Notes
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[1]
[https://www.csdepj.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport_final_3_mai_2021/2021_CSDEPJ_Rapport_version_finale_numerique.pdf].
- [2]
-
[3]
Multiples témoignages des étudiants travaillant dans le réseau des services sociaux et de santé.
-
[4]
Lorsque les informations publiques proviennent d’une source standardisée, médiatique ou autre, il est d’autant plus important de comprendre la diversité des points de vue dont certains sont contradictoires afin d’être en mesure d’établir sa propre perspective de ce qui est vraisemblable, signifiant ou insignifiant (Lucien et Gaste, 2006).
-
[5]
Raisonnement par lequel on tire des règles générales à partir de faits particuliers.
-
[6]
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une rationalité instrumentale excessive a mis en marche des méthodes de déshumanisation comme les camps d’extermination (Horkheimer et Adorno, 1974 [1944]).
-
[7]
Terme de Touraine (2013) qui affirme un autre sens du « social » que la notion de « fait social » de Durkheim ou d’« action sociale » de Weber (Berthelot, 2008, p. 43).
-
[8]
Au Québec, deux appellations se croisent historiquement, celle de « travail social » et celle de « service social ».
-
[9]
Je reprends le terme de « paradigme » et de « perspective ».
-
[10]
Définition amalgamée à partir de Berthelot, 2008, p. 80 et du site [http://cnrtl.fr/définition/paradigme].
-
[11]
[https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/637365/libre-opinion-peut-on-remplacer-i-woke-i-et-wokisme].
-
[12]
Perspective néo-libérale instrumentalisant l’université, l’intervention sociale et les individus massifiés en tant que clients, consommateurs ou usagers.
-
[13]
Terme apparu récemment.
-
[14]
Traduction libre.
-
[15]
[http://www.unisson06.org/dossiers/religion/ecrits_spirituels/grands_philosophes/socrate_maieutique.htm].
-
[16]
C’est l’approche québécoise développementale de la pensée critique.
-
[17]
Traduction libre.
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[18]
Inspiré du terme « zone proximale de développement cognitif » (Vygotski dans Darnon et al., 2008, p. 30-31).
-
[19]
Dans certains cours, des espaces de réflexion sont découpés de l’espace public pour faciliter une compréhension réciproque entre étudiants, qui est plus nuancée et significative que celle basée sur une dichotomie fermée et polarisée.
-
[20]
« Règles de conduite professionnelle qui régissent l’exercice d’une profession ou d’une fonction et faisant état des devoirs, des obligations et des responsabilités auxquels sont soumis ceux qui l’exercent » [https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/terminologie_relations_professionnelles/code_de_deontologie.html].
-
[21]
[http://recifs.ca/].
-
[22]
Réflexion pour guider sa conduite vers ce qui correspond à un engagement personnel.
-
[23]
Terme de Le Moigne, 2007, p. 8.
Introduction
1 À cette époque de post-vérité et de gestion managériale de l’information, de l’intervention sociale et de la recherche, les étudiants en travail social (TS) courent le risque de devenir au Québec des instruments dociles entre les mains de décideurs en position de pouvoir et d’appliquer automatiquement des règles et procédures « efficientes » sans avoir même besoin de les comprendre ou de décider de les mettre en pratique ou non. Doit-on parler de l’industrialisation actuelle de l’intervention, afin de mieux discerner comment ce type de gestion fait violence aux humains, accompagnateurs et accompagnés, en empêchant ainsi que des liens sociaux se tissent entre eux ? Ce travail à la chaîne est le contraire du TS et invalide au départ sa portée. Dans ce cadre référentiel figé, deux situations sont devenues emblématiques dans le réseau de services sociaux et de santé : le choix du logiciel de la Protection de la jeunesse qui mène à la mort d’un enfant [1] et la catastrophe humanitaire des aînés des Centres de soins de longue durée (CHSLD) [2], révélée publiquement lors de la pandémie, dans toute sa continuité institutionnelle.
2 Devrions-nous enseigner aux étudiants cette idéologie productiviste (Fournier, 2011 ; St-Amand, 2013 ; Dubois et Boudou-Laforce, 2017 ; Grenier et al., 2018 ; Bourque, 2018) qui accélèrera sans cesse le rythme du travail à l’aide de protocoles et de logiciels ? Doit-on mettre avant tout l’accent sur les résultats à obtenir aux dépens des besoins des humains et du processus réflexif nécessaire pour les comprendre afin d’agir en conséquence ? Si oui, alors, comment exprimeront-ils ce qui est insoutenable [3] dans des conditions de travail et de stage ? Ou bien nous sommes tenus à leur apprendre à penser critiquement pour qu’ils ne soient pas désorientés et noyés par la quantité d’ordres en circulation. Et cela, pour qu’ils s’engagent à prendre par eux-mêmes des décisions raisonnables et responsables (Carniol, 2005 ; Carrier et al., 2017). D’où l’importance de faciliter l’élaboration d’une vision sociale des étudiants qui leur permettrait de dépister le masque de la vertu de la pensée positive obligatoire (Ehrenreich, 2010) qui positionne le contrôle gestionnaire comme rectitude politique3. Doivent-ils appréhender ce qui est actuellement totalement administré et son impact sur leur jugement professionnel afin d’y faire face de façon significative ? Est-ce trop tard pour remettre en question l’accélération et l’automatisation de l’intervention sociale, la dérive économiste des références sociales, l’invalidation des besoins humains ?
3 Devant la difficulté de trouver au travail le temps de réfléchir3, comment outiller ces futurs intervenants pour qu’ils réfléchissent selon leur conscience afin d’intervenir de façon humaine ? Pourtant, en TS, les descriptifs des cours emploient souvent les termes d’esprit critique, d’analyse critique, de réflexion critique. Comment prend-on en compte cette dimension critique lors de la formation offerte ? Comment apprendre aux étudiants à faire la différence entre l’éthique professionnelle, la perspective disciplinaire et l’idéologie gestionnaire, et les penser de manière critique pour faciliter la construction individuelle, professionnelle et collective de sens indispensables pour travailler socialement avec des êtres vivants ? Et tout cela, pour occuper quelle place dans la société ?
4 D’autre part, voudront-ils réfléchir par eux-mêmes pour articuler leur intervention par leur pensée critique autour de « la contradiction ample entre rectitude politique et pensée critique », et de « la tension forte entre liberté de pensée [et de conscience] et justice administrée » (Motoi, 2014, p. 8) ? Or, comprendre ce qui est en jeu et lui donner un sens, c’est une question d’intelligibilité et de cohérence. C’est ce qui leur permettrait de se positionner face aux situations dans lesquelles ils interviennent en lien avec les besoins et les valeurs des personnes qu’ils accompagnent, mais aussi avec les leurs. C’est pourquoi il est primordial de leur enseigner à reconnaître de qui provient le message, pour qui il est émis, pourquoi, et selon quels intérêts. Ils appréhenderaient ainsi les enjeux humains, sociaux et politiques, les résistances et les souffrances actuelles afin de les prendre en considération (Gonin et al., 2013 ; Labbé, 2022). Nous pouvons aussi guider ces futurs travailleurs sociaux, à développer :
- Les attitudes nécessaires pour réfléchir critiquement (curiosité intellectuelle, ouverture d’esprit, doute, bienveillance, flexibilité, rigueur) ;
- La capacité de réflexion critique constituée par des habiletés cognitives (organiser des données, formuler et analyser des arguments, distinguer les faits des opinions, juger de la crédibilité de la source d’une information, chercher les nuances, questionner, remettre en question) ;
- La pensée critique, cette action responsable de réfléchir de manière autonome et autocritique à partir de critères et du contexte sociohistorique d’émergence.
- Ce qui se retrouve en jeu c’est, avant tout, le droit à la réflexion de ces citoyens qui porte leur pouvoir d’agir.
6 Alors, en TS, plusieurs angles de vue, et surtout pas un seul, s’ouvrent sur les mêmes situations. Chaque regard s’établit par la valeur de ce qu’il voit comme pertinent. Il s'agit de comprendre les personnes accompagnées et ne pas leur imposer un dogme posé comme Vérité, l’unique raisonnement possible. Pour cela, plusieurs perspectives critiques sont enseignées, dont la pratique réflexive, la conscientisation, la critique sociale, la pensée critique dialogique et la délibération éthique (Motoi, 2014, 2016). Le rôle critique de chacune se complexifie en s’approfondissant par la transformation de l’une dans l’autre. La continuité qui se crée ainsi rend visibles deux cheminements de la pensée qui participent à la construction du rapport direct de l’étudiant au savoir :
- Celui d’une pensée naïve à une pensée réflexive par la mise en perspective de sa propre pensée à l’aide de la pratique réflexive, de la conscientisation et du test du contradictoire, et
- Celui d’une pensée réflexive à une pensée critique dialogique, en approfondissant la conscientisation par la critique sociale et le test de l’idéologique, et en la situant, par après, de manière intersubjective, dans une communauté de recherche de sens, à trouver par la délibération éthique.
8 En tant qu’enseignants, nous pouvons faciliter l’engagement des étudiants à élaborer ces deux niveaux de leur compréhension de ce qui est en jeu pour intervenir socialement. C’est le sujet de cet article.
1. Cheminer de la pensée naïve à la pensée réflexive
9 Pour amorcer un processus réflexif en TS, il est essentiel de créer dans le cours un espace de communication de proximité entre les étudiants pour que le cheminement de la pensée de chacun soit mis en mouvement à partir de leurs propres questions. Questionner est une compétence à développer qui soutiendrait leur rapport direct au savoir et faciliterait l’articulation d’un apprentissage individuel en interaction avec autrui (Gagnon, 2021). De ce fait, les futurs intervenants seront en mesure d’élaborer leur pensée en lien avec ce qui est observé et transmis, mais aussi de comprendre pourquoi il est important ou non d’y réfléchir par soi-même.
10 De tous les renseignements qu’ils reçoivent dans les milieux de pratique, qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui est faux ? Qu’est-ce qui est significatif et qu’est-ce qui est futile ? Croire qu’une information fausse ou futile est vraie et significative, est-ce de la naïveté ? Lors du cours Pensée critique et intervention collective (PCIC), pour dépasser leur pensée naïve, chaque étudiant analyse, en présentant aux autres, des messages publicitaires et les procédés utilisés pour les influencer à penser à acheter. Ensuite, un test du contradictoire leur permet de rechercher l’autre côté de la médaille, les narrations qui disent le contraire de ces messages (études scientifiques, règlements, groupes de consommateurs). Ils apprennent de cette façon à déceler les messages qui manipulent et rejettent d’avance leur pensée, et souvent à leur insu [4].
11 Peut-on dire que la naïveté est de l’ignorance lorsque l’on se retrouve, sans le savoir, dans des situations d’exploitation, d’aliénation, de réification et de déshumanisation ? Ce sont les notions à l’aide desquelles le marxisme échafaudait une critique économiste des conditions d’oppression collectives de la classe ouvrière industrielle. Depuis, certains groupes sociaux ont utilisé ces concepts afin de défendre leurs droits individuels en remettant en question des structures (classe, race, genre) les prédéterminant (Keucheyan, 2010, p. 47). C’est l’approche structuraliste qui a posé de cette façon, en TS, leur émancipation au centre de l’intervention sociale (Moreau, 1987).
12 Cette lecture porte une dichotomie entre domination (par exclusion, oppression, minorisation ou infantilisation) et soumission (par force, séduction, inertie et non par choix). Cette opposition est-elle un passage obligé pour comprendre la difficulté actuelle à intervenir socialement de façon humaine, et cela, dans des conditions de travail acceptables ? Ou bien la réflexion ne doit-elle pas être généralisée et centralisée, mais laissée au discernement de chaque personne qui assume à sa manière sa responsabilité - en résistant, en démissionnant ou en s’adaptant ? Or, de nos jours, cette diversité des perspectives subjectives est en train de créer par osmose un énorme carrefour sociohistorique. En même temps, nous assistons publiquement à une standardisation sociotechnique de la pratique (Couturier et Gagnon, 2018) et une moralisation de la pensée individuelle, et à l’appauvrissement de la pensée collective. En les appréhendant, soutiendrait-on la possibilité de dépasser la polarisation facile et le relativisme qui nous maintiennent dans l’immobilisme réflexif ? Sommes-nous pris dans un effondrement de notre compréhension qui n’arrive plus à faire la part des choses pour être en mesure de travailler le social ?
13 Dès lors, l’accent posé sur l’oppression des intervenants produirait-il une polarisation sociétale entre travail social et gestion managériale qui escamotent les conséquences économiques, sociales et culturelles bouleversantes du capitalisme globalisé sur les citoyens massifiés comme clients ? Qu’est-ce qui serait pertinent du point de vue humain, donc social ? Pour y répondre, le dialogue entre étudiants peut être mobilisé, tout comme celui entre individus accompagnateurs, accompagnés ou gestionnaires. Alors, ils pourraient commencer à cheminer de la pensée naïve à la pensée réflexive à travers deux étapes : premièrement, mettre en perspective sa propre pensée et deuxièmement, faire le test du contradictoire pour examiner sa pensée réflexive et l’élaborer en connaissance de cause.
Mettre en perspective sa propre pensée
14 Toute personne regarde, observe les autres et soi-même. Distingue-t-elle clairement les situations sociales et les vécus individuels en tant que territoire humain, ce terrain de la pratique en intervention sociale ? Or, la réflexion de chaque individu s’établit dans l’écart entre ce territoire et sa compréhension de celui-ci. En conséquence, son regard se positionne comme point de vue. Dès lors, une perspective personnelle est une « carte » comme tant d’autres : paradigme, théorie, approche, idéologie, modèle, etc. Celle-ci peut être utilisée en tant qu’outil qui propose une distance en hauteur de ce territoire humain afin de le regarder et l’appréhender pour s’y orienter, savoir où l’on se trouve et dans quelle direction l’intervention pourrait aller.
15 L’analogie provient de la géographie : la « carte n’est pas le territoire » (Korzybski, 1988 [1933]), elle est déployée pour permettre de se le représenter. Celui-ci est concret par rapport à sa représentation, cette « carte » qui est abstraite. C’est dans cette distance, « existant entre une réalité et la manière dont les individus se la représentent » (Keucheyan, 2010, p. 236) par eux-mêmes ou à l’aide d’une « carte » théorique, que les humains peuvent apprendre à réfléchir en élaborant leur propre pensée afin de déterminer ce qui est significatif et ce qui est insignifiant pour leurs vies. En TS, on explique d’habitude aux étudiants comment se détacher théoriquement du terrain à l’aide de deux méthodes de distanciation réflexive, la pratique réflexive et la conscientisation.
La pratique réflexive
16 La pratique réflexive n’est pas la pratique de la réflexion (Lafortune, 2012), elle est un aller-retour entre la pratique et la réflexion par lequel les étudiants peuvent se détacher mentalement du milieu d’intervention, afin de comprendre ce qui y est en jeu. C’est un apprentissage à réfléchir sur sa propre démarche et l’analyse de celle-ci en partant souvent d’une incertitude, d’un doute, d’un questionnement ou d’un conflit. Cela permet de saisir sa propre perspective du territoire observé (vécu, expérience, situation, intervention ou milieu) et de l’élaborer le long des stages, dans les cours et les équipes multidisciplinaires, les communautés de pratique, les comités de citoyens et par l’approche socioconstructiviste en recherche. Et cela, en ne prenant surtout pas la carte, cette partie, pour le tout, comme l’idéologie le fait.
17 Pour cela, en enseignement, la distanciation du milieu de pratique peut être réalisée habituellement à travers deux processus réflexifs, celui de l’apprentissage mis en mouvement par l’enseignant (Lafortune, 2012) et celui de la compréhension de chaque étudiant (Kolb et al., 1984) qui réfléchit sur ses observations et son expérience de stage, dont voici les étapes :
18 1. D’abord, le réfléchissement de cette EXPÉRIENCE se déroule par « des idées ou des liens entre idées » (Antidote) permettant de se voir faire et se donner une première représentation de celle-ci pour l’analyser :
- Identifier les apprentissages réalisés et les améliorations possibles ;
- Se fixer et poursuivre de nouveaux objectifs.
20 2. Ensuite, la réflexion sur ce réfléchissement vise une deuxième RE-présentation de cette expérience, en tant que SITUATION. Une intégration analytique plus globale saisit aussi les dimensions affective et inductive [5] afin de :
- Prendre en compte les dynamiques relationnelles et les systèmes avec leurs structures ;
- Déterminer une façon d’agir plus significative et efficace pour cette situation.
22 Vacher (2011, p. 68-69) reprend ces deux étapes de l’approche de Kolb et les complète avec une troisième :
23 3. La réflexion sur la réflexion qui pose cette métanalyse comme définition de la réflexivité pour comprendre ce qui est à l’améliorer dans une PRATIQUE :
- Identifier de nouvelles possibilités d’action afin de prévenir des difficultés ;
- Être plus critique et plus éthique.
25 Le processus réflexif de l’étudiant avance de représentation en représentation, élaborant ainsi son ancienne compréhension en nouvelle compréhension, ce qui positionne un rapport direct au savoir. L’accent est mis sur le contenu de cette prise de conscience du développement de son savoir et non pas sur le changement de la situation sociale d’où elle émerge. C’est pourquoi Vacher (2011, p. 69) établit la réflexion sur la réflexion, cette troisième étape souvent oubliée, comme indispensable à ce processus réflexif. C’est là, où aurait lieu la conscientisation à ses conditions de vie et de travail. C’est d’ailleurs le niveau de discernement que vise Freire (1978, 1983).
26 Lors de cette réflexion sur la réflexion, les travailleurs sociaux ont un autre enjeu à prendre en compte. Le Référentiel de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ, 2012, p. 13) place la pratique réflexive comme « compétence » visant l’amélioration de l’intervention et du développement professionnel sur le long terme. Or, selon Carignan et Foudrignier (2013, p. 28), ce type de démarche n’est pas du ressort de la compétence, mais de celui de l’autonomie professionnelle des intervenants. Elle est la stratégie compréhensive qui ne peut pas être définie de l’extérieur d’une personne et protège son intervention de la standardisation exigée par la logique managériale et ses pratiques exemplaires uniformes. La vision de l’Ordre est remise en question en tant que discours normatif monologique, passant sous silence tous les raisonnements contradictoires. C’est pourquoi, l’objectif de la formation devrait devenir le développement de la pensée critique pour faire face à cette emprise des « cartes » entrepreneuriale et corporatiste sur le social. Toutefois, sommes-nous en mesure de ne pas prendre une perspective administrative pour un « fait social » ?
La conscientisation
27 Pour saisir cela, Freire (1978, 1983) prônait au Brésil la conscientisation, un modèle d’action sociale culturelle qui se donnait comme but pédagogique de faire cheminer dialogiquement des paysans opprimés et analphabètes de la pensée naïve à la pensée critique. Son implication éducative devait faciliter la mise en perspective de leurs conditions pénibles de vie et de travail qui entraient en contradiction avec les discours « positifs » des propriétaires terriens. Par cette réflexion sur leur réflexion, ils devenaient aptes à s’approprier le droit de réfléchir par eux-mêmes pour comprendre ce qui se passait et d’accéder ainsi à un rapport direct au savoir. De cette façon, ces gens utilisaient leur pouvoir de réflexion pour positionner leur savoir et outrepasser leur pensée naïve en forgeant leur cohérence sociohistorique comme « humains » face à un discours déshumanisant. Ce qui est d’ailleurs, selon Freire, une action politique d’humanisation soutenue non pas dans la neutralité ou dans la résignation, mais dans la divergence et la dissidence afin de « prendre possession de la réalité ». Les travailleurs sociaux ne se retrouvent-ils pas en tant qu'humains, devant cette même prise de conscience de leur instrumentalisation ?
28 Par sa pédagogie du dialogue permanent, Freire (1978) posait l’enseignement comme un acte démocratique et démocratisant qui ne peut pas être neutre puisqu’il est spécifiquement humain, un engagement historique à la construction du savoir de chacun. Cette relation entre l’être humain, son milieu et son histoire pouvait conduire les individus à articuler et défendre le rapport entre leur savoir et leur pouvoir d’agir. En TS, la conscientisation est professée en intervention collective et féministe de type structuraliste, en éducation populaire et recherche-action participative et au-delà, par l'approche anti-oppressive.
29 La pratique réflexive et la conscientisation, ces deux méthodes de distanciation réflexive du terrain font voir qu’une « carte » théorique abstraite n’est jamais le territoire, cette complexité vivante d’une situation concrète, réelle. Une « carte » n’est qu’une narration parmi d’autres, autant des gestionnaires que des intervenants, que des enseignants et des chercheurs. Dans ce sens, tout savoir a un caractère partiel, tout comme la connaissance construite en sciences humaines et sociales ! Selon Renault (2012, prgr. 8), la pluralité des savoirs existe par « [l’] irréductibilité de la diversité des points de vue » sur une même situation. D’ailleurs, jusqu’où la connaissance pourrait-elle être centralisée sans empêcher que chaque personne puisse assumer l’autonomie de sa pensée en tant que sujet et non à la façon d’un objet de l’intervention ? Cette perspective critique postmoderniste nous mettait en garde contre la possibilité d’instrumentalisation de la raison à des fins déshumanisantes [6]. Tout comme le positionnement poststructuraliste du rapport entre pouvoir et savoir (Foucault, 1975 ; Chambon et Irving, 1994) permettait de déterminer son pouvoir de savoir sa propre perspective sur une situation. Ce lien direct d’un sujet au savoir sur l’axe intériorité-extériorité est un enjeu humain essentiel du travail social.
30 Un des exemples caractéristiques de centralisation totalisatrice du savoir est le CHSLD. Dans ce contexte institutionnel glaçant, la gestion managériale valorise de moins en moins la singularité des êtres humains, résidents et intervenants, les relations significatives de proximité des uns avec les autres et leurs savoirs y découlant. Il devient difficile de travailler socialement dans ces « milieux de vie » artificiels, construits de toutes pièces, que plusieurs personnes vivent comme de l’enfermement. Leurs liens sociaux s’effacent, ainsi que « les principes d’affiliation, de cohésion » et « les définitions des places sociales par les rôles ou les statuts ou les identités collectives » (Ion, 2010, p. 78). Or, si ces personnes ne sont plus définies en fonction d’un système d’appartenance familial ou collectif, il s’ensuit leur décentration de leur identité humaine. Ce qui les déstabilise et provoque la double souffrance (Labbé, 2022) - celle des intervenants par des conditions de travail inacceptables et celle, qu’ils infligent aux « clients », en participant à les transformer en objets de leur intervention, que l’on drogue afin qu’on puisse contrôler, faute de personnel et par une rationalité excessive, imposée. Les intervenants se retrouvent ainsi dans une posture où ils sont censés de « ne pas savoir » ce qu’ils veulent faire pour effectuer leur travail. Il s’agit de ce que J. Ion (Ibid. p. 79) appelle la décentralisation des citoyens de l’action sociale. Ce qui amène de plus en plus l’objectification des sujets, intervenants et individus accompagnés, et par conséquent, leur déshumanisation.
31 Doit-on aller à contre-courant de l’approche managériale et la mettre en dialogue avec la pratique réflexive et la conscientisation des étudiants à leurs futures conditions de travail, avant même qu’ils soient transformés en objets de celles-ci ? D’où l’importance de distinguer les intentions, les causes, les enjeux et les finalités de tout type d’intervention, gestionnaire ou sociale - tout en soutenant le questionnement des personnes impliquées et le relier à leur rapport singulier au savoir en tant que droit humain et citoyen. S’immuniser ainsi contre l’injonction managériale qui vise à administrer leur façon de penser en la standardisant. Sinon, la conséquence serait-elle la naïveté forcée et la crédulité, le fait de ne plus être en mesure de réfléchir par soi-même pour appréhender ce qu’il se passe et d'agir en conséquence de manière adéquate et pertinente ? Puis, lorsqu’on n’est plus capables de comprendre ses propres conditions de vie et de travail qui ne font plus de sens, à quel moment cette ignorance prescrite sous forme de neutralité devient-elle de la répression ? Pour saisir clairement cela, identifions ce qui est contradictoire aux informations reçues pour situer ce qui est en jeu.
Faire le test du contradictoire
32 Lorsque des bureaucrates ou des idéologues veulent imposer leur « carte », leur représentation du territoire comme étant le territoire lui-même, le temps de réflexion est évacué. On demande aux individus de se conformer et d’exécuter uniquement ce qui est prescrit. Devant ce rapport de force arrangé, quelles observations, expériences et narrations contredisent sa logique, en ne se laissant pas dissimuler ? L’enseignement en TS doit-il conscientiser les étudiants pour appréhender cette superposition possible de la carte au territoire ? Freire (1978) prônait une stratégie radicale d’humanisation pour établir la cohérence sociohistorique personnelle et « prendre possession de la réalité ». D’ailleurs, Gadamer (1966) pose le développement de la conscience historique comme un des éléments de la subjectivité. Mais pour cela, il est urgent d’identifier les différents points de vue sur une même situation et de mettre leur diversité en dialogue. D’où l’importance de faire le test du contradictoire (Martin-Lagardette, 2014). L’individu poserait ainsi en rapport sa propre pensée avec celles des autres afin d’œuvrer à la cohésion de son savoir : les questionner, les accueillir, les compléter ou bien les rejeter.
33 Manin (2014) utilise le terme « échange contradictoire » entre citoyens comme ce qui leur permettrait de comprendre la manière dont ils forment leurs opinions. En fait, il s’agit d’une situation de délibération, débat « où des arguments opposés les uns aux autres sont énoncés, ce qui est différent de la seule discussion où les participants s’adressent en se répondant, mais sans nécessairement avancer des positions et des arguments opposés » (ibid., p. 3). Pour Lucien et Gaste (2006, p. 6-7), le principe du contradictoire évoque la perspective juridique, au sens de « tester la preuve », et sa « garantie procédurale attachée au droit de la défense. […] L’individu peut être comparé à un juge qui devra construire sa représentation d'une situation donnée au regard des représentations proposées par les parties ». Dans ce sens, enseigner et intervenir socialement sont des actes spécifiquement humains d’élaboration du savoir.
34 Mettre en perspective sa propre réflexion et la comparer au point de vue d'autrui, ces deux étapes opèrent en chaque personne, de représentation en représentation, une distanciation réflexive du territoire afin de mieux l’appréhender. Ce processus facilité par la formation permet de déceler en soi-même un saisissement de son intention et de la relier à la finalité de son intervention. Le passage d’une pensée naïve à une pensée réflexive peut avoir lieu. Une de ses conséquences est la cohérence qui se développe entre le jugement humain des étudiants et leur jugement professionnel. De cette façon, les TS se retrouvent dans une intervention qui devient une « situation de représentation » des observations et expériences des uns et des autres. À travers celle-ci, les intervenants continuent d’articuler leur pensée et aller de l’avant pour élaborer de façon éclairée leurs visions sociales nécessaires pour intervenir.
2. Cheminer de la pensée réflexive à la pensée critique dialogique
35 Le TS façonnant sa pensée réflexive se retrouve devant la diversité des « cartes » (théories, approches d’intervention, idéologies, injonctions institutionnelles ou médiatiques) organisées pour capter son attention et obtenir son adhésion. Toutefois, pris entre toutes ces offres « communicationnelles » et leurs messages, par quels moyens peut-il se situer pour intervenir socialement ? Ce qui est en jeu avant tout dans cette compétition entre les cartes, c’est sa capacité de penser leur légitimité. Alors, c’est à chaque TS d’assumer la responsabilité de son rapport direct au savoir en tant que sujet de sa vie, de son travail, de la « vie sociale » [7] et de l’histoire. Dans ce sens, l’acceptabilité sociale est la manière de l’exercer collectivement en fonction de sa famille, de ses proches, et du projet de société qu’ils se donnent ensemble pour perdurer de génération en génération. D’où l’importance que nous positionnons, par le débat et le dialogue sociaux, les perspectives diverses des citoyens dans une démocratie. Pour cela, faudrait-il se donner les moyens de continuer à cheminer dans la compréhension de notre pensée réflexive ?
36 Forges et al. (2011, p. 14-15), socioconstructivistes québécois, ont montré que la pensée réflexive - celle portée par la pratique réflexive et la conscientisation - n’est pas encore articulée et complexifiée en pensée critique tant qu’elle n’a pas une dimension évaluative importante à partir de critères déterminés de façon intersubjective. D’où, selon ces chercheurs, la nécessité de développer son autonomie de pensée en tant que sujet, de s’auto-corriger et de la comprendre en fonction du contexte d’émergence. En l’absence de ces éléments, il est possible de dire que les étudiants font preuve de réflexion, mais non de pensée critique.
37 Or, nous avons besoin de plus en plus de professionnels éclairés qui sauraient déterminer ce qui est humainement préférable et raisonnable afin d’intervenir en cohérence avec leur conscience. C’est pourquoi il est indispensable de se donner des critères pour réfléchir à ce que valorise chacune des cartes arborées. Comment définissent-elles l’intervention en fonction de quelles valeurs ? Quels rapports aux personnes (Jaeger, 2016) ou au savoir mettent-elles ainsi de l’avant ? Pourquoi ? Pour quels intérêts, pour quelle finalité ? Les étudiants veulent-ils ou peuvent-ils examiner ces partis pris, leurs propres croyances ou l’enseignement reçu ? Sont-ils en mesure de réfléchir afin de construire leur pensée critique pour élaborer leur vision sociale ?
38 Dès lors, la distinction entre réfléchir et penser critiquement prend de la valeur (Kpazaï, 2018). À ce point, celle-ci permettrait de continuer à réfléchir sur sa réflexion façonnée d’arguments et les approfondir par la comparaison avec différentes critiques sociales. Reconnaître de la sorte comment ces « cartes » sont forgées par leurs critères établis dans les limites de leurs finalités. Alors, tout en les contextualisant, les significations se préciseraient en se reliant au réel. Deux étapes se dessinent dans les prochaines parties de cet article : évaluer toute critique sociale afin de la situer par rapport à d’autres et rechercher le sens de son intervention par la pensée critique dialogique.
Situer la critique sociale
39 Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, la légitimation du TS s’appuyait sur diverses critiques sociales. Elles approfondissaient de différentes manières la conscientisation, cette réflexion sur sa réflexion des conditions de travail et de vie inscrites dans l’ordre social et un espace-temps culturel et socioéconomique précis. Une visée exigeait l’accommodement, l’adaptation à cet ordre ; une visée radicale appelait au changement à travers un projet d’émancipation des personnes défavorisées. Or, pour appréhender synthétiquement ces critiques en TS [8] et leurs « répercussions sur la pratique du service social », Carniol (1984) reprend le schéma des paradigmes sociologiques de Burell et Morgan (1979), mais plutôt que d’utiliser le terme de paradigme, il parle du Clash des idéologies, dynamisant ainsi le conflit épistémologique entre elles [9].
40 Cette modélisation est traversée par deux axes conceptuels : un axe subjectif/individu-objectif/société et un axe accommodement-transformation. Ils se croisent en produisant quatre espaces différents de réflexion et d’intervention. Chacun déploie ses concepts et sa logique propre : individualiste, fonctionnaliste-systémique, structuraliste et humaniste. De cette façon, la polarisation est manifestée par des oppositions conceptuelles : la fonction systémique soit la structure, les faits sociaux déterminés de manière sociétale soit le sens individuel actif, la subjectivité soit l’objectivité, l’ancien soit le moderne. Ce cadre d’analyse axiologique utilise les rapports entre les personnes qui en découlent comme des référents, en déterminant de ce fait des « patterns significatifs » (p. 184) pour l’intervention sociale. Cette conception dichotomique permet également de saisir la tension méthodologique d’usage en TS entre réflexion théorique et pratique et saisir ses répercussions sur l’enseignement. Carniol (1984) fait ainsi sortir l’intervention sociale d’une vision linéaire.
41 Doit-on penser en termes de paradigme ou d’idéologie lorsqu’on analyse une critique sociale en TS ? Or, un paradigme est compris comme une perspective critique établissant un mode d'intelligibilité dominant qui construit un modèle cohérent de vision du monde et ainsi, un cadre pour une structure explicative des objets d'étude [10].Dans ce sens, pour saisir l’enchaînement théorique d’un paradigme à l’autre, Bachelard (Mbarga, 2008) proposait les concepts d’obstacle et de rupture épistémologique et Kuhn (1993), celui de révolution scientifique. Canguilhem (1977, p. 208) estimait qu’il n'y avait pas une discontinuité brutale, mais de nombreuses ruptures successives découlant de « la présence latente de valeurs paradigmatiques ». Ce qui signifiait qu’un paradigme, en visant à devenir hégémonique, devenait la modalité des confrontations théoriques. De plus, les appréhender en TS, comme Carniol (1984, 2005), en tant qu’idéologies, fait ressortir que ces contradictions conceptuelles soutiennent des confrontations téléologiques, ce qui est d’actualité.
42 D’ailleurs, cette logique a été continuée au-delà de la première modélisation sociologique de Burell et Morgan (1979). Par exemple, au structuralisme a fait obstacle le postmodernisme, dont le poststructuralisme. Puis, par rapport à ce dernier, le constructivisme et l’interactionnisme s’érigent d’un côté, et de l’autre côté, l’intersectionnalisme et le minoritarisme diversitaire [11]. Suivant comment on se situe sur ces axes, notre façon de répondre à la question « Qu’est-ce qui cause un problème social ? » est différente et en conséquence, notre compréhension pour agir socialement. Dans ce sens, soulignons deux tensions majeures :
- Tension entre la perspective du fonctionnalisme systémique qui s’accommode du statu quo institutionnel et le structuralisme qui le rejette au moyen d’une perspective qui place une « emphase considérable sur le niveau sociétal [pour] […] réduire le rôle de l’individu » et transformer collectivement le système (Carniol, 1984, p. 185) ;
- Tension entre le déterminisme social du fonctionnalisme et du structuralisme, lesquels mettent l’accent sur le système ou les structures sociales qui produisent les fonctions ou les statuts de ses membres, et le postmodernisme (Chambon et Irving, 1994) dénonçant tout pouvoir centralisateur comme une méta narration rendant invisible le pouvoir individuel du sujet qui est celui qui construit le système et ses structures. Dans cette ligne de pensée, le poststructuralisme (Foucault, 1975) rendait visible le rapport du savoir au pouvoir comme dans la répression asilaire.
44 Dans ce sens, à partir de la perspective postmoderniste, une critique sociale n’est plus en mesure d’apporter une réponse unique à un problème sociétal. On les questionne en tant que métarécits, des narrations parmi d'autres, posant leurs catégories conceptuelles comme des frontières théoriques. Ce qui rend leur vérité épistémique partielle pouvant être située entre pertinence critique et dérive rationnelle. Alors, l’approche du TS, aiguillonnée par la déconstruction de tout paternalisme épistémique, devient relativiste n'envisageant plus les problèmes sociétaux par la critique sociale :
- L’idée d’une vérité absolue centralisatrice est fragmentée par sa relativisation culturelle. C’est ainsi que le féminisme structuraliste radical de la deuxième vague est invalidé par une troisième vague axée sur chaque femme en tant que sujet qui a sa vérité propre, d’où la diversité des « petits récits ».
- La causalité historique déterministe est imposée par des rapports de force armés entre empires et pays-nation ou peuples. Ce qui a amené des luttes anti-impérialistes/anticolonialistes pour reconnaître les identités nationales et les droits civiques. Dans ce sens, l’Ukraine, un exemple actuel, ne veut pas devenir une post-nation.
- La raison humaniste et universaliste, concevant l’unité du genre humain, exclurait la diversité des identités minoritaires. Dans ce sens, la notion de ce genre utilisée pour catégoriser les femmes est essentialiste, donc à proscrire. Cependant, peut-on rendre les femmes invisibles, après des centaines d’années de lutte pour être prises publiquement en considération ?
46 Ce développement postmoderniste a amené l’excès de relativisme (Baillargeon, 2005; Cambier, 2021) qui a épuisé l’explicitation du réel par la notion de « récit ». En même temps, la gestion managériale a dilué la critique sociale et le jugement professionnel. Tout questionnement se retrouve récusé comme dirigiste ou improductif. Selon Dupuis-Déry (Motoi, 2016), le conflit social (entre classes) portait sur la valeur du travail, il s’est transformé en conflit de valeurs pour des droits. De nos jours, il est devenu conflit identitaire entre majorité et minorités (ethniques, raciales, de genre). Nous assistons aussi à sa modification en conflit écologique universaliste pour la survie de tous les humains qui doivent prendre en compte de nouveaux problèmes : accélération (Rosa, 2014), changements climatiques, standardisation, robotisation, isolement, atomisation, déshumanisation. Ce qui occasionne une osmose de critiques vives qui n’arrivent plus à se centraliser. Dans ce sens, nous pouvons ajouter deux autres tensions actuelles :
- Tension entre l’économisme globaliste [12] à dominante communicationnelle avec ses dimensions corporatiste, technocentriste et post-nationale qui prône la logique gestionnaire, et l’humanisme critique cherchant ses lieux d’articulation pour bloquer la déshumanisation avec sa perte de repères et de sens, présente dans les services sociaux et dans la société (Horkheimer et Adorno, 1974 ; Fournier, 2011 ; Heitz, 2013 ; Chouinard, 2013 ; Motoi et Daniel, 2020) ;
- Tension entre une perspective « sociale » relationnelle référant aux liens sociaux entre individus et une perspective « sociétale » [13] relative à la société. Ce qui est en jeu est le sens commun construit socialement de façon intersubjective pouvant être invalidé par des expertises savantes et techniciennes, ce qui enlève aux citoyens leur légitimité de participer aux décisions les concernant. La distanciation sociale entre les gens est ainsi produite et elle décline autrement la démocratie. Or, « notre identité est porteuse d’une conception implicite du social et des rapports sociaux » (Bossé et al., 2006, p. 55).
48 Carniol (1984) nous a fait prendre conscience de la démarche épistémologique des critiques sociales en tant qu’idéologies. Celles-ci se retrouvent au cœur de l’élaboration de la connaissance en TS par le positionnement théorique des différents types de rapports aux personnes, au pouvoir et au savoir. Ces « cartes » représentent-elles adéquatement les expériences et les observations des gens, intervenants et accompagnés, ce « territoire » de la pratique en TS ? Dans ce sens, les critiques sociales évaluent-elles leur propre développement en fonction des répercussions sur les humains ? À partir de quels critères les jauger, les situer ? Se dirige-t-on vers un monde à la « carte » ? Est-ce pourquoi, une idéologie pourrait échapper à notre réflexivité ?
Faire le test de l’idéologique
49 Pour répondre à cette question, il s’agirait de comprendre à l’aide de critères si une critique sociale est une idéologie ou non. Peut-on distinguer l’une de l’autre ? D’où l’importance de faire la différenciation entre concept, idée ou représentation abstraite par généralisation, et critère, « caractère, principe auquel on se réfère pour distinguer une chose d’une autre, pour émettre un jugement, une estimation » (CNRTL). Aller au-delà de la description des mots, vers les intentions de leur emploi et leurs finalités.
50 Or, comment comprendre l’idéologie qui est une notion polysémique ? Voirol (2008, p. 62-68) analyse, entre autres, deux conceptions diamétralement opposées de celle-ci :
- La connotation négative donnée par Marx et Engels en 1845 qui la critique en tant qu’abus permettant la domination économique ;
- La connotation positive culturaliste, reformulée dans un sens acritique, par Geertz en 2000, pour être envisagée comme un « intégrateur symbolique d’une communauté préservant son identité culturelle ».
52 Toutefois en 1960, « la fin de l’idéologie » a été annoncée par Bell (1960), même si sa promotion a continué d’être reliée à la propagande. Ce que Klemperer et Soljenitsyne ont dénoncé au péril de leur vie : les nazis et les soviétiques ont tué des millions de personnes au nom d’une idéologie infligée de force pour créer la « société parfaite et juste » (Aubry et Turpin, 2012). L’utilisation de ce masque de la vertu leur a permis de faire le contraire, faire du mal. Ce sont des « disjonctions idéologiques entre les pratiques sociales effectives et les registres discursifs et prescriptifs s’imposant à elles » (Voirol, 2008, p. 62). Ce qui est facilité par « l’évolution la plus marquante dans la théorie sociale réside, non dans la “finˮ ou le “retourˮ de l’idéologie, mais dans la redéfinition du concept […] dépouillé de son aiguillon critique ».
53 La critique marxiste de l’idéologie établissait trois temps découlant l’un de l’autre (Voirol, 2008, p. 63-64) :
- La relation des sujets sociaux à la réalité des rapports socioéconomiques est faussée par des illusions qui fabriquent une distorsion de la réalité. Ce qu’ils confondent avec la réalité.
- Une légitimation de la domination s’ensuit et masque ces rapports illusoires en faisant « passer des intérêts particuliers de classe pour les intérêts de tous ». Ce qui les légitime comme « justes et naturels ».
- Afin de dissiper les illusions, la critique « émancipatrice » situe et remet en question ces rapports et ces intérêts.
55 Cependant, cette critique marxiste de l’idéologie a été réfutée par une conception postmoderniste, en tant que pratique totalitariste du « soupçon », dont voici deux arguments principaux :
- Lorsqu’une critique sociale est catégorisée comme « distorsion idéologique », cela « implique […] une distinction entre une posture de “faussetéˮ et d’illusion, d’une part, et une posture de vérité et de connaissance, d’autre part » (Voirol, 2008, p. 64). Elle s’offre ainsi un statut épistémique privilégié non questionnable qui lui permet de « définir les savoirs et les actes appropriés, indépendamment des convictions et des actes des sujets concernés » (p. 65), rejetés d'avance.
- Ce qui pose la démarcation entre « des sujets [qui savent agir] en leur nom pour leur émancipation » et « ceux qui ne savent pas ». De plus, tous sont « des sujets ordinaires sous l’emprise de l’idéologie », intégrés d’office dans un NOUS au nom duquel parle le groupe la propageant (p. 65).
57 Malgré cela, certains individus se sentent « à l’aise » dans l’idéologie sans voir « leur adhésion de manière négative » (Voirol, 2008, p. 71) puisqu’elle leur fournit des modes d’interprétation préfabriqués. Ce qui soutient la conception acritique de Geertz qui considère qu’elle « relève d’un ensemble de représentations sociales partagées [...] la condition même de leur intelligibilité » (p. 67). De plus, Van Dijk (2006, p. 1) observe que « les groupes dominés peuvent également avoir des idéologies [...] de résistance et d'opposition », même de conflit ou de glorification formant des « communautés idéologiques ». Mais, lorsque l’idéologie est partout, est-il possible d’envisager une solution pour s’en émanciper par l’intervention sociale ?
58 Boltanski et Chiapello (2009) « adoptent [autrement] le point de vue du sujet, doté de compétences morales, en prenant son propos au sérieux, car “toute coupure entre le réel et l’illusionˮ s’effectue au profit d’une rupture avec le sens ordinaire » (p. 66). Selon Markova (2002, p. 15), ce « sens commun est un type de connaissance qui est sûr, ne laissant pas de la place à des doutes et qui est construit socialement ». « Le sens commun est un sens social » [14](Moscovici dans Markova) au même titre que l’ouïe et le toucher.
59 Au-delà de la conception critique, de celle acritique ou bien de celle sociale - sur le plan cognitif, les idéologies sont des systèmes d’idées fonctionnant comme des « filtres à travers lesquels nous percevons le monde social. Leurs éléments sont des assomptions, des croyances, des explications, des valeurs et des orientations » (Marchak dans Carniol, 1984, p. 184). Si les TS veulent « prendre possession de la réalité », le concept de « distorsion » de celle-ci est indispensable. Il leur permet de saisir les illusions produites par la gestion managériale concernant leur intervention et aussi de comprendre ce que l’idéologie cache. Ce qui confère un caractère actif à leur pensée et à sa portée cognitivo-sociale sur leur autonomie professionnelle. D’où l’importance, de nos jours, de la reconstruire à travers une pensée critique qui vise comme finalité en TS l’amélioration de la vie au travail.
60 À partir de Voirol, (2008) et de Van Dijk (2006), voici quelques questions qui pourraient situer en TS une critique sociale comme idéologie :
- Le statut épistémique d’une critique sociale doit-il être questionnable ou privilégié (non questionnable) ?
- La définition des compétences et des actes appropriés est-elle conçue séparément ou en continuité avec les convictions des gens concernés ?
- Y a-t-il restriction ou prise en compte de leur expérience subjective ?
- Se concerte-t-on avec les personnes visées ou leur inflige-t-on des orientations décidées d’avance ?
- Y a-t-il dialogue avec les gens ou endoctrinement par imposition d’une « rupture avec le sens ordinaire » (Voirol, 2008, p. 66) ?
- Lorsque des individus suivent le sens commun, y a-t-il hiérarchisation de « ceux qui ne savent pas » à « ceux qui savent » ?
- Prend-on au sérieux les points de vue des individus impliqués en refusant de les voir sans preuve comme incapables de réfléchir par eux-mêmes ?
- Y a-t-il intégration d’office dans un « nous » s’opposant à un « eux » ?
- La critique provient-elle de l’intérieur même d’un groupe social ou exige-elle un point extérieur, une distanciation réflexive ?
- L’idéologie est-elle fatalement le propre des autres, jamais la nôtre ?
62 Devant les résistances face à certaines idéologies polarisantes à l’extrême, plusieurs intervenants ont besoin de travailler socialement de manière humaine sur le « territoire » de leur pratique. Ils souhaitent retrouver des interventions relationnelles qui participent à la construction intersubjective du sens commun, du savoir local et traditionnel afin que des citoyens puissent se les réapproprier. Ce processus réflexif enrichira les répertoires discursifs des participants de nuances et d’arguments diversifiés. De la sorte, ils pourront déterminer par eux-mêmes ce qui est significatif pour leurs vies et pour leur accompagnement. C’est là, la « condition [même] de l’autoréalisation des sujets sociaux et de leur accès à l’autonomie » (Voirol, 2008, p. 71), ce qui est d’ailleurs valorisé en TS. Les humains pourront ainsi identifier ce qui est acceptable socialement pour se situer et vivre sur leur territoire. La définition même du « social » s’y jouerait en se démarquant de plus en plus du « sociétal ». Pour cela, les individus réfléchissent de façon intersubjective par des liens de reconnaissance (Honneth, 2004 ; Chouinard, 2013 pour comprendre socialement ce qui est idéologique ou non. Reconnaître que les « sujets sociaux sont dotés de la capacité de devenir des enquêteurs critiques de l’idéologie » (Voirol, 2008, p. 17) permettrait-il de passer de l’idéologique au dialogique afin d’élaborer de la connaissance qui leur appartiendrait ? Ceci pourrait s’organiser autour du besoin central de dialogue intersubjectif et continuerait le cheminement de la pensée réflexive à la pensée critique dialogique.
La pensée critique dialogique
63 Une fois arrivés au point où des critiques sociales se convertissent en idéologies, les TS ont besoin de rechercher le sens de leur intervention. Ils dialoguent ensemble sur leur pensée réflexive pour élucider comment la penser critiquement. Chacun apprendra à mieux connaître sa propre pensée et la pensée des autres. Les participants exprimeront leurs désaccords et noueront les accords pour se comprendre. Des rapports d’entendement se développeront entre eux en tant que mise en relation. Cette recherche de sens renforcera la composante sociale de leur compréhension réciproque. Le dialogue devient la place centrale à donner à l’intersubjectivité tissant le réel.
64 Ce type de groupement a été mis de l’avant par des socioconstructivistes comme communauté de recherche philosophique (CRP) (Lipman et al., 1980 ; Daniel, 2005 ; Gagnon, 2005 ; Forges et al., 2011). En 2015, à partir de ce concept, Beaulieu et Motoi (2015) adoptent le terme de communauté de recherche de sens (CRS) (Motoi et Daniel, 2020) afin de répondre aux besoins de gens qui souhaitent construire du sens lors d’une situation problématique (violence scolaire, violence sexuelle, visionnement des médias). Dans le cours PCIC, pendant la mouvance Moi aussi, un processus de recherche de sens a été mis en place. Les étudiants, en groupes de 3-4, ont identifié trois questions par rapport à ce qui les interpellait, ce qu’ils voulaient comprendre ou approfondir. Ensuite, chaque groupe en a choisi deux qu’ils ont inscrites au tableau et le groupe-classe en entier a voté pour cette question : Quelle est la distinction entre séduction et harcèlement sexuel ? Leurs réponses étaient organisées visuellement pour qu’on voie les différences et les similitudes, les convergences et les divergences, et les tensions entre elles. Après la synthèse, plusieurs éléments ont été considérés comme devant être approfondis dans une autre CRS et par des projets. Cette réflexion a facilité le repérage de ce qui est « vraisemblable » (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 2008) pour ces citoyens, mais pas pour tous.
65 Nous connaissons nos dialogues intérieurs qui reviennent sans cesse. Or, une CRS est un lieu qui ouvre l’espace dialogique à l’extérieur de soi. Ce type d'interaction est présenté différemment par trois perspectives :
- La maïeutique, la perspective internaliste de Socrate [15] (IVe siècle av. J.-C.), qui permet d’accoucher dialectiquement les esprits de façon non directive, en faisant découvrir à l’autre ses réponses qu’il porte en lui.
- Celle externaliste de Bakhtine/Volochinov (Todorov, 1981, p. 148) pour qui, le dialogue n’est possible qu’en se regroupant. Il est une donnée sociale, groupaliste et non linguistique, car il « est avant tout une activité humaine » (Paveau, 2010, p. 6) qui génère la « vie sociale » comme relation entre des humains en société.
- Celle de Markova (2002) qui est autant internaliste qu’externaliste. L’être humain se retrouve sur la frontière entre les deux, d’où il élabore le discours par rapport à autrui. La « réciprocité communicative » construit la « dialogicité », cette « dimension fondamentale des représentations sociales ».
67 De plus, dans une CRS, le dialogue est facilité par trois postulats établissant l’articulation de la pensée critique :
- Reconnaître aux gens le droit d'accorder un sens différent à une même situation (Scott, 1989, p. 41) ;
- Comprendre pour quels enjeux personnels, sociaux ou sociétaux cela est ainsi (Chambon, 1993, p. 130) ;
- Réfléchir sur la précision de la signification octroyée : « deux locuteurs peuvent fort bien utiliser le même terme ou la même phrase sans leur donner le même sens ; inversement, ils peuvent utiliser des termes différents pour désigner la même chose » (Naess, 1953, p. 32).
69 La pensée dialogique critique forme une matrice sociocognitive où chaque individu détermine ce qui est chargé de signification pour soi. Un espace de réflexion de proximité est ainsi affirmé comme un espace humain de liberté de conscience, où se nouent les composantes critique, cognitive et relationnelle qui seront examinées par la suite.
La composante critique
70 Forges et al. (2011) nous font réaliser à partir de Lipman comment la composante critique de la pensée est établie par deux intentions fondamentales en TS :
- Distinguer entre critiquer (identifier ce qui est négatif) et penser critiquement (évaluer ce qui est en jeu à partir de critères et du contexte d’émergence, « juger, être attentif aux différents contextes » [Gagnon, 2005, p. 59], tout en s’auto-corrigeant au besoin) ;
- Clarifier la confusion qui existe entre la pensée réflexive et la pensée critique.
72 Lorsque dans un processus intersubjectif, on appréhende ces deux distinctions, celles-ci sont complexifiées par des jugements évaluatifs (Forges et al., 2011, p. 14-15). Alors, on est en mesure de réfléchir par soi-même de manière non automatique et ne pas laisser l’idéologie ou les ordres administratifs nous manipuler et suspendre nos jugements individuels et professionnels.
73 La compréhension de proximité entre pairs rend visible le développement [16] de la pensée de chacun œuvrant à trouver du sens qui s’édifie de point de repère en point de repère en se contextualisant. En intervention, la vérification de sa compréhension et la négociation constante de sens puisent leurs clarté et pertinence dans la réflexion sur sa propre pensée et celle des autres. C’est cette recherche de cohérence et de réalité qui fait résonner le sens construit individuellement dans le partage de réflexions entre personnes responsables. De multiples contradictions ainsi que de la confusion peuvent faire naviguer les participants de tension en tension pour acquérir ensemble la perspective qui leur permettra d’appréhender ces tensions et de les dépasser. Cette exploration facilite un apprentissage expérientiel (Racine, 2000, p. 54) que l’on ne peut penser que par soi-même.
74 C’est pourquoi le rôle d’autrui est essentiel (Markova, 2002). Le penseur critique dialogique questionne pour comprendre comment et pourquoi il se situe en rapport avec d’autres points de vue, car pour une situation donnée, plusieurs lectures et « cartes » avec des finalités diverses sont possibles. Ne pas imposer une « pensée unique », c’est reconnaître que la pensée critique est pluraliste, mais non-relativiste (Daniel, 2005), puisque tous les points de vue ne sont pas valorisés de façon égale, mais selon divers intérêts, valeurs, contextes et critères. Ce qui souligne l’importance du travail d’évaluation. À partir des recherches empiriques de Daniel (2005), on comprend comment la pensée d’une personne peut cheminer dans la réflexion avec les autres :
- D’une vision anecdotique à une monologique, tout en forgeant la pensée réflexive,
- Celle-ci se complexifie par une approche dialogique qui peut devenir critériée et évaluative, la pensée critique.
76 Des allers-retours entre ces différents modes de pensée consolident la continuité du processus réflexif qui construit la subjectivité.
La composante cognitive
77 Le dialogue nourrit également la composante cognitive de la pensée critique. L’acte individuel de compréhension d’un membre d’une CRS s’accompagne de l’acte collectif de compréhension entre participants qui exige leur accord ou leur désaccord. Perelman et Olbrechts-Tyteca (2008, p. 180) soulignent que « seul l’usage de notions confuses comprises et interprétées par chacun selon ses valeurs propres [permet] cet accord, dont le principal mérite est de favoriser un dialogue ultérieur ». Or, une personne pose en soi un pouvoir narratif pour parler avec soi et les autres et « la pensée représente fondamentalement […] [ce] dialogue » (Rosenzweig dans Markova, 2002, p. 10). Celui-ci prend sa source dans la « connaissance de la Réalité, une réalité postulée indépendante des observateurs » (Le Moigne, 2007, p. 19).
78 C’est ce pouvoir narratif qui permet de construire sa propre théorie comme savoir autovérifiable. « Tous les acteurs sont des théoriciens sociaux […] [cherchant] à comprendre » [17] (Scott, 1989, p. 44). Chacun donne du sens à son vécu et persuade les autres de l’authenticité de son récit (Trinder, 2000). Sa connaissance est donc située par les stratégies narratives choisies pour décrire son expérience. Chambon (1993) différencie le plan du récit du plan de la parole. En intervention, la narration d’un problème est ainsi structurée pour autrui.
79 De ce fait, le langage est un médium qui n’est pas neutre (Voirol, 2008), mais un moyen intentionnel par lequel les personnes prennent le pouvoir narratif de construire des significations qui se lient ou non aux significations des autres. L’échange entre ces « créateurs et [ces] interprètes des significations » (Racine, 2000, p. 47) est, avant tout, cognitif. On reconnaît ainsi leur rôle épistémologique pour édifier leur savoir comme proximité significative [18]. À l’aide des rapports entre eux, chacun est considéré en tant que spécialiste de sa propre méthode de connaissance posée comme expérience de compréhension et non comme une d’interprétation. Celle-ci ne résonne pas dans le vide.
La composante relationnelle
80 En CRS, l’interdépendance dialogique d’un intervenant et de la personne qu’il accompagne, se reconnaissant mutuellement comme sujets, forme la composante relationnelle du TS. « Le dialogisme se manifeste à partir de [la] subjectivité » (Paveau, 2010, p. 8). Les participants ne sont pas nécessairement en accord et « la confrontation des expériences de modélisations plurielles et ouvertes [de leurs savoirs] […] renvoie en retour chaque modélisateur à sa construction » (Lerbert-Sereni, 2004, p. 12). Un mouvement d’aller-retour s’installe entre leurs propres réflexions et la réflexion en groupe. C’est le statut de la connaissance subjective qui est reconnu par la multiplicité des regards. Cela la complexifie et la consolide par la convergence ou la divergence des significations jusqu’à ce que la différence entre signifiance et insignifiance soit claire.
81 C’est en assumant sa perspective dans cette intersubjectivité que la vie sociale prend sa valeur. Cet apprentissage, facilité lors de l’enseignement, est recherche de sens individuel et collectif. Il transformerait les participants d’objets anonymes de l’enseignement ou de l’intervention sociale en sujets de leurs vies et de leur travail (St-Amand, 2013). D’ailleurs, les appels au dialogue se multiplient. La pensée critique dialogique pourrait-elle devenir l’outil principal pour travailler le social dans notre société désocialisée par de nombreuses crises ? La compréhension réciproque horizontale, par le sens commun construit entre pairs, permettrait-elle le dépassement de sa polarisation verticale avec le savoir des experts ? D’où l’importance de l’acceptabilité sociale qui deviendrait ainsi la denrée incontournable de leur responsabilité collective. De plus, la facilitation de la pensée critique des étudiants [19] développerait-elle leur vision professionnelle afin d’intervenir en connaissance de cause dans leurs milieux de travail ? Ce qui conjuguerait pensée critique, liberté de conscience, autonomie intellectuelle et responsabilité éthique. Est-ce humain, trop humain ?
Le test de la délibération éthique
82 Donc, au nom de quoi agir sur autrui (Autès, 2008) et pour quelle finalité ? Cette question téléologique se retrouve au cœur du TS et oriente le rapport éthique à l’autre. Elle positionne une manière plutôt qu’une autre d’être en relation avec soi-même et autrui. Dans ce sens, l’éthique est relationnelle (Beauséjour, 2002) et protège la fragilité et la vulnérabilité de tous les humains. L’intervenant par son rôle d’auto-vérification de son intervention préserve la symétrie entre le maintien de son intégrité propre et celle des autres, et leur interdépendance. Il doit tenir compte des seuils au-delà desquels ces deux dimensions sont menacées. Il a besoin de réfléchir individuellement sur ce qu’il affecte : les rapports entre les gens, leurs valeurs et leurs aspirations, les équilibres naturels et sociaux, le sens commun.
83 Du moment qu’une démarche centrée sur la déontologie [20] ou l’asservissement aveugle aux procédures peut entrer en opposition [21] avec l’éthique professionnelle [22] - des intentions, des valeurs, des intérêts, des enjeux et des finalités peuvent se trouver polarisés et confrontés. La responsabilité individuelle en découle en tant que question de conscience. Dans ce sens, ce n’est pas la résolution de conflits de valeurs ou idéologiques qui est visée; ni la recherche d’une pratique exemplaire, ni même l’analyse des « conséquences positives et négatives engendrées par l’action » (Bossé et al., 2006, p. 47). Car il est nécessaire « de les entendre à niveau différent que celui des valeurs lui-même » (id.) - au niveau de la réflexion sur la conscientisation (la réflexion de la réflexion) au sujet de ces valeurs. On les penserait ainsi critiquement pour les contextualiser et les évaluer afin de leur donner un sens. Alors, on délibère pour comprendre quels critères se retrouvent en tension. Plutôt que de les polariser, les intervenants prendront en considération la complexité du réel, dont les différents points de vue, même contradictoires, « s’alimentent mutuellement et sont en interactions constantes » (Bossé et al., 2006, p. 49).
84 L’occultation de ces tensions dans les milieux de pratique crée une compréhension partielle de la réalité. Les TS sont pris dans la boucle fermée qui tourne entre l’agir, la motivation et la démotivation, la justification coupable et l’épuisement. Ce qui amène malaises et souffrance, un sentiment d’impuissance et de perte de sens. S’ils prenaient plutôt ces tensions en délibération éthique, ils pourraient déterminer la cohérence des intentions en lien avec leurs finalités. De cette manière, la confusion entre les diverses finalités de l’intervention serait clarifiée. Ce processus appelle un jugement critique pour établir leurs limites et situer la frontière éthique au-delà de laquelle ce qui est défendu comme rationalité ou efficience se transformerait dans son contraire : désocialisation, standardisation, robotisation et déshumanisation.
85 La délibération éthique, en prenant un plus long chemin de dialogue, approfondit la pensée critique par la compréhension des différentes facettes de la responsabilité individuelle. Pour bien les saisir, il est important d’appréhender l’usage que l’on fait de chaque intervention. Celle-ci doit être effectuée à la condition qu’elle n’entraîne pas « la destruction [de l’humain ni] de l’humanité » « ni aller à l’encontre des intérêts fondamentaux de tout être raisonnable » et du « respect de la dignité de toute personne » (Métayer, 2014, p. 93).
86 La pensée critique dialogique développe par la délibération éthique, la pensée critique responsable, puisque les membres d’une CRS déterminent des critères pour évaluer individuellement ce qui donne du sens ou non pour chacun d’eux. Selon Daniel (2002, 2005), celle-ci est axée épistémologiquement, en premier, sur les expériences personnelles (égocentrisme). La diversité des réflexions partagées par les participants facilite leur coprésence des uns aux autres et à leurs perspectives subjectives respectives, accueillant ainsi leur pluralité (relativisme). Son dépassement se réalise lorsqu’ils construisent du sens commun ensemble (intersubjectivité). Le consensus n’est pas recherché, mais surtout le fait qu’ils se comprennent et appréhendent ce qui est en jeu pour que chacun puisse élaborer sa propre vision sociale! Leur intention de penser de manière critique par soi-même, leur permet de prendre la responsabilité de leurs opinions, pensées et actions.
Conclusion
87 Une personne peut développer deux niveaux de la compréhension de son rapport direct au savoir, le cheminement d’une pensée naïve à une pensée réflexive, suivi par celui d’une pensée réflexive à une pensée critique dialogique. Ce qui est mobilisé est sa propre perspective de sa connaissance qui transforme un TS ou un individu accompagné, d’objet en sujet de l’intervention.
88 Pendant le premier niveau de cette compréhension, les TS appréhendent leur pensée naïve par la distanciation réflexive d’une situation d’intervention donnée tout le long de la pratique réflexive, ainsi que de leur conscientisation, sous l’impact du test du contradictoire. Au cours du deuxième niveau de la compréhension, leur pensée réflexive devient dialogique critique lorsqu’ils contextualisent leurs conditions de travail, tout en s’appropriant ou en articulant une critique sociale qu’ils évaluent à l’aide de critères. Ils vérifient si elle procède ou non comme une idéologie. En tant que pairs, ils continuent de cogiter ensemble sur leur façon de voir l’intervention dans un dialogue de proximité. Ils construisent ainsi ensemble du sens à la lumière d’un approfondissement éthique réalisé par une délibération sur les enjeux de leur responsabilité humaine, sociale et professionnelle.
89 En enseignant, par une pédagogie du dialogue, ces différents modes de réflexivité avec leurs trois tests (du contradictoire, de l’idéologique et de la délibération éthique), nous essayons d’échapper à l’automatisme et à la standardisation de la pensée qui facilite le clientélisme fabriquant à la chaîne des diplômés. Ce qui en découle « n’est pas un produit ou un résultat, mais un processus » (Daniel dans Kpazaï, 2015, p. 49) réflexif sur le long terme. Ce développement humain de la pensée critique de l’intervenant lui permet de saisir le contexte de son émergence intersubjective, donc sociale. Les participants sont ainsi reliés cognitivement, mais aussi socialement. Ce qui est d’ailleurs une finalité du TS, devenue de nos jours une nécessité historique. Chacun de nous a le droit de penser pour comprendre.
90 Malgré tout cela, dans notre société, ai-je le droit en tant que sujet, intervenant ou accompagné, de créer du sens pour moi-même en cherchant la cohérence entre mes intentions et leurs finalités, au-delà de ce qui est administrativement, idéologiquement ou politiquement correct ? C’est d’ailleurs ce qu’il faut comprendre et qui positionne l’urgence de travailler socialement pour faciliter le rapport de chacun au savoir construit dans l’intersubjectivité. Outrepasser ainsi le savoir-objet anonyme et impersonnel de la liste d’épicerie fermée ou la machine conceptuelle. Fontar (2014) nous dit que justement ce qui est propre au TS, c’est qu’il détient une finalité comme acte intentionnel de « représentation téléologique » [23]. De ce fait, l’intervenant s’engage à agir humainement au niveau social. Alors, nous pourrons parler de TS critique dialogique (Motoi et Daniel, 2020). Selon Charlot (1997, p. 95), le TS est « confronté à la nécessité d’apprendre », de s’approprier et de maintenir son rapport au « monde qui est pour lui espace de significations et ainsi, de valeurs ». Or, apprendre en comprenant exige du temps que nous devons prendre dans nos milieux de travail et d’étude. Dans ce sens, apprendre et savoir s’articulent de concert à l’aide d’une diversité de nuances et d’angles de vue : subjectif et objectif, proche et lointain, individuel et collectif, unique et pluriel, problématique et prospectif, etc.
91 Les liens entre les dimensions critique, cognitive et sociale qui composent la pensée nous permettent de la situer épistémologiquement de multiples façons en TS. Donc, un intervenant peut élaborer et prendre comme référence son propre rapport au savoir, mais aussi son rapport au savoir de l’autre. Savons-nous que l’autre sait ou qu’il ne sait pas ce que nous savons ? Quel rapport à la connaissance d’autrui facilite ou invalide les liens sociaux entre les personnes et de cette façon l’intervention sociale ? C’est la question actuelle en TS.
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Mots-clés éditeurs : rectitude politique, conscientisation, pensée critique dialogique, pratique réflexive, rapport direct au savoir, délibération éthique, liberté de penser, critique sociale, justice administrée
Date de mise en ligne : 07/02/2024
https://doi.org/10.3917/sas.019.0008Notes
-
[1]
[https://www.csdepj.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport_final_3_mai_2021/2021_CSDEPJ_Rapport_version_finale_numerique.pdf].
- [2]
-
[3]
Multiples témoignages des étudiants travaillant dans le réseau des services sociaux et de santé.
-
[4]
Lorsque les informations publiques proviennent d’une source standardisée, médiatique ou autre, il est d’autant plus important de comprendre la diversité des points de vue dont certains sont contradictoires afin d’être en mesure d’établir sa propre perspective de ce qui est vraisemblable, signifiant ou insignifiant (Lucien et Gaste, 2006).
-
[5]
Raisonnement par lequel on tire des règles générales à partir de faits particuliers.
-
[6]
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une rationalité instrumentale excessive a mis en marche des méthodes de déshumanisation comme les camps d’extermination (Horkheimer et Adorno, 1974 [1944]).
-
[7]
Terme de Touraine (2013) qui affirme un autre sens du « social » que la notion de « fait social » de Durkheim ou d’« action sociale » de Weber (Berthelot, 2008, p. 43).
-
[8]
Au Québec, deux appellations se croisent historiquement, celle de « travail social » et celle de « service social ».
-
[9]
Je reprends le terme de « paradigme » et de « perspective ».
-
[10]
Définition amalgamée à partir de Berthelot, 2008, p. 80 et du site [http://cnrtl.fr/définition/paradigme].
-
[11]
[https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/637365/libre-opinion-peut-on-remplacer-i-woke-i-et-wokisme].
-
[12]
Perspective néo-libérale instrumentalisant l’université, l’intervention sociale et les individus massifiés en tant que clients, consommateurs ou usagers.
-
[13]
Terme apparu récemment.
-
[14]
Traduction libre.
-
[15]
[http://www.unisson06.org/dossiers/religion/ecrits_spirituels/grands_philosophes/socrate_maieutique.htm].
-
[16]
C’est l’approche québécoise développementale de la pensée critique.
-
[17]
Traduction libre.
-
[18]
Inspiré du terme « zone proximale de développement cognitif » (Vygotski dans Darnon et al., 2008, p. 30-31).
-
[19]
Dans certains cours, des espaces de réflexion sont découpés de l’espace public pour faciliter une compréhension réciproque entre étudiants, qui est plus nuancée et significative que celle basée sur une dichotomie fermée et polarisée.
-
[20]
« Règles de conduite professionnelle qui régissent l’exercice d’une profession ou d’une fonction et faisant état des devoirs, des obligations et des responsabilités auxquels sont soumis ceux qui l’exercent » [https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/terminologie_relations_professionnelles/code_de_deontologie.html].
-
[21]
[http://recifs.ca/].
-
[22]
Réflexion pour guider sa conduite vers ce qui correspond à un engagement personnel.
-
[23]
Terme de Le Moigne, 2007, p. 8.