhérent au pacte anthropologique lui-même, lequel repose sur l’éloignement, la mise à distance. La démarche intellectuelle se donne d’autant plus comme une démarche anthropologique qu’elle parvient à créer cette distance – qui, rappelons-le, dans les premiers temps de l’anthropologie, était procurée par le voyage lui-même. Or, cette distance, nous commençons à la créer dès lors que nous envisageons d’étudier le voyage indépendamment de la question des destinations. Une telle démarche demeure toutefois minoritaire parmi les chercheurs, et ce pour des raisons aisément compréhensibles. La restriction du champ de la recherche à un espace précis, en effet, donne une chance, de plus en plus rare, de parvenir à la maîtrise totale de la bibliographie produite sur la question, voire à la maîtrise de la totalité des récits de voyage dans cet espace. De plus, la connaissance précise que le chercheur acquiert alors de l’espace en question lui permet de distinguer, bien mieux que ne le ferait un non-spécialiste, à l’intérieur des récits de voyage, les lieux communs des réflexions originales, les inventions des voyageurs de la réalité de la région qu’ils ont visitée. Mais ces avantages s’accompagnent d’un inconvénient majeur : la singularité de la destination, en effet, sous-tend trop souvent l’étude du voyage, et en conditionne les résultats, en lui conférant des caractéristiques trop précises, qui sont celles-là même de l’espace visité. Il y a ainsi un modèle du voyage en France, un modèle du voyage en Orient, un modèle du voyage en Suisse, etc., dont l’étude est évidemment passionnante [36], mais qui, peut-être parce qu’elle est passionnante, justement, empêche le plus souvent de penser le modèle du voyage lui-même – sauf à confronter entre eux les travaux portant sur ces différents espaces ; confrontation dont il faut reconnaître qu’elle est rarement mise en œuvre [37]. Pourtant, ce déplacement du regard – de l’espace parcouru sur le voyage lui-même – est en lui-même fécond. Yasmine Marcil souligne que Millin, dans le Magasin encyclopédique, faisait précéder chacun des « extraits » de voyage qu’il publiait d’un bilan des connaissances sur l’espace visité par le voyageur, seul à même d’expliquer l’intérêt du voyage de celui-ci. Ce raisonnement était un réflexe majeur du xixe siècle, qu’on rapportât la connaissance issue du voyage à un absolu scientifique, comme Millin, ou à un relatif individuel (le savoir acquis par un individu lors de son voyage). Si nous refusons d’opérer ainsi, si nous refusons d’aborder la question du point de vue qui était dominant au xixe siècle, nous multiplions donc nos chances de mettre à distance le voyage, c’est-à-dire la culture du voyage, comme objet d’étude ; nous multiplions nos chances de produire des résultats neufs en nous proposant, rien que par la mise à distance du voyage, des questionnements neufs [38].
35Le deuxième protocole d’enquête résultant de la définition préalable d’une « culture du voyage au xixe siècle » réside dans la reconnaissance du fait qu’il existe non seulement une destination au voyage, mais également un sens. Toute société enveloppe les actions de ses membres de discours et de gestes ayant pour fonction de leur donner du sens. Appliqué au phénomène du voyage, ce postulat anthropologique nous conduit à rechercher d’abord, dans la masse gigantesque des sources évoquées plus haut, l’ensemble des pratiques et des représentations, indissolublement mêlées, qui délivraient alors le sens du voyage, qui explicitaient ce « miracle du chemin » dont parlait Georg Simmel. C’est ici, sans doute, que l’apport des spécialistes de la littérature est décisif. Travaillant sur les « Voyages » textuels, ils ont en effet depuis longtemps cherché à repérer les continuités et les ruptures dans l’histoire des poétiques par lesquelles les voyageurs, ou ceux qui se donnent comme tels, ont cherché à délivrer le sens de leur voyage. « Ceci n’est pas un livre », écrivait Lamartine dans l’« Avertissement » du Voyage en Orient ; et Philippe Antoine montre non seulement à quel point ce programme lamartinien était celui de la plupart des récits de voyages des écrivains du xixe siècle, mais surtout de quelle façon ce programme impliquait le recours à toute une gamme de procédés littéraires sophistiqués qui rendent d’autant plus délicat le travail de l’historien que leur ambition principale est de se faire oublier.
36Le discours transparent de l’écrivain en voyage, la volonté affichée d’un Gautier de n’être qu’un « daguerréotype littéraire » ne signifient pas l’abandon de tout code esthétique, mais au contraire la multiplication des opérations littéraires propres à susciter l’illusion de la réalité – cette illusion dont les historiens savent bien qu’elle constitue le principal et le plus pervers des obstacles à la connaissance du passé [39], sans posséder toujours les outils critiques qui leur permettraient de la repérer. La situation sociale de l’auteur n’aide guère à élucider ce problème : les récits de voyage à prétentions scientifiques, Anne-Gaëlle Weber le souligne, postulent systématiquement le style désastreux de leurs auteurs, garant, en quelque sorte, de leur science même. Ainsi tout un enchevêtrement de codes complique-t-il l’accès aux sentiments réellement ressentis par le voyageur – tout en constituant, en eux-mêmes, des systèmes de représentations cohérents par lesquels les auteurs de ces textes ont, consciemment ou pas, donné sens à leur voyage.
37Et tout cela se complique évidemment de ce que ces codes ont évolué avec le temps. Si la question de la vérité des récits de voyage, par exemple, demeure centrale, tout au long du siècle, tant du point de vue des objectifs du voyage que des modalités de sa réception ; si l’on ne peut douter, en effet, que le soupçon de mensonge, d’erreur ou d’exagération est une donnée fondamentale de l’histoire de la réception des récits de voyage, force est de reconnaître que les formes prises par ce soupçon ont évolué au cours du siècle – et qu’elles ont fait évoluer, symétriquement, les formes de la narration. L’exemple de la presse est ici éloquent. Alors qu’il était encore, au début du xixe siècle, dans la logique de la presse des Lumières, garant de la « crédibilité » du discours du voyageur, ainsi que le rappelle Yasmine Marcil, le journal joua, au fur et à mesure que le siècle avançait, un rôle de plus en plus ambigu dans la restitution de l’expérience du voyage – soit qu’avec l’avènement de la grande presse le récit de voyage y occupa désormais une place explicitement décalée par rapport à la science officielle (songeons à Camille Flammarion étudié par Fabien Locher), soit qu’avec l’avènement du reportage l’exigence de vérité du récit s’accompagna d’une montée en puissance de l’écriture à la première personne, la subjectivité du récit devenant paradoxalement garante de la réalité des faits rapportés, comme que le montre Marie-Ève Thérenty. Ainsi le rapport du voyage à la source qui aujourd’hui nous en rend compte – ici, le journal – s’est-il trouvé considérablement modifié au cours du siècle, pour des raisons qui tiennent autant à la mutation des formes de l’écriture qu’à celle des figures du voyage elles-mêmes. Que cette question centrale ait ici retenu l’attention d’une historienne, d’une littéraire et d’un historien des sciences témoigne bien de la nécessité de penser indissolublement la pratique passée et le discours qui en témoigne aujourd’hui – et donc de réfléchir aux codes (historiques, littéraires, scientifiques, mais on pourrait ajouter religieux) qui sont les inévitables prismes au travers desquels nous percevons aujourd’hui le sens que l’on pouvait donner, au xixe siècle, au voyage.
38Le troisième et dernier protocole d’enquête, fondé lui aussi sur la démarche anthropologique, relève de cette volonté d’« immersion » dont parlait naguère Clifford Geertz – de l’impérieuse nécessité de saisir une société donnée à partir de ses propres catégories d’analyse, en utilisant sa propre grille de lecture du monde [40]. Cela ne signifie certainement pas qu’on doive exclure du raisonnement des outils conceptuels utiles au motif qu’ils n’auraient pas été pensés au xixe siècle. Bien au contraire, la démonstration qu’Isabelle Surun fait de la valeur heuristique de la notion de « terrain » justifie que les historiens – et les géographes qui, tel Jean-Yves Puyo, travaillent sur le xixe siècle – en fassent usage, alors même qu’elle est d’invention récente. De même, la proposition présente d’un usage raisonné de la notion de « culture du voyage » ne doit pas être récusée au seul motif que le xixe siècle ne l’utilisait pas. Ce dont il s’agit ici est bien plutôt d’appliquer à l’étude du voyage au xixe siècle le même type de retournement méthodologique que celui qui fut au cœur du « tournant critique » de l’historiographie des années 1980, évoqué par Hervé Mazurel et que Roger Chartier avait défini, dans le domaine qui nous concerne, comme le passage d’une histoire sociale de la culture à une histoire culturelle du social [41]. La valeur heuristique de la notion de « culture du voyage » réside précisément en cela qu’elle renverse les termes d’un problème que l’on posait autrefois en faisant du voyage au xixe siècle l’élément d’une culture identifiée comme la somme des formes de loisirs propres à une classe sociale : le voyage participait ainsi des pratiques culturelles de l’aristocratie au début du siècle, de la bourgeoisie à la fin du siècle et s’inscrivait finalement en bonne place parmi les signes manifestant l’avènement contemporain des loisirs. À l’inverse de cette proposition, prendre pour objet la « culture du voyage au xixe siècle » permet d’éviter le détour par « les situations d’état ou de fortune », comme l’écrivait Chartier – par les catégories socio-professionnelles, en gros –, afin de cerner des évolutions renvoyant à autre chose que celles qui affectent les classes sociales elles-mêmes et qui, bien souvent, se résument à la mise en évidence de l’ascension de la bourgeoisie aux dépens de l’aristocratie et aux manifestations des prémisses d’une démocratisation encore bien incertaine à la veille de la Grande Guerre. La question des motifs objectifs des voyageurs – motifs économiques, militaires, religieux, familiaux, scientifiques, diplomatiques, etc. – cesse également d’être un passage obligé de l’analyse ou, plus exactement, si elle en demeure un aspect important, ce n’est désormais plus en fonction de la catégorie sociale à laquelle appartient le voyageur, mais de la façon dont lui-même se désigne (ou dont il est désigné), de la façon dont il désigne son propre voyage (ou dont celui-ci est désigné), en bref de son identité.
39À l’issue de ce retournement de méthode, l’objectif final de l’étude de la culture du voyage devient, en effet, la saisie des nouvelles identités sociales qui apparaissent à la lumière des émergences de nouvelles représentations ou de nouvelles pratiques du voyage – et de leurs appropriations. Fabien Locher et Marie-Ève Thérenty montrent ainsi que les pratiques et les représentations du voyage (comme texte et comme expérience) mises en œuvre par un Camille Flammarion ou par les journalistes de la fin du xixe siècle furent centrales dans l’émergence d’une nouvelle identité sociale, celle du « journaliste scientifique » et celle du « grand reporter ». Les débats qui entourèrent le caractère scientifique des observations rapportées par les voyageurs en Afrique, étudiés par Isabelle Surun, expriment également la genèse de la figure moderne de l’explorateur et, avec elle, une conception neuve de l’identité scientifique. La mise en scène du récit de voyage qui, pour un Nerval cité par Philippe Antoine, devait exprimer une « façon particulière de voir et de sentir », constitue aussi un jalon essentiel dans l’avènement de l’identité sociale de l’écrivain-voyageur. L’attention que les voyageurs français aux États-Unis portaient aux signes laissés dans le paysage par une altérité définie comme altérité nationale, soulignée par Tangi Villerbu, permet de dégager, dans une figure trop souvent résumée à une caricature du voyageur, celle du touriste, les éléments patriotiques qui, aussi, l’ont fondée. On pourrait tirer d’autres exemples du dossier réuni ici, qui tous illustreraient ce retournement méthodologique que Sarga Moussa identifie parfaitement en se refusant à établir une typologie socio-professionnelle des voyageurs en Égypte, qui aurait mis l’accent sur les motivations et les objectifs spécifiques de chaque type de voyageurs – au profit d’une analyse s’attachant au récit du voyage et en montrant que celui-ci est un lieu privilégié où s’entrecroisent plusieurs discours chez un même auteur, témoignant de la multiplicité des identités qui structurent le voyageur.
40Poursuivre dans la voie de ce retournement des problématiques impliquera, à l’avenir, de s’interroger systématiquement sur l’histoire de ces identités multiples – et l’on peut rêver, à ce propos, d’une vaste enquête qui prendrait pour objet les figures du voyageur inventées ou renouvelées par le xixe siècle : le couple voyageur/touriste, bien sûr, mais aussi le pèlerin, l’explorateur, le missionnaire, le reporter et l’enquêteur – ou encore le promeneur, le flâneur, le globe-trotter, l’excursionniste, le « volontaire », l’écrivain-voyageur – et jusqu’au rêveur, dont Nathalie Richard montre qu’il fut une des grandes figures du voyage du xixe siècle. Ainsi pourrait-on espérer une ressaisie globale des identités sociales qui cristallisent le phénomène du voyage, qui en délivrent le sens selon des chronologies à découvrir – à condition toutefois d’accompagner ce travail d’une enquête parallèle concernant les figures de l’autre à l’œuvre dans le discours sur le voyage : non seulement celles qui furent catégorisées à partir d’un espace précis (pensons à l’Hottentot [42]), mais aussi toutes les désignations par lesquelles on enserrait les représentations de l’autre en voyage – depuis l’aubergiste jusqu’au cannibale, pour brasser large. De ce point de vue, l’optique retenue par Joanne Vajda, c’est-à-dire non pas la saisie de l’autre par le voyageur, mais la saisie de l’autre voyageur à partir du regard de ceux qui l’accueillent, est sans doute particulièrement féconde.
41À ce travail sur les figures de soi et de l’autre il faudra adjoindre un travail complémentaire sur ce second aspect de l’histoire culturelle du voyage qu’est l’étude des représentations de l’espace et du temps, représentations inévitablement mêlées – ainsi que le montre encore Noémie Giard à propos de cet espace espagnol considéré par les voyageurs français, à la fin du xixe siècle, comme le passé de la France. Ce travail devra laisser de côté, pour partie, la question des lieux précis du voyage, et bien plutôt s’attacher aux lieux communs du discours sur le voyage. Pour partie seulement, car les deux se rejoignent souvent : Anne-Gaëlle Weber signale avec raison que, jusque dans les récits les plus scientifiques, certaines régions de la planète appellent la présence de ces lieux communs, de ces faits typiques qui, paradoxalement, alors même qu’ils relèvent d’abord d’une tradition discursive, sont garants du sérieux du texte. Ainsi des chercheurs venus de différentes disciplines pourront-ils se retrouver encore, autour cette fois de l’étude d’un avatar original de ce que les géographes appellent « l’effet de lieu » – et qu’on nommera pour finir l’effet de lieu commun, formule bizarre certes, mais qui se trouve peut-être bien au cœur de cette histoire culturelle du voyage au xixe siècle que nous avons tenté ici de définir. ?
Notes
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Ce dossier est issu de deux journées d’études organisées à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne par le Centre de recherches en Histoire du xixe siècle, les 6 novembre 2004 et 5 novembre 2005. Elles avaient réuni, autour de la question des approches culturelles du voyage au xixe siècle, des historiens, des géographes et des littéraires.
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[1]
Katerina Stenou, Images de l’Autre. La Différence : du mythe au préjugé, Paris, Le Seuil/Unesco, 1998, pp. 121-122.
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[2]
Par exemple, Annick Foucrier, Le Rêve californien. Migrants français sur la côte Pacifique (xviiie-xxe siècles), Paris, Belin, 1999. Parmi les tentatives peu convaincantes pour mêler les problématiques de l’histoire du voyage et des migrations : Par monts et par vaux. Migrations et voyage, Festival d’Histoire de Montbrison, 23 sept.-1er oct. 2000, Ville de Montbrison, 2001.
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[3]
Voir, par exemple, le livre à paraître de Sylvie Aprile sur les proscrits français sous le Second Empire.
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[4]
Par exemple, François Caron, Histoire des chemins de fer en France, 2 t., Paris, Fayard, 1997 et 2005.
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[5]
Georg Simmel, La Tragédie de la culture et autres essais, Paris, Rivages, 1988, p. 160.
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[6]
Voir, sur ce point, les travaux de Marc Boyer (L’Invention du tourisme, Paris, Gallimard, 1996 ; Histoire de l’invention du tourisme, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2000 ; L’Invention de la Côte d’Azur : l’hiver dans le Midi, La Tour d’Aigues, Édtions de l’Aube, 2001) et la thèse de Gérard Fontaines (éditée sous le titre La Culture du voyage à Lyon de 1820 à 1930, Lyon, PUL, 2003).
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[7]
Marc Martin, Les grands Reporters. Naissance du journalisme moderne, Paris, Audibert, 2005.
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[8]
Sylvain Venayre, « L’Avènement du voyage de noces (xixe-xxe siècles) », in Sabine Melchior-Bonnet (dir.), Histoire du mariage, Paris, Robert Laffont, à paraître.
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[9]
Sur les explorateurs lire deux thèses récentes : Hélène Blais, Voyages au grand Océan. Géographies du Pacifique et colonisation. 1815-1845, Paris, CTHS, 2005 et Isabelle Surun, Géographies de l’exploration. La carte, le terrain et le texte (Afrique occidentale, 1780-1880), Paris, EHESS, 2003.
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[10]
Par exemple, Bernard Salvaing, Les Missionnaires à la rencontre de l’Afrique au xixe siècle, Paris, L’Harmattan, 1995.
-
[11]
Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, Paris, EHESS, 2002.
-
[12]
Sur cette question, voir la thèse de Pierre Karila-Cohen, L’État des esprits. L’Administration et l’observation de l’opinion départementale en France sous la monarchie constitutionnelle (1814-1848), Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2003.
-
[13]
Voir Jean Copans et Jean Jamin, Aux origines de l’anthropologie française, Paris, Le Sycomore, 1978.
-
[14]
Dominique Kalifa, « Archéologie de l’“apachisme”. Barbares et peaux-rouges au xixe siècle », Le Temps de l’Histoire, n° 4, 2002, pp. 19-37, repris in Crime et culture au xixe siècle, Paris, Perrin, 2005, pp. 44-66.
-
[15]
Alain Corbin, « Du loisir cultivé à la classe de loisir », in L’Avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Aubier, 1995 ; Christophe Studeny, L’Invention de la vitesse, Paris, Gallimard, 1995 ; Marc Desportes, Paysages en mouvement, Paris, Gallimard, 2005 et la thèse de Stéphanie Sauget, À la recherche des pas perdus. Dans la matrice des gares parisiennes, 1837-1914, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2005.
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[16]
Sylvain Venayre, La Gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne, 1850-1940, Paris, Aubier, 2002 et Jean-François Wagniart, Le Vagabond à la fin du xixe siècle, Paris, Belin, 1999.
-
[17]
À l’image de la thèse en cours d’Hervé Mazurel, Désirs de guerre et rêves d’Orient. Lord Byron et les Philhellènes engagés dans la guerre d’indépendance grecque (1821-1830).
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[18]
Histoire très bien faite par Daniel Nordman et Marie-Vic Ozouf-Marignier, par exemple.
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[19]
Philippe Roger, L’Ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Le Seuil, 2002.
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[20]
Par exemple, Jeremy Black, Regards sur le monde. Une histoire des cartes, Paris, Octopus/Hachette, 2004.
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[21]
Isabelle Laboulais-Lesage (dir.), Combler les blancs de la carte. Modalités et enjeux de la construction des savoirs géographiques (xviie-xxe siècle), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2004.
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[22]
Voir François Walter, Les Figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe, xvie-xxe siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004. Quelques grandes exceptions : Serge Briffaud, Naissance d’un paysage : la montagne pyrénéenne à la croisée des regards, xvie-xixe siècles, Toulouse, CIMA-CNRS, 1994 et Philippe Joutard, L’Invention du mont Blanc, Paris, Gallimard, 1986.
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[23]
Sur tout cela, voir le résumé d’Alain Corbin, L’Homme dans le paysage, Paris, Textuel, 2001, ainsi que son livre Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, 1750-1840, Paris, Aubier, 1988 et les travaux de deux de ses étudiants : François Guillet, Naissance de la Normandie : genèse et épanouissement d’une image régionale en France, 1750-1850, Caen, Annales de Normandie, 2000, et Karine Salomé, Les Îles bretonnes : une image en construction, 1750-1914, Rennes, PUR, 2003.
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[24]
Les travaux de Paul Gerbod, pionnier dans le domaine de l’histoire culturelle du voyage, portaient précisément sur cette question. Cf. Voyages au pays des mangeurs de grenouilles. La France vue par les Britanniques du xviiie siècle à nos jours, Paris, Albin Michel, 1991, et Les Voyageurs français à la découverte des îles britanniques du xviiie siècle à nos jours, Paris, L’Harmattan, 1995. Du même : Voyager en Europe, du Moyen Âge au IIIe millénaire, Paris, L’Harmattan, 2002.
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[25]
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et alii, Zoos humains : de la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002, et Michael A. Osborne, Nature, the exotic and the science of French Colonialism, Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press, 1994.
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[26]
Sur ces questions déjà posées par Michelle Perrot dans l’Histoire des femmes (t. 4, Paris, Plon, 1991, pp. 479-486), voir notamment Bénédicte Monicat, Itinéraires de l’écriture au féminin : voyageuses du xixe siècle, Amsterdam, Rodopi, 1996.
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[27]
Voir ainsi, à propos du xxe siècle, le récent colloque du CHEVS de Sciences Po (13-14 janv. 2005) : Intellectuels, artistes et militants. Le Voyage comme expérience de l’étranger (à paraître).
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[28]
Nélia Dias, La Mesure des sens. Les anthropologues et le corps humain au xixe siècle, Paris, Aubier, 2004.
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[29]
Christelle Taraud, La Prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc, 1830-1962, Paris, Payot, 2003.
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[30]
Alain Corbin, « L’imaginaire érotique colonial », in Histoire du corps, t. 2, Paris, Le Seuil, 2005, pp. 193-198.
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[31]
Éric Baratay, Et l’homme créa l’animal. Histoire d’une condition, Paris, Odile Jacob, 2003.
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[32]
Voir Gérard Fontaines, La Culture du voyage à Lyon…, op. cit. et Gilles Bertrand (dir.), La Culture du voyage : pratiques et discours de la Renaissance à l’aube du xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2004. Gérard Fontaines est d’ailleurs intervenu à la première des journées d’étude dont ce dossier est issu.
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[33]
Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire culturelle du contemporain, Paris, Nouveau Monde, 2005.
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[34]
Jean-François Staszak, Géographies de Gauguin, Paris, Bréal, 2003, p. 14. Parmi les ouvrages de ce type, citons Claire Hancock, Paris et Londres au xixe siècle. Représentations dans les guides et récits de voyage, Paris, CNRS Éditions, 2003. Cette définition de la « culture du voyage » justifiait bien évidemment la présence d’Alain Corbin et de Paul Claval pour animer les débats de la première des journées d’étude dont ce dossier est issu.
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[35]
Nicholas Dirks (dir.), Colonialism and Culture, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1992, p. 3 (cité par Ed Berenson, « L’histoire culturelle du colonialisme français vue d’Amérique », in Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire culturelle du contemporain, op. cit., p. 390).
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[36]
Ce dont témoigne l’excellente collection des « Voyages » des éditions Robert Laffont (Bouquins), tout entière fondée sur cette approche du voyage.
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[37]
On doit souligner ici l’exception que constituent les séminaires de Marie-Noëlle Bourguet, du point de vue des voyages scientifiques, et de François Moureau, du point de vue des voyages littéraires. Tous deux animèrent d’ailleurs les débats de la seconde journée d’étude dont ce dossier est issu.
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[38]
Démarche déjà préconisée, à propos de l’étude de « la guerre au xxe siècle » par Stéphane Audoin-Rouzeau. Voir Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire culturelle du contemporain, op. cit., pp. 409-420.
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[39]
Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Paris, Le Seuil, 1989.
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[40]
Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973, chap. I, trad. française : « La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture », Enquête. Anthropologie, histoire, sociologie, n° 6, 1998, pp. 73-105.
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[41]
Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, nov.-déc. 1989, n° 6, pp. 1505-1520, repris in Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1988, pp. 67-86.
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[42]
François-Xavier Fauvelle-Aymar, L’Invention du Hottentot. Histoire du regard occidental sur les Khoisan, xve-xixe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.