Sociétés 2013/1 n°119

Couverture de SOC_119

Article de revue

Stéphane Lupasco : vers la fin d'une noble marginalité

Pages 71 à 78

Notes

  • [*]
    Centre international de recherche et études transdisciplinaires, Paris. Vice-président, Inter- et Transdisciplinarité Société Internationale pour les Études de l’Information, Vienne, Autriche. Directeur-adjoint Centre International pour la Philosophie de l’Information, Xi’An, Chine. joe.brenner@bluewin.ch.
  • [1]
    S. Lupasco, Le principe d’antagonisme et la logique de l’énergie (1951), Éditions du Rocher, Paris, 1987.
  • [2]
    G. Durand, « L’anthropologie et les structures du complexe », in H. Badescu et B. Nicolescu (dir.), Stéphane Lupasco : l’homme et l’œuvre, Éditions du Rocher, Paris, 1999.
  • [3]
    E. Morin. « Lupasco et les pensées qui affrontent les contradictions », in B. Nicolescu (dir.), À la confluence de deux cultures : Lupasco aujourd’hui, Éditions Oxus, Escalquens, 2010.
  • [4]
    P. Ioan. Stéphane Lupasco et ses trois logiques, Iasi, Editura « Stefan Lupascu », 2000 (en roumain).
  • [5]
    Voir mon article biographique en anglais, J. E. Brenner, « The Philosophical Logic of Stéphane Lupasco », Logic and Logical Philosophy 19 (3), 2010, p. 243-285.
  • [6]
    J. E. Brenner, Logic in Reality, Springer, Dordrecht, 2008.
  • [7]
    N. Bhushan, J. L. Garfield, D. Raveh (dir.), Contrary Thinking: Selected Essays of Daya Krishna, Oxford University Press, Oxford, 2011.
  • [8]
    B. Nicolescu (dir.), À la confluence de deux cultures : Lupasco aujourd’hui, Éditions Oxus, Escalquens, 2010.
  • [9]
    S. Lupasco, Logique et contradiction, Presses universitaires de France, Paris, 1947.
  • [10]
    M.-W. Debono, L’ère des plasticiens. Aubin Éditeur, Saint-Étienne, 1996.
  • [11]
    J. E. Brenner, “The Logic of Plasticity: A Lupascian Analysis”, Plastir, 14(3), 2009.
  • [12]
    A. Naess, Ecology, Community and Lifestyle (trans. D. Rothenburg), Cambridge University Press, Cambridge, 1989.
  • [13]
    F. Guattari, Les trois écologies, Éditions Galilée, Paris, 1989.
  • [14]
    M. Maffesoli, Matrimonium. Petit traité d’écosophie, CNRS Éditions, Paris, 2010.
  • [15]
    A. N. Whitehead, Process and Reality, The Free Press, New York, 1978.
  • [16]
    M. Maffesoli, « L’initiation au présent », Les Cahiers européens de l’imaginaire, n° 3, « Technomagie », CNRS Éditions, Paris, 2011.
  • [17]
    J. Habermas, On the Logic of the Social Sciences, UK, Polity Press, Cambridge, 1988.
  • [18]
    M. Beigbeder, Contradiction et Nouvel Entendement, Bordas, Paris, 1971.
  • [19]
    D. S. Wilson, E. O. Wilson, “Rethinking the theoretical foundation of sociobiology”, The Quarterly Review of Biology, 82 (4), 2007, p. 327-348.
  • [20]
    S. Lupasco. L’homme et ses trois éthiques, Le Rocher, Paris, 1986.
  • [21]
    F. Flahault. Où est passé le bien commun ? Mille et une nuits, Paris, 2011.
  • [22]
    J. E. Brenner, “Information in Reality: Logic and Metaphysics”, triple-C, 9(2), 2011, p. 332-341.

1 – Le cas de Stéphane Lupasco

1La plupart des penseurs qui n’ont pas acquis une renommée de leur vivant restent marginaux. Leurs travaux n’ont qu’un impact faible, voire inexistant, sur l’évolution des disciplines d’une part et sur la société et la vie sociale d’autre part. C’est certainement le cas de Stéphane Lupasco, d’origine roumaine, né à Bucarest en 1900 et mort à Paris en 1988.

2Dans ses articles et quelque quinze livres écrits en français, à commencer par sa thèse d’État en 1935, Lupasco a cependant construit un système de logique et de philosophie scientifique rigoureusement fondé dans la meilleure science de son temps, la mécanique quantique, puis la biologie et la cosmologie. Lupasco a su mettre les dualités bien connues de charge, polarité magnétique, spin, etc., en relation avec les concepts, déjà discutés par Aristote et revus par les physiciens du début du XXe siècle, d’actualité et de potentialité [1]. En outre, il a vu que les oppositions entre forces énergétiques présentes aux niveaux anorganique (macrophysique), biologique et cognitif étaient capables de donner lieu, logiquement et physiquement, de par cette opposition même, à des entités nouvelles.

3Malheureusement, bien que reçu avec enthousiasme par des artistes et des écrivains, Lupasco n’a pas convaincu la communauté académique de la valeur de son œuvre pour la logique et pour la science. En 1991, l’œuvre de Lupasco a même été écartée comme étant « du romantisme allemand du XIXe siècle ». Aujourd’hui, l’incapacité de la logique et de la philosophie standard à soutenir une évolution saine d’une société basée sur l’information souligne la nécessité d’un nouveau cadre, rigoureux mais non réductionniste. Je maintiens que la logique philosophique de Lupasco fournit ce cadre. Il est temps d’en finir avec sa « noble marginalité », qui, selon l’expression de Gilbert Durand [2], « a donné à sa théorisation tant de force, de liberté et d’audace », mais nous a depuis trop longtemps privés d’en bénéficier.

4Edgar Morin a écrit [3] que Stéphane Lupasco est revenu au caractère fondateur et fondamental des antagonismes et que sa théorie est un outil transdisciplinaire qui permet l’exploration parallèle de la philosophie, des sciences humaines, de l’art et des sciences naturelles. Selon le logicien Petru Ioan [4], « la pensée de Lupasco rend actuelle la tradition d’une philosophie solidaire de la science, qui couvre tous les champs de la connaissance, de la physique macroscopique, de la microphysique et de la cosmologie jusqu’à la cybernétique, la sociologie, l’éthique, etc. ». Le lecteur comprendra que seule une toute petite partie de cette œuvre peut être résumée ici [5].

2 – La logique de Lupasco en quelques mots

5L’œuvre de Lupasco est intimement liée aux travaux de Basarab Nicolescu, professeur (ém.) de physique théorique à l’université de Paris VI et ami et collègue de Lupasco, avec Edgar Morin et d’autres, dans la fondation du Centre international de recherche et d’études transdisciplinaires à Paris. La « logique du tiers inclus » de Lupasco doit être considérée comme une logique du changement, dont l’origine est l’idée d’une dynamique d’opposition qui constitue le cœur de toute entité, et que l’on retrouve dans tous les processus du réel. Comme l’a dit Nicolescu, la logique de Lupasco est une vraie logique, formelle et formalisable. C’est la logique de et dans la réalité construite à partir des axiomes, d’une sémantique, d’un calcul et d’une ontologie catégorielle, comme je l’ai montré dans mon livre, Logic in Reality[6]. Nicolescu a étendu et rendu plus rigoureuse la logique de Lupasco par l’ajout de concepts de complexité et de niveaux de réalité. Ces trois sujets constituent les trois piliers de la transdisciplinarité dans l’acceptation de Nicolescu et de ses associés.

6Il faut penser la logique lupascienne comme une logique de tendances, où les relations sont aussi importantes que les choses qu’elles relient, comme dans la mécanique quantique relationnelle. Ses éléments sont des probabilités non standards où la superposition d’états a en partie les propriétés d’un tiers inclus émergeant – l’état-T de contradiction maximale.

7Pour Lupasco, tout est processus dynamique. Même les objets et les structures stables ne le sont que temporairement. Les structures sont plutôt des « structurations », le même terme qu’en anglais. Vingt ans plus tard, le sociologue anglais Anthony Giddens a appliqué aux processus de formation et d’évolution de la société.

2.1 – Et les autres logiques…

8La logique de Lupasco ressemble aux logiques inductives et « abductives » en ce que la préservation de la vérité n’est pas garantie. Elle ne remplace pas les logiques classiques bivalentes ou multivalentes mais se réduit à elles pour les systèmes simples. La logique « paraconsistante » accepte les contradictions, mais seulement linguistiques. À la différence de toute autre logique standard, la logique de Lupasco n’est pas neutre mais elle véhicule des valeurs morales et artistiques. Elle serait la logique que le grand penseur et « outsider » indien Daya Krishna recherchait, c’est-à-dire « une logique de l’imagination, commune à tout homme de foi de toutes les religions, qui vit dans un monde de passion et de sens… » [7].

2.2 – À la confluence de deux cultures

9Les actes du colloque international « Lupasco aujourd’hui » [8], qui s’est tenu à Paris le 24 mars 2010, porte le titre « À la confluence de deux cultures ». Ce titre évoque deux résonances : d’abord celle des deux cultures, roumaine et française, présentes à Paris, mais aussi celle des deux cultures au sens où en parlait C. P. Snow dans Two Cultures (1959), une vision vieille déjà de plus d’un demi-siècle, qui séparait la pensée intellectuelle (occidentale) entre les sciences naturelles et les sciences humaines. On dit toujours qu’il faut chercher un pont pour surmonter cette séparation. Pour moi, la fondation d’un tel pont existe déjà dans le principe de Lupasco d’une opposition dynamique qui assure la non-séparabilité des domaines aussi bien cognitifs (théories) que physiques dans l’acceptation standard du terme.

10Du point de vue méthodologique, la pensée de Lupasco, directement et à travers la transdisciplinarité, peut être mise en relation avec plusieurs domaines de pensée, récents et moins récents, majoritairement épistémologiques. J’en résumerai trois ici : l’art et l’imagination ; la plasticité ; et l’écosophie. Mais la logique de Lupasco s’applique et est même nécessaire pour une nouvelle compréhension des sciences ontologiques mainstream, entre autres la sociologie et les théories des systèmes, de l’information et des messages (communication). Ce sont des domaines que la logique standard, même dans ses versions modernes – « paraconsistantes », modales, déontiques, etc. –, est incapable de décrire ou d’en expliquer l’évolution et les patterns d’inférences probables. Ici, je ne peux donner une perspective lupascienne que du premier groupe et de la sociologie.

3 – L’art, l’imaginaire et la contradiction

11Dans son application des principes de sa logique à l’esthétique, Lupasco dit [9] que celle-ci doit être axée et évoluer inversement à la logique des processus rationnel ou irrationnel, autrement dit, inversement à un processus tendant vers l’identité ou la diversité absolue de la non-contradiction. La logique de l’esthétique doit procéder du non-contradictoire au contradictoire ; elle « vise » la contradiction. L’artiste génère un devenir à partir de l’opposition intérieure de ses consciences de la diversité et de l’identité, avec l’émergence du tiers inclus que nous nommons « œuvre d’art ».

12Les œuvres d’art sont généralement considérées comme des fictions, donc fausses, parce que contradictoires. Les artistes ne cherchent pas un quelconque vrai ou réel, mais le « vrai faux », défini comme la contradiction d’affirmation et de négation et de toute identité et diversité pure. Pour Lupasco, l’art n’est ni réel ni irréel. La réalité est l’aspect de l’ordre logique antagoniste des choses potentialisées et objectifiées, et l’irréalité est le même ordre actualisé et subjectifié. C’est pourquoi, dans l’expérience esthétique, le sujet et l’objet ont tendance à se superposer, voir à disparaître en tant que tels. L’œuvre d’art est la plus esthétique lorsqu’elle est la plus semi-subjective et semi-objective en même temps, la moins réelle et irréelle ou mieux la plus semi-réelle et semi-irréelle. Avec ce schéma, il est facile de voir l’œuvre d’art comme un phénomène émergeant des contradictions, des forces et des pulsations voire des obsessions contradictoires à l’intérieur de l’artiste.

13Ces principes ont été développés et appliqués dans le cadre du Centre de Recherche sur l’Imaginaire fondé par Gilbert Durand et de la revue Les Cahiers de l’imaginaire fondée en 1998 par lui-même et Michel Maffesoli.

4 – La plasticité

14Marc-Williams Debono a réalisé une autre synthèse très importante des principes qui lient la science et l’art, surtout la poésie qu’il appelle la plasticité et dont les acteurs sont des plasticiens[10]. La plasticité dans l’acceptation de Debono est une caractéristique physique profonde des systèmes réels à tous les niveaux – anorganiques, biologiques, cognitifs et sociaux – de la constitution physique de notre monde. C’est un processus actif qui lie les formes et le contenu en relation à leur appréhension par le sujet humain.

15Pour Debono, les thèses et la logique antagoniste de Lupasco sont capitales pour une compréhension et une lecture du monde réellement différente. Les plasticiens sont les artisans d’un langage neuf, opérant sur une « matière plastique » constituée par « un espace-temps intérieur, totalement libre et souple, hautement conscient ». La plasticité est inscrite dans l’actualité et en même temps elle en est l’expression vitale car elle réunit dans une même dynamique l’origine, l’expression et la conséquence. (Voir ma propre analyse de la plasticité [11].) Tournons-nous maintenant vers la troisième perspective épistémologique, l’écosophie.

5 – L’écosophie, ou qui a peur de Stéphane Lupasco ?

16L’écosophie [12] est une doctrine qui fut proposée en 1960 par le chercheur norvégien Arne Naess. Comme la transdisciplinarité, l’écosophie cherche à renverser toute perspective anthropocentriste comprise dans le mauvais sens du terme, et à donner à l’homme une place juste dans la nature, participant à une éthique environnementale ou à une « écologie profonde » (deep ecology).

17L’écosophie a été appliquée par Félix Guattari aux « trois écologies », environnementale, sociale et mentale [13], comme un métamodèle esthétique et politique. Guattari a voulu en faire un outil de travail pour « agir effectivement au cœur du capitalisme mondial intégré », une logique extérieure aux logiques de causalité, d’identité, de tiers exclus et de continuité – une logique du tiers inclus. Malheureusement, sa logique du tiers inclus n’a ni profondeur ni fondation – un simple et/et au lieu de et/ou. Des références à la théorie de Lupasco sont absentes, bien qu’ils aient été tous deux contemporains. Il n’y a à ma connaissance aucune logique autre que celle de Lupasco qui décrit la relation énergétique, dynamique entre les membres des paires de phénomènes opposés, y compris l’identité, le tiers exclus et la continuité que le monde « instancie » aussi.

18Dans son Petit traité d’écosophie[14], Michel Maffesoli prend des positions compatibles, dans leur réalisme esthétique, avec la logique de Lupasco : recherche de méthode pour accepter le clair-obscur de l’existence ; valorisation de la présentation réelle plutôt que des représentations postulées ; relation dynamique (entre-appartenance) entre l’être naturel et l’être social, etc.

19Selon Maffesoli, le concret est ce avec quoi et en fonction de quoi l’on peut croître : « En son sens étymologique : cum crescere, c’est croître avec ». Je vois ici une référence à la concrescence d’A. N. Whitehead : « Le processus, ou concrescence, d’une entité actuelle implique les autres entités actuelles parmi ses composants. De cette façon, la solidarité manifeste du monde reçoit son explication [15] ». Et Maffesoli de conclure : « La logique conjonctive est à l’ordre du jour. C’est le cœur battant de cette écosophie dont il a été question ».

20Qu’est-ce que Lupasco aurait dit de notre cyber-société postmoderne décrite par Maffesoli [16], dont « la cyberculture est tout à la fois expression de la puissance de l’image et de la jouissance inutile » ? Je pense à une étape, dont les contours post-post-modernes se dessinent déjà, dans laquelle se conjuguent en alternance un peu plus de rigueur, un peu plus de profondeur, ainsi qu’un savoir surplombant.

6 – De la logique des sciences sociales

21La logique de Lupasco soutient donc l’écosophie ainsi qu’une « sociologie d’imagination », domaine défini par Maffesoli. Mais cette logique s’applique également à la sociologie tout court.

22On reconnaît dans le titre de cette section celui d’un important ouvrage de Jürgen Habermas [17], publié en allemand en 1970. Habermas démontre l’incapacité des sociologues, limités par leurs approches strictement linguistiques, de proposer des analyses solides des phénomènes sociaux. Finalement, son projet est un constat d’échec : nous pouvons travailler avec un fondement phénoménologique de la sociologie, mais il y manque une logique adéquate. Je pense pour ma part que la logique de Lupasco en est une, parce qu’elle est la logique du changement par excellence.

23Selon le sociologue Marc Beigbeder [18], la logique de Lupasco résout la nécessité d’une psychologie et d’une sociologie séparées, l’une pour l’individu et l’autre pour le groupe. De par la relation dynamique entre les deux disciplines, on doit considérer le groupe aussi comme ayant en partie le caractère d’un individu, et vice versa. Le groupe et l’individu sont en partie sujet et objet, le siège d’une conscience de conscience, apparentée à un état-T. Le concept d’une individualité pure est une fiction. La société déploie donc une complémentarité dialectique entre les groupes et les individus qui la composent.

24Lupasco a pris comme point de départ pour son analyse de la pensée sociologique contemporaine l’existence de deux types de pathologies mentales de l’être humain, lesquelles sont caractérisées par des relations contradictoires avec le monde extérieur – la société. Il s’agissait pour lui de démontrer combien la réalité sociale – ce qui est « sociologique » – est intégrée dans une structure phénoménologique plus vaste. Aujourd’hui, nous pouvons mettre cette théorie en rapport direct avec les études du biologiste E. O. Wilson [19] sur la fondation génétique de deux types de comportement, principalement altruiste ou égoïste. Le mouvement entre les deux tendances, soit à l’intérieur d’un individu soit entre individus et groupes, suit la logique d’alternance de Lupasco.

7 – Où est passé le bien commun ?

25Dans son dernier livre, L’homme et ses trois éthiques[20], Lupasco établit la relation entre les termes de sa logique et les courants principaux dans la société. Pour lui, « la pensée dite de gauche est une pensée homogénéisante extrêmement puissante », détruisant l’hétérogénéité nécessaire de l’individu. Par contre, le néo-libéralisme ou capitalisme sauvage, tel qu’il existe dans les démocraties, comporte une sorte d’anarchie d’individualisme excessif « qui fonctionne grâce à l’abolition progressive d’un dynamisme antagoniste d’homogénéité ». Ce texte pourrait être un point de départ pour un débat nouveau sur les moyens d’agir moralement dans notre société. Il pourrait constituer une base théorique en vue de développer l’idée de François Flahaut [21] sur l’antagonisme entre les droits de l’individu et le bien commun, ce dernier ayant été potentialisé récemment par les dérives communistes.

8 – Conclusion

26Dans cet article, j’ai résumé la logique philosophique de Stéphane Lupasco et tenté de démontrer son intérêt pour un nouveau départ dans plusieurs domaines d’actualité. En effet, si l’opposition dynamique et du tiers inclus logique représente des principes de structure dans la science et la philosophie qui ont été ignorés ou laissés sans fondement jusqu’aujourd’hui, il est hautement temps de rectifier cet état de fait. Par exemple, les sciences de l’information [22] sont un domaine dont il paraît impossible de saisir la complexité sans se référer à une dynamique globale issue des principes de Lupasco, ainsi que ceux de Nicolescu sur la conception des niveaux de réalité.

27Il est encore beaucoup trop tôt pour dire si l’œuvre de Lupasco aura un impact sur la pensée du XXIe siècle ou si elle restera simple curiosité intellectuelle. À mon avis, les demandes d’un approfondissement de la compréhension de la science et de la philosophe rendraient caduques toutes les logiques propositionnelles comme étant inadéquates à une Weltanschauung satisfaisante. Malheureusement, l’inertie de la logique et de la philosophie standard est énorme ; malgré le dysfonctionnement de la société néo-capitaliste, on n’a pas encore reconnu le besoin d’une logique alternative. Certes, il existe les publications citées en haut, ainsi que les travaux actuels des associés de Nicolescu en France, en Roumanie et au Brésil, dans le domaine de la transdisciplinarité. Mais c’est peu. Comme l’aurait dit Lupasco, la tendance vers l’acceptation et la mise en œuvre de sa logique reste, pour le moment, majoritairement potentielle…


Mots-clés éditeurs : société, philosophie, logique, processus, réalité, science, information

Mise en ligne 06/05/2013

https://doi.org/10.3917/soc.119.0071

Notes

  • [*]
    Centre international de recherche et études transdisciplinaires, Paris. Vice-président, Inter- et Transdisciplinarité Société Internationale pour les Études de l’Information, Vienne, Autriche. Directeur-adjoint Centre International pour la Philosophie de l’Information, Xi’An, Chine. joe.brenner@bluewin.ch.
  • [1]
    S. Lupasco, Le principe d’antagonisme et la logique de l’énergie (1951), Éditions du Rocher, Paris, 1987.
  • [2]
    G. Durand, « L’anthropologie et les structures du complexe », in H. Badescu et B. Nicolescu (dir.), Stéphane Lupasco : l’homme et l’œuvre, Éditions du Rocher, Paris, 1999.
  • [3]
    E. Morin. « Lupasco et les pensées qui affrontent les contradictions », in B. Nicolescu (dir.), À la confluence de deux cultures : Lupasco aujourd’hui, Éditions Oxus, Escalquens, 2010.
  • [4]
    P. Ioan. Stéphane Lupasco et ses trois logiques, Iasi, Editura « Stefan Lupascu », 2000 (en roumain).
  • [5]
    Voir mon article biographique en anglais, J. E. Brenner, « The Philosophical Logic of Stéphane Lupasco », Logic and Logical Philosophy 19 (3), 2010, p. 243-285.
  • [6]
    J. E. Brenner, Logic in Reality, Springer, Dordrecht, 2008.
  • [7]
    N. Bhushan, J. L. Garfield, D. Raveh (dir.), Contrary Thinking: Selected Essays of Daya Krishna, Oxford University Press, Oxford, 2011.
  • [8]
    B. Nicolescu (dir.), À la confluence de deux cultures : Lupasco aujourd’hui, Éditions Oxus, Escalquens, 2010.
  • [9]
    S. Lupasco, Logique et contradiction, Presses universitaires de France, Paris, 1947.
  • [10]
    M.-W. Debono, L’ère des plasticiens. Aubin Éditeur, Saint-Étienne, 1996.
  • [11]
    J. E. Brenner, “The Logic of Plasticity: A Lupascian Analysis”, Plastir, 14(3), 2009.
  • [12]
    A. Naess, Ecology, Community and Lifestyle (trans. D. Rothenburg), Cambridge University Press, Cambridge, 1989.
  • [13]
    F. Guattari, Les trois écologies, Éditions Galilée, Paris, 1989.
  • [14]
    M. Maffesoli, Matrimonium. Petit traité d’écosophie, CNRS Éditions, Paris, 2010.
  • [15]
    A. N. Whitehead, Process and Reality, The Free Press, New York, 1978.
  • [16]
    M. Maffesoli, « L’initiation au présent », Les Cahiers européens de l’imaginaire, n° 3, « Technomagie », CNRS Éditions, Paris, 2011.
  • [17]
    J. Habermas, On the Logic of the Social Sciences, UK, Polity Press, Cambridge, 1988.
  • [18]
    M. Beigbeder, Contradiction et Nouvel Entendement, Bordas, Paris, 1971.
  • [19]
    D. S. Wilson, E. O. Wilson, “Rethinking the theoretical foundation of sociobiology”, The Quarterly Review of Biology, 82 (4), 2007, p. 327-348.
  • [20]
    S. Lupasco. L’homme et ses trois éthiques, Le Rocher, Paris, 1986.
  • [21]
    F. Flahault. Où est passé le bien commun ? Mille et une nuits, Paris, 2011.
  • [22]
    J. E. Brenner, “Information in Reality: Logic and Metaphysics”, triple-C, 9(2), 2011, p. 332-341.
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