Notes
-
[1]
Nous avons néanmoins recensé dans le catalogue SUDOC trois thèses de médecine générale récemment soutenues qui leur sont consacrées.
-
[2]
Dans cet article, nous utilisons la catégorie « patient » préférentiellement à celle de « malade », d’ « usager » ou « consommateur » car, comme le fait remarquer S. Fainzang, outre la connotation commerciale que peuvent avoir ces deux dernières catégories, la catégorie « patient » renvoie à un régime d’expériences et à un statut social : « le mot « patient » désigne un état du sujet vis-à-vis de l’institution à laquelle il s’adresse (…) (il) l’intègre dans la relation à l’égard du soignant » (Fainzang, 2012 : 12). Dans notre étude, la personne présentant des SMI est appréhendée en tant que « patient » qui « accepte de perdre l’initiative à l’égard de sa maladie, la remettant au médecin qui donne une signification au symptôme et lui apporte une réponse thérapeutique » (Pierron, 2007 : 50).
-
[3]
La construction sociale de catégories nosologiques – au sens de production sociale ou de co-production d’un diagnostic par différents acteurs sociaux (Loriol, 2003a) – a été finement analysée pour ce qui concerne des entités nosologiques spécifiques considérées comme appartenant à la catégorie des SMI. Voir par exemple : fatigue chronique (Cathébras, 1991, 1994; Loriol, 2003a et 2003b) ; syndrome de la Guerre du Golfe (Zavestoski et al., 2004) ; maladie de Lyme (Aronowitz, 1991).
-
[4]
Cependant, l’observation de formations postuniversitaires destinées aux généralistes sur les « troubles somatoformes », réalisées par le premier auteur de 2004 à 2008, a montré que les généralistes ayant une expérience clinique conséquente (de 10 à 30 ans) éprouvent les mêmes difficultés et les mêmes sentiments d’échec et d’impuissance que les jeunes médecins interviewés dans cette enquête.
Introduction
1Le néologisme heartsink patient, que l’on pourrait traduire par « les patients qui soulèvent le cœur des médecins », est apparu dans le vocabulaire médical anglo-saxon en 1988 avec l’article d’un médecin généraliste anglais, T. O’Dowd, dans le British Medical Journal. L’auteur regroupait sous ce vocable différentes catégories de patients « difficiles » qui présentent des problèmes cliniques non résolus et difficiles à définir, qui sont grands consommateurs de consultations médicales et insatisfaits des soins prodigués. Cette catégorisation traduit une réaction d’exaspération des médecins qui peinent à définir en termes cliniques leur souffrance – physique, psychologique, sociale ou spirituelle (Butler, Evans, 1999). Il a depuis été abondamment repris par la littérature médicale, parfois critique devant l’aspect péjoratif de cette labellisation (Moscrop, 2011), dans des articles qui analysent les problèmes cliniques, relationnels ou thérapeutiques que posent les heartsink patients. Dans cet article, nous questionnons le rôle de cette catégorisation pour les médecins généralistes en début de carrière qui, s’ils n’emploient pas l’expression anglaise heartsink patient [1], utilisent les catégories « patient difficile » ou « patient particulier ».
2Les patients [2] présentant des « symptômes médicalement inexpliqués » (SMI) occupent une large part dans la catégorie des heartsink patients. Les analyses proposées dans cet article se limitent aux SMI ; elles reposent sur une étude qualitative (voir encadré) visant à comprendre les ressorts des difficultés des médecins, en début de carrière, à appréhender les situations de patients présentant des SMI (Pouchain et Dias, 2015). Bien qu’ils composent une large part de la patientèle des généralistes, les jeunes médecins sont peu préparés à leur prise en charge, comme l’attestent des études en France (Matta, 2009) ou au Royaume-Uni (Shattock et al., 2013 ; Yon et al., 2015). Ce sont aussi eux qui exprimeraient le plus d’émotions négatives envers les patients présentant des SMI (Sirri et al., 2017). Ils découvrent le plus souvent la complexité de cette réalité au cours de leur stage en médecine ambulatoire. Cette période importante de la socialisation professionnelle des futurs généralistes leur permet d’acquérir des savoirs et savoir-faire professionnels (Bloy, 2005), et les confronte à des « ajustements de représentations, à des redéfinitions normatives plus ou moins aisées » (Schweyer, 2010 : 384). C’est pourquoi nous avons choisi d’analyser ce processus d’étiquetage auprès d’une population de médecins en « transition » professionnelle, i.e. ayant fait le choix de la médecine générale, mais n’ayant pas encore stabilisé leur mode d’exercice (Schweyer, 2010).
L’enquête
Nous avons réalisé dans un premier temps trois entretiens collectifs afin de faire émerger des opinions, des attitudes et des expériences sur la situation des patients présentant des SMI. L’objectif de l’enquête était présenté ainsi : « recueillir vos expériences et impressions lors de vos prises en charge de patient présentant des troubles fonctionnels, ou symptômes médicalement inexpliqués ». Il est nécessaire de préciser ici que la catégorie SMI était souvent ignorée des enquêtés qui connaissaient davantage celles de troubles somatoformes, troubles fonctionnels ou troubles psychosomatiques qu’ils avaient abordées (superficiellement, selon eux) lors de leur cursus. La discussion lors des focus groupes a été introduite en demandant à chaque participant de faire part d’une expérience vécue avec un patient présentant des SMI. Si cette technique a permis d’obtenir une grande richesse d’informations, les interactions de groupe limitaient cependant le développement de certaines idées qui n’étaient exposées que superficiellement. Dans le but de recueillir des informations plus centrées sur les représentations des SMI, sur la description des pratiques et le sens qui leur est donné, des entretiens individuels semi-dirigés ont été réalisés par deux des auteurs de cet article (RP, MD), internes en médecine générale, et ayant conduit les entretiens collectifs. Ces derniers ont eu lieu au domicile des enquêteurs, tandis que les entretiens individuels ont eu lieu soit au domicile des enquêtés, soit sur leur lieu de travail. L’entretien a abordé les différents thèmes, en insistant sur l’expérience personnelle de l’interviewé : conceptions des SMI, perceptions des patients souffrant de ces troubles, pratiques face à ces situations, formation initiale et complémentaire, rôle de la médecine générale dans leur prise en charge.
Ce dispositif d’enquête a révélé une grande homogénéité dans les discours recueillis autour des difficultés à aborder les situations de patients présentant des SMI, et sur les représentations que les médecins se font de ces patients. En revanche, une plus grande diversité a été observée dans les postures, les pratiques et réponses thérapeutiques selon que les médecins se destinaient à un exercice hospitalier ou ambulatoire.
Malgré la proximité sociale entre enquêteurs et enquêtés, il semble que les répondants n’aient pas censuré leurs propos pour dissimuler des opinions ou attitudes qui pourraient paraître minoritaires dans le corps professionnel étudié. Cette proximité a permis de décrypter les implicites dans leurs discours (Hardy et Jourdain, 2016).
3Les jeunes médecins interviewés dans cette enquête témoignent, comme leurs collègues à travers le monde (Johansen et Risor, 2017), de ressentis d’échec et d’impuissance à plusieurs niveaux : diagnostic, rôle de soignant et relation avec le patient. Après avoir décrit les raisons des difficultés des médecins à prendre en charge les patients présentant des SMI identifiées par plusieurs auteurs, nous en proposons une lecture complémentaire en termes de démédicalisation. Après avoir défini le concept de démédicalisation et le sens que nous lui donnons, nous montrons comment les jeunes médecins interviewés démédicalisent les SMI en délégitimant la plainte et en délégitimant les patients présentant des SMI.
Les SMI : une catégorie nosologique déstabilisante pour la profession médicale
4Les SMI regroupent différents symptômes (par exemple : fibromyalgie, intestin irritable, syndrome de fatigue chronique) ayant pour points communs d’être difficiles à soulager, à diagnostiquer, et engageant le patient dans un parcours de recherche de soins long et complexe. Ils sont aussi appelés syndromes somatiques fonctionnels ou troubles somatoformes. Selon les conceptions biomédicales contemporaines, les SMI ne relèvent pas de causes physiques méconnues ou de troubles psychiatriques au sens strict, mais trouvent leur origine dans l’interaction de facteurs physiques et psychosociaux. Cette approche des SMI permettrait notamment de sortir du conflit d’attribution, lié à une concurrence entre l’interprétation du médecin et celle du patient sur la cause des symptômes (Cathébras, 2006) : tandis que les patients attribuent leurs troubles à une cause physique, les médecins généralistes, quant à eux, tendent à mettre en avant une causalité psychique (May et al., 1996). Cependant, elle est peu connue ou enseignée, comme le suggèrent des études réalisées auprès de jeunes médecins généralistes (Yon et al., 2015) et d’étudiants en médecine britanniques (Shattock et al., 2013). Ils y témoignent de leurs sentiments d’anxiété, de frustration, d’incompétence et de dévaluation de leur métier lors de la prise en charge – notamment psychosociale – de patients présentant des SMI. S’y ajoute la forte incertitude qui accompagne ces situations, et qui n’est réduite ni par l’enseignement – théorique et en communication – qu’ils ont reçu, ni par les médecins seniors leur servant de modèles et qui tendent à adopter envers ces patients des attitudes négatives, peu empathiques (Ring et al., 2005), voire « démissionnaires » (Shattock et al., 2013 : 252).
5Les sciences sociales s’intéressent depuis une vingtaine d’années à l’objet « SMI » en tant que catégorie culturellement et historiquement construite [3]. M. Greco (2012 : 2365) souligne que, si la catégorie nosologique SMI (MUS ou « medically unexplained symptoms » dans la littérature anglophone) est plus neutre que les catégories « troubles fonctionnels » et « troubles somatoformes », elle constitue un « no man's land » qui prive le diagnostic de sa fonction performative de nommer (la maladie), légitimer et normaliser un état (de malade).
6Une méta-ethnographie d’études qualitatives portant sur la perception et la gestion des SMI par les médecins généralistes dans différents pays propose une interprétation de « l’inconfort » des médecins généralistes face à ces situations (Johansen et Risor, 2017). Les auteures pointent la « non-congruence épistémologique » entre, d’une part, les modèles « idéaux » de maladie enseignés et les idéaux médicaux de guérir et, d’autre part, la réalité de la souffrance persistante de ces patients. Cette non-congruence menace l’autorité des médecins et leur identité professionnelle. Ils y répondent en développant des approches « flexibles », i.e. en s’adaptant aux patients et à leur situation. Ils adoptent ainsi des stratégies d’explication des symptômes et de prise en charge strictement biomédicales, ou davantage psychologiques, éducationnelles ou psychosociales.
7Dans cet article, nous proposons une interprétation complémentaire des réponses des généralistes aux sentiments d’échec et d’impuissance rapportés dans les études synthétisées par M-L. Johansen et M.B. Bech Risor (2017), en nous centrant plus particulièrement sur le processus de requalification des patients présentant des SMI en patients « particuliers » ou « difficiles ». Dans la perspective des travaux de Becker et al. (1961), nous montrons que cet étiquetage est la conséquence de la difficulté de ces médecins à atteindre les idéaux médicaux, incorporés lors de leur socialisation professionnelle, lorsqu’ils sont confrontés aux attentes non satisfaites d’une partie des usagers du système de soins. La mise en échec de ces idéaux amène certains d’entre eux à requalifier les situations cliniques pour les inclure dans un cadre de pensée qui les démédicalise.
Démédicalisation
8Selon la définition qu’en a donnée P. Conrad (1992), la médicalisation est un processus composé d’un double phénomène de labellisation et de construction sociale d’un problème non médical en maladie qui se produit et peut être étudiée à différents niveaux : conceptuel, institutionnel (ou organisationnel) et au niveau de l’interaction médecin-patient (Conrad, 1992).
9Cependant, le concept de médicalisation recouvre plusieurs sens. P. Aïach (1998) décrit quatre « voies de la médicalisation » : 1) l’extension du domaine médical (institutions de santé, personnel médical et paramédical, innovations scientifiques) ; 2) l’extension du champ des compétences de la médecine, de son expertise et de sa légitimité scientifique ; 3) l’amplification des préoccupations de santé et de la valeur santé dans la population ; 4) l’augmentation de la déclaration des symptômes et maladies qui peut être rapportée à un déplacement du seuil de perception des troubles, lui-même étant la conséquence des précédentes voies de la médicalisation. Ainsi, les préoccupations croissantes de santé, les contacts plus fréquents avec les médecins, l’influence exercée par les médias, conduisent à une interprétation d’ordre pathologique des troubles physiques et/ou psychiques ressentis par les individus (Aïach, 1998 : 15-16), voire à une « pathologisation » des corps sains (Delanoë, 1998). S. Fainzang y ajoute une cinquième voie, celle de l’auto-médicalisation qui désigne « la tendance à décider soi-même de faire d’une situation donnée un problème à traiter médicalement, et la stratégie pour y faire face » (Fainzang, 2012 :152). Cependant, même si les individus s’auto-médicalisent, les médecins gardent une forme de contrôle social par leur pouvoir de labelliser un trouble en maladie et de légitimer un état de malade (Freidson, 1984). En d’autres termes, ils gardent le pouvoir de médicaliser une plainte (i.e. de lui attribuer un statut de maladie), ou a contrario de démédicaliser (i.e. ne pas leur accorder le statut de maladie) des troubles jugés « médicalisables » par les patients, même s’ils apportent des soins à ces patients.
10La démédicalisation peut prendre la voie d’une dé-pathologisation d’un état (par exemple le transsexualisme – Bujon, Dourlens, 2012), d’une dé-technicisation d’une prise en charge (par exemple l’accouchement naturel – Thomas, 2017), ou d’une dé-pharmaceuticalisation (Williams et al., 2011). Elle peut aussi prendre celle d’une reformulation de problèmes médicaux en problèmes moraux et sociaux. C’est ce que montrent, à une échelle microsociale (la relation médecin-patient), les travaux de S. Sulzer (2015) à propos de patients labellisés « difficiles » par les médecins. Selon cette auteure, la définition donnée par P. Conrad distingue deux formes de médicalisation – la médicalisation de jure et la médicalisation de facto : « De jure medicalization is defining something as medical, and de facto is treating something as medical » (Sulzer, 2015 : 83). S. Sulzer a étudié des discours de psychiatres qualifiant de « difficiles » les patients atteints de trouble de la personnalité borderline. Ces discours, en justifiant la difficulté des médecins à traiter ces patients, mettent l’accent sur leurs déviances médicales et morales qui démédicalisent de facto leur demande de soins : remise en question du trouble de la personnalité borderline en tant que « maladie », mise en cause des patients dans la production de leurs symptômes, dénonciation de comportements immoraux (tels que la manipulation).
11Suivant cette auteure, nous défendons l’idée que la catégorisation des personnes présentant des SMI en patients « particuliers » ou « difficiles » est une requalification de la plainte somatique dans le registre de la déviance comportementale ou morale. Ce déplacement procède ainsi à une démédicalisation de facto des plaintes, au niveau de l’interaction médecin-patient. Il peut être pensé comme une forme de résistance des médecins à la demande de médicalisation – dans la quatrième acception que lui donne P. Aïach (1998), ou dans celle d’auto-médicalisation décrite par S. Fainzang (2012) – de la détresse physique et/ou psychique, de la part des patients qui consultent pour SMI. Comme dans les situations, étudiées par H. Desfontaines, au cours desquelles ils reçoivent des plaintes lombalgiques, les médecins effectuent un travail « de contrôle [qui] s’opère dès le démarrage, au moment du diagnostic, comme moyen et contrôle sur la trajectoire de ce qui ne doit pas devenir une maladie au sens d’état social » (Desfontaines, 2012 : 20). Ce faisant, ils délégitiment une partie des patients dans leur aspiration au statut de « malade » et, par conséquent, délégitiment également leur intervention auprès de cette population, cela malgré leur dépendance à l’égard du « client » (Freidson, 1984).
Démédicalisation par délégitimation de la plainte
12La plainte, dans le langage médical, fait référence au(x) symptôme(s) subjectif(s) (douleur, fatigue, signe physique anomal) que le patient ressent et qui le conduisent à consulter un médecin. Le raisonnement médical diagnostique, i.e. l’opération cognitive qui permet au médecin, à partir de ses connaissances, d’interpréter en catégories médicales formalisées les informations recueillies auprès du patient (Cicourel, 1985), est un des piliers de la formation médicale enseignée à l’université. Réaliser un « beau diagnostic » équivaut à classer ces informations (produites par le dialogue avec le patient, l’examen clinique, et éventuellement des examens biologiques ou radiologiques) dans une catégorie nosologique. Cependant certaines plaintes exprimées par les patients engendrent une non-congruence épistémologique (Johansen et Risor, 2017) puisqu’elles ne peuvent être classifiées dans les modèles idéaux de maladies appris pendant les études, ce qui fragilise les jeunes médecins dans leur rôle d’expert. Certains d’entre eux peuvent alors démédicaliser de facto cette plainte en refusant ou en minimisant la gravité des troubles ressentis.
Des difficultés à déchiffrer la plainte
13La première étape est celle du déchiffrement (Baszanger, 1991) et de l’objectivation par le travail médical qui transforme le statut de la plainte en celui de symptôme d’une lésion organique ou d’un dysfonctionnement physiologique. Selon les interviewés, la difficulté à nommer la plainte est liée au fait qu’elle ne correspond pas aux catégories nosologiques qui leur ont été enseignées : « (elles) n’entrent dans aucune des cases apprises en cours », « ce n’est pas comme dans les livres », « ce n’est pas un beau tiroir ». Les signes physiques douloureux ou les dysfonctionnements sont décrits comme « répétitifs » ou à l’inverse « polyvalents », « qui changent ou qui vont dans tous les sens », « atypiques », souvent discordants de l’examen clinique. Les interviewés soulignent leur difficulté à les objectiver et à les mesurer par l’examen clinique ou paraclinique (analyse sanguine, radiologie, etc.) :
« Ça reste quand même des pathologies qui sont très dures à évaluer, c’est du qualitatif plutôt que du quantitatif, c’est quelque chose qu’on ne peut pas quantifier, on n’a pas de base biologique, pas de base clinique réelle et voilà, c’est super dur à évaluer, c’est ultra subjectif » (E26).
15Ces plaintes bouleversent aussi le raisonnement médical car les interviewés ne peuvent en identifier la cause dans un schéma linéaire simple : « On est cartésien, on est formé scientifiquement à : A plus B égale C, et donc du coup, on doit arriver à une réponse qui est logique » (E22).
16Dans ces discours, les autres étapes telles que les tests de confirmation du diagnostic ou de l’étiologie, la compréhension du problème par un modèle explicatif cohérent, sont aussi compromises. Enfin, même l’étape de la réponse médicale par une prise en charge « codifiée » est incertaine en l’absence de recommandation et de standardisation des pratiques. La prise en charge est alors bricolée : « Tu fais de la cuisine. Non, tu fais de l’essai de cuisine, tu ne suis pas une recette » (E21).
17Ainsi, la prise en charge de patients présentant des SMI illustre parfaitement la situation d’incertitude « constitutive de l’exercice de la médecine générale » (Bloy, 2008 : 69) liée à la limite des connaissances médicales et à la maîtrise incomplète du savoir disponible (Fox, 1988).
L’incertitude
18Selon les interviewés, les SMI élèvent le niveau d’incertitude de la pratique médicale à différentes étapes de la démarche clinique : 1) diagnostique, où l’absence de diagnostic précis crée un « doute permanent » ; 2) thérapeutique, avec l’absence de références pour orienter la décision. Les interviewés inscrivent leur pratique dans un des positionnements face à l’incertitude décrits par G. Bloy (2008), l’incertitude balisée, qui s’appuie sur les savoirs médicaux à haut niveau de preuve, ce qui n’est pas étonnant dans une population sortant d’une longue formation essentiellement hospitalo-universitaire.
19L’incertitude balisée est une stratégie de réduction de l’incertitude, par deux biais : en diminuant l’importance accordée à la plainte subjective du patient (élément jugé non maîtrisable), et en n’intégrant pas – ou peu – le discours du malade dans la démarche médicale ; en montrant une haute maîtrise du savoir scientifique conventionnel, et en conduisant la démarche clinique sans s’écarter du chemin balisé de l’Evidence Based Medicine et de la pratique « protocolisée ».
20Cette stratégie conduit à réduire la complexité de la plainte, à privilégier les dimensions techniques et organiques de la prise en charge, à multiplier les investigations afin de « ne pas passer à côté de… », le but étant d’arriver à faire entrer le malade dans une des « cases » du savoir scientifique :
« Avant de dire qu’il n’y a rien, il faut chercher. Après, quand il n’y a rien, il y a rien. Et moi ça ne m’empêche pas, même si je pense qu’il n’y a rien et que le patient me gave, de lui dire qu’il faut quand même que je cherche. Parce qu’on ne voit quand même pas à travers les patients » (E23).
22Bien qu’ayant pour objectif de réduire les doutes, cette stratégie peut devenir elle-même porteuse d’incertitude lorsqu’elle renforce la conviction du médecin qu’il doit trouver une cause biologique au trouble, et entretient sa quête d’une pathologie somatique. Une des lignes de fuite possibles de ce cercle vicieux est le changement complet d’optique : le problème est finalement attribué à des caractéristiques psychosociales propres au patient, la responsabilité de la plainte et de l’échec du travail médical pouvant être in fine rejetée sur le patient, comme nous le verrons plus loin. Cette attitude participe à l’entretien d’une vision linéaire réductrice de la plainte, et freine l’adoption de modèles complexes bio-psycho-sociaux. Elle aboutit à une démarche de hiérarchisation des causes : la recherche d’une pathologie organique est vue comme un préalable indispensable avant l’exploration du champ psycho-environnemental, les facteurs non-organiques n’étant pris en considération que lorsque le clinicien pense avoir éliminé les hypothèses somatiques pures.
Minimiser la plainte
23L’impossibilité du déchiffrement, malgré les efforts des médecins, délégitime médicalement la plainte (Vollaire, 2004). En effet, plusieurs interviewés considèrent les troubles rapportés comme des problèmes sans gravité (parfois même décrits comme banaux), voire comme un « rien » : « On ne va pas remplir ses lits avec quelqu’un qui n’a rien » (E23), déclare ce jeune médecin qui souhaite devenir praticien hospitalier. L’expression « il n’y a rien » signifie ici « il n’y a rien d’organique » ; en d’autres termes, le trouble n’est pas le symptôme d’une lésion physique biologiquement mesurable dans l’état actuel de la science. Cette perception des SMI comme n’étant « rien », ou « rien de grave », témoigne d’un schéma de pensée, largement répandu chez les interviewés, dans lequel la gravité potentielle d’une pathologie est évaluée sur son seul retentissement physique (« ce n’est pas grave, et c’est peut-être un peu dans leur tête » E5), sans prendre en compte leur vécu par le patient et leurs conséquences psycho-sociales. Certains en viennent même à s’interroger sur la réalité ou l’existence même des signes.
24Les attitudes sont cependant contrastées selon les médecins. Une grande part des répondants reconnaît la souffrance, morale et physique, de ces patients, quelle qu’en soit l’origine, et la prennent en considération même s’ils ne parviennent pas à la comprendre et à la soulager : « Puisqu’il le dit, ça veut dire qu’il l’a, il le ressent, il le vit, et justement il en souffre, donc il y a forcément un trouble quelque part » (E20).
25Ils portent un regard empathique, notamment sur la question du retentissement (psychologique, familial, social) de cette souffrance au quotidien. De plus, ils soulignent que les patients sont démunis face à l’absence de réponses des intervenants ou à leurs avis parfois contradictoires, aux explications proposées qui s’écartent de leurs représentations, et à l’incompréhension des médecins.
« On leur dit soit “ ce n’est rien ” soit “ c’est dans la tête ”. C’est terrible pour eux ! Ils ne comprennent pas, et on leur dit qu’en fait, on ne trouve rien, donc ils n’ont rien, merci au revoir ! » (E14).
27Au final, en l’absence de symptômes objectivables par l’examen clinique, de tests diagnostiques et de prises en charge codifiées, les SMI restent des « diagnostics d’élimination » : on ne les définit pas par ce qu’ils sont, mais davantage par ce qu’ils ne sont pas (i.e. une pathologie somatique connue aux conséquences potentiellement graves).
Entre science et art
28Le qualificatif « cartésien » revient très souvent dans les entretiens pour caractériser la personnalité du médecin, son mode de raisonnement, la formation scientifique et la médecine qui est enseignée dans les facultés, basée sur les preuves et la quantification. Ainsi, pour ces jeunes médecins ayant peu d’expérience professionnelle, la clinique est davantage une science qu’un art au sens d’un « mélange de savoir théorique, d’expérience et de savoir-faire, permettant d’adapter des connaissances réputées universelles à un cas particulier » (Sinding, 2004 : 252). A contrario, leurs aînés parviendraient à combiner ces savoirs, et leur pratique s’apparenterait davantage à un art : « Les vieux médecins s’éclatent dans des domaines où nous, on n’a pas de réponses. Ils arrivent à sortir de notre schéma cartésien, et du coup ça les éclate plus » (E22).
29Si les médecins plus âgés et plus expérimentés sont perçus par cet interviewé comme plus à l’aise [4] face aux situations de patients présentant des SMI, c’est parce que, face à la souffrance psychique, ils sauraient « inventer » des réponses en puisant dans leur savoir pratique et dans les outils dont ils disposent : écoute (au sens de « reconstruction de l’histoire, (d’)une recherche de raisons qui donne sens et permet le soin »), prescriptions d’arrêts de travail, psychotropes, recours aux spécialistes et à l’hôpital (Haxaire et al., 2010 : 144).
30Les SMI mettent ainsi en échec les années d’enseignement durant lesquelles le médecin a appris comment faire un « beau diagnostic ». Les jeunes médecins sont confrontés alors aux limites d’un enseignement « qui (leur) apprend la maladie avant d’approcher le malade » (Hardy, 2013 : 15). Mais surtout, l’objet du travail médical qui est de rattacher une souffrance à un processus médicalement identifié « perd du sens » pour le médecin (Hardy, 2013 : 189). La démédicalisation de facto des troubles qu’opèrent les médecins plus ou moins explicitement (« rien de grave ») peut être interprétée comme une stratégie de défense contre la mise en échec de leur expertise et la perte de sens du métier.
Légitimer ou non la plainte
31Plusieurs interviewés s’interrogent sur les effets d’une nomination de la plainte par le truchement d’un diagnostic :
« C’est peut-être mieux d’avoir un nom, de savoir qu’il y a d’autres gens comme toi, des forums, des associations, des bouquins […] tu rentres dans le système… tu rentres dans une case, et ça, mine de rien, les gens ça leur fait du bien, quand tu as passé des mois à chercher pourquoi ils ont mal » (E21).
33Ainsi, au travers de l’exemple de la fibromyalgie, souvent évoquée par les enquêtés et qui semble incarner le type générique des SMI, les médecins sont conscients de la dimension performative de toute forme de catégorisation (Greco, 2012). Pour certains, comme dans l’extrait précédent, la catégorisation de la plainte en « maladie » apporte au patient des bénéfices, notamment celui d’une légitimation d’un statut social de malade permettant par exemple un congé maladie (Werner et al., 2016). Comme l’a montré P. Cathébras (1991), la labellisation et le statut social qui en découle réduisent le caractère de déviance des symptômes, leur donnent un sens, et permettent au malade de trouver des solutions aux retentissements professionnels et relationnels occasionnés par ses troubles, en lui offrant un « modèle d’inconduite socialement admis » (Cathébras, 1991 : 84-85).
34En revanche, d’autres considèrent que cet étiquetage peut empêcher une prise en charge non médicamenteuse qu’ils pensent plus adaptée aux troubles, ou enfermer davantage les personnes dans la maladie et la chronicité :
35Ça ne permet pas d’apporter des solutions aux patients. Et pour eux, je ne pense pas que ce soit bien. Ça donne un bénéfice secondaire : “ah, je vais faire ma perf de ketamine [molécule utilisée ici comme antalgique] à l’hôpital pour ma fibromyalgie”. […] Eh bien non ! Il y a peut-être autre chose, il y a peut-être une prise en charge psychologique à avoir, une prise en charge paramédicale qui peut optimiser les choses […] ce n’est pas une bonne chose de mettre cette étiquette-là (E20).
36Cette dé-pharmaceuticalisation des SMI, souhaitée par ce dernier répondant, met également en avant la concurrence dans les interprétations des troubles, fréquente dans les situations de SMI (Cathébras, 2006) lorsque les patients sont convaincus d’une origine biologique de leur trouble, tandis que les médecins les attribuent à des causes psychologiques ou psycho-sociales.
37Les entretiens ne permettent pas d’interpréter les divergences d’opinion exprimées sur les « bénéfices secondaires », notamment si elles sont liées à la personnalité du médecin ou à son adhésion à une école de pensée. Cependant, nous voyons qu’elles peuvent avoir un effet sur la nomination du trouble (ou le refus de le nommer) et, par conséquent, sur sa médicalisation ou sa démédicalisation. Ici, la (dé)médicalisation est comprise au sens restreint de choix ou de refus d’une labellisation médicale d’un trouble car, dans les deux cas, une réponse médicale (par exemple antalgiques, psychothérapie) peut être donnée. Dans les deux cas, la décision de nommer ou non répond à une logique du soin, et non à une exigence scientifique (Greco, 2012).
Démédicalisation par la requalification des patients
38Lors des entretiens, les jeunes praticiens ont restitué un portrait idéalisé du rôle du médecin généraliste. Le « bon médecin » est celui qui intervient au premier plan, qui coordonne les soins. Il est le pilier de la prise en charge : il écoute, soulage et rassure ; il a une relation privilégiée de confiance avec le patient. Ils positionnent donc leur rôle entre deux pôles de l’exercice médical : l’expertise et la sollicitude (Dodier, 1993). Cependant, mis en échec dans leur fonction d’expertise (diagnostic), ils doutent aussi de leur valeur sociale. Ils sont fragilisés dans leur ethos professionnel, dans lequel la dimension relationnelle de la pratique est valorisée au même titre que celle d’expertise (Sarradon-Eck, 2010). Dès lors, nombreux sont ceux qui retournent leurs difficultés à catégoriser le trouble en mettant en cause le comportement des patients.
La perte de l’utilité sociale du médecin
39Les difficultés, voire l’impossibilité, à soulager les patients présentant un SMI égratignent l’idéal du « bon médecin » :
« On voudrait être des bons médecins, puisqu’il faut qu’on soigne les gens […] parce que si tu ne les soignes pas, après ils ne vont pas bien, et c’est quand même le but du métier […]. Et il va forcément renvoyer une image qui n’est pas positive, puisqu’on n’a pas réussi à le traiter » (E22).
41Comme dans les études citées plus haut (Yon et al., 2015 ; Johansen et Risor, 2017 ; Sirri et al., 2017), plusieurs enquêtés expriment leur vécu de ces situations dans le registre de l’échec, de la frustration, de la déception, de l’impuissance et de l’inutilité, comme l’illustrent ces extraits :
« En tant que médecin, ne pas arriver à apporter une solution au patient, c’est horrible. Tu te dis “ à quoi je sers ?” » (E20).
« Je le vis quand même comme un échec, parce que je n’arrive pas à les prendre en charge ces gens-là. On n’arrive pas à les guérir, je ne sais même pas si on arrive à les soigner, à les soulager. Donc voilà, je trouve ça quand même vraiment frustrant » (E16).
43Les sentiments de doute à l’égard de leurs compétences ou de leurs connaissances peuvent fragiliser ces jeunes médecins en début de carrière (« Quand tu es jeune, tu as envie que ça marche » E1).
44Ainsi, les situations des patients présentant un SMI déstabilisent l’identité professionnelle – en cours de consolidation – des médecins. D’une part, elles les mettent en difficulté dans leur rôle d’expert, comme nous l’avons vu plus haut. D’autre part, elles mettent en cause le rôle de coordination du parcours de soins qui est confié au médecin généraliste. En témoigne l’utilisation de l’expression « patates chaudes » pour décrire la situation des patients présentant des SMI. Cette expression, fréquente dans le langage médical familier, qualifie les situations que chacun redoute, évite ou renvoie à ses confrères avant de la recevoir à son tour, telle une balle brûlante qu’aucun joueur ne peut conserver dans ses mains. Dans ces cas précis, le patient ne bénéficie pas d’un travail en collaboration avec différents spécialistes, orchestré par le médecin traitant. L’orientation d’un patient vers un tiers (spécialiste, paramédical etc.) semble souvent plus liée au souhait de se « décharger » d’un malade qui pose problème, qu’à la nécessité d’un travail en équipe.
La sollicitude mise à l’épreuve
45Le second pôle de l’expertise médicale – la sollicitude – est aussi touché, notamment en raison d’une fréquente lassitude, voire un « épuisement », parfois mêlé d’agacement devant le caractère redondant et « traînant » de la plainte qui génère pour certains une perte de motivation ou un désinvestissement, voire un rejet, dont l’amplitude est variable d’un médecin à l’autre.
« Tu n’as tellement rien à proposer, que tu te désinvestis, tout simplement. Et tu es même… pas en colère, mais agacé, parce qu’en fait ils te saturent et tu ne sais plus quoi faire » (E20).
« Si je m’installe en cabinet de médecine générale, ces patients-là, je n’ai pas du tout envie de les voir en consultation » (E22).
47Néanmoins, tous n’ont pas cette attitude démissionnaire et, à l’instar de leurs aînés (Haxaire et al., 2010 ; Sirri et al., 2017), ils valorisent « l’écoute » comme un moyen de soulager le patient présentant des SMI : « Ce sont des patients qui ont surtout beaucoup besoin, pour moi, d’être écoutés. Et il faut accepter que, des fois, on ne puisse faire que ça. Et les rassurer » (E10).
48Si l’on fait abstraction de la diversité des profils de médecins qui les conduisent à adopter des spécialisations informelles (Giami, 2010) (« Après, c’est toute une question aussi de philosophie, on n’a pas tous les mêmes philosophies, les mêmes façons d’aborder les gens et notre exercice médical » E18), la question de la formation à la communication, à l’accompagnement et au soutien psychologique est centrale pour expliquer le déclin ou le non déploiement de la sollicitude.
49À l’instar de leurs jeunes collègues britanniques (Shattock et al., 2013 ; Yon et al., 2015), la plupart des interviewés déclarent avoir manqué de formation dans ce domaine : « On n’est pas très très bien formé sur ce versant, je trouve, à la fac […] La prise en charge psychologique et tout le reste, on l’apprend plus sur le tas » (E25).
50La formation à la communication et à la relation médecin-malade pendant le second cycle des études médicales n’est pas adaptée selon eux, d’une part, parce que les cours sur ce sujet sont dispensés lors d’une phase de leurs études où ils n’ont pas encore conscience des difficultés qu’ils pourraient rencontrer en consultation. D’autre part, le « formatage » de l’apprentissage par mots clefs (« Nous, on a tous ces mots-clés qu’on a appris pour l’ECN [examen national classant] : approche centrée sur le patient, tout ça. […] Je trouve qu’on a passé nos six premières années avec des mots-clés » E11), est réducteur et ne permet pas l’apprentissage de l’empathie. En revanche, ils disent avoir été particulièrement intéressés quand ces sujets ont été abordés pendant leur troisième cycle avec des méthodes pédagogiques plus interactives (jeux de rôle, discussions en petits groupes).
51Si certains se sont ouverts à la problématique de la communication médecin-malade en dehors du cursus (lecture d’articles, diplôme universitaire sur la prise en charge de la douleur), plusieurs estiment que les ressorts de la relation médecin-malade s’apprennent essentiellement « sur le terrain », en observant ou en étant acteur de consultations. Ce sont surtout les stages réalisés dans des cabinets de médecine générale qui semblent être leur principale source d’apprentissage, notamment parce qu’ils ont pris conscience des réelles difficultés de la pratique. Ces stages leurs ont permis de voir d’autres médecins agir dans des situations complexes, et sont sources d’inspiration pour leur pratique personnelle.
« C’est dans ce cadre-là que j’ai le plus appris à sortir un petit peu de ma carapace de somaticienne, et de passer à autre chose, et de me dire ‘tiens, on peut aider les gens autrement qu’en posant un diagnostic anatomo-clinique’ » (E15).
53Cependant, même si les interviewés ont eu des mentors intéressés par la prise en charge de ces patients, leur identité professionnelle encore en construction les amène à développer des mécanismes de protection, tels qu’une « empathie sélective » (Peschel et Peschel, 1996), que nous allons examiner.
Le patient « particulier » ou la figure inversée du « bon malade »
54Le qualificatif « particulier » revient très souvent dans le discours des interviewés pour décrire la personne présentant des SMI, sa personnalité, ou son contexte de vie. Il est constamment employé de manière péjorative, souvent utilisé en association à des termes connotés négativement (« difficile », « pénible », « revendicateur », « chronophage », « insatisfait »).
55Ce qualificatif renvoie à une forme d’altérité construite par les médecins qui situent ces patients en dehors de la normalité : ils « sortent des sentiers battus », ils sont « en dehors du cadre », voire « bizarres ». Cependant, il est principalement associé à la description d’un « terrain » ou d’un « profil » psychologique (anxiété, dépression), mais également d’expériences de vie (événements traumatisants) et d’un contexte environnemental (dynamique familiale perturbée, difficultés socio-économiques). Des stéréotypes sociaux négatifs sont aussi convoqués par certains interviewés pour les décrire :
« Des jeunes femmes profs… Y a aussi pas mal de gens bobos… Ceux qui aiment l’homéo[pathie]… » (E8).
« Souvent c’est psy, ou c’est la ménagère de 50 ans qui s’emmerde, sans être dans la caricature, mais c’est quand même des situations un peu particulières » (E23).
« Quand tu vois dans un dossier dans les antécédents : “ fibromyalgie ” et ben tu te dis “ voilà encore une chieuse, un psy… ” » (E13).
57Ces patients sont perçus comme « pénibles » car leur situation va demander un surcroît d’effort au médecin avec des consultations longues et répétées (patients « chronophages », « qui viennent tout le temps »). Une autre difficulté pour les interviewés vient du refus d’une explication psycho-environnementale de leurs troubles par ces patients qui sont « convaincus » de leur organicité : « C’est ça le plus dur (…) Entre leur point de vue qui est un peu tranché ‘je suis malade, ça vient de mon corps’, et puis moi qui leur disais ‘vous êtes malade, oui, mais il y a aussi une part psychologique à prendre en compte’ » (E14).
58Ils sont aussi décrits comme souvent informés des différents traitements et investigations et sont perçus par les interviewés comme des « experts de leur maladie » : « Ils arrivent déjà avec des idées préconçues, des traitements qu’ils veulent déjà, des examens qu’ils veulent déjà, et nous derrière, il faut que l’on essaie de tout déconstruire, ce n’est pas évident » (E26).
59Cependant, leur attitude est aussi mise en cause car ils sont décrits comme des patients « peu sympathiques », « pas agréables », « toujours dans la plainte », qui sollicitent beaucoup les médecins avec des demandes multiples (« hyperdemandeurs », « gros consommateurs »), et ne sont jamais satisfaits de l’intervention du médecin (« ils ne sont jamais contents, ils ne disent jamais merci, et en plus ce n’est jamais réglé parce qu’au final tu ne trouves pas » E23). Le caractère « revendicatif » de certains, ou le « marchandage » (voire le « chantage au suicide ») auquel ils se livreraient, ou encore leur « nomadisme » (i.e. le fait de consulter différents médecins pour un même problème sans coordination entre eux) complètent cette perception négative : « Ils vont commencer par le nomadisme je pense et rapidement, surtout en faisant du nomadisme comme ça, le médecin sera encore moins motivé par quelqu’un qui est déjà venu 8 fois pour la même chose pour qui rien n’a marché et qui a déjà vu plein de médecins » (E24).
60Toutefois, nous avons noté une certaine ambivalence dans la plupart des propos des interviewés, ambivalence que certains reconnaissent également dans leur attitude :
61La réflexion que je me fais, et je pense que je ne suis pas la seule, c’est : ‘il y a quand même des gens qui sont plus malades, il y a des gens qui ont des cancers et tout ça, donc arrêtez de nous faire chier avec vos problèmes, parce que vous n’avez rien et vous nous soûlez’. Mais je sais que probablement ils n’ont pas rien ces gens, et qu’ils souffrent réellement. Je pense qu’ils ont une vraie douleur, mais avec la médecine que l’on connaît, on n’a pas de cadre pour les prendre en charge (E16).
62Cet extrait d’entretien souligne, comme l’ont analysé CC. Butler et M. Evans (1999) à propos de l’étiquetage heartsink patients, que le report de la responsabilité de l’échec des médecins sur les patientstraduit la tension au cœur de la pratique médicale actuelle, mise en évidence par B. Good (1998), entre, d’une part, la gestion technico-rationnelle des situations cliniques et, d’autre part, la dimension sotériologique de la médecine, en d’autres termes la dimension de care du travail médical qui serait occultée pendant les études.
63Ainsi, dans la description du patient présentant des SMI que livrent les interviewés, le « patient particulier » entre dans la catégorie des heartsink patients, ceux qui soulèvent le cœur des médecins. Il incarne la figure du« mauvais malade », dans une représentation partagée aussi par les infirmières (Kelly et May D, 1982 ; Vega, 1997), difficile à soigner parce que sa situation ne permet pas le travail médical de catégorisation des symptômes en maladie (diagnostic). C’est aussi son comportement de non-soumission à l’autorité médicale (insatisfaction envers les soins, nomadisme, revendications, sollicitations trop nombreuses, non-adhésion aux prescriptions médicales) qui en fait la figue inversée du « patient idéal », celui que les médecins aiment soigner et qui met en valeur leur mission. Le « patient idéal » est celui qui remplit son rôle social de (bon) malade tel que décrit par T. Parsons (1955) : non responsable de son état ou de son incapacité, le malade a droit à une assistance ; en retour, il a des obligations, comme celle de vouloir aller mieux, et le souci de se défaire au plus vite de son rôle de malade avec ses privilèges en recherchant une aide compétente, et en coopérant avec ceux qui ont la charge de le soigner.
64L’étiquetage « particulier » exprime une déviance par rapport à la norme du « bon » malade que les médecins aspirent à soigner. En déplaçant la déviance dans un registre moral (comportement répréhensible au regard de normes médicales implicites), les interviewés procèdent à une nouvelle démédicalisation de facto de la demande de soins, comme les psychiatres dont S. Sulzer (2015) a analysé les discours. Cet étiquetage de la personne présentant des SMI glisse vers une stigmatisation avec l’attribution de caractéristiques déplaisantes en des termes moraux (Goffman, 1975).
Conclusion
65Notre enquête suggère, près de trente ans après les premiers constats de I. Baszanger (1981, 1983), que les jeunes médecins considèrent que le savoir biomédical enseigné dans les facultés de médecine est insuffisant ou inadapté pour répondre aux plaintes d’une partie des patients. Pour s’adapter à ces insuffisances et aux difficultés cliniques et relationnelles qu’elles engendrent, le groupe social des jeunes médecins utilise une catégorie vernaculaire – les patients « particuliers » ou « difficiles » – pour penser la prise en charge des plaintes physiques qui n’ont pas d’explication organique (les SMI) et leur difficulté à les soulager. Cette catégorie permet de caractériser les individus qui, par les troubles qu’ils présentent et par leur comportement, fragilisent l’identité professionnelle en construction des jeunes médecins en les exposant à un triple échec dans leur travail médical : diagnostique (par l’impossibilité de donner le nom d’une maladie aux troubles), thérapeutique et relationnel (par l’impossibilité de soulager durablement ces personnes et de créer une relation de confiance).
66Sur un plan psycho-cognitif, cet étiquetage des patients apparaît comme un mécanisme de protection du médecin contre la perte de sens de son métier (du fait de l’impossibilité de guérir ou de soulager), contre une mise en danger de son rôle professionnel (d’expert, de soignant, d’organisateur du parcours de soins). Confrontés aux réalités et aux contraintes de la pratique médicale quotidienne, leurs idéaux professionnels sont mis à l’épreuve. Plutôt que d’ajuster ces idéaux (Becker et al., 1961), les jeunes médecins les préservent par un processus de catégorisation.
67L’étiquetage a aussi une dimension performative en agissant sur la perception de la réalité – ici, la perception des situations des personnes présentant des SMI – par les médecins, qui produit une démédicalisation de la plainte du patient. Cette démédicalisation de facto suit plusieurs voies. La première consiste à refuser ou à minimiser la gravité des troubles ressentis, et/ou les situer en dehors d’une prise en charge ordinaire en médecine générale. La seconde requalifie les troubles et le comportement de la personne dans le registre de la déviance morale et/ou médicale. Elle procède alors à la construction d’une altérité : la personne présentant des symptômes médicalement inexpliqués est un patient « à part ». Les failles actuelles de l’enseignement de la médecine semblent résider dans les impensés de la différence (sociale, culturelle, psycho-cognitive) entre les individus que seules les sciences humaines et sociales abordent dans le cursus médical, mais avec de grandes disparités concernant tant la nature que la quantité des enseignements selon les facultés.
Liens d’intérêts
68les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Aïach, 1998. Aïach P., 1998. Les voies de la médicalisation ». In Aïach P., Delanoë D. (eds.) L’ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas. Paris, Anthropos, 15-36..
- Aronowitz, 1991. Aronowitz R.A., 1991. Lyme disease: The social construction of a new disease and its social consequences. The Milbank Quarterly 69, 79-112..
- Baszanger, 1981. Baszanger I., 1981. Socialisation professionnelle et contrôle social. Le cas des étudiants en médecine futurs généralistes. Revue Française de Sociologie XXII, 223-245..
- Baszanger, 1983. Baszanger I., 1983. La construction d’un monde professionnel : entrées des jeunes praticiens dans la médecine générale. Sociologie du Travail 3, 275-294..
- Baszanger, 1991. Baszanger I., 1991. Déchiffrer la douleur chronique. Deux figures de la pratique médicale. Sciences sociales et santé 10(2), 31-78..
- Becker et al., 1961. Becker H., Geer B., Hugues E., Strauss A., 1961. Boys in white: student culture in medical schools. Chicago, University of Chicago Press..
- Bloy, 2005. Bloy G., 2005. La transmission des savoirs professionnels en médecine générale : le cas du stage chez le praticien. Revue française des affaires sociales 1, 101-125..
- Bloy, 2008. Bloy G., 2008. L’incertitude en médecine générale : sources, formes et accommodements possibles. Sciences sociales et santé (26)1, 67-91..
- Bujon et Dourlens, 2012. Bujon T., Dourlens C., 2012. Entre médicalisation et dépathologisation : la trajectoire incertaine de la question trans. Sciences sociales et santé 30(3), 33-58..
- Butler et Evans, 1999. Butler C.C., Evans M., 1999. The ‘heartsink’ patient revisited. The Welsh Philosophy and General Practice Discussion Group. British Journal of General Practice 49, 230-233..
- Cathébras, 1991. Cathébras P., 1991. Du « burn out » au « syndrome des yuppies » : deux avatars modernes de la fatigue. Sciences sociales et santé 9(3), 65-94..
- Cathébras, 1994. Cathébras P., 1994. Neurasthenia, spasmophilia and chronic fatigue syndromes in France. Transcultural Psychiatrie Research Review 31, 259-270..
- Cathébras, 2006. Cathébras P., 2006. Troubles fonctionnels et somatisation: comment aborder les symptômes médicalement inexpliqués. Paris, Masson..
- Cicourel, 1985. Cicourel A.V., 1985. Raisonnement et diagnostic : le rôle du discours et de la compréhension clinique en médecine. Actes de la recherche en sciences sociales 60, 79-89..
- Conrad, 1992. Conrad P., 1992. Medicalization and social control. Annual Review of Sociology 18, 209-232..
- Delanoë, 1998. Delanoë D., 1998. La médicalisation de la ménopause. In Aïach P., Delanoë D. (eds.) L’ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas. Paris, Anthropos, 211-251..
- Desfontaines, 2012. Desfontaines H., 2012. Corps souffrant, corps malade. La réception des plaintes lombalgiques en médecine générale. Sciences sociales et santé 30(3), 5-23..
- Dias et Pouchain, 2015. Dias M., Pouchain R., 2015. Les symptômes médicalement inexpliqués, étude qualitative des déterminants à leur prise en charge par les jeunes médecins généralistes. Thèse d’exercice, Aix-Marseille Université, Faculté de médecine..
- Dodier, 1993. Dodier N., 1993. L’expertise médicale. Essai de sociologie du jugement. Paris, Métaillé..
- Fainzang, 2012. Fainzang S., 2012. L’automédication ou les mirages de l’autonomie. Paris, Puf..
- Fox, 1988. Fox R., 1988. L’incertitude médicale. Paris, L’Harmattan..
- Friedson, 1984. Friedson E., 1984. La profession médicale. Paris, Payot..
- Giami, 2010. Giami A., 2010. La spécialisation informelle des médecins généralistes : l’abord de la sexualité. In Bloy G., Schweyer F.-X. (eds) Singuliers généralistes. Rennes, Presses de l’ENSP, 147-168..
- Goffman, 1975. Goffman E., 1975 [1963]. Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris, Les éditions de Minuit, Collection « le sens commun »..
- Good, 1998. Good B.J., 1998. Comment faire de l’anthropologie médicale ? Médecine, rationalité et vécu. Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo..
- Greco, 2012. Greco M., 2012. The classification and nomenclature of ‘medically unexplained symptoms’: Conflict, performativity and critique. Social Science & Medicine 75, 2362-2369..
- Hardy, 2013. Hardy A.C., 2013. Travailler à guérir. Sociologie de l’objet du travail médical. Rennes, Presses de l’EHESP..
- Hardy et Jourdain, 2016. Hardy A.C., Jourdain M., 2016. L’entretien dans l’entretien : expérimentation d’une méthode d’interprétation de l’implicite. Recherches Qualitatives 20 (Hors-série « Prudence empirique et risque interprétatif »), 282-296..
- Haxaire et al., 2010. Haxaire C., Genest P., Bail P., 2010. Pratique et savoir pratique des médecins généralistes face à la souffrance psychique. In Bloy G., Schweyer F.-X. (eds.) Singuliers généralistes. Rennes, Presses de l’ENSP, 133-144..
- Johansen et Risor, 2017. Johansen M.L, Risor M.B., 2017. What is the problem with medically unexplained symptoms for GPs? A meta-synthesis of qualitative studies. Patient Education and Counseling 100(4), 647-54..
- Kelly et May, 1982. Kelly M.P., May D., 1982. Good and bad patients: a review of the literature and a theoretical critique. Journal of Advanced Nursing 7, 147-156..
- Loriol, 2003a. Loriol M., 2003, La construction sociale de la fatigue au travail : l’exemple du burn out des infirmières hospitalières. Travail et emploi 94, 65-74..
- Loriol, 2003b. Loriol M., 2003. Faire exister une maladie controversée : les associations de malades du syndrome de fatigue chronique et Internet. Sciences sociales et santé 21(4), 5-33..
- Matta, 2009. Matta F., 2009. Abord des symptômes médicalement inexpliqués selon la formation des médecins généralistes. Thèse d’exercice, Paris, Université Paris Descartes..
- May et al., 1996. May C., Dowrick C., Richardson M., 1996. The confidential patient: The social construction of therapeutic relationships in general medical practice. Sociological Review 44(2), 187-203..
- Moscrop, 2011. Moscrop A., 2011. ’Heartsink’ patients in general practice: A defining paper, its impact, and psychodynamic potential. British Journal of General Practice 61, 346-348..
- O’Dowd, 1988. O’Dowd T.C., 1988. Five years of heartsink patients in general practice. British Medical Journal 297(6647), 528-30..
- Parson, 1955. Parsons T., 1955. Eléments pour une sociologie de l’action. Paris, Plon..
- Peschel et Peschel, 1996. Peschel R., Peschel E., 1996. Selective empathy. In Spiro H., Peschel E., McCrea Curnen M.G., St. James D. (eds) Empathy and the practice of medicine. Beyond pills and the scalpel. New Haven, Londres, Yale University Press, 110-120..
- Pierron, 2007. Pierron J.-P., 2007. Une nouvelle figure du patient ? Les transformations contemporaines de la relation de soins. Sciences sociales et santé 25(2), 43-66..
- Ring et al., 2005. Ring A., Dowrick C.F., Gerry M., Davies H.J., Salmon P., 2005. The somatising effect of clinical consultation: What patients and doctors say and do not say when patients present medically unexplained physical symptoms. Social Science & Medicine 61, 1505-1515..
- Sarradon-Eck, 2010. Sarradon-Eck A., 2010. Voyage en médecine de campagne : le cabinet médical sous le regard de l’ethnologue. In Bloy G., Schweyer F.X. (eds.) Singuliers généralistes. Sociologie de la médecine générale. Rennes, Éditions EHESP, 99-115..
- Schweyer, 2010. Schweyer F.-X., 2010. Ni artisan, ni salarié. Conditions et enjeux de l’installation en médecine générale libérale. In Bloy G., Schweyer F.-X. (eds.) Singuliers généralistes. Rennes, Presses de l’ENSP, 379-402..
- Shattock et al., 2013. Shattock L., Williamson H., Caldwell K., Anderson K., Peters S., 2013. ‘They’ve just got symptoms without science’: Medical trainees’ acquisition of negative attitudes towards patients with medically unexplained symptoms. Patient Education and Counseling 91, 249-54..
- Sinding, 2004. Sinding C., 2004. Clinique. In Lecourt D. (ed.) Dictionnaire de la pensée médicale. Paris, PUF, 249-255..
- Sirri et al., 2017. Sirri L., Grandia S., Tossania E., 2017. Medically unexplained symptoms and general practitioners: A comprehensive survey about their attitudes, experiences and management strategies. Family Practice 34(2), 201-205..
- Sulzer, 2015. Sulzer S., 2015. Does “difficult patient” status contribute to de facto demedicalization? The case of borderline personality disorder. Social Science & Medicine 142, 82-89..
- Thomas, 2017. Thomas C., 2017. L’accompagnement global par les sages-femmes. Anthropologie & Santé 15. [http://journals.openedition.org/anthropologiesante/2729].[https://doi.org/10.4000/anthropologiesante.2729]..
- Véga, 1997. Véga A., 1997. Les infirmières hospitalières françaises : l’ambiguïté et la prégnance des représentations professionnelles. Sciences sociales et santé 15(3), 103-132..
- Vollaire, 2004. Vollaire C., 2004. Symptôme. In Lecourt D. (ed.) Dictionnaire de la pensée médicale. Paris, PUF, 1098-1104..
- Zavestoski et al., 2004. Zavestoski S.,Brown P., McCormick S., Mayer B., Lucove J.C., 2004. Patient activism and the struggle for diagnosis: Gulf War illnesses and other medically unexplained physical symptoms in the US. Social Science & Medicine 58(1), 161-175..
- Yon et al., 2015. Yon K., Nettleton S., Walters K., Lamahewa K., Buszewicz M., 2015. Junior doctors’ experiences of managing patients with medically unexplained symptoms: A qualitative study. BMJ Open e009593.[https://doi.org/10.1136/bmjopen-2015-009593]..
- Werner et al., 2016. Werner E.L, Merkus S.L., Mæland S., Jourdain M., Schaafsma F., Canevet J.-P., et al. 2016. Physicians’ assessments of work capacity in patients with severe subjective health complaints: A cross-sectional study on differences between five European countries. BMJ Open 6, e011316. [https://doi.org/10.1136/bmjopen-2016-011316]..
- Williams et al., 2011. Williams S.J., Martin P., Gabe J., 2011. The pharmaceuticalisation of society? A framework for analysis. Sociology of Health & Illness 33(5), 710-725..
Mots-clés éditeurs : catégorisation, démédicalisation, heartsink patients, médecine générale
Date de mise en ligne : 06/04/2020.
https://doi.org/10.1684/sss.2020.0160Notes
-
[1]
Nous avons néanmoins recensé dans le catalogue SUDOC trois thèses de médecine générale récemment soutenues qui leur sont consacrées.
-
[2]
Dans cet article, nous utilisons la catégorie « patient » préférentiellement à celle de « malade », d’ « usager » ou « consommateur » car, comme le fait remarquer S. Fainzang, outre la connotation commerciale que peuvent avoir ces deux dernières catégories, la catégorie « patient » renvoie à un régime d’expériences et à un statut social : « le mot « patient » désigne un état du sujet vis-à-vis de l’institution à laquelle il s’adresse (…) (il) l’intègre dans la relation à l’égard du soignant » (Fainzang, 2012 : 12). Dans notre étude, la personne présentant des SMI est appréhendée en tant que « patient » qui « accepte de perdre l’initiative à l’égard de sa maladie, la remettant au médecin qui donne une signification au symptôme et lui apporte une réponse thérapeutique » (Pierron, 2007 : 50).
-
[3]
La construction sociale de catégories nosologiques – au sens de production sociale ou de co-production d’un diagnostic par différents acteurs sociaux (Loriol, 2003a) – a été finement analysée pour ce qui concerne des entités nosologiques spécifiques considérées comme appartenant à la catégorie des SMI. Voir par exemple : fatigue chronique (Cathébras, 1991, 1994; Loriol, 2003a et 2003b) ; syndrome de la Guerre du Golfe (Zavestoski et al., 2004) ; maladie de Lyme (Aronowitz, 1991).
-
[4]
Cependant, l’observation de formations postuniversitaires destinées aux généralistes sur les « troubles somatoformes », réalisées par le premier auteur de 2004 à 2008, a montré que les généralistes ayant une expérience clinique conséquente (de 10 à 30 ans) éprouvent les mêmes difficultés et les mêmes sentiments d’échec et d’impuissance que les jeunes médecins interviewés dans cette enquête.