Couverture de SOCO_097

Article de revue

Origines contrôlées

Police et minorités en France et en Allemagne

Pages 101 à 127

Notes

  • [1]
    Cet article a été réalisé avec le soutien de la Fondation pour les sciences sociales. L’auteur aimerait par ailleurs remercier Mathilde Darley, Gwénaëlle Mainsant et Sarah Mazouz pour leurs commentaires critiques.
  • [2]
    Selon cet article, les policiers « peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner : qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ; ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ; ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire ». Il est par ailleurs précisé que l’« identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ».
  • [3]
    Nous utilisons le terme « racial » dans une acceptation constructiviste, en rupture avec le sens biologique de la notion de « race » : « la race est un concept opérant, la race comme catégorie est un genre réel, qui nous permet de désigner les pratiques raciales associées. L’on doit pouvoir utiliser le concept de race pour poser un diagnostic social et pour déconstruire les hiérarchies et les dominations existantes » (Bessone, 2013, 114).
  • [4]
    Les rapports conflictuels entre policiers, adolescents et jeunes adultes sont bien documentés, tant du côté de la population (Lapeyronnie, 2008 ; Kokoreff, 2008 ; Boucher, 2010 ; Mohammed, 2011, 2014 ; Hajjat, 2014) que du côté des policiers (Fassin, 2011 ; Boucher, 2012 ; Jobard, 2006 ; Gauthier, 2012).
  • [5]
    Le fédéralisme impute aux Länder la compétence en matière de sécurité publique.
  • [6]
    Lorsqu’ils se déroulent dans le cadre d’une enquête, les contrôles d’identité sont encadrés par le Code de procédure pénale fédérale (Strafprozessordnung, § 163b). Lorsqu’ils sont effectués dans le but de prévenir un danger (Gefahrenabwehr), les contrôles sont définis au paragraphe 21 de la loi de police berlinoise.
  • [7]
    Les contrôles effectués dans les trains par la Police fédérale (Bundespolizei), dont le caractère discriminatoire a été porté devant la justice, ne rentrent pas dans le cadre de cette enquête.
  • [8]
    Dans le Land de Berlin par exemple, les « contrôles discrétionnaires » (Verdachtsunabhängige Kontrolle) ont d’abord été autorisés dans la loi régionale en 1999 puis retirés en 2004 (Pütter, 2008, 96). En revanche, la possibilité de tels contrôles a été maintenue au sein des « zones dangereuses » (gefährliche Orte) à l’intérieur desquelles les policiers ont donc le droit de contrôler les personnes sans restrictions.
  • [9]
    Les ethnographies comparatives du travail policier restent rares. Voir cependant : (Maguer, 2004 ; Cassan, 2005 ; Huey, 2005 ; Bayley, 1990). Pour une introduction à la comparaison franco-allemande sur différents aspects de la chaine pénale, voir (Jobard et Groenemeyer, 2005, 235-236).
  • [10]
    La notion de « racialisation » sera ici comprise comme un processus de catégorisation visant à altériser un groupe (Robert Miles, 1989, 75). L’attention portée sur les formes de racialisation produites par l’action policière invitera à analyser les « manières dont, au sein d’une configuration politique et sociale particulière, certains attributs, qui ne sont pas nécessairement corporels, revêtent un sens racial, c’est-à-dire qu’ils sont naturalisés et qu’ils servent, ainsi, à altériser et à soumettre à un rapport de pouvoir celles et ceux qui en sont porteurs » (Mazouz, 2010, 15).
  • [11]
    Chiffres : [http://sig.ville.gouv.fr].
  • [12]
    Le terme allemand de « Brennpunkt » utilisé pour qualifier ce secteur renvoie à l’idée de « quartier sensible » dans le contexte français.
  • [13]
    Cette image des BAC comme unités d’élite des commissariats de sécurité publique a été également soulignée dans d’autres travaux (Fassin, 2011 ; Gauthier, 2004 ; Jobard, 2008).
  • [14]
    Bien que la méthodologie utilisée dans l’enquête sur les contrôles d’identité à Paris commanditée par l’OSI ne permette pas d’évaluer avec précision le taux de réussite des contrôles, les auteurs jugent négativement l’efficacité des contrôles : « le fait que presque un tiers des contrôles aient été des contrôles ordinaires sans autre opération policière et que l’on ait laissé repartir 78 % des personnes contrôlées, sans qu’il y ait apparemment besoin de les emmener au poste, conduit à s’interroger sur leur efficacité dans la détection des infractions ».
  • [15]
    La pratique policière a élaboré une typologie des apparences qui s’est cristallisée dans la nomenclature du fichier signalétique « Canonge » créé sous forme manuelle en 1950, puis informatisé et intégré dans le système STIC. Cette nomenclature distingue 12 « types » différents : « blanc (caucasien), méditerranéen, gitan, moyen-oriental, nord-africain maghrébin, asiatique eurasien, amérindien, indien (Inde), métis-mulâtre, noir, polynésien, mélanésien-canaque ».
  • [16]
    René Lévy notait déjà en 1987 que « même chez les policiers qui ne professent pas ouvertement des convictions racistes, le recours à des catégorisations fondées sur l’appartenance ethnique est fréquent. Elles constituent en quelque sorte des instruments de travail et font partie de cet ensemble de connaissances pratiques qui forment l’arrière-plan, la référence du travail policier, y compris dans des domaines où l’attribut ethnique ne constitue pas le seul indice d’un illégalisme potentiel » (Lévy, 1987, 31).
  • [17]
    L’UIM met à disposition ses agents lors d’interventions policières ciblées dans les communautés étrangères (contrôle de régularité des maisons closes berlinoises, maintien de l’ordre dans des manifestations sportives ou culturelles, opérations spéciales sur les lieux de trafic de stupéfiants...).
  • [18]
    Concernant l’IUM, voir Gauthier, 2009.
  • [19]
    Pour une critique du caractère stéréotypé de la vision de l’islam et de la culture arabe telle que définie par la perspective policière interculturelle, et concernant les conflits liées à l’origine au sein du monde professionnel policier, voir (Gauthier, 2011).
  • [20]
    Sur les différentes formes d’étayage institutionnel du fait minoritaire dans les polices françaises et allemandes, voir également (Gauthier, 2011).
  • [21]
    Voir a contrario : Fassin, 2011.

1 En France, les contrôles d’identité, définis dans l’article 78-2 [2] du Code de procédure pénale, sont considérés comme un outil de travail essentiel par de nombreux policiers bien que leur usage soit contesté par ailleurs en raison de leur caractère conflictuel, arbitraire et discriminatoire. Dans plusieurs pays, les contrôles dits « au faciès » ont fait l’objet d’enquêtes sociologiques (notamment aux États-Unis, en Angleterre ou encore aux Pays-Bas), qui ont souvent servi à nourrir des réformes de l’action policière en général, et des pratiques de contrôle en particulier. En Angleterre par exemple, le rapport Scarman publié en 1981 suite aux émeutes de Brixton, préconise de mieux encadrer les contrôles d’identité, d’identifier les préjugés racistes au sein de la police, de recruter des policiers issus des minorités, d’accroître le contrôle hiérarchique sur les agents de terrain et d’améliorer leur formation.

2 En France, bien qu’on constate un retard certain par rapport aux pays mentionnés plus haut, les données issues d’enquêtes sociologiques permettent désormais de mieux cerner la réalité des discriminations produites par les contrôles d’identité. Une enquête quantitative menée dans des lieux de passage parisiens montre que les Noirs ont en moyenne six fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs ; les Arabes ont quant à eux une probabilité 7,8 fois plus élevée que les Blancs d’être contrôlés (Jobard et al., 2012). Par ailleurs, les enquêtes de terrain dans les quartiers de relégation montrent que la pression policière est particulièrement importante sur ces territoires, que de nombreux conflits, constitutifs de l’histoire de ces quartiers, ont pour origine des interventions policières violentes, voire mortelles, et enfin, que la dimension raciale [3] occupe une place centrale dans ces tensions [4].

3 En Allemagne c’est le Code de procédure pénale et les lois de police des différents Länder[5] qui autorisent les policiers à contrôler les personnes dans le cadre d’une enquête en cours ou bien, en cas de « soupçon concret », dans le but de prévenir une infraction [6]. Les contrôles de police constituent en Allemagne des pratiques controversées, en raison des atteintes potentielles aux libertés individuelles qu’ils induisent [7]. Les dispositions relatives aux « contrôles discrétionnaires » (Verdachtsunabhängige Kontrollen), qui autorisent les policiers de certains Länder (par exemple en Baden-Württemberg, Bavière ou Schleswig-Holstein) à contrôler « sans motif particulier » (anlass unabhängig), ou qui circonscrivent dans d’autres Länder ce type de contrôles à des espaces urbains définis comme « dangereux » (gefährliche Orte), ont à ce titre suscité de nombreux débats à l’échelle fédérale et régionale [8].

4 Cependant, différentes enquêtes menées à Berlin (Gauthier, 2012), Mannheim ou Cologne (Hunold, 2011 ; Lukas et Hunold, 2010 ; Gauthier et Lukas, 2011) indiquent que les contrôles d’identité n’ont pas en Allemagne la place centrale qu’ils occupent en France dans les pratiques policières quotidiennes. Si le quotidien n’est pas exempt de tensions (Schweer, 2008 et al. ; Gesemann, 2003), les conflits liés à l’action policière sont moins aigus dans le contexte allemand. Toutefois, en France comme en Allemagne, l’absence d’enregistrement statistique des contrôles (à la différence du Royaume-Uni par exemple) empêche leur quantification. Les seules données permettant de comparer le volume des contrôles dans les deux pays proviennent d’une enquête par sondage réalisée en 2008 auprès de la population par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne qui indique que l’effectif global des personnes contrôlées ainsi que la fréquence des contrôles sont nettement plus élevés en France qu’en Allemagne pour l’ensemble des groupes étudiés, groupe majoritaire inclus ; la « confiance dans la police » est quant à elle nettement plus élevée en Allemagne qu’en France pour l’ensemble des groupes étudiés (European Union Agency for Fundamental Rights, 2009). L’Allemagne se distingue également de la France par l’absence d’affrontements opposant policiers et adolescents dans les quartiers de relégation. Les comparaisons menées entre la France et l’Allemagne sur le rapport à l’État des personnes issues de l’immigration (Loch, 2008 ; Keller et Schultheis, 2008 ; Gauthier, 2012) suggèrent que la police n’occupe pas la place centrale qu’elle tient en France dans le rapport aux institutions étatiques et le sentiment de marginalisation des adolescents appartenant à des groupes minoritaires.

5 C’est dans le but d’éclairer cette différence supposée que nous avons mené entre 2004 et 2010 une enquête ethnographique dans un commissariat d’une commune du Val-de-Marne sur laquelle se trouvent des cités considérées comme difficiles par les policiers et dans deux quartiers berlinois dits sensibles, cet article propose de comparer les pratiques policières [9] de contrôle et d’interroger la conflictualité des relations entre policiers, adolescents et jeunes adultes en analysant les interactions quotidiennes. Le choix des terrains en France et en Allemagne a principalement été effectué en fonction de la catégorisation des secteurs enquêtés par les autorités comme sensibles ou problématiques, où sécurité et immigration sont constituées en problème public.

6 La comparaison donne à voir des différences importantes dans les répertoires d’action mobilisés par les policiers en banlieue parisienne et à Berlin. Dans le cas allemand, on observe une prévalence des pratiques associées aux stratégies de prévention alors que, dans le cas français, il est polarisé sur les pratiques dites d’« anticriminalité », dans lesquelles les contrôles occupent une place prépondérante. Ces différents styles de police produisent des formes spécifiques de racialisation [10] de l’action policière. Dans ce qui suit, nous nous attacherons donc à tenir ensemble la définition des répertoires d’action policiers « par le haut » (au moyen des politiques publiques de sécurité), les routines professionnelles et les différentes dynamiques de racialisation à l’œuvre dans les pratiques et les représentations policières.

7 Après avoir précisé les contextes urbains dans lesquels se sont déroulées les enquêtes, nous montrerons tout d’abord que la manière dont les policiers problématisent l’altérité présente de fortes similitudes entre Berlin et la région parisienne ; ensuite, que les populations minoritaires font l’objet d’un ciblage policier dans les deux contextes ; et enfin, que les différences de nature de ce ciblage entre les cas français et allemand conduisent à une marginalisation des pratiques policières les plus problématiques en termes de violence et de discrimination dans le contexte allemand. La recherche invite donc à minorer les explications individuelles au profit d’une approche plus systémique (encadrement légal et hiérarchique, choix de politiques publiques) des discriminations policières.

LECTURES POLICIÈRES DU FAIT MINORITAIRE

8 L’étude des pratiques et des représentations policières ne peut faire l’économie de la prise en compte des caractéristiques des territoires dans lesquels ils exercent leur métier. Les associations entre des lieux ou des territoires, certains types de criminalité et de populations, en général décrites par leur origine ou apparence perçues, dont la connaissance est une compétence de base des policiers de terrain, constituent une socio-géographie indigène, partagée par l’ensemble des policiers et constituant une ressource professionnelle.

? Territoires et populations « sensibles » en région parisienne et à Berlin

9 En 2007, la commune de Victorcity compte 83 650 habitants dont 18,9 % de résidents étrangers (principalement algériens, portugais et marocains) et 26,7 % d’immigrés, qui se caractérisent quant à eux par leur jeunesse. Les catégories socioprofessionnelles les plus représentées sur la commune sont les employés (21,7 %), les ouvriers (14,6 %), les retraités (19,1 %) et les personnes sans activité professionnelle (19,9 %). Le taux de chômage est de 15,1 % de la population totale, de 5,59 % pour les non-immigrés et de 12,6 % pour les immigrés. Trois quartiers de Victorcity sont classés en Zone urbaine sensible (ZUS) où réside 29 % de la population totale [11].

10 Les jeunes policiers désirant faire preuve de leurs compétences, en BAC mais aussi dans les unités en tenue, justifient leur présence à Victorcity par la réputation de la commune comme « sensible ». Les regards hostiles échangés entre les gardiens de la paix et les jeunes habitants des barres d’immeubles jouxtant le commissariat, les insultes et parfois les jets de projectiles témoignent du climat de tension dans lequel travaillent les policiers de Victorcity.

11 Lorsqu’ils présentent au sociologue la population des circonscriptions étudiées, les policiers mettent en avant sa diversité comme traits caractéristiques. D’après un ancien brigadier-major, habitué du département, qui réside depuis longtemps dans « sa » circonscription, il y a à Victorcity plus de « 150 communautés nationales et ethniques ». Les policiers de la BAC et des brigades en tenue orientent quant à eux leur action en se focalisant sur sept lieux de type cité, considérés comme difficiles, où réside une importante population maghrébine, ainsi que sur deux squats organisés et occupés par des migrants des pays de l’Est de l’Europe (les policiers les appellent les « squats de Moldaves ») et sur le « foyer des Africains », un squat surpeuplé par des Noirs africains de diverses origines. La situation précaire et parfois illégale des habitants peut impliquer des modes illégaux de subsistance économique, notamment le trafic de véhicules. Ces populations, ainsi que les Roms, sont une préoccupation constante de la Police nationale et de la mairie, qui n’ont de cesse d’essayer de les compter et de les déloger.

12 Les enquêtes ethnographiques berlinoises ont quant à elles été réalisées sur trois sites d’observation. Une première enquête a été menée dans le commissariat d’Antonkiez entre septembre 2007 et janvier 2008, puis dans celui de Spreeheim entre janvier et mars 2008. Les deux commissariats ethnographiés se situent dans deux quartiers centraux qui appartenaient jusqu’en 1989 à la ville de Berlin-Ouest. Il s’agit de deux quartiers historiques d’immigration perçus comme sensibles par les autorités politiques et policières de la ville [12]. Entre mars et juin 2008, j’ai également réalisé des observations et des entretiens auprès des membres de l’Unité intégration et migration, brigade spécialisée dans la répression de l’immigration illégale et la prévention auprès des communautés migrantes et compétente pour l’ensemble de la Direction dans laquelle se trouvent les commissariats d’Antonkiez et de Spreeheim. À la différence de Victorcity, Antonkiez et Spreeheim se situent à proximité du centre-ville qui est bien desservi par différentes lignes de transport en commun.

13 Début 2007, le secteur du commissariat d’Antonkiez comptait environ 70 700 habitants enregistrés dont 36,2 % d’étrangers. Parmi ceux-ci, le registre des habitants compte 39 % de Turcs, 16,2 % de Yougoslaves, 9,3 % de Polonais, 6,3 % d’« Arabes » et 29 % d’« autres ». La part des habitants « issus de l’immigration » est de 51,8 %, ces derniers représentant 78,8 % des moins de 18 ans. Selon un rapport réalisé en 2008 et destiné à comparer ce secteur avec les autres secteurs berlinois, les taux de chômage (17,5 %) et de transferts sociaux sont deux fois supérieurs à la moyenne berlinoise et se situent au troisième rang des taux de chômage les plus élevés de la ville. Parmi les étrangers, le taux de chômage atteint 28,3 % (Häussermann, Dohnke et Förste, 2008).

14 En raison de l’étiquetage comme quartier sensible, le commissariat d’Antonkiez fait l’objet d’une dotation importante en personnel et en matériel car l’activité policière y est considérée par la préfecture de police comme particulièrement importante. Comparativement aux autres quartiers de Berlin, les statistiques policières pour l’année 2009 mettent en lumière un taux élevé de vols, de cambriolages, d’atteintes aux personnes et d’infractions à la législation sur les stupéfiants. La majorité des interventions est liée à l’alcoolisme, à la consommation de drogue, à la prostitution, aux violences familiales, à l’insalubrité et à la précarité des logements. Souvent, la dégradation du climat du quartier est associée aux populations issues de l’immigration qui sont qualifiées de « clientèle difficile », même sur de petites interventions comme le tapage. Certains policiers tiennent par ailleurs à affirmer une certaine distance avec les habitants du quartier qu’ils considèrent comme appartenant à une « classe inférieure » (Unterschicht) à laquelle sont associées des formes spécifiques de déviances (alcoolisme, drogue, violence, différends familiaux, rapine, etc.). Parallèlement à cette perception de la population comme une sous-classe sociale, les policiers mettent également en avant la forte proportion d’« étrangers » (Ausländer) et de personnes « issues de l’immigration » (mit Migrationhintergund) lorsqu’ils décrivent les habitants du quartier. À cette extranéité sont associées des formes de déviances spécifiques : la « criminalité organisée libanaise », les « Arabes qui résistent lors des contrôles », les Polonais, Russes et ex-Yougoslaves réputés impliqués dans la « criminalité organisée ». Une des places du quartier où ont lieu des trafics en tous genres est considérée par les policiers comme « l’épicentre du mal » ; en raison de la présence de dealers africains, un des parcs est appelé le « triangle des Bermudes », situé non loin de bars et de bordels où « on n’entre pas quand on est Allemand ». Certaines écoles d’Antonkiez et de Spreeheim suscitent une attention particulière des programmes de prévention policière car elles accueillent une majorité d’élèves issus de l’immigration. Enfin, les cafés-internet, réputés pour être le lieu de divers petits trafics et de rixes entre jeunes hommes issus de l’immigration, font l’objet d’une surveillance particulière de la Brigade anti-criminalité. Certains de ces secteurs sont définis comme zones dangereuses, comme le parc mentionné ci-dessus.

? Frustration professionnelle et tentation raciste

15 Dans un contexte de mise à l’index fréquente de la police pour comportements ou attitudes racistes, il est difficile de recueillir les perceptions des agents. Ceux-ci sont amenés à travailler des registres de justification reposant le plus souvent sur le fait qu’ils se considèrent comme dépositaires d’un savoir légitime qui est celui de l’expérience quotidienne de la rue des street-level bureaucrats et de ses aspects les plus sordides.

16

« [...] Il arrive très souvent que les ethnies ne s’entendent pas entre elles. C’est aussi un phénomène... la multiculturalité (Multikulti) est toujours présentée comme un idéal. C’est sûrement idéal chez les gens qui sont éduqués, qui ont du travail... dans ce cas ça marche. Mais ici [à Antonkiez], ça ne fonctionne pas. Ceux qui prétendent le contraire, c’est qu’ils n’habitent pas ici, ils expliquent les choses de l’extérieur, ce sont des sociaux-romantiques (Sozialromantiker). Ils n’y connaissent rien, ils ne savent pas ce qui se joue ici. » (Hermann, 55 ans, gardien de la paix, Antonkiez, 28/09/07)

17 Cette vérité de la rue, qui s’oppose selon de nombreux policiers au politiquement correct des « donneurs de leçons » ou des « sociaux-romantiques », se trouve au cœur de la problématisation que les policiers font du fait minoritaire. Dans un contexte où celui-ci constitue une dimension structurante de la condition policière, les policiers parisiens et berlinois évoquent souvent état de frustration, forme de désenchantement de la condition professionnelle qui rend compte du sens vécu par les policiers du jeu social et des tentatives d’objectivation qu’ils font de celui-ci (Bourdieu, 1980, 46). L’expérience déclarée de la frustration est une des clefs permettant de comprendre le racisme policier.

18

« Il y a le vrai raciste et la déformation professionnelle [...] Le vrai raciste, c’est celui qui ne changera jamais d’avis, qui dit “rentrez chez vous, vous n’avez rien à faire ici et puis point barre”, de base. Et t’as la déformation professionnelle dans le sens où 80 % des personnes qu’on ramène ici sont des Noirs ou des Arabes. Celui-là, c’est le professionnel, il en a marre de voir toujours les mêmes têtes. D’un autre côté, quand on discute avec, ils savent très bien que c’est toujours les mêmes qu’on revoit. Sur un quartier, on enlève 10 familles, on verra plus de Noirs, plus d’Arabes. Parce que c’est toujours les mêmes. Donc ils le savent aussi. Eux, il y a moyen de discuter, en ma présence et d’autres collègues d’origine étrangère, ils voient qu’on n’est pas des animaux. Eux ils peuvent changer, un petit peu de vision. Mais le raciste de base, il existera toujours. » (Djamel, 32 ans, gardien de la paix, Victorcity, 23/03/09)

19 Les policiers parisiens et berlinois opposent cette déformation professionnelle au vrai racisme. Nous n’avons toutefois pas interviewé de policiers dont l’hostilité aux minoritaires s’inscrivait dans un discours militant. On peut supposer que ces agents ont su se dérober à l’enquête ethnographique ; certains ont refusé les entretiens sans qu’on en connaisse la raison exacte. En revanche, les effets de la socialisation professionnelle policière sur l’adoption progressive de postures racialisantes, selon lesquelles certains groupes de la population seraient naturellement enclins à la déviance, nous ont été décrits par de nombreux policiers et policières.

20

« As-tu déjà observé ce que tu décrirais comme du racisme au cours de ton expérience professionnelle ? »
« Je ne définirais pas ça directement comme du racisme. Mais naturellement, à travers la pratique professionnelle, on perd peut-être un peu de vue l’universel et on a tendance à cataloguer certaines personnes. Je dirais plutôt que ce n’est pas raciste, c’est plutôt à travers ce métier et cette expérience de vie que certains... dire par exemple, que tous les Noirs africains sont des dealers... C’est finalement plus lié à de la frustration qu’au fait qu’ils soient Noirs africains. [...] Nous n’avons pas de problèmes avec les gens qui ont grandi ici et qui se comportent normalement. [...] C’est plutôt cette manière de penser typiquement policière selon laquelle celui qui fait des bêtises doit plutôt aller les faire dans son pays et non venir ici et profiter de la loi. Et même moi qui suis issu de l’immigration, je pense que ce genre de type... Pourquoi il fait ça ? Il a ici toutes les libertés, il peut tout faire... Il ne doit pas être ici contre l’État ou faire certaines choses... (...) Parfois j’ai des points de vue pires que les Allemands ! Mais comme je l’ai dit, ça a plus à voir avec cette expérience professionnelle que l’on s’est constituée. » (Milan, 36 ans, gardien de la paix, Unité Intégration et Migration, 13/04/08)

21 Cette frustration évoquée par Milan permet de comprendre la forme la plus répandue d’explication indigène du racisme policier. Engendrée par l’expérience professionnelle propre aux agents de terrain en sécurité publique, la frustration alimente ce que nous appellerons le dilemme racial des policiers qui se traduit par l’adoption progressive de référents racialisés et essentialistes dans les modes de problématisation et d’explication de la réalité sociale.

22

« Et je vais être objectif, moi franchement, si j’avais vécu en Algérie et que l’Algérie ça avait été la France, si les Blancs n’arrêtaient pas de se faire remarquer en mal, peut-être que j’aurais été comme certains, un ras-le-bol : “putain c’est encore eux, ils font chier”. T’englobes tout le monde. Tu sais que pour faire la distinction, il faut prendre du recul, mais des fois on n’a pas trop le temps de prendre du recul. Le contexte ne nous permet pas de prendre du recul. Des fois quand ça sort, ça sort. Tu dis des choses, ça sort, et puis voilà. » (Nadir, 29 ans, gardien de la paix, Victorcity, 26/03/09)

23 Parmi l’ensemble des policiers interviewés, Nadir expose de manière claire le dilemme qu’on retrouve dans le discours de nombreux policiers et qui se pose de manière particulièrement aiguë pour les agents appartenant à des minorités visibles : parmi les groupes identifiés par les policiers à Victorcity (les Blancs, les Blacks, les Rebeus, les Roumains, les Roms, les Moldaves et les Chinois), ce sont finalement les « Rebeus », et dans une moindre mesure les « Blacks » qui se font le plus remarquer par les policiers. Nadir prend toutefois ses distances avec cette interprétation en parlant du point de vue de l’ensemble de ses collègues : « on a l’impression de ne voir que des Blacks et des Rebeus ». Cette impression de ne voir qu’eux car c’est avec eux que « nous sommes toujours confrontés », est selon nous centrale pour comprendre les mécanismes d’ordonnancement symbolique des populations par les policiers. Nadir met en cause le contexte qui « ne permet pas de prendre du recul » et rejoint ainsi l’idée évoquée plus haut d’une réflexivité ancrée dans l’expérience sociale particulière du métier de policier. Ce constat permet de comprendre le dilemme racial des policiers dans le sens où l’interprétation racialisante de la réalité sociale est mise en question par les acteurs, elle est souvent considérée comme insatisfaisante mais irrésistible.

24

« As-tu déjà observé des collègues qui, sans être vraiment racistes, ont développé une certaine hostilité ?... »
« Je n’ai pas personnellement observé de racisme et de toute façon je ne l’aurais pas accepté. Mais il existe une frustration ou une exaspération envers les jeunes qui vivent ici. Les collègues disent “encore les étrangers” ! C’est aussi parce que ce sont eux qui nous apportent le plus de travail : les atteintes aux personnes, les insultes ou les menaces. Oui, c’est plus ou moins notre clientèle. La frustration est peut-être plus grande chez les collègues que chez moi, peut-être parce que je suis moi-même étrangère et que je vois les choses un peu différemment, parce que je prends en compte leur vie familiale et que je suis consciente de leurs problèmes et que je peux les comprendre. Je ne sais pas si tous les collègues doivent prendre en compte ces considérations, mais oui, je pense que beaucoup sont exaspérés. » (Ayda, 31 ans, gardien de la paix, Antonkiez, 03/11/07)

25 Ayda, policière d’origine turque, avance ici un élément central permettant de comprendre le basculement vers l’état de frustration : les jeunes issus de l’immigration sont à l’origine d’une surcharge de travail dévalorisante associée à du sale boulot (les insultes et les menaces) ou bien en relation avec les infractions les plus moralement condamnables (les atteintes aux personnes). Plus largement, lorsque le commissaire regarde les registres de garde à vue et constate que « 80 % des noms ont une consonance étrangère », lorsque les officiers de police judiciaire voient « défiler » les immigrés et descendants d’immigrés et lorsque les policiers de terrain « se font toujours emmerder par les mêmes », ils arrivent tous à la même conclusion : « ce sont toujours les mêmes qui foutent le bordel », à savoir les « Noirs et les Arabes ». À Berlin, les policiers prennent souvent l’exemple des adolescents et jeunes adultes suivi par le programme des « délinquants multirécidivistes » (Intensivtäter) qui concernerait 70 % ou 80 % de migrants ; un membre de la brigade anti-criminalité de Spreeheim se demande quant à lui pourquoi il ne voit que des Turcs « de plus en plus jeunes et de plus en plus violents ». Du point de vue des policiers, ce constat implacable associant le ressenti qualitatif de l’expérience quotidienne avec des arguments statistiques, constitue sans doute le ferment le plus solide aux préjugés raciaux. La force de ces arguments explicatifs réside dans la difficulté à les réfuter sans adopter une posture distanciée. De ce fait, cette vision, souvent présentée comme irrésistible, fonctionne comme une « prophétie autoréalisatrice » qui modifie les comportements des policiers de telle sorte que ces derniers font advenir ce que la prophétie annonce : la focalisation du regard policier sur les groupes minoritaires conduit à une surreprésentation de ces derniers dans les clientèles policières, renforçant ainsi les préjugés des premiers envers les seconds.

26 In fine, les modes de problématisation du racisme par les policiers français et allemand présentent de fortes similarités. En revanche le traitement des populations minoritaires apparaît très différent en France et en Allemagne, ce qui invite à considérer l’impact des politiques institutionnelles et de l’encadrement légal et hiérarchique.

RÉGION PARISIENNE : LA POLARISATION DE L’ACTION POLICIÈRE SUR L’ANTICRIMINALITÉ

27 L’action policière a été ces dernières années recentrées sur la lutte contre la délinquance, et sur une hyper-valorisation du répertoire d’action qui, en France, lui est associé : contrôles, interpellations, recherche du flagrant délit. Ceci caractérise notamment le travail en Brigade anticriminalité (BAC) qui tend ainsi à incarner le pôle d’attraction des policiers de la base. Pour les gardiens de la paix en uniforme, le fait de « monter » à la BAC constitue une promotion dans la hiérarchie des postes de la police locale et permet de s’adonner pleinement aux tâches les plus valorisées dans le métier : la recherche du flagrant délit par des patrouilles intensives dans l’espace public, la connaissance et le contrôle régulier des jeunes voyous et enfin la collaboration avec des services de police judiciaire jugés plus prestigieux (comme la Brigade de répression du banditisme).

28 Cette valorisation de l’anticriminalité [13] explique l’imposition de la chasse au voyou comme définition a minima du travail policier en sécurité publique, et le recours généralisé aux contrôles d’identité. Ceux-ci sont en effet considérés comme le meilleur moyen de lever une affaire et permettent de mettre à l’épreuve le flair du chasseur. La pratique de la chasse, qui se traduit par des patrouilles répétées dans les secteurs de la ville considérés comme les plus sensibles, conduit le plus souvent les policiers à croiser et à contrôler des personnes déjà connues du service. Dans un tel contexte, l’apparence et le contrôle jouent un rôle central.

? Les justifications policières des contrôles : infractions, discipline, informations

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« Ce n’est qu’en contrôlant qu’on peut tomber sur des affaires, si on attend que ça vienne, on n’aura rien du tout [...] Donc on essaie de tourner au maximum là où on pense qu’il pourrait y avoir quelque chose. [Dans les secteurs pavillonnaires], il n’y aura pas grand-chose. Par contre, tout le secteur centre, les cités Flaubert, Zola et tout... là on peut tomber sur des choses. » (Julien, 23 ans, gardien de la paix, Unité de police de proximité, Victorcity, 02/06/06)

30 Le propos de ce jeune policier du commissariat de Victorcity, originaire de la Réunion et appartenant à l’« Unité de police de proximité », traduit la centralité des contrôles d’identité dans les pratiques des policiers de sécurité publique en France en relayant la croyance répandue selon laquelle sans contrôle, point d’affaire. Cet argument relève d’une forme de rationalité pénale. Même s’il n’existe pas de statistiques permettant de quantifier le hit-rate[14] des contrôles, plusieurs enquêtes qualitatives (Fassin, 2011 ; Gauthier, 2012) et quantitatives (Jobard et al., 2012 ; European Union Agency for Fundamental Rights, 2009) indiquent cependant que la part des infractions détectées par le biais des contrôles reste marginale. Si la rationalité pénale évoquée par Julien n’explique pas à elle seule les contrôles, comment alors comprendre leur usage par les policiers ?

31 Dans les territoires caractérisés par une forte conflictualité entre la police et la population, les contrôles d’identité revêtent souvent une rationalité disciplinaire. En plus des contrôles d’identité de voie publique (art. 78-2 CPP), les observations donnent également à voir la fréquence des « vérifications approfondies d’identité » (art. 78-3 CPP) dans les pratiques policières : lorsqu’un individu contrôlé sur la voie publique n’est pas en mesure de prouver son identité, les policiers peuvent le conduire au poste afin de la vérifier.

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« Ça se passe comment sur le terrain les vérifications approfondies d’identité ? »
« En général, le mec sans pièce d’identité, si on le connaît déjà et qu’il est un peu casse-bonbons, il va finir avec nous au poste. Comme ça après, on sait comment il s’appelle... ça aussi ça les calme, du moment qu’on sait comment ils s’appellent, ils hésitent un peu plus à venir nous casser les... » (Ben, 37 ans, brigadier, Victorcity, 24/03/09)

33 Le contrôle disciplinaire, qui mobilise des « techniques de pouvoir [...] essentiellement centrées sur le corps » (Foucault, 1997, 215) (séparation des groupes, immobilisation, enfermement dans un espace de souveraineté policière), permet de comprendre le recours au contrôle sur des personnes déjà connues par les policiers locaux ainsi que la déconnexion fréquente entre contrôle et infraction. Ce type de contrôles vise à faire partir d’un endroit donné, à empêcher la réunion, ou bien à calmer des jeunes en instaurant un rapport de force physique. Ce faisant, la rationalité disciplinaire est destinée à affirmer le pouvoir policier au sein de l’économie interactionnelle locale et à sanctionner des individus n’ayant pas forcément commis d’infraction mais mettant à l’épreuve l’autorité des policiers.

34 Enfin, dans le contexte de valorisation de l’anticriminalité, les contrôles visent également à recueillir des informations sur les populations-cibles de l’action policière et constituent à ce titre un outil de connaissance. Les interactions répétées avec des « jeunes voyous » sont destinées selon les policiers à accroître la « connaissance de la circonscription » et à rechercher le « renseignement ». En pratique, les informations obtenues sur la voie publique prennent le statut de renseignement lorsqu’elles acquièrent une valeur d’usage pour les services de police judiciaire. À ce titre, les BAC sont pensées par leur hiérarchie comme un maillon de renseignement intermédiaire entre la police de sécurité publique et la police judiciaire. Ces trois rationalités (pénale, disciplinaire et informationnelle) montrent que les contrôles policiers, à l’instar des confrontations policières violentes, s’organisent selon une « utilité sociale particulière » (Jobard, 2002, 273) non réductible à une rationalité pénale.

? L’apparence comme compétence professionnelle

35 Les policiers utilisent fréquemment des catégories racialisées étant donné que l’exercice du métier suppose un recours quotidien à la description, ainsi qu’à la qualification des personnes. Les catégories utilisées par les policiers pour décrire physiquement une personne sont plus ou moins codifiées en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent et du registre de discours qu’ils emploient. Parallèlement au sexe, à l’âge estimé, à la carrure et à l’habillement, cinq catégories (« types ») sont mobilisées de manière routinière par les policiers : types « Européen », « Nord Africain », « Africain », « Europe de l’Est » et « Asiatique » [15]. Lors du déclenchement de l’intervention policière, c’est donc l’aspect extérieur de la personne, son phénotype (sa couleur de peau, ses traits de visage et ses cheveux) sur lequel se fonde en partie le jugement policier : les « individus de type Africain » désigneront selon le sens pratique policier une personne dont la peau leur apparaît très foncée, peu importe qu’elle soit d’origine domienne, sud-américaine ou autre. En pratique, ces catégories sont donc déconnectées de l’origine réelle : lorsque la radio envoie une unité à la recherche d’un « homme de type africain », les policiers vont en réalité balayer l’espace public du regard et chercher un individu de sexe masculin à la peau noire ou très foncée.

36 Les policiers mobilisent également des termes du sens commun comme « blanc », « rebeu », « renoi ou black » ou « asiat » dans leurs discussions quotidiennes ou encore « Hassan » (nom générique donné aux Arabes), « Chinois » (nom générique donné aux Asiatiques), « Roums » (nom générique donné aux Roms), Kanak (nom générique donné aux suspects non-Blancs), « Mamadou » (nom générique donné aux Noirs) ou « Moldave » (nom générique donné aux Européens de l’Est) dans des registres qu’ils définissent souvent comme humoristiques mais qui peuvent s’avérer vexatoires et humiliants.

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« Comment décidez-vous de contrôler une personne ? »
« En général, c’est lié à une infraction, un signalement par radio, un mec qui fume un joint, un mec qui nous voit et qui se barre. Faut toujours qu’il y ait un cadre légal. Tu n’as pas le droit de contrôler à la tronche, c’est interdit par la loi, le délit de faciès ça n’existe pas. Même si nous on s’en sert pour trouver quelque chose à la base, la loi ne le détermine pas. » (Ben, 37 ans, brigadier, Victorcity, 24/03/09)

38 La remarque de ce brigadier montre l’ambivalence de l’usage des catégories d’apparence (« la tronche », « le délit de faciès ») qui constituent une ressource bien que leur usage soit proscrit par la loi : c’est « interdit par la loi » donc « ça n’existe pas » mais « on s’en sert ». Si la loi fait valoir un interdit explicite, il s’agit en pratique d’une compétence professionnelle revendiquée par tous [16] : l’apparence fait partie des compétences revendiquées par les policiers de terrain et des catégories d’action qu’ils mobilisent.

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« [...] Il y a des choses que t’apprends. Par exemple, même s’il ne faut pas faire du délit de faciès, t’as des gens, des catégories de personnes qui font telle ou telle délinquance, et puis d’autres qui font telles ou telles choses. Ça s’apprend. T’as notamment les pickpockets, les tireurs, c’est souvent des gens, tu vois, des “blédards” on les appelle, des gens qui viennent du Maghreb, c’est des mecs qui sont en situation irrégulière en France. Les mecs, pour te situer en général, c’est des mecs qui ont entre 25 et 40 ans et ils font que de la tire, c’est leur spécialité, eux, c’est leur spécialité, je dis pas que t’auras pas un Black qui va pas faire de la tire, mais en général, c’est eux, ils font de la tire, ils font du vol tire, c’est leur spécialité, donc... Ceux qui vendent la came, ceux qu’on appelle les “Modous”, c’est des Blacks, généralement, ce sont des Sénégalais, des Ivoiriens, des Zaïrois. Eux, ils vendent la came. Alors les “Modous”, ils travaillent dans le métro, c’est-à-dire qu’ils parcourent les lignes de métro, ils ont des clients, des toxs, et ils les servent dans le métro. Ils ont des petites boulettes de came enveloppées dans du plastique très serré, et ils mettent tout ça dans la bouche. Comme ça, si jamais ils sont interpellés, ils avalent. Et on trouve rien sur eux [...] Ensuite, les vols à l’arraché, par exemple, c’est des petits jeunes de cité qu’ont entre 15 et 18 ans et qui sont spécialisés dans le vol à l’arraché de téléphone portable, ou de sac à main, ou de tout ce qui peut se chourer ou ce qui peut s’arracher. Ça, c’est les jeunes, ça. Les cambriolages, c’est souvent des toxicomanes [...] qui revendent pour se payer leur came, ils font des cambriolages ou des vols roulottes, ou... voilà. En gros, ça te permet que toi, quand tu vois dans la rue des choses comme ça, de dire “Lui, il est peut-être à la tire”, “Lui c’est peut-être un cambrioleur...” Et ça, ça s’apprend à force d’en faire. » (François, 32 ans, gardien de la paix, BAC nuit, Paris, 12/05/04)

40 À son tour, François revient sur le savoir coupable (Hughes, 1996, 101) que constitue le recours à l’apparence comme catégorie d’action du travail policier. L’âge, le sexe, la couleur de peau, l’accoutrement, l’origine réelle ou supposée de certains individus fonctionnent comme des indices perceptifs qui fondent le soupçon policier par le biais d’un raisonnement catégoriel (Macrae et Bodenhausen, 2003). Cet extrait d’entretien livre par ailleurs d’autres dimensions de l’usage policier des catégories d’apparence ou d’origine : leur association avec des types d’infraction d’une part, leur apprentissage au cours de la socialisation professionnelle d’autre part, et enfin les liens tissés par les policiers entre différents types de catégories d’âge, d’appartenance géographique, de déviances, etc. Cet extrait permet alors d’avancer « l’hypothèse que les préjugés sont acquis par apprentissage, notamment par l’acceptation des attitudes courantes du milieu social auquel on appartient » (Taguieff, 1988, p. 242).

41 Les catégories racialisées participent au cadrage des interactions policières lorsqu’elles sont constitutives du soupçon policier, de l’exigence de déférence ou encore de l’interprétation des interventions comme conflits culturels. Faiblement contradictoires avec l’identité professionnelle revendiquée par les policiers, ces variations de l’action policière lorsqu’elles s’exercent vis-à-vis des minorités font partie des routines professionnelles en banlieue parisienne et à Berlin. Des modulations plus importantes des comportements policiers peuvent avoir lieu qui prennent la forme de relâchement des contraintes déontologiques.

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L’équipage Bravo, composé de trois hommes blancs, dont Marco, patrouille dans les quartiers résidentiels du plateau de Victorcity. Marco repère deux hommes en habits de travail et portant des sacs à dos. Les fonctionnaires les identifient immédiatement comme des « Moldaves » ou des « Polonais ». La voiture de police fait demi-tour et s’arrête à leur niveau. Les deux hommes semblent comprendre sur-le-champ l’intention des policiers, ils stoppent leur marche et ne bronchent pas lorsque Marco leur annonce : « Police nationale, contrôle d’identité ». Les deux hommes ont un fort accent d’Europe de l’Est, ils vouvoient les policiers, présentent leurs cartes de séjour et se montrent très déférents. Marco leur fait « Okech mecs ! », il fouille leurs sacs et les bombarde de questions : « Vous êtes en France illégalement ou pas ? », « Vous êtes en vacances ? Vous venez d’où là ? ». En pointant du doigt les sacs à dos il demande : « C’est de l’uranium ? », « Des kalachnikovs ? » [Rires des policiers, rires gênés des deux hommes]. Le contrôle des identités par la radio indique que les papiers sont en règle. Chacun se salue et retourne à ses affaires. Une fois dans la voiture, je demande les raisons du contrôle, Marco m’annonce ironiquement : « Délit de sale gueule !... ». Et puis sur un ton plus sérieux : « À Victorcity, il y a pas mal de gens de l’Est qui cambriolent, et eux ils avaient un sac à dos... » (Extrait du journal de terrain, Victorcity, 15/06/06)

43 Lors des entretiens, Marco évoquait son état de frustration lié à la dégradation de la qualité du travail. Sa critique radicale de sa condition de flic s’accompagnait dans son discours d’une vision très pessimiste de la société, de la justice et de la politique. Il insistait notamment sur le fait que les gens ne voudraient pas voir la réalité en face quant à la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration et de la déchéance morale dans laquelle ces derniers se trouveraient. Dans l’extrait ci-dessus, on voit comment l’attitude de Marco se traduit sur la voie publique par un relâchement des exigences déontologiques : ironie vis-à-vis de son métier, contrôle déconnecté d’une quelconque infraction, usage d’un vocabulaire familier et ton agressif. Le cadrage de l’interaction est fondé sur l’origine et l’apparence des deux hommes : leur étiquetage par les policiers comme « Moldaves », ainsi que les railleries que ces derniers leur adressent, indiquent que les policiers recourent à des catégories d’apparence et d’origine pour calibrer leur comportement. Étant donné que le « délit de sale gueule », qui confère une dimension discriminatoire au contrôle, n’est pas légitime, surtout devant un observateur extérieur, Marco se justifie en évoquant ce que Banton nomme la « discrimination statistique », c’est-à-dire un « traitement différencié réservé aux membres d’un groupe, indépendamment de la conduite spécifique des individus, sur la base d’une croyance voulant qu’il soit disproportionnellement probable qu’ils possèdent certaines caractéristiques » (Reiner, 2003, p. 172).

44 Dans le contexte français, l’action policière se traduit par un paradoxe entre la revendication formelle de l’égalité de traitement et le recours concret à des catégories racialisées lors des situations d’intervention. En pratique, la valorisation de l’anticriminalité au sein de la sécurité publique encourage un ensemble de pratiques reposant principalement sur le « décryptage des apparences » (Jobard et Lévy, 2011, p. 191) qui tend alors à être érigé en compétence professionnelle de premier plan.

BERLIN : LE CONTRÔLE PAR LA PRÉVENTION

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« Quand on parle aujourd’hui de prévention, on pense très vite aux immigrés, à cette masse critique de jeunes gens et à leurs difficultés d’insertion. » (Gehrart, 54 ans, chef de l’Unité intégration et migration, 02/04/08)

46 Dans le contexte berlinois de la fin des années 2000, les communautés immigrées sont associées aux problématiques d’ordre public par le biais de deux thématiques principales : la délinquance des jeunes issus de l’immigration (principalement turque et arabe dans le cas d’Antonkiez-Nord) et les craintes associées au développement de formes radicales d’islam. Parallèlement, les stratégies de prévention sont considérées comme un moyen d’empêcher la survenue d’émeutes comme celles qui ont eu lieu en France. Enfin, la crainte formulée par les autorités berlinoises vis-à-vis de l’émergence de supposées sociétés parallèles composées de personnes issues de l’immigration isolées du reste de la société allemande et développant leur propre organisation économique, politique et religieuse, mais également des formes de déviance spécifiques, incite la police à mettre en place des stratégies de « dialogue » et de désescalade, de constitution de réseau, de recherche de partenaires au sein des populations minoritaires, et de recrutement de policiers issus de l’immigration.

47 Dans les quartiers berlinois dits sensibles, la place accordée à l’anticriminalité en général, et aux contrôles d’identité en particulier, est beaucoup plus marginale qu’en région parisienne au profit de stratégies dites de prévention définies au niveau du Land de Berlin dans un contexte où la Loi fondamentale de 1949 attribue aux Länder la définition des politiques de sécurité et l’organisation des services de police. La doctrine préventive et les stratégies d’évitement des conflits (Deeskalation) influencent directement la définition des répertoires d’action policiers valorisés et mobilisés sur le terrain. La prévention est fondée sur l’identification de groupes et de populations considérés comme étant à l’origine de comportements à combattre. Dans le cas de Berlin ces groupes sont les jeunes, les marginaux et les communautés issues de l’immigration. La police y déploie des stratégies consensualistes (Aden, 2001, p. 466-468), recherche l’implication des acteurs locaux (travailleurs sociaux, associations communautaires, écoles) et met en avant le travail en réseau dans des formes de coproduction de la sécurité locale. Ainsi, une autre forme de contrôle policier des populations minoritaires se déploie dans le cas berlinois, préconisant des stratégies d’ancrage dans la société locale au détriment des pratiques policières plus coercitives évoquées dans le cas français.

48 Considérée comme la zone la plus sensible de Berlin, la Direktion où se sont déroulées les enquêtes de terrain, et plus particulièrement le commissariat de Nord-Antonkiez, constituent des têtes de ponts des différentes réformes engagées par la préfecture de Police. Ces services sont de ce fait placés sous le regard de la hiérarchie et les statistiques annuelles de la criminalité font l’objet d’une attention particulière. Comme dans l’extrait qui précède, les policiers estiment que l’importance accordée aujourd’hui à la prévention relève d’un changement dans les manières de faire, caractérisées jusqu’à un passé récent par la répression. Qu’ils se montrent enthousiastes ou critiques, les policiers berlinois doivent composer avec la politique de prévention mise en place par la préfecture de Police. Dans ce contexte de valorisation de la prévention, le travail en civil d’anticriminalité ne revêt pas le même prestige en Allemagne qu’en France. Ainsi, les BAC des commissariats d’Antonkiez-Nord et de Spreeheim ont du mal à recruter des agents et à assurer un effectif suffisant de dix policiers.

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Lors de mon premier jour d’observation, nous rentrons au poste (avec deux policiers) après une mission aux alentours de minuit. Nous passons à proximité d’une voiture à l’arrêt occupée par quatre jeunes hommes « des pays du Sud » comme disent les policiers berlinois. De la fumée s’échappe d’une des fenêtres ouvertes. Au bout de quelques minutes, je demande aux policiers s’ils ont envisagé un contrôle car il me semblait que cela aurait été le cas à Victorcity. Ils me répondent « peut-être mais nous n’en avons pas le droit ! » (Extrait du journal de terrain, Antonkiez, 01/10/07)

50 La fréquence nettement moins élevée à Berlin qu’à Victorcity des contrôles de voie publique sur initiative, des interpellations et des gardes à vue constitue le premier objet d’étonnement de l’observateur français. Les contrôles « sur initiative », réalisés dans l’objectif de déceler une infraction, ne constituent pas une pratique routinisée. Comme le suggèrent les policiers dans l’extrait qui précède, un des facteurs explicatifs de cette différence réside dans l’encadrement légal et hiérarchique des contrôles qui tend à réduire le pouvoir discrétionnaire des policiers.

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« Et malgré ton constat d’augmentation de l’hostilité envers les policiers, vous ne faites pas de contrôles d’identité ? »
« Ça dépend... C’est chaque policier qui décide mais la loi dit que nous n’avons pas le droit. Seulement dans certains endroits, les zones dangereuses. Et c’est le plus gros problème que nous avons, nous n’avons simplement pas le droit de contrôler comme ça. La police allemande a des lois strictes, et on doit faire très attention. Je n’ai pas le droit d’aller vers quelqu’un et de lui demander ses papiers. Je dois toujours avoir une raison. Je dois dire qu’ici, on facilite beaucoup la vie aux délinquants (Straftäter). On peut dire que l’Allemagne c’est le paradis pour eux ! C’est incroyable ! Mais c’est la loi et on ne peut pas la changer. Les contrôles de véhicules, on peut les faire assez simplement. Mais, pour les personnes, nous devons faire très attention [...] Si par exemple un policier fait quelque chose de contraire à la loi (rechtswidrig), il aura une sanction. Elles sont importantes et on a beaucoup de problèmes. » (Discussion lors d’une patrouille, Antonkiez, 21/11/07)

52 La plupart des policiers berlinois s’estiment entravés par une loi restrictive ainsi que par les sanctions pouvant découler d’un usage non justifié des contrôles d’identité. Cet encadrement du pouvoir discrétionnaire explique en partie pourquoi les policiers berlinois recourent peu à la pratique de la chasse, c’est-à-dire la recherche du flagrant délit par le recours aux contrôles d’identité. À ceci s’ajoute l’injonction faite par la hiérarchie de mettre en place des stratégies de désescalade, c’est-à-dire de neutralisation des conflits par le biais de médiations et d’arrangements à l’amiable, tout en évitant le recours à l’interpellation et au dépôt de plainte.

? La « différence culturelle » comme compétence professionnelle

53 Dans un contexte national de cadrage des politiques publiques selon un référentiel culturel, les stratégies préventives de la police de Berlin comportent un volet interculturel concernant directement les personnes « issues de l’immigration » (mit Migrationshintergrund). Ainsi, les problèmes entre policiers et personnes issues de l’immigration sont interprétés à travers des référents culturels, aussi bien par les policiers de la base, engagés dans les tâches préventives que dans la politique institutionnelle d’ouverture interculturelle de la police berlinoise. L’investissement dans les tâches de prévention et/ou dans les compétences interculturelles ouvre des perspectives de spécialisation et de carrière. Dans un contexte de promotion institutionnelle de la prévention, le travail en brigades spécialisées dans l’action préventive permet de diversifier les tâches, de mettre à distance les tâches dévalorisées (constats d’accident ou encore servitudes administratives), et d’acquérir des compétences susceptibles d’être converties en avancement de carrière (réseau, communication, connaissance de la société locale).

STÉRÉOTYPE CULTURALISTE ET DÉCISION POLICIÈRE

Deux policiers blancs, Martin et Roni reçoivent un appel concernant un accident entre deux voitures non loin du commissariat. Nous nous rendons sur les lieux. Un véhicule avec à son bord quatre jeunes adultes blancs a coupé la route à une voiture conduite par Amin qui parle arabe, un allemand approximatif et qui a la peau basanée. Les adolescents reconnaissent leurs torts et les déclarations des témoins confirment la version d’Amin. Martin et Roni effectuent la procédure habituelle en cas d’accident de la route sans gravité puis nous remontons dans la voiture de police. Les deux coéquipiers ne sont pas d’accord : Roni pense qu’il s’agit d’un « accident à la turque » (türkischer Unfall) c’est-à-dire que l’accident a été provoqué par Amin dans le but de toucher l’assurance tout en grossissant les dégâts. Il dit que c’est un « cas typique » car il trouve suspect qu’Amin n’ait pas provoqué de scandale « parce que c’est un Arabe ! Et que les Arabes font toujours blablabla !... » La discussion entre les deux policiers devient plus tendue car Martin n’est pas d’accord et pense que la situation était tout à fait claire. L’enjeu est d’une certaine importance puisqu’il leur est possible d’inscrire cet accident dans le logiciel central de la police, Poliks, ce qui pourra servir par la suite si le soupçon d’escroquerie est confirmé. Néanmoins cette inscription nécessiterait un long travail d’enregistrement informatique que les policiers trouvent fastidieux. Le policier suspicieux décide de chercher sur le même logiciel d’éventuels antécédents d’Amin qui pourraient alors fonder sa décision. Amin n’a pas d’antécédent et est seulement enregistré en tant que victime d’une rixe. Il décide alors de ne pas mentionner l’accident sur Poliks. (Extrait du journal de terrain, Antonkiez, 05/10/07)

54 L’identification d’Amin comme « Arabe » est constitutive du soupçon policier : Roni se fonde sur un stéréotype concernant les Arabes pour mettre en cause sa bonne foi dans l’accident. La qualité de l’accidenté est donc évaluée à l’aune de son « arabité » sur laquelle se construit le soupçon policier : les individus sont étiquetés comme suspects en fonction de leur apparence ; surtout, ce sont les contradictions entre l’apparence et ce que les gens font qui fondent le soupçon policier (Feest et Blankenburg, 1972). L’expérience dont se revendique Roni vient par ailleurs apporter sa légitimé au soupçon : selon le policier, un « Arabe qui ne provoque pas de scandale » adopterait un comportement contraire à celui qu’il attribue aux Arabes. Le préjugé culturaliste adopte alors une « fonction de régulation de l’action » (Taguieff, 1988, p. 249) qui explique que l’action policière se fonde en partie sur un savoir-faire racialisé.

? Les « spécialistes de l’intégration »

55 La brigade spécialisée Unité intégration et migration (UIM) constitue la principale entité sur laquelle repose l’institutionnalisation de la question minoritaire dans la police berlinoise et son évolution reflète la transformation récente du rôle de la police envers les populations issues de l’immigration. Les policiers de l’UIM revendiquent une spécialisation dans les questions interculturelles et se définissent comme des spécialistes de l’intégration tout en valorisant la prévention au détriment du volet répressif de leur action [17] (interpellations d’étrangers en situation irrégulière ou contrôles de régularité des séjours). D’après les policiers de l’unité, les compétences requises sont, outre la spécialisation en droit des étrangers, « être ouvert à la discussion et à la communication », « disposer de connaissances interculturelles », être « innovant » et « indépendant ». On voit ainsi émerger une figure moderne de l’agent de police, qui revendique certains critères distinctifs par rapport à l’identité professionnelle traditionnelle des policiers, fondée sur le vrai métier, c’est-à-dire les seules tâches répressives [18].

56 En pratique, l’UIM investit beaucoup de temps dans les tâches de prévention comme le travail de mise en réseau et de communication avec des acteurs et des groupes d’acteurs considérés comme influents au sein des communautés immigrées (les mosquées, les associations culturelles, politiques, religieuses et sportives, ou encore les promoteurs de spectacles ou d’événements sportifs), d’une part, ainsi qu’avec différentes institutions berlinoises, d’autre part (l’office des Étrangers, le préposé aux Étrangers et à l’immigration, les écoles et administrations scolaires, le Sénat de Berlin...). L’UIM s’est ainsi construit un véritable réseau de partenaires qui lui assure à la fois une réserve d’informateurs et une base de légitimité. Les liens établis entre l’institution et les groupes de migrants permettent ainsi de connaître et de contrôler certains groupes minoritaires et de faciliter les interventions policières au sein des communautés étrangères de Berlin. Enfin, l’UIM est associée par la hiérarchie policière au développement conceptuel et pratique de l’ouverture interculturelle des services de police, notamment concernant les mesures de discrimination positive dans le recrutement de policiers et de policières issus de l’immigration au sein de la police de sécurité publique berlinoise [19].

57 Ces spécialistes de l’intégration tentent également de s’imposer comme pôle dominant au sein du réseau d’acteurs locaux en investissant un rôle politique par la mise en avant de leurs compétences interculturelles et leur travail en réseau auprès des représentants cultuels musulmans. L’élargissement du domaine de compétence policier à l’interculturalité ouvre ainsi aux policiers une fenêtre d’opportunité pour étendre le périmètre de leur action. Cette évolution du rôle de la police reconfigure le jeu d’acteurs de la politique du quartier entre la justice, l’institution scolaire, l’administration municipale pour la jeunesse (Jugendamt), l’Office des étrangers (Ausländerbehörde), les associations de migrants et la mairie.

58 Cette transformation du rôle traditionnel de la police de sécurité publique a également des effets sur les acteurs partenaires de l’action policière. Par exemple, la coopération des associations de migrants avec les policiers de l’UIM, ainsi qu’avec les policiers de commissariat impliqués dans les tâches préventives, peut ouvrir à une reconnaissance de statut ainsi qu’à l’attribution de subventions municipales. Les représentants de ces associations ont ainsi intérêt à entretenir de bonnes relations avec l’institution policière. Par ailleurs, on peut faire l’hypothèse que cette économie de l’interculturalité influe sur la manière par laquelle les différents acteurs vont construire leur identité culturelle. À Berlin, les personnes minoritaires sont donc à la fois cibles, clientes et partenaires des politiques de prévention.

CONCLUSION : RACIALISATION ET COERCITION

59 Dans les deux contextes étudiés, l’ordre social fabriqué par la police (Favre, 2009) dans les quartiers et auprès des populations considérées comme sensibles repose sur des rapports de pouvoir racialisés. La comparaison entre les terrains français et allemand souligne néanmoins le rôle déterminant des choix institutionnels dans l’articulation entre action policière et fait minoritaire. À Berlin, l’approche culturaliste est le produit d’une politique institutionnelle assumée ; dans le cas français, le recours aux catégories d’apparence constitue un savoir coupable de l’institution, faisant l’objet d’un déni de la part de la hiérarchie et des autorités politiques, mais encouragé en pratique par les politiques publiques valorisant l’anticriminalité. Ces deux manières d’appréhender l’altérité, qui participent des techniques de pouvoir étatique et de gouvernement des populations minoritaires dans les deux pays, peuvent être comprises comme des registres de racialisation de l’action publique. La comparaison montre que ces registres de racialisation sont le produit des répertoires d’action policiers mis en œuvre, et que, par conséquent, ils impliquent un exercice différencié de la coercition policière : l’approche par la prévention et la différence culturelle à Berlin a pour effet de mettre à distance les pratiques policières de contrôle, d’interpellation et de mise en garde à vue. Dans le cas allemand, l’étayage institutionnel culturaliste permet une reconnaissance par la hiérarchie de l’existence de ce type de catégories d’action [20], tout en fondant l’action publique sur une forme d’essentialisme culturel. Dans les contextes français et allemand, les modes d’action policiers produisent donc des formes de ciblage des populations minoritaires fondées sur un savoir-faire racialisé, ne s’accompagnant que dans certains cas isolés (plus fréquents en France qu’en Allemagne) d’une essentialisation idéologique des différences raciales ou de comportements hostiles anti-minoritaires.

60 Tributaire des faits observés sur les terrains d’enquête, nous avons rendu compte de ce qui nous a semblé être le fonctionnement moyen de l’institution policière en adoptant une perspective de sociologie compréhensive. Analyser une institution à travers ses routines plutôt que par le prisme des pratiques déviantes permet ainsi de comprendre que celle-ci puisse produire du racisme et de la discrimination sans que pour autant ses agents ne manifestent une hostilité ostentatoire anti-minoritaire [21]. Parallèlement, l’expérience professionnelle propre aux policiers des commissariats de banlieues françaises génère une forme de racisme qui, justement parce qu’il ne prend pas toujours les formes les plus radicales, finit même par s’imposer aux policiers eux-mêmes issus de l’immigration. Ces catégories d’action racialisées sont inscrites dans les routines professionnelles et leur activation dépend de fenêtres d’opportunité plus ou moins ouvertes selon les répertoires d’action policiers privilégiés et les politiques institutionnelles.

61 Dans le contexte allemand, l’imposition de l’autorité policière étant assurée par un maillage serré des quartiers dits sensibles par les réseaux de partenaires, les contrôles d’identité proactifs perdent de fait une grande partie de leur utilité policière. Si la police berlinoise apparaît moins génératrice de discrimination que dans le cas français, elle n’en contribue pas moins à hiérarchiser des groupes de personnes en fonction de leur nationalité, de leur culture ou de leur religion. Dans le contexte francilien, les rapports conflictuels et racialisés qu’entretiennent les policiers avec une partie de la population peuvent être compris comme le produit de cette délégation du contrôle social à une police qui se trouve dans le même temps en dehors de la société locale, alimentant ainsi l’argument selon lequel « une catégorie devient propriété policière quand les forces dominantes de la société [...] délèguent les problèmes liés au contrôle social de cette catégorie à la police » (Lee, 1981). En France, où les populations urbaines les plus pauvres appartiennent pour la plupart aux minorités visibles, cette hypertrophie du rôle d’une police coupée de la société, alimentée par les politiques sécuritaires, produit en creux la manière dont les policiers se représentent et agissent auprès des personnes qui constituent la propriété policière.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Cet article a été réalisé avec le soutien de la Fondation pour les sciences sociales. L’auteur aimerait par ailleurs remercier Mathilde Darley, Gwénaëlle Mainsant et Sarah Mazouz pour leurs commentaires critiques.
  • [2]
    Selon cet article, les policiers « peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner : qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ; ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ; ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire ». Il est par ailleurs précisé que l’« identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ».
  • [3]
    Nous utilisons le terme « racial » dans une acceptation constructiviste, en rupture avec le sens biologique de la notion de « race » : « la race est un concept opérant, la race comme catégorie est un genre réel, qui nous permet de désigner les pratiques raciales associées. L’on doit pouvoir utiliser le concept de race pour poser un diagnostic social et pour déconstruire les hiérarchies et les dominations existantes » (Bessone, 2013, 114).
  • [4]
    Les rapports conflictuels entre policiers, adolescents et jeunes adultes sont bien documentés, tant du côté de la population (Lapeyronnie, 2008 ; Kokoreff, 2008 ; Boucher, 2010 ; Mohammed, 2011, 2014 ; Hajjat, 2014) que du côté des policiers (Fassin, 2011 ; Boucher, 2012 ; Jobard, 2006 ; Gauthier, 2012).
  • [5]
    Le fédéralisme impute aux Länder la compétence en matière de sécurité publique.
  • [6]
    Lorsqu’ils se déroulent dans le cadre d’une enquête, les contrôles d’identité sont encadrés par le Code de procédure pénale fédérale (Strafprozessordnung, § 163b). Lorsqu’ils sont effectués dans le but de prévenir un danger (Gefahrenabwehr), les contrôles sont définis au paragraphe 21 de la loi de police berlinoise.
  • [7]
    Les contrôles effectués dans les trains par la Police fédérale (Bundespolizei), dont le caractère discriminatoire a été porté devant la justice, ne rentrent pas dans le cadre de cette enquête.
  • [8]
    Dans le Land de Berlin par exemple, les « contrôles discrétionnaires » (Verdachtsunabhängige Kontrolle) ont d’abord été autorisés dans la loi régionale en 1999 puis retirés en 2004 (Pütter, 2008, 96). En revanche, la possibilité de tels contrôles a été maintenue au sein des « zones dangereuses » (gefährliche Orte) à l’intérieur desquelles les policiers ont donc le droit de contrôler les personnes sans restrictions.
  • [9]
    Les ethnographies comparatives du travail policier restent rares. Voir cependant : (Maguer, 2004 ; Cassan, 2005 ; Huey, 2005 ; Bayley, 1990). Pour une introduction à la comparaison franco-allemande sur différents aspects de la chaine pénale, voir (Jobard et Groenemeyer, 2005, 235-236).
  • [10]
    La notion de « racialisation » sera ici comprise comme un processus de catégorisation visant à altériser un groupe (Robert Miles, 1989, 75). L’attention portée sur les formes de racialisation produites par l’action policière invitera à analyser les « manières dont, au sein d’une configuration politique et sociale particulière, certains attributs, qui ne sont pas nécessairement corporels, revêtent un sens racial, c’est-à-dire qu’ils sont naturalisés et qu’ils servent, ainsi, à altériser et à soumettre à un rapport de pouvoir celles et ceux qui en sont porteurs » (Mazouz, 2010, 15).
  • [11]
    Chiffres : [http://sig.ville.gouv.fr].
  • [12]
    Le terme allemand de « Brennpunkt » utilisé pour qualifier ce secteur renvoie à l’idée de « quartier sensible » dans le contexte français.
  • [13]
    Cette image des BAC comme unités d’élite des commissariats de sécurité publique a été également soulignée dans d’autres travaux (Fassin, 2011 ; Gauthier, 2004 ; Jobard, 2008).
  • [14]
    Bien que la méthodologie utilisée dans l’enquête sur les contrôles d’identité à Paris commanditée par l’OSI ne permette pas d’évaluer avec précision le taux de réussite des contrôles, les auteurs jugent négativement l’efficacité des contrôles : « le fait que presque un tiers des contrôles aient été des contrôles ordinaires sans autre opération policière et que l’on ait laissé repartir 78 % des personnes contrôlées, sans qu’il y ait apparemment besoin de les emmener au poste, conduit à s’interroger sur leur efficacité dans la détection des infractions ».
  • [15]
    La pratique policière a élaboré une typologie des apparences qui s’est cristallisée dans la nomenclature du fichier signalétique « Canonge » créé sous forme manuelle en 1950, puis informatisé et intégré dans le système STIC. Cette nomenclature distingue 12 « types » différents : « blanc (caucasien), méditerranéen, gitan, moyen-oriental, nord-africain maghrébin, asiatique eurasien, amérindien, indien (Inde), métis-mulâtre, noir, polynésien, mélanésien-canaque ».
  • [16]
    René Lévy notait déjà en 1987 que « même chez les policiers qui ne professent pas ouvertement des convictions racistes, le recours à des catégorisations fondées sur l’appartenance ethnique est fréquent. Elles constituent en quelque sorte des instruments de travail et font partie de cet ensemble de connaissances pratiques qui forment l’arrière-plan, la référence du travail policier, y compris dans des domaines où l’attribut ethnique ne constitue pas le seul indice d’un illégalisme potentiel » (Lévy, 1987, 31).
  • [17]
    L’UIM met à disposition ses agents lors d’interventions policières ciblées dans les communautés étrangères (contrôle de régularité des maisons closes berlinoises, maintien de l’ordre dans des manifestations sportives ou culturelles, opérations spéciales sur les lieux de trafic de stupéfiants...).
  • [18]
    Concernant l’IUM, voir Gauthier, 2009.
  • [19]
    Pour une critique du caractère stéréotypé de la vision de l’islam et de la culture arabe telle que définie par la perspective policière interculturelle, et concernant les conflits liées à l’origine au sein du monde professionnel policier, voir (Gauthier, 2011).
  • [20]
    Sur les différentes formes d’étayage institutionnel du fait minoritaire dans les polices françaises et allemandes, voir également (Gauthier, 2011).
  • [21]
    Voir a contrario : Fassin, 2011.
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