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Article de revue

La guerre des statues. La statuaire publique, un enjeu de violence symbolique : l'exemple des statues de Jeanne d'Arc à Paris entre 1870 et 1914

Pages 263 à 286

Notes

  • [1]
    Cet article est issu d’un mémoire de DEA de Sociologie politique soutenu à l’Université Paris I, en 1998, sous la direction de Philippe Braud.
  • [2]
    Maurice Agulhon, « Imagerie civique et décor urbain dans la France du XIXe siècle » in Histoire Vagabonde I, Paris, Gallimard, 1988, p. 112.
  • [3]
    Les femmes statufiées sont : George Sand, la comtesse de Ségur, Maria Deraismes et Mesdames Hirsch et Boucicaut (réunies en un même monument). Trois projets avortés sont à comptabiliser également : en l’honneur de Louise Michel, de Madame de Staël et de Clémence Royer.
  • [4]
    Si Jeanne d’Arc est oubliée des XVI, XVII et XVIII siècles, les XIX et XX siècles sont l’occasion, en revanche, d’une remémoration active. Au XIX, dès les années 1820, l’historiographie romantique et libérale entreprit de mettre en valeur l’image de cette « fille du peuple » martyre de la nation française, ternie par les interprétations réductrices de La Pucelle de Voltaire ; la Jeanne d’Arc de Michelet fut le couronnement magistral de vingt ans de travail scientifique. Elle est glorifiée tant par les artistes (Ary Scheffer, Ingres, Chapu), les panégyristes, les poètes que les historiens (Michelet, Henri Martin). La figure de Jeanne d’Arc fait partie intégrante du panthéon de la Troisième République.
  • [5]
    Les sources, lacunaires, laisseraient penser que l’inauguration de ces statues ne fut pas l’occasion de grandes cérémonies officielles.
  • [6]
    Charles Blanc, La Sculpture, Paris, éd. Henri Laurens, 1888, p. 6.
  • [7]
    Cette statue est l’unique commande publique de l’État sur la période. Cf. Georges Poisson, « L’Âge d’or de la statuomanie parisienne », L’Estampille, l’Objet d’art, n° 229, oct. 1989, p. 60.
  • [8]
    Cf. Daniel Imbert, « Aux origines du fonds de sculpture du dépôt d’Ivry : la politique de commande de la Ville de Paris dans les débats de la Troisième République », in La Sculpture du XIXe siècle, une mémoire retrouvée, les fonds de sculpture, Rencontres de l’École du Louvre, Paris, La Documentation française, 1986. Dans cet article, l’auteur relate le conflit qui éclata en 1878 entre le préfet de la Seine Hérold et la majorité radicale du conseil municipal à propos du monument de la République.
  • [9]
    La très grande majorité des terrains appartient à la Ville de Paris. Les jardins des Tuileries, des Plantes et du Palais-Royal appartiennent à l’État, qui y place des œuvres d’art plus que des monuments dédiés aux grands hommes, à l’exception du jardin des Plantes. Le jardin du Luxembourg appartient à la questure du Sénat.
  • [10]
    Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris (D.A.C.V.P.) : dossier Jeanne d’Arc Saint-Marcel, lettre signée des habitants du quartier, 16 avril 1890.
  • [11]
    Malheureusement, les archives manquent pour déterminer la date exacte d’érection. La statue a de toute façon été érigée après 1891, date de la lettre de demande au Préfet.
  • [12]
    D.A.C.V.P : dossier Jeanne d’Arc la Chapelle, lettre du 28 août 1891 au préfet de la Seine.
  • [13]
    Maurice Agulhon, « Paris, la traversée d’est en ouest », in Les Lieux de mémoire, Pierre Nora (dir), Paris, N.R.F., Gallimard, 1986, t. 2, La Nation, III, pp. 891-892.
  • [14]
    Cf. Ibid.
  • [15]
    On peut en voir les restes derrière la mairie du XXe arrondissement et la maquette en plâtre au musée d’Orsay.
  • [16]
    Henry Wallon, Jeanne d’Arc d’après les monuments de l’art depuis le XVe siècle jusqu’au XIXe siècle, Rouen, Laurent de Vargas, 1989 (réédition de Firmin-Didot, 1877), p. 530.
  • [17]
    Ibid., p. 532.
  • [18]
    Alain Corbin (dir.), L’Avènement des loisirs, Paris, Aubier, 1995, p. 137.
  • [19]
    Pierre Kjellberg, Le Guide des églises de Paris, Paris, La Bibliothèque des arts, 1970, p. 117.
  • [20]
    Le Monde Illustré, 20 janv. 1900.
  • [21]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc la Chapelle, lettre du 28 août 1891 du curé au préfet de la Seine.
  • [22]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc Saint-Marcel, lettre de Chatrousse à l’inspecteur en chef, 19 mai 1890.
  • [23]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc Saint-Marcel, lettre des habitants du quartier au préfet de la Seine du 2 avril 1890.
  • [24]
    Le comte de Dunois, ou Jean le Bâtard, lieutenant général de la ville d’Orléans, remplace son demi-frère Charles, duc d’Orléans, alors prisonnier.
  • [25]
    Étienne de Vignolles, dit Lahire, est resté dans l’imagerie populaire sous les traits du valet de cœur des jeux de cartes. Personnage violent, prompt à s’enflammer, il est l’un des plus fidèles compagnons de Jeanne.
  • [26]
    Poton de Xaintrailles et Lahire son compagnon sont faits capitaines par Charles VII « pour leur vaillance ». Ils se battent aux côtés de Jeanne contre les ennemis du royaume.
  • [27]
    Le 18 juin 1429, la bataille de Patay est la plus grande victoire remportée par Jeanne. D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc boulevard Saint-Marcel, rapport de l’ingénieur ordinaire du 21 mai 1890.
  • [28]
    Archives Nationales (A.N.) : F1cI 168, délibération du 20 mars 1863.
  • [29]
    Place des Pyramides, place Saint-Augustin et boulevard Saint-Marcel.
  • [30]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc Saint-Augustin, Procès-verbal de la séance du comité des inscriptions parisiennes du 1er août 1899.
  • [31]
    Sur les différentes représentations de Jeanne d’Arc voir le catalogue d’exposition : Jeanne d’Arc, images d’une légende, Rouen. Musée des Beaux-Arts, 1979 et Henry Wallon, Jeanne d’Arc d’après…, op. cit.
  • [32]
    Leurs statues lurent érigées respectivement eu 1889 et en 1906, place Maubert et rue Lamarck.
  • [33]
    Marianne Doezema et June Hargrove, The Public Monument and its Audience, Cleveland, Cleveland Museum of Art, 1977, p. 31.
  • [34]
    « Interrogée devant les juges sur ce qu’elle aimait le mieux porter, de l’étendard ou de l’épée, elle répondit qu’elle aimait quarante fois mieux l’étendard », Sainte-Beuve, Nouvelle galerie de femmes célèbres, Paris, Garnier Frères, 1865, p. 10.
  • [35]
    Pie X commente : « Les yeux levés c’est la prière. L’épée levée, c’est l’action. », cf. Le Monde, 11 mai 1991.
  • [36]
    Cf. Maurice Agulhon, Marianne au pouvoir, l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989, p. 327.
  • [37]
    Joseph Fabre, Le Mois de Jeanne d’Arc, Paris, Armand Colin, 1892, p. 7.
  • [38]
    D.A.C.V.P, dossier Jeanne d’Arc Saint-Augustin, arrêtés du 17 avril 1899 approuvant la délibération du conseil municipal du 10 mars 1899.
  • [39]
    Voir à ce sujet George L. Mosse, L’Image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Editions Abbeville, 1997.
  • [40]
    Le Monde Illustré, 20 janv. 1900.
  • [41]
    On retrouve cette richesse du personnage dans d’autres écrits, notamment Joseph Fabre, Le Mois de Jeanne d’Arc, op. cit., pp. 319-327. À la fois, paysanne, mère, Française, inspirée, patriote, martyre, chrétienne, sainte, patronne, etc.
  • [42]
    Gustave Larroumet, L’Art et l’État en France, Paris, Hachette, 1895, pp. 132-133.
  • [43]
    Le cheval fut tellement critiqué pour sa taille excessive que le sculpteur installa, en secret, une nouvelle statue mieux proportionnée. Cf. à ce sujet l’article de Pierre Angrand, « Une ou deux Jeanne d’Arc sur la place des Pyramides ? », in La Gazette des Beaux-Arts, VI période, 113 année, t. LXXVII, n° 1228-1229. mai-juin 1971. pp. 341-352.
  • [44]
    Sainte-Beuve, Nouvelle galerie de femmes célèbres, op. cit., pp. 6-7.
  • [45]
    Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912, Paris, PUF, [Réed.], p. 328.
  • [46]
    Philippe Braud, L’Émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 131.
  • [47]
    La pluralité des appropriations de la figure de Jeanne d’Arc a déjà été soulignée par Rosemonde Sanson dans « La “fête de Jeanne d’Arc” en 1894. Controverse et célébration », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, n° 20, 1973, pp. 444-463.
  • [48]
    Anthony Smith, « Ethnic myths and ethnic revivals », Archives européennes de sociologie, n° XXV, 1984, p. 295.
  • [49]
    Archives de la Préfecture de Police de Paris (A.P.P.P.) : BA 61, lettre : « Le 30 mai 1431 : Jeanne d’Arc fut brûlée par l’Église comme relapse et hérétique. Le clergé était logique avec lui-même puisque en obéissant à ses voix particulières, Jeanne d’Arc n’écoutait en réalité que sa conscience individuelle, qui lui commandait de sauver la France. C’était une révoltée, croyant en elle-même en dépit des théologiens. »
  • [50]
    A.P.P.P. : BA 61, fête de Jeanne d’Arc, rapport de police du 8 mai 1899.
  • [51]
    Archives de Paris (A.P.) : VM 92(I), rapport du 18 septembre 1909.
  • [52]
    A.P.P.P. : BA 61, rapport du 3 mai 1894.
  • [53]
    Georges Poisson, « La statuaire commémorative parisienne sous le Second Empire », La Gazette des Beaux-Arts, avril 1971. Le projet des républicains radicaux d’ériger une seconde statue place du Château d’Eau (actuelle place de la République) avait échoué.
  • [54]
    Il inspire la jeunesse catholique et organise des manifestations d’étudiants. Il souhaite instaurer une fête de Jeanne d’Arc et créer par là une union nationale. Mais il la place « sous la direction de Celui qui fit Jeanne, qui forma sa foi et Celui qu’on a appelé l’ami des Français, Jésus-Christ », in Rosemonde Sanson, « La “fête de Jeanne d’Arc” en 1894. Controverse et célébration », loc. cit., p. 449.
  • [55]
    A.P.P.P. : BA 61, L’Action, 29 nov. 1904.
  • [56]
    Alors que Jeanne d’Arc est trop souvent vue par les adultes comme un « Grand homme », le caricaturiste utilise l’œil ingénu de l’enfant pour mettre en avant le fait que Jeanne d’Arc est également une femme.
  • [57]
    Sur les dames de la Halle, cf. le chapitre sur la Révolution Française in Christine Faure (dir.), Encyclopédie politique et historique des femmes, Paris, PUF, 1997.
  • [58]
    Cette interprétation est reprise pour expliquer la présence importante des femmes dans les émeutes de la faim d’avant la Révolution française. Cf. Georges Duby et Michelle Perrot (dir.), L’Histoire des femmes, t. III, Paris, Plon, 1991.
  • [59]
    A.P.P.P. : BA 61, article du 25 mai 78, Le Moniteur universel, « Aux femmes de France ».
  • [60]
    Il s’agit d’une caricature de Gill parue dans La Lune Rousse, « La nouvelle mère Angot », 9 juin 1878.
  • [61]
    A.P.P.P. : BA 61, Dépêche télégraphique, 12 et 13 nov. 1898, dépôt de deux couronnes en perles blanches, « Souvenir ».
  • [62]
    Henry Mirande, peintre, graveur, dessinateur est connu pour être un observateur profond et délicat, qui ne se laisse influencer par rien ni par personne. Même s’il a collaboré à des journaux satiriques comme Le Rire ou Fantasio, on peut supposer que cette gravure tente de reproduire la réalité sans la déformer.
  • [63]
    Hubertine Auclert, première « suffragiste », incarne la branche radicale du féminisme de l’époque. Elle se bat pour les droits politiques de la femme et prône un activisme dans l’espace public : autodafé du Code Civil en 1904, invasion de l’Assemblée par une pluie de tracts…
  • [64]
    Mona Ozouf, Les Mots des femmes. Essai sur la singularité française, Paris, Fayard, 1995, p. 206.
  • [65]
    « Voilà ce que Dieu créait au cœur de Jeanne : l’idéal du patriotisme chrétien », RP. Feuillette, Panégyrique de Jeanne d’Arc, Paris, Impr. A. Quelquejeu, 1894, p. 21.
  • [66]
    « Le Messie de la nationalité et l’âme même de la France », in Henri Martin, Jeanne d’Arc, Paris, Furne et Cie édit., 1857, p. 356.
  • [67]
    Jules Michelet, Jeanne d’Arc, Paris, Hachette, 1853, p. 8.
  • [68]
    La Patrie, 16 juill. 1896.
  • [69]
    Le Petit Provençal, 22 avril 1909.
  • [70]
    L’Éclair, 28 nov. 1904.
  • [71]
    RP. Feuillette, Panégyrique de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 21.
  • [72]
    Ibid., p. 65.
  • [73]
    Cf. June Hargrove, La Représentation des grands hommes dans les rues et les places de Paris, Paris, Albin Michel, 1989, p. 259.

1Entre 1870 et 1914, Paris se remplit de statues dédiées à des personnages célèbres : cent cinquante sont érigées, contre vingt-six seulement entre 1815 et 1870. La quête de légitimité de la Troisième République naissante par la glorification des grands personnages de l’histoire de France et la diffusion d’un modèle social méritocratique bourgeois sont autant d’explications de ce phénomène de « statuomanie ». En outre, les travaux d’urbanisme du baron Haussmann ont dégagé des espaces qui rendent possible pareil développement de l’ornementation urbaine. Parmi ces grands citoyens, ces « grands hommes, qui sont presque toujours des hommes » [2] la place réservée aux femmes est tout à fait réduite : sur les cent cinquante statues érigées pendant cette période, huit seulement représentent des femmes célèbres [3]. Quatre d’entre elles sont dédiées à Jeanne d’Arc, phénomène unique dans l’histoire de la statuomanie parisienne.

2Objet d’un culte depuis le début du XIXe siècle [4], Jeanne d’Arc constitue un symbole politique aux multiples facettes, à la fois incarnation de la nation combattante, fille du peuple vertueuse et guerrière, chrétienne passionnée victime de l’Église, dévouée à son roi et trahie par lui. Et sa statue, objet intermédiaire entre l’œuvre d’art et le monument public, constitue un point de cristallisation, un repère signifiant autour duquel vont éclore certains comportements, s’affirmer certaines positions. L’art public se trouve ainsi instrumentalisé au profit de combats politiques.

3L’étude des statues de Jeanne d’Arc permet de saisir un processus, d’amont jusqu’en aval : qui sont les commanditaires des statues, comment s’est opéré le choix du site et de l’esthétique de la statue ? Comment enfin se déroule le processus commémoratif [5] autour de ces statues, c’est-à-dire la construction du sens à travers les diverses cérémonies qui s’organisent autour d’elles ?
Alors que tout s’accordait à faire de Jeanne d’Arc une figure de rassemblement et de consensus, ses statues furent au contraire l’objet de conflits de sens et furent emportées par les déchirements idéologiques de la guerre des deux France. Une autre dimension mérite sans doute d’être mise en lumière : c’est la capacité de projection et d’identification des femmes au personnage de Jeanne d’Arc, identification qui a pu se traduire par un activisme féminin aussi bien collectif qu’individuel.

Jeanne d’Arc, une figure possible du consensus national

La sculpture publique, désengagement de l’État et émergence de l’initiative privée

4La position officielle des gouvernants de l’époque en matière de statuaire publique montre que la statuomanie s’accordait à leurs convictions : diffuser le beau tout en constituant un support didactique efficace - un « moyen puissant d’éducation publique » [6]. Les statues publiques se veulent le relais concret des images des livres d’histoire. Les passants sont invités à s’identifier aux héros de pierre et de bronze qui ponctuent l’espace de leur ville, devenue un panthéon à ciel ouvert.

5On serait donc a priori tenté de penser que l’État républicain, instituteur et proclamateur d’une idéologie nouvelle, aurait gardé l’initiative exclusive des érections de statues. Or, on constate avec surprise que pendant toute la période de statuomanie (1870-1914), l’État n’est l’initiateur direct que d’un seul monument public. Et c’est de Jeanne d’Arc, cette femme hors du commun, dont il s’agit [7]. Œuvre du sculpteur Frémiet, première érection publique après la Commune, la statue est inaugurée le 20 février 1874, place des Pyramides. Cependant, si l’État n’a pas l’initiative directe des projets monumentaux, il intervient néanmoins au moyen de subventions et par l’intermédiaire de ses représentants, membres des comités privés qui ont l’initiative des projets. Une statue publique peut également s’intégrer à la politique d’achat d’œuvres d’art menée par l’État et par la Ville de Paris. Ainsi, la statue de Jeanne d’Arc, érigée place Saint-Augustin, est achetée par l’administration des Beaux-Arts au Salon des Artistes Français en 1895. Le ministre de l’Instruction Publique, des Cultes et des Beaux-Arts, Émile Combes, la donne en dépôt à la Ville de Paris. Celle-ci acquiert également la statue de Jeanne d’Arc érigée boulevard Saint-Marcel, au Salon de 1888.

6Une convergence apparaît donc nettement entre les différents acteurs publics participant à l’érection des statues de Jeanne d’Arc, comme si cette figure symbolique, incarnation de la résistance à l’étranger, faisait l’unanimité. Jeanne, symbole de la patrie et du patriotisme, constitue une figure unificatrice utile dans le cadre de la construction de la nation après la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace et de la Moselle. Pourtant, la Ville de Paris, de majorité radicale jusqu’en 1900, aurait pu se tourner exclusivement vers des figures plus représentatives de sa tendance politique, comme les philosophes des Lumières. C’est que Jeanne d’Arc demeure un symbole républicain, non encore accaparé par la droite nationaliste et catholique. Loin d’opposer l’État et le conseil municipal, comme ce fut le cas au sujet du monument de la place de la République [8], Jeanne d’Arc constitue au contraire une figure fédératrice. À tel point que l’on constate une sorte d’émulation entre les pouvoirs publics : l’État érige sa première statue, place des Pyramides ; la Ville de Paris inaugure la sienne boulevard Saint-Marcel en 1891 ; l’État surenchérit et en érige une troisième place Saint-Augustin, en 1900, avec l’accord de la Ville.
L’État ayant eu l’initiative directe d’une seule statue, la statuomanie s’explique par le développement de l’initiative privée. La procédure est la suivante : des comités de Parisiens se constituent, ouvrent une souscription publique et demandent un site au conseil municipal [9]. Si la statue de Jeanne d’Arc, boulevard Saint-Marcel, est érigée par la Ville de Paris c’est à la demande des habitants du quartier [10]. Pour celle de la rue de la Chapelle [11], le curé de la paroisse Saint-Denys-de-la-Chapelle s’est joint aux résidents du quartier. Ils en réfèrent à leur « devoir du souvenir et de la reconnaissance » [12]. Remplaçant les calvaires ou autres emblèmes religieux dans un espace public progressivement laïcisé, ces statues participent localement à la diffusion des valeurs patriotiques. Repères de quartier, elles contribuent à recréer la centralité propre au village, dans un espace urbain où le développement des grandes voies de circulation rend la ville anonyme.

Esthétique et didactisme : le consensus à l’épreuve

7Les statues de Jeanne d’Arc ont une fonction publique et solennelle : elles sont toutes érigées dans l’espace public de circulation : sur des places (celle des Pyramides) ou sur des artères importantes (Saint-Augustin, Saint-Marcel et La Chapelle) à la différence des autres statues de femmes qui sont toutes placées dans des jardins publics, lieux plus intimistes. La statue sur son socle crée une centralité et libère un espace disponible pour une multiplicité de comportements. Le site est souvent proche d’un lieu où la personne statufiée a vécu ou bien est passée, ce qui en amplifie la portée symbolique.

8La première statue de Jeanne d’Arc, élevée place des Pyramides, est également la plus centrale. Sur l’artère qui relie la place de la Concorde - où se dresse la statue de Strasbourg, « point de ralliement naturel du patriotisme revendicateur » [13] après la défaite de 1871 - au Louvre, face aux Tuileries, proche du Palais-Royal, cet espace stratégique est fortement marqué du sceau de l’État. Jeanne d’Arc serait en quelque sorte le pendant étatique de la statue de la République (érigée par la Ville de Paris) et le monument symboliquement le plus central de la France [14]. Le monument en l’honneur de Gambetta [15], qui avait galvanisé la Défense nationale et favorisé la fondation de la République, est dressé devant le Carrousel quelques années plus tard, renforçant la symbolique étatique du lieu. La place des Pyramides est un espace bien adapté aux proportions de la statue, elle permet l’intimité nécessaire au rituel du rassemblement. Ou mieux, la statue a été modelée aux dimensions de la place puisqu’il s’agit d’une commande publique. Aurait-on pu la placer sur la place de la Concorde comme on pensa le faire pour le monument de la place de la République ? Il aurait fallu alors commander un monument gigantesque et déboulonner l’obélisque, effort qui ne fut pas envisagé. En ce sens, la statue de la place des Pyramides n’a pas la grandiloquence des monuments des places de la République et de la Nation. En bronze doré, elle apparaît davantage comme un joyau bien dimensionné à son écrin (Ill. 1). Il faut imaginer au moment de son érection « le contraste de ce monument triomphal et des Tuileries en ruines [qui] donnait à cette statue une puissance d’expression tout à fait imprévue. Devant elle les fronts s’inclinaient, les couronnes s’entassaient jusqu’à menacer de la recouvrir et les soldats de la République rendaient les honneurs militaires à l’étendard fleurdelisé » [16]. Jeanne d’Arc apparaissait alors « comme un gage de salut de la nationalité française » [17].

ill. 1
ill. 1

9Plus au nord, la statue de Jeanne d’Arc place Saint-Augustin, au croisement du boulevard Malesherbes et du boulevard Haussmann est érigée en 1900. Au cœur du quartier des grands boulevards, parsemés de cafés - le Grand Café, le café Anglais, le café de la Paix - où l’on s’adonne aux « consommations de loisirs - thé, café, tabac » [18], elle est placée devant l’imposante église « d’inspiration byzantine, bâtie de 1860 à 1871 par l’architecte des Halles, Victor Baltard » [19], au centre de la place. Le site - dans un quartier bourgeois et offrant une large perspective - est apprécié des contemporains : « On ne pouvait choisir un emplacement plus noble, plus clair, plus parfait. » [20] Si la statue des Pyramides apparaît comme résolument laïque, celle-ci, placée devant une église insiste davantage sur le caractère religieux de la figure de Jeanne d’Arc.

10La statue élevée rue de la Chapelle, au nord de Paris, est également placée devant une église : Saint-Denys-de-la-Chapelle. Accolée à la façade, elle s’apparente aux statues de saintes qui ornent traditionnellement l’intérieur des églises et en constitue le pendant public. Reflète-t-elle la laïcisation de l’espace public ou au contraire le débordement de l’espace religieux dans l’espace urbain laïc ? Au-delà du fait que, dans le quartier, le toponyme « la chapelle » est décliné sous différentes formes (rue, boulevard, place), renforçant ainsi la centralité de l’église et donc la fonction de repère local de la statue, Jeanne d’Arc est réellement venue ici. « Jeanne d’Arc faisant le siège de Paris fut blessée le 8 septembre 1429 à la porte Saint-Honoré. Ramenée de force à la Chapelle où campait son armée, elle y passa la nuit, probablement dans l’église même. » [21] Ce lien historique entre la place des Pyramides et l’église de la Chapelle donne une cohérence à ces statues éparses et contribue à tisser un réseau entre elles.

11La dernière des statues de Jeanne d’Arc constitue également un repère de quartier. Au sud de Paris, elle fait pendant à la précédente. Au site devant l’église, place Jeanne-d’Arc, on préféra en définitive - les raisons invoquées étant esthétiques [22] - un espace moins marqué du sceau de l’Église. Son emplacement, proposé par les habitants du quartier, donne sens à un carrefour entre la rue Jeanne-d’Arc, la rue Duméril et le boulevard Saint-Marcel, ainsi qu’entre deux aires géographiques, les Ve et XIIIe arrondissements. Le boulevard Saint-Marcel est en effet à cette époque un axe stratégique « où la circulation est considérable et qui se trouve à chaque instant sillonné par la ligne principale des tramways allant de l’Étoile à la Bastille en passant par la gare d’Orléans » [23]. La statue ponctue l’axe qui relie la place Denfert-Rochereau - ornée du Lion de Belfort, elle porte un nom qui rappelle la défense héroïque de la ville pendant la guerre franco-prussienne - et la place de la Bastille où trône la colonne de la Liberté. Paris est ainsi ponctué par ces statues dont le sens renvoie l’une à l’autre. Lieu de passage anonyme, la ville devient un lieu d’instruction et d’échange.

12À la différence des statues de la Chapelle et des Pyramides, Jeanne d’Arc n’est probablement jamais venue ici, mais la toponymie du quartier appelait une statue. De nombreuses voies aux alentours portent en effet des « noms de personnages ou de faits rappelant cette époque de notre histoire : rue Jeanne-d’Arc, rue de Domrémy. rue Dunois [24], rue Lahire [25], rue Xaintrailles [26] rue de Patay » [27]. Ces dénominations de rues furent décidées sous le Second Empire [28] et témoignent ainsi de la persistance du culte de Jeanne au XIXe siècle, quels que soient les régimes politiques.

13Les quatre statues de Jeanne d’Arc ont donc une fonction publique, soit locale, soit nationale. Bien sûr, leurs sites n’ont pas l’ampleur des places de la Concorde, de la Bastille ou de la République, mais pour placer Jeanne d’Arc sur une place aussi vaste que celles-ci, il aurait fallu produire un monument de plus grande envergure et agrémenté d’allégories multiples. Or, à l’exception de la statue des Pyramides pour laquelle nous avons tenté d’expliquer les raisons du choix du site, les trois autres statues étant des œuvres d’art converties en monuments publics, leur taille imposée nécessitait de trouver des lieux à leurs dimensions. De plus, on peut aisément supposer que Jeanne d’Arc, femme réelle et pieuse, aurait été bien mal entourée d’allégories de la Victoire ou de la République, figurées par des femmes ou pire par des hommes à demi dénudés…

14Les statues de la Pucelle ne constituent pas moins des repères signifiants et sont mises en valeur par des sites caractérisés par leur visibilité, si on les compare aux autres statues de femmes moins « publiques ». Elles doivent être vues afin de diffuser le message patriotique dont elles sont porteuses. Les deux statues érigées à l’instigation de l’État sont placées dans le centre de Paris, marqué par la concentration de monuments et de lieux étatiques : les Tuileries, le Louvre, le Palais-Royal, l’Opéra Garnier. L’une - celle des Pyramides - serait plus laïque que l’autre - celle de la place Saint-Augustin -, présentant ainsi deux acceptions du personnage. Les deux restantes s’inscrivent dans des quartiers populaires périphériques et participent à leur désenclavement, celle de Saint-Marcel étant également plus laïque que celle de la Chapelle. Trois d’entre elles [29], les plus importantes symboliquement, sont érigées sur les voies nouvelles créées par Haussmann, vérifiant ainsi leur fonction d’ornementation et de marquage idéologique de l’espace urbain.
L’analyse des choix esthétiques faits par l’artiste et les significations qui s’en dégagent - l’étude du socle de la statue, des inscriptions dédicatoires, du matériau utilisé, de sa posture globale et de son expression - semble vérifier l’hypothèse d’unanimité autour des statues de la Pucelle.
Le socle est souvent porteur de formules explicatives : le nom de la statufiée, ses dates de naissance et de mort, parfois le nom des commanditaires, à l’image des dédicaces romaines, ou encore des citations. Ces commentaires accroissent la lisibilité de la statue et orientent la réceptivité du public. Parmi les statues de femmes célèbres, seul le socle de la Jeanne d’Arc de la place Saint-Augustin (Ill. 2) comporte des inscriptions explicatives et des citations, celui de la statue des Pyramides mentionne uniquement son nom « Jeanne d’Arc », celui de Saint-Marcel y ajoute ses dates de naissance et de mort. Enfin, le socle de la Chapelle ne comporte aucune inscription, cas unique qui révèle la fonction polyvalente de la statue : esthétique et/ou didactique.

ill. 2
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15

Jeanne d’Arc (1412-1431) à l’âge de dix-sept ans entreprend de chasser les ennemis hors de France. Elle fait lever le siège d’Orléans, détruit l’armée anglaise à Patay, conduit Charles VII à Reims et le fait sacrer roi. Blessée en voulant délivrer Paris, elle est prise devant Compiègne et brûlée vive par les Anglais à Rouen. Elle avait dix-neuf ans.

16Cette première version de l’inscription sur le socle de la statue de la place Saint-Augustin dramatise la mort prématurée de la jeune Jeanne et accuse directement les Anglais. Une version épurée, moins polémique, fut préférée par le comité des inscriptions parisiennes [30] : Jeanne d’Arc devait figurer la résistance mais non l’agression :

17

À Jeanne d’Arc/Libératrice de la France/née à Domrémy/Le 6 janvier 1412/Brûlée vive à Rouen/Le 30 mai 1431.

18Ici figure de consensus, Jeanne n’est brûlée par personne en particulier, seul le lieu de son supplice est mentionné. Cette neutralité de la formule lui permet également d’être réinvestie par différents groupes idéologiques. L’énumération de ses actions contre les Anglais est abandonnée au profit de l’image principale et consensuelle qu’exprime la statue : Jeanne est avant tout « Libératrice de la France ». La mention de son lieu de naissance, en Lorraine, est évidemment significative après la perte des provinces de l’Est. La neutralité de la face antérieure est cependant compensée par les faces latérales qui comportent des citations tirées de paroles et d’écrits de Jeanne et hostiles aux Anglais. Ainsi lit-on sur la première face :

19

Je disais seulement : « Entrez hardiment parmi les Anglais et j’y entrais moi-même » (Procès de condamnation) — Je suis venue ici pour vous bouter hors de toute France, et n’ayez pas en votre opinion que vous tiendrez jamais le Royaume de France.
(Lettre aux Anglais)

20En revanche, la seconde face montre la charité toute féminine de la jeune fille et en complète ainsi le portrait.

21

Lors elle dit que jamais n’avait vu sang de Français que les cheveux ne lui levassent sur la teste (Procès de réhabilitation) - Mais venaient les pauvres gens volontiers à elle parce qu’elle ne leur faisait pas de déplaisir et plutôt les aidait de tout son pouvoir.
(Procès de condamnation)

22De par ses inscriptions, seule la Jeanne d’Arc de la place Saint-Augustin semble révéler une volonté didactique, conformément à la politique éducative de l’État républicain. Les autres n’en sont cependant pas moins lisibles, Jeanne d’Arc étant une figure phare des manuels scolaires et ayant fait l’objet d’un culte tout au long du siècle.

23Voyons maintenant comment Jeanne est représentée. Une multiplicité de facettes était mobilisable : on aurait pu la représenter en sainte, priant, écoutant les voix du ciel, à genoux, vêtue d’une simple tunique, enfermée dans sa prison ou comparaissant devant ses juges [31]. On aurait pu également la figurer en femme martyre, sur le bûcher, comme le sont Étienne Dolet et le chevalier de la Barre [32], pour signifier qu’elle avait été brûlée par l’Église comme hérétique et relapse ou par les Anglais.

24Mais elle était d’abord considérée comme le symbole de la défense nationale : on la représenta donc, à quatre reprises, armée, à cheval ou en pied, mais toujours en armure, portant éperons, épée et étendard. Ces éléments purement masculins renforcent l’ambivalence du personnage : c’est moins la femme qui est représentée que l’allégorie de la résistance à l’agresseur, dimension du personnage qui peut faire l’unanimité. Les deux statues les plus prestigieuses de Jeanne d’Arc sont équestres alors que les autres sont en pied. Longtemps utilisé pour véhiculer l’image du pouvoir royal et de la prouesse militaire, « au XIXe siècle, le monument équestre devint un moyen d’inculquer à l’opinion l’aura caractéristique des meneurs des causes nationalistes » [33]. Aussi ces deux statues de Jeanne d’Arc signifient-elles la force et la détermination du personnage : juchée sur un cheval, Jeanne n’en paraît que plus puissante.
La qualité esthétique des monuments varie avec le statut du commanditaire. La statue de Frémiet, commandée par l’État, prime sur toutes les autres qui sont des œuvres d’art reconverties en statues publiques. Elle est en bronze doré, cas rare au sein du peuple des statues de la capitale. Elle brandit son étendard avec force [34] quand celles de la Chapelle (Ill. 3) et du boulevard Saint-Marcel (Ill. 4) se contentent de le faire reposer sur l’épaule. La statue de la place Saint-Augustin est la seule à dresser son épée, symbole, ici, du bras armé de Dieu. Enfin, seule la statue de la Chapelle est en marbre, matériau moins précis, moins cher et moins prestigieux que le bronze.

ill. 3
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ill. 4
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25Jeanne d’Arc est-elle représentée comme une femme ? Si l’armure enserre son buste dans un moule rigide, sa coiffure pouvait lui conférer une touche de féminité. Seule la statue de Frémiet lui accorde une queue-de-cheval surmontée d’une couronne de laurier, signe de victoire. Les statues de la Chapelle et de Saint-Marcel la dotent de cheveux mi-longs, coiffure à l’époque adoptée par les hommes, et celle de Saint-Augustin porte un casque qui masque toute chevelure.

26Derniers éléments : le visage et le regard. La statue de la place des Pyramides regarde droit devant elle, l’air déterminé, dégageant une impression de force incomparable, alors que celle de la place Saint-Augustin regarde vers le ciel d’un air inspiré tout en brandissant son épée [35], en accord avec le site devant l’église. Les traits de leur visage sont assez fins, exprimant la fragilité d’un enfant. Les deux ont les jambes tendues ce qui confère à l’ensemble du corps une forme triangulaire qui domine le cheval. Le visage de la Jeanne d’Arc de la Chapelle est moins expressif à cause du matériau utilisé. Elle regarde droit devant elle, comme celle de Saint-Marcel.

27Jeanne d’Arc est toujours représentée en guerrière, portant les armes mais avec la taille d’une femme, telle une amazone. Elle n’est pas un homme, mais pas non plus une femme. Symbole de la patrie, elle échapperait aux catégories sexuées. L’image de cette femme est instrumentalisée au profit de valeurs politiques fédératrices. Jeanne d’Arc peut, en ce sens, être rapprochée d’une Marianne ou d’une République. Il s’agit alors de savoir si Jeanne d’Arc demeure en dehors des catégories sexuées ou si elle condense en elle plusieurs éléments : la femme, la guerrière, la sainte et l’allégorie. Alors que Marianne, au corps à demi dénudé et stéréotypé, au visage impassible, est une allégorie n’appartenant à aucune histoire réelle, Jeanne d’Arc renferme différentes facettes qu’elle subsume mais représente toutes à la fois. Elles sont toutes deux des femmes du peuple mais Jeanne a sur Marianne l’avantage d’avoir existé [36]. Elle est un acteur au cœur même de l’histoire de France, auquel on peut s’identifier. Jeanne fut inspirée par Dieu, pour certains, alors que Marianne est délibérément laïque. Elle est vivante dans l’imaginaire collectif alors que Marianne demeure un symbole dont l’histoire est récente. C’est à partir de l’histoire vécue de Jeanne d’Arc que l’on a pu en faire un symbole de patriotisme alors que Marianne a été surimposée pour incarner la République. Marianne représente une femme alors que Jeanne d’Arc est une femme indiscutablement, même si elle incarne des valeurs abstraites. Jeanne d’Arc était d’ailleurs appréciée des contemporains parce qu’au-delà de son caractère mythique et inspiré, elle n’en demeurait pas moins un être humain, pouvant servir d’exemple à tous : « C’est que l’exemple de Jeanne d’Arc est à la portée de tous, puisqu’elle n’a employé que des moyens humains pour triompher des obstacles qui s’opposaient à la réussite de ses projets. » [37] Elle apparaît comme une figure qui servirait d’intermédiaire entre des valeurs nobles, abstraites et le commun des mortels. Elle semble pour cette raison plus accessible, plus saisissable que Marianne.

28En dépit de ces représentations asexuées de Jeanne d’Arc, la richesse du personnage, oscillant entre allégorie et héroïne réelle, fait que la perception qu’en ont les contemporains est beaucoup plus contrastée. Il apparaît que Jeanne d’Arc est un personnage pluriel, aux caractéristiques parfois contradictoires.

29Ainsi lit-on à propos de la statue de la place Saint-Augustin : « C’est qu’elle est superbement idéale et en même temps virile la Jeanne de Paul Dubois […] la mâle attitude sous la lourde cuirasse. […] Dubois a exprimé “l’âme même de la France”. » [38] Le conseiller municipal amalgame l’idéal patriotique de la nation et la virilité masculine [39]. Ce jugement relève davantage d’une projection car le corps frêle de Jeanne n’est pas particulièrement viril. Mais on écrit également que la Pucelle est une « jeune Lorraine de dix-sept ans, qui eut la pureté du lys, le dévouement d’une femme, la flamme guerrière et en qui s’éveilla le cœur défaillant d’une grande nation !» [40] Ainsi, coexistent en elle la vertu féminine par excellence, le dévouement, et la vertu masculine majeure, la force [41].

30Le directeur des Beaux-Arts, Gustave Larroumet préfère la statue de Dubois à celle de Frémiet [42]. Il tente cependant d’en donner une interprétation plus heureuse : le cheval, tant critiqué pour sa lourdeur dès l’inauguration [43], serait l’allégorie de la France. « Nécessairement la France est colossale et Jeanne est réduite aux proportions humaines. » La Jeanne de Frémiet est en effet davantage allégorique : située au centre de Paris, le bronze doré lui donne un caractère irréel, la simplicité du socle renforce sa majesté, la couronne de laurier est le pendant laïc de l’auréole des saints.
Jeanne d’Arc est, en définitive, un être à part : ni homme ni femme, elle condense en elle des éléments multiples, mobilisables selon les orientations politiques. Ses statues produisent une figure d’une relative uniformité. Cette base minimale permet à chacun de s’y identifier, par-delà les divergences d’opinion si fortes à l’époque : Sainte-Beuve voit en elle une femme hallucinée [44] ; d’autres y voient l’âme de la France ; Joseph Fabre en fait la « Sainte de la République ».

Les processus commémoratif : des identifications multiples

31Si les statues de Jeanne d’Arc tentent de produire une image consensuelle et fédératrice de l’héroïne, le processus commémoratif enclenché dès l’issue de l’inauguration la détourne de sa fonction première. D’une part, les effigies de la Pucelle deviennent des lieux de manifestations et d’affrontements entre monarchistes, nationalistes et républicains, dans le cadre de la guerre des deux France. D’autre part, ce qui demeure moins connu, la figure de Jeanne d’Arc engendre une mobilisation collective et individuelle des femmes et participe à l’affirmation de différentes identités féminines.

Modalités conflictuelles de la commémoration

32On peut mesurer le degré de réceptivité du public par les manifestations et les discours qui s’organisent autour de la statue. Les comportements qu’elle engendre, le rituel qui s’organise autour d’elle sous forme de discours, de défilés, de dépôts de couronnes ou de drapeaux, l’apparentent à un objet sacralisé dans la mesure où « le caractère sacré que revêt une chose n’est […] pas impliqué dans les propriétés intrinsèques de celle-ci : il y est surajouté » [45]. Narcissique, la communauté se glorifie elle-même à travers la statue. Elle met en scène un « groupe qui éprouve la nécessité de redire collectivement quelque chose sur lui-même » [46]. La statue constitue un repère identitaire structurant, un écran sur lequel se projettent des sentiments collectifs et des modèles de société opposés. Les statues de Jeanne d’Arc deviennent des pôles magnétiques de convergence, capteurs de violence symbolique qui peuvent rapidement engendrer de la violence physique. Dans le contexte de la difficile instauration de la République, la statue cristallise les oppositions politiques et leur permet de s’exprimer sur un mode euphémisé. Alors que la figure de Jeanne d’Arc avait été mobilisée pour incarner la France, unie contre l’ennemi extérieur, elle est prise comme cible et disputée comme un enjeu dans la « guerre des deux France » entre monarchistes, catholiques, nationalistes et républicains radicaux. La statue est donc détournée de sa fonction première, puisqu’elle cristallise finalement les conflits intérieurs de la France.

33Si, jusqu’aux années 1870, Jeanne d’Arc, aux côtés de Marianne, fut intégralement républicaine, à partir des années 1880 sa figure tend à devenir ambiguë, ou mieux : plurielle. En effet, ce fut à partir des années 1880 que le sentiment « patriotique » cessa d’être exclusivement attaché à l’idéologie républicaine pour devenir un des traits constitutifs de la droite catholique et « nationaliste ». L’association nouvelle du patriotisme et de la religion conduisit à l’émergence, à côté de la Jeanne brûlée par l’Église, d’une Jeanne pieuse, symbole du catholicisme français.

34Tous, alors reconnaissent la prégnance de cette incarnation de la nation française, mais chacun y voit un symbole de sa propre conception de la nation [47]. D’un côté, les monarchistes cléricaux font remonter la naissance de la France à Clovis pour recomposer la continuité monarchique brisée par la Révolution, c’est ce qu’Anthony Smith appelle le mythe de restauration [48]. Jeanne d’Arc, la fille de l’Église, dévouée au roi, est brûlée par l’étranger, figure qui s’incarne dans celle du « Prussien », injure récurrente qui condense toute leur haine et leur déception. De l’autre, les républicains se rattachent au mythe de rénovation, voulant signifier la rupture avec les temps aristocratiques et cléricaux. Ils font de Jeanne d’Arc une libre-penseuse, victime de l’Église. Ils adaptent la tradition pour qu’elle soit compatible avec la modernité et présentent Jeanne d’Arc comme un esprit indépendant qui a préparé l’œuvre de la Révolution en combattant pour l’unité française [49].

35Ces différentes conceptions de la nation se manifestent notamment lors des rassemblements autour des statues de la Pucelle. Le déroulement festif se compose de défilés, de manifestations annoncés la veille dans les journaux, d’appels au combat par articles interposés. Un itinéraire précis permet de passer par différents lieux symboliques, avant de se rendre à la statue des Pyramides. Pour les monarchistes et les nationalistes, une messe est souvent organisée à Notre-Dame avant le rassemblement. Ils se retrouvent devant la statue de la ville de Strasbourg, place de la Concorde, ou devant le monument à Gambetta, avant de se rendre place des Pyramides. Les autres statues ont une fonction de relais périphérique. Les sections nationalistes ou républicaines de quartiers se rassemblent devant l’une d’elles avant de rejoindre les autres sections autour de la statue de la place des Pyramides. Dans les deux camps, les festivités s’achèvent en général par un banquet. À la différence de la messe ou du banquet qui sont des réunions partisanes à caractère privé, l’espace autour de la statue est l’occasion d’un rassemblement public. S’y retrouver est un acte politique qui marque la volonté d’investir un lieu ouvert, accessible à tous mais convoité par le camp adverse. Alors que la messe ou le banquet font figure de camp retranché, la place des Pyramides devient un espace disputé par chacun des camps.

36Pour empêcher que le site de la statue ne s’apparente à un champ de bataille, la police veille. Le préfet de police contraint les opposants à adopter un mode commémoratif euphémisé et édulcoré. Par voie de conséquence, une violence symbolique explosive se retrouve dans les diverses offrandes déposées aux pieds de la statue et les rares cris lancés ont une puissante charge performative. Ces modalités de la commémoration condensent une violence physique potentielle.

37Les moindres détails de la cérémonie sont contrôlés. Seul le drapeau tricolore est autorisé. Afin de contourner cette uniformisation forcée, les groupes catholiques utilisent des drapeaux tricolores ornés d’inscriptions évocatrices. Ils y ajoutent un cœur, un écusson ou une fleur de lys. Les républicains, eux, conservent le drapeau national. Les drapeaux sont dépliés devant la statue et souvent accrochés dessus. On distribue également des petits drapeaux pour accrocher à la boutonnière, ce qui constitue une forme personnalisée d’hommage [50].

38L’offrande la plus utilisée est cependant la couronne de fleurs, naturelles ou artificielles, tricolores ou blanches. Au-delà de leur couleur qui n’est pas anodine, ce sont surtout les inscriptions qui peuvent constituer une agression pour le parti adverse. C’est là, en ces quelques mots, que se joue le sens de tout le processus commémoratif : une formule condense un modèle de société. Affubler, par exemple, la statue d’inscriptions délibérément républicaines fait violence au parti monarchiste. Les fleurs sont rapidement enlevées par les gardiens de la paix à la grande déception des manifestants qui envoient force lettres au conseil municipal pour protester contre cet acte sacrilège. La cause en est que les fleurs « menacent la sécurité publique. » [51]
Cette violence symbolique débouche facilement sur une violence physique. Ainsi, un rapport de police raconte qu’en 1884, « une délégation d’une cinquantaine de personnes dépose trois couronnes sans prononcer un seul mot. À ce moment, un certain nombre d’étudiants catholiques qui étaient disséminés un peu partout, froissés par l’inscription d’une des couronnes : “À Jeanne d’Arc hérétique et relapse, abandonnée de la royauté, brûlée par l’Église”, se sont groupés très rapidement et se sont rués sur les couronnes pour briser l’inscription » [52]. La bagarre est interrompue par l’intervention des gardiens de la paix.
L’autre élément déterminant dans le déclenchement des mouvements de foule est le poids symbolique de la parole. Les cris unissent la foule. Seules certaines expressions sont autorisées - « Vive la République », « Vive la France » et « Vive Jeanne d’Arc » - et enfreindre ce code provoque instantanément des réactions du parti adverse, bien sûr, mais également des gardiens de la paix. Les « Vive l’Armée » ou « Vive le Christ », sont interdits ; les « À bas la calotte » ou « À bas les Juifs » réprimandés. Les discours sont surveillés et donc très courts, quand ils ne sont pas totalement absents. Cette économie du silence accroît la tension qui règne dans ces rassemblements commémoratifs.

La guerre des deux France

39Les stratégies d’affrontement varient d’un camp à l’autre. Dans l’ensemble, les monarchistes sont offensifs sur le terrain alors que les républicains réagissent davantage par l’intermédiaire de la presse.

40Le 30 mai 1878, devaient être célébrés le centenaire de la mort de Voltaire et la commémoration du supplice de Jeanne d’Arc, autour de leurs effigies. Une statue du philosophe avait en effet été érigée square Monge en 1872 par un comité formé sous le Second Empire [53]. Tous les opposants de Voltaire se retrouvèrent autour de Jeanne d’Arc. Cette opposition entre les défenseurs de Voltaire et ceux de Jeanne d’Arc range de fait l’héroïne dans le camp des conservateurs, alors que la statue de la place des Pyramides a été originellement érigée à l’instigation des républicains. Ce conflit enclenche le processus d’accaparement de Jeanne d’Arc par les monarchistes et les catholiques.

41En 1896, les positions se durcissent. Avec l’Affaire - Dreyfus est condamné en décembre 1894, « J’accuse » date de l’hiver 1898 -, les manifestations ne se limitent plus à un simple dépôt de couronnes. L’appel au combat est lancé : différents journaux radicaux ou socialistes, notamment L’Intransigeant et Le Radical publient dans leurs numéros des 24, 26 et 31 mai :

42

À Jeanne d’Arc, le comité central des groupes républicains démocrates socialistes, désireux de rétablir la vérité historique et de protester contre les menees cléricales déposera aux pieds de la statue de Jeanne d’Arc, place des Pyramides, dimanche 31 mai à 4 heures une couronne avec cette inscription : À Jeanne d’Arc abandonnée par la royauté et brûlée par l’Église comme hérétique et relapse.

43L’abbé Garnier [54] riposte dans Le Peuple Français et, pour la première fois, lance un appel explicite à la lutte physique :

44

On compte bien que les catholiques relèveront l’insulte qui leur est faite ; on espère que la « Jeunesse Parisienne » si brutalement provoquée ripostera. Alors ? Alors on se battra dimanche prochain autour de la statue de Jeanne d’Arc.

45Cet appel à la violence ouverte est un échec : les socialistes ne viennent pas au rendez-vous où cinq cents personnes les attendent.

46À partir de 1896, deux autres statues de Jeanne d’Arc entrent dans le jeu. Celle du boulevard Saint-Marcel est l’objet de célébrations par les républicains et par les catholiques, alternativement, mais sans affrontements réels. À la différence de celle des Pyramides, cette statue « périphérique » ne constitue pas un enjeu disputé par les différentes factions. Elle joue davantage un rôle de repère identitaire pour chacune des factions, un lieu de recueillement d’une minorité de militants avant l’affrontement public, place des Pyramides. En revanche, la statue de la Chapelle est exclusivement fréquentée par les catholiques. Le curé y célèbre une messe dans l’église, puis, tous se rassemblent autour de la statue, quand la police l’autorise. À partir de 1900, la statue de la place Saint-Augustin entre à son tour en scène et constitue une étape intermédiaire pour les catholiques et les nationalistes avant de se rendre place des Pyramides.

47Entre 1904 et 1909, l’affaire Thalamas, qui oppose deux factions rivales, donne un nouveau souffle aux commémorations et met en avant l’activisme de la jeunesse. Thalamas, professeur au lycée Condorcet à Paris, en corrigeant une copie note en marge que les visions de Jeanne d’Arc relèvent de l’hallucination. Cette interprétation toute contemporaine fait de Jeanne d’Arc une simple femme, souffrant d’un mal médicalement explicable et non plus une sainte inspirée de Dieu. Elle concentre ainsi le débat autour des spécificités féminines, l’hallucination et l’hystérie étant alors considérées le plus souvent comme des maux propres aux femmes. Contre cette interprétation, les élèves et les parents d’élèves de sa classe protestent auprès du ministère. Le 23 novembre, des activistes de la section Jeunesse de l’Action française manifestent contre le professeur ; cet événement est suivi, quelques jours plus tard, d’une contre-manifestation organisée par les « Jeunesses laïques ». Pour la première fois, les deux groupes se retrouvent face à face. « Côte à côte, deux colonnes distinctes, groupés autour d’insignes improvisés, les manifestants et les contre-manifestants vont d’une allure parallèle vers la statue des Pyramides. » [55] Une violence symbolique explosive se loge dans des chants : L’Internationale, pour les uns et des hymnes laudatifs, pour les autres. Enfin des cris et des menaces s’échangent : c’est l’affrontement. Les agents chargent et dispersent la foule. La tentative républicaine de faire de la Pucelle un symbole fédérateur du patriotisme a décidément échoué.

Un activisme féminin inattendu

48Si les républicains et les monarchistes sont des acteurs prévisibles, compte tenu du contexte politique de la France et de la politisation de la figure de Jeanne d’Arc, une autre catégorie d’acteurs est également très présente lors des actes de « dévotion » rendus à la Pucelle : il s’agit des femmes catholiques et conservatrices, d’une part, et de quelques féministes, d’autre part. Jeanne d’Arc apparaît alors comme un modèle de vertu, mais aussi comme une femme, évidence oubliée qu’une illustration de l’époque fait ressortir (Ill. 5)[56].

ill. 5

Dessin humoristique mettant en valeur l’ambiguïté de la figure de Jeanne d’Arc : femme ou grand homme ?

ill. 5

Dessin humoristique mettant en valeur l’ambiguïté de la figure de Jeanne d’Arc : femme ou grand homme ?

Source : BHVP, Actualités, Le Monde Illustré, 4 avril 1874.

49Les catholiques conservatrices représentent un type d’action féminin qui tranche avec celui des libres penseuses, franc-maçonnes et républicaines qu’incarnent Maria Deraismes ou Hubertine Auclert. Jeanne, l’envoyée de Dieu, suscite le rassemblement et l’action collective des femmes pieuses. La duchesse de Chevreuse lance une offensive contre Voltaire en 1878 et y associe les dames de la Halle, catholiques et conservatrices [57].

50Une souscription est ouverte par « les Femmes de France ». Elles lancent un appel à toutes les femmes du pays, les invitent à envoyer des couronnes de fleurs pour en « recouvrir » la statue de la place des Pyramides et pour élever un monument à Jeanne d’Arc dans son village natal. Le 30 mai 1878, les femmes sont présentes autour de la statue quand on leur interdit d’y déposer des fleurs : plusieurs se retirent en menaçant de porter leur réclamation auprès du conseil d’État. Un article du Journal des Débats annonce que deux de ces dames, appartenant au comité Jeanne d’Arc formé par la duchesse de Chevreuse, ont été conduites devant le commissaire de police, unique arrestation ce jour-là. Ceci montre la détermination féminine, peut-être aussi parce qu’en tant que femmes, elles se sentent moins menacées par la justice [58]. Mais la réaction individuelle la plus marquée est celle de la duchesse de Chevreuse. Dans une lettre publiée par l’Événement le 30 mai 1878, elle exprime le refus des femmes d’entrer en opposition avec le gouvernement et se présente comme l’éternelle victime soumise : « Nous ne ferons pas appel à la force et comprimant une fois de plus les battements de notre cœur, nous céderons puisqu’il le faut. » Elle reprend non pour la dénoncer mais comme argument l’image conventionnelle de la faible femme dévouée qui se sacrifie. Le 4 juin 1878, un article de L’Estafette relate le voyage de la duchesse à Domrémy transportant toutes les couronnes prévues pour la statue parisienne (« cinquante caisses »). Elle demande l’autorisation au sous-préfet de célébrer « religieusement » la sainte dans son propre pays, mais celui-ci, partisan de Voltaire, interdit toute manifestation. Le déplacement du conflit en périphérie n’a pas suffi à le modérer : l’opposition entre républicains et catholiques par symboles interposés n’est pas uniquement le lot de la capitale.

51Les articles de presse de l’époque permettent de saisir la perception qu’ont les journalistes de ces femmes. À l’image de Jeanne d’Arc, on leur reconnaît des vertus patriotiques :

52

Des femmes de toutes les conditions, des patriciennes réunies à des dames de la halle, viennent de s’associer pour rendre hommage à la mémoire de Jeanne d’Arc. Félicitons-les de cette noble initiative. […] Et il suffira à nos lecteurs de prendre connaissance de la communication qu’elles nous ont fait l’honneur de nous adresser pour être convaincus que leur patriotisme n’a pas cessé d’être la vertu de notre époque. Mais cette preuve avait-elle besoin d’être faite ? Ne sait-on pas que toutes les grandes pensées viennent du cœur, du cœur des femmes surtout ? [59]

53Le culte de Jeanne d’Arc est l’occasion pour ce groupe minoritaire et socialement hétéroclite de prendre la parole et d’agir publiquement, pas seulement en tant que « duchesse » ou « poissonnière » mais aussi en tant que « femme ». On pourrait y voir l’émergence d’une conscience de groupe uni par le genre. Mais le ton relativement ironique et flatteur montre qu’elles ne sont guère prises au sérieux. Leur patriotisme est rapidement associé à leur « cœur », organe du dévouement et de la charité propre aux femmes. Il s’agit donc moins de reconnaître leur action comme politique que de la rattacher à une image conventionnelle de la femme. Leur patriotisme est avant tout féminin et charitable avant d’être valeureux et républicain. L’image traditionnelle de la femme est véhiculée par les journalistes et par les actrices elles-mêmes, qui l’utilisent comme argumentaire. Leur propos n’est pas d’imposer une image nouvelle de la femme prenant part à la vie publique sur le même mode que les hommes mais au contraire de se conformer aux conventions et d’échapper à l’image effrayante et repoussante de la femme « publique » sortie des limites de son sexe.

54Concernant le ralliement des dames de la Halle aux aristocrates en 1878, une illustration de l’époque, accompagnée d’une chanson [60], se propose d’éclaircir leurs mobiles. On voit au premier plan une poissonnière qui « s’en va faire hommage de ses petits produits à Jeanne d’Arc ». La statue en arrière-plan se bouche le nez. Les dames de la Halle veulent être de la fête sans trop en saisir les enjeux politiques :

55

Qu’était-ce que Voltaire ?/On nous a raconté/Quand on vint pour nous faire/Former un comité/Ce coquin, point intègre, Blaguait, le polisson ! […] D’un tas d’autres histoires/On farcit nos esprits/Dam, à ces balançoires/Nous n’avons rien compris./Mais, comme on n’est pas fière/En langage choisi/Nous avons dit : « La mère, ça nous botte : allons-y ! »

56La différence de classe serait trop importante pour qu’elles s’identifient vraiment à la duchesse et à la Pucelle : « Car au fond, avec elle, Qu’avons-nous en commun ? ». Elles concluent : « La Halle en cette affaire/Aura du moins conquis/Le fin vocabulaire/Des ducs et des marquis. » Aux yeux des commentateurs masculins, la figure de Jeanne d’Arc ne permet apparemment pas de dépasser les différences sociales. Elle est perçue par les poissonnières comme une pucelle délicate qui « À l’odeur du poisson/Se bouche la narine/Et tombe en pâmoison. » À travers Jeanne d’Arc et les dames de la Halle, le journaliste qui les fait parler se moquent de la délicatesse des bourgeois. La réalité sociale qui se cache derrière cette caricature est difficile à saisir. Publiée dans un journal satirique républicain et anticlérical, la chanson a-t-elle été créée pour le journal par un homme soucieux de se moquer de ces femmes et à travers elles de la société bourgeoise, ou le journaliste s’inspire-t-il de la réalité ? La différence de classe entre ces actrices n’est-elle pas compensée par des valeurs conservatrices et catholiques communes ? Les sources concernant les dames de la Halle manquent et ne permettent malheureusement pas de connaître leurs véritables mobiles.
Certains documents révèlent également une image de la Pucelle vue comme une femme vertueuse, incarnation de l’honneur féminin. Une caricature montre des demi-mondaines se moquant de sa virginité (Ill. 6). Les hommes eux-mêmes reprennent cette image à leur compte et l’utilisent pour ridiculiser les bigotes : ils se raillent de « pucelles » rassemblées dans un même compartiment de train (Ill. 7). Ces deux caricatures érigent Jeanne d’Arc en exemple de vertu et s’en moquent. Il ne s’agit pas de critiquer Jeanne d’Arc elle-même mais le modèle de vertu dominant la société bourgeoise. Peut-être cette qualité si féminine est-elle rapprochée de la bigoterie : il s’agirait alors plus généralement de critiquer l’Église. L’illustration intitulée « le wagon des dames seules » a d’ailleurs été réalisé par Oswald Heidbrinck, dessinateur qui collabora aux journaux grivois comme Le Courrier Français, Le Rire et à L’Assiette au Beurre, à tendance socialiste et critiquant la société de la Belle Époque. Les femmes catholiques sont en effet très présentes aux messes qui précèdent les défilés. Les rapports de police relatent que certaines viennent individuellement déposer des couronnes aux inscriptions intimes, comme « Souvenir [61] », ou ornées de perles. Une gravure de Mirande [62] montre l’importance numérique des femmes venues saluer et prier la statue des Pyramides (Ill. 8).

ill. 6

Dessin humoristique

ill. 6

Dessin humoristique

Source : BHVP, Actualités, Le Monde Illustré, 4 avril 1874.
ill. 7

« Le Wagon des dames seules »

ill. 7

« Le Wagon des dames seules »

Source : KAHN Gustave, La Femme dans la caricature française, Paris, A. Méricant, 1920, p. 428.
ill. 8

« La population de Paris déposant des couronnes au pied de la nouvelle statue de Jeanne d’Arc, place des Pyramides », dessin par Mirande

ill. 8

« La population de Paris déposant des couronnes au pied de la nouvelle statue de Jeanne d’Arc, place des Pyramides », dessin par Mirande

On note l’importance numérique des femmes et le mélange des classes sociales.
Source : BHVP, Actualités, 1874.

57Pour les féministes de l’époque, Jeanne d’Arc incarne au contraire la victime de l’Église. Une grande suffragette, Hubertine Auclert [63] se rendait chaque année aux pieds de la guerrière dorée :

58

Depuis l’enfance, elle vouait un culte à Jeanne d’Arc, double symbole de l’héroïsme civique et de la liberté des femmes ; en 1885, elle ira place des Pyramides déposer une couronne de lauriers aux pieds de celle qui avait eu l’inspiration sublime de chasser de son pays les envahisseurs. L’idée que Jeanne obéissait à une injonction venue d’en haut, qui retient alors tant de républicains libres-penseurs, trouble peu Hubertine : car Jeanne incarne à ses yeux la liberté de conscience bafouée et martyrisée par les prêtres [64].

59Les féministes s’identifient à Jeanne d’Arc parce que, comme elle, elles sont perçues comme victimes des prêtres. Et cette soumission au pouvoir de l’Église est d’ailleurs invoquée par les hommes politiques pour leur refuser le droit de vote.

60Si Jeanne d’Arc symbolise l’idéal du patriotisme, alternativement chrétien [65] et républicain [66], elle est également perçue, par les hommes, comme une femme douée des qualités propres à son sexe : le cœur, la tendresse, le dévouement. Michelet écrivait déjà en 1853 : « Souvenez-vous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. » [67] On lit dans un article qu’elle avait une « vraie voix de femme » [68]. Elle personnifie le « courage de la femme française. » [69] Elle est encore « la plus sublime des femmes de France. » [70] Elle doit servir d’exemple pour son « dévouement » [71] aux mères de la République :

61

Elle vous apprendra à vous, femmes de France, de quoi doit être fait votre patriotisme ; et puisque Dieu ne vous appelle point, comme elle, sur les champs de bataille, du moins, comme elle, pouvez-vous façonner le cœur des guerriers, préparer des héros et travailler ainsi à notre relèvement national [72].

62La figure de Jeanne d’Arc, qui, par ses actes guerriers aurait pu choquer, sert finalement à renforcer le rôle traditionnel de la femme ainsi confortée dans sa position de mère. L’image trop effrayante de l’amazone en armes est finalement occultée par les producteurs de sens de l’époque.

63Jeanne d’Arc constitue sans doute - à un moindre niveau - avec l’Affaire, un des principaux éléments de la discorde entre les « deux France », à la fois comme générateur de conflits et comme révélateur des divergences politiques. Elle mobilisa les femmes parce qu’elles appartenaient à l’un des camps mais également parce qu’elles s’identifiaient en tant que femme à la Pucelle, patriote et victime. Il ne faut cependant pas omettre son rôle de repère local, objet de fierté des habitants d’un quartier. Les Parisiens lui sont d’ailleurs toujours restés fidèles : Jeanne fut leur personnage célèbre préféré. Au début du XXe siècle, dans le contexte de critique virulente de la statuomanie parisienne, L’Excelsior organisa un sondage, pour savoir quelles statues les Parisiens garderaient. 7280 lecteurs y répondirent : Jeanne d’Arc fut la plus citée devant Pasteur, Napoléon Ier, Victor Hugo et Léon Gambetta [73].
Tout au long du XXe siècle et jusqu’à nos jours, les statues de Jeanne d’Arc continuent d’être le lieu de manifestations à la fois officielles et partisanes. La gauche et la droite n’ont cessé de s’identifier à cette figure plurielle. Elle a également toujours constitué un repère identitaire pour les femmes, dans la résistance puis après la guerre : l’UFF (l’Union des femmes françaises, émanant du PCF) organise régulièrement des défilés devant la statue et voue un véritable culte à la Pucelle, associé à celui de la résistante Danielle Casanova. Du côté de l’extrême droite, les groupes féminins sont systématiquement représentés. À côté de la figure politique de Jeanne d’Arc, apparaît celle de la femme conventionnelle qui sert finalement d’argument pour maintenir le sexe faible dans sa position d’infériorité, dans le contexte de l’âge d’or du féminisme. ?


Date de mise en ligne : 01/04/2010.

https://doi.org/10.3917/sr.011.0263

Notes

  • [1]
    Cet article est issu d’un mémoire de DEA de Sociologie politique soutenu à l’Université Paris I, en 1998, sous la direction de Philippe Braud.
  • [2]
    Maurice Agulhon, « Imagerie civique et décor urbain dans la France du XIXe siècle » in Histoire Vagabonde I, Paris, Gallimard, 1988, p. 112.
  • [3]
    Les femmes statufiées sont : George Sand, la comtesse de Ségur, Maria Deraismes et Mesdames Hirsch et Boucicaut (réunies en un même monument). Trois projets avortés sont à comptabiliser également : en l’honneur de Louise Michel, de Madame de Staël et de Clémence Royer.
  • [4]
    Si Jeanne d’Arc est oubliée des XVI, XVII et XVIII siècles, les XIX et XX siècles sont l’occasion, en revanche, d’une remémoration active. Au XIX, dès les années 1820, l’historiographie romantique et libérale entreprit de mettre en valeur l’image de cette « fille du peuple » martyre de la nation française, ternie par les interprétations réductrices de La Pucelle de Voltaire ; la Jeanne d’Arc de Michelet fut le couronnement magistral de vingt ans de travail scientifique. Elle est glorifiée tant par les artistes (Ary Scheffer, Ingres, Chapu), les panégyristes, les poètes que les historiens (Michelet, Henri Martin). La figure de Jeanne d’Arc fait partie intégrante du panthéon de la Troisième République.
  • [5]
    Les sources, lacunaires, laisseraient penser que l’inauguration de ces statues ne fut pas l’occasion de grandes cérémonies officielles.
  • [6]
    Charles Blanc, La Sculpture, Paris, éd. Henri Laurens, 1888, p. 6.
  • [7]
    Cette statue est l’unique commande publique de l’État sur la période. Cf. Georges Poisson, « L’Âge d’or de la statuomanie parisienne », L’Estampille, l’Objet d’art, n° 229, oct. 1989, p. 60.
  • [8]
    Cf. Daniel Imbert, « Aux origines du fonds de sculpture du dépôt d’Ivry : la politique de commande de la Ville de Paris dans les débats de la Troisième République », in La Sculpture du XIXe siècle, une mémoire retrouvée, les fonds de sculpture, Rencontres de l’École du Louvre, Paris, La Documentation française, 1986. Dans cet article, l’auteur relate le conflit qui éclata en 1878 entre le préfet de la Seine Hérold et la majorité radicale du conseil municipal à propos du monument de la République.
  • [9]
    La très grande majorité des terrains appartient à la Ville de Paris. Les jardins des Tuileries, des Plantes et du Palais-Royal appartiennent à l’État, qui y place des œuvres d’art plus que des monuments dédiés aux grands hommes, à l’exception du jardin des Plantes. Le jardin du Luxembourg appartient à la questure du Sénat.
  • [10]
    Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris (D.A.C.V.P.) : dossier Jeanne d’Arc Saint-Marcel, lettre signée des habitants du quartier, 16 avril 1890.
  • [11]
    Malheureusement, les archives manquent pour déterminer la date exacte d’érection. La statue a de toute façon été érigée après 1891, date de la lettre de demande au Préfet.
  • [12]
    D.A.C.V.P : dossier Jeanne d’Arc la Chapelle, lettre du 28 août 1891 au préfet de la Seine.
  • [13]
    Maurice Agulhon, « Paris, la traversée d’est en ouest », in Les Lieux de mémoire, Pierre Nora (dir), Paris, N.R.F., Gallimard, 1986, t. 2, La Nation, III, pp. 891-892.
  • [14]
    Cf. Ibid.
  • [15]
    On peut en voir les restes derrière la mairie du XXe arrondissement et la maquette en plâtre au musée d’Orsay.
  • [16]
    Henry Wallon, Jeanne d’Arc d’après les monuments de l’art depuis le XVe siècle jusqu’au XIXe siècle, Rouen, Laurent de Vargas, 1989 (réédition de Firmin-Didot, 1877), p. 530.
  • [17]
    Ibid., p. 532.
  • [18]
    Alain Corbin (dir.), L’Avènement des loisirs, Paris, Aubier, 1995, p. 137.
  • [19]
    Pierre Kjellberg, Le Guide des églises de Paris, Paris, La Bibliothèque des arts, 1970, p. 117.
  • [20]
    Le Monde Illustré, 20 janv. 1900.
  • [21]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc la Chapelle, lettre du 28 août 1891 du curé au préfet de la Seine.
  • [22]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc Saint-Marcel, lettre de Chatrousse à l’inspecteur en chef, 19 mai 1890.
  • [23]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc Saint-Marcel, lettre des habitants du quartier au préfet de la Seine du 2 avril 1890.
  • [24]
    Le comte de Dunois, ou Jean le Bâtard, lieutenant général de la ville d’Orléans, remplace son demi-frère Charles, duc d’Orléans, alors prisonnier.
  • [25]
    Étienne de Vignolles, dit Lahire, est resté dans l’imagerie populaire sous les traits du valet de cœur des jeux de cartes. Personnage violent, prompt à s’enflammer, il est l’un des plus fidèles compagnons de Jeanne.
  • [26]
    Poton de Xaintrailles et Lahire son compagnon sont faits capitaines par Charles VII « pour leur vaillance ». Ils se battent aux côtés de Jeanne contre les ennemis du royaume.
  • [27]
    Le 18 juin 1429, la bataille de Patay est la plus grande victoire remportée par Jeanne. D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc boulevard Saint-Marcel, rapport de l’ingénieur ordinaire du 21 mai 1890.
  • [28]
    Archives Nationales (A.N.) : F1cI 168, délibération du 20 mars 1863.
  • [29]
    Place des Pyramides, place Saint-Augustin et boulevard Saint-Marcel.
  • [30]
    D.A.C.V.P. : dossier Jeanne d’Arc Saint-Augustin, Procès-verbal de la séance du comité des inscriptions parisiennes du 1er août 1899.
  • [31]
    Sur les différentes représentations de Jeanne d’Arc voir le catalogue d’exposition : Jeanne d’Arc, images d’une légende, Rouen. Musée des Beaux-Arts, 1979 et Henry Wallon, Jeanne d’Arc d’après…, op. cit.
  • [32]
    Leurs statues lurent érigées respectivement eu 1889 et en 1906, place Maubert et rue Lamarck.
  • [33]
    Marianne Doezema et June Hargrove, The Public Monument and its Audience, Cleveland, Cleveland Museum of Art, 1977, p. 31.
  • [34]
    « Interrogée devant les juges sur ce qu’elle aimait le mieux porter, de l’étendard ou de l’épée, elle répondit qu’elle aimait quarante fois mieux l’étendard », Sainte-Beuve, Nouvelle galerie de femmes célèbres, Paris, Garnier Frères, 1865, p. 10.
  • [35]
    Pie X commente : « Les yeux levés c’est la prière. L’épée levée, c’est l’action. », cf. Le Monde, 11 mai 1991.
  • [36]
    Cf. Maurice Agulhon, Marianne au pouvoir, l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989, p. 327.
  • [37]
    Joseph Fabre, Le Mois de Jeanne d’Arc, Paris, Armand Colin, 1892, p. 7.
  • [38]
    D.A.C.V.P, dossier Jeanne d’Arc Saint-Augustin, arrêtés du 17 avril 1899 approuvant la délibération du conseil municipal du 10 mars 1899.
  • [39]
    Voir à ce sujet George L. Mosse, L’Image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Editions Abbeville, 1997.
  • [40]
    Le Monde Illustré, 20 janv. 1900.
  • [41]
    On retrouve cette richesse du personnage dans d’autres écrits, notamment Joseph Fabre, Le Mois de Jeanne d’Arc, op. cit., pp. 319-327. À la fois, paysanne, mère, Française, inspirée, patriote, martyre, chrétienne, sainte, patronne, etc.
  • [42]
    Gustave Larroumet, L’Art et l’État en France, Paris, Hachette, 1895, pp. 132-133.
  • [43]
    Le cheval fut tellement critiqué pour sa taille excessive que le sculpteur installa, en secret, une nouvelle statue mieux proportionnée. Cf. à ce sujet l’article de Pierre Angrand, « Une ou deux Jeanne d’Arc sur la place des Pyramides ? », in La Gazette des Beaux-Arts, VI période, 113 année, t. LXXVII, n° 1228-1229. mai-juin 1971. pp. 341-352.
  • [44]
    Sainte-Beuve, Nouvelle galerie de femmes célèbres, op. cit., pp. 6-7.
  • [45]
    Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912, Paris, PUF, [Réed.], p. 328.
  • [46]
    Philippe Braud, L’Émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 131.
  • [47]
    La pluralité des appropriations de la figure de Jeanne d’Arc a déjà été soulignée par Rosemonde Sanson dans « La “fête de Jeanne d’Arc” en 1894. Controverse et célébration », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, n° 20, 1973, pp. 444-463.
  • [48]
    Anthony Smith, « Ethnic myths and ethnic revivals », Archives européennes de sociologie, n° XXV, 1984, p. 295.
  • [49]
    Archives de la Préfecture de Police de Paris (A.P.P.P.) : BA 61, lettre : « Le 30 mai 1431 : Jeanne d’Arc fut brûlée par l’Église comme relapse et hérétique. Le clergé était logique avec lui-même puisque en obéissant à ses voix particulières, Jeanne d’Arc n’écoutait en réalité que sa conscience individuelle, qui lui commandait de sauver la France. C’était une révoltée, croyant en elle-même en dépit des théologiens. »
  • [50]
    A.P.P.P. : BA 61, fête de Jeanne d’Arc, rapport de police du 8 mai 1899.
  • [51]
    Archives de Paris (A.P.) : VM 92(I), rapport du 18 septembre 1909.
  • [52]
    A.P.P.P. : BA 61, rapport du 3 mai 1894.
  • [53]
    Georges Poisson, « La statuaire commémorative parisienne sous le Second Empire », La Gazette des Beaux-Arts, avril 1971. Le projet des républicains radicaux d’ériger une seconde statue place du Château d’Eau (actuelle place de la République) avait échoué.
  • [54]
    Il inspire la jeunesse catholique et organise des manifestations d’étudiants. Il souhaite instaurer une fête de Jeanne d’Arc et créer par là une union nationale. Mais il la place « sous la direction de Celui qui fit Jeanne, qui forma sa foi et Celui qu’on a appelé l’ami des Français, Jésus-Christ », in Rosemonde Sanson, « La “fête de Jeanne d’Arc” en 1894. Controverse et célébration », loc. cit., p. 449.
  • [55]
    A.P.P.P. : BA 61, L’Action, 29 nov. 1904.
  • [56]
    Alors que Jeanne d’Arc est trop souvent vue par les adultes comme un « Grand homme », le caricaturiste utilise l’œil ingénu de l’enfant pour mettre en avant le fait que Jeanne d’Arc est également une femme.
  • [57]
    Sur les dames de la Halle, cf. le chapitre sur la Révolution Française in Christine Faure (dir.), Encyclopédie politique et historique des femmes, Paris, PUF, 1997.
  • [58]
    Cette interprétation est reprise pour expliquer la présence importante des femmes dans les émeutes de la faim d’avant la Révolution française. Cf. Georges Duby et Michelle Perrot (dir.), L’Histoire des femmes, t. III, Paris, Plon, 1991.
  • [59]
    A.P.P.P. : BA 61, article du 25 mai 78, Le Moniteur universel, « Aux femmes de France ».
  • [60]
    Il s’agit d’une caricature de Gill parue dans La Lune Rousse, « La nouvelle mère Angot », 9 juin 1878.
  • [61]
    A.P.P.P. : BA 61, Dépêche télégraphique, 12 et 13 nov. 1898, dépôt de deux couronnes en perles blanches, « Souvenir ».
  • [62]
    Henry Mirande, peintre, graveur, dessinateur est connu pour être un observateur profond et délicat, qui ne se laisse influencer par rien ni par personne. Même s’il a collaboré à des journaux satiriques comme Le Rire ou Fantasio, on peut supposer que cette gravure tente de reproduire la réalité sans la déformer.
  • [63]
    Hubertine Auclert, première « suffragiste », incarne la branche radicale du féminisme de l’époque. Elle se bat pour les droits politiques de la femme et prône un activisme dans l’espace public : autodafé du Code Civil en 1904, invasion de l’Assemblée par une pluie de tracts…
  • [64]
    Mona Ozouf, Les Mots des femmes. Essai sur la singularité française, Paris, Fayard, 1995, p. 206.
  • [65]
    « Voilà ce que Dieu créait au cœur de Jeanne : l’idéal du patriotisme chrétien », RP. Feuillette, Panégyrique de Jeanne d’Arc, Paris, Impr. A. Quelquejeu, 1894, p. 21.
  • [66]
    « Le Messie de la nationalité et l’âme même de la France », in Henri Martin, Jeanne d’Arc, Paris, Furne et Cie édit., 1857, p. 356.
  • [67]
    Jules Michelet, Jeanne d’Arc, Paris, Hachette, 1853, p. 8.
  • [68]
    La Patrie, 16 juill. 1896.
  • [69]
    Le Petit Provençal, 22 avril 1909.
  • [70]
    L’Éclair, 28 nov. 1904.
  • [71]
    RP. Feuillette, Panégyrique de Jeanne d’Arc, op. cit., p. 21.
  • [72]
    Ibid., p. 65.
  • [73]
    Cf. June Hargrove, La Représentation des grands hommes dans les rues et les places de Paris, Paris, Albin Michel, 1989, p. 259.
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