Notes
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[1]
Crée par Milko Paris, Ban public est une association, loi de 1901, « areligieuse, adogmatique et apolitique, qui a pour but de favoriser la communication sur les problématiques de l’incarcération et de la détention, et d’aider à la réinsertion des personnes détenues. Par son nom, l’association Ban public se veut un lien symbolique entre le dedans, caché parce qu’infâme aux yeux du monde, et le dehors qui ne sait pas ou n’accepte pas son reflet, son échec ». Elle a pour objectif d’ « ouvrir les portes et les yeux afin que la prison devienne l’affaire de tous ». Composée d’ancien(e)s détenu(e)s, de journalistes, d’universitaires, d’artistes, d’associations, de citoyens, Ban public développe son action autour d’un site Internet, prison.eu.org, site indépendant consacré aux prisons.
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[2]
Le documentaire Tous coupables a été diffusé le 12 janvier 2008 à 22 h 15, sur Public Sénat. Saïd-André Remli le présente ainsi sur son site : " Sauf en Moldavie, je n’ai vu de prison pire que ça ". Tels sont les mots du Commissaire Européen aux droits de l’homme après sa dernière visite des prisons françaises. Mais comment peut-on encore accepter cela au pays des droits de l’homme ? Un suicide tous les trois jours, taux d’occupation de 200 %, huit détenus sur dix présentant une pathologie psychiatrique… Derrière ces chiffres alarmants existe une réalité depuis trop longtemps dissimulée. Si la prison a un sens, il faut qu’elle soit école de citoyenneté et de démocratie, et non plus école du crime. Ce qui ne se fera que lorsque l’on considèrera les personnes incarcérées comme faisant partie intégrante de notre société. À travers l’histoire de deux familles touchées par l’absurdité et la violence carcérale, ce documentaire nous ouvre progressivement les yeux sur les failles d’un système auquel on a trop souvent recours. Il nous propose une réflexion sur la question de l’enfermement et sur l’absurdité d’y ajouter la violence, la haine, la frustration et l’humiliation, quand on voit les conséquences dramatiques que cela peut avoir sur un détenu, qui tôt ou tard retrouvera la société extérieure ».
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[3]
Le livre « Je ne souhaite cela à personne » est ainsi présenté par Dominique Simennot dans le Canard Enchainé du 10 mars 2010 :
« Tout lecteur, en refermant ce Je ne souhaite cela à personne, (Seuil, janvier 2010), se dira que rarement titre fut plus mérité. Vraiment, nul ne peut souhaiter vivre la vie de Saïd-André, né en 1957, de Raymonde et de Derradj. Dès l’enfance, mal barré, le petit Saïd-André acquiert " le mépris des lois dont toutes [lui] furent défavorables ". Parents déchirés, placement chez les pères catholiques " par décision de justice, sans explication ", fugues, " mauvaise conduite notoire ".À onze ans, malgré tout, il est le meilleur de sa classe et rêve d’études. Un espoir ? Oh non, les bons pères veillent : " Tu seras serrurier, tes origines t’y destinent… " Injustice suprême, qui lui servira dans son futur métier de cambrioleur, rapidement appris. Après la rue et les casses, la suite logique est la prison. Un gâchis typique que l’on entend souvent aux procès, où défilent les vies de ceux qui n’ont pas eu de chance. Pourtant, toujours avide d’apprendre, Saïd-André rattrape le retard, prépare en taule son bac philo. À 21 ans il pense encore que " rien n’est irréversible ". Il se trompe. Son casier le suit. La prison encore. Le meurtre méchant d’un surveillant au cours d’une évasion ratée – il les ratera toutes – le fait basculer dans la catégorie des détenus tabassés. Partout. Dans toutes les prisons où il est annoncé, l’attend la " haie d’honneur ", cette coutume pénitentiaire où le prisonnier passe entre des rangées de gardiens qui frappent à tour de bras. Pourtant, il continue d’apprendre, dévore le Code pénal, les lois internationales, devient porte-parole de ses camarades et fait avancer le droit pénitentiaire. Vingt ans passent, il sort et s’ouvre la partie la plus affolante et la plus prenante de son livre. La réinsertion. Tout s’acharne à la faire rater. Sa femme, épousée en prison, se révèle être une mégère. Ses enfants, conçus au parloir, lui sont arrachés. De sa cellule, il a lié des contacts avec le cinéaste Bertrand Tavernier, avec le compositeur Nicolas Frize qui, à la centrale de Saint-Maur, enseigne aux détenus. À quoi bon ? La stupide bureaucratie judiciaire le pousse à la faute. Pas le droit de vivre avec la femme qu’il aime, pas le droit de travailler ici, pas le droit d’être intermittent du spectacle, pas de ci ni de ça. Stupéfiant de bêtise, qui le fait sombrer un temps. Stupéfiante aussi, sa rage d’en sortir. Dans l’ultra césarisé Prophète de Jacques Audiard, le héros, sortant de prison, hésite entre la mort et le caïdat. Saïd -André est aujourd’hui un homme que l’on croise dans les colloques sur la prison, qui a travaillé avec les SDF, a tourné un documentaire, Tous coupables, a fondé une association de réinsertion et élève ses gamins… Inutile de chercher une morale, il n’y en a pas. »
1Le 15 décémbre 2010,
2Saïd André Remli a aujourd’hui 53 ans. Il est père de trois enfants. Des jumeaux de 8 ans, et un troisième fils de 6 ans, tous trois conçus en prison où il a passé vingt-trois ans. Saïd André Remli est aujourd’hui directeur du C.A.R.D. (Comité d’Aide à la Réinsertion des Détenus).
3Auteur de Je ne souhaite cela à personne, manuscrit autobiographique édité au Seuil en janvier 2010 et réalisateur de Tous coupables, film documentaire sur l’état des lieux de la situation carcérale en France, il travaille aujourd’hui à un documentaire sur les suicides en prison (ceux des détenus bien sûr, mais aussi ceux des personnels pénitentiaires) La dernière évasion.
4Sens-Dessous — Lorsque je vous ai demandé de participer à ce numéro sur le Courage vous m’avez dit qu’en ce qui vous concerne le mot « survie » semblait plus approprié ?
5Saïd-André Remli — Disons qu’avoir du courage implique, il me semble d’avoir le choix. On doit faire avec sa peur et cela suppose la liberté quelque part. Tandis que la survie, c’est simplement un rapport à la vie. Si on a un rapport à peu près normal à la vie, on fait ce qu’il faut pour ne pas mourir, de quelque façon que ce soit. Et donc je ne suis pas sûr que survivre implique d’être courageux.
6S.-D. — Cependant, dans certaines circonstances, on peut se dire que rester en vie requiert d’être capable de résister au désir de mourir ?
7S.-A. R. — Je suis papa célibataire, j’ai des jumeaux de 8 ans et demi et un garçon de 6 ans et demi. Et il est vrai que depuis ma sortie de prison j’ai pensé plusieurs fois à en finir. Parce que la prison c’est une chose, mais retrouver la liberté et certains repères, oubliés depuis vingt ans dans mon cas, ce n’est vraiment pas évident. D’ailleurs, c’est l’objet de mon prochain reportage : le suicide en prison et après la prison, parce que si on dit qu’en France il y a neuf fois plus de suicides à l’intérieur des prisons qu’à l’extérieur, on ne parle jamais du nombre phénoménal des personnes qui se suicident en sortant de prison. Mes enfants m’ont sauvé en me rappelant que si je ne parvenais plus à vivre pour moi, je devais vivre pour eux.
8S.-D. — Ces difficultés sont dues à la nécessité de réapprendre à vivre à l’extérieur ?
9S.-A. R. — Elles vont bien au-delà de cette nécessité. Dans mon cas, j’ai tué un gardien lors d’une tentative d’évasion, j’ai été condamné à perpétuité dans des conditions particulièrement dures, on a essayé de « me suicider ». Je m’en suis sorti vivant car j’ai adopté une attitude particulière où je me suis construit une sorte d’armure, où je ne montrais jamais mes sentiments. Du coup, quand on se retrouve dehors avec des gens qu’on aime, on ne parvient ni à l’exprimer ni même à vivre avec, et cela est très violent, très dur.
10S.-D. — Avez-vous été accompagné, vous a-t-on proposé des soins, un suivi ? On pourrait l’imaginer dans la mesure où ces troubles concernent toutes les personnes ayant effectué une longue peine ?
11S.-A. R. — Non. En cas de catastrophe, il y a toujours des cellules de psychologues qui viennent aider les gens qui ont pu être traumatisés par l’évènement. C’est ce qu’il faudrait pour les sortants de prison en France. Pour moi c’est une évidence. C’est une telle souffrance et cela implique une telle rupture avec la réalité… Certains récidivent car ils ne peuvent retrouver leur place qu’en prison, leurs repères qu’en prison, ou ils tentent de se suicider, comme un de mes amis qui est parti dans un braquage complètement débile : il a pris le directeur de la banque en otage, il s’est retrouvé coincé dans le sas, il a mis une balle dans la tête du directeur et s’est mis une balle dans la tête après. Voilà, il y a des types qui se suicident, qui deviennent SDF etc. Ils sont confrontés à toutes formes d’addiction : l’alcool, la drogue et deviennent des épaves.
12S.-D. — Cette « descente en enfer » après la sortie de prison n’est donc pas simplement liée à la perte de repères consécutive à l’incarcération ?
13S.-A. R. — C’est dû surtout à la politique menée en France au niveau carcéral. Elle est relativement infecte. Ce n’est pas seulement une privation de liberté. Elle conduit bien au delà à déstructurer la personne, à lui faire perdre toute confiance en elle. C’est une chose infernale, où survivre, chercher à conserver sa dignité, est un combat de tous les jours. Et on est seul, face à des équipes qui se relaient jour après jour pendant des mois et des années. Il y a une politique qui est menée pour détruire l’individu qui est entré en prison, quel que soit son chef d’inculpation.
14S.-D. — Qu’est-ce qui dans ce cadre vous semble le plus urgent à changer ? S’il fallait prendre une mesure ?
15S.-A. R. — D’après moi, le plus important est de faire changer les mentalités. En intervenant par exemple dans les écoles. Cela pourrait prendre plusieurs générations. Mais en France, c’est trop particulier. Je pense qu’il y aura des avancées mais aussi des retours en arrière, parce qu’il y aura eu un meurtre particulièrement atroce ou dégueulasse qui remettra en question ce qui aura pu bouger. Plus que les politiques, ce sont les mentalités qu’il faut changer. Car les politiques vont naturellement dans le sens de ce qu’ils pensent être le point de vue des gens. Il faut agir avec l’Éducation Nationale, des philosophes, des penseurs. La personne qui est punie ne doit pas souffrir mais purger une peine. La personne punie devrait pouvoir « profiter » de son temps d’incarcération pour réfléchir et reprendre sa vie.
16S.-D. — Il faudrait une sorte de réveil des consciences ?
17S.-A. R. — En France, on en est loin. Quand je vois la publicité à la télévision concernant le recrutement du personnel pénitentiaire, cela me semble horrible. Là aussi il y a un problème de formation. Mais le problème est général et c’est pour cette raison que depuis le 15 septembre dernier je me suis mis à mon compte en tant que travailleur indépendant, comme consultant prison et réinsertion. C’est ce que je fais depuis que je suis sorti de prison mais bénévolement. À présent, ce sera rémunéré.
18S.-D. — Vous avez participé à différents projets de réinsertion ?
19S.-A. R. — Oui. En 1998, j’étais incarcéré à la centrale de Moulins. J’ai créé le Comité d’Aide à la Réinsertion des Détenus. Aucune des personnes que nous avons pu accompagner n’a récidivé. Or, toutes les associations du même type ont une moyenne de 70% de récidives. Nous, nous n’en avons eu aucune.
20S.-D. — Comment avez-vous obtenu un tel résultat ?
21S.-A. R. — L’association intervient dès la mise en détention de la personne. Elle fait le lien avec la famille et accompagne le détenu sur un projet qu’il suivra tout au long de sa détention. Elle travaille en partenariat avec les CIP (Conseillers d’Insertion et de Probation), qui n’ont pas assez de moyens et qui sont perçus par les détenus comme des relais de l’administration pénitentiaire. Durant mon incarcération à la centrale de Saint- Maur, j’ai été contacté par Milko Paris : il m’a expliqué qu’il connaissait notre association et qu’il la trouvait très bien et m’a demandé d’être président d’honneur de Ban Public [1]. À ma sortie, j’ai fait partie de plusieurs autres associations mais, au bout de trois mois, j’ai démissionné. J’ai dit à Milko que je n’étais pas d’accord avec le fonctionnement d’une association où l’on se contentait de discuter une fois par mois, quand les détenus souffrent jour après jour des conditions de leur détention. Je lui ai dit que vu mon expérience je voulais être plus proche du terrain. J’ai réalisé un documentaire, « Tous coupables [2] », écrit un livre [3], et je travaille actuellement sur un nouveau film, sur le suicide, en prison et à la sortie de prison. Je fais des choses concrètes, ce n’est pas simplement une réunion par mois, ce que je trouve assez inutile. Ce n’est pas que les gens ne sont pas de bonne foi mais ils n’ont pas compris, ils ne savent pas ce que représente une heure en prison. Certains basculent dans la folie en une heure. Ils ont des mômes en situation catastrophique. C’est infernal. La nuit, il y a des gens qui se suicident. Il y a des détenus qui appellent les gardiens parce qu’ils ont du mal à respirer, ceux-là ne réagissent pas forcément ou peuvent parfois venir pour les taper, histoire qu’ils se calment. C’est une réalité que les gens à l’extérieur ne peuvent pas connaître et tant mieux pour eux.
22S.-D. — Le film « À côté » de Stéphane Mercario traite de la question des femmes et de la famille, de ce qui est détruit en dehors de la détention elle-même, l’avez-vous vu ? Et qu’en avez-vous pensé ?
23S.-A. R. — Oui, nous nous sommes rencontrés avec la réalisatrice Stéphane Mercario et nous avons échangé nos films. Je lui ai dit que dans son film les images étaient trop belles. J’ai eu le sentiment que c’était édulcoré. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait dépeindre les choses comme je l’aurais fait puisqu’elle ne pouvait saisir cette réalité de l’intérieur. Je trouve qu’il manque « le son » des prisons. C’est un peu politiquement correct.
24S.-D. — Une des souffrances pour les détenus n’est-ce pas ce qu’on impose à leur famille ?
25S.-A. R. — En ce qui me concerne, dès que j’ai compris que j’allais être incarcéré à perpétuité j’ai rompu avec ma famille pour lui éviter de subir les effets de mes propres erreurs. La rupture peut sembler brutale mais cela m’a semblé moins violent que de l’obliger à me suivre de centre en centre. Et de toutes les manières, la politique carcérale éloigne le détenu de sa famille à la moindre occasion. La plupart des détenus sont effondrés à chaque transfert, non seulement par rapport aux familles, mais parce qu’ils se trouvent de nouveau dans la situation d’un nouvel entrant sans aucun repère. Pour moi, je le vivais comme un renouveau, je ne suis pas représentatif des personnes détenues. Chaque situation m’apparaissait comme une nouvelle opportunité d’apprendre, de rebondir.
26S.-D. — Vous avez étudié le droit en prison ?
27S.-A. R. — En 1985, j’ai été mis en isolement. Cela a duré neuf ans. Quand on est en isolement, on n’a pas accès à la bibliothèque. Donc j’exigeais que les matons m’apportent des livres. Je lisais parfois trois livres par jour. Quand je tombais sur un livre complexe, cela pouvait me prendre une semaine. Bref, je n’ai pas cessé de lire. Le premier livre que les gardiens m’ont apporté, c’était le code de procédure de pénale. Je me suis rendu compte des limites du droit français et surtout du fait que la constitution française de 1958 prévoyait la primauté du droit international sur le droit français. À partir de là, j’ai pris contact avec différentes instances internationales : l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), le BIT (Bureau International du Travail), le Conseil des Droits de l’Homme de Genève etc. Ils m’ont envoyé des tonnes et des tonnes de documents, j’ai engagé des procédures. J’ai obtenu des jurisprudences, la première concernait mon jugement qui a été déclaré partial, la seconde sur l’isolement qui était une décision interne dont on pouvait critiquer le pouvoir, la troisième concernait les comptes des associations sociales et culturelles qui gèrent la vie intra muros concernant la cantine, le prix des denrées, frigo, télévision etc. Certaines procédures sont encore en cours.
28S.-D. — Vous pensez que le droit peut être une arme, comme par exemple ce fut le cas pour les détenus de la Maison d’Arrêt de Rouen, qui ont obtenu une compensation financière pour les conditions indignes de leur détention ?
29S.-A. R. — Oui, c’est une évidence. Surtout dans la situation des personnes condamnées à perpétuité ou à de très longues peines. Car le temps est du côté de ces détenus. J’ai donc cherché à former les détenus dans chaque quartier d’isolement où j’ai été transféré. On ne s’occupe pas du droit interne car cela ne sert à rien, on s’adresse directement au tribunal administratif. On peut ne pas subir la prison et récupérer une certaine dignité.
30S.-D. — Il s’agit de récupérer une dignité d’homme, de se dire que l’on possède des droits même en prison ?
31S.-A. R. — Oui, d’ailleurs si animaux il y a, ce ne sont pas ceux qui sont enfermés qui sont les plus sauvages. Attention : quand je dis cela, je ne dis pas que tous les gardiens sont des sauvages. La plupart sont des gens bien, ils sont confrontés à des situations qu’ils n’imaginaient pas quand ils ont fait leur formation. Et ils doivent faire vivre leurs familles. Ils sont confrontés à une politique qui les détruit aussi. D’ailleurs quand on parle des suicides en prison, il ne faut pas oublier ceux des personnels pénitentiaires. Le problème, c’est que les « brebis galeuses » sont vraiment des malades, des sadiques. Il suffit qu’il y ait trois personnes déviantes, le système les couvre.
32J’ai une amie, Virginie Bianci, qui travaille avec Jean-Marie Delarue, actuel contrôleur général des privations de liberté. Elle était sous-directrice à la centrale de Clairvaux. Il y a eu une émeute, les ateliers ont brûlé. Elle s’est fait insulter par les gardiens car elle a plaidé la cause des détenus et, depuis, elle est devenue avocate.
33Cependant, la plupart des personnels pénitentiaires deviennent tels que la structure les fabrique. Parfois des gardiens pacifiques deviennent d’affreux tortionnaires.
34S.-D. — J’imagine que vous avez parfois envie de parler d’autre chose, non ?
35S.-A. R. — Ça va. Je repense à la prison si on me pose des questions précises ou dans le cas de l’écriture du livre. Le Seuil m’a donné tout de suite son accord. J’ai demandé à une amie – Sylvette Desmeuzes-Balland – de me donner un coup de main car je n’y parvenais pas seul. Il fallait revenir sur tout ce que j’avais oublié pour résister. J’ai pété les plombs. J’étais obligé de me bourrer la gueule. Il y avait des choses trop violentes, la mort de mon frère, la violence des gardiens. On a travaillé avec les services juridiques du Seuil de manière à ce que personne ne puisse directement se sentir accusé. Pour dire la réalité, je vais donc paradoxalement faire appel à la fiction dans un film sur lequel je travaille. Personne ne pourra dire « ce n’est pas vrai ».
36S.-D. — Et, si pour finir, nous revenions un peu sur votre sortie de prison ?
37S.-A. R. — Moi, je pensais que les choses allaient bien se passer. Je suis sorti le 1er juin 2004. Le 1er janvier 2005 la mère de mes enfants m’a mis à la porte de chez elle. Pendant trois jours je n’ai pas mangé, j’ai bu dans les toilettes de la gare de Châteauroux. Le 3 janvier je devais intégrer une formation de régisseur de production à Issoudun à trente kilomètres et je me suis dit que j’irais quoi qu’il en soit : je l’avais promis à un ami journaliste. Puis, je me disais que j’irais voir le JAP (Juge d’Application des Peines) pour lui demander de révoquer ma conditionnelle, disant que je n’avais ni logement, ni travail, ni argent. Après ma journée, mon ami m’a demandé où j’en étais : je lui ai dit les choses, y compris mon projet d’aller voir le JAP. Il m’a invité au resto, il m’a donné cent cinquante euros en liquide et m’a dit de l’attendre à Paris où je suis devenu intermittent du spectacle. Arrivé sur Paris, la JAP me demandait de trouver en trois semaines et dans mon domaine (donc je ne pouvais pas trouver un boulot dans le bâtiment par exemple) un CDI, sinon retour en prison. J’ai eu un contrat auteur/réalisateur. Elle m’a dit, attention, maintenant il vous faut un appartement seul à Paris d’ici trois mois. Je lui ai demandé d’écrire sa condition. Elle m’énervait tellement que je voulais « l’emmener en balade » et pas pour lui compter fleurette.
38Elle ne l’a pas fait.
Notes
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Crée par Milko Paris, Ban public est une association, loi de 1901, « areligieuse, adogmatique et apolitique, qui a pour but de favoriser la communication sur les problématiques de l’incarcération et de la détention, et d’aider à la réinsertion des personnes détenues. Par son nom, l’association Ban public se veut un lien symbolique entre le dedans, caché parce qu’infâme aux yeux du monde, et le dehors qui ne sait pas ou n’accepte pas son reflet, son échec ». Elle a pour objectif d’ « ouvrir les portes et les yeux afin que la prison devienne l’affaire de tous ». Composée d’ancien(e)s détenu(e)s, de journalistes, d’universitaires, d’artistes, d’associations, de citoyens, Ban public développe son action autour d’un site Internet, prison.eu.org, site indépendant consacré aux prisons.
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[2]
Le documentaire Tous coupables a été diffusé le 12 janvier 2008 à 22 h 15, sur Public Sénat. Saïd-André Remli le présente ainsi sur son site : " Sauf en Moldavie, je n’ai vu de prison pire que ça ". Tels sont les mots du Commissaire Européen aux droits de l’homme après sa dernière visite des prisons françaises. Mais comment peut-on encore accepter cela au pays des droits de l’homme ? Un suicide tous les trois jours, taux d’occupation de 200 %, huit détenus sur dix présentant une pathologie psychiatrique… Derrière ces chiffres alarmants existe une réalité depuis trop longtemps dissimulée. Si la prison a un sens, il faut qu’elle soit école de citoyenneté et de démocratie, et non plus école du crime. Ce qui ne se fera que lorsque l’on considèrera les personnes incarcérées comme faisant partie intégrante de notre société. À travers l’histoire de deux familles touchées par l’absurdité et la violence carcérale, ce documentaire nous ouvre progressivement les yeux sur les failles d’un système auquel on a trop souvent recours. Il nous propose une réflexion sur la question de l’enfermement et sur l’absurdité d’y ajouter la violence, la haine, la frustration et l’humiliation, quand on voit les conséquences dramatiques que cela peut avoir sur un détenu, qui tôt ou tard retrouvera la société extérieure ».
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[3]
Le livre « Je ne souhaite cela à personne » est ainsi présenté par Dominique Simennot dans le Canard Enchainé du 10 mars 2010 :
« Tout lecteur, en refermant ce Je ne souhaite cela à personne, (Seuil, janvier 2010), se dira que rarement titre fut plus mérité. Vraiment, nul ne peut souhaiter vivre la vie de Saïd-André, né en 1957, de Raymonde et de Derradj. Dès l’enfance, mal barré, le petit Saïd-André acquiert " le mépris des lois dont toutes [lui] furent défavorables ". Parents déchirés, placement chez les pères catholiques " par décision de justice, sans explication ", fugues, " mauvaise conduite notoire ".À onze ans, malgré tout, il est le meilleur de sa classe et rêve d’études. Un espoir ? Oh non, les bons pères veillent : " Tu seras serrurier, tes origines t’y destinent… " Injustice suprême, qui lui servira dans son futur métier de cambrioleur, rapidement appris. Après la rue et les casses, la suite logique est la prison. Un gâchis typique que l’on entend souvent aux procès, où défilent les vies de ceux qui n’ont pas eu de chance. Pourtant, toujours avide d’apprendre, Saïd-André rattrape le retard, prépare en taule son bac philo. À 21 ans il pense encore que " rien n’est irréversible ". Il se trompe. Son casier le suit. La prison encore. Le meurtre méchant d’un surveillant au cours d’une évasion ratée – il les ratera toutes – le fait basculer dans la catégorie des détenus tabassés. Partout. Dans toutes les prisons où il est annoncé, l’attend la " haie d’honneur ", cette coutume pénitentiaire où le prisonnier passe entre des rangées de gardiens qui frappent à tour de bras. Pourtant, il continue d’apprendre, dévore le Code pénal, les lois internationales, devient porte-parole de ses camarades et fait avancer le droit pénitentiaire. Vingt ans passent, il sort et s’ouvre la partie la plus affolante et la plus prenante de son livre. La réinsertion. Tout s’acharne à la faire rater. Sa femme, épousée en prison, se révèle être une mégère. Ses enfants, conçus au parloir, lui sont arrachés. De sa cellule, il a lié des contacts avec le cinéaste Bertrand Tavernier, avec le compositeur Nicolas Frize qui, à la centrale de Saint-Maur, enseigne aux détenus. À quoi bon ? La stupide bureaucratie judiciaire le pousse à la faute. Pas le droit de vivre avec la femme qu’il aime, pas le droit de travailler ici, pas le droit d’être intermittent du spectacle, pas de ci ni de ça. Stupéfiant de bêtise, qui le fait sombrer un temps. Stupéfiante aussi, sa rage d’en sortir. Dans l’ultra césarisé Prophète de Jacques Audiard, le héros, sortant de prison, hésite entre la mort et le caïdat. Saïd -André est aujourd’hui un homme que l’on croise dans les colloques sur la prison, qui a travaillé avec les SDF, a tourné un documentaire, Tous coupables, a fondé une association de réinsertion et élève ses gamins… Inutile de chercher une morale, il n’y en a pas. »