Couverture de SDD_019

Article de revue

Vers une bonification de la réparation professionnelle et de l’autoréparation : l’expérience de deux personas propriétaires d’un réfrigérateur et d’un téléphone intelligent

Pages 180 à 205

Notes

  • [1]
    Bien que cette définition de la réparation ait été retenue dans le cadre de cet article, il en existe d’autres plus engagées dans la littérature. Denis et Pontille (2023) critiquent cette idée de la réparation comme simple réponse à un bris à un moment précis et l’incluent plutôt dans un ensemble d’activités qui forment la maintenance, un élément quotidien des relations entre les humains et les objets. De son côté, Jackson (2014) considère que la réparation est une source de conception et d’innovation technologiques.
  • [2]
    Unité de mesure utilisée pour comparer les émissions de divers GES sur la base de leur potentiel de réchauffement planétaire (PRP). Le PRP du CO2 est utilisé comme point de référence et équivaut donc à 1. L’émission d’éq. CO2 est ainsi obtenue en multipliant l’émission d’un GES par son PRP et, dans le cas d’un mélange de GES, elle est obtenue en additionnant les émissions d’éq. CO2 de chaque gaz. Par exemple, le PRP du méthane étant de 25, les émissions d’un million de tonnes métriques de méthane équivalent aux émissions de 25 millions de tonnes métriques de CO2 (Robin Matthews, 2018).
  • [3]
    Le reconditionnement est la remise d’un produit ou d’un composant à l’état neuf avec une garantie équivalente ou proche de celle du neuf (King et al., 2006). Le processus de reconditionnement complet comprend généralement la collecte, l’effacement des données (pour l’électronique), la mise à niveau, la réparation pour la fonctionnalité et, ensuite, les retouches d’ordre esthétique (Oakdene Hollins et Dillon, 2021).
  • [4]
    Une nouvelle loi adoptée le 3 octobre 2023 au Québec vient modifier la Loi sur la protection du consommateur et donnera des protections supplémentaires aux consommateurs et consommatrices en matière d’entretien et de réparabilité. L’entrée en vigueur de ces dispositions n’est toutefois prévue que pour 2025 et 2026.
  • [5]
    Une organisation environnementale québécoise à but non lucratif visant à contribuer à l’émergence de solutions, à la transformation des normes sociales et à l’adoption de politiques publiques permettant de concrétiser de nouvelles façons de vivre sobres en carbone.
  • [6]
    Réalisée par Jocelyn Deshaies et Claudia Déméné, auteur et autrice de ce présent article.
  • [7]
    Échelle de 1 à 5 allant de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord ».
  • [8]
    L’étude du contenu du forum de réparation en ligne iFixit (Pozo Arcos et al., 2020) a démontré que plusieurs types de dysfonctionnement de réfrigérateurs nécessitent l’expertise d’un réparateur ou d’une réparatrice professionnel(le).
  • [9]
    Afin d’identifier les freins et leviers à la réparation, Laitala et al. (2021) ont mené un sondage en Norvège auprès de 1 196 consommateurs et consommatrices, révélant qu’une proportion relativement importante d’individus choisissaient l’autoréparation pour leur téléphone intelligent.
  • [10]
    Le diagnostic du problème pour un réfrigérateur qui ne refroidit plus peut être plus long et laborieux, car il se fait avec une approche par essais et erreurs. Une dizaine de causes de bris sont possibles pour ce type de symptômes liés au mauvais fonctionnement de l’appareil (Pozo Arcos et al., 2020).
  • [11]
    La décision de Peter de tout de même faire réparer son réfrigérateur peut s’expliquer par le fait qu’un gros électroménager est souvent considéré comme un outil de travail (« workhorse ») par son ou sa propriétaire et par l’important investissement financier fait lors de son achat (Magnier et Mugge, 2022).
  • [12]
    Une étude allemande basée sur des entrevues tenues auprès de 1 000 personnes a aussi soulevé ce manque de compétences et de connaissances comme obstacle à la réparation d’un téléphone intelligent (Jaeger-Erben et al., 2021).
  • [13]
    Quelques travaux nomment le mauvais fonctionnement de la batterie comme motif de remplacement d’un téléphone intelligent (Proske et al., 2016 ; Wieser et Tröger, 2018).
  • [14]
    Laitala et al. (2021) ont d’ailleurs démontré que le taux d’échec pour la réparation de réfrigérateurs était élevé.
  • [15]
    Par exemple, pour les téléphones intelligents, ces critères spécifiques concernent l’information sur la nature des mises à jour, l’assistance à distance sans frais et la possibilité de réinitialisation logicielle (République française, 2020).
  • [16]
    Seul l’indice de réparabilité est discuté plus en profondeur dans cet article, car l’indice de durabilité n’était pas encore entré en vigueur lors de l’écriture de cet article.
  • [17]
    Aucune augmentation dans la demande de réparation pour les appareils électroménagers n’a été constatée, ce qui peut toutefois s’expliquer par le fait que ces appareils sont couverts par la subvention depuis moins longtemps que les électroniques (Dalhammar et al., 2020).
  • [18]
    Le succès de cette initiative municipale a mené à l’adoption d’un bonus dans d’autres villes autrichiennes et, ensuite, d’un bonus à l’échelle nationale.
  • [19]
    Cette subvention française de même que les subventions autrichiennes sont liées aux répertoires de réparateurs et réparatrices présents sur ces territoires : pour avoir droit à la réduction de la facture, la ou le propriétaire du bien doit faire appel à une entreprise du répertoire.
  • [20]
    La mise en place du Fonds réparation en France était trop récente lors de l’écriture de cet article pour en connaître les retombées.

1 La production d’appareils électroménagers et électroniques (AEE) nécessite l’extraction d’une grande quantité et diversité de ressources naturelles. La fabrication d’un réfrigérateur demande l’équivalent de 30 à 43 fois sa masse finale en ressources et celle d’un téléphone intelligent requiert 600 fois sa masse en matériaux (ADEME et al., 2018). Une possible pénurie de métaux utilisés dans la fabrication des AEE, tels que les terres rares et le plomb, pourrait se faire ressentir dans les prochaines décennies (Graedel et al., 2015). L’extraction et la transformation des ressources naturelles émettent des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES). La production d’une télévision de 30 à 49 pouces émet autant de GES qu’une voiture ayant parcouru 1 277 kilomètres (EPA, 2022 ; HOP, 2021).

2 Dans les pays industrialisés, ces impacts environnementaux sont exacerbés par une consommation croissante d’AEE. Un sondage canadien mené en 2021 révélait que 91 % des Canadiennes et Canadiens avaient acheté au moins un AEE au cours des deux dernières années (Côté et Denoncourt, 2022). Dans le même ordre d’idées, un autre sondage réalisé en 2018 soulignait que 44 % avaient gardé leur ancien appareil électronique moins de trois ans, alors que ce pourcentage était de 30 % pour un électroménager (Girard et al., 2018). Du côté des technologies de l’information et de la communication, les téléphones intelligents sont utilisés en moyenne deux ans et les ordinateurs portables cinq ans (Belkhir et Elmeligi, 2018).

3 Lors de leur fin de vie, les AEE sont peu réutilisés ou recyclés dans les pays industrialisés (Côté et Denoncourt, 2022 ; Forti et al., 2020), créant ainsi une grande quantité de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). À l’échelle mondiale, les DEEE représentent 70 % des déchets dangereux dans les sites d’élimination (FMI, 2019), contaminant les nappes phréatiques du fait de la présence de métaux toxiques.

4 La réparation vise à remettre en état un produit endommagé, détérioré ou en panne (ADEME et Harris Interactive, 2020), en corrigeant un défaut précis [1] (King et al., 2006). En allongeant la durée de vie d’un produit, la réparation permet d’amortir ses impacts environnementaux sur l’ensemble des étapes du cycle de vie. Un ménage français qui prolonge d’un an la durée d’utilisation de 11 AEE évite l’émission de 184 kilogrammes d’équivalent de dioxyde de carbone (éq. CO2) [2] (ADEME, 2020), soit la quantité de GES émise par un aller-retour en avion entre Québec et Toronto (OACI, s.d.).

5 La réparation est également bénéfique sur les plans financier, économique et social. Un foyer qui répare ses AEE réduirait ses dépenses en achat d’appareils de 22 % par an (Proctor, 2023). Au Canada, le secteur de la réparation des AEE génère environ 1,42 milliard de dollars canadiens ($) annuellement (Oakdene Hollins et Dillon, 2021) et aurait le potentiel de créer entre 3,5 et 12 fois plus d’emplois que le recyclage, pour chaque tranche de 1 000 tonnes de matières traitées (Gaïa, 2021 ; RREUSE, 2021). Sur le plan sanitaire, la réparation présente moins de risques pour les travailleurs et travailleuses que le recyclage. Le démantèlement et le tri nécessaire des AEE en vue de leur recyclage exposent ces personnes aux substances toxiques, cancérigènes et considérées comme des perturbateurs endocriniens (Gravel et al., 2022).

6 Malgré ces nombreux bénéfices, la réparation demeure relativement impopulaire auprès des propriétaires d’AEE. En effet, seulement 18,6 % des Canadiennes et Canadiens font réparer leurs AEE brisés (Côté et Denoncourt, 2022). Dans ce contexte, cet article s’intéresse à la bonification de l’expérience des propriétaires d’AEE lors d’une réparation professionnelle, réalisée par un ou une spécialiste, et lors d’une autoréparation, soit une réparation effectuée par la ou le propriétaire à son domicile, grâce à des ressources sur le Web (p. ex. YouTube, IFixit) ou à l’intérieur d’ateliers ou d’événements de réparation avec l’aide de bénévoles spécialistes (p. ex. Repair Cafés) (Côté et Denoncourt, 2022).

7 L’originalité de cette étude repose sur la création de deux personas, des personnes fictives qui permettent aux designers de s’approprier l’expérience d’autrui sous l’angle d’un scénario d’expérience (Adlin et Pruitt, 2006). Les personas ont permis d’identifier quatre étapes vécues dans le processus de réparation ainsi que leurs obstacles associés. Parmi eux, ceux d’ordre technique (p. ex. produits indémontables en raison de pièces collées ou soudées) ont renforcé la perception d’irréparabilité chez leurs propriétaires, décourageant la réparation. Quelques solutions à mettre en place par l’industrie et les autorités politiques sont proposées pour bonifier l’expérience, dont un service de réparation et d’autoréparation sur les lieux d’achat, le prêt d’un AEE pendant la durée de la réparation et l’adoption d’un droit national à la réparation.

1. La réparation : une stratégie incontournable de l’économie circulaire permettant de défier l’obsolescence relative

8 La réparation fait partie des stratégies de l’économie circulaire. La figure 1 illustre les différentes stratégies de ce système économique de production, d’échange et de consommation visant à optimiser l’utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d’un bien. L’économie circulaire tente de réduire l’empreinte environnementale des activités de production et de consommation, tout en contribuant au bien-être individuel et collectif. (RECYC-QUÉBEC, 2022)

Fig. 1

Schéma de l’économie circulaire.

Schéma de l’économie circulaire.

(Institut EDDEC et RECYC-QUÉBEC, 2018)

9 La première stratégie circulaire consiste à « repenser » les modes de production en misant notamment sur l’écoconception, une approche visant à minimiser les impacts environnementaux potentiels de l’extraction des ressources jusqu’à la fin de vie d’un produit en intégrant la fabrication, le transport et l’utilisation. Certaines stratégies d’écoconception visent à favoriser la réparation par le biais de produits facilement démontables, le recours à des pièces détachées et outils standardisés accessibles, ainsi que par la modularité et mise à jour des appareils. Ces mesures concrètes peuvent être adoptées par les fabricants pour assurer la réparabilité et la durabilité des biens (Huang et al., 2016).

10 La deuxième stratégie du modèle économique circulaire vise à « optimiser » le produit, notamment par une utilisation plus fréquente et un prolongement de sa durée de vie, ce qui inclut la réparation. Un tel prolongement de la durée de vie d’un AEE permet d’éviter l’extraction de matières premières ainsi que l’utilisation d’énergie pour la production d’un nouveau bien. Également, la réparation retarde la production de DEEE et peut donner une nouvelle vie à certaines composantes d’un appareil en fin de vie, lorsque celles-ci sont réutilisées sur un autre bien (p. ex. réutiliser l’appareil photo ou l’écran réparés d’un téléphone intelligent).

11 Alors que l’économie circulaire fait désormais partie du cadre juridique français afin d’accélérer le changement des modèles de production et de consommation (Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et Ministère de la Transition énergétique, 2023), il semble actuellement complexe d’inscrire les AEE dans une économie circulaire. La gestion des AEE en fin de vie constitue un des principaux freins à la mise en place de boucles « fermées ». Leur recyclage mène plutôt à leur infrarecyclage, une pratique entraînant une baisse de qualité des matières au fil des cycles et à des boucles « ouvertes » avec des débouchés peu rentables. Au contraire, le suprarecyclage, qui permet à la matière recyclée d’être réutilisée à qualité égale ou supérieure à son usage précédent dans de nouveaux produits (Mc Donough et Braungart, 2012), est à ce jour une pratique utopique pour les AEE.

12 Dans un contexte d’infrarecyclage prédominant dans les pays industrialisés, la réparation reste une stratégie pertinente pour détourner les AEE de leur fin de vie prématurée, ou obsolescence relative, soit lorsque la cause de dépréciation par les propriétaires du produit n’est pas l’usure physique (Cooper, 2004).

13 L’obsolescence relative prend trois formes selon le motif de remplacement du produit :

  1. L’obsolescence technologique survient lors de la mise en marché de nouveaux produits aux performances supérieures, rendant les modèles précédents moins attrayants (ADEME et Harris Interactive, 2020 ; Mc-Collough, 2009). L’obsolescence logicielle, liée à l’indisponibilité ou au dysfonctionnement d’un logiciel, est une forme d’obsolescence technologique.
  2. L’obsolescence psychologique (ou esthétique) est liée aux qualités esthétiques d’un nouveau produit ou aux nouveaux et différents besoins des utilisateurs et utilisatrices, tel un changement de situation familiale (p. ex. naissance, déménagement) ou professionnelle (p. ex. nouvel emploi) (ADEME et Harris Interactive, 2020).
  3. L’obsolescence économique est liée aux coûts élevés d’utilisation, d’entretien ou de la réparation d’un produit par rapport à l’achat d’un nouveau produit (Déméné et Marchand, 2015).

14 À la lumière de cette brève recension des écrits, la réparation semble représenter à ce jour la meilleure option à promouvoir auprès des fabricants, des autorités politiques et des propriétaires d’AEE pour soutenir l’économie circulaire, défier l’obsolescence relative et prolonger la durée de vie des AEE. En matière de bénéfices environnementaux, la réparation d’un AEE est préférable à l’achat d’un nouveau bien (Bovea et al., 2020), au recyclage et au reconditionnement [3], car elle nécessite moins d’énergie, moins de ressources et la quasi-totalité des matériaux est conservée (King et al., 2006).

2. La réparation des AEE, une pratique impopulaire auprès des propriétaires, malgré le soutien des autorités politiques et l’existence d’initiatives citoyennes

15 Quelques études ont mis en lumière le faible recours à la réparation par les propriétaires d’AEE (ADEME et Harris Interactive, 2020 ; Girard et al., 2018 ; Côté et Denoncourt, 2022). Cette attitude est d’autant plus étonnante que les bris d’appareil arrivent fréquemment et rapidement : un sondage a évalué que, sur deux ans, 63 % des Canadiennes et Canadiens avaient rencontré une panne d’au moins un de leurs AEE et que l’âge moyen du bien lors du bris était de 2,6 ans seulement (Côté et Denoncourt, 2022). Deux études canadiennes réalisées en 2018 et 2021 ont constaté une baisse de 3,3 % de la réparation en quatre ans (Girard et al., 2018 ; Côté et Denoncourt, 2022). En France, 36 % des propriétaires réparent un bien brisé, alors que 54 % vont le remplacer (ADEME et Harris Interactive, 2020).

16 Pour encourager la réparation, autant chez les propriétaires que chez les fabricants, diverses stratégies réglementaires ont été adoptées. Un système de responsabilité élargie des producteurs (REP) fut instauré par l’Union européenne en 2003 et par le Canada en 2004.

La REP vise à soutenir l’écoconception. Elle a pour objectif de transférer la responsabilité matérielle ou financière des DEEE aux fabricants (RECYC-QUÉBEC, 2019). Au Canada, la REP pour les AEE est gérée par les gouvernements provinciaux (CCME, 2009). Neuf provinces ont des systèmes de REP pour les appareils électroniques et un seul système, au Québec, existe pour les appareils ménagers et de climatisation
(ARPE, 2014 ; RECYC-QUÉBEC, 2023).

17 Cependant, les systèmes de REP actuels pour les AEE ne fournissent pas d’incitatifs suffisants pour progresser vers les actions visant à réduire la quantité de déchets par l’encouragement à la conception de produits durables (Dalhammar et al., 2021). Bien que les programmes de REP soient censés soutenir les activités de recherche et de développement favorisant l’écoconception, ils agissent en réalité en aval du cycle de vie des produits. Par exemple, des critères de réemploi n’ont été inclus qu’en 2023 dans le système de REP québécois et ils ne sont pas contraignants (RECYC-QUÉBEC, 2019). Les objectifs de la REP québécoise visent surtout à soutenir des taux de récupération des appareils, ce qui ne signifie pas nécessairement leur recyclage, et encore moins leur réemploi ou leur réparation. Cette approche en « bout de chaîne » se concentre sur le traitement de la pollution (les DEEE) plutôt que la prévention en amont (minimiser la production des DEEE).

18 Également, certains gouvernements provinciaux au Canada, comme ceux du Québec et de la Colombie-Britannique, ont introduit des articles de loi visant à garantir que les biens aient une durée de vie « raisonnable » et que les pièces détachées soient accessibles en cas de réparation (p. ex. articles 38 et 39 de la Loi sur la protection du consommateur au Québec [4]). Cependant, la surveillance de l’application de ces dispositions légales étant insuffisante, elles semblent peu respectées.

19 En Europe, d’autres types de mesures ont été mises en place afin d’encourager la réparation. La Suède, l’Autriche ainsi qu’un État allemand offrent un crédit d’impôt ou une subvention couvrant une partie des frais de la réparation d’un appareil (Almén et al., 2021 ; Meyer, 2021). En France, un fonds national de réparation financé par les fabricants, par le biais de la REP, permet de faire baisser la facture de réparation des propriétaires d’AEE (Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et Ministère de la Transition énergétique, 2023). Depuis janvier 2021, les commerçants français doivent également afficher un indice de réparabilité sur certains AEE sous la forme d’une note variant entre 1 et 10 faisant état de la réparabilité de l’appareil selon cinq critères. En 2024, cet indice est amené à évoluer en indice de durabilité en intégrant deux nouveaux critères, la fiabilité (p. ex. résistance aux contraintes et à l’usure) et l’amélioration (p. ex. logiciels, matériels, etc.). Ces deux outils visent à mieux informer les consommateurs et consommatrices sur la réparabilité et la durabilité de leur AEE ainsi que sur l’existence de stratégies d’écoconception mises en place par les fabricants (Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et Ministère de la Transition énergétique, 2023). La France, quelques États américains et le Québec ont également introduit des lois obligeant les fabricants de certains appareils à rendre disponibles les pièces, outils ou informations (FTC, 2021 ; The New York State Senate, 2021 ; République française, 2023 ; Assemblée nationale du Québec, 2023). Par exemple, le Rhode Island exige que les pièces soient disponibles pendant au moins quatre ans après la dernière mise en vente du produit (FTC, 2021). Du côté des initiatives citoyennes, les cafés de réparation et les sites Web d’informations sur les méthodes de réparation gagnent en popularité.

20 Cependant, des freins à la réparation professionnelle et à l’autoréparation persistent. En effet, le bas prix d’acquisition de certains produits neufs par rapport aux coûts de la réparation demeure une limite importante. Les consommateurs et consommatrices choisissent la réparation si elle n’excède pas 18 à 33 % du prix du produit neuf (ADEME, 2021a ; Commission européenne et al., 2019 ; McCollough, 2007 ; Fachbach et al., 2022). L’utilisation d’outils, de quincailleries et de logiciels propriétaires par les fabricants (FTC, 2021 ; Svensson et al., 2018), l’arrêt de production de pièces détachées ou encore l’indisponibilité des manuels et schémas d’assemblage (Svensson-Höglund et al., 2020) constituent des freins supplémentaires rendant la réparation complexe pour les propriétaires.

21 Alors que les autorités politiques et les initiatives citoyennes tendent à soutenir infructueusement la réparation, comment bonifier l’expérience de réparation des AEE auprès de leurs propriétaires ?

3. Méthodologie d’élaboration des deux personas pour illustrer la réparation professionnelle et l’autoréparation

22 L’approche méthodologique utilisée s’inspire de la tradition qualitative ethnographique visant à observer, décrire et analyser la culture partagée d’un groupe d’individus dans leur environnement (Creswell, 2018). L’objectif est de documenter le processus vécu par les propriétaires d’AEE défectueux souhaitant faire réparer leur bien (réparation professionnelle) ou le réparer eux-mêmes (autoréparation). Deux personnes fictives (personas) ainsi que deux scénarios ont été créés à partir des résultats d’un sondage mené en 2021 par l’organisme Équiterre [5] pour évaluer les comportements des Canadiennes et Canadiens vis-à-vis de la réparation. À partir d’une revue de la littérature [6], quatre grandes sections constituaient le sondage : i) l’évaluation des achats, bris et pratiques de réparation des AEE ; ii) les perceptions et connaissances de la réparation, incluant les freins et motivations ; iii) le niveau d’appui à divers moyens pour faciliter la réparation et iv) les caractéristiques sociodémographiques des personnes sondées.

23 Le sondage, réalisé entre les 13 et 25 novembre 2021 auprès d’un échantillon aléatoire de 2 080 Canadiennes et Canadiens âgé(e)s de 18 ans et plus, était principalement composé de questions à choix multiples avec une gradation ordinale pour mesurer l’accord avec un énoncé [7] et de nature nominale avec des choix de réponse (p. ex. méthode de réparation choisie, disposition de l’appareil non réparé ou questions d’ordre sociodémographique). Quelques questions à court développement ont été posées pour indiquer, par exemple, le nombre d’années d’utilisation avant le bris ou la durée de vie raisonnable de l’appareil selon la personne sondée.

24 Comme tout outil de collecte des données, le sondage présente certaines limites. D’abord, le questionnaire ne contenait que des questions fermées, ne permettant pas d’explorer les comportements en profondeur. Des possibilités de choix de réponse ont également pu être oubliées (Durand et Blais, 2016). Ensuite, les réponses ont pu être influencées par des changements dans les habitudes de consommation dus à la pandémie de COVID-19, par exemple, les comportements d’achat ou les dépenses des ménages. Également, un biais de désirabilité sociale peut s’être manifesté dans les variables mesurant les comportements d’achat et d’entretien des AEE (Grimm, 2010 ; Vesely et Klöckner, 2020). Enfin, lors de l’analyse des résultats, aucun croisement entre diverses variables n’a été effectué. Seules des analyses univariées ont été réalisées,soit le pourcentage de répondantes et répondants ayant acheté un ou des AEE dans les deux dernières années, le pour-centage ayant fait réparer leur appareil, etc.

25 Les résultats de ce sondage ont permis d’identifier les appareils présentant le plus de bris, les comportements en matière de réparation professionnelle et d’autoréparation, ainsi que les principaux obstacles et leviers à ces pratiques. C’est à partir des données du sondage qu’il a été possible d’élaborer deux personas, soit des représentations précises et concrètes des utilisateurs et utilisatrices cibles (Adlin et Pruitt, 2006). Plus spécifiquement, les données comme le sexe, l’âge, le statut professionnel, la situation familiale et les études ont été regroupées pour bâtir les deux profils sociodémographiques représentatifs. Ensuite, les réponses obtenues au sondage ont été classifiées de façon à relever les similitudes et les répétitions dans le but de comprendre les valeurs, les croyances et les motivations en lien avec l’expérience de réparation professionnelle et d’autoréparation des utilisateurs et des utilisatrices. Les personas de cet article présentés dans le tableau 1 ne représentent que les individus ayant participé au sondage réalisé dans le cadre de l’étude d’Équiterre sur l’accès à la réparation au Canada (Côté et Denoncourt, 2022).

Tableau 1

Personas conçus sur la base des résultats d’un sondage canadien

Peter a 64 ans et vit en Ontario. Il est célibataire et n’a pas d’enfants. Il possède un diplôme universitaire et est retraité. Son réfrigérateur qu’il possédait depuis cinq ans a cessé de refroidir.Annie, 24 ans, vit au Québec, en couple et n’a pas d’enfants. Elle possède un diplôme universitaire et travaille à temps plein. Son téléphone intelligent, qu’elle avait acheté il y a deux ans, s’éteint constamment et de manière imprévisible.

Personas conçus sur la base des résultats d’un sondage canadien

* Source: Les images ont été réalisées à l’aide de l’intelligence artificielle d’Adobe Firefly.
(Côté et Denoncourt, 2022)

26 Ces deux personas ont été complétés par deux scénarios, également bâtis à partir des réponses du sondage. Un scénario est une histoire qui permet de mettre en évidence ce que les individus essaient de faire avec un système ou un produit, les procédures adoptées ou non, exécutées avec succès ou par erreur et les interprétations de ces personnes (Carroll, 2003). Un scénario comprend des agents ainsi qu’une intrigue, soit une séquence d’actions et d’événements initiés par les agents ou subis par ces derniers.

27 Ces scénarios ont permis de découper en étapes le processus de réparation professionnelle et d’autoréparation, dans le but de bien présenter les différents obstacles vécus par les personas. Quatre étapes ont été retenues, car pour chacune d’entre elles, au moins un obstacle était lié au geste posé. Ainsi, ces deux scénarios permettent d’illustrer et de faire vivre l’expérience des personas dans un environnement crédible (Erlhoff et Marshall, 2008).

4. Les quatre étapes du processus de réparation professionnelle et d’autoréparation des AEE et leurs obstacles associés

28 Le principal résultat de l’étude met en lumière l’importance de rendre la réparation aussi accessible et facile que l’achat d’un nouvel AEE. En effet, la réparation professionnelle et l’autoréparation demandent davantage d’efforts et de volonté de la part des propriétaires d’AEE que l’achat d’un bien, en raison du temps, des ressources financières et d’autres obstacles (p. ex. manque de confiance envers la réparation et indisponibilité des pièces).

Les quatre étapes identifiées dans le processus de réparation d’un AEE sont 1) la recherche d’un service de réparation ou d’informations pour l’autoréparation ; 2) le diagnostic ou l’autodiagnostic du produit ; 3) la commande des éléments nécessaires (p. ex. les manuels et les schémas d’assemblage, l’outillage spécifique, les pièces détachées, etc.), et 4) la tentative de réparation ou d’autoréparation.

29 L’expérience de réparation d’AEE présentée dans cet article est hors garantie, car les propriétaires d’un produit défectueux couvert par une garantie se tournent généralement vers le fabricant ou le commerçant pour obtenir une réparation ou, le plus souvent, le remplacement de leur produit.

30 Même si Peter et Annie ont choisi la réparation, lors du bris de leur appareil respectif, ces deux personnes ont pensé que leur bien était irréparable. D’ailleurs, comme a pu le mettre en évidence le sondage, 69,8 % des Canadiennes et Canadiens croient que les biens sont de plus en plus irréparables. Cependant, possédant leur appareil depuis peu de temps, soit depuis cinq et deux ans respectivement, Peter et Annie ont décidé de tenter de le réparer.

4.1. La recherche d’un service de réparation ou d’informations pour l’autoréparation

31 Peter a choisi la réparation professionnelle, car la réparation de son réfrigérateur lui apparaissait hors de sa portée [8]. La première étape qu’il devra entreprendre est la recherche d’un ou d’une spécialiste pour réparer son bien. Toutefois, Peter ne sait pas où trouver ce service, tout comme un peu plus du tiers (37,2 %) des répondantes et répondants au sondage canadien. En plus, habitant dans une région éloignée, il croit qu’aucun service de réparation n’existe à proximité, comme 40,7 % des individus ayant répondu au sondage. Néanmoins, grâce à une recherche en ligne, Peter est parvenu à trouver un réparateur qui se déplacera à son domicile. Toutefois, ces démarches lui ont pris plus de temps et d’efforts que s’il s’était tourné vers l’achat d’un nouveau réfrigérateur. Peter éprouve également un certain manque de confiance envers les services de réparation qu’il juge peu professionnels. Près d’un quart (24,1 %) des répondantes et répondants est du même avis.

32 De son côté, Annie a choisi de réparer son téléphone elle-même [9]. L’obtention d’informations sur les manuels, les schémas d’assemblage de son téléphone et les pièces qui le composent est plus difficile que prévu. Elle ne retrouve pas toutes les informations dont elle a besoin sur le site Web du fabricant, comme elle l’aurait cru. Ses recherches sont donc plus longues et laborieuses que ce qu’elle avait anticipé, mais elle arrive à trouver certaines informations sur un forum en ligne alimenté par des individus pratiquant l’autoréparation. Plusieurs répondantes et répondants (34,4 %) au sondage sont en accord avec le fait que ces informations nécessaires à la réparation sont difficiles à trouver.

4.2. Le diagnostic ou l’autodiagnostic du produit

33 La seconde étape vécue par Peter et Annie est le diagnostic du problème de leur appareil. Peter est inquiet des coûts de réparation éventuels de son réfrigérateur, car ne connaissant pas le problème, il est incertain des frais à débourser [10]. Près de 6 personnes sur 10 (59,1 %) sont en accord avec le fait qu’il y a un manque de transparence sur le coût de la réparation. Avant même d’obtenir la raison du bris, Peter appréhende des coûts élevés de réparation dus au diagnostic, au salaire du réparateur et au prix des pièces détachées à changer. En plus, le réparateur l’a informé que les frais du diagnostic ne lui seront pas remboursés, peu importe si l’appareil est réparé ou non. Une majorité (59,6 %) des individus sondés est d’avis que le coût de la réparation est trop élevé par rapport à l’achat d’un appareil neuf. Peter se demande s’il n’aurait pas été financièrement plus avantageux d’investir dans un réfrigérateur neuf plutôt que de réparer le sien. Près de la moitié de la population sondée (46,8 %) partage son avis. Les coûts de la réparation dans les pays industrialisés (p. ex. salaires et pièces détachées) sont peu compétitifs par rapport à l’achat d’un AEE neuf en raison des bas coûts de production, pour laquelle la main-d’œuvre est délocalisée (Šajn, 2019). L’achat d’un nouvel appareil peut donc sembler plus attrayant que la réparation, même si ce nouveau bien pourrait devoir être remplacé plus souvent sur le long terme, engendrant davantage de dépenses. [11]

34 De son côté, Annie éprouve un manque de connaissances et de compétences pour démonter son téléphone et trouver le problème [12], malgré quelques informations trouvées en ligne. Une majorité de Canadiennes et Canadiens sondé(e)s (62,9 %) ont affirmé ne pas posséder les connaissances suffisantes pour l’autoréparation.

4.3. La commande des éléments nécessaires à la réparation et l’autoréparation

35 Lors du diagnostic de son réfrigérateur, le réparateur contacté par Peter lui a appris que l’appareil ne refroidissait plus en raison d’un dysfonctionnement de la carte de circuit imprimé. Il devra en commander une nouvelle pour la remplacer. (Pozo Arcos et al., 2020) À la suite de ses recherches, Annie a conclu qu’elle devait remplacer la batterie de son téléphone [13] et qu’elle aurait besoin d’un tournevis spécifique, car ceux qu’elle possède ne lui permettent pas de la retirer.

36 Peter et Annie s’inquiètent de la disponibilité de ces éléments, puisque les fabricants ne sont pas toujours en mesure de les produire, cessent parfois de les fabriquer ou n’y donnent pas accès sous couvert de brevets (Svensson-Höglund et al., 2020). D’ailleurs, 41,9 % de la population canadienne sondée est d’avis que les outils physiques ou logiciels ne sont pas disponibles. De plus, trouver l’information sur la disponibilité de ces éléments s’avère ardu pour le réparateur engagé par Peter, mais surtout pour Annie qui n’a pas accès aux mêmes réseaux que ce dernier. Près de 6 personnes sondées sur 10 (58,4 %) sont d’avis que les pièces détachées sont difficiles à trouver.

37 Peter et Annie sont également préoccupé(e)s par le prix de ces éléments. Pour Peter, le prix de la nouvelle pièce s’ajoute aux frais de diagnostic qu’il a déjà payés ainsi qu’aux frais futurs liés à la main-d’œuvre lors de la réparation. Annie est également craintive d’un prix potentiellement élevé, même s’il s’agit de sa seule dépense, car elle n’a pas la certitude qu’elle réussira elle-même à réparer son téléphone. Une majorité de personnes (64,7 %) croit que les pièces détachées sont trop chères.

38 Comme l’appréhendait Peter, le réparateur l’informe que la carte de circuit imprimé nécessaire est indisponible puisque le fabricant ne la produit plus. De son côté, Annie a réussi à trouver les éléments voulus pour remplacer la batterie de son téléphone intelligent elle-même. Cependant, le temps d’attente pour recevoir la nouvelle batterie et le tournevis l’incommode, car elle ne pourra plus se servir de son appareil qu’elle utilise quotidiennement. Les délais de livraison, n’étant pas réglementés, peuvent être longs. Le sondage révèle que 42,5 % des individus croient que les délais de réparation sont trop longs.

4.4. La tentative de réparation ou d’autoréparation

39 Après la commande des pièces détachées et outils nécessaires, la réparation peut être effectuée.

40 Toutefois, la courte durée de la garantie sur la réparation professionnelle et l’absence de garantie pour l’autoréparation sont des freins importants. Avant de savoir que son réfrigérateur ne pourrait pas être réparé, Peter était inquiet de la garantie offerte par le réparateur. Bien qu’une garantie puisse exister sur une réparation professionnelle (p. ex. une garantie de trois mois au Québec pour les réparations de plus de 50 $), Peter la trouvait moins intéressante que celle offerte à l’achat d’un nouvel appareil (p. ex. six mois minimum). Annie est préoccupée par le fait qu’elle n’aura aucune garantie sur la réparation qu’elle réalise elle-même. Ce frein lié à la garantie sur la réparation est nommé par 56,7 % des répondantes et répondants. Annie risque même de perdre la garantie du fabricant sur son appareil, car plusieurs l’annulent si une réparation a été effectuée par une personne non agréée (FTC, 2021). Le manque de savoir-faire, pour Annie, peut également se faire sentir à cette étape où elle doit changer la batterie défectueuse. Néanmoins, l’autoréparation de son téléphone s’avère fructueuse. De son côté, Peter n’a pas pu faire réparer son réfrigérateur en raison de l’indisponibilité de la pièce nécessaire [14].

41 Il s’est donc tourné vers l’achat d’un nouvel appareil et son ancien réfrigérateur a été repris et envoyé au recyclage par le réparateur.

42 Le tableau 2 reprend les résultats du sondage canadien (Côté et Denon-court, 2022).

Tableau 2

Pourcentage d’accord avec divers freins à la réparation selon un sondage canadien mené en 2021.

FREINS À LA RÉPARATIONRÉPONDANT(E)S EN ACCORD
▾ ÉTAPE 1 - RECHERCHE d’un service de réparation et d’informations pour l’autoréparation
Ne pas savoir où trouver un service de réparation37,2 %
Aucun service de réparation à proximité accessible40,7 %
Manque de professionnalisme des services de réparation24,1 %
Difficultés à trouver les informations nécessaires à la réparation et à l’autoréparation34,4 %
▾ ÉTAPE 2 - DIAGNOSTIC ou AUTODIAGNOSTIC du produit
Manque de transparence sur le coût de la réparation59,1 %
Coût de la réparation trop élevé par rapport à l’achat d’un appareil neuf59,6 %
Avantage financier plus grand d’acheter un appareil neuf que de réparer l’ancien46,8 %
Connaissances insuffisantes pour réparer l’appareil soi-même62,9 %
▾ ÉTAPE 3 - COMMANDE des éléments nécessaires** à la réparation et l’autoréparation
Indisponibilité des outils (physiques ou logiciels)41,9%
Difficulté à trouver les pièces détachées58,4 %
Coût trop élevé des pièces détachées64,7 %
Délais de réparation trop longs42,5 %
▾ ÉTAPE 4 - Tentative de RÉPARATION ou d’AUTORÉPARATION
Absence d’une réelle garantie sur le travail réalisé56,7 %

Pourcentage d’accord avec divers freins à la réparation selon un sondage canadien mené en 2021.

(Côté et Denoncourt, 2022)

43 Les obstacles à la réparation professionnelle et à l’autoréparation sont présents à toutes les étapes du processus, expliquant en partie l’impopularité de ces pratiques. L’identification des étapes du processus de réparation a permis de confirmer les obstacles connus dans la littérature, comme la difficulté à trouver un service, le manque d’informations (FTC, 2021 ; Hernandez et al., 2020 ; Parlement européen, 2017), le manque de confiance envers la réparation professionnelle (Scott et Weaver, 2015), les longs délais de réparation (ADEME et Harris Interactive, 2020 ; McCollough, 2009), l’indisponibilité des pièces détachées ou la complexité à ouvrir l’appareil (ADEME, Philgea et Moringa, 2016 ; Hernandez et al., 2020 ; Lefebvre et al., 2018 ; Svensson et al., 2018) et les coûts de la réparation (ADEME et Harris Interactive, 2020 ; McCollough, 2009 ; Šajn, 2019). Les personas ont permis de révéler que certains obstacles techniques, tels que l’indisponibilité des pièces détachées (le cas de Peter) ou la complexité à ouvrir un produit pour changer le composant endommagé, comme dans le cas d’Annie, ont renforcé la perception d’irréparabilité des AEE chez leurs propriétaires. Ce frein psychologique exacerbe la fin de vie prématurée des AEE en minimisant les chances de les faire diagnostiquer. Le sondage canadien révèle que 61,2 % des individus ayant vécu un bris d’un de leurs appareils n’avaient pas pensé à le faire réparer.

44 Le tableau 3 résume les freins rencontrés par Peter et Annie à chaque étape du processus de réparation de leur appareil respectif.

Tableau 3

Expérience de réparation professionnelle et d’autoréparation de deux personas conçus sur la base des résultats d’un sondage canadien

▾ ÉTAPE 1 - RECHERCHE d’un service de réparation et d’informations pour l’autoréparation
Peter a choisi la réparation professionnelle, car l’autoréparation de son réfrigérateur lui apparaissait hors de sa portée, mais il ne sait pas où trouver un tel service. Habitant hors d’un grand centre urbain, il croit que très peu de services de réparation existent à proximité de son domicile. Grâce à des recherches en ligne chronophages, il est parvenu à trouver un réparateur dans sa région. Alors que Peter est motivé à faire réparer son réfrigérateur, il ressent un manque de confiance envers les services de réparation l’amenant à penser à l’achat d’un nouvel AEE.Annie a choisi de réparer son téléphone elle-même. L’obtention d’informations sur les manuels, les schémas d’assemblage et les pièces détachées de son téléphone est plus difficile que prévu. Elle ne retrouve pas toutes les informations dont elle a besoin sur le site Web du fabricant comme elle l’aurait souhaité. Ses recherches sont longues et laborieuses.
▾ ÉTAPE 2 - DIAGNOSTIC ou AUTODIAGNOSTIC du produit
Avant de connaître la raison du bris, Peter appréhende des coûts élevés de réparation qui vont inclure ceux du diagnostic, ceux de la main-d’œuvre du réparateur et, potentiellement, ceux des pièces détachées à changer. En plus, le réparateur l’a informé que le coût du diagnostic ne lui sera pas remboursé, peu importe si l’appareil est réparé ou non. Peter se demande si, à long terme, il n’aurait pas été financièrement plus avantageux d’acheter un réfrigérateur neuf que de réparer celui-ci.Annie éprouve un manque de connaissances et de compétences pour diagnostiquer le problème de son téléphone elle-même. Elle craint que son manque de savoir-faire l’empêche de démonter son téléphone et de trouver le problème, malgré des tutoriels en ligne (ex. IFixit) qui la guident dans les étapes de l’autoréparation.
▾ ÉTAPE 3 - COMMANDE des éléments nécessaires** à la réparation et l’autoréparation
Le réparateur a conclu qu’une pièce dans son réfrigérateur était défectueuse et qu’il fallait la commander. Peter s’inquiète de la disponibilité de cette pièce détachée et du temps pour la recevoir. Pour le réparateur, trouver l’information sur la disponibilité de ces éléments s’avère ardu. Comme l’appréhendait Peter, le réparateur l’informe que la pièce désirée est indisponible, car le fabricant ne la produit plus.Les recherches d’Annie lui ont permis de conclure que la batterie de son téléphone devait être remplacée. Annie a également découvert qu’elle aura besoin d’un tournevis spécifique pour ouvrir son téléphone. Elle se sent aussi préoccupée par le prix de la batterie à remplacer et de l’outil. Même s’il s’agit de sa seule dépense, elle n’a pas la certitude qu’elle réussira elle-même à réparer son téléphone intelligent. Annie a réussi à commander en ligne les éléments voulus, mais le temps d’attente pour recevoir ces deux éléments l’incommode, car elle ne pourra plus se servir de son appareil qu’elle utilise quotidiennement.
▾ ÉTAPE 4 - Tentative de RÉPARATION ou d’AUTORÉPARATION
Si la commande de la pièce détachée avait été possible, la réparation aurait pu être effectuée. Toutefois, l’absence d’une réelle garantie sur la réparation était également un frein important pour Peter. Bien qu’une garantie puisse exister sur une réparation proies sionnelle (ex. garantie de trois mois au Québec pour les réparations de plus de 50 $), Peter la trouvait moins intéressante que celle offerte à l’achat d’un nouvel appareil. Peter n’a pas pu faire réparer son réfrigérateur en raison de la pièce détachée manquante. Il s’est donc tourné vers l’achat d’un nouvel appareil et son ancien réfrigérateur a été repris par le réparateur qui l’a envoyé au recyclage.Annie est préoccupée par le fait qu’elle n’aura aucune garantie sur sa réparation puisqu’elle la réalise elle-même. La garantie du fabri-cant de son appareil pourrait être annulée puisqu’Annie n’est pas agréée pour le réparer. Son manque de savoir-faire peut également se faire sentir à cette étape. Elle doit changer la pièce défectueuse en étant guidée par un tutoriel dont les étapes paraissent simples en apparence, mais sont plus complexes à mettre en pratique, Néanmoins, l’autoréparation de son téléphone s’avère fructueuse.

Expérience de réparation professionnelle et d’autoréparation de deux personas conçus sur la base des résultats d’un sondage canadien

* Source: Les images ont été réalisées à l’aide de l’intelligence artificielle d’Adobe Firefly.
** Les éléments incluent, entre autres, les pièces détachées, outils, manuels de réparation, schémas du produit et logiciels.
Quatre étapes du processus de réparation profession-nelle et d’auto-réparation
Personas*
(Côté et Denoncourt, 2022)

5. Vers une bonification de l’expérience de réparation pour les propriétaires d’AEE

45 L’identification des obstacles à la réparation permet d’envisager des avenues à explorer pour améliorer l’expérience des propriétaires. Peter et Annie sont d’avis que plusieurs mesures pourraient être implantées par l’industrie et les autorités politiques pour encourager et favoriser la réparation. Les fabricants et commerçants pourraient favoriser cette pratique dans leurs propres réseaux, notamment en offrant un service de réparation et d’autoréparation sur les lieux d’achat ainsi qu’un service de prêt d’AEE si le délai de réparation excède 48 heures. De façon complémentaire, les autorités politiques des pays industrialisés peuvent instaurer une variété de mesures pour bonifier l’expérience des propriétaires, afin de leur assurer un droit à la réparation. Un tel droit garantit que les objets sont réparables et que la réparation peut être effectuée dans un court délai, à un prix raisonnable et par tout service de réparation (Côté et Denoncourt, 2022 ; Svensson et al., 2018). Les prochaines sections présentent certains de ces leviers et la manière dont ils faciliteraient l’expérience de réparation de Peter et d’Annie, ainsi que des initiatives existantes.

5.1. Des initiatives à mettre en place par l’industrie

46 L’industrie a son rôle à jouer pour encourager la réparation au sein de ses propres canaux. Annie souhaite que les fabricants assurent une meilleure qualité de leurs produits, diminuant ainsi les chances de bris et facilitant la réparation, le cas échéant. Quelques fabricants sont déjà sur la voie de l’écoconception. Le Groupe SEB assure la réparabilité de ses électroménagers pendant 15 ans, l’entreprise Fairphone fabrique des téléphones intelligents facilement démontables et Framework produit des ordinateurs portables modulaires (Fairphone, 2022 ; Framework, 2023 ; Le Groupe SEB, s.d.).

47 Peter croit qu’un service de réparation ou d’autoréparation sur le lieu d’achat est une initiative à explorer pour encourager la réparation. La possibilité de retourner chez le commerçant ou le fabricant, même sans garantie, pour le faire diagnostiquer, réparer ou pour obtenir des conseils pour le réparer soi-même lui aurait épargné beaucoup de temps et d’efforts à chercher un service de réparation. Le Groupe SEB répond à cette difficulté de trouver un service de réparation, car il possède un réseau de plus de 6 500 spécialistes à travers le monde (Errante, 2018). Cette offre de conseils et d’informations pour l’autoréparation sur le lieu d’achat aurait permis à Annie de trouver facilement et rapidement les éléments dont elle avait besoin, en plus de diminuer ses craintes concernant son manque de savoir-faire. Framework et Fairphone s’engagent dans cette voie en offrant des forums et des tutoriels sur leur site Web, qui permettent d’apprendre à démonter l’appareil et à remplacer une pièce détachée (Framework, 2023 ; Fairphone, 2022). De telles initiatives font en sorte que la réparation devient aussi accessible et facile que l’achat.

48 Peter souhaiterait également que l’industrie offre des prix de réparation plus bas. Le Groupe SEB s’engage à ce que le prix de chaque pièce détachée ne dépasse pas 50 % du prix du bien neuf. La compagnie offre également des forfaits de réparation à prix fixe par produit, soit moins d’un tiers du prix du produit, peu importe le bris, qui couvrent les pièces détachées et la main-d’œuvre (Le Groupe SEB, 2016 ; Trochon, 2021). Avec de tels engagements, Peter aurait connu à l’avance le prix de la réparation de son réfrigérateur. Il est également d’avis que la garantie de la réparation doit reposer sur les épaules de l’industrie, ce qu’assure Le Groupe SEB avec une garantie de six mois (Le Groupe SEB, s.d.).

49 Framework, Fairphone et Le Groupe SEB garantissent également la disponibilité des pièces détachées pendant un nombre minimal d’années, ce qui aurait permis à Peter d’avoir accès à la pièce requise pour réparer son électroménager. Le Groupe SEB assure même qu’elles soient livrées dans un délai de 24 à 48 heures (Cordella, Alferi et Sanfelix, 2019), ce qu’aurait aimé Annie pour retrouver rapidement l’usage de son téléphone. Cette dernière croit qu’en cas de délais d’attente, au-delà de 48 heures par exemple, un système de prêt d’un produit équivalent est une solution à mettre en œuvre par les fabricants et commerçants, afin de rendre l’attente acceptable pour les propriétaires. Ce modèle est déjà appliqué dans le secteur de l’automobile, alors que certaines assurances automobiles ou des concessionnaires offrent un véhicule de remplacement pendant la réparation.

5.2. Des mesures à développer par les autorités politiques

50 Afin d’assurer un droit à la réparation, les autorités politiques ont le pouvoir de mettre en place des mesures variées permettant de lever certaines barrières à la réparation pour les propriétaires d’AEE. Annie croit que davantage d’informations sur la réparation et la conception des appareils devraient être disponibles à l’achat. L’indice de réparabilité français en vigueur depuis janvier 2021 et sa transformation en un indice de durabilité est un bon exemple selon elle.

Depuis 2021, l’indice de réparabilité en France doit être obligatoirement affiché au point de vente pour neuf catégories d’AEE. Il prend la forme d’une note sur 10 calculée selon cinq critères : la disponibilité de la documentation, la disponibilité des pièces détachées, le prix de ces pièces, la démontabilité du produit et un dernier critère spécifique à chaque catégorie de produit [15] ciblé.

51 Ces indices visent à aider les Français et Françaises à faire un choix plus éclairé à l’achat et à encourager l’industrie à adopter des pratiques d’écoconception. Ils permettent ainsi de défier le premier frein vécu par Peter et Annie, soit la croyance selon laquelle les AEE sont irréparables. Un tel indice aurait aussi pu inciter le fabricant du réfrigérateur de Peter à mettre à disposition la carte de circuit imprimé indispensable au fonctionnement du réfrigérateur. Un sondage révèle que près de la moitié de la population française connaît bien l’indice de réparabilité et que ce chiffre a augmenté au cours des premiers mois de son existence (ADEME, 2021b).

52 Toutefois, des améliorations sont à apporter à cet indice [16] afin de garantir son efficacité. La note est calculée directement par le fabricant, risquant ainsi une surévaluation. Également, la pondération des critères est inadéquate, car chacun vaut pour 20 % de la note alors que certains sont plus importants pour assurer la réparabilité du produit (p. ex. la disponibilité et le prix des pièces détachées) (UFCQue choisir, 2021).

53 Pour faciliter la recherche d’un service professionnel, Peter croit qu’un répertoire de réparateurs et réparatrices est une solution intéressante. Les villes autrichiennes de Graz et de Vienne possèdent des répertoires en ligne qui présentent des entreprises répondant à des critères précis, dont la transparence des coûts, le remboursement des frais du diagnostic si la réparation a lieu, la coopération avec les autres membres, notamment pour l’acquisition de pièces détachées ainsi que la récolte des commentaires de la clientèle (Lechner et al., 2021). Le niveau de confiance de la population de Graz envers ce réseau est d’ailleurs très élevé (Fachbach, 2020). Ces répertoires permettent de répondre à plus d’un frein à la réparation rencontré par Peter et Annie : la difficulté de trouver un service, le manque de confiance, l’incertitude du coût et l’indisponibilité des pièces détachées. La France a également mis sur pied un répertoire en ligne pour lequel l’offre d’une garantie de trois mois sur la réparation est un des critères (Ecosystem, 2022 ; Label QualiRépar, s.d.).

54 Pour diminuer les coûts de réparation, Annie est favorable à des incitatifs financiers. En Suède, une déduction d’impôts de 50 % du coût de la main-d’œuvre est offerte pour la réparation d’un AEE (Dalhammar et al., 2020). L’Office national d’audit suédois (2020) a constaté qu’au fil des ans, le nombre de demandes pour cette déduction a considérablement augmenté [17] : « Since its introduction, the number of people being allowed the deduction and the total amount of the deduction has increased considerably. » (p. 1). Une hausse dans la demande de réparation pour les appareils électroniques a également été notée (Dalhammar et al., 2020).

55 En 2016, la Ville de Graz a été la première en Europe à offrir une subvention à la réparation à la population : 50 % des frais sont assumés par la municipalité. Les compagnies admissibles estiment que la fraction des réparations induite uniquement en raison de cette mesure financière atteint 24 %. Une compagnie qui opère à la fois dans la Ville de Graz et à l’extérieur de celle-ci a observé une augmentation de la demande [18] de 33 % au sein de la municipalité et une diminution de 7 % hors de la ville (Lechner et al., 2021). De plus, la plupart des citoyennes et citoyens connaissent la subvention (Fachbach, 2020). Cette mesure aurait été particulièrement intéressante pour Peter pour qui la réparation était chère (Piringer et Schanda, 2020). Depuis 2021, l’État allemand de Thuringe offre aussi une subvention remboursant 50 % de la facture. Les entreprises de réparation de téléphones intelligents ont remarqué une hausse de la demande depuis l’introduction de cette subvention (Ganapini, 2023).

56 Par le biais de la Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) adoptée en 2020, la France a créé le Fonds réparation qui permet de réduire la facture de réparation [19]. Financé par la REP, ce fonds [20] vise aussi à encourager les fabricants à l’écoconception puisque les frais payés par ces derniers sont modulés en fonction de différents critères, dont la réparabilité (Micheaux et Aggeri, 2021). Enfin, la directive européenne 2009/125/CE établissant des exigences en matière d’écoconception exige un « prix raisonnable et proportionné » pour les manuels de réparation (Commission européenne, 2019). L’instauration de tels mécanismes réglementaires permettant de réduire les coûts de réparation constitue un élément central d’un droit à la réparation.

57 Pour faciliter la commande de pièces détachées, Peter soutient qu’elles devraient être accessibles pendant un minimum d’années, ce que pourrait également assurer un droit à la réparation. Depuis les modifications de la directive 2009/125/ CE en 2021 et 2023, l’Union européenne oblige la disponibilité des pièces de certains appareils pendant 7 ou 10 ans, selon le produit, après la mise en marché de la dernière unité du produit. De la même manière, pour certains AEE, la loi française AGEC stipule que les pièces détachées doivent être disponibles pendant un minimum de cinq ans (Protection des consommateurs en Europe, 2023). Aux États-Unis, cinq États ont des exigences similaires quant à la disponibilité des pièces détachées pour les AEE (FTC, 2021 ; The New York State Senate, 2021 ; California Legislative Information, 2023 ; Minnesota Legislature, 2023a ; Minnesota Legislature, 2023b). De telles mesures auraient permis à Peter d’obtenir la carte de circuit imprimé de son réfrigérateur. Les exigences d’écoconception européennes auraient aussi aidé Annie, car elles demandent que les pièces détachées puissent être changées avec des outils classiques (Protection des consommateurs en Europe, 2023). Les modifications à la Loi sur la protection du consommateur du Québec adoptées en 2023 prévoient une durée minimale obligatoire pour la fourniture de pièces détachées et une obligation selon laquelle les pièces de rechange doivent pouvoir être installées à l’aide « d’outils couramment disponibles » (Assemblée nationale du Québec, 2023).

58 Annie croit également que les autorités politiques pourraient intervenir pour limiter les délais de livraison des éléments nécessaires, permettant de retrouver l’usage de son bien le plus rapidement possible. Les législations française et européenne requièrent une livraison dans un délai de 5, 10 ou 15 jours, selon le produit. Les modifications à la Loi sur la protection du consommateur du Québec prévoient de limiter les délais de livraison des pièces. Peter aimerait une législation qui assure une meilleure garantie minimale sur la réparation. La loi française AGEC stipule qu’un produit qui fait l’objet d’une réparation dans les deux ans suivant l’achat bénéficie d’un allongement de six mois de la garantie légale (Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et Ministère de la Transition énergétique, 2023).

59 Toutes ces dernières obligations font partie d’un droit à la réparation que pourraient assurer les autorités politiques des pays industrialisés afin de lever les barrières à la réparation pour les consommateurs et consommatrices.

60 Le tableau 4 présente les quatre étapes du processus de réparation professionnelle et d’autoréparation ainsi que les freins vécus par Peter et Annie, et les leviers qui faciliteraient leur expérience.

Tableau 4

Les freins et les leviers du processus de réparation professionnelle et d’autoréparation

Les freins et les leviers du processus de réparation professionnelle et d’autoréparation

Conclusion

61 Pour répondre à la question de recherche suivante : « Comment bonifier l’expérience de réparation des AEE auprès de leurs propriétaires ? », cette étude met en lumière l’importance de rendre la réparation professionnelle et l’autoréparation aussi accessibles et faciles que l’achat d’un nouvel AEE. Grâce à deux personas et scénarios développés sur la base d’un sondage canadien réalisé en 2021, cet article souligne que les propriétaires d’un appareil défectueux rencontrent plusieurs obstacles à chacune des étapes du parcours de réparation, rendant cette expérience longue et complexe. Les personas ont permis de mettre en perspective que les obstacles d’ordre technique (p. ex. des produits indémontables, l’indisponibilité des pièces détachées) renforcent la perception d’irréparabilité chez leurs propriétaires, encourageant le remplacement de l’appareil au détriment de la réparation. Les deux personas développés facilitent également une connexion empathique avec les propriétaires d’AEE défectueux. En rendant les caractéristiques d’un outil de collecte de données quantitatif, soit le sondage, plus qualitatives, soit l’expérience personnelle, il est possible de renforcer l’identification et l’engagement des parties prenantes.

62 Pour bonifier l’expérience des propriétaires d’AEE, deux principales mesures sont à explorer. La première est à destination de l’industrie et vise à favoriser la réparation au sein de ses propres réseaux, notamment en offrant ce service directement sur les lieux d’achat ou un service de prêt d’AEE. La deuxième invite les autorités politiques des pays industrialisés à renforcer leur cadre juridique pour instaurer un droit à la réparation s’attaquant aux divers freins à la réparation pour les propriétaires d’AEE.

63 Il serait pertinent de compléter le portrait de l’expérience de réparation professionnelle et d’autoréparation en se penchant sur les autres parties prenantes, comme les fabricants, les commerçants ou les ateliers de réparation. Une compréhension plus fine de ces personas permettrait aux designers et fabricants de développer des AEE et services favorisant la réparabilité et l’économie circulaire dans leur modèle d’affaires. Les designers graphiques pourraient jouer un rôle central sur la façon dont les informations de réparabilité et de durabilité sont communiquées aux consommateurs et consommatrices pour contrer la forte perception d’irréparabilité des biens (Reumont, 2021), alors que les designers de produits pourraient mettre en œuvre des stratégies soutenant la compréhension du fonctionnement du produit par sa ou son propriétaire afin de créer un attachement émotionnel plus fort envers ce dernier (Chapman, 2015).

Références


Mots-clés éditeurs : et électroniques (AEE), Appareil électroménagers, Autoréparation, Propriétaires d’AEE, Économie circulaire, Réparation

Date de mise en ligne : 29/07/2024

https://doi.org/10.3917/sdd.019.0180

Notes

  • [1]
    Bien que cette définition de la réparation ait été retenue dans le cadre de cet article, il en existe d’autres plus engagées dans la littérature. Denis et Pontille (2023) critiquent cette idée de la réparation comme simple réponse à un bris à un moment précis et l’incluent plutôt dans un ensemble d’activités qui forment la maintenance, un élément quotidien des relations entre les humains et les objets. De son côté, Jackson (2014) considère que la réparation est une source de conception et d’innovation technologiques.
  • [2]
    Unité de mesure utilisée pour comparer les émissions de divers GES sur la base de leur potentiel de réchauffement planétaire (PRP). Le PRP du CO2 est utilisé comme point de référence et équivaut donc à 1. L’émission d’éq. CO2 est ainsi obtenue en multipliant l’émission d’un GES par son PRP et, dans le cas d’un mélange de GES, elle est obtenue en additionnant les émissions d’éq. CO2 de chaque gaz. Par exemple, le PRP du méthane étant de 25, les émissions d’un million de tonnes métriques de méthane équivalent aux émissions de 25 millions de tonnes métriques de CO2 (Robin Matthews, 2018).
  • [3]
    Le reconditionnement est la remise d’un produit ou d’un composant à l’état neuf avec une garantie équivalente ou proche de celle du neuf (King et al., 2006). Le processus de reconditionnement complet comprend généralement la collecte, l’effacement des données (pour l’électronique), la mise à niveau, la réparation pour la fonctionnalité et, ensuite, les retouches d’ordre esthétique (Oakdene Hollins et Dillon, 2021).
  • [4]
    Une nouvelle loi adoptée le 3 octobre 2023 au Québec vient modifier la Loi sur la protection du consommateur et donnera des protections supplémentaires aux consommateurs et consommatrices en matière d’entretien et de réparabilité. L’entrée en vigueur de ces dispositions n’est toutefois prévue que pour 2025 et 2026.
  • [5]
    Une organisation environnementale québécoise à but non lucratif visant à contribuer à l’émergence de solutions, à la transformation des normes sociales et à l’adoption de politiques publiques permettant de concrétiser de nouvelles façons de vivre sobres en carbone.
  • [6]
    Réalisée par Jocelyn Deshaies et Claudia Déméné, auteur et autrice de ce présent article.
  • [7]
    Échelle de 1 à 5 allant de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord ».
  • [8]
    L’étude du contenu du forum de réparation en ligne iFixit (Pozo Arcos et al., 2020) a démontré que plusieurs types de dysfonctionnement de réfrigérateurs nécessitent l’expertise d’un réparateur ou d’une réparatrice professionnel(le).
  • [9]
    Afin d’identifier les freins et leviers à la réparation, Laitala et al. (2021) ont mené un sondage en Norvège auprès de 1 196 consommateurs et consommatrices, révélant qu’une proportion relativement importante d’individus choisissaient l’autoréparation pour leur téléphone intelligent.
  • [10]
    Le diagnostic du problème pour un réfrigérateur qui ne refroidit plus peut être plus long et laborieux, car il se fait avec une approche par essais et erreurs. Une dizaine de causes de bris sont possibles pour ce type de symptômes liés au mauvais fonctionnement de l’appareil (Pozo Arcos et al., 2020).
  • [11]
    La décision de Peter de tout de même faire réparer son réfrigérateur peut s’expliquer par le fait qu’un gros électroménager est souvent considéré comme un outil de travail (« workhorse ») par son ou sa propriétaire et par l’important investissement financier fait lors de son achat (Magnier et Mugge, 2022).
  • [12]
    Une étude allemande basée sur des entrevues tenues auprès de 1 000 personnes a aussi soulevé ce manque de compétences et de connaissances comme obstacle à la réparation d’un téléphone intelligent (Jaeger-Erben et al., 2021).
  • [13]
    Quelques travaux nomment le mauvais fonctionnement de la batterie comme motif de remplacement d’un téléphone intelligent (Proske et al., 2016 ; Wieser et Tröger, 2018).
  • [14]
    Laitala et al. (2021) ont d’ailleurs démontré que le taux d’échec pour la réparation de réfrigérateurs était élevé.
  • [15]
    Par exemple, pour les téléphones intelligents, ces critères spécifiques concernent l’information sur la nature des mises à jour, l’assistance à distance sans frais et la possibilité de réinitialisation logicielle (République française, 2020).
  • [16]
    Seul l’indice de réparabilité est discuté plus en profondeur dans cet article, car l’indice de durabilité n’était pas encore entré en vigueur lors de l’écriture de cet article.
  • [17]
    Aucune augmentation dans la demande de réparation pour les appareils électroménagers n’a été constatée, ce qui peut toutefois s’expliquer par le fait que ces appareils sont couverts par la subvention depuis moins longtemps que les électroniques (Dalhammar et al., 2020).
  • [18]
    Le succès de cette initiative municipale a mené à l’adoption d’un bonus dans d’autres villes autrichiennes et, ensuite, d’un bonus à l’échelle nationale.
  • [19]
    Cette subvention française de même que les subventions autrichiennes sont liées aux répertoires de réparateurs et réparatrices présents sur ces territoires : pour avoir droit à la réduction de la facture, la ou le propriétaire du bien doit faire appel à une entreprise du répertoire.
  • [20]
    La mise en place du Fonds réparation en France était trop récente lors de l’écriture de cet article pour en connaître les retombées.

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