Couverture de SDES_019

Article de revue

Le burn-out du médecin soignant

Pages 5 à 18

Notes

  • [1]
    Lyndall S. & Bicknell J., Australian Journal of Disaster and Trauma Studies, vol. 1998-2, School of Psychology, Massey University, New Zealand.
  • [2]
    Saakvitne, K.W., Gamble, S.J., Pearlman, L.A., & Lev, B.T. (2000). Risking connection : A training curriculum for working with survivors of childhood abuse. Lutherville; MD: Sidran.
  • [3]
    Pearlman L.A. & Saakvitne K.W., Trauma and the Therapist : Counter transference and Vicarious Traumatization in Psychotherapy With Incest Survivors, New York, Norton, 1995.
  • [4]
    Cristal ; selon S. Freud, le noyau de chaque individu représenté par un cristal, est susceptible de se briser selon certains axes ou failles propres à chacun.
  • [5]
    Identification projective : mécanisme de défense consistant à identifier inconsciemment un affect ou un comportement et à le projeter toujours inconsciemment chez l’autre en le « manipulant » de telle sorte qu’il adopte celui-ci et vérifie ainsi sa thèse de départ.
  • [6]
    Ontogenèse : ce qui dépend de notre histoire personnelle
  • [7]
    Phylogenèse : ce qui appartient à notre histoire familiale et collective
  • [8]
    Lebrun J.-P., De la maladie médicale, Bruxelles, De Boeck, 1993.
  • [9]
    Dr Wulf Rössler, Comment prévenir le burn-out des psychiatres ? (professeur de psychiatrie clinique et sociale à l’Université de Zürich) in Neurone, 5 juin 2013, exposé rapporté par les Drs JeanÉmile Vanderheyden et Dominique-Jean Bouilliez.
  • [10]
    Reynaert Ch., Jane P., Libert Y. dont l’article se trouve dans l’ouvrage de Delbrouck M., Le burn-out des soignants, opus cité.
  • [11]
    Lebrun J.-P., De la maladie médicale, Bruxelles, De Boeck, 1993.

1Le soignant, candidat au burn-out, est souvent très compétent et passionné par son travail. Il possède par ailleurs un sens aigu des responsabilités. Son parcours professionnel commence souvent par un enthousiasme idéaliste et une sur-identification à la problématique de ses patients. Suite à cette ardeur au travail et à un certain perfectionnisme, [il] dépense, la plupart du temps, une énergie excessive et dès lors inefficace ...

1 – Bref rappel de la définition du burn-out

2Ce syndrome comprend un trépied de symptômes :

  1. Épuisement émotionnel: 50 %
  2. Déshumanisation de la relation à l’Autre: 16 %
  3. Sentiment d’échec professionnel : 2 %

1.1 – L’épuisement émotionnel ou stade 1

3Ce premier item du trépied du syndrome d’épuisement professionnel se manifeste par divers symptômes. Le soignant présente des crises d’énervement et de colère ainsi que certaines difficultés d’ordre cognitif comme de la distraction et des difficultés à s’organiser et à se concentrer. Il oublie de répondre à des demandes même anodines et se retrouve dans l’incapacité à exprimer toute émotion. En effet, il ne peut exprimer aucune faiblesse, ni aucun état d’âme. Des comportements de contrôle s’installent qui amènent froideur et distance avec le patient.

1.2 – La déshumanisation de la relation à l’Autre ou stade 2

4Cette déshumanisation de la relation médicale représente le noyau dur du syndrome. Le médecin se détache de son patient. Une sécheresse relationnelle et un cynisme lui font considérer son malade comme un objet, un cas, un dossier. Un humour grinçant et noir apparaît au sein de la consultation. Le soignant décrit de manière scientifique le corps de la personne qu’il a en traitement et ne voit plus l’humain souffrant qu’il a en face de lui.

1.3 – Le sentiment d’échec professionnel ou stade 3

5La réduction de l’accomplissement personnel et/ou le sentiment d’échec professionnel apparaît plus tardivement. Cette impression de ne plus être efficace et de ne plus faire du bon travail frustre le médecin par rapport au sens qu’il donnait à son métier. Il commence à douter de lui et de ses capacités. Le médecin se dévalorise à ses yeux et aux yeux de son entourage, se culpabilise et se démotive pour son travail. À ce stade, le risque de développer conjointement une dépression est majeur.

2 – Étapes classiques du développement du burn-out du soignant

6Le soignant candidat au burn-out, est souvent très compétent et passionné par son travail. Il possède par ailleurs un sens aigu des responsabilités. Son parcours professionnel commence souvent par un enthousiasme idéaliste et une suridentification à la problématique de ses patients. Suite à cette ardeur au travail et à un certain perfectionnisme, d’emblée, ce soignant dépense la plupart du temps une énergie excessive et dès lors inefficace. Son habitude à prendre, généralement, des décisions seul, conjuguée à son perfectionnisme et à son désir d’être apprécié à hauteur de ses compétences et de son dévouement l’amènent à refuser de déléguer. Sa sérieuse conscience professionnelle le pousse à allonger son temps de consultation, à vérifier et à développer des comportements de contrôle très chronophages. Porté par un fantasme d’invulnérabilité, le soignant dénie sa fatigue et refuse l’idée même de maladie.

7Il ne s’avoue ni vaincu, ni souffrant et ne demande aucune aide par pudeur, honte, obstination ou culpabilité, car il ne peut et ne veut pas trahir ses idéaux et l’image idéale de sa profession et de lui-même dans laquelle il pourrait s’être enfermé. Par la suite, il se fatigue et s’épuise peu à peu. Apparaît de la stagnation avec des sentiments d’ennui, d’irritation, de colère et de découragement. Il travaille un minimum, se sent frustré, évite les conflits et les patients. Des troubles de la concentration et de la mémoire font suite et enfin, frustration et apathie sont présentes. De plus, sa profession le confronte à des situations anxiogènes génératrices de tensions intellectuelles et relationnelles importantes. Il commence à se poser des questions à propos de son efficacité, de la pertinence de son travail et de son propre système de valeurs. Il essaye de se protéger lui-même contre tout et tout le monde. Une perte d’estime de soi, une dévalorisation et un extrême découragement peuvent l’amener à présenter un état dépressif majeur ou une pathologie organique importante. C’est dans cet état que les médecins contrôleurs ou les urgentistes voient arriver ce soignant et ne posent pas le diagnostic de burn-out masqué par l’importante symptomatologie psychique ou physique.

8Des origines liées aux conditions de travail mêmes, et non au psychisme, sont à incriminer comme une mauvaise organisation de l’occupation professionnelle ou de l’institution de soins, la présence de conflits réguliers, de mauvaise gestion des budgets alloués, de demandes régulières et sans retour d’amélioration du secteur hospitalier (insuffisance de personnels, facteurs de stress, délais trop courts, urgences, allongement du temps de travail), absence de soutien, manque de reconnaissance de l’employeur et des patients, absence de communication et de perspective de carrière, etc. Par ailleurs, l’idéal du travail ne prend pas la même forme pour le soignant homme ou femme. Les causes de l’épuisement sont différentes.

3 – Autres situations cliniques proches du burn-out

3.1 – Traumatisme par procuration (Vicarious Traumatization)

9Le traumatisme par procuration [1] (Vicarious Traumatization) est une forme particulière de bouleversement profond du soignant s’occupant de patients victimes de graves traumatismes et qui résulte de son engagement très empathique avec ces clients traumatisés et de l’impact du récit de leurs expériences traumatisantes. Cette situation singulière de thérapeutes qui prennent en charge de façon répétée des victimes réchappées de traumatismes importants comme des homicides, assassinats ou tentatives d’assassinats, tortures, traumatismes de guerre, grandes mutilations, catastrophes, accidents en masse, massacres, génocides, découvertes de charniers, agressions sexuelles [2], viols, pédophilie, incestes, rapts, etc. entraînent de grosses perturbations chez ces soignants.

10En effet, dans le traumatisme par procuration, il y a une rupture des schémas internes du thérapeute. Pour Pearmann et Saakvitne [3] (1995), les thérapeutes sont affectés dans de multiples aspects de leur vie, c’est-à-dire dans leur capacité de tolérance, de confiance, de puissance, leurs besoins psychologiques fondamentaux, leurs croyances, leurs rapports interpersonnels, leur langage figuré interne, leur intimité, leur expérience physique de leur corps, leur présence physique dans le monde, leur cuirasse ou armature personnelle et leurs ressources du Moi, leur sécurité et leur estime d’eux-mêmes.

11Chez ce type de soignants, les situations de violence vont déclencher un traumatisme psychologique intense. La rencontre avec la réalité de la mort de manière aiguë et constante laisse le soignant sans défense. Il lui est difficile d’exprimer son désarroi intérieur de peur d’influencer ceux qu’il aime et, par le fait même, il s’isole affectivement.

3.2 – Facteurs perturbant l’équilibre psychique du soignant

12Diverses situations cliniques peuvent perturber le psychiatre ou le psychothérapeute. Nous citons brièvement différentes attitudes des cliniciens susceptibles de rendre inconfortable le thérapeute. Elles sont approfondies dans les ouvrages cités, de même que le vécu avec des patients psychotiques. La sécurité ontologique du soignant peut alors être ébranlée par une symptomatologie d’éclatement, d’engloutissement, d’implosion, de pétrification, etc.

  • Intrusion de l’espace intrapsychique des soignants par les affects des patients
  • Mise en mouvement de processus d’identification projective pathologique et/ou intrusive
  • Sollicitude extrême du soignant (fatigue de compassion, position symbiotique)
  • Sollicitation narcissique de l’omnipotence du soignant par le patient
  • Vécu de non-reconnaissance par le patient
  • Vécu particulier avec les patients psychotiques
  • Personnalité de type paranoïaque du patient

4 – Étiologie du syndrome d’épuisement professionnel

4.1 – Facteurs spécifiques du burn-out du soignant

13Quatre failles possibles nous semblent pouvoir expliquer les causes du burn-out spécifique du soignant. Quatre failles possibles du soignant où son cristal [4] peut se briser. À celles-ci viendraient, pour nous, s’ajouter les autres causes décrites ci-après.

  • L’impact et la répétition des traumatismes rencontrés en clientèle
  • La spécificité du métier de soignant
  • La question du choix de la profession de soignant
  • L’isolement physique et psychoaffectif du soignant

4.1.1 – L’impact et la répétition des traumatismes rencontrés en clientèle

14Tous les soignants et particulièrement les psychothérapeutes sont amenés à être confrontés aux aspects cachés, sombres de l’âme humaine. Au fil des jours, ils accompagnent parfois des personnalités à peine sinon pas structurées du tout. Les besoins et les demandes de ces patients sont forts, parfois très exigeants. Cependant, la totalité des soignants est amenée au contact de ces mêmes phénomènes, mais avec des nuances et des intensités diverses.

15Ce métier spécifique de soignant demande une grande disponibilité de cœur, de la tolérance, de l’acceptation presque inconditionnelle de l’autre, comme l’enfant en très bas âge pourrait le demander à sa mère.

16De plus, la question de la mort, de la maladie, de la souffrance, de l’injustice, de l’inégalité, des pulsions interdites, taboutiques refoulées (inceste, viol, suicides, meurtres, perversions, sexualité, interruption de grossesse, malformations génétiques, manipulations génétiques, euthanasie passive ou active, pulsions de meurtre, toxicomanies …) deviennent répétitives et prégnantes au fil des jours et des consultations. La répétition de ces impacts et la multitude de ces microtraumatismes émotionnels consument ce soignant au plus profond de lui-même, surtout s’il n’a pas d’espace de parole où se dire à d’autres collègues.

4.1.2 – La spécificité du métier de soignant

17Ce professionnel reste doublement impliqué : d’une part par le vécu de l’Autre souffrant et d’autre part, par identification projective [5] et introjective, il est impliqué dans son propre vécu d’être humain. (Et si j’avais la même maladie, et si je mourais, et si cela arrivait à mon enfant, à mes parents, à mon conjoint … ?).

18Une autre spécificité du soignant réside dans le fait de la diversité des problématiques amenées par les patients. Chacun de nous est amené à régler un certain nombre de problématiques personnelles dues à sa propre ontogenèse [6] et à sa propre phylogenèse [7]. Nous tentons de trouver un équilibre psychique et physique en relation avec ces « problématiques ». Le soignant, souvent malgré lui, est projeté face à une multitude de questions métaphysiques, éthiques, morales, psychologiques, émotionnelles, qu’il n’aurait pas rencontrées s’il avait choisi une autre profession.

4.1.3 – La question du choix de la profession de soignant

19La question même du choix de la profession représente un autre facteur de fragilité ou de faille possible. Le candidat soignant a été souvent confronté assez jeune avec la question de la maladie et des soins à y apporter : soit il a été lui-même, par le passé, confronté dans sa propre chair, ou dans celle d’un membre de son entourage ou de son voisinage ; soit il a voulu résoudre par lui-même ses propres questionnements psychiques ou physiques par rapport à la santé. Sa personnalité et ses choix professionnels sont donc à la fois une faille possible qui le rend particulièrement sensible à ces questions chez les autres et à la fois une force car il est très sensibilisé, beaucoup plus que son voisin, à ces mêmes questions notamment par le souci du mode de réponse à y apporter.

4.1.4 – L’isolement physique et psychoaffectif du soignant

20Cependant, même si d’autres professionnels subissent de pareils traumatismes, le soignant, par sa position dans la société et la spécificité du dialogue singulier avec son patient, se trouve placé dans une situation particulière, à la fois privilégiée et en même temps dans une contrainte liée au secret médical. Il est censé ne partager avec personne les confidences qu’est venu lui déposer son patient. C’est particulièrement aigu pour les soignants qui travaillent en solo, sans possibilité de secret partagé, de même pour les psychothérapeutes isolés et les psychanalystes. Dans certains cas, la lourdeur des secrets à porter au fil des jours et leurs impacts affectifs chez le soignant l’usent à petit feu même si des lieux de supervision privilégiés existent. Dans notre expérience, ces lieux de supervision pour les médecins organiciens existent en trop petit nombre et ils sont trop peu fréquentés. Il n’en est heureusement pas de même pour les psychothérapeutes et les psychanalystes. Le médecin touche à l’indicible (à la mort, aux questions de vie dans l’au-delà …), il voit et touche physiquement des zones socialement interdites hors contexte d’intimité (corps dévoilé, corps sexué, organes génitaux). Le patient projette consciemment et le plus souvent inconsciemment sur lui, des sentiments de toute puissance, de pouvoir sur la vie et la mort, ce qui l’isole encore plus. L’humilité reste le seul remède à ce phénomène. Le fait même d’avoir été contenant des souffrances de l’Autre le place à une distance telle qu’il lui devient impossible de maintenir avec ses patients des relations autres que professionnelles. La question de la juste distance et des aspects contre-transférentiels au sein de toute relation thérapeutique doit être explorée, analysée et recadrée. Cette solitude intérieure, ce poids des responsabilités difficile à partager et cette indispensable distance thérapeutique rétrécissent et limitent le réseau relationnel du soignant. L’isolement physique et psychoaffectif du soignant reste un facteur de stress et bien des efforts sont actuellement mis en place pour y remédier (groupes de formation continue ou d’évaluation de la pratique médicale, groupes de supervision de cas cliniques, groupes Balint.)

4.2 – Facteurs de risque individuel (agents stresseurs internes)

a – Aspects relationnels entraînant de l’inhibition chez le soignant

21Le manque de capacités d’être en relation avec les autres peut entraîner des dysfonctionnements habituels ou temporaires chez certains soignants. Ces difficultés relationnelles entraînent parfois de l’inhibition chez ces soignants.

22Le manque de confiance en soi de même que le regard que le soignant porte sur lui-même peuvent entraîner des scénarios d’échec, des manques de soutien et de sollicitude pour le patient. La pauvreté d’apprentissage des techniques de communication amène de l’incapacité à poser des limites, à dire non de même que des difficultés à interrompre l’autre, à terminer la consultation, à gérer le temps. Le métier de soignant peut également entretenir un fantasme de toute puissance du soignant, son isolement et le manque de dialogue avec ses pairs.

23Pour le Dr Jean-Pierre Lebrun [8], « les médecins souffrent en silence, sans le savoir. En guise de défense, ils acquièrent la maîtrise sur le technoscientifique. La structure de leur discours ignore la mort. Le médecin ne peut de ce fait penser l’impasse dans laquelle il se trouve du fait même qu’il est dans une logique sans limites. Et s’il veut réintroduire une limite, il devra soutenir le paradoxe de décider lui-même de la limite, autrement dit soutenir une transgression. Alors que les infirmiers savent que s’ils parlent, un soulagement adviendra, les médecins, craignent les groupes de parole parce que la parole risque de réveiller leur souffrance cachée et ignorée d’eux-mêmes ».

b – Aspects personnels entraînant de la frustration chez le soignant

24Certains soignants peuvent être enfermés dans des introjections parentales et sociétaires de fortes exigences au travail et d’hyper-conscience professionnelle, (il faut travailler beaucoup, il faut le guérir, le sauver …) Ils peuvent être débordés par des tracas familiaux, amicaux, de couple ou personnels. D’autres facteurs s’ajoutent comme un isolement physique et psychoaffectif, une inadaptation sociale, une difficulté à se faire respecter ou encore de la culpabilité et le besoin de se justifier, un sentiment d’incomplétude en cas de réduction du temps de travail.

25La pauvreté psychoaffective de leur entourage peut influencer leur mal-être, de même qu’un sens de la « vocation » trop développé, couplé au maintien d’une certaine image de soi et à une recherche exagérée de réussite sociale ou de pouvoir personnel.

c – Facteurs liés au type de travail (agents stresseurs externes)

26Pour le Dr Wulf Rössler [9], les soignants vivent de plus en plus de frustrations, compte tenu de l’augmentation actuelle des contraintes dans les professions de la santé psychique.

27Il repère l’aspect quantitatif des demandes en raison de l’augmentation de la lourdeur de la prise en charge avec des ressources plus faibles en raison de la réduction des moyens dans le contexte de la crise, de la nécessité ou de l’obligation à travailler plus vite pour des raisons de rentabilité. Du point de vue qualitatif, la nécessité impérative de guérir la maladie sinon la mort, de poser un diagnostic précis et de clarifier une majorité de questions médicales, existentielles, associée au caractère limité de nos réponses aux questions pousse les médecins vers un stress intense, et les immobilise dans le fantasme de toute puissance du patient projeté sur le corps médical. Les interactions avec les patients et les collègues manquent parfois de respect et de saine reconnaissance, avec un feedback positif plutôt rare et faible, sinon négatif. Cette confrontation à la souffrance humaine, au caractère psychopathologique de certains patients (agressivité, manipulation, exigences, types de personnalité …) à la mauvaise compliance aux traitements prescrits, et au stress de la vie de tous les jours, fait d’insécurité, voire de violence dans certaines cités finissent par épuiser profondément ces soignants au fil des semaines et des mois.

d – Aspects organisationnels de la part du soignant

28Vu la multiplicité et l’irrégularité des tâches, le mode d’organisation du médecin importe beaucoup pour son équilibre physique et psychique, outre sa propre conception du travail. En effet, on remarque que le travail en solo du soignant et l’insuffisance de réseau relationnel professionnel jouent un rôle dans l’écologie personnelle du soignant. De même, la nécessité d’une juste répartition entre les consultations au cabinet et les visites au domicile, le choix entre les consultations sur rendez-vous ou les consultations libres, la gestion des urgences, nécessitent l’aide d’un secrétariat médical capable de mettre à jour la différenciation et la divergence indispensable entre les attentes et les besoins réels du patient et ceux du soignant.

29Le soignant réduira son risque du burn-out avec une bonne gestion du temps et du contenu des contacts, une rigoureuse gestion financière (honoraires – retraite) ainsi qu’une saine assurabilité (revenu garanti-mutuelle-délai de carence).

5 – Traiter le syndrome d’épuisement professionnel du soignant

30La prise en charge sera psycho-médicosociale. D’où la nécessité de mettre en œuvre une synergie entre de multiples acteurs (médecin du travail, assistantes sociales, coach, DRH, syndicats, médecin traitant, compagnies d’assurances, psychothérapeute, psychiatre, conjoint, famille, amis …). Soigner le burn-out implique des changements personnels intérieurs dont la nécessité pour le soignant épuisé d’aborder des dimensions introspectives, psychologique, philosophique, mythique, communautaire, politique et éthique. Cette démarche ira de pair bien entendu avec des changements dans sa pratique quotidienne en organisant mieux son quotidien professionnel et familial et en l’ajustant à une vie intérieure.

31Soigner le burn-out impliquerait d’agir sur l’individu (approche psychiatrique, psychanalytique, failles, trauma …), d’agir sur les systèmes (approche systémique, sociologique, environnementale, facteurs de stress …) et d’agir sur l’idéal professionnel. Selon P. Janne, C. Reynaert, Y. Libert, & all. [10], « agir sur l’idéal professionnel du soignant revient à travailler une espèce d’idéalisme. Quand le soignant attend trop de sa profession et notamment qu’elle lui rapporte en miroir une belle image de lui-même, un accomplissement personnel de la reconnaissance ou de l’amour, il devient un individu à haut risque ».

32Même si les médecins craignent les groupes de parole [11] parce que la parole risque de réveiller leur souffrance cachée et ignorée d’eux-mêmes, cette parole reste l’unique moyen de laisser sa place à cette discordance entre l’impossibilité et l’impuissance. Dépasser le grand fantasme occidental de croire possible de dépasser la mort ou de la changer consisterait pour le soignant à accepter la finitude comme un facteur anti-burn-out qui le libérerait de cette contrainte morale sociétaire de toute puissance à guérir ce qui est inguérissable.

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Date de mise en ligne : 01/03/2017

https://doi.org/10.3917/sdes.019.0005

Notes

  • [1]
    Lyndall S. & Bicknell J., Australian Journal of Disaster and Trauma Studies, vol. 1998-2, School of Psychology, Massey University, New Zealand.
  • [2]
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  • [5]
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  • [6]
    Ontogenèse : ce qui dépend de notre histoire personnelle
  • [7]
    Phylogenèse : ce qui appartient à notre histoire familiale et collective
  • [8]
    Lebrun J.-P., De la maladie médicale, Bruxelles, De Boeck, 1993.
  • [9]
    Dr Wulf Rössler, Comment prévenir le burn-out des psychiatres ? (professeur de psychiatrie clinique et sociale à l’Université de Zürich) in Neurone, 5 juin 2013, exposé rapporté par les Drs JeanÉmile Vanderheyden et Dominique-Jean Bouilliez.
  • [10]
    Reynaert Ch., Jane P., Libert Y. dont l’article se trouve dans l’ouvrage de Delbrouck M., Le burn-out des soignants, opus cité.
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    Lebrun J.-P., De la maladie médicale, Bruxelles, De Boeck, 1993.

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