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Article de revue

Le principe de neutralité confessionnelle de l'État

Pages 63 à 85

Notes

  • [1]
    Il est vrai que dans un arrêt du 15 oct. 2003 (Odent, n° 244428) relatif à une sanction infligée à un agent public qui avait utilisé son adresse électronique professionnelle pour diffuser des messages relatifs à une association religieuse, « principe de laïcité » et « obligation de neutralité » sont distingués. Mais étaient visés en l’espèce d’une part le principe de laïcité de l’État et d’autre part l’obligation de neutralité s’imposant aux agents publics.
  • [2]
    CE 15 mars 2005, Min. Outre-Mer), AJDA 2005 p. 1463, note Claude Durand Prinborgne ; RFDC 2005, p 631 ; Rev. Droit Local 2004, N° 44, p. 19 note Jean-Marie Woehrling.
  • [3]
    AJDA 2002 p. 63 note Bernard Toulemonde ; Rev. Dr. Canonique 2002, p.173 concl. Emmanuelle Mignon ; Rev. Dr. Local 2001 n° 41, note Jean-Marie Woehrling.
  • [4]
    Sur une présentation critique de celle-ci, voir. J.-M. Woehrling, Réflexion sur le principe de la neutralité de l’État en matière religieuse et sa mise en œuvre en droit français : Archives de Sciences Sociales des Religions, 1998, n° 101, p. 31 à 52.
  • [5]
    Sur cette question, voir : J.-M. Woehrling, L’interdiction pour l’État de financer ou de reconnaître un culte : quelle valeur juridique ? RDP 2006, p. 1633.
  • [6]
    Rapport public 2004, Un siècle de laïcité, EDCE n° 55, La Documentation française, 2004.
  • [7]
    Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 relative au Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
  • [8]
    « Les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République laïque » […] interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » et s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté…de croyance. »
  • [9]
    Dans les nombreux arrêts qu’elle a consacrés à la liberté de religion, la Cour n’a pas remis en cause les systèmes institutionnels liant autorités publiques et institutions religieuses considérant que l’objectif de la neutralité peut être atteint, sous certaines conditions, malgré de tels liens. CEDH, 3 nov. 2009, Lausti C. Italie (registre n° 30814/06).
  • [10]
    CEDH 31 juill. 2008, Communauté religieuse des témoins de Jéhovah c/ Autriche ; 5 Janv. 2007, Branche moscovite de l’armée du salut ; 13 déc. 2001 Église métropolitaine de Bessarabie c/ Moldova.
  • [11]
    Voir la déclaration annexe n° 11 du traité d’Amsterdam.
  • [12]
    Maurice Barbier, Pour une définition de la laïcité française, Débat, 2005, n° 134, étude disponible sur Internet http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/0205-Barbier-FR-5.pdf.
  • [13]
    Pierre-Henri Prélot, Définir juridiquement la laïcité, in Gérard Gonzalez (Dir.) Laïcité, liberté et Convention européenne des droits de l’Homme, Collect. Droit et Justice, n° 67, Bruylant, 2006, p. 115. P.-H. Prélot relativise d’ailleurs cette date de 1958 en indiquant que jusqu’à une période récente la doctrine ne s’est pas beaucoup interrogée sur la signification juridique de la laïcité.
  • [14]
    Philippe Ségur, Le principe constitutionnel de laïcité, Annales de l’Univ. des Sc. Soc. de Toulouse, 1996, p. 117. Ph. Ségur reprend la même analyse dans une autre étude « Observations sur la notion de laïcité en droit constitutionnel » (voir son site http://ph.segur.free.fr) dans laquelle, après avoir constaté les « contradictions du principe de séparation », il développe l’idée de laïcité comme principe de neutralité.
  • [15]
    Note sous CE 16 mars 2005, AJDA 2005, p.1464.
  • [16]
    Cette double orientation, séparation ou neutralité s’exprime déjà lors des débats précédant l’adoption de la Constitution de 1946 (Voir Jean Rivéro, la notion juridique de laïcité, D. 1949 Chron 33, p30). On la retrouve dans de nombreuses études datant de la 4e ou du début de la 5e République : L. de Naurois, le concept de laïcité en droit français, Rec., Ac. Leg. De Toulouse, 1951, p. 109 ; B. Trotabas, la notion de laïcité dans le droit de l’Église catholique et de l’Eyat français, LGDJ 1961.
  • [17]
    Vincente Fortier, Justice, religion et croyance, Editions du CNRS 2000, p. 12
  • [18]
    Certes, le rapport Stasi estime que « la laïcité ne saurait se réduire à la neutralité de l’État » et y inclut de nombreux autres éléments, mais il s’agit plus d’une approche de philosophie politique que d’une analyse juridique de la laïcité.
  • [19]
    F. Messner, P.-H. Prélot, J.-M. Woehrling, Traité de droit français des religions, Ed. du JurisClasseur-Litec, Paris, 2003, IIIe Part. Titre1, Chap 1 : La neutralité religieuse de l’État, n° 923, p. 427.
  • [20]
    Il est frappant de constater que plusieurs des auteurs cités précédemment justifient la définition du concept constitutionnel de laïcité par la neutralité plutôt que par la séparation en se référant à la nécessité de prendre en compte le régime local d’Alsace-Moselle.
  • [21]
    On en déduit hâtivement par esprit de parallélisme que les religions elles aussi devraient être « neutres » par rapport aux options politiques. Tel n’est pas le cas. La neutralité est une option de l’État occidental et démocratique. Mais il ne peut imposer celle-ci aux confessions religieuses, lesquelles peuvent fort bien avoir des engagements politiques marqués et ont le droit de les exprimer notamment dans le cadre électoral. Cette absence de parallélisme dans la neutralité entre l’État et les religions a bien été mise en lumière par le Conseil d’État dans son avis du 29 novembre 1989 sur le port du foulard a l’école : c’est le service public qui doit être neutre et non les usagers. Pour interdire ce port, il a fallu une loi spéciale.
  • [22]
    Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, « la Convention exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci », Hassan et Tchaouch, 26 oct. 2000.
  • [23]
    CE 23 juin 2000 Min. Eco. et Fin. C/ Ass. Locale pour le culte des témoins de Jéhova de Clamecy, DF, 26 avril 2000, n° 17, Comm. 352 ; AJDA 2000 p.
  • [24]
    Stefan Huster, Die Bedeutung des Neutralitätsgebots für die verfassungstheoretische und verfassungsrechtliche Einordnung des Religionsrechts, in H.M. Heinig und C. Walter (Hrg.) Staatskirchenrecht oder Religionsverfassungsrecht ? Mohr Siebeck 2007, p. 107.
  • [25]
    On peut regretter que la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics n’ait pas en le souci de mieux indiquer que l’objectif poursuivi n’était pas de limiter une pratique religieuse, mais de régler un problème d’ordre dans les établissements.
  • [26]
    Sous réserve, ainsi qu’on le verra plus loin de respecter le principe de proportionnalité.
  • [27]
    On aura reconnu ici le concept de discrimination indirecte. La question est également traitée ci-après.
  • [28]
    Gérard Gonzalez, L’exigence de neutralité des services publics, in G. Gonzalez (Dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’Homme, Bruylant, 2006, p. 153.
  • [29]
    C’est ce que souligne la Cour européenne des droits de l’Homme dans son arrêt Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie (26 oct. 2000) en mettant l’accent sur le caractère indispensable d’une autonomie à reconnaître aux communautés religieuses.
  • [30]
    Voir par ex. l’arrêt du 23 oct. 1990 Peter Darby (la Cour ne met pas en cause l’Église d’État existant en Suède) la décision du 23 oct. 1992 Iglesia Batista « El Salvador » et Ortega Moratilla c/ Espagne (au sujet du statut particulier de l’Église catholique) ou l’arrêt du 16 déc. 1997 Église de la Canée (qui ne met pas en cause la position particulière de l’Église orthodoxe grecque).
  • [31]
    CEDH 13 déc. 2001 Église métropolitaine e Bessarabie c/ Moldova.
  • [32]
    L’article I-52 de la Charte des droits fondamentaux dispose que « l’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres » et qu’elle « maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier, avec ces églises et organisations. La Cour européenne exige l’octroi de la personnalité juridique (Église catholique de La Canée c. Grèce, précité) et reconnaît un droit collectif à la liberté religieuse (12 octobre 1988 Verein Kontakt)..
  • [33]
    CEDH 20 oct. 2000 Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie, précité note 11.
  • [34]
    En d’autres termes, si l’État doit strictement s’abstenir d’imposer une conviction religieuse aux individus, il retrouve une marge de manœuvre au plan des actions positives en faveur de telle ou telle institution religieuses.
  • [35]
    Voir ci-dessus note 2.
  • [36]
    Voir par ex. : CJCE 14 février 1995 Finanzamt Köln-Altstadt aff C 279/93 Rec. P. I-225 point 30.
  • [37]
    Voir par exemple la décision du Conseil Constitutionnel n° 99-423 DC du 23 janvier 2000 (Cons. 60).
  • [38]
    Voir un exemple récent : CE 28 mars 1997 Ste Baxter, RFDA 1997 p 450 ; 13 mars 2002 Union fédérale des consommateurs RFDA 2003 p 785.
  • [39]
    On a pu s’interroger si le traitement différent en droit français entre les groupements correspondant à des convictions religieuses et ceux correspondant à des convictions a-religieuses était compatible avec les principes de neutralité et d’égalité (Gérard Gonzalez, Convention européenne des droits de l’Homme, cultes reconnus et liberté de religion, Ev. Dr. Canonique, 2004, T54, p. 49 ; Jean-Marie Woehrling, L’interdiction pour l’État de financer ou de reconnaître un culte : quelle valeur juridique ? RDP 2006, p. 1633.
  • [40]
    La sphère publique ne vise pas que la seule sphère des autorités publiques, mais bien au-delà la vie collective sous tous ses aspects : espace public, médias, vie associative, activité économique et sociale, etc.
  • [41]
    Voir J-M Woehrling, Neutralité culturelle et mission culturelle de l’État : reflexions sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande relative aux crucifix dans les écoles Rev. Droit Canonique 2000, T50/1, p. 29. La question a été relancée avec acuité avec l’arrêt Lautsi du 3 novembre 2006 (voir note).
  • [42]
    Alexander Hollerbach, Der Staat ist kein Neutrum, in Hans Maier (Hrsg.), Das Kreuz im Widerspruch, Herder, Freiburg, 1996, p. 28.
  • [43]
    « Arguments for complete state secularism and neutrality are essentially founded upon the assumption that the state is by law required to function on the basis of objective rational agnosticism. The assumption is however based on a fiction, since the state functions through human organs and humans are by definition religious beings, their religion unavoidably being subjective and grounded in a personal conviction of what is right in the world and what is wrong. […] The answer then, to the question whether the constitutional state can really be secular, seems to be « no » if « secular » is to mean that the state and its organs must be neutral in matters concerning the religious considerations and sentiments of the citizenry, especially in religiously plural societies. Objectivity, not unconcerned neutrality, is called for on the part of the state. Secularism has religious significance and therefore does not guarantee objectivity. To attempt to isolate law and government by placing them in a compartment of neutral rationality and to classify religious responses of people to the claims of others for the protection of their freedoms into the category of intuition or emotion, does not take the matter forward. » Francois Venter, Can a constitutional state really be secular ?, IACL workshop on secularism and constitutionalism, 14 June 2007.
  • [44]
    Par sa volonté même de neutralité et de liberté religieuse individuelle, un tel État favorise objectivement un émiettement et une individualisation du fait religieux faisant muter ainsi la signification sociale de celui-ci d’une référence partagée d’une communauté à une option personnelle. En affirmant la primauté de ses propres normes, il s’oppose nécessairement aux courants religieux qui veulent faire prévaloir la suprématie de la norme religieuse sur les normes civiles.
  • [45]
    Rev. Droit Canonique 2000, T50/1, p. 35.
  • [46]
    13 févr. 2006 sentenza n° 56-02, AJDA 2006 p. 399. V. aussi Auer, Le crucifix et le foulard devant le juge constitutionnel suisse in : Dietmar Mieth et al. (Hg), Recht – Ethik – Religion : der Spannungsbogen für aktuelle Fragen, historische Vorgaben und bleibende Probleme, Festgabe Giusep Nay, 2002, p. 210.
  • [47]
    En particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui reconnaît en la matière une large marge d’appréciation aux États.
  • [48]
    Jugement du 24 sept. 2003, (aff. Ludin ; 2 BvR 1436/02) extraits dans Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15.
  • [49]
    Certains se demandent si elle n’est pas un mythe : Karl-Heinz Ladeur und Ino Augsberg, Der Mythos vom neutralen Staat, Juristen Zeitung, 1/2007, p. 12
  • [50]
    Selon, la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, constitue une discrimination le fait d’appliquer à une personne une règle générale sans tenir suffisamment compte de sa situation particulière notamment en relation avec ses conditions religieuses : CEDH 6 avr. 2000, Thlimmenos c/ Grèce : La Cour considère comme discriminatoire le refus d’accès à la profession d’expert comptable opposé à un témoin de Jéhova au motif que la loi exclut un tel accès à des personnes condamnées pénalement alors que l’intéressé n’a fait l’objet d’une condamnation de cette nature qu’en raison de son refus, pour des motifs religieux, de porter l’uniforme.

1Durant les années 1980 et 1990, la discussion juridique sur le statut des cultes en France était dominée par la référence au principe de séparation. À partir des années 2000, la discussion s’est déplacée vers l’affirmation du principe de neutralité. Non pas que le principe de séparation n’ait été mis en cause, ni que la notion de neutralité n’ait été méconnue auparavant. Mais dans la période récente, le principe de séparation est apparu moins significatif que le principe de neutralité.

2Le principe de séparation a donné son titre à la loi du 9 décembre 1905. Par référence à cette loi, la doctrine juridique a présenté ce principe comme étant au cœur du régime français des cultes. Cette idée de séparation avait une importante toute particulière dans le cadre du conflit qui a opposé l’Église catholique et les autorités de l’État. Aujourd’hui, ce conflit est dépassé et la discussion s’est déplacée vers d’autres aspects avec la transformation du paysage religieux. C’est dans ce contexte qu’un autre concept s’est développé en même temps que les références légales se sont déplacées de la loi de 1905 au niveau constitutionnel et au niveau conventionnel. Le principe de neutralité a acquis une primauté par rapport au principe de séparation, lequel est désormais perçu comme une modalité de mise en œuvre d’un principe plus important.

3Cette évolution a été favorisée par la prise de conscience des incertitudes du principe de séparation. Si l’évocation de ce principe reste très puissante au plan idéologique, sa portée juridique est incertaine. Un examen détaillé des dispositions de la loi de 1905 et de son application montre que celle-ci établit une séparation très relative : en ce qui concerne le patrimoine cultuel, elle organise une vraie cogestion de la plus grande part des immeubles affectés au culte ; la règle du non-subventionnement fait l’objet de nombreuses exceptions ; la non-reconnaissance est relativisée par une pratique qui a instauré une quasi-reconnaissance pour l’accès au statut des associations cultuelles ; etc. À cela s’ajoute la visibilité accrue des régimes légaux particuliers (Alsace-Moselle, Outre-Mer) qui, sans se référer à la séparation, veulent néanmoins se comprendre comme conformes au principe de laïcité. Enfin, la prise en compte des besoins religieux de certaines parties de la population a conduit l’État à des pratiques de collaboration accrue avec des institutions religieuses (cf. le rôle actif de l’État dans la mise sur pied et le fonctionnement d’institutions représentatives du culte musulman, dans la question de l’abattage rituel ou dans la question des produits casher). Au-delà de ces éléments, le fait qu’au plan européen, la règle de la séparation soit rarement consacrée et le souci de dégager des concepts communs en matière de gestion du religieux conduit à prendre des distances à l’égard d’une séparation mal comprise au bénéfice d’une idée plus contemporaine de neutralité.

4Après avoir illustré la consécration du principe de neutralité au plan juridique et rappelé ses principales justifications dans le contexte contemporain, la présente étude analysera le contenu de ce principe. Elle montrera que si l’objet théorique du principe est solidement établi, sa portée pratique reste souvent incertaine. Le concept même de neutralité comporte des ambiguïtés qui laissent ouvertes de nombreuses options d’organisation du droit des religions.

La consécration du principe de neutralité

5La place éminente du principe de neutralité dans le système contemporain de droit des religions se manifeste à plusieurs égards en France.

Le principe de neutralité apparaît dans la jurisprudence du Conseil d’État comme une interprétation du principe constitutionnel de laïcité

6Cette analyse apparaît clairement dans l’avis du Conseil d’État du 22 mars 2000, Mlle Marteaux : dans cet avis, le Conseil d’État se réfère « au principe […] de la laïcité de l’État et de la neutralité des services publics » ; dans cette expression, laïcité et neutralité de l’État sont mentionnées comme relevant d’un même principe [1]. Dans l’arrêt plus récent du Conseil d’État du 16 mars 2005 ministre de l’Outre-Mer [2], au terme duquel « le principe constitutionnel de laïcité implique neutralité de l’État et traitement égal des différents cultes », il est donné une définition du principe constitutionnel de laïcité dans laquelle il n’est pas fait mention de la séparation, mais de la neutralité de l’État. Dans un arrêt SNES du 6 avril 2001 [3], le Conseil d’État a consacré la laïcité comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République tout en admettant que le régime particulier de l’enseignement confessionnel d’Alsace-Moselle ne fût pas remis en cause par l’existence d’un tel principe fondamental. De divers arrêts relatifs au régime local d’Alsace-Moselle, il résulte que, contrairement à l’opinion d’une partie de la doctrine [4], les règles figurant à l’article 2 de la loi de 1905 n’ont pas de portée constitutionnelle [5]. Dans son rapport sur la laïcité, le Conseil d’État souligne que celle-ci « doit à tout le moins se décliner en trois principes : ceux de neutralité de l’État, de liberté religieuse et de respect du pluralisme ». La séparation n’y prend qu’une place secondaire, marquée historiquement [6].

L’idée de neutralité est également induite des principes constitutionnels

7L’article 1 de la Constitution, dans la mesure où il dispose que la République « respecte toutes les croyances », pose un principe de neutralité en même temps que de liberté et d’égalité. On peut aussi évoquer la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 [7] relative au Traité constitutionnel de l’Europe. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel ne se réfère pas au principe de séparation pour définir la République laïque, mais expose que la laïcité signifie que « les règles communes prévalent dans les relations entre les collectivités publiques et les particuliers [8] » ; cette formulation est indirectement une référence à la neutralité, la loi commune étant l’instrument de la neutralité.

La neutralité consacrée par la jurisprudence européenne

8La référence à la neutralité de l’État est également très présente dans le cadre européen, en particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui ne se réfère guère à l’idée de séparation, [9] mais consacre celle de neutralité. Dans de nombreux arrêts, la Cour parle d’une « obligation de neutralité » s’imposant aux États dans l’exercice de leurs pouvoirs en matière religieuse, ainsi que d’un « devoir d’impartialité [10] ». L’idée de neutralité religieuse de l’État appliquée à l’enseignement est à la base de l’arrêt remarqué de la cour européenne sur le crucifix dans les salles de classe italiennes. On peut certainement aussi parler d’un principe de neutralité des institutions communautaires [11].

Le principe de neutralité reconnu par la doctrine

9Le « glissement » du principe de séparation vers le principe de neutralité comme concept explicatif de la laïcité se manifeste notamment dans la littérature juridique depuis une dizaine d’années. Dans une étude consacrée à la définition de la laïcité, Maurice Barbier distingue la laïcité « législative » (la loi de 1905) et la laïcité « constitutionnelle » cette dernière se définissant par la neutralité de l’État en matière religieuse et non par la séparation des Églises et de l’État » [12]. Sur le même sujet, Pierre-Henri Prélot aboutit à des conclusions analogues : » C’est une conception juridique de la laïcité comme neutralité religieuse de l’État qui a prévalu de manière générale après 1958 [13]. Pour Philippe Ségur également, « la neutralité de l’État en matière de religion est au cœur de la laïcité », celle-ci devant être comprise plutôt comme « neutralité positive » que comme « neutralité négative [14] ». Selon Claude Durand-Prinborgne, « la laïcité n’est que la neutralité appliquée au religieux [15] ».

10Certes, c’est de manière traditionnelle que la laïcité est interprétée tantôt dans le sens de la séparation (avec une connotation de méfiance à l’égard des religions), tantôt dans le sens de la neutralité (avec une connotation de bienveillance) [16]. Mais dans les années récentes, la conscience est devenue plus aiguë du caractère insuffisant, voir insatisfaisant de l’insistance sur la séparation [17]. De plus, la portée juridique de ces notions a été approfondie dans les années récentes [18], ce qui a conduit à relativiser la portée de l’idée de séparation et à renforcer celle de neutralité [19].

Au-delà de ces éléments, c’est la nécessité d’assurer une position d’arbitrage à l’État dans une société de plus en plus plurireligieuse et pluriculturelle qui impose l’idée de neutralité

11L’État « démocratique » entend organiser la vie en commun de manière pacifique entre des citoyens partageant des convictions différentes religieuses ou non religieuses. Cette mission implique qu’il manifeste une attitude équitable au regard de ces différentes convictions. Le fondement du principe de neutralité réside donc dans les idées d’impartialité et de liberté : L’État veut laisser les citoyens mettre en œuvre librement leurs choix religieux et se met à cet effet en retrait par rapport à ces choix afin d’être en mesure de respecter les diverses options des citoyens en matière de conviction. On constate donc un lien très étroit entre neutralité et liberté. La neutralité est un instrument de garantie de la liberté des citoyens dans l’exercice de leur religion ou de leur non-religion.

12Nos sociétés occidentales sont caractérisées désormais par la diversité des convictions et des orientations philosophico-religieuses. Celles-ci s’expriment dans une grande variété des convictions « religieuses » au sens traditionnel. Mais, de surcroît, cette diversité religieuse est prolongée par une diversité culturelle au niveau des modes de vie, des rites sociaux et des pratiques individuelles ou collectives. Le problème pour l’État dans ce contexte n’est pas de marquer des préférences par rapport à ce foisonnement de croyances et de comportements, mais celui d’assurer une gestion équitable de cette différence tout en assurant une cohérence minimale et une convivialité suffisante dans cette pluralité de conceptions du monde ou de convictions quant à ce qui constitue la bonne vie. Dans ce contexte, la neutralité est associée de plus en plus fréquemment à l’idée de pluralisme, laquelle devient une nouvelle idéologie englobante. L’objectif de la neutralité religieuse de l’État est donc de favoriser l’intégration de tous les groupes confessionnels en donnant des possibilités équivalentes à tous les citoyens de s’identifier à cet État quelles que soient leurs conceptions. Seule une telle neutralité peut donner à l’État la position de garant de la reconnaissance de toutes les croyances nécessaire à la paix sociale et à la coexistence religieuse.

13Dans la consécration de l’idée de neutralité dans le contexte français, un élément doit être mentionné, c’est la prise en compte des législations cultuelles autres que celles représentées par le système de la loi de 1905 telles que la législation d’Alsace-Moselle ou les législations d’Outre-Mer. Quel sens doit-on donner au concept constitutionnel de laïcité dans les parties du territoire où cette loi de 1905 n’est pas applicable ? Une interprétation extensive de l’idée de séparation aurait abouti à un constat d’inconstitutionnalité de ces législations spécifiques. Ce résultat aurait suscité une vive hostilité des populations concernées et aurait été de nature à entraîner de nombreuses difficultés juridiques et politiques. Par contre, en faisant prévaloir une interprétation du principe de laïcité qui en fait l’expression de la neutralité de l’État, il est possible d’admettre la conformité de ces législations particulières avec la Constitution en les interprétant comme une expression originale du principe de neutralité [20].

Signification du principe de neutralité

14A priori, la portée du principe de neutralité de l’État paraît aisée à concevoir : est neutre un État qui est aconfessionnel qui n’a pas par lui-même d’opinion religieuse particulière et ne soutient ni ne combat aucune idée religieuse déterminée. L’État n’a pas d’objectif religieux et ne doit pas avoir de motivation religieuse. L’idée de neutralité signifie donc que l’ordre politique a ses objectifs propres qui sont séculiers [21]. C’est une caractéristique fondatrice et essentielle pour l’État moderne que de se concevoir comme un pouvoir autonome, détaché des forces religieuses. Dans un même mouvement, il se détache de toute forme de vérité révélée extérieure pour affirmer sa propre vérité définie en termes d’intérêt public national. La neutralité religieuse est un élément essentiel de l’auto compréhension de l’État issu des temps modernes. Comme indiqué précédemment, elle est indispensable pour que l’État puisse assurer son rôle de médiateur et de garant de la paix intérieure dans la société.

15Il en résulte que l’État ne porte pas d’appréciation sur les conceptions religieuses en elles-mêmes, [22] mais prend seulement le cas échéant en compte leurs effets concrets sur la vie collective et sur les domaines qui sont de son ressort. Cette orientation ressort clairement par exemple de l’arrêt du Conseil d’État de l’an 2000 relatif aux Témoins de Jehova [23]. Dans cette affaire, le ministre des Finances, pour refuser certains avantages fiscaux à une association de témoins de Jehova, avait critiqué pour elles-mêmes certaines des conceptions propres à cette religion ; le Conseil d’État a censuré cette approche pour faire valoir que seuls les effets sur l’ordre public des conceptions religieuses en question pouvaient être légitimement pris en considération par l’autorité publique. L’État ne doit pas juger les convictions, même celles qui peuvent paraître déraisonnables, il doit seulement intervenir sur les comportements si ceux-ci sont préjudiciables.

16La neutralité de l’État au plan religieux est une neutralité ontologique. Elle n’implique cependant pas une limitation de l’État au niveau de son champ d’action. Si l’État n’a pas d’opinion religieuse, il doit tenir compte des effets des opinions religieuses de ses citoyens et prendre en considération leurs besoins en matière religieuse en tant que ceux-ci sont l’expression de la liberté de religion. Dans ces conditions, la neutralité ne saurait être indifférence. La réalité religieuse fait partie du champ d’action de l’État au même titre que les autres faits sociaux.

17Par ailleurs, l’État doit être neutre religieusement dans la fixation de ses objectifs, mais il ne peut pas l’être dans ses effets. Les juristes allemands disent qu’il ne peut pas y avoir de « Wirkungsneutralität » [24]. L’État ne saurait être tenu de modifier l’action qu’il déploie dans une perspective d’intérêt général parce que celle-ci convient mieux ou convient moins bien à telle ou à telle conviction religieuse. Ainsi, lorsque dans un but de respect des droits de la femme, l’État autorise l’avortement, cette option est à l’évidence mieux compatible avec certaines opinions religieuses qu’avec d’autres ; mais ce n’est pas pour autant que l’État, en adoptant cette solution, rompt avec le principe de neutralité ontologique, même s’il apparaît comme n’exerçant pas une neutralité pratique. De la même manière, si dans un but d’intégration, l’État proscrit certaines tenues vestimentaires, cela peut être indifférent au regard de certaines opinions religieuses et présenter un aspect négatif pour d’autres opinions religieuses. L’État reste neutre si son objectif n’est pas religieux, mais réside dans une volonté d’intégration [25]. Les exemples pourraient être ainsi poursuivis au regard de la règle du divorce, de celle du repos dominical, etc. L’État est fondé à prendre les mesures qui lui paraissent nécessaires du point de vue de l’intérêt collectif sans qu’il en soit empêché parce que ces mesures s’impriment de manière différente pour les différents citoyens ayant des opinions religieuses distinctes [26]. En d’autres termes, des actions qui sont justifiées par des motifs raisonnables et non religieux affectent sans que cela soit délibéré indirectement [27] tel ou groupe religieux ne sont pas contraires au principe de neutralité.

Portée du principe de neutralité

18Les observations qui précèdent montrent que si la neutralité confessionnelle est solidement établie dans son principe, les conséquences pratiques qui sont à en tirer en ce qui concerne le statut des confessions religieuses et leurs relations avec l’État sont marquées d’une certaine incertitude. Une jurisprudence traditionnelle existe quant à la neutralité des services publics [28], laquelle s’exprime surtout en termes de neutralité des agents publics. Bien d’autres questions se posent quant à la portée du principe.

Neutralité et séparation

19Le principe de la neutralité, peut-il être compris comme une formulation évoluée et nuancée du principe de séparation ?

20On peut relever que, dans sa perception traditionnelle pour le moins, le principe de séparation met l’accent sur les moyens : le régime de relation avec les cultes est caractérisé par l’affirmation d’une différence organique, par la non-reconnaissance, par le non-subventionnement. Le principe de neutralité, de son côté, insiste sur les objectifs, sur le fond : la poursuite par l’État d’un intérêt général conçu comme différent dans sa nature même des intérêts religieux et comme capable de traiter de manière équitable les différentes opinions religieuses.

21On a vu aussi que le concept de neutralité correspond à une autre problématique que celui de séparation :

  • en 1905, le problème était celui des rapports des pouvoirs publics avec une institution plus ou moins concurrente, l’Église catholique ; d’où le recours à un concept institutionnel, celui de la séparation ;
  • depuis les années 2000, l’individualisation du « croire » fait que le paysage social est composé d’une pluralité d’opinions religieuses ou areligieuses fortement individualisées ; l’État n’est pas en concurrence avec ces opinions, mais se voit investi d’une obligation de gestion de cette diversité ; à cette fin, il doit pouvoir se placer en arbitre et son objectif est de garantir la coexistence pacifique entre ces différentes conceptions ; la neutralité est conçue à cet effet.
Il n’y a pas identité entre séparation et neutralité. On peut concevoir un système de neutralité qui ne pratique pas la séparation et on peut concevoir un système de séparation qui ne pratique pas la neutralité. L’absence de séparation n’exclut pas que l’État ait le souci de neutralité par rapport aux objectifs et aux idées religieuses. On en trouve une illustration dans de nombreux systèmes de relation État-religions. Ainsi, le système anglais pratique la neutralité sans la séparation. Un État peut en effet développer des liens plus ou moins étroits avec des organisations cultuelles tout en restant étranger à leur objectif et en les traitant de manière neutre. Inversement, un système pratiquant la séparation peut néanmoins avoir un comportement discriminatoire à l’égard des religions voire une position antireligieuse qui s’analyse nécessairement comme une absence de neutralité. Tel était le cas des régimes socialistes, soviétique ou d’Europe de l’Est.

22Néanmoins, il y a certaines interférences entre l’idée de séparation et celle de neutralité. Le principe de neutralité implique sinon une séparation organique, du moins une claire distinction des rôles et des objectifs politiques d’un côté, religieux de l’autre [29].

Neutralité et liberté

23Doit-on considérer que la neutralité constitue une condition de la liberté religieuse ? On peut certainement estimer que la neutralité religieuse des pouvoirs publics est au service de la liberté de religion. La volonté de garantir la liberté de religion constitue l’un des fondements du principe de neutralité. Il est exact qu’il n’y a pas de vraie liberté du choix religieux si les pratiques religieuses sont traitées de manières profondément différentes. Le fait pour les pouvoirs publics de traiter une conviction religieuse (ou areligieuse) de manière plus défavorable ou plus favorable qu’une autre est de nature à exercer une influence sur la libre expression de cette conviction.

24Mais il ne suffit pas qu’il y ait une différence quelconque de traitement pour que l’on puisse considérer qu’il en résulte nécessairement un véritable obstacle à la libre pratique religieuse. La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme va d’ailleurs dans ce sens. Elle admet que des différences existent dans le régime des différents cultes sans pour autant considérer que le principe de liberté de religion soit de ce fait atteint [30]. La question de la différence de traitement soulève une question d’égalité, mais ne porte généralement pas atteinte à la liberté de religion, car on peut difficilement admettre que l’engagement religieux soit déterminé par les avantages ou des inconvénients attachés à tel ou tel régime légal.

25Cependant, pour que le régime légal d’un culte soit compatible avec le principe de liberté, il doit garantir l’existence d’un véritable pluralisme religieux, élément constitutif du pluralisme démocratique [31], offrir une reconnaissance minimale [32] des collectivités religieuses par les autorités publiques, et respecter leur autonomie [33]. La neutralité comporte donc une dimension positive faisant obligation à l’État de garantir aux religions des conditions suffisantes d’existence.

26Un minimum d’action positive de l’État est donc exigé par le principe de neutralité. Au-delà, la neutralité peut se concilier avec des positions très variables de l’État au regard des convictions religieuses : neutralité « positive » ou bienveillante, développant des actions favorables aux démarches religieuses, ou neutralité « stricte » se bornant à ce qui est exigé par le respect complet de la liberté de religion [34].

Neutralité et égalité

27Neutralité et égalité paraissent a priori étroitement associées. La neutralité exclut l’existence de traitements préférentiels ou discriminatoires. D’ailleurs, la jurisprudence associe étroitement l’idée de traitement neutre et celle de traitement égal. Ainsi, dans l’arrêt « Ministre de l’Outre-Mer [35] », le Conseil d’État lie les deux notions « le principe constitutionnel de laïcité […] implique neutralité de l’État […] et traitement égal des différents cultes ». Toutefois, l’application de la notion d’égalité dans ce contexte soulève diverses réserves et nuances. Comme pour l’application de l’idée de séparation, on trouve dans la mise en œuvre du principe de la neutralité, une grande incertitude sur la signification et les implications précises de ce principe en ce qui concerne la notion d’égalité.

28On peut dans un premier lieu constater que si l’article 1 de la Constitution affirme l’égalité des citoyens, quelle que soit leur croyance, cette garantie de traitement égal est instituée au profit des personnes, mais non pas au profit des conceptions. En d’autres termes, cet article consacre l’égalité des citoyens et non pas l’égalité des cultes.

29Peut-on d’ailleurs concevoir l’application de la notion d’égalité à des conceptions religieuses ou autres ? À l’examen, cela n’a pas de sens de dire que toutes les conceptions sont égales. L’État peut garantir la liberté des opinions ou de croyances. Il peut exprimer son indifférence par rapport à des croyances ou des conceptions, mais il n’est pas possible de dire que les croyances ou les conceptions sont en elle-même égales. Sans doute, le Conseil d’État parle-t-il, dans l’arrêt susmentionné d’égalité de traitement des cultes. Mais la formule doit être comprise dans le sens d’une égalité de traitement des citoyens quel que soit leur culte.

30D’ailleurs, les cultes étant par nature très différents, un traitement égal des cultes n’apparaît guère possible ; la seule chose qui est concevable, c’est un traitement égal des citoyens. L’État ne peut pas garantir que son action affectera de manière égale les différentes conceptions religieuses. Il peut seulement s’engager à ne pas agir sciemment au profit ou au détriment d’une conviction religieuse. De plus, si l’État n’a pas d’avis sur les conceptions religieuses et peut se montrer indifférent par rapport à celles-ci, il ne peut être indifférent aux comportements correspondant à des confessions ou à des convictions différentes. Il en résulte qu’un État peut décider de traiter différemment les confessions qui ont des effets positifs sur la cohésion sociale et celles qui, à l’inverse, font l’apologie des attentats suicide.

31La conception habituellement reçue en Europe du principe d’égalité consiste dans le traitement identique de toutes les personnes se trouvant dans des situations semblables et un traitement différent des personnes qui se trouvent dans des situations dissemblables [36]. La conception française de l’égalité ne prend que partiellement en compte cette reconnaissance de la diversité des situations entraînant une obligation de traitement spécifique. Elle se satisfait en principe d’une égalité formelle. Selon les jurisprudences du Conseil constitutionnel [37] comme du Conseil d’État [38], l’autorité publique peut tenir compte des différences de situation, mais n’en a pas l’obligation. Elle satisfait suffisamment au respect du principe d’égalité si elle traite de manière identique toutes les personnes concernées alors même qu’elles sont dans des situations différentes. La décision sus-rappelée du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 confirme cette approche : la loi commune doit s’appliquer à tous sans dérogation au bénéfice de situations particulières. Appliquée aux convictions religieuses, cette conception du principe d’égalité signifie que l’État satisfait à son obligation de neutralité s’il ne tient pas compte des caractéristiques propres aux différents cultes, mais qu’il respecte également ce principe s’il prend en compte de manière objective et raisonnable les situations spécifiques qui caractérisent ces différents cultes. En d’autres termes, le principe de neutralité peut en ce domaine permettre une grande souplesse dans la mise en ouvre du concept d’égalité. Une certaine évolution est sensible depuis quelques années sous l’effet de la jurisprudence communautaire, mais elle n’a pas encore abouti à une remise en cause en profondeur de l’approche formelle du concept d’égalité.

32Appliquer au culte la conception européenne du principe d’égalité impliquerait des régimes différents adaptés aux nécessités particulières des différentes conceptions (celui des pratiquants d’un culte qui ne connaissent aucune prescription alimentaire ne peut pas être le même que pour les pratiquants d’un culte qui comportent des prescriptions alimentaires).

33Qu’en est-il dans la réalité du droit français ? On constate en fait une grande diversité des régimes juridiques relatifs aux convictions, puisqu’on peut distinguer quatre catégories de régimes cultuels :

  • les cultes accédant au statut d’association cultuelle,
  • les cultes laissés dans la marginalité, souvent qualifiés de sectes, et ne pouvant accéder au statut d’association cultuelle,
  • les cultes bénéficiant de statuts particuliers tels qu’en Alsace-Moselle ou en Outre-Mer
  • le cas particulier de l’église catholique qui bénéficie d’une forme d’association cultuelle spécifique, assez éloignée de celle prévue par la Loi de 1908.
À cette liste, il faut ajouter le statut des convictions non cultuelles qui relève encore d’un régime différent [39].

34On constate aussi une grande différence dans les situations de fait des cultes en France, au regard du régime des lieux de culte, des accès aux soutiens publics, etc. Le régime légal aboutit en pratique plutôt à renforcer la position des religions majoritaires et à marginaliser les religions minoritaires.

35Alors que la Constitution proclame le principe du respect de toutes les croyances, on constate également des différences de régime entre les convictions religieuses et les convictions non religieuses. Selon une opinion désormais bien établie et confirmée d’ailleurs par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, les convictions non religieuses et les convictions religieuses doivent être traitées selon des principes non discriminants. Or, la loi de 1905 organise des régimes juridiques différents pour les cultes et pour les convictions « non cultuelles ». Les activités philosophiques peuvent bénéficier de subventions alors que les activités religieuses en sont exclues. Inversement, les associations cultuelles peuvent accéder à des dons et legs dont les activités philosophiques sont en principe exclues, sauf reconnaissance d’utilité publique.

36En conclusion, le principe de neutralité de l’État, bien qu’affirmé de manière solennelle semble avoir des effets relativement limités dans le régime français des cultes au regard de l’application du principe d’égalité. Il faut néanmoins relever qu’il est raisonnable de ne pas traiter de manière identique des opinions dont le contenu est profondément différent. D’ailleurs dans la plupart des pays européens, on ne déduit pas du principe de neutralité une exigence d’égalité stricte entre les cultes, mais plutôt une règle d’équité ou d’impartialité. L’État dispose d’une grande marge d’appréciation dans la prise en compte de nombreux facteurs sociologiques, culturels ou historiques pour déterminer ses relations avec les différents cultes, sans que cela soit considéré comme une atteinte au principe de neutralité, dès lors que ces choix apparaissent comme justifiables au regard de l’intérêt général et ne portent pas atteinte à la liberté de religion. Mais alors que reste-t-il de l’égalité de traitement des cultes ? En réalité, il s’agit plutôt d’une orientation générale, que d’un véritable principe juridique précis.

Neutralité, sphère publique, minorités et majorité

37Pour certains, neutralité de l’État signifie éviction des religions de la sphère publique. La religion aurait comme seul domaine admissible le cadre de la vie privée. Une telle vision méconnaît à la fois les facettes multiples du religieux et le sens profond de l’idée de neutralité.

38La question de la neutralité est inextricablement liée à la dimension collective de la religion. Concevoir celle-ci seulement comme une question de conscience individuelle aboutit à méconnaître une caractéristique essentielle du fait religieux et serait d’ailleurs contraire au principe de neutralité puisqu’une telle approche privilégierait les religions à orientations individuelles du type « protestantisme libéral ». La prise en considération de la portée collective de la religion rend nécessaire de lui attribuer un accès à la « sphère publique » [40]. Une gestion neutre de l’accès des différentes conceptions à cet espace public ne peut simplement prendre la forme d’une neutralisation de cet espace car cela serait favoriser une conception particulière, celle selon laquelle les religions doivent être écartées de cet espace. Évoquer une gestion « pluraliste » de cet espace public, ouvrant celui-ci de manière équitable aux différentes conceptions, religieuses et non religieuses, est plus satisfaisant, mais reste très abstrait. Une neutralité active consiste à prendre en compte la réalité des courants en présence, ce qui aboutit à raisonner en termes de majorité et de minorités.

39L’État neutre protège les minorités contre un usage excessif du pouvoir majoritaire, mais veille aussi à ce que le choix majoritaire ne soit pas abusivement contrarié par de revendications minoritaires. Si 95 % d’une population sont satisfaits avec la présence d’emblèmes religieux dans des lieux publics, il serait déraisonnable que ceux-ci soient enlevés pour tenir compte des objections de 5 %. Telle était la situation concrète à la base de la polémique soulevée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande sur la suppression de crucifix dans les écoles bavaroises [41]. Par contre, même si 95 % d’une population est hostile à l’ouverture d’un lieu de culte minoritaire, la minorité doit obtenir ce lieu de culte. Un bon système de relations entre majorité et minorités est celui où grâce aux avantages généreusement accordés par la majorité à la minorité, celle-ci est loyale et où, grâce à un statut favorable, la loyauté de la minorité entraîne une générosité croissante de la majorité. Dans une telle dialectique, facilement applicable dans le domaine religieux, la majorité peut revendiquer une position particulière pour ses symboles ou traditions dans la société commune parce qu’elle est la majorité, tandis que la minorité a droit à une prise en considération généreuse de ses croyances au regard de son statut minoritaire.

Neutralité religieuse et neutralité générale

40Si l’État doit être neutre en matière de religion, doit-il pour autant être neutre par rapport aux valeurs et convictions en général ? On pourrait être tenté de raisonner en ce sens. Si pour être un bon arbitre et un garant de la liberté et la cohésion sociale, l’État doit être neutre religieusement, ne doit-il pas aussi être neutre politiquement, socialement, moralement, économiquement et de façon générale par rapport aux différentes conceptions de la bonne vie ? Telle est la conception « libérale » de l’État. Celui-ci doit être un simple gendarme, un garant de l’ordre, mais ne pas s’affirmer dispensateur de valeurs. On a, au demeurant, relevé tout à l’heure qu’il n’est pas satisfaisant de faire une différence entre les conceptions de la vie qualifiées de religieuses et celles qui doivent être regardées comme non religieuses ou autres que religieuses. Toutes ces conceptions de la vie doivent bénéficier de la même protection et donc a priori de la même neutralité de l’État. Cette conception d’un État indifférent aux valeurs n’est guère acceptable. Le rôle de l’État est de favoriser les convictions qui renforcent l’intégration sociale et de combattre les conceptions qui portent une atteinte insupportable à la cohésion sociale. Une neutralité complète de l’État serait la négation de celui-ci et aboutirait à accélérer le processus d’atomisation de la société vers l’individualisme et la déstructuration du lien social [42].

41De plus, une telle conception de la neutralité de l’État est aux antipodes des traditions françaises ; elle n’est pas consacrée par le droit français ni d’ailleurs européen et on peut, de surcroît penser, qu’elle n’est pas viable. L’État n’a pas à renoncer à toute valeur : il ne doit pas manifester une « Wertneutralität », une neutralité au regard des valeurs en général. Il serait d’ailleurs aisé de démontrer par l’absurde qu’une telle neutralité est impossible. En effet, si la neutralité est une valeur, l’État devrait en raison du principe de neutralité renoncer à faire prévaloir cette valeur parmi d’autres. En d’autres termes, même la neutralité est une option de l’État. L’État affirme légitimement des options culturelles et morales ; il s’engage pour certaines conceptions de la » bonne vie ». Un tel engagement est inévitable et même nécessaire [43]. De surcroît, l’État français, plus encore que d’autres États, a une tradition de défense de valeurs et d’options culturelles ou morales nationales fortement prononcée. Il se considère à juste titre au service des traditions et des valeurs culturelles caractérisant la société française et ne saurait être contraint de les ignorer. Or, il faut relever que, pour une grande part, ces valeurs culturelles de l’État français se recoupent avec certaines conceptions religieuses, alors qu’elles sont éloignées d’autres conceptions religieuses. Pour être clair, les principes républicains de l’État français sont pour l’essentiel les mêmes que ceux de la religion chrétienne actuelle :

  • respect de la dignité humaine,
  • égalité des personnes humaines quelle que soit leur origine ou leur sexe,
  • affirmation de la liberté individuelle et de la libre détermination par chaque personne de ses choix de vie et de ses initiatives économiques
  • primauté de la personne,
  • restriction du recours à la violence,
  • prévalence d’une vision universaliste,
  • affirmation de la perspective du progrès,
  • rôle de la raison,
  • légitimité de la place de la science dans la société,
  • principes de solidarité et de soutien des plus faibles,
  • valeur de l’engagement altruiste, etc.
Ces options ne sont ni évidentes ni universelles. Dans d’autres systèmes de valeurs, qui ont également leur cohérence et leur légitimité, le groupe peut primer la personne, les choix collectifs l’emporter sur les options individuelles, l’inégalité entre les personnes justifiée par leurs rôles sociaux respectifs, la contrainte communautaire imposée aux individus, la tradition être jugée plus valable que la raison ou le progrès, les vérités révélées être considérées plus importantes que les connaissances scientifiques, le comportement « moral » exclure la solidarité, etc. Or, certaines religions sont fondées sur de telles valeurs. Dans ses options fondamentales, l’État de Droit démocratique et libéral est lié à une certaine conception du religieux [44].

42Au niveau de la culture concrète, la France, comme d’autres sociétés, est caractérisée par une histoire qui, jusqu’à la période la plus récente, lie étroitement héritage culturel et religieux : du baptême de Clovis à la croix de Lorraine, du Mont-Saint-Michel à la Chapelle de Ronchamp, de Polyeucte au dialogue des carmélites, cette imbrication est permanente. Si la défense de ce patrimoine culturel n’implique pas l’adhésion aux valeurs religieuses qui y sont impliquées, il est cependant impossible que la promotion de l’un se fasse sans une certaine reconnaissance de l’autre. La neutralité en la matière est théorique, mais elle ne peut pas être pratique. L’État français comme la plupart des États européens se trouve donc placé dans une sorte de contradiction : la neutralité implique de ne pas traiter mieux que les autres cultes la religion qui constitue en réalité le soubassement sociologique de cet État. Dans son jugement susmentionné sur le crucifix, la Cour constitutionnelle allemande a reconnu que même un État qui « s’astreint à une neutralité philosophico-religieuse ne peut faire abstraction des valeurs transmises par l’histoire et de la culture sur laquelle se fonde la cohésion sociale dont dépend l’accomplissement de ses propres devoirs [45] ».

43La neutralité de l’État occidental n’est donc pas une absence de valeur, mais un engagement qui s’exprime par une prise de distance par rapport à ces propres valeurs. Par un effet d’universalisation, on entend donner une interprétation neutralisante à des valeurs particulières. C’est ce qui apparaît d’ailleurs très clairement dans les ambitions universelles de la politique et de la culture française.

44En d’autres termes, l’État français n’est pas neutre de valeurs, mais donne une lecture neutralisante de ses valeurs particulières. On constate ainsi une claire limitation à l’idée de neutralité de l’État puisque la culture qui est intrinsèque à l’État connaît des imbrications étroites avec une tradition religieuse particulière qui est la tradition catholique. Toute volonté excessive de rupture entre ces valeurs culturelles et ce soubassement religieux aboutirait en réalité à l’affaiblissement voire à la négation de ces valeurs culturelles nationales. C’est ce qui a été relevé par le Conseil d’État italien lorsqu’il a eu à statuer sur la présence de crucifix dans des bâtiments publics italiens : il a considéré que le crucifix constitue en Italie un emblème national d’ordre culturel et non ainsi une religion [46]. Par conséquent, il a validé la présence de ceux-ci dans des bâtiments publics. Par rapport à cette approche réaliste, l’arrêt de la Cour européenne sur les crucifix dans les salles de classe italiennes semble faire prévaloir une conception plus stricte de la réalité. Néanmoins, elle y porte atteinte en faisant prévaloir une vision particulière de la neutralité qui n’est partagée que par une minorité d’États européens.

Ambiguïté du principe de neutralité

45Quel sens faut-il alors donner à la neutralité pour résoudre les conflits religieux dans la société actuelle ? Tout comme le principe de laïcité a été décliné dans des interprétations différentes (laïcité ouverte, laïcité fermée), le principe de neutralité peut faire l’objet d’une interprétation ouverte (tolérante, positive ou d’une interprétation stricte, rigide ou négative). Ce n’est pas qu’en France que la portée du principe de neutralité fait problème et soulève des oppositions. La même notion de neutralité peut conduire en pratique à des solutions juridiques différentes voire opposées :

  • la neutralité, est-ce respecter des signes religieux ou les interdire ?
  • la neutralité, oblige-t-elle à mentionner à l’école les thèses créationnistes ou de les taire ?
  • la neutralité, consiste-t-elle à présenter la réalité et la diversité religieuse à l’école ou à l’exclure ?
  • la neutralité consiste-t-elle à traiter les religions comme toute autre croyance ou conception ou bien à reconnaître la spécificité de la démarche religieuse ?
La réponse en droit constitutionnel et en droit international [47] à ces questions, consiste à reconnaître une marge de man œuvre assez importante au législateur. Il faut admettre que le principe de neutralité peut avoir des interprétations et des modalités de mise en œuvre diverses voire contradictoires qui sont cependant également légitimes. C’est ce qu’a d’ailleurs admis la Cour constitutionnelle allemande en ce qui concerne le port d’un foulard par des enseignants [48] : elle a considéré que cette question ne trouvait pas une réponse unique dans la Constitution fédérale et qu’il appartenait à chaque Länder de définir la solution qui lui paraît la mieux adaptée. On arrive ainsi à une neutralisation du principe de neutralité. Mais n’est-ce pas alors admettre qu’il ne sert à rien ou du moins qu’il ne permet pas de trancher des questions pratiques ?

46Au fond, comme le principe de séparation, le principe de neutralité s’avère une orientation juste et raisonnable, mais présente en même temps une base peu solide pour construire un régime des cultes. On y a vu une pierre angulaire, mais celle-ci s’effrite à l’usage [49].

47Alors que reste-t-il à l’issue de ces réflexions ? En premier lieu, il faut souligner que la neutralité confessionnelle est un principe que se donne l’État pour rester fidèle à sa propre nature, à son autocompréhension d’institution séculière. Elle n’est pas d’abord une règle de gestion des religions, mais une règle de gestion de l’État lui-même que celui-ci s’impose pour accomplir sa propre nature. Si la règle de neutralité entre en conflit avec une autre règle constituante de l’État, notamment si elle l’empêche de promouvoir des valeurs qui lui sont essentielles, elle peut légitimement être mise en retrait. La neutralité est en effet en relation avec une autre idée qui est celle de primauté du rôle de l’État : un État neutre c’est un État qui fait prévaloir ses intérêts sur ceux des religions, tout en respectant leur champ d’action et leurs orientations propres.

48La neutralité n’est donc qu’accessoirement une règle de protection des religions. Celles-ci disposent à cette fin du principe de liberté religieuse et du principe d’égalité des citoyens quelles que soient leurs croyances. Pour la protection de ces dernières, le principe premier reste celui de la liberté de religion. Doit être permis tout ce qui ne constitue pas une atteinte inacceptable à l’ordre public. À ce principe, la notion de neutralité de l’État peut rajouter l’idée de tolérance. L’État peut légitimement avoir une orientation philosophique concernant la bonne vie et des valeurs culturelles à promouvoir ; il a le droit de privilégier des expressions culturelles qui correspondent à la tradition de la société dont il est l’expression ; mais il doit pratiquer une certaine tolérance à l’égard d’opinions divergentes. Une idée complémentaire est celle de retenue : si l’action de l’État ne peut être pratiquement neutre, celui-ci doit néanmoins veiller à être le moins incisif par rapport aux opinions religieuses : la loi neutre est la loi qui ne porte que des atteintes nécessaires à des intérêts religieux. On retrouve ici l’idée de proportionnalité et d’accommodement : si l’atteinte à une pratique religieuse n’est pas indispensable, il doit y avoir un accommodement ou un aménagement raisonnable : si une norme générale apparemment égalitaire entraîne des inconvénients excessifs pour certaines personnes ou pour un groupe de personnes, les principes d’égalité et de neutralité exigent que l’on aménage leur situation, par exemple par une dérogation à la norme [50]. L’accommodement est ainsi une manière de faire prévaloir l’intérêt de l’État tout en respectant au mieux la liberté de religion. À défaut de pouvoir assurer une pleine neutralité, l’État doit du moins agir dans le souci de n’apporter aux activités religieuses que les limitations vraiment nécessaires. Pour reprendre la formulation du Conseil constitutionnel, les convictions religieuses ne permettent pas d’échapper à la loi commune. Mais la loi commune qui ne prévoit pas d’aménagement ou d’accommodement dans le cas où elle porterait une atteinte excessive ou injustifiée à une conviction religieuse manquerait au principe de neutralité.

Notes

  • [1]
    Il est vrai que dans un arrêt du 15 oct. 2003 (Odent, n° 244428) relatif à une sanction infligée à un agent public qui avait utilisé son adresse électronique professionnelle pour diffuser des messages relatifs à une association religieuse, « principe de laïcité » et « obligation de neutralité » sont distingués. Mais étaient visés en l’espèce d’une part le principe de laïcité de l’État et d’autre part l’obligation de neutralité s’imposant aux agents publics.
  • [2]
    CE 15 mars 2005, Min. Outre-Mer), AJDA 2005 p. 1463, note Claude Durand Prinborgne ; RFDC 2005, p 631 ; Rev. Droit Local 2004, N° 44, p. 19 note Jean-Marie Woehrling.
  • [3]
    AJDA 2002 p. 63 note Bernard Toulemonde ; Rev. Dr. Canonique 2002, p.173 concl. Emmanuelle Mignon ; Rev. Dr. Local 2001 n° 41, note Jean-Marie Woehrling.
  • [4]
    Sur une présentation critique de celle-ci, voir. J.-M. Woehrling, Réflexion sur le principe de la neutralité de l’État en matière religieuse et sa mise en œuvre en droit français : Archives de Sciences Sociales des Religions, 1998, n° 101, p. 31 à 52.
  • [5]
    Sur cette question, voir : J.-M. Woehrling, L’interdiction pour l’État de financer ou de reconnaître un culte : quelle valeur juridique ? RDP 2006, p. 1633.
  • [6]
    Rapport public 2004, Un siècle de laïcité, EDCE n° 55, La Documentation française, 2004.
  • [7]
    Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 relative au Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
  • [8]
    « Les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République laïque » […] interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » et s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté…de croyance. »
  • [9]
    Dans les nombreux arrêts qu’elle a consacrés à la liberté de religion, la Cour n’a pas remis en cause les systèmes institutionnels liant autorités publiques et institutions religieuses considérant que l’objectif de la neutralité peut être atteint, sous certaines conditions, malgré de tels liens. CEDH, 3 nov. 2009, Lausti C. Italie (registre n° 30814/06).
  • [10]
    CEDH 31 juill. 2008, Communauté religieuse des témoins de Jéhovah c/ Autriche ; 5 Janv. 2007, Branche moscovite de l’armée du salut ; 13 déc. 2001 Église métropolitaine de Bessarabie c/ Moldova.
  • [11]
    Voir la déclaration annexe n° 11 du traité d’Amsterdam.
  • [12]
    Maurice Barbier, Pour une définition de la laïcité française, Débat, 2005, n° 134, étude disponible sur Internet http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/0205-Barbier-FR-5.pdf.
  • [13]
    Pierre-Henri Prélot, Définir juridiquement la laïcité, in Gérard Gonzalez (Dir.) Laïcité, liberté et Convention européenne des droits de l’Homme, Collect. Droit et Justice, n° 67, Bruylant, 2006, p. 115. P.-H. Prélot relativise d’ailleurs cette date de 1958 en indiquant que jusqu’à une période récente la doctrine ne s’est pas beaucoup interrogée sur la signification juridique de la laïcité.
  • [14]
    Philippe Ségur, Le principe constitutionnel de laïcité, Annales de l’Univ. des Sc. Soc. de Toulouse, 1996, p. 117. Ph. Ségur reprend la même analyse dans une autre étude « Observations sur la notion de laïcité en droit constitutionnel » (voir son site http://ph.segur.free.fr) dans laquelle, après avoir constaté les « contradictions du principe de séparation », il développe l’idée de laïcité comme principe de neutralité.
  • [15]
    Note sous CE 16 mars 2005, AJDA 2005, p.1464.
  • [16]
    Cette double orientation, séparation ou neutralité s’exprime déjà lors des débats précédant l’adoption de la Constitution de 1946 (Voir Jean Rivéro, la notion juridique de laïcité, D. 1949 Chron 33, p30). On la retrouve dans de nombreuses études datant de la 4e ou du début de la 5e République : L. de Naurois, le concept de laïcité en droit français, Rec., Ac. Leg. De Toulouse, 1951, p. 109 ; B. Trotabas, la notion de laïcité dans le droit de l’Église catholique et de l’Eyat français, LGDJ 1961.
  • [17]
    Vincente Fortier, Justice, religion et croyance, Editions du CNRS 2000, p. 12
  • [18]
    Certes, le rapport Stasi estime que « la laïcité ne saurait se réduire à la neutralité de l’État » et y inclut de nombreux autres éléments, mais il s’agit plus d’une approche de philosophie politique que d’une analyse juridique de la laïcité.
  • [19]
    F. Messner, P.-H. Prélot, J.-M. Woehrling, Traité de droit français des religions, Ed. du JurisClasseur-Litec, Paris, 2003, IIIe Part. Titre1, Chap 1 : La neutralité religieuse de l’État, n° 923, p. 427.
  • [20]
    Il est frappant de constater que plusieurs des auteurs cités précédemment justifient la définition du concept constitutionnel de laïcité par la neutralité plutôt que par la séparation en se référant à la nécessité de prendre en compte le régime local d’Alsace-Moselle.
  • [21]
    On en déduit hâtivement par esprit de parallélisme que les religions elles aussi devraient être « neutres » par rapport aux options politiques. Tel n’est pas le cas. La neutralité est une option de l’État occidental et démocratique. Mais il ne peut imposer celle-ci aux confessions religieuses, lesquelles peuvent fort bien avoir des engagements politiques marqués et ont le droit de les exprimer notamment dans le cadre électoral. Cette absence de parallélisme dans la neutralité entre l’État et les religions a bien été mise en lumière par le Conseil d’État dans son avis du 29 novembre 1989 sur le port du foulard a l’école : c’est le service public qui doit être neutre et non les usagers. Pour interdire ce port, il a fallu une loi spéciale.
  • [22]
    Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, « la Convention exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci », Hassan et Tchaouch, 26 oct. 2000.
  • [23]
    CE 23 juin 2000 Min. Eco. et Fin. C/ Ass. Locale pour le culte des témoins de Jéhova de Clamecy, DF, 26 avril 2000, n° 17, Comm. 352 ; AJDA 2000 p.
  • [24]
    Stefan Huster, Die Bedeutung des Neutralitätsgebots für die verfassungstheoretische und verfassungsrechtliche Einordnung des Religionsrechts, in H.M. Heinig und C. Walter (Hrg.) Staatskirchenrecht oder Religionsverfassungsrecht ? Mohr Siebeck 2007, p. 107.
  • [25]
    On peut regretter que la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics n’ait pas en le souci de mieux indiquer que l’objectif poursuivi n’était pas de limiter une pratique religieuse, mais de régler un problème d’ordre dans les établissements.
  • [26]
    Sous réserve, ainsi qu’on le verra plus loin de respecter le principe de proportionnalité.
  • [27]
    On aura reconnu ici le concept de discrimination indirecte. La question est également traitée ci-après.
  • [28]
    Gérard Gonzalez, L’exigence de neutralité des services publics, in G. Gonzalez (Dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’Homme, Bruylant, 2006, p. 153.
  • [29]
    C’est ce que souligne la Cour européenne des droits de l’Homme dans son arrêt Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie (26 oct. 2000) en mettant l’accent sur le caractère indispensable d’une autonomie à reconnaître aux communautés religieuses.
  • [30]
    Voir par ex. l’arrêt du 23 oct. 1990 Peter Darby (la Cour ne met pas en cause l’Église d’État existant en Suède) la décision du 23 oct. 1992 Iglesia Batista « El Salvador » et Ortega Moratilla c/ Espagne (au sujet du statut particulier de l’Église catholique) ou l’arrêt du 16 déc. 1997 Église de la Canée (qui ne met pas en cause la position particulière de l’Église orthodoxe grecque).
  • [31]
    CEDH 13 déc. 2001 Église métropolitaine e Bessarabie c/ Moldova.
  • [32]
    L’article I-52 de la Charte des droits fondamentaux dispose que « l’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres » et qu’elle « maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier, avec ces églises et organisations. La Cour européenne exige l’octroi de la personnalité juridique (Église catholique de La Canée c. Grèce, précité) et reconnaît un droit collectif à la liberté religieuse (12 octobre 1988 Verein Kontakt)..
  • [33]
    CEDH 20 oct. 2000 Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie, précité note 11.
  • [34]
    En d’autres termes, si l’État doit strictement s’abstenir d’imposer une conviction religieuse aux individus, il retrouve une marge de manœuvre au plan des actions positives en faveur de telle ou telle institution religieuses.
  • [35]
    Voir ci-dessus note 2.
  • [36]
    Voir par ex. : CJCE 14 février 1995 Finanzamt Köln-Altstadt aff C 279/93 Rec. P. I-225 point 30.
  • [37]
    Voir par exemple la décision du Conseil Constitutionnel n° 99-423 DC du 23 janvier 2000 (Cons. 60).
  • [38]
    Voir un exemple récent : CE 28 mars 1997 Ste Baxter, RFDA 1997 p 450 ; 13 mars 2002 Union fédérale des consommateurs RFDA 2003 p 785.
  • [39]
    On a pu s’interroger si le traitement différent en droit français entre les groupements correspondant à des convictions religieuses et ceux correspondant à des convictions a-religieuses était compatible avec les principes de neutralité et d’égalité (Gérard Gonzalez, Convention européenne des droits de l’Homme, cultes reconnus et liberté de religion, Ev. Dr. Canonique, 2004, T54, p. 49 ; Jean-Marie Woehrling, L’interdiction pour l’État de financer ou de reconnaître un culte : quelle valeur juridique ? RDP 2006, p. 1633.
  • [40]
    La sphère publique ne vise pas que la seule sphère des autorités publiques, mais bien au-delà la vie collective sous tous ses aspects : espace public, médias, vie associative, activité économique et sociale, etc.
  • [41]
    Voir J-M Woehrling, Neutralité culturelle et mission culturelle de l’État : reflexions sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande relative aux crucifix dans les écoles Rev. Droit Canonique 2000, T50/1, p. 29. La question a été relancée avec acuité avec l’arrêt Lautsi du 3 novembre 2006 (voir note).
  • [42]
    Alexander Hollerbach, Der Staat ist kein Neutrum, in Hans Maier (Hrsg.), Das Kreuz im Widerspruch, Herder, Freiburg, 1996, p. 28.
  • [43]
    « Arguments for complete state secularism and neutrality are essentially founded upon the assumption that the state is by law required to function on the basis of objective rational agnosticism. The assumption is however based on a fiction, since the state functions through human organs and humans are by definition religious beings, their religion unavoidably being subjective and grounded in a personal conviction of what is right in the world and what is wrong. […] The answer then, to the question whether the constitutional state can really be secular, seems to be « no » if « secular » is to mean that the state and its organs must be neutral in matters concerning the religious considerations and sentiments of the citizenry, especially in religiously plural societies. Objectivity, not unconcerned neutrality, is called for on the part of the state. Secularism has religious significance and therefore does not guarantee objectivity. To attempt to isolate law and government by placing them in a compartment of neutral rationality and to classify religious responses of people to the claims of others for the protection of their freedoms into the category of intuition or emotion, does not take the matter forward. » Francois Venter, Can a constitutional state really be secular ?, IACL workshop on secularism and constitutionalism, 14 June 2007.
  • [44]
    Par sa volonté même de neutralité et de liberté religieuse individuelle, un tel État favorise objectivement un émiettement et une individualisation du fait religieux faisant muter ainsi la signification sociale de celui-ci d’une référence partagée d’une communauté à une option personnelle. En affirmant la primauté de ses propres normes, il s’oppose nécessairement aux courants religieux qui veulent faire prévaloir la suprématie de la norme religieuse sur les normes civiles.
  • [45]
    Rev. Droit Canonique 2000, T50/1, p. 35.
  • [46]
    13 févr. 2006 sentenza n° 56-02, AJDA 2006 p. 399. V. aussi Auer, Le crucifix et le foulard devant le juge constitutionnel suisse in : Dietmar Mieth et al. (Hg), Recht – Ethik – Religion : der Spannungsbogen für aktuelle Fragen, historische Vorgaben und bleibende Probleme, Festgabe Giusep Nay, 2002, p. 210.
  • [47]
    En particulier dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui reconnaît en la matière une large marge d’appréciation aux États.
  • [48]
    Jugement du 24 sept. 2003, (aff. Ludin ; 2 BvR 1436/02) extraits dans Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15.
  • [49]
    Certains se demandent si elle n’est pas un mythe : Karl-Heinz Ladeur und Ino Augsberg, Der Mythos vom neutralen Staat, Juristen Zeitung, 1/2007, p. 12
  • [50]
    Selon, la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, constitue une discrimination le fait d’appliquer à une personne une règle générale sans tenir suffisamment compte de sa situation particulière notamment en relation avec ses conditions religieuses : CEDH 6 avr. 2000, Thlimmenos c/ Grèce : La Cour considère comme discriminatoire le refus d’accès à la profession d’expert comptable opposé à un témoin de Jéhova au motif que la loi exclut un tel accès à des personnes condamnées pénalement alors que l’intéressé n’a fait l’objet d’une condamnation de cette nature qu’en raison de son refus, pour des motifs religieux, de porter l’uniforme.
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