Notes
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[*]
Ce texte reprend, en le développant, l’exposé fait à la première rencontre organisée en mars 1986 à l’EHESS. J’en ai donné une version différente, « La querelle du réalisme. Deux débats sur la peinture au moment du Front populaire », dans À la frontière des attitudes. Entre le politique et le religieux : Textes en hommage à Guy Michelat. Contributions réunies par Jean-Marie Donégani, Sophie Duchesne et Florence Haegel, Paris, L’Harmattan, 2002.
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[1]
Les Réalismes 1919-1939, Paris, Centre Georges Pompidou, 1980.
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[2]
Jean Lurçat, Marcel Gromaire, Édouard Goerg, Louis Aragon, Edmond Küss, Fernand Léger, Le Corbusier, Jean Labasque, Jean Cassou, La Querelle du réalisme. Deux débats organisés par l’Association des peintres et sculpteurs de la Maison de la culture, Éditions sociales internationales, Coll. « Commune », 1936. Rééd. La Querelle du réalisme. Léger, Le Corbusier, Lurçat, Aragon, Lhote, Goerg, Cassou, Delaunay, Ernst… Présentation de Serge Fauchereau, Paris, Diagonales. Éditions Cercle d’art, 1987. Les noms de Küss et de Labasque, qui intervinrent au second débat de mai 1936 et qui figuraient dans l’intitulé de l’édition originelle, ont disparu de l’intitulé de la réédition de 1987 ; ceux, plus notoires, d’André Lhote (qui a répondu à l’enquête de Commune de 1935 et qui est intervenu lors du premier débat de mai 1936), de Robert Delaunay, Max Ernst (pour leurs réponses à l’enquête sur la peinture de 1935, mais absents des débats) figurent dans le nouvel intitulé. Cette mise en exergue satisfait notre modernité, mais n’est pas tout à fait conforme à la place réelle de ces artistes dans le débat sur « la querelle du réalisme ».
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[3]
La Maison de la culture, née au printemps 1935, fédérait des associations favorables au Front populaire comme l’Union des Théâtres indépendants de France, la Fédération Musicale Populaire et l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires (AEAR), rattachée au Parti communiste et devenue après le congrès international des écrivains de juin 1935, Association française des écrivains pour la défense de la culture. En 1935, après le congrès des écrivains, l’AEAR devient l’Association française pour la défense de la culture, et la revue, pour bien marquer la rupture avec la période des débuts s’intitulera en 1936, « revue littéraire française pour la défense de la culture ».
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[4]
Pascal Ory, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire. 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 238-246.
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[5]
Marie-Claude Genêt-Delacroix a lancé les bases d’une étude sociologique des artistes engagés pendant l’entre deux guerres à partir de l’échantillon de cent trente cinq personnes figurant dans la quatrième partie du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron et Claude Pennetier. « Les artistes parmi les intellectuels engagés », in Nicole Racine et Michel Trebitsch (dir.), Les Cahiers de l’IHTP, n° 26 : Intellectuels engagés d’une guerre à l’autre, mars 1994, pp. 27-37.
Pour une réflexion sur la signification de l’engagement des artistes, sur la notion d’œuvres d’art engagées, je renvoie à Laurence Bertrand Dorléac qui fait une place aux débats de 1936 sur le réalisme dans « L’artiste », in Jean-François Sirinelli et Michel Leymarie, L’Histoire des intellectuels aujourd’hui, à paraître, PUF, 2003. -
[6]
Pascal Ory, La Belle illusion, op. cit., p. 234sq.
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[7]
Paul Signac (1863-1935) adhéra dès sa fondation à l’AEAR. Il s’engagea activement en 1934 et appela les artistes à rejoindre le mouvement antifasciste (voir son message « Aux artistes » au meeting organisé le 30 mai 1934 à la Mutualité par le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Commune, juill.-août 1934).
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[8]
Pascal Ory, La Belle illusion, op. cit.
-
[9]
Boris Taslitzky, né en 1911, n’était pas membre du parti communiste en 1933-1934 mais se disait révolutionnaire. Il mena des actions pour l’instauration et le maintien de la caisse de chômage des artistes et artisans d’art, et participa à des actions conjointement avec l’Union des chômeurs de la région parisienne animée par les communistes. Il adhéra à l’AEAR en 1934 et au parti communiste en 1935. En 1938, il devint secrétaire général de la Maison de la culture (voir son témoignage paru dans La Nouvelle critique, n° 70, déc. 1955, pp. 11-16).
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[10]
Laurence Bertrand Dorléac, L’Art de la défaite, Paris, Le Seuil, 1993, p. 264.
-
[11]
Eugène Dabit, « Les Expositions », Europe, n° 151, 15 juill. 1935, p. 470.
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[12]
Louis Aragon, « Expositions. La peinture au tournant », Commune, n° 22, juin 1935, pp. 1181-1189.
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[13]
Réponses à l’enquête publiée dans Commune (mai et juin 1935) : Amédée Ozenfant, Christian Bérard, André Derain, Jean-Louis Garcin, Jean Carlu, Fernand Léger, Marie Laurencin, Jacques-Émile Blanche, André Marchand, Gustave Courbet, Paul Signac, Max Ernst, André Lhote, Honoré Daumier, Frans Masereel, Jean-François Laglenne, Valentine Hugo, Jean Lurçat, Yves Tanguy, Horace Vernet, Raoul Dufy, Robert Delaunay, Georges-André Klein, Pierre Vérité, Édouard Goerg, René Mendès-France, Antonio Berni, Marcel Gromaire, Alberto Giacometti. André Derain qui a répondu à l’enquête de Commune, puis accepté de participer aux débats de la Maison de la culture, a finalement refusé d’y participer. André Derain qui avait répondu à l’enquête de Commune, puis accepté de participer aux débats de la Maison de la culture, s’est finalement dédit. Aragon publie sa lettre de refus en tête du recueil La Querelle du réalisme, op. cit., p. 9.
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[14]
Commune, n° 21, mai 1935. Sur René Crevel, on renvoie à Michel Carassou, René Crevel, Paris, Fayard, 1989 et François Buot, Crevel, Paris, Grasset, 1991.
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[15]
François Buot, Crevel, op. cit., p. 359.
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[16]
André Lhote, La Querelle du réalisme, op. cit., second débat, p. 94.
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[17]
Ibid., pp. 34-35.
-
[18]
Amédée Ozenfant, ibid., p. 159 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 21, mai 1935).
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[19]
Le Corbusier, La Querelle du réalisme, op. cit., second débat, p. 80.
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[20]
Louis Aragon, « Le Réalisme à l’ordre du jour », Commune, n° 37, sept. 1936, p. 21.
-
[21]
« À la Maison de la Culture », L’Humanité, 18 mai 1936 (« Les Lettres et les arts »).
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[22]
Dans « Les Pompiers avec nous ! », Robert Brasillach avait écrit : « Les masses qui désirent “s’éduquer” sont dûment prévenues : il n’y a pas à Paris, à l’heure qu’il est, de cirque mieux constitué que la Maison de la Culture. C’est là que les pompiers sont lâchés en liberté, et qu’ils exposent au monde leur doctrine », cité par Georges Sadoul dans « Revue des revues », Commune, n° 36, août 1936, p. 1529.
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[23]
Dans le numéro de Commune de mai 1936, George Besson consacre sa chronique à la troisième exposition de la Maison de la culture qui reçut les encouragements ou l’adhésion d’artistes comme Francis Jourdain, Gromaire, Lhote, Goerg, Lurçat, Masereel, Léger, Lipchitz. Il déplore d’ailleurs que certains invités aient été choisis plus en fonction de leurs sympathies politiques que de leur art ; mais il salue Boris Taslitzky, Küss, Ginette Cachin-Signac, Amblard, Bazaine, Neillot, Vérité, Grüber et des « débutants tels que Chevallier, Krabsky, Mérangel, Édouard Pignon ». Sur l’exposition de la galerie Billiet, voir George Besson, « Expositions. La querelle du réalisme », Commune, n° 36, août 1936, pp. 1541-1543. Il donne les noms des artistes participants : Gromaire, Goerg, Lhote, Léger, Lurçat, Labasque ; à côté de ces artistes confirmés, il cite « leurs jeunes camarades encore inconnus, complices de tribune et de cimaise », le sculpteur Haly, les peintres Amblard, Jalm, Schoedelin, Pignon et loue les œuvres de Taslitzky (la grande décoration du Mur) peinte « pour commémorer dans l’allégresse les revanches nécessaires », Küss qui, grâce à ses œuvres du Temps présent, s’exprime en peintre et « non en militant bien intentionné, les foules écrasées sous la terreur des massacres aériens », enfin « la puissance dramatique de Gruber, la palette personnelle de Mérangel ».
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[24]
L’Humanité signale la présence de Jean Cassou, Édouard Goerg, Marcel Gromaire, Henri Lebasque, Le Corbusier, Fernand Léger, André Lhote, Jacques Lipchitz, André Lurçat et André Malraux, « Troisième Exposition (Maison de la culture) », Commune, n° 33, mai 1936, pp. 144-146.
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[25]
Je remercie Jean-Paul Morel de m’avoir signalé que le texte de l’intervention d’Élie Faure a été publié sans avoir été identifié, avec deux autres textes de conférences, sous le titre arbitraire de « Trois conférences pour des architectes », au chapitre des « Varia » dans ses Œuvres complètes. Tome trois. Œuvres diverses, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1964, pp. 852-856. Jean-Paul Morel déplore que Serge Fauchereau ne fasse pas allusion à ce troisième débat dans sa présentation de La Querelle du réalisme. On se reportera aussi au texte de Jean-Paul Morel dans le catalogue de l’exposition Francis Jourdain. Un parcours moderne 1876-1956, Paris, Somogy, 2001, pp. 118-128.
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[26]
George Besson, « La Querelle du réalisme », L’Humanité, 30 juin 1936. Je n’ai pas retrouvé trace de ces interventions. George Besson écrit dans Commune : « Je regrette surtout qu’un chapitre n’ait été consacré dans ce livre, à quelques-uns des douze artistes, tous très jeunes, qui, au cours de la troisième soirée, exprimèrent avec la verdeur de leurs vingt ans, leur conception de militants révolutionnaires et leur idéal de peintres. Leur ardeur à exiger l’intégration de la vie sociale dans l’art, à prendre pour guide le Delacroix de La Barricade plutôt que celui des Femmes d’Alger est d’autant plus émouvante que leur volonté ne s’exerce pas seulement en intentions. Ils ont du talent et nul ne doit l’ignorer, parmi leurs actuels adversaires, même si ce talent est fait, chez eux aussi, de leurs convictions » (Expositions. « La querelle du réalisme », Commune, n° 36, août 1936, pp. 1541-1543).
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[27]
Serge Fauchereau, « Les années 36 », La Querelle du réalisme, op. cit., p. 27.
-
[28]
Nicole Racine, « Aragon, militant du mouvement communiste international » in Jacques Girault et Bernard Lecherbonnier (dir.), Les Engagements d’Aragon, Paris, L’Harmattan, 1988.
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[29]
René Garmy, « Les Livres. Les Cloches de Bâle », L’Humanité, 31 déc. 1934. Le romancier y est tout en néanmoins critiqué pour sa vision insuffisamment claire de l’anarcho-syndicalisme.
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[30]
Piotr Youdine ; Andréï Fadeïev, « Le réalisme socialiste, méthode fondamentale de la littérature soviétique », Commune, n° 10, juin 1934.
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[31]
Maxime Gorki, « La littérature soviétique », « Discours de clôture » ; Constantin Radek, « Littérature bourgeoise et littérature prolétarienne » ; Nicolaï Boukharine, « Le réalisme socialiste », Commune, n° 13-14, sept.-oct. 1934.
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[32]
« Il y a une convention bourgeoise contre laquelle j’ai toujours lutté ; mais osons le dire ici il peut y avoir aussi une convention communiste. J’estime que toute littérature est en grand péril dès que l’écrivain se voit tenu d’obéir à un mot d’ordre » (André Gide, 23 octobre 1934, discours au compte rendu du congrès des écrivains soviétiques).
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[33]
Louis Aragon, Pour un réalisme socialiste, Paris, Denoël, 1935. Le recueil contient son discours au Congrès des écrivains, « Le retour à la réalité », l’exposé fait à la Maison de la Culture le 4 avril 1935, « D’Alfred de Vigny à Avdeenko : les écrivains dans les soviets », le « Message au congrès des John Reed Clubs » tenu à New York fin avril 1935 et enfin « John Heartfield et la beauté révolutionnaire ». Dans son discours au congrès international des écrivains, Aragon a proclamé : « Je réclame le retour à la “réalité”. Je le dis, qui donc s’y oppose, sinon ceux qui ont intérêt à la couvrir, à la dérober à notre vue. Nous n’avons rien à cacher, et c’est pourquoi nous accueillons comme une parole joyeuse le mot d’ordre de la littérature soviétique, le réalisme socialiste ».
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[34]
Paul Nizan, « Pour un réalisme socialiste par Aragon », L’Humanité, 12 août 1935 (Pour une nouvelle culture. Textes réunis et présentés par Susan Suleiman, Paris, Grasset, 1971, p. 177-178).
-
[35]
Paul Nizan, « L’Année des Vaincus par André Chamson », Monde, 15 févr. 1935 (Pour une nouvelle culture. Textes réunis et présentés par Susan Suleiman, op. cit., p. 92).
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[36]
Jean Lurçat (1892-1966) était, avant 1914, sympathisant des idées libertaires. Il se préoccupait d’art social et participa au mouvement des Universités populaires. Il participa à la fondation de la revue Les Feuilles de mai qui se réclamaient des idées de Jean-Richard Bloch dans L’Effort libre. Dans les années trente, il fut un des animateurs des « Amis de l’Union soviétique », donna de nombreux articles à Russie d’aujourd’hui. En 1937, il écrivit un « Avant-propos » à la Réponse à André Gide de Fernand Grenier, secrétaire général des Amis de l’Union soviétique (Nicole Racine, notice de Jean Lurçat, DBMOF, Paris, Éditions ouvrières, t. 35, 1989).
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[37]
Léon Moussinac, « Le réalisme socialiste », Europe, 15 mars 1936. Léon Moussinac (1890-1964), journaliste, romancier, historien du cinéma, est membre du parti communiste depuis 1924. Fondateur en 1928 du ciné-club, les « Amis de Spartacus », il fit connaître les films soviétiques interdits par la censure. Il s’intéressait au théâtre et a participé en 1932 à la création de la Fédération du théâtre ouvrier français (FTOF) qui adhéra à la Maison de la Culture en 1935. Il a joué un rôle actif dans la naissance de l’AEAR au début 1932 et remplacé Aragon à Moscou en 1933 auprès de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires. Il dirige l’hebdomadaire Regards. (Nicole Racine, notice de Léon Moussinac, DBMOF, Paris, Éditions ouvrières, t. 37, 1990).
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[38]
La Querelle du réalisme, op. cit., p. 16.
-
[39]
Jean Lurçat, débat du 16 mai 1936, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 18.
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[40]
Marcel Gromaire, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 27
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[41]
Ibid., p. 24
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[42]
Édouard Goerg, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 41.
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[43]
Ibid., p. 54.
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[44]
Ibid., p. 56. Louis Aragon publie sa lettre de refus en tête du recueil La Querelle du réalisme.
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[45]
Louis Aragon, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 67.
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[46]
Ibid., p. 68. Louis Aragon avait repris à son compte cette définition des écrivains dans sa conférence du 4 avril 1935 à la Maison de la Culture, expression disait-il qui a aussi « cette vertu de rendre son véritable prix à la technique de l’écriture » (Pour un réalisme socialiste, ibid., p. 13).
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[47]
Léon Moussinac, « Les peintres devant le “sujet” », La Querelle du réalisme, p. 141 (Commune, n° 21, mai 1935).
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[48]
Voir Fernand Léger, Fonctions de la peinture, Paris, Gonthier, 1955.
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[49]
Je renvoie à sa notice biographique du Maitron. Mise à jour de Jean-Paul Morel et Nicole Racine (CDRom, L’Atelier, 2e éd. à paraître).
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[50]
Boris Taslitzky donne les noms de Matisse, Picasso, Léger, Lurçat, Lipchitz, Goerg, Gromaire, Lhote, Pignon, Amblard, Taslitzky (La Nouvelle Critique, n° 70, déc. 1955).
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[51]
Jean Lurçat, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 15.
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[52]
Amédée Ozenfant, La Querelle du réalisme, p. 158 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 21, mai 1935).
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[53]
André Lhote, deuxième débat, ibid., p. 96
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[54]
Fernand Léger, « Le nouveau réalisme continue », second débat, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 74-75. Léger s’interroge de façon prémonitoire dans ce texte sur la concurrence apportée dans le domaine des représentations par le cinéma, la radio, la publicité, « avec ces énormes mécaniques modernes qui vous donnent de l’art vulgarisé à puissance 1000 ».
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[55]
Fernand Léger, « Le nouveau réalisme continue », ibid., p. 79.
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[56]
Fernand Léger, ibid., p. 76.
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[57]
Pascal Ory, La Belle illusion, op. cit., pp. 243-244.
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[58]
Pascal Ory, ibid., pp. 235-236.
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[59]
Fernand Léger, « Le nouveau réalisme continue », loc. cit., pp. 76-77.
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[60]
Le Corbusier, second débat, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 82.
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[61]
Le Corbusier, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 85.
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[62]
Ibid., p. 89.
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[63]
Louis Aragon, « Le réalisme à l’ordre du jour », Commune, n° 37, sept. 1936, p. 28.
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[64]
Idem, p. 29.
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[65]
André Lhote, Deuxième débat, op. cit., p. 100.
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[66]
René Crevel, « Discours aux peintres », (Commune, n° 22, juin 1935), p. 149.
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[67]
Max Ernst, id., pp. 177-178 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 21, mai 1935).
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[68]
Fernand Léger, « Couleur dans le monde », Europe, 15 mai 1938, pp. 111-112.
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[69]
Robert Delaunay, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 188 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 22, juin 1935).
-
[70]
Paul Signac, Réponse à l’enquête « Où va la peinture ? » (Commune, n° 21, mai 1935), id., p. 177.
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[71]
George Besson, « Paul Signac (Maison de la culture) », Commune, n° 32, avril 1936, pp. 1030-1031.
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[72]
Louis Aragon, « Réalisme socialiste, réalisme français », Europe, 15 mars 1938. Voir aussi dans Commune sa « Défense du roman français » (janvier 1936). Sur la question du réalisme de Louis Aragon, signalons Suzanne Ravis, « Le réalisme en débat », Europe, n° 683, mars 1986.
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[73]
Sauf Raoul Dufy qui a déclaré : « L’influence du social sur l’inspiration ? Zéro. Peindre est une fonction naturelle », id., p. 187, (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 22, juin 1935).
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[74]
« “Où va la peinture ?” dit Giacometti, et il répond par un dessin », id., p. 201 (Commune, n° 22, juin 1935).
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[75]
Élie Faure, « Équivalences 1895-1937 », in Œuvres complètes, t. 3 : Œuvres diverses, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1964, p. 803.
1L’argument du « réalisme » polarise une série de débats qui sont autant de moments de la rencontre entre les artistes plasticiens et le monde communiste à la fin des années 1930. Pour les premiers, le courant artistique qu’il désigne revêt une incontestable actualité. Les expériences de Diego Rivera au Mexique, de Fernand Léger en France, et, plus largement, l’abandon des formules les plus radicales de la contestation dadaïste ou expressionniste dans la peinture en Europe de l’Ouest en font une donnée essentielle des débats dans le domaine de la peinture. Ils sont à replacer dans le cadre plus large du retour au réalisme en peinture, qui s’effectua après les expérimentations esthétiques du début du xxe siècle, retour dont les manifestations internationales ont été réévaluées par les expositions du Centre Georges Pompidou [1]. Pour le monde communiste, par ailleurs, étant donné l’importance que le thème a pris depuis 1934 en URSS, le réalisme forme la pierre de touche d’une certaine orthodoxie, ou, au moins, du seuil minimal d’entendement à partir duquel les positions des sympathisants et des peintres engagés pouvaient s’évaluer. C’est pourquoi l’examen des débats français qui se sont déroulés dans la sphère d’influence communiste entre 1934 et 1936 apparaissent à la fois comme une première tentative d’orienter les artistes français dans le sens du réalisme socialiste et le moment d’une inflexion par les principaux protagonistes – Louis Aragon en tout premier lieu – vers une définition nationale du réalisme. Cet examen indique toutefois à quel point le contexte historique – en l’occurrence la période du Front populaire – a interdit ou au moins a limité la pénétration du réalisme socialiste en peinture, la plupart des plasticiens sollicités refusant de se rallier à la conception politisée de la création définie en URSS.
La Querelle du réalisme. Un débat dans l’esprit du Front populaire
2La Querelle du Réalisme [2], ouvrage publié par les soins d’Aragon dans le sillage de deux débats sur le réalisme en peinture, organisés par la Maison de la Culture [3], « les seuls grands débats publics de la société artistique pendant toute la décennie » comme l’a écrit Pascal Ory [4], suscite d’emblée une constatation : le débat sur l’art qui, dans l’immédiat avant Seconde Guerre mondiale, eut le plus de retentissement, a lieu dans le champ pictural, prenant la relève des débats sur la littérature, sur les rapports entre littérature et révolution si vivaces dans les années vingt et au début des années trente. Les débats nés en France dans la période qui conduit à l’avènement du Front populaire, coïncident avec la définition et la mise en œuvre d’une « politique culturelle » où compta le souci de réalisme, du retour au réalisme sur le plan plastique. La crise économique accroissant les difficultés des professions artistiques à trouver des débouchés peut expliquer également l’écho rencontré auprès des peintres, architectes, décorateurs, jusqu’alors peu mobilisés par les problèmes de leurs rapports avec la société. Si parmi les professions intellectuelles et artistiques, ce sont ces dernières qui ont été le moins étudiées sous l’angle de l’engagement [5], la période du Front populaire offre un bon chantier pour l’étude de leur mobilisation.
3La conjoncture de 1936 permet en effet le rassemblement d’artistes, partisans du progrès social, autour d’une notion de réalisme multiforme, comme l’attestent les débats publiés dans La Querelle du réalisme. Dans cette mobilisation des peintres, l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), un des vecteurs privilégiés de la politique culturelle du Parti communiste, a joué un rôle essentiel, sans toutefois parvenir à faire accepter par les artistes rassemblés une théorie unifiée de la création esthétique. L’intérêt des débats de 1936 vient justement de ce que s’y juxtaposent des conceptions variées du réalisme, la plupart récusant tout art militant, d’autres proposant un art plus explicitement politisé, mais dans un contexte d’union. Cet « œcuménisme », effet de la politique de rassemblement, donne aux débats de 1936 un caractère d’autant plus original qu’il se manifeste dans le domaine de la peinture.
La politique de rassemblement de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). L’enquête sur la peinture (mai-juin 1935)
4Dans les années vingt des tentatives ont été faites au sein de la CGT et de la SFIO en direction des artistes plasticiens pour encourager les rapports entre artistes plasticiens et favoriser un « art social ». Mais comme le souligne Pascal Ory, c’est le parti communiste qui, dans la décennie suivante à travers l’AEAR puis la Maison de la culture, polarise l’attention en s’ouvrant à ceux qui choisissent l’engagement antifasciste [6]. En janvier 1934, l’AEAR a organisé un Salon des « peintres révolutionnaires », à la Porte de Versailles où figurent Paul Signac [7], Fernand Léger, André Lhote, Jacques Lipchitz, Frans Masereel, enfin Jean Lurçat, le plus engagé auprès du parti communiste. Ce noyau se retrouve en 1935 dans l’Association des peintres, sculpteurs, dessinateurs, graveurs de la Maison de la culture dont les quatre présidents d’honneur « reflétaient un dosage savant entre les esthétiques », Othon Friesz, Marcel Gromaire, Albert Marquet et Henri Matisse [8]. Mais seul Gromaire participe activement aux travaux de l’association et siège au comité directeur de la région Ile-de-France des Maisons de la culture, où on retrouve Fernand Léger, André Lhote, Jacques Lipchitz, Frans Masereel, Jean Lurçat, ainsi que des peintres plus jeunes, plus politisés et plus actifs, Pignon, Gruber, Goerg, Taslitzky, Küss, Saint-Saens. Pascal Ory rappelle que la politique de l’Association des peintres, sculpteurs, dessinateurs, graveurs de la Maison de la culture est faite par un noyau d’artistes plus homogène idéologiquement (Jean Effel, Édouard Goerg, Francis Gruber, Albert Laforêt, Édouard Pignon se situent en effet tous à gauche ou à l’extrême gauche) et que le secrétariat est confié à deux artistes proches des communistes et connus pour leur œuvre militante, Edmond Küss et Boris Taslitzky [9]. On voit ainsi à l’œuvre deux logiques concomitantes, dont l’articulation peut varier, l’une vise au rassemblement d’artistes quelles que soient les esthétiques dont ils se réclament, l’autre vise au contrôle de l’association par une direction idéologiquement homogène. Laurence Bertrand Dorléac souligne bien l’éclectisme qui régnait au sein de ce rassemblement de « progressistes ouverts aux solutions de “l’art pour tous” » et dont « les différences esthétiques sensibles ne gênaient pas outre mesure une association prête au compromis dès lors qu’elle pouvait marquer des points en matière d’hégémonie culturelle » [10]. On le voit bien lorsqu’il s’agit d’organiser la première exposition d’arts plastiques en juin 1935 sous l’égide de la Maison de la culture, avec une centaine de peintres se réclamant d’esthétiques diverses, comme Eugène Dabit le remarqua dans sa chronique de la revue Europe [11]. Louis Aragon dans Commune [12], rappelait pour sa part les propos de Gromaire qui lui avait dit avoir retrouvé, lors du vernissage de l’exposition, l’atmosphère des Indépendants d’avant la guerre.
5Cette exposition se tient dans le sillage de l’enquête « Où va la peinture ? » lancée par l’AEAR auprès des peintres dont les opinions recueillies par Louis Aragon, René Crevel et Jean Cassou ont paru dans Commune en mai et en juin 1935. L’enquête a réuni vingt-neuf réponses qui sont publiées avec un texte de Courbet sur « L’Atelier », un texte d’Horace Vernet et une phrase de Daumier [13]. Crevel, qui a cessé d’appartenir au groupe surréaliste au début 1935, mais reste ami de Breton, collaborateur de Monde et de Commune, a été spécialement chargé par l’AEAR d’opérer un vaste rassemblement de peintres. Profondément engagé dans la lutte antifasciste, membre du Comité pour la libération de Thaelmann, le chef du parti communiste allemand, se dépensant pour l’aide aux exilés allemands, ami de Klaus Mann, il donna à Commune un article sur l’art dans l’Allemagne nazie, « L’art dans la Maison brune » [14]. Son « Discours aux peintres » du 9 mai 1935, prononcé à la Maison de la culture, rue de Navarin, où se tient une exposition de photomontages antinazis de l’artiste communiste berlinois John Heartfield, témoigne de son refus d’une orthodoxie en art (il fait l’éloge de la peinture surréaliste), de son engagement antifasciste aux côtés des communistes (on lui confia également la préparation d’une réunion organisée le 7 juin 1935 par la section photographique de l’AEAR sur le thème « La photographie qui accuse » [15]). Si particulière soit la figure d’un Crevel, cherchant à mettre en accord son engagement politique, ses aspirations de créateur et son refus de se soumettre à une orthodoxie esthétique, le rôle qui lui est attribué par l’AEAR s’inscrit bien dans une volonté politique de rassembler, au-delà des frontières étroites du parti communiste. Les débats sur le réalisme en peinture organisés par la Maison de la culture dans la foulée de la victoire électorale de 1936, en prolongement de l’enquête de Commune, « Ou va la peinture ? » vont le montrer.
Les débats de la « querelle du réalisme » (mai-juin 1936)
6Poursuivant sur la lancée du rassemblement du congrès des écrivains pour la défense de la culture de juin 1935 dont il a été une des chevilles ouvrières, Aragon organise les deux débats de mai 1936. Il montre son habileté dans le choix des orateurs, l’ordre dans lequel ils se voient attribuer la parole, joue à merveille le rôle de l’homme de culture, connaisseur en matière d’histoire de l’art et des tendances de l’avant-garde. Politiquement, il se montre fidèle à l’esprit de rassemblement, les orateurs ne se voyant pas exiger de brevet militant. La conjoncture politique et sociale de mai 1936 lui permet de proclamer que « la question du réalisme » est à l’ordre du jour et que les artistes doivent « prendre conscience du moment historique ». La Querelle du réalisme dont l’achevé d’imprimer porte la date du 8 juillet 1936, a été composé dans l’effervescence des premières semaines de la victoire du Front populaire. Le recueil contient les discours prononcés au cours de deux débats sur le réalisme en peinture qui ont eu lieu, sous l’égide de la Maison de la Culture, les 16 et 29 mai 1936, au cinéma Le Matin à Paris, où Jean Lurçat, Marcel Gromaire, Édouard Goerg, Louis Aragon, parlèrent à la première soirée, Küss, Fernand Léger, Le Corbusier, André Lhote, Jean Labasque, Louis Aragon, Jean Cassou à la seconde. La première partie du volume contient les textes de ces interventions auxquelles sont joints deux textes parus dans Commune l’année précédente, « Les peintres devant le « sujet » » de Léon Moussinac et le « Discours aux peintres » de René Crevel, conférence prononcée à la Maison de la Culture en mai 1935. La seconde partie du volume contient les réponses à l’enquête « Où va la peinture ? », publiée par Commune l’année précédente.
7Aucune unanimité artistique ne sortit des deux soirées sur « La Querelle du réalisme », mais la victoire du Front populaire, la conjoncture politique et sociale poussaient les plus réticents à s’exprimer, beaucoup à dire leurs espoirs de changement. Le peintre André Lhote, pourtant éloigné du militantisme partisan, pouvait acquiescer à une réflexion entendue au cours des débats : « Il fut justement dit en cette soirée historique « qu’il était inconcevable que les artistes continuassent à peindre après le 6 février comme avant » » [16]. Marcel Gromaire proclame qu’en art « comme ailleurs, le problème est un problème d’éthique », qu’« on ne peut sans démission être insensible au drame quotidien » et que l’artiste doit mettre ses espoirs dans un nouvel ordre social afin que la culture « devienne véritablement une langue vivante ». Signe d’époque, il se montre soucieux de réintégrer dans l’histoire et la connaissance de l’homme, la « vivante tradition populaire qui ne demande qu’à sourdre » [17]. Quant à Léger, préoccupé par le divorce de l’art et de la classe ouvrière, il réclame des mesures concrètes permettant le développement de l’éducation artistique, comme l’ouverture des musées le soir.
8Déplorant la coupure avec le public, ces peintres peuvent ratifier la phrase qu’Ozenfant avait donnée à l’enquête de 1935 : « L’obsession de l’abîme creusé entre le peuple et soi finit par donner un vertige paralysant » [18]. Phrase reprise par Crevel dans son « Discours aux peintres » en 1935. Gromaire souligne la nécessité vitale pour l’artiste d’un « fraternel accueil », tandis qu’Edouard Goerg, proche de la revue Esprit, exprime le désir de rompre l’isolement où se trouvent les peintres dépendant matériellement de la société bourgeoise. La crise économique demeurait dans tous les esprits et Le Corbusier put se demander après la soirée du 16 mai : « S’agit-il de la peinture ou, aujourd’hui, dans les inquiétudes qui sourdent partout, du sort des peintres en chômage ? » [19]. La double question se posait, semble-t-il, à l’ensemble des participants.
9La première soirée du 16 mai attira un public nombreux, à l’égal d’autres réunions d’esprit Front populaire. Elle se déroula non sans un certain tumulte : « Le chahut fut essentiellement déchaîné pendant les discours de Jean Lurçat et le mien. Marcel Gromaire et Edouard Goerg parlèrent, eux, au milieu de l’attention et du respect » écrivit Louis Aragon, affirmant que l’ardeur et la passion de la soirée lui rappelaient les grandes époques des débats sur l’art (il regretta que Malraux n’ait pas voulu écrire pour le recueil sa brillante improvisation finale) [20]. On sait par le chroniqueur de L’Humanité que les réactions de la salle furent passionnées, une partie applaudissant, l’autre sifflant. « Les seules mises en cause de Bonnard ou de Delacroix déchaînèrent des tempêtes » [21]. Le critique d’art George Besson alla jusqu’à évoquer la première du Sacre du printemps. L’essentiel de l’opposition venait, d’après Aragon, de la génération des peintres du début du siècle, consacrée au lendemain de la guerre, qu’indignait la critique de la peinture des trente dernières années faite par Lurçat. Aragon révèle qu’un seul débat avait été prévu, mais que devant les discussions provoquées par son intervention et celle de Jean Lurçat, l’opposition artistique dont Léger s’était fait le porte parole, réclama un second débat ; il fut organisé deux semaines plus tard, le 29 mai, avec des interventions de Léger, Labasque, Lhote, Le Corbusier, une seconde intervention d’Aragon. Celui-ci fit état également d’une opposition politique d’extrême droite qui se manifesta au cours de la « soirée mémorable » du 16 mai ; il en relève les traces dans un article de Robert Brasillach, paru dans la revue d’extrême droite Combat qui comparait les « réalistes » aux peintres pompiers [22].
10Les deux débats de mai 1936 furent suivis d’une exposition « Le réalisme et la peinture » à la galerie Billiet-Vorms en juin 1936, puis d’un troisième débat, le 30 juin 1936, salle Poissonnière, sous la présidence de Francis Jourdain, assisté d’Élie Faure et de George Besson [23]. Des peintres de la jeune génération « révolutionnaire » avec Boris Taslitzky, Jean Amblard participèrent à ce troisième débat [24]. Nous connaissons l’intervention d’Élie Faure, « Réalisme et peinture » car si elle ne fut pas publiée dans La Querelle du réalisme, elle fut reprise dans ses Œuvres complètes [25]. Quant aux interventions des jeunes peintres, elles ne furent pas reprises dans le volume, La Querelle du réalisme, ce que George Besson, communisant, déplora [26]. Sans doute les déclarations des jeunes peintres ont-elles été jugées trop militantes en ces temps d’unanimité.
11De même sont exclus comme le remarque Serge Fauchereau, « les artistes les plus radicalement abstraits du moment, Arp, Kupka ou bien Herbin, Freunlich, Hélion (ces derniers pourtant membres de l’AEAR) et la plupart des membres d’Abstraction-Création sont absents » [27]. Mais Pascal Ory fait remarquer que l’action de ce groupe, un des rares groupes formalistes actifs en 1935, était restée toujours en marge avant de disparaître en 1936, non sans avoir proclamé cependant sa sympathie pour le mouvement préludant au Front populaire.
Aragon et le réalisme
12Grand inspirateur des débats de mai 1936, maître d’œuvre du recueil, Louis Aragon qui se fait l’interprète et le médiateur des directives soviétiques, n’est pas un nouveau venu dans les débats sur le réalisme. Depuis qu’il s’est rallié au mouvement communiste international à la suite de sa rupture avec le surréalisme en 1931-1932 [28], il a mis sa légitimité d’écrivain au service du parti, sous la bannière du « réalisme ». En 1934, il publie Les Cloches de Bâle, premier roman de la série « Le Monde réel », commencé en 1933, qui est salué par le chroniqueur de L’Humanité comme une tentative de littérature révolutionnaire [29]. Dans la revue Commune, son ami Georges Sadoul franchit un pas de plus en considérant que le roman est une des premières œuvres à laquelle le terme « réaliste socialiste » pourrait s’appliquer.
13À cette date, Commune a commencé à faire connaître la nouvelle esthétique en publiant à la veille du Congrès des écrivains soviétiques de l’été 1934 des textes soviétiques sur le réalisme socialiste [30]. À l’automne 1934, la revue publie les discours au congrès de Constantin Radek et de Nikolaï Boukharine qui ont défini le réalisme socialiste comme méthode de création artistique et comme méthode de combat, ainsi que les deux discours de Maxime Gorki. L’écrivain soviétique le plus célèbre accole au réalisme socialiste la notion de « romantisme révolutionnaire », expression que reprendra à sa suite Jdanov à ce même congrès [31]. Les écrivains sympathisants français présents au congrès de Moscou, André Malraux, Jean-Richard Bloch, ceux qui, à l’appel de l’AEAR ont participé, sous la présidence d’André Gide, à la Mutualité à une réunion d’hommage au congrès, ont mis en garde contre une application mécanique de cette méthode pour la France, tout en disant leur admiration pour l’URSS [32]. Dès l’année suivante, la priorité n’est plus pour le parti communiste de définir une esthétique, mais d’opérer un rassemblement d’intellectuels, sur les bases les plus larges possibles. Ainsi c’est dans le cadre de la lutte contre la guerre et le fascisme et de l’appel à la mobilisation des intellectuels qu’Aragon fait paraître Pour un Réalisme socialiste qui réunit cinq textes de conférences [33]. Ces textes de circonstance tentent néanmoins un effort de théorisation pour la France du réalisme socialiste, du moins aux yeux de Paul Nizan, autre secrétaire de rédaction de Commune. L’auteur d’Antoine Bloyé perçoit sans doute la difficulté qu’il y a à distinguer cette notion de la tradition réaliste française du xixe siècle :
Le réalisme bourgeois a été un réalisme-critique. Il décrivait amèrement la réalité. Mais il ne voyait point d’issue à cette réalité […]. Ce qui sépare le « réalisme socialiste » de ce réalisme-critique de la grande époque bourgeoise, c’est essentiellement sa capacité de perspectives. […] Il comporte une certaine exaltation du futur. Le réalisme-critique était par essence, pessimiste : il ne dépassait pas une certaine dénonciation du monde […] Un réalisme socialiste met au premier plan cet avenir qu’il contribue à faire naître, avec une certaine exaltation [34].
15Le réalisme socialiste serait un réalisme ouvert sur l’avenir, fondé sur l’analyse et la vision marxiste et optimiste des sociétés. Le même Paul Nizan écrit d’ailleurs dans sa chronique de L’Année des vaincus d’André Chamson : « Une grande littérature du présent requiert cette perspective générale sur l’histoire. Faute de cette vision totale de la marche des événements, le romancier ne donnera jamais que des instantanés fragmentaires qui ne dureront point » [35]. Ainsi défini, le réalisme socialiste, comme le réalisme en général, est une notion suffisamment labile pour être susceptible d’interprétations variées, militantes ou non, ainsi que le montreront les débats de 1936.
Un réalisme à multiples visages
16Aragon joue à merveille son rôle de rassembleur qui n’exige pas de brevet militant ni de ralliement à une théorie unique, tout en se faisant le défenseur orthodoxe des conceptions soviétiques en matière d’esthétique.
17Il n’est pas indifférent qu’ait été choisi pour ouvrir les débats le peintre et rénovateur de la tapisserie, Jean Lurçat, sympathisant du communisme soviétique, animateur des Amis de l’Union soviétique [36]. Bien que le premier intervenant de la soirée du 16 mai 1936 ne se réclame pas nommément du réalisme socialiste, sa vision de l’histoire récente de la peinture, ses positions politiques le font percevoir comme un allié de Louis Aragon et de Léon Moussinac (celui-ci, directeur des Éditions sociales internationales, maison d’édition rattachée au parti, vient de prendre parti dans Europe en sa faveur [37]). Lurçat s’en tient à une définition a minima d’un « nouveau réalisme », caractérisé comme une « disposition sentimentale », une forme nouvelle de sympathie et de solidarité, « une reprise de conscience de caractère avide et combatif d’un monde qui s’ouvre à l’espérance » [38], le contraire d’une attitude de « négation du monde » (allusion aux expériences de l’avant-garde), à l’opposé du « réalisme poétique » de Bonnard et de ses descendants à qui il est fait reproche de tourner le dos à l’anxiété de l’époque (ce fut probablement l’un des moments de son intervention qui déclencha des protestations). Ce n’est pas par sa définition du réalisme qui se réduit en fait à revenir au « concret » qu’il peut être situé dans le débat, mais par ses déclarations de sympathisant communiste. Ainsi exprime-t-il le regret qu’on fasse si peu de cas en France de l’expérience de la peinture soviétique et défend-il l’idée que le peintre doit agir sur le monde extérieur et le transformer. Enfin, gage d’orthodoxie politique, il donne en exemple au peintre réaliste la figure de Dimitrov au procès de Leipzig [39].
18Gromaire, à qui la parole a été donnée en second, s’en tient à des constatations générales sur le réalisme, notion à ses yeux « pleine d’embûches », en particulier si elle est assimilée à la copie et à l’imitation. Le réalisme est, à ses yeux, la synthèse de la réalité, apparente ou cachée, une tentative de donner « l’approximation la plus convaincante de la vérité du monde », et cela à propos du moindre objet, comme Chardin a su le faire. La représentation de la réalité peut impliquer d’avoir recours pour exprimer « les sombres régions de la conscience » à ce qu’on appelle, à tort, la « déformation », – manière de prendre ainsi parti pour Picasso sans le nommer [40]. Dès lors, la création artistique est l’invention du concret [41] ; il ne suffit pas de s’attacher à un thème réaliste pour atteindre la réalité, comme le prouve l’exemple de Brueghel l’atteignant par des thèmes irréels. Prenant des exemples de réalisme dans le passé, Gromaire évoque le « réalisme magique » des arts primitifs, puis déroule la fresque de l’art occidental en s’arrêtant sur le xixe siècle.
19On ne trouve pas de conception militante du réalisme chez Édouard Goerg, qui affirme qu’il n’y a pas un seul réalisme, ni une seule façon d’être réaliste, que le peintre crée le sujet [42]. Sa définition du réalisme comme esprit « de lucidité non conformiste, de clairvoyance, d’audace, de prévision, d’anticipation » ne porte certes pas à contestation [43].
20En revanche, Louis Aragon, dès le premier débat, reconnaît l’hostilité que rencontre en France le réalisme socialiste : « Il est de fait pourtant qu’à l’heure qu’il est les maîtres de cet art, qui a été l’orgueil et l’honneur de notre pays depuis des siècles, et particulièrement depuis cent années, les maîtres de la peinture en France, hommes sans doute formés dans une période différente, sont dans l’ensemble hostiles au réalisme, ils n’en veulent point entendre parler ». Et de citer Derain qui, à ses yeux, a pourtant accompli un chemin vers le réalisme, mais s’est « tardivement dédit de participer à notre débat, qu’il considère comme inutile, et néfaste même » : « D’où vient donc, non pas chez Derain, mais chez l’élite de nos peintres, cette méfiance du réalisme, cette fuite devant la réalité dont les expositions modernes sont les éclatantes illustrations ? » [44]. Aragon, quant à lui, se prononce pour « un réalisme, expression consciente des réalités sociales, et partie intégrante du combat qui modifiera ces réalités » [45]. Se déclarant en faveur des « tendances réalistes dans l’art au moment historique présent », il reprend les mots d’ordre les plus militants, appelant notamment les peintres à devenir, comme les écrivains, les « ingénieurs des âmes » [46]. Médiateur et interprète de la politique culturelle soviétique, Aragon n’est est pas moins soucieux de réconcilier avant-garde esthétique et orthodoxie politique : par exemple, l’ancien surréaliste qui a salué dans La Peinture au défi (1930) les possibilités d’avenir de la photographie, estime que cet art a désormais un pouvoir dénonciateur plus grand que la peinture. C’est ainsi qu’il fait l’éloge des photos-montages du peintre communiste allemand John Heartfield, exemple à ses yeux d’une technique en prise avec les drames de l’actualité.
21En annexe de La Querelle du réalisme, Aragon a fait le choix significatif de publier un texte de Léon Moussinac, défenseur du réalisme socialiste et du retour au sujet et critique des prétentions révolutionnaires de l’art abstrait. Cependant, Moussinac récuse l’art de propagande, particulièrement le populisme de ceux pour qui « faire le portrait de Marcel Cachin ou représenter les ouvriers avec un drapeau rouge suffit pour justifier la peinture » [47].
L’opposition Aragon/Léger
22Mais c’est Fernand Léger qui a suscité le deuxième débat qui va être le véritable chef de file de l’opposition aux thèses de Louis Aragon. Déjà, dans les années Vingt, il a mis en avant ce qu’il appelle un « réalisme de conception » [48]. Le débat de mai a d’autant plus de sens que Fernand Léger, membre actif de l’AEAR, depuis fin 1932 – il a appuyé les manifestations contre l’avènement du nazisme – s’est fermement engagé en faveur du Front populaire [49]. Proche de Paul Vaillant-Couturier et de Georges Moussinac, avec lesquels il partage le souci d’un art accessible aux classes populaires, notamment dans le domaine théâtral. C’est ainsi qu’il participera à la fête du 14 juillet 1936, à l’accrochage des peintres contemporains dans le hall du Théâtre de l’Alhambra, à l’occasion de la représentation du Quatorze Juillet de Romain Rolland [50].
23Face au réalisme socialiste, le « nouveau réalisme » que défend Fernand Léger trouve son origine dans l’évolution plastique du dernier demi-siècle :
C’est l’impressionniste qui a “rompu la ligne”. Cézanne en particulier ; les modernes ont suivi en accentuant la libération. Nous avons libéré la couleur et la forme géométrique. Ce réalisme nouveau commande entièrement les 50 dernières années, aussi bien dans le tableau de chevalet que dans l’art décoratif de la rue et intérieur.
25En réponse aux interventions de Louis Aragon et de Léon Moussinac, il affirme, après avoir rappelé l’origine française du cubisme, que, plutôt que de retourner au sujet, il vaudrait mieux faire appel à l’objet, l’objet que le cubisme a imposé et dont il rappelle la place dans ses recherches personnelles, dans sa conception décorative de la peinture, telle qu’il l’a exprimée dans le pavillon français de l’exposition de Bruxelles en 1935.
26Les défenseurs du « retour au sujet » et les contempteurs de l’art non-figuratif ont, en effet, mis en cause l’héritage du cubisme. Ainsi Jean Lurçat dénonce-t-il la représentation des objets par les peintres cubistes comme des « signes abstraits et arbitraires », et le caractère peu humain de leurs œuvres [51]. Néanmoins, il reconnaît la valeur des recherches cubistes, de leur technicité ainsi que la fécondité d’un certain pessimisme. Pourtant cette critique du cubisme est loin de faire l’unanimité des participants des débats de 1936. Amédée Ozenfant qui se nomme lui-même le « père de l’austère purisme » a déjà rendu justice dans l’enquête de 1935 aux écoles d’avant-garde, à leur travail de laboratoire, même si celui-ci seul était stérile ; signe des temps, il affirmait cependant la nécessité de s’orienter vers des recherches plus humaines [52].
27Pour André Lhote, un ancien du cubisme, un de ceux qui avaient désiré s’expliquer au cours du deuxième débat, il s’agit aussi de reconnaître et de dépasser l’héritage cubiste. Critique d’art à La NRF, il rappelle qu’il prêche pour « le retour à l’homme, réclamant violemment un fumeur au bout de la sempiternelle pipe cubiste ou encore des bras inspirés autour de l’obsédante guitare insonore ». Lui-même ne se prive pas « de peindre des sujets humains, repas de marins, fortifications, ports, 14 juillet, parties de football […] » [53]. Écorchant au passage les « néophytes » qui proposent le « retour au sujet », il souligne que des peintres comme Gromaire ou Goerg n’ont, pour leur part, jamais renoncé aux sujets humains. Néanmoins Lhote met en garde les peintres moins avertis qui auraient la tentation de confondre ce retour au sujet avec de « vastes compositions humanitaires ».
28À ceux qui reprochent à l’art moderne de ne pas pénétrer dans le peuple, Léger répond que la faute en revient à l’ordre social actuel, non à ce que ces œuvres manquent d’humanité.
Sous ce prétexte on voudrait couper les ponts, exécuter froidement toute cette peinture de libération douloureusement acquise et retourner au diable en arrière. […] Sous prétexte de vouloir conquérir tout de suite cette foule populaire admirable dont l’instinct est juste, mais attend de pouvoir saisir la nouvelle vérité, on voudrait les embarquer à reculons, de siècle en siècle, d’abord en chemin de fer, puis en brouette, pour « faire ancien » et puis à pied [54].
30Le « nouveau réalisme » ancré dans la vie moderne peut permettre aux hommes du peuple « d’entrer dans le domaine du beau qui leur a toujours été fermé jusqu’ici » [55].
[Ce nouveau réalisme] a ses origines dans la vie moderne même, dans ses phénomènes constants, dans l’influence des objets fabriqués et géométriques, dans une transposition où l’imagination et le réel se croisent et s’enchevêtrent, mais d’où l’on a banni tout sentimentalisme littéraire et descriptif, toute dramatisation qui relève d’autres directions poétiques ou livresques [56].
32La création d’un art mural collectif paraît à Léger, à l’instar d’autres plasticiens de la période, le moyen de permettre aux masses d’accéder à l’art moderne [57]. Lui-même fait partie de l’Association L’Art mural, née en 1934, adhérente à la Maison de la culture, organisatrice de plusieurs expositions à partir du printemps 1935 [58]. Fernand Léger insiste sur le caractère social de la peinture murale qui peut être utilisée sur les monuments, dans les écoles et les stades. Évoquant l’école communale de Villejuif d’André Lurçat, puis « les grands cadeaux faits par Le Corbusier, le mur blanc et la lumière », il dit : « La classe ouvrière a droit à tout cela. Elle a droit, sur ses murs, à des peintures murales signées des meilleurs artistes modernes, et si on lui donne le temps et les loisirs, elle saura s’y installer et y vivre elle aussi et les aimer » [59].
33Le Corbusier, dont Fernand Léger a salué l’esprit d’innovation, intervient sur le thème qui lui est cher de l’architecture, art des temps nouveaux. « La parole est aux architectes. Pardonnez-moi de le dire » [60], manière de se réclamer aussi d’Élie Faure qui venait d’affirmer la même chose. À son tour, il prend la défense du cubisme, le « mouvement de peinture le plus libérateur qui ait existé depuis longtemps », le grand événement historique du siècle, l’événement révolutionnaire. « On nous propose aujourd’hui de répudier cet événement, de renoncer à la grandeur de cette conquête ! Cet art qu’on a appelé abstrait, par une méprise inquiétante du vocabulaire […] Cet art est concret et non abstrait » [61]. L’art français dénommé abstrait est, en effet, à ses yeux, « essentiellement concret. Le réalisme est au dedans ». Au cours de cette soirée durant laquelle il fut surtout question de la peinture, Le Corbusier qui était aussi peintre, plaide pour une collaboration de la peinture murale et de la statuaire avec l’architecture et expose ce qu’il entend par « polychromie architecturale » [62].
34Des artistes qui sont intervenus au cours du deuxième débat, Lhote, Le Corbusier, Léger, pour répondre aux thèses des tenants du réalisme socialiste, Léger est le seul qu’Aragon estime nécessaire de réfuter dans le numéro de Commune de septembre, preuve que ses thèses ont rencontré un écho certain. Le principal reproche que celui-ci fait au « nouveau réalisme » de Léger est de s’identifier à l’art moderne de la dernière période historique. Il tente d’ailleurs de disqualifier dès l’abord le peintre en affirmant qu’il est « esclave d’un système qu’il ne comprend pas ». Léger a, en effet, reconnu le rôle de certains marchands de tableaux et collectionneurs dans la reconnaissance de la peinture moderne [63]. Quant à la conception de l’objet que Léger présente comme un signe de ce nouveau réalisme dans le tableau, il n’est, aux yeux d’Aragon, qu’« un naturalisme grossier » [64]. Mais cette mise en garde du maître d’œuvre des débats qui tient à avoir le dernier mot dans Commune, ne peut cacher qu’aux yeux des participants, l’artiste ne peut participer au combat social qu’en dehors des mots d’ordre d’une esthétique militante.
Liberté de création et engagement de l’artiste
35De Jean Cassou à Crevel en passant par André Lhote, ils sont nombreux à dire que l’art vit de liberté et que l’autonomie de la création doit être totale.
36Cassou, écrivain, un des organisateurs de l’enquête de 1935, qui partage la critique de la peinture de chevalet faite par ceux qui, comme Lurçat ou Léger, veulent trouver de nouvelles formes de création moins liées au public bourgeois, reste cependant intraitable sur la liberté du créateur et s’interroge sur celle de l’artiste en régime soviétique. On ne peut l’obliger à écrire sur des turbines, ironise-t-il (non plus qu’à faire le portrait de M. Laval, allusion à la politique de celui-ci vis-à-vis de l’Italie fasciste). L’art change, la société change, écrit-il, mais pas par « des décrets extérieurs ».
37André Lhote répète qu’il n’y a pas de critère d’utilité en art et que l’art ne peut vivre que de liberté.
On ne saurait trop avoir présent à l’esprit que l’art n’a le droit d’être utile que si, par ailleurs, et grâce à un recueillement préalable au cours duquel le technicien se demande “Comment vais-je m’exprimer”, il se propose d’atteindre à la beauté, c’est-à-dire à la vérité, par l’unique truchement de la qualité, c’est-à-dire de la perfection technique.
39Comme d’autres, Lhote insiste sur la nécessité de l’éducation artistique, mais il le fait avec des arguments propres à toucher l’auditoire de mai 1936. Il évoque ses conversations avec Anatoli Lounatcharski, rencontré peu de temps avant sa mort en 1933. L’ancien Commissaire à l’éducation et à la culture – mais plus tout à fait dans la ligne alors, puisqu’il avait été éloigné comme ambassadeur regrettait que la transposition plastique ne présidât pas aux œuvres des peintres soviétiques. En se souvenant de sa conversation avec Anatoli Lounatcharski, Lhote déplore que de jeunes dirigeants ouvriers voient dans les « raffinements de la vision cézanienne de vains exercices un peu bourgeois ». L’exposition Cézanne de l’Orangerie lui semble en effet un événement capital pour s’interroger sur le langage plastique révolutionnaire et attester que tout hommage au peuple doit passer par le crible d’or de la « transposition picturale » [65].
40Le souci d’échapper à une conception simpliste de l’homme et de la création est patent chez René Crevel dont est republié le « Discours aux peintres », conférence prononcée à la Maison de la Culture, le 9 mai 1935. Dans cette conclusion personnelle à l’enquête de Commune, Crevel défend les recherches sur l’inconscient, fait l’éloge de la peinture surréaliste, celle de Dali et des collages de Max Ernst.
Dès lors, il n’y a pas d’abîme où ne doive avoir le courage de plonger qui se propose de représenter l’homme. Mais que la zone hier interdite ne prétende point aujourd’hui figurer le paradis retrouvé. Si, dans une page fameuse, Lénine a dit quelle source d’énergie pouvait être le rêve, il ne s’ensuit pas, bien au contraire, que tel ou tel puisse valablement se retirer dans ses songes, comme d’autres à la campagne, s’en faire un refuge, un alibi [66].
42Cette défense de la peinture surréaliste est loin alors de faire l’unanimité (Georges Sadoul a attaqué la peinture de Salvador Dali dans Commune). Aussi faut-il voir dans cette publication un hommage à la mémoire de Crevel, un des responsables de l’enquête de Commune, dont le suicide à la veille du Congrès des écrivains bouleversa ses amis. Des peintres proches du groupe surréaliste, invités à répondre à l’enquête de Commune, Max Ernst, Valentine Hugo, Yves Tanguy, ont prétendu eux aussi à atteindre la réalité au moyen de l’exploration de l’inconscient et du rêve. Max Ernst compare ainsi la recherche du peintre à la plongée du scaphandrier qui ne sait ce qu’il va ramener du fond. « Ainsi, le peintre n’a pas le choix de son sujet. S’en imposer un, fût-il le plus subversif, le plus exaltant et le traiter d’une manière académique, ce sera contribuer à une œuvre de faible portée révolutionnaire » [67].
43Mais tout en se prononçant pour un art collectif nouveau, Léger refuse les mots d’ordre et défend les droits de la création individuelle :
Je sais que les forces collectives sont en marche, que l’individu-roi doit s’absorber, s’aligner, que souvent l’égoïsme individuel a abusé de la situation ; mais dans la sphère merveilleuse des créations où l’état de génie fonctionne et se réalise par des individus, je dis : attention. […] Je veux dire par là qu’il faut toujours laisser une route libre pour les artistes. Cette route est celle qui conduit vers le Beau, – vers l’œuvre d’art au-dessus des batailles sociales et économiques. […] L’œuvre d’art ne doit pas participer à la bataille […] L’œuvre belle ne s’explique pas. Elle ne veut rien prouver [68].
45Ce sont avec les moyens autonomes de l’artiste que veulent lutter ceux qui refusent de mettre l’art au service d’une conception politique. Répondant à l’enquête de Commune, le peintre Robert Delaunay, membre de L’Art mural, avait déjà affirmé :
[…] je porte la révolution sur un autre terrain. Dans l’architecture. Moi, artiste, moi, manuel, je fais la révolution dans les murs […] Pendant que la mode était au tableau de chevalet, je ne pensais déjà qu’à de grands ouvrages muraux, architecturés, exprimant une grande idée collective [69].
47Paul Signac, disparu en août 1935, avait donné dans sa réponse à l’enquête de Commune une formulation imagée à la double préoccupation qui était la sienne et celle de nombre d’artistes engagés de cette période : concilier le désir de témoigner de son temps dans le choix du sujet avec la recherche formelle : « J’avais envie de chanter ce rouge – écrit-il à propos des drapeaux, des couronnes de fleurs des manifestations de février – … Encore faut-il trouver des rouges dignes de cette émotion ». Aussi suggérait-il de retrouver le sujet par la couleur [70]. C’est la leçon que retint l’exposition Paul Signac, organisée en hommage par la Maison de la culture à Montreuil au printemps 1936 où on afficha quelques unes de ses maximes sur l’art : « pas de sujet révolutionnaire », « la peinture doit l’emporter sur le sujet, le titre », « la peinture peut être révolutionnaire par elle-même » ou « Tous les maîtres le furent. La révolution, c’est renverser les barrières qu’on veut mettre à l’esprit humain » [71].
48À la relecture des débats autour de La Querelle du réalisme, une première constatation s’impose : ce réalisme qui sert de bannière recouvre des acceptions qui vont des plus militantes au plus désengagées. Si la revendication de « réalisme » est générale, seuls Léger et Le Corbusier tentent de donner une définition claire de ce « nouveau réalisme » à opposer au réalisme socialiste : un réalisme accordé aux temps modernes, prenant la suite des révolutions esthétiques du passé, fruit des progrès de la technique, du machinisme et des besoins nouveaux des classes jusqu’ici exclues du beau et de l’art.
49En dépit du talent de propagandiste de Louis Aragon, lui et ses camarades du Parti communiste ne peuvent obtenir lors de ces soirées aucun soutien en faveur du « réalisme socialiste », qu’Aragon va d’ailleurs bientôt interpréter en terme de « réalisme français » [72]. Si donc au cours de ce débat sur le réalisme est tentée une première acclimatation des principes d’une esthétique socialiste en France, il faudra attendre le contexte différent de la guerre froide pour que le Parti communiste, avec des moyens de propagande autrement puissants, se fasse le héraut des thèses développées par Andréï Jdanov.
50En 1936, c’est surtout l’esprit d’unanimisme du Front populaire qui ressort de ces débats, avec la recherche de ce qui unit plus que de ce qui divise. Aucune excommunication n’est prononcée sauf de façon allusive. Les organisateurs communistes ou communisants se contentent d’exprimer leur satisfaction de voir des artistes, et parmi eux, quelques-uns des plus notoires, proclamer leur accord avec les mouvements sociaux en cours, et apparaître ainsi comme des alliés, quelles que soient leurs conceptions artistiques [73]. La plupart des peintres l’ont compris ainsi, puisqu’ils multiplient, comme Gromaire, les déclarations en faveur du Front populaire. Symbole de l’esprit d’union du Front populaire, la dernière page de l’ouvrage La Querelle du réalisme reproduit le dessin qu’Alberto Giacometti, qui a fait partie du groupe surréaliste, a donné en réponse à l’enquête de Commune : en premier plan, surgit une grande silhouette d’homme, faisant le salut du front populaire avec en arrière-fond l’arc stylisé d’une foule d’où émergent des drapeaux [74].
51La lecture de La Querelle du réalisme amène sans doute à nuancer le jugement un peu désabusé d’un contemporain, Élie Faure, qui met pourtant l’accent sur l’originalité de cette exceptionnelle rencontre, la personnalité des artistes qui en furent les protagonistes :
Même et surtout si l’on tient compte de cette phalange serrée d’individualités captivantes, mais anarchiques, où est la synthèse espérée ? Le maçon, je le répète. Et non ce bon « réalisme » actuel, si conformiste et si sage, qui ne fait de mal à personne sinon à ceux qui le pratiquent et à ceux, en presque aussi grand nombre, qui le prennent au sérieux ? [75] ?
Notes
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[*]
Ce texte reprend, en le développant, l’exposé fait à la première rencontre organisée en mars 1986 à l’EHESS. J’en ai donné une version différente, « La querelle du réalisme. Deux débats sur la peinture au moment du Front populaire », dans À la frontière des attitudes. Entre le politique et le religieux : Textes en hommage à Guy Michelat. Contributions réunies par Jean-Marie Donégani, Sophie Duchesne et Florence Haegel, Paris, L’Harmattan, 2002.
-
[1]
Les Réalismes 1919-1939, Paris, Centre Georges Pompidou, 1980.
-
[2]
Jean Lurçat, Marcel Gromaire, Édouard Goerg, Louis Aragon, Edmond Küss, Fernand Léger, Le Corbusier, Jean Labasque, Jean Cassou, La Querelle du réalisme. Deux débats organisés par l’Association des peintres et sculpteurs de la Maison de la culture, Éditions sociales internationales, Coll. « Commune », 1936. Rééd. La Querelle du réalisme. Léger, Le Corbusier, Lurçat, Aragon, Lhote, Goerg, Cassou, Delaunay, Ernst… Présentation de Serge Fauchereau, Paris, Diagonales. Éditions Cercle d’art, 1987. Les noms de Küss et de Labasque, qui intervinrent au second débat de mai 1936 et qui figuraient dans l’intitulé de l’édition originelle, ont disparu de l’intitulé de la réédition de 1987 ; ceux, plus notoires, d’André Lhote (qui a répondu à l’enquête de Commune de 1935 et qui est intervenu lors du premier débat de mai 1936), de Robert Delaunay, Max Ernst (pour leurs réponses à l’enquête sur la peinture de 1935, mais absents des débats) figurent dans le nouvel intitulé. Cette mise en exergue satisfait notre modernité, mais n’est pas tout à fait conforme à la place réelle de ces artistes dans le débat sur « la querelle du réalisme ».
-
[3]
La Maison de la culture, née au printemps 1935, fédérait des associations favorables au Front populaire comme l’Union des Théâtres indépendants de France, la Fédération Musicale Populaire et l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires (AEAR), rattachée au Parti communiste et devenue après le congrès international des écrivains de juin 1935, Association française des écrivains pour la défense de la culture. En 1935, après le congrès des écrivains, l’AEAR devient l’Association française pour la défense de la culture, et la revue, pour bien marquer la rupture avec la période des débuts s’intitulera en 1936, « revue littéraire française pour la défense de la culture ».
-
[4]
Pascal Ory, La Belle Illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire. 1935-1938, Paris, Plon, 1994, p. 238-246.
-
[5]
Marie-Claude Genêt-Delacroix a lancé les bases d’une étude sociologique des artistes engagés pendant l’entre deux guerres à partir de l’échantillon de cent trente cinq personnes figurant dans la quatrième partie du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron et Claude Pennetier. « Les artistes parmi les intellectuels engagés », in Nicole Racine et Michel Trebitsch (dir.), Les Cahiers de l’IHTP, n° 26 : Intellectuels engagés d’une guerre à l’autre, mars 1994, pp. 27-37.
Pour une réflexion sur la signification de l’engagement des artistes, sur la notion d’œuvres d’art engagées, je renvoie à Laurence Bertrand Dorléac qui fait une place aux débats de 1936 sur le réalisme dans « L’artiste », in Jean-François Sirinelli et Michel Leymarie, L’Histoire des intellectuels aujourd’hui, à paraître, PUF, 2003. -
[6]
Pascal Ory, La Belle illusion, op. cit., p. 234sq.
-
[7]
Paul Signac (1863-1935) adhéra dès sa fondation à l’AEAR. Il s’engagea activement en 1934 et appela les artistes à rejoindre le mouvement antifasciste (voir son message « Aux artistes » au meeting organisé le 30 mai 1934 à la Mutualité par le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Commune, juill.-août 1934).
-
[8]
Pascal Ory, La Belle illusion, op. cit.
-
[9]
Boris Taslitzky, né en 1911, n’était pas membre du parti communiste en 1933-1934 mais se disait révolutionnaire. Il mena des actions pour l’instauration et le maintien de la caisse de chômage des artistes et artisans d’art, et participa à des actions conjointement avec l’Union des chômeurs de la région parisienne animée par les communistes. Il adhéra à l’AEAR en 1934 et au parti communiste en 1935. En 1938, il devint secrétaire général de la Maison de la culture (voir son témoignage paru dans La Nouvelle critique, n° 70, déc. 1955, pp. 11-16).
-
[10]
Laurence Bertrand Dorléac, L’Art de la défaite, Paris, Le Seuil, 1993, p. 264.
-
[11]
Eugène Dabit, « Les Expositions », Europe, n° 151, 15 juill. 1935, p. 470.
-
[12]
Louis Aragon, « Expositions. La peinture au tournant », Commune, n° 22, juin 1935, pp. 1181-1189.
-
[13]
Réponses à l’enquête publiée dans Commune (mai et juin 1935) : Amédée Ozenfant, Christian Bérard, André Derain, Jean-Louis Garcin, Jean Carlu, Fernand Léger, Marie Laurencin, Jacques-Émile Blanche, André Marchand, Gustave Courbet, Paul Signac, Max Ernst, André Lhote, Honoré Daumier, Frans Masereel, Jean-François Laglenne, Valentine Hugo, Jean Lurçat, Yves Tanguy, Horace Vernet, Raoul Dufy, Robert Delaunay, Georges-André Klein, Pierre Vérité, Édouard Goerg, René Mendès-France, Antonio Berni, Marcel Gromaire, Alberto Giacometti. André Derain qui a répondu à l’enquête de Commune, puis accepté de participer aux débats de la Maison de la culture, a finalement refusé d’y participer. André Derain qui avait répondu à l’enquête de Commune, puis accepté de participer aux débats de la Maison de la culture, s’est finalement dédit. Aragon publie sa lettre de refus en tête du recueil La Querelle du réalisme, op. cit., p. 9.
-
[14]
Commune, n° 21, mai 1935. Sur René Crevel, on renvoie à Michel Carassou, René Crevel, Paris, Fayard, 1989 et François Buot, Crevel, Paris, Grasset, 1991.
-
[15]
François Buot, Crevel, op. cit., p. 359.
-
[16]
André Lhote, La Querelle du réalisme, op. cit., second débat, p. 94.
-
[17]
Ibid., pp. 34-35.
-
[18]
Amédée Ozenfant, ibid., p. 159 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 21, mai 1935).
-
[19]
Le Corbusier, La Querelle du réalisme, op. cit., second débat, p. 80.
-
[20]
Louis Aragon, « Le Réalisme à l’ordre du jour », Commune, n° 37, sept. 1936, p. 21.
-
[21]
« À la Maison de la Culture », L’Humanité, 18 mai 1936 (« Les Lettres et les arts »).
-
[22]
Dans « Les Pompiers avec nous ! », Robert Brasillach avait écrit : « Les masses qui désirent “s’éduquer” sont dûment prévenues : il n’y a pas à Paris, à l’heure qu’il est, de cirque mieux constitué que la Maison de la Culture. C’est là que les pompiers sont lâchés en liberté, et qu’ils exposent au monde leur doctrine », cité par Georges Sadoul dans « Revue des revues », Commune, n° 36, août 1936, p. 1529.
-
[23]
Dans le numéro de Commune de mai 1936, George Besson consacre sa chronique à la troisième exposition de la Maison de la culture qui reçut les encouragements ou l’adhésion d’artistes comme Francis Jourdain, Gromaire, Lhote, Goerg, Lurçat, Masereel, Léger, Lipchitz. Il déplore d’ailleurs que certains invités aient été choisis plus en fonction de leurs sympathies politiques que de leur art ; mais il salue Boris Taslitzky, Küss, Ginette Cachin-Signac, Amblard, Bazaine, Neillot, Vérité, Grüber et des « débutants tels que Chevallier, Krabsky, Mérangel, Édouard Pignon ». Sur l’exposition de la galerie Billiet, voir George Besson, « Expositions. La querelle du réalisme », Commune, n° 36, août 1936, pp. 1541-1543. Il donne les noms des artistes participants : Gromaire, Goerg, Lhote, Léger, Lurçat, Labasque ; à côté de ces artistes confirmés, il cite « leurs jeunes camarades encore inconnus, complices de tribune et de cimaise », le sculpteur Haly, les peintres Amblard, Jalm, Schoedelin, Pignon et loue les œuvres de Taslitzky (la grande décoration du Mur) peinte « pour commémorer dans l’allégresse les revanches nécessaires », Küss qui, grâce à ses œuvres du Temps présent, s’exprime en peintre et « non en militant bien intentionné, les foules écrasées sous la terreur des massacres aériens », enfin « la puissance dramatique de Gruber, la palette personnelle de Mérangel ».
-
[24]
L’Humanité signale la présence de Jean Cassou, Édouard Goerg, Marcel Gromaire, Henri Lebasque, Le Corbusier, Fernand Léger, André Lhote, Jacques Lipchitz, André Lurçat et André Malraux, « Troisième Exposition (Maison de la culture) », Commune, n° 33, mai 1936, pp. 144-146.
-
[25]
Je remercie Jean-Paul Morel de m’avoir signalé que le texte de l’intervention d’Élie Faure a été publié sans avoir été identifié, avec deux autres textes de conférences, sous le titre arbitraire de « Trois conférences pour des architectes », au chapitre des « Varia » dans ses Œuvres complètes. Tome trois. Œuvres diverses, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1964, pp. 852-856. Jean-Paul Morel déplore que Serge Fauchereau ne fasse pas allusion à ce troisième débat dans sa présentation de La Querelle du réalisme. On se reportera aussi au texte de Jean-Paul Morel dans le catalogue de l’exposition Francis Jourdain. Un parcours moderne 1876-1956, Paris, Somogy, 2001, pp. 118-128.
-
[26]
George Besson, « La Querelle du réalisme », L’Humanité, 30 juin 1936. Je n’ai pas retrouvé trace de ces interventions. George Besson écrit dans Commune : « Je regrette surtout qu’un chapitre n’ait été consacré dans ce livre, à quelques-uns des douze artistes, tous très jeunes, qui, au cours de la troisième soirée, exprimèrent avec la verdeur de leurs vingt ans, leur conception de militants révolutionnaires et leur idéal de peintres. Leur ardeur à exiger l’intégration de la vie sociale dans l’art, à prendre pour guide le Delacroix de La Barricade plutôt que celui des Femmes d’Alger est d’autant plus émouvante que leur volonté ne s’exerce pas seulement en intentions. Ils ont du talent et nul ne doit l’ignorer, parmi leurs actuels adversaires, même si ce talent est fait, chez eux aussi, de leurs convictions » (Expositions. « La querelle du réalisme », Commune, n° 36, août 1936, pp. 1541-1543).
-
[27]
Serge Fauchereau, « Les années 36 », La Querelle du réalisme, op. cit., p. 27.
-
[28]
Nicole Racine, « Aragon, militant du mouvement communiste international » in Jacques Girault et Bernard Lecherbonnier (dir.), Les Engagements d’Aragon, Paris, L’Harmattan, 1988.
-
[29]
René Garmy, « Les Livres. Les Cloches de Bâle », L’Humanité, 31 déc. 1934. Le romancier y est tout en néanmoins critiqué pour sa vision insuffisamment claire de l’anarcho-syndicalisme.
-
[30]
Piotr Youdine ; Andréï Fadeïev, « Le réalisme socialiste, méthode fondamentale de la littérature soviétique », Commune, n° 10, juin 1934.
-
[31]
Maxime Gorki, « La littérature soviétique », « Discours de clôture » ; Constantin Radek, « Littérature bourgeoise et littérature prolétarienne » ; Nicolaï Boukharine, « Le réalisme socialiste », Commune, n° 13-14, sept.-oct. 1934.
-
[32]
« Il y a une convention bourgeoise contre laquelle j’ai toujours lutté ; mais osons le dire ici il peut y avoir aussi une convention communiste. J’estime que toute littérature est en grand péril dès que l’écrivain se voit tenu d’obéir à un mot d’ordre » (André Gide, 23 octobre 1934, discours au compte rendu du congrès des écrivains soviétiques).
-
[33]
Louis Aragon, Pour un réalisme socialiste, Paris, Denoël, 1935. Le recueil contient son discours au Congrès des écrivains, « Le retour à la réalité », l’exposé fait à la Maison de la Culture le 4 avril 1935, « D’Alfred de Vigny à Avdeenko : les écrivains dans les soviets », le « Message au congrès des John Reed Clubs » tenu à New York fin avril 1935 et enfin « John Heartfield et la beauté révolutionnaire ». Dans son discours au congrès international des écrivains, Aragon a proclamé : « Je réclame le retour à la “réalité”. Je le dis, qui donc s’y oppose, sinon ceux qui ont intérêt à la couvrir, à la dérober à notre vue. Nous n’avons rien à cacher, et c’est pourquoi nous accueillons comme une parole joyeuse le mot d’ordre de la littérature soviétique, le réalisme socialiste ».
-
[34]
Paul Nizan, « Pour un réalisme socialiste par Aragon », L’Humanité, 12 août 1935 (Pour une nouvelle culture. Textes réunis et présentés par Susan Suleiman, Paris, Grasset, 1971, p. 177-178).
-
[35]
Paul Nizan, « L’Année des Vaincus par André Chamson », Monde, 15 févr. 1935 (Pour une nouvelle culture. Textes réunis et présentés par Susan Suleiman, op. cit., p. 92).
-
[36]
Jean Lurçat (1892-1966) était, avant 1914, sympathisant des idées libertaires. Il se préoccupait d’art social et participa au mouvement des Universités populaires. Il participa à la fondation de la revue Les Feuilles de mai qui se réclamaient des idées de Jean-Richard Bloch dans L’Effort libre. Dans les années trente, il fut un des animateurs des « Amis de l’Union soviétique », donna de nombreux articles à Russie d’aujourd’hui. En 1937, il écrivit un « Avant-propos » à la Réponse à André Gide de Fernand Grenier, secrétaire général des Amis de l’Union soviétique (Nicole Racine, notice de Jean Lurçat, DBMOF, Paris, Éditions ouvrières, t. 35, 1989).
-
[37]
Léon Moussinac, « Le réalisme socialiste », Europe, 15 mars 1936. Léon Moussinac (1890-1964), journaliste, romancier, historien du cinéma, est membre du parti communiste depuis 1924. Fondateur en 1928 du ciné-club, les « Amis de Spartacus », il fit connaître les films soviétiques interdits par la censure. Il s’intéressait au théâtre et a participé en 1932 à la création de la Fédération du théâtre ouvrier français (FTOF) qui adhéra à la Maison de la Culture en 1935. Il a joué un rôle actif dans la naissance de l’AEAR au début 1932 et remplacé Aragon à Moscou en 1933 auprès de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires. Il dirige l’hebdomadaire Regards. (Nicole Racine, notice de Léon Moussinac, DBMOF, Paris, Éditions ouvrières, t. 37, 1990).
-
[38]
La Querelle du réalisme, op. cit., p. 16.
-
[39]
Jean Lurçat, débat du 16 mai 1936, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 18.
-
[40]
Marcel Gromaire, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 27
-
[41]
Ibid., p. 24
-
[42]
Édouard Goerg, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 41.
-
[43]
Ibid., p. 54.
-
[44]
Ibid., p. 56. Louis Aragon publie sa lettre de refus en tête du recueil La Querelle du réalisme.
-
[45]
Louis Aragon, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 67.
-
[46]
Ibid., p. 68. Louis Aragon avait repris à son compte cette définition des écrivains dans sa conférence du 4 avril 1935 à la Maison de la Culture, expression disait-il qui a aussi « cette vertu de rendre son véritable prix à la technique de l’écriture » (Pour un réalisme socialiste, ibid., p. 13).
-
[47]
Léon Moussinac, « Les peintres devant le “sujet” », La Querelle du réalisme, p. 141 (Commune, n° 21, mai 1935).
-
[48]
Voir Fernand Léger, Fonctions de la peinture, Paris, Gonthier, 1955.
-
[49]
Je renvoie à sa notice biographique du Maitron. Mise à jour de Jean-Paul Morel et Nicole Racine (CDRom, L’Atelier, 2e éd. à paraître).
-
[50]
Boris Taslitzky donne les noms de Matisse, Picasso, Léger, Lurçat, Lipchitz, Goerg, Gromaire, Lhote, Pignon, Amblard, Taslitzky (La Nouvelle Critique, n° 70, déc. 1955).
-
[51]
Jean Lurçat, débat du 16 mai 1936, ibid., p. 15.
-
[52]
Amédée Ozenfant, La Querelle du réalisme, p. 158 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 21, mai 1935).
-
[53]
André Lhote, deuxième débat, ibid., p. 96
-
[54]
Fernand Léger, « Le nouveau réalisme continue », second débat, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 74-75. Léger s’interroge de façon prémonitoire dans ce texte sur la concurrence apportée dans le domaine des représentations par le cinéma, la radio, la publicité, « avec ces énormes mécaniques modernes qui vous donnent de l’art vulgarisé à puissance 1000 ».
-
[55]
Fernand Léger, « Le nouveau réalisme continue », ibid., p. 79.
-
[56]
Fernand Léger, ibid., p. 76.
-
[57]
Pascal Ory, La Belle illusion, op. cit., pp. 243-244.
-
[58]
Pascal Ory, ibid., pp. 235-236.
-
[59]
Fernand Léger, « Le nouveau réalisme continue », loc. cit., pp. 76-77.
-
[60]
Le Corbusier, second débat, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 82.
-
[61]
Le Corbusier, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 85.
-
[62]
Ibid., p. 89.
-
[63]
Louis Aragon, « Le réalisme à l’ordre du jour », Commune, n° 37, sept. 1936, p. 28.
-
[64]
Idem, p. 29.
-
[65]
André Lhote, Deuxième débat, op. cit., p. 100.
-
[66]
René Crevel, « Discours aux peintres », (Commune, n° 22, juin 1935), p. 149.
-
[67]
Max Ernst, id., pp. 177-178 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 21, mai 1935).
-
[68]
Fernand Léger, « Couleur dans le monde », Europe, 15 mai 1938, pp. 111-112.
-
[69]
Robert Delaunay, La Querelle du réalisme, op. cit., p. 188 (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 22, juin 1935).
-
[70]
Paul Signac, Réponse à l’enquête « Où va la peinture ? » (Commune, n° 21, mai 1935), id., p. 177.
-
[71]
George Besson, « Paul Signac (Maison de la culture) », Commune, n° 32, avril 1936, pp. 1030-1031.
-
[72]
Louis Aragon, « Réalisme socialiste, réalisme français », Europe, 15 mars 1938. Voir aussi dans Commune sa « Défense du roman français » (janvier 1936). Sur la question du réalisme de Louis Aragon, signalons Suzanne Ravis, « Le réalisme en débat », Europe, n° 683, mars 1986.
-
[73]
Sauf Raoul Dufy qui a déclaré : « L’influence du social sur l’inspiration ? Zéro. Peindre est une fonction naturelle », id., p. 187, (Enquête « Où va la peinture ? », Commune, n° 22, juin 1935).
-
[74]
« “Où va la peinture ?” dit Giacometti, et il répond par un dessin », id., p. 201 (Commune, n° 22, juin 1935).
-
[75]
Élie Faure, « Équivalences 1895-1937 », in Œuvres complètes, t. 3 : Œuvres diverses, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1964, p. 803.