Couverture de SESTR_009

Article de revue

Les grandes métropoles face aux risques naturels et technologiques

Pages 47 à 55

1Toute urbanisation aggrave ou engendre des risques divers, mais elle devient simultanément objet de vulnérabilité face aux divers aléas naturels et technologiques. Cette évidence connaît un regain d’actualité depuis qu’une série de catastrophes a frappé plusieurs grandes agglomérations à la fin du vingtième siècle (comme les séismes de Kobé au Japon en 1995, d’Izmir en Turquie en 1999, de Port-au-Prince en Haïti en 2010), remettant en cause l’assurance d’un développement socio-économique, en pleine sécurité, et conduisant certains à affirmer que la société du risque est devenue indissociable des systèmes sociaux contemporains (Beck, 2001). Or, une des tendances fondamentales du temps présent réside dans la concentration des populations mondiales dans de très grandes agglomérations (dénommées selon les cas métropoles, mégapoles, régions urbaines...), souvent situées dans des zones à hauts risques, sismiques ou hydriques. Dès lors, on peut s’interroger sur les interrelations entre le gigantisme urbain, la montée en puissance des métropoles régionales ou nationales et une aggravation des risques. Si les villes ont toujours connu ces situations critiques, celles-ci deviennent de moins en moins acceptées par les sociétés contemporaines soucieuses de la sécurité de leurs habitants, du fonctionnement optimal de leurs activités économiques, de leurs services, ainsi que celui de leurs divers flux de fréquentation et de leurs différents réseaux notamment énergétiques. Il s’ensuit que les risques deviennent des problèmes politiques dont la gestion doit être territorialisée dans le cadre d’un subtil partage de compétences entre l’État et les divers niveaux des collectivités territoriales (Cahiers du GRIDAUH, 2011). Ces interrelations entre les risques et les territoires métropolitains conduisent à faire appel à une série d’actions. Celles-ci consistent à mieux connaître les risques prévisibles, à en mesurer et prévoir les occurrences et l’intensité puis à s’en protéger et, enfin à organiser la gestion des situations de crise. Aujourd’hui, une attention particulière porte, après une catastrophe urbaine, sur les modalités d’un retour à la normale : à la tentation d’une reconstruction à l’identique, le concept de résilience urbaine ouvre de nouvelles perspectives.

La connaissance des risques, un préalable nécessaire à la sécurité d’une métropole

2Toute politique préventive efficace repose sur une solide connaissance des risques prévisibles ; par-delà les difficultés de saisie, on peut faire appel à deux principales catégories d’approches pour connaître les risques métropolitains. Il s’agit d’une part de l’identification des territoires touchés ou susceptibles de l’être, notamment par les effets domino. Pour ce faire, on s’appuie sur l’empreinte des risques léguée par le recours aux témoignages du passé et de leurs croisements avec tous les apports techniques de l’expertise contemporaine. Il s’agit d’autre part, de l’évaluation du nombre de victimes, du volume des dommages économiques assurés ou non, compte tenu du coefficient multiplicateur des dégâts dans une grande agglomération.

Trois risques naturels sont particulièrement déterminants par leurs impacts

3• Le séisme est l’aléa le plus redoutable, car il est responsable du plus grand nombre de victimes mondiales, qui est en moyenne de 130 000 par an (Sigma, Swiss Re. 2011).

4Mais le nombre des victimes dépend très largement de la nature des constructions et de celle des dispositifs de prévention. À magnitude égale, la catastrophe de Port-au-Prince a fait 222 000 victimes, mais seulement 500 à Santiago du Chili et encore moins à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Quant aux dommages matériels, compte tenu d’une très inégale couverture assurantielle, on réduit leur estimation officielle à 10 milliards de dollars en Haïti, mais à 30 milliards au Chili. Outre ses effets destructeurs directs, le séisme peut déclencher soit des incendies par ruptures de réseaux énergétiques, comme celui qui ravagea Tokyo en 1923, soit des tsunamis. Nul besoin de revenir sur l’ampleur des impacts qu’ils ont causés aux agglomérations littorales asiatiques en 2004. Quant à la catastrophe récente de Fukushima, elle démontre que la méconnaissance de l’ampleur d’un risque naturel peut être à la source même du déclenchement d’une catastrophe technologique affectant un vaste territoire urbanisé. La probabilité de survenance de catastrophes sismiques demeure constante, elle concerne notamment des zones urbaines intensément peuplées comme Mexico, Jakarta, Manille, Istanbul, Téhéran, ainsi que la région de San Francisco, proche de la faille de San Andreas et celle de Silicon Valley soumise aux mouvements de la faille de Hayward. De telles catastrophes peuvent peser sur plusieurs points du PIB.

5• Les dangers des eaux sont multiformes, mais représentent eux aussi un risque majeur pour les grandes agglomérations qui sont localisées soit en estuaire, en littoral, dans des vallées alluviales ou encore sur des pentes rendues instables, à l’instar de Bogota.

6Quelle que soit l’origine de l’aléa, la topographie en accentue les impacts, notamment si les extensions urbaines, mal réglementées, concernent des espaces plats où l’eau stagne comme à Buenos Aires, Dhaka, Phnom Penh ou La Nouvelle-Orléans. Il peut s’agir également de coulées de boues ou de glissements de terrain sur des pentes urbanisées comme les favelas de Rio de Janeiro. La dimension urbaine détermine aussi l’ampleur de l’imperméabilisation des sols, donc celle du ruissellement. Si les dangers causés par les eaux font un nombre limité de morts, ils frappent plus sévèrement les populations sans-abris dont les habitations précaires sont les premières détruites. À ces dommages s’ajoutent ceux consécutifs à la désorganisation des services ou à la dégradation des équipements et installations industrielles propres à toute grande agglomération.

7À plus long terme, une autre causalité est source de préoccupation : la montée progressive du niveau marin. Conséquence des changements climatiques probables, elle menace maintes métropoles portuaires mondiales telles que Londres, le delta néerlandais avec Rotterdam/Amsterdam, mais aussi Tokyo.

8• Les feux de végétation, pouvant survenir en période de sécheresse et de canicule, peuvent provoquer des dégâts incommensurables, comme à Moscou en 2010. Toute activité urbaine y a été gravement perturbée par les fumées issues de feux de tourbières. Quant à Athènes en 2009, le danger est venu des incendies sévissant dans les forêts périurbaines.

Des risques technologiques exceptionnels, mais très redoutés

9On ne dénombre, à ce jour, que quelques catastrophes industrielles ou technologiques survenues dans les grandes agglomérations. Il y a eu celle de l’usine AZF à Toulouse, en 2001, celle d’Union Carbide, à Bhopal en Inde, en 1984, et celle d’une canalisation à Guadalajara au Mexique en 1992. En 2011, l’impact d’une catastrophe naturelle sur un complexe nucléaire a soumis l’aire urbaine de Tokyo à une menace de contamination radioactive.

10Statistiquement et en moyenne annuelle, les catastrophes technologiques et les grands incendies industriels font moins de 10 000 victimes mondiales, soit 15 fois moins que les risques naturels. Si dans l’opinion générale, toute présence ou proximité d’installations industrielles ou nucléaires est ressentie par les populations urbaines voisines comme une source de danger potentiel, des études ont montré en France que les valeurs foncières n’en étaient nullement affectées, pas plus que la demande d’autorisations de construire des logements (Sauvage, 1997).

11Mais le risque industriel peut prendre d’autres formes, notamment dans les grandes agglomérations (Dubois-Maury, 2004). C’est d’abord le risque impliquant divers modes de transport de produits dangereux, comme les hydrocarbures ou divers composants chimiques. Ainsi, dans l’agglomération parisienne, 10 millions de tonnes de matières classées dangereuses sillonnent annuellement les réseaux routiers et ferroviaires. S’y ajoutent près de 3000 km de canalisations souterraines destinées au gaz, avec le risque de fuites ou d’explosion dû à des imprudences sur des chantiers de travaux ou au manque d’information sur leurs tracés.

12Citons également les risques rémanents, dus au passif des sols pollués des friches industrielles et pouvant représenter un danger effectif pour la santé publique. Or, ce sont surtout les plus grandes agglomérations qui, à l’âge industriel, s’étaient vues entourer d’une ceinture d’usines et d’entrepôts, traitant nombre de produits toxiques. Les mutations technologiques et les processus de désindustrialisation n’ont cessé, depuis plus d’un demi-siècle, d’abandonner ces espaces, les rendant disponibles pour des projets de rénovation urbaine, mais avec l’impérieuse nécessité de les dépolluer ou d’en restreindre les capacités de réaffectation.

13Au total, la connaissance approfondie de l’existence, de l’intensité et de l’occurrence temporelle d’un ou plusieurs risques s’avère nécessaire pour que les différents acteurs publics et privés, en responsabilité, puissent mettre en œuvre les mesures de protection et de défense urbaines les plus appropriées.

Les réponses aux risques nécessitent une coordination entre les acteurs

14La « survulnérabilité » des grandes agglomérations réside à la fois dans leur densité de population, la localisation d’activités du secteur tertiaire supérieur (tant politico-administratives, qu’économiques, scientifiques et culturelles), mais aussi de fonctions logistiques. Mais, par-delà des effets de désorganisation sociétale, il s’avère difficile d’évaluer à l’avance les montants des dommages causés par un aléa exceptionnel. Prudemment, en 1999, la Cour des Comptes chiffrait à un minimum de 55 milliards de francs les conséquences d’une inondation de l’aire parisienne analogue à celle de 1910. Qui plus est, on ne peut jamais prévoir avec certitude le périmètre des territoires affectés par un aléa qui souvent dépasse largement celui de son occurrence.

15Comme toutes les villes confrontées à des risques majeurs, les grandes agglomérations des pays développés disposent aujourd’hui d’un arsenal élaboré d’outils préventifs, dont l’État s’est souvent doté à la suite d’un accident catastrophique. En Italie, le point de départ a été le séisme de Messine de 1908 qui a sensibilisé les autorités jusqu’à l’adoption de la loi générale multirisques de 2006 (Cahiers du GRIDAUH, 2011). En France, le cadre normatif date de 1976, comme dans les autres pays industrialisés, avec la loi relative aux installations classées qui oblige au recensement des risques pour la santé, la sécurité, et la salubrité des populations. Par la suite furent adoptées, en 1982 et en 1995, des lois concernant la prise en compte et la prévention des risques naturels. Enfin, en 2003, un texte relatif aux risques technologiques et naturels majeurs offre un encadrement juridique global de la prévention, notamment par l’instauration de zonages et de servitudes gouvernées par le Code de l’urbanisme et par le Code de l’environnement. Simultanément, la Communauté européenne, alertée par une série de graves accidents industriels, instituait une règlementation spécifique relative aux établissements industriels les plus dangereux, avec les directives Seveso 1 et 2, cette dernière ayant été transposée dans le droit français en 1999. Toutefois, toute l’attention doit être portée sur les modalités de mise en œuvre de ces outils sur de vastes territoires métropolitains, rassemblant un grand nombre de collectivités territoriales dotées d’une plus ou moins grande liberté d’action. Selon que l’on se réfère à tel ou tel pays, les réponses défendent des approches spécifiques et complémentaires concernant l’aléa et la vulnérabilité.

Les défis de la prévention des risques naturels dans les grandes agglomérations

16• Les actions visant à prévenir le déclenchement d’un aléa ou à réduire son intensité concernent surtout le risque inondation et relèvent d’abord du génie civil. Elles se matérialisent depuis des siècles par la construction de levées comme à La Nouvelle-Orléans, de digues, de barrages, comme sur la Tamise en aval du Grand Londres. Elle peuvent également se traduire par l’aménagement de bassins de rétention, comme les lacs de Seine, très en amont du Grand Paris. Parmi les aires métropolitaines, celle du delta néerlandais du Rhin et de la Meuse, incluant Amsterdam et Rotterdam, a fait l’objet de mesures de protection optimales. Depuis la fin des années 1990, on observe que trop de digues affaissent les sols et que, dans le contexte d’un changement climatique, le risque d’inondation reste probable. Ce constat conduit à réorienter les stratégies de défense. À cette fin, un organisme de l’État néerlandais, créé en 2001, la Luteij Commission, propose un principe de discrimination spatiale. Afin d’assurer la protection des territoires urbains les plus densément peuplés et de grand intérêt économique, on déverserait les ondes de crues vers de vastes espaces de moindre densité, dits calamity polders. Naturellement, cette option soulève une forte opposition des collectivités locales concernées, mais demeure à l’ordre du jour dans deux autres métropoles, Tokyo et Dhaka. Inévitablement, se pose la question des nécessaires articulations entre pouvoirs locaux et niveaux hiérarchiquement supérieurs, plus sensibles à l’intérêt général. Il peut en découler d’importants contentieux émanant de communes qui contestent le gel d’une partie de leur territoire, réalisé selon elles au nom du principe de précaution (Debono, 2011).

17À cet égard, plusieurs grandes agglomérations soucieuses de freiner leur étalement en engageant de grands projets de rénovation intra urbains, en zone a priori inondable, offrent actuellement des expérimentations qui entendent concilier le risque avec la densification urbaine. Tel est le cas de l’opération d’envergure engagée à Hafencity, près du centre de Hambourg. Ses 123 ha de friches portuaires ont laissé la place à un quartier d’affaires édifié sur un socle artificiel de remblais de plusieurs mètres qui le met à l’abri des plus hautes eaux prévisibles. Cet exemple ouvre le débat, dans le contexte du Grand Paris, sur les possibilités de construire une partie du parc de nouveaux logements en zone inondable réaménagée.

18• Les actions destinées à limiter les vulnérabilités des populations et des biens demeurent toutefois les plus importantes et passent par un contrôle et une gestion de l’affectation des sols, donc par le droit de l’urbanisme. La prévention des risques naturels, en aire métropolitaine, fait désormais partie intégrante des documents d’urbanisme, comme par exemple en France, le Plan Local d’Urbanisme (PLU), le Schéma de Cohérence territorial (SCOT) et le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF). Par ailleurs, dans les communes soumises à un risque, les services de l’État en concertation avec les collectivités locales élaborent un Plan de prévention du ou des risques. Celui-ci fixe les conditions de constructibilité des sols en fonction des risques prévisibles (Dubois-Maury, 2004).

19Mais il s’avère nécessaire d’avoir une vision globale des territoires à protéger, dépassant des plans relevant de périmètres politico administratifs trop étroits et gérés en fonction d’intérêts locaux, notamment vis-à-vis du risque inondation. Celui-ci impose des chaînes de solidarité de l’amont à l’aval avec, en outre, la prévision de zones d’expansion des crues. Il s’ensuit que chaque pays, notamment depuis la Convention d’Aarhus en 1998, se doit d’informer et de coordonner les stratégies et les politiques de prévention entre les divers niveaux de compétences, en matière de risques et d’environnement, notamment dans les grandes aires urbanisées. En Ile-de-France, cette tâche revient au préfet de région et au Président du conseil régional. En Espagne, depuis 1998, cette coordination est assurée par l’État et les 17 Communautés autonomes et en Suisse, par la Confédération et les cantons. En revanche, au Royaume-Uni, l’évaluation des risques est prise en compte entre collectivités locales et agences gouvernementales.

20En réponse aux graves inondations récentes qui ont touché des métropoles d’Europe centrale, les instances européennes ont souligné que l’appréciation du risque, l’intensité de l’aléa, ses conséquences peuvent dépendre du niveau géographique de référence. Il s’en est ensuivi la directive 2007/60/CE du 23 octobre 2007 qui prévoit que le risque inondation doit être géré à l’échelle géographique pertinente, celle du bassin hydrographique ou d’un groupement de bassins donc à une échelle beaucoup plus étendue que celle d’une métropole. De nouveaux documents dits Plans de Gestion des Risques Inondations (PGRI) devront être élaborés avant fin 2015 qui s’imposeront aux documents d’urbanisme locaux.

La longue marche de la prévention des risques technologiques

21Comme pour les risques naturels, les réponses aux risques technologiques concernent d’abord l’aléa, les efforts pour le juguler et l’atténuer. Les efforts sont de la responsabilité des entreprises publiques ou privées et de l’ingénierie industrielle, mais ne peuvent jamais garantir le risque zéro. Là aussi, les pouvoirs publics misent surtout sur une maîtrise de l’urbanisation dans les territoires les plus vulnérables, là où de fortes densités résidentielles voisinent avec des établissements dangereux, pour la plupart enclavés, issus de développements urbains incontrôlés, voire illicites. Ce fut notamment le cas pour la catastrophe de Toulouse. De fait, en France, en dépit de l’adoption officielle de longue date du principe d’un éloignement des installations classées, celui-ci a été négligé en faveur de la demande de logements ou des projets de développement économique de certaines municipalités. C’est la Communauté européenne qui a pris l’initiative de mettre les Etats membres face à leurs responsabilités, avec les directives SEVESO, suivies, en France à partir de 2003, par l’élaboration de Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT), sur les territoires susceptibles d’être les plus menacés. Il s’agit d’un dispositif sélectif qui ne concerne que les établissements industriels à très haut risque, à savoir près de 670 établissements en France, dont 91 pour la seule région Ile-de-France, la plupart des autres étant dans l’aire urbaine de Lyon, de Marseille et de Rouen/Le Havre. Toutefois 410 PPRT, sont en cours d’élaboration et concernent la plupart des métropoles nationales.

22La portée pratique de ce dispositif juridique est conditionnée par le jeu des acteurs, puisque, si le PPRT est instruit sous l’autorité étatique et arrêté par le préfet, il est élaboré en concertation avec les autorités locales et avec les exploitants des installations à l’origine des risques. À la suite d’une étude de danger, des périmètres sont définis dans lesquels sont instituées des servitudes d’utilité publique qui prévoient expropriation, délaissement et préemption des propriétés les plus soumises aux risques. Mais restent les modalités de financement, en particulier lorsqu’il s’agit d’établissements qui naguère étaient isolés et qui ont été noyés dans l’urbanisation ultérieure. Au total, tout réside dans la recherche de points d’équilibre entre les dynamismes économiques propres aux grandes agglomérations et les légitimes préoccupations de sécurité de leur population.

23Une autre réponse réside dans la délocalisation de l’établissement dangereux vers des zones périurbaines ; mais lorsqu’il s’agit en particulier d’entrepôts, le danger n’est que déplacé puisque l’on va être confronté à la gestion de flux de matières dangereuses. Il s’ensuit que l’occurrence d’un épisode catastrophique reste une probabilité dans toute grande agglomération, ce qui conduit leurs divers responsables et leurs résidents à anticiper, outre la prévention, des réponses d’urgence lors de la survenance de l’évènement et de ses suites.

La résilience urbaine, facteur de sûreté et de continuité urbaine

24Lorsqu’une agglomération urbaine est affectée par un aléa d’intensité exceptionnelle, les impacts qui s’ensuivent peuvent s’analyser comme ceux de la désorganisation d’un système complexe. Celle-ci affecte d’abord toutes ses composantes internes : économiques, sociales, patrimoniales, etc., toutes en constante interrelation et évolution. Toutefois, cette désorganisation entraîne spécifiquement dans les grandes métropoles – la rupture de leurs fonctionnalités externes, financières, politiques, culturelles et menace le bon fonctionnement à l’échelle mondiale de leurs flux d’informations et de communications.

25Toutefois, quelle que soit l’ampleur des impacts d’un aléa, on observe depuis des siècles que la pérennité urbaine n’est jamais remise en cause, y compris lorsque le site urbain expose une zone à la répétition des situations dangereuses comme à La Nouvelle-Orléans.

26A la suite d’un évènement catastrophique, on peut assister à un simple retour à l’état antérieur ou bien constater une évolution vers quelques formes de bifurcations fonctionnelles, ou d’autres types de transformations.

27De fait, deux catégories de réponses guident les pouvoirs publics ainsi que l’action des gestionnaires des grands services et infrastructures urbains :

28• La priorité peut aller au retour le plus rapide possible à l’équilibre initial. C’est par exemple la stratégie d’une grande infrastructure comme la RATP à Paris qui, en cas de risque inondation centennale, protège toutes les lignes de métro afin de les rendre fonctionnelles dès l’abaissement des eaux. Il semble d’ailleurs que le retour à la situation d’avant catastrophe soit favorisé par le principe d’indemnisation généralisé des dommages matériels subis.

29• Un type de réponse, très différent et plus empirique, a émergé dans le monde anglo-saxon : la résilience. D’abord élaboré en écologie (Holling, 1973), ce concept a gagné les sciences sociales qui la définissent comme le temps nécessaire pour retourner à un état d’équilibre stable à la suite d’une perturbation exogène. La résilience renvoie à des dynamiques non linéaires, aux notions de régimes alternatifs pour passer d’un état de stabilité à un autre (Houdet, 2008).

30Appliquée aux écosystèmes urbains, la résilience réside dans la capacité d’une ville à retrouver après une catastrophe, et dans une temporalité optimale, son dynamisme, sa vitalité et pour une grande métropole, sa pleine imbrication dans les réseaux de flux internationaux. Au total, le propre de la résilience urbaine, qualifiée de systémique (Dauphiné, 2007), réside dans des facultés d’adaptation, de transformation, de mutation qui concernent toutes les composantes sectorielles, technologiques et infrastructurelles d’une métropole, et non les seuls bâtiments.

31Divers facteurs semblent favoriser le choix de la résilience :

32• Les grandes métropoles se caractérisent par une diversité des fonctionnalités urbaines. Il s’agit là d’une condition de la résilience, alors qu’elle sera au contraire sans grand effet dans une ville mono fonctionnelle telle une station touristique ;

33• Le niveau d’éducation et d’information de la population lui permet de résister à la panique et de conserver ses capacités de réaction. L’instauration d’une culture du risque est un gage de résilience. À cet effet, l’accent a été mis ces dernières années en France sur l’information du public notamment dans les communes répertoriées dans le dossier départemental des risques majeurs. Celles-ci sont tenues d’élaborer un Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs (DICRIM). Ce document récence les mesures de prévention, de sauvegarde et précise les conduites à tenir en cas de situation d’urgence. Celui de Nantes Métropole concerne 24 communes et procède donc d’une approche globale et intercommunale (OCDE, 2010).

34• Le degré d’autonomie locale, parce qu’il est générateur d’auto organisation et d’ouverture aux changements nécessaires, favorise un retour à la situation antérieure.

35On ne dispose encore que de peu d’informations précises sur l’évaluation de la résilience urbaine, faute d’indicateurs destinés à mesurer le temps et les conditions de retour à un état normal de fonctionnement. Toutefois, depuis 2007, un groupe international de recherche, « Résilience Alliance », étudie les dynamiques d’adaptation des systèmes complexes et ont proposé une méthode opératoire en quatre phases :

36• La première étape définit la flexibilité du système urbain et ses aptitudes à absorber des perturbations.

37• La deuxième étape identifie les inerties du système et sa faible capacité de résilience à des perturbations, comme à Paris qui se caractérise par une faible croissance démographique et économique et une rigidité de nombreuses organisations bien établies, peu adaptables.

38• La troisième étape concerne les variables déterminantes qui conditionnent la résilience comme la diversité des activités urbaines, l’importance des secteurs novateurs.

39• La dernière étape se focalise sur la réorganisation du système et l’amalgame entre ancienne entité et nouvelles données.

40Le cas du risque inondation est assez emblématique du choix tendanciel de la résilience dans les grandes métropoles : alors que classiquement les métropoles étaient protégées par un système en amont de digues et barrages, on s’oriente désormais vers de vastes capacités d’aires de décharges des eaux sur des espaces naturels, par exemple en amont d’un estuaire tel celui de la Tamise à Londres.

Conclusion

41Toute vision prospective confirme la montée en puissance mondiale des métropoles sur lesquelles pèsent les risques de grandes catastrophes. Face à l’obligation de conjuguer densification urbaine et protection contre les risques, ces lieux font singulièrement l’objet d’une plus grande expérimentation de la résilience. Encore convient-il de distinguer le mode de gouvernance et le choix opéré en matière de résilience entre aléa et vulnérabilité, selon qu’il s’agit d’une métropole d’un vieux pays industriel avec toutes ses inerties, d’un pays émergent ouvert à toutes les innovations, ou d’un pays en voie de développement confronté à un secteur informel important et à nombre de fragilités sociales. ?

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Date de mise en ligne : 11/06/2015

https://doi.org/10.3917/sestr.009.0047

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