Savoirs 2018/3 N° 48

Couverture de SAVO_048

Article de revue

À partir de quels critères les apprenants évaluent-ils le « soutien organisationnel » à leur formation ?

Le cas d’apprenants adultes en formation continue universitaire en Suisse romande

Pages 71 à 88

Introduction et problématique

1 Lorsqu’un collaborateur s’engage dans une formation continue externe à l’entreprise, il n’est pas rare que l’organisation dans laquelle il travaille participe à cet effort, qui est communément nommé « soutien organisationnel » à la formation.

2 Ce dernier est remis en question dès lors que l’on se pose la question de savoir comment ces différentes pratiques sont perçues par le collaborateur. Par exemple, le fait de se voir financer la formation peut être perçu comme un encouragement, mais aussi comme une manière pour l’organisation de se « dédouaner » de sa responsabilité par rapport à la formation. Ainsi se pose la question de savoir à partir de quels critères les apprenants adultes évaluent ces pratiques.

3 Nous nous pencherons sur les types de pratiques organisationnelles rencontrées dans le cadre d’une formation continue universitaire en GRH, puis nous verrons comment les apprenants les évaluent et, à partir de là, élaborent une perception globale du soutien organisationnel à la formation.

4 Cette étude remet en question la notion d’un soutien organisationnel à la formation universelle, et propose que ce dernier soit avant tout une perception individuelle, résultant de la rencontre entre des pratiques organisationnelles et des critères d’évaluation mobilisés par les collaborateurs. Elle propose la notion de soutien organisationnel à la formation et identifie les critères d’évaluation à partir desquels les collaborateurs évaluent les pratiques mises en place. In fine, cela devrait permettre aux entreprises d’être plus attentives aux effets potentiels du « soutien » sur certains comportements organisationnels cruciaux des employés comme la motivation à transférer (Gegenfurtner et al., 2009) ou l’engagement organisationnel (Meyer et Allen, 1991).

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Cadre théorique

6 Il n’existe pas, à notre connaissance, de théorie du soutien organisationnel perçu à la formation. Dès lors, nous nous appuyons sur trois entrées théoriques proposant des pratiques susceptibles de constituer du soutien à la formation :

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  • les pratiques issues de la théorie du soutien organisationnel perçu ou POS (Perceived Organizational Support : Eisenberger & Stinglhamber, 2011) ;
  • les pratiques issues de la littérature du transfert (Baldwin et Ford, 1988 ; Burke et Hutchins, 2007) ;
  • l’opportunité de carrière (Kraimer et al., 2010).

8 En ce qui concerne les critères d’évaluation des pratiques, nous nous appuyons également sur celles du POS. Ces différents apports seront adaptés spécifiquement à la question de la formation.

1. Pratiques organisationnelles de soutien à la formation

1.1. Les pratiques issues de la théorie du POS

9 Cette théorie s’intéresse aux pratiques organisationnelles susceptibles d’augmenter la perception de soutien organisationnel pour favoriser des conséquences positives en termes de comportements organisationnels de l’employé. Le POS est défini comme le niveau auquel le collaborateur estime que l’organisation valorise ses contributions et se soucie de son bien-être. Les antécédents, ou pratiques, du POS englobent les expériences préalables à l’emploi, la communication entre l’organisation et l’employé, l’équité dans l’attribution de ressources et le traitement reçu de la part du supérieur hiérarchique, les politiques organisationnelles, les récompenses et conditions de travail.

10 Nous avons adapté ces propositions à la question de la formation et ainsi créé le concept de POS-F (Bosset, 2016). Elles ont été reformulées dans le Tableau 1.

Tableau 1. Adaptation des pratiques organisationnelles du POS à la problématique du POS-F

1.  Expériences préalables à la formation. Création d’un POS-F anticipé à partir des expériences concernant la formation : la manière dont on en parle et la place qu’on envisage de lui donner.
2.  Communication au sujet de la formation, et notamment au sujet des conditions entourant celle-ci (financement, temps, décharge de travail).
3.  Équité au sujet de la formation (octroi de la formation, conditions) et qualité des relations avec le supérieur hiérarchique au sujet de la formation
4.  Politiques organisationnelles concernant la formation. Elles se réfèrent à toutes les démarches perçues comme malhonnêtes.
5.  Les récompenses concernent les marques de reconnaissance en ce qui concerne la formation et de nouvelles responsabilités suite à la formation. Les conditions concernent la formation.

Tableau 1. Adaptation des pratiques organisationnelles du POS à la problématique du POS-F

11 Ainsi, le POS-F pourrait être défini comme le niveau auquel le collaborateur estime que l’organisation valorise ses contributions issues de la formation et se soucie de son bien-être en formation.

1.2. Les pratiques issues de la littérature du transfert

12 Cette littérature propose des facteurs organisationnels, ou pratiques, censés favoriser le transfert de compétences. Il s’agit du soutien du supérieur (Govaerts et Dochy, 2014) et des collègues (Chiaburu, 2010) pour le transfert, du lien stratégique entre les buts de l’organisation et le contenu de la formation, tel que perçu par le supérieur (Lim et Johnson, 2002), de l’opportunité à mettre en œuvre les acquis de formation dans l’organisation d’appartenance (Burke et Hutchins, 2008), de la reddition de comptes (être tenu responsable pour transférer les nouveaux acquis dans son poste (Kontoghiorghes, 2002) et du climat de transfert (éléments de l’organisation qui facilitent ou inhibent le transfert – Rouiller et Goldstein, 1993). Ces facteurs ont également été adaptés en les élargissant de la question du transfert à celle de la formation.

Tableau 2. Adaptation des facteurs organisationnels favorisant le transfert au POS-F

1.  Soutien du supérieur : tous les comportements du supérieur relatifs à la formation.
2.  Soutien des collègues : tous les comportements des collègues relatifs à la formation.
3.  Lien stratégique : la manière dont le collaborateur estime que son supérieur perçoit le lien stratégique, son utilité, entre sa formation et les buts de l’organisation et/ou du poste de travail.
4.  Opportunité à mettre en œuvre : encouragements à mettre en œuvre des acquis de la formation sur son lieu de travail.
5.  Reddition de comptes : l’organisation s’attend, ou non, à ce que l’employé qui revient de formation utilise ce qu’il a appris sur son poste de travail.
6.  Climat de transfert : la manière dont on valorise la formation, de manière générale, dans l’organisation.

Tableau 2. Adaptation des facteurs organisationnels favorisant le transfert au POS-F

1.3. La pratique de l’opportunité de carrière

13 Une recherche exploratoire (Bosset, 2013) a révélé l’importance pour les apprenants d’avoir des perspectives de carrière suite à une formation. L’opportunité de carrière, selon Kraimer et al. (2010) désigne « la perception des employés de la mesure dans laquelle des tâches à accomplir au travail et des opportunités de travail qui correspondent à leurs intérêts et buts en termes de carrière sont disponibles dans leur organisation d’appartenance » (p. 4). Nous adaptons cette définition générale en y ajoutant les mots « suite à leur formation » en fin de définition pour spécifier qu’il s’agit d’une suite donnée à l’effort de formation d’un collaborateur.

2. Critères d’évaluation des pratiques

14 La théorie du POS décline un certain nombre de critères à partir desquels les pratiques organisationnelles sont évaluées par les collaborateurs. En nous basant sur une étude exploratoire (Bosset, 2013), nous avons retenu les critères suivants :

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  • La discrétion organisationnelle, qui se réfère au contexte dans lequel a lieu une pratique organisationnelle pour déterminer s’il s’agit d’une véritable volonté organisationnelle ou si la pratique est le fruit d’une contrainte (p. ex., une hausse de salaire donnée suite à une contrainte syndicale).
  • La sincérité organisationnelle, où il s’agit de repérer si la pratique émane d’un sentiment authentique. Par exemple, des compliments donnés sans discrimination à tous les employés sont perçus comme non sincères et ne font pas augmenter le POS.

3. Questions de recherche

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  1. Quels types de pratiques organisationnelles à la formation sont rencontrés par les adultes en formation continue et dans quelle mesure ces dernières s’alignent-elles avec les trois types de pratiques retenues ?
  2. Quels sont les critères à partir desquels les apprenants adultes évaluent les pratiques organisationnelles à l’égard de leur formation ?
  3. Comment se construit la perception de soutien organisationnel à la formation ?

4. Méthodologie

4.1. Échantillon et terrain

17 L’échantillon est composé de 18 adultes en formation continue, dont 6 personnes dans le CAS (Certificate of Advanced Studies) et 12 dans le MAS (Master of Advanced Studies) dans le domaine des RH, à l’Université de Genève. Ces deux programmes de formation continue s’adressent aussi bien à des cadres responsables des RH qu’aux responsables des opérations courantes. Il s’agit de 5 hommes et de 13 femmes. Parmi eux, 2 personnes se trouvaient dans la vingtaine, 7 dans la trentaine, 8 dans la quarantaine, et 1 dans la cinquantaine. Tous les participants ont été interviewés à deux reprises au cours de leur formation.

4.2. Entretiens

18 Les entretiens, de type semi-directif et d’une durée d’une heure, étaient structurés autour de 4 grandes thématiques : les pratiques organisationnelles, les attentes de soutien, la perception de soutien, et l’effet sur des variables dépendantes (non présentées ici).

4.3. Analyse des données

19 Notre recherche est longitudinale et qualitative, avec deux temps de recueil des données, à 6 mois d’intervalle. L’analyse thématique s’est faite avec le logiciel de données NVivo ©. Nous nous sommes basés sur la spirale d’analyse telle que préconisée par Creswell (2007). Des analyses monographiques ont également été réalisées.

5. Résultats

5.1. Pratiques organisationnelles identifiées par les collaborateurs

20 Cette partie des résultats répond à la première question de recherche.

21 Nos résultats empiriques ont montré que la théorie du POS et les éléments organisationnels favorisant le transfert, ainsi que l’opportunité de carrière, sont pertinents appliqués à la question du soutien organisationnel à la formation. Les verbatim suivants illustrent chacune des pratiques présentées dans le cadre théorique.

5.1.1. Expériences préalables à la formation

22 La manière dont le projet formation est envisagé oriente le POS-F en ce qu’il donne de premiers indices de la position de l’organisation envers la formation. Les discussions en amont de la formation ont révélé de l’incertitude, souvent déstabilisante pour les apprenants. Inversement, lorsque les discussions se passent bien, les conséquences sont positives : affiner le choix de la formation ou envisager le temps post-formation.

23 Antonia a obtenu un accord rapide pour sa formation. L’analyse révèle que cet accord trop rapide a un effet plutôt négatif sur sa perception de soutien.

24

Il ne m’a pas demandé si je voulais qu’il participe, je ne lui ai pas demandé s’il voulait participer, on n’a même pas parlé du temps que ça allait me prendre, ça a été il m’a dit tout de suite « il faut y aller ». (Antonia, T1)

5.1.2. Communication au sujet de la formation

25 La communication avec le supérieur est le plus souvent initiée par l’apprenant. La théorie du POS évoque la communication comme d’une manière de présenter certaines pratiques sous un meilleur jour, afin d’assurer que celle-ci soit « vue comme discrète » (Eisenberger et Stinglhamber, 2011, p. 69). Nos résultats laissent penser que les personnes ne sont pas dupes : elles attribuent à leurs supérieurs des intentions différentes que celles affichées par ces derniers. C’est le cas d’Antonia qui estime que son supérieur lui octroie une formation pour la garder et non pas pour la développer :

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Je pense qu’il me l’a accordée pour que je ne sois pas malheureuse à mon travail [] que je ne quitte pas mon travail, très franchement, je pense que c’est ça. (Antonia, T1)

27 La communication englobe également les informations nécessaires pour réaliser sa formation. L’exemple de Florence est emblématique du besoin d’informations claires :

28

Comme je n’ai pas de réponse, je dis toujours à ma cheffe « mais est-ce que je dois faire des heures supp’ pour compenser mes jours ou pas ? » Moi j’ai besoin d’avoir cette info. (Florence, T1)

5.1.3. Équité au sujet de la formation

29 Il s’agit pour l’apprenant de juger de la justesse d’une pratique. Christian ne considère pas les conditions que son chef lui propose comme justes. Ce dernier lui promet un arrangement, puis revient sur sa décision. Christian interprète ce revirement de situation comme un manque de volonté d’investir en lui :

30

D’abord, il m’avait dit oui, « on peut voir on peut faire un deal en gros par rapport aux heures que t’as et si je te paie la formation, tu acceptes de réduire de moitié tes heures, etc. », puis j’avais dit « ok » […], puis le jour z, je reviens avec ma demande préparée […] il me dit non […]. Moi ce que j’avais retiré, c’est qu’il ne veut pas investir sur moi. (Christian, T1)

31 L’équité comprend aussi l’implication de l’employé dans des décisions qui concernent le salaire, les promotions ou, dans notre cas, la formation. Vera trouve des arrangements avec son supérieur :

32

Et là on a un peu moins de travail au bureau, donc « prends un jour de congé si tu as besoin », il était vraiment très compréhensif […] comme on est assez flexibles, on arrive à trouver, par exemple je vais prendre une journée congé et je vais la récupérer. (Vera, T1)

5.1.4. Politiques organisationnelles concernant la formation

33 Cet antécédent se réfère à des pratiques malhonnêtes en lien avec le processus de formation du collaborateur. Nos données révèlent les situations suivantes : des octrois de formation qui sont perçus comme ne servant qu’à promouvoir l’image de l’organisation comme favorable à la formation, des octrois de formation qui sont des mesures de rétention et non pas de développement des compétences ; tous types de pratiques qui ne sont pas incarnées, comme des manifestations orales d’intérêt pour la formation non suivies de comportements.

34 Rachel sent que l’intérêt pour sa formation est fortement lié à une volonté de sa manager de faire bonne figure, et moins à l’intention de la développer :

35

Elle a tout de suite été enthousiasmée. Quelque part je pense que c’est une façon aussi de rattraper la situation un peu pour elle parce que je pense que ses managers, voyant qu’il ne se passe rien, sont sûrement allés lui faire des remarques et c’est une façon de dire « mais tu vois je veux la développer ». (Rachel, T1)

5.1.5. Récompenses et conditions concernant la formation

36 Selon Eisenberger et Stinglhamber (2011, p. 77), « les pratiques de ressources humaines qui reconnaissent les contributions de l’employé seraient positivement liées au POS ». Adapté au POS-F, cela signifierait alors que les récompenses par rapport à la formation et les conditions autour de la formation sont comprises, par les apprenants, comme des signes de reconnaissance de la part de l’organisation. La reconnaissance de l’effort, du défi que représente la formation est souvent mise en avant :

37

Pour moi et mon équipe, c’est important quand un défi a été réalisé en tout cas de le célébrer un tout petit peu et d’avoir un merci, juste un merci. (Christian, T1)

5.1.6. Soutien du supérieur

38 Le supérieur occupe une place centrale et les verbatim font référence aux comportements de ce dernier liés à l’octroi de la formation, au transfert, à l’intérêt pour la formation, et au processus de formation. En ce qui concerne l’octroi, deux personnes seulement évoquent la relève comme raison principale. Pour les autres, il s’agit de questions d’image de l’entreprise, de rétention ou d’un accord de principe.

39

Je pense plus que c’est une question d’image que de vraiment d’intérêt que je sois formée. (Veronica, T1)

40 En ce qui concerne le transfert, seules deux personnes perçoivent un accueil positif de ce qu’elles ont acquis en formation. Les autres évoquent des problèmes avec leur supérieur : manque de temps, ignorance quant à la formation, ou absence d’intérêt.

41

Jamais avec mon directeur il n’y a eu une question. Il y a des allusions de ma part mais pour l’instant non je vais jusqu’à dire qu’il y a un désintérêt assez considérable… il y a un regard sur mon absence « ah oui vous êtes absente ». (Daria, T1)

5.1.7. Soutien des collègues

42 Les encouragements et aides des collègues, souvent informels, constituent une ressource concrète pour la personne en formation, notamment pour mieux s’organiser. Rarement, des structures plus formelles soutiennent ces échanges (p. ex., débriefing autour de la formation).

43

Je ne peux pas me plaindre de ce point de vue là. Le secteur RH, ils savent que je suis dans ce CAS donc ils me fournissent des informations donc là j’ai un appui mais très concret […] elles me tiennent au courant du tableau de bord qu’elles sont en train de faire. (Sonia, T1)

44 Lorsqu’elles sont négatives, les réactions des collègues vont de la jalousie à la crainte que le formé ne s’en aille au terme de sa formation.

5.1.8. Lien stratégique perçu par le supérieur

45 Les apprenants rapportent que les supérieurs valorisent la formation de manière générale, mais pas forcément leur formation en cours. Ainsi, il y a un décalage entre le discours sur la formation et les pratiques mises en œuvre par le supérieur. Souvent, les apprenants tentent de convaincre leur supérieur de l’utilité de la formation, mais celle-ci est envisagée comme relevant d’un projet personnel du collaborateur.

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Je crois qu’ils peuvent se dire « si elle peut amener quelque chose de plus, pourquoi pas » mais je crois plus ils voient que c’est quelque chose de personnel. (Yasmin, T1)

5.1.9. Opportunité à mettre en œuvre

47 Une personne relate que son supérieur lui donne plus de place suite à sa formation. Pour les autres, il n’y a aucune nouvelle tâche ou responsabilité qui est donnée afin de mettre en œuvre les savoirs issus de la formation. Dès lors, les verbatim recueillis font davantage référence à l’initiative des apprenants pour valoriser leurs nouvelles compétences.

48

Si on a des idées, on peut les présenter, en discuter, mais c’est de nouveau l’initiative personnelle. (Jean, T1)

5.1.10. Reddition de comptes

49 La majorité des réponses témoignent du fait qu’il n’y a pas d’attentes en termes de retour sur investissement de la part des organisations.

50

On ne va pas me demander quoi que ce soit et on ne va pas me demander de justifier les 5000 francs qu’on m’a accordés. (Antonia, T1)

51 Certains apprenants font état d’une attente implicite à leur égard. Tout se passe alors comme si les acquis de formation pouvaient se déployer sans support aucun. Certains témoignent d’une reddition de comptes par le biais du mémoire de fin de formation, mais celle-ci apparaît alors comme intéressée, et non pas comme un moyen à inciter les personnes à transférer et/ou à les soutenir dans leur formation.

5.1.11. Climat de transfert

52 De manière générale, les apprenants relatent des discours très encourageants envers la formation dans leurs organisations. Chez certains, il y a convergence entre les discours et les pratiques. Certaines organisations se sont dotées de moyens pour soutenir la formation. Dans la plupart des cas, l’initiative personnelle est néanmoins requise : il faut faire savoir son désir de formation pour avoir une chance d’y accéder.

53 Pour d’autres, l’harmonie discours/pratiques est moins nette : la formation semble encouragée, mais cet encouragement est conditionnel, et toujours appuyé sur l’initiative personnelle. Florence déplore le fait que son MAS-RH ne soit pas reconnu au même titre que d’autres formations proposées par son entreprise :

54

Ié : Alors je pense que l’organisation elle est favorable à la formation [silence].
Ieur : Mais pas quand c’est le MAS ?
Ié : Elle est très bornée sur le type de formation qu’on peut bien suivre. En fait on a droit aux formations du XX [institut de formation], on a droit à de l’intervision […] c’est encore plus paradoxal du coup mais ils sont plutôt favorables à la formation en fait. (Florence, T1)

5.1.12. Opportunité de carrière perçue

55 Une minorité de personnes voit se dessiner une opportunité de carrière interne liée au projet de formation. Pour les autres, il y a des opportunités qui se profilent au sein de l’organisation et sur lesquelles certains misent pour valoriser leur formation. L’initiative personnelle reste primordiale.

56 Alors que ces opportunités sont importantes pour une grande majorité, quelques personnes échappent à cette règle et privilégient l’intérêt du travail, ou l’équilibre professionnel et privé. Samira explique ce qui serait important pour elle :

57

Ça ressemblerait plutôt à ce qu’on me donne des perspectives derrière, c’est-à-dire de dire « on paie cette formation aussi parce qu’on aimerait bien plus tard que tu puisses peut-être prendre tel ou tel rôle ou te développer de telle et telle manière ». (Samira, T1)

5.2. Critères d’évaluation des pratiques organisationnelles

58 Cette partie des résultats répond à la deuxième question de recherche.

59 Les deux critères retenus de la théorie du POS se révèlent pertinents par rapport à la question de la formation. Cela dit, c’est la sincérité organisationnelle qui sort du lot. En outre, la question de cohérence entre discours sur la formation et comportements émerge. Elle apparaît comme un critère central dans l’évaluation des pratiques organisationnelles.

5.2.1. Sincérité organisationnelle

60 Antonia exprime un manque de sincérité perçu de la part de l’organisation. Elle relate le fait qu’on lui offre 5000 CHF (francs suisses) pour se former, mais qu’on ne la soutient pas dans l’application de ses nouvelles compétences.

61

Je ne serai pas forcément soutenue dans le résultat de ma formation, j’étais soutenue dans ma formation du genre « c’est très bien que tu ailles te former » mais effectivement oui, peut-être que je l’ai pris comme un acquis, on ne va pas me demander quoi que ce soit. (Antonia, T1)

62 Christian déplore que ses efforts soient mal reçus. Ici, la communication autour de la question du transfert semble peu conforme à ce que préconise la théorie du POS pour augmenter ce dernier.

63

J’ai l’impression surtout que les gens n’ont pas envie d’être dérangés dans leurs petites habitudes et que si on arrive avec quelque chose de nouveau, il va falloir travailler […] typiquement, moi j’ai en tête un concept que j’avais fourni on m’avait dit « ah mais tu fais une usine à gaz pour rien ». Non, on ne fait pas une usine à gaz pour rien. (Christian, T1)

5.2.2. Cohérence organisationnelle

64 La question de la cohérence entre paroles et comportements est souvent évoquée. Quelles que soient les attentes, elles peuvent être déçues, mais ce sont les injonctions paradoxales qui sont mal vécues. Cette incohérence est exprimée par Valérie qui déplore que, malgré un financement, il n’y ait pas de considération pour son bien-être en formation.

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IB : Ok est-ce globalement enfin subjectivement pour vous est-ce que vous diriez que vous êtes soutenue par l’organisation dans votre effort de formation ?
APP : Subjectivement non, uniquement financièrement.
IB : Voilà mais vous-même est-ce que vous vous sentez soutenue ?
APP : Rien.
IB : Rien ?
APP : On ne me demande pas si ça va, si je gère, si je suis fatiguée, si j’ai des bonnes notes, qu’est-ce que ça m’apporte, comment j’y tiens, rien, on s’en fout complètement, ça, c’est évident. (Valérie, T1)

5.2.3. Quatre nouveaux critères d’évaluation issus du matériau empirique

66 Nos résultats révèlent quatre attentes en termes de soutien organisationnel à la formation, qui fonctionnent comme des critères d’évaluation. Elles sont imbriquées les unes dans les autres et se retrouvent à des degrés divers. La première concerne la reconnaissance, déclinée en 3 sous-éléments :

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  • Reconnaissance de l’utilité de la formation
  • Alors non en fait moi, j’aurais bien aimé qu’ils accueillent, qu’ils se disent : « elle a fait cette formation, ça va être utile ». (Antonia, T1)
  • Reconnaissance des efforts nécessaires pour suivre une formation

68

Alors moi, j’aurais été très sensible au fait que le porteur de projet dise : « écoute X [son prénom] c’est pas mal, tu fais cette formation continue, bravo, même à 50 ans » parce que moi j’ai quand même 50 ans. (Daria, T2)

69

  • Reconnaissance du potentiel augmenté de la personne suite à sa formation

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C’est humain, c’est bête mais on se sent plus important et reconnu si on nous dit : « voilà j’ai ça comme projet pour toi ». (Samira, T1)

71 La deuxième attente concerne la possibilité de contribuer à l’organisation. Elle dépasse l’idée d’un « simple » transfert. Il s’agit d’avoir une place dans l’organisation et de la faire avancer :

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Un pas en plus ça devrait être, tiens en comité de direction on présente ce projet et on dit : « voilà ce que j’ai appris en cours, voilà ce que je peux en tirer et voilà l’exercice pratique que je vous propose chez nous » […] pour construire quelque chose ensemble. (Christian, T1)

73 La troisième attente est celle de pouvoir bénéficier de mesures de l’organisation facilitant le processus de formation : temps, décharge de travail, financement, flexibilité, transparence des processus.

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J’apprécierais qu’on puisse formaliser une certaine décharge de travail quitte à ce qu’elle soit en contrepartie compensée par des participations spécifiques et pertinentes à des groupes de projets en lien avec cette formation, ça aurait très bien pu être le cas. (Pierre, T2)

75 La quatrième attente concerne le suivi et l’encadrement de la formation. Pour certains, ce suivi doit être rapproché, alors que d’autres le souhaitent plus détendu.

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Si j’avais mes chefs qui chaque mois prenaient un moment, mes chefs directs, pour me dire : « voilà sur quoi tu travailles, sur quel module », qui par exemple partageraient leur expérience, je me sentirais par exemple encore plus soutenue. (Rachel, T1)

5.3. Construction de la perception de soutien organisationnel à la formation

77 Cette partie répond à la troisième question de recherche.

78 Selon les attentes de la personne, les pratiques seront évaluées différemment et il en résultera une perception globale de soutien. L’élaboration de cette perception suppose l’analyse des pratiques, des attentes et des expressions de l’évaluation. Nous présentons ci-dessous des mini-vignettes, que nous basons sur nos analyses monographiques.

79 Voici trois exemples particulièrement illustratifs d’évaluation résultant de la rencontre entre des attentes, fonctionnant comme des critères d’évaluation, et des pratiques organisationnelles à l’égard de la formation.

80 Veronica affiche une perception globale de soutien négative. Son attente principale est de pouvoir contribuer à son organisation, par le biais, à terme, d’une évolution professionnelle. Pour espérer avoir accès à une telle évolution professionnelle, elle s’attend à ce que ses supérieurs hiérarchiques s’intéressent à sa formation et à ses contenus. Or ces pratiques organisationnelles font défaut. À leur place, Veronica se voit financer la totalité de sa formation et reconnaître le temps de formation comme du temps de travail. On voit ici que ses attentes ne sont pas satisfaites et que la rencontre entre celles-ci et les pratiques à l’égard de sa formation ne s’harmonisent pas. C’est ainsi qu’elle dit ne pas se sentir soutenue.

81 Sonia présente également une perception de soutien négative. Son attente principale est d’avoir une décharge de travail et une meilleure organisation de travail pour suivre sa formation dans les meilleures conditions possibles. Elle ne s’attend par contre pas particulièrement à avoir de l’intérêt de ses supérieurs et profite de sa latitude d’action pour mettre en œuvre certains savoirs de sa formation. Elle dit ne pas se sentir soutenue car ses attentes principales ne sont pas remplies, alors qu’elle bénéficie d’un financement de sa formation et qu’on la libère pour se rendre en formation.

82 Chez Samira, une perception de soutien au départ plutôt négative s’améliore au fil du temps. Son attente principale est d’obtenir une opportunité de carrière interne suite à sa formation. Elle s’ennuie à son poste et à l’impression d’être dans une « zone de confort » depuis trop longtemps. La formation doit lui servir à justifier une promotion lui permettant d’accéder à de nouvelles tâches. Elle ne souhaite toutefois pas quitter l’organisation, à laquelle elle est très attachée. Sa perception de soutien est plutôt négative au T1, alors qu’elle bénéficie, selon ses dires, de conditions très agréables pour mener sa formation. Mais son attente principale n’est pas entendue. Ce n’est qu’au T2, alors qu’une opportunité à l’interne se dessine, qu’elle dit se sentir pleinement soutenue et qu’elle réévalue même positivement des pratiques du T1 qui étaient alors évaluées comme peu soutenantes.

6. Discussion

83 Cette étude a permis, nous l’espérons, d’apporter des éléments de connaissance nouveaux susceptibles d’avoir des implications théoriques et pratiques pertinentes. L’étude a permis d’esquisser une nouvelle conceptualisation du soutien organisationnel perçu à la formation (POS-F), ses éléments constitutifs et son processus d’évaluation, en nous basant prioritairement sur la théorie du POS, ainsi que sur différents cadrages théoriques et d’éléments émergents et inductifs. Nous proposons, dès lors, la définition suivante du POS-F :

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La perception de soutien organisationnel perçu à la formation (POS-F) est la perception de l’employé-apprenant du niveau auquel l’organisation se soucie de son bien-être en formation, et valorise ses contributions issues de la formation, en amont, pendant et après celle-ci. Cette perception, globale, se construit à la rencontre de pratiques organisationnelles et d’attentes en termes de soutien qui fonctionnent comme des filtres d’évaluation des pratiques. D’autres filtres interviennent également, comme la sincérité et la cohérence organisationnelle.

85 La recherche doctorale sur laquelle est basée cette étude (Bosset, 2016) a en outre permis de mettre en évidence les modes de régulation des apprenants lorsque le POS-F est négatif, et les effets sur des comportements organisationnels comme l’engagement ou la motivation à transférer.

86 Au travers des discours des apprenants, deux injonctions paradoxales ont pu être repérées. Premièrement, il apparaît que la formation est fortement valorisée dans les discours. Il semble y avoir une valorisation sociale forte autour de la formation. Or tout se passe comme si ces discours n’étaient que peu opérationnalisés dans les pratiques. La deuxième injonction paradoxale est liée à l’autonomie et à l’employabilité, qui représentent autant de normes sociales, parfois totalement intégrées par les apprenants (Carbery et Garavan, 2005). Or il y a un effet de « retour de bâton » : dès lors que les apprenants sont proactifs et prennent en charge la valorisation de leur formation, les entreprises semblent se décharger de cette responsabilité. Il semble en résulter une sur-responsabilisation individuelle de l’acte même de se former et du transfert.

7. Enjeux théoriques

87 Nous estimons qu’une avancée théorique intéressante concerne l’approche résolument constructiviste du soutien organisationnel que nous adoptons ici, au vu de nos résultats. Le soutien organisationnel ne peut être une donnée objective, mais se présente comme une perception individuelle, issue de la rencontre entre des données environnementales et des données individuelles. Cela signifie qu’il n’existe pas de recette prête à l’emploi pour soutenir des adultes en formation. En outre, cette question est peu traitée dans la littérature.

88 Une autre avancée que nous souhaitons mettre en avant concerne la re-conceptualisation de la théorie du POS en POS-F. Comme mentionné plus haut, il n’existe pas de théorie spécifique au soutien organisationnel à la formation.

89 En ce qui concerne l’interprétation des différences individuelles d’attentes qui ne sont pas étudiées dans la recherche, plusieurs pistes peuvent être explorées : le rôle des enjeux identitaires en formation (Kaddouri, 2011) ou celui des buts liés à la formation (Bosset et Bourgeois, 2014). Une piste d’interprétation particulièrement prometteuse concerne le rôle de la norme de réciprocité en formation où la formation, et son produit, le transfert, sont considérés comme des objets d’échange (Tian, Cordery et Gamble, 2016).

8. Enjeux pratiques

90 Les attentes en termes de soutien organisationnel à la formation apparaissent comme cruciales dans la construction d’une perception de soutien, qui a à son tour des répercussions importantes. Dès lors, un lieu où ces attentes puissent être exprimées semble important. Pris dans les pressions liées à la productivité et à la performance, dans un monde qui s’accélère, les employés en formation et leurs employeurs ne prennent que rarement le temps d’expliciter leurs attentes réciproques. Et pourtant, un tel espace permettrait d’éviter des malentendus lourds de conséquences pour les deux parties. Dans le cadre du DAS en formation d’adultes de l’Université de Genève, un module transversal a été consacré à l’accompagnement de la formation d’une durée de deux ans. Considéré comme « de trop » par les apprenants en début de formation, ce module, qui permet de prendre du recul sur sa propre situation et d’envisager des pistes de solutions le cas échéant, est reconnu comme essentiel en fin de formation.

91 D’autres dispositifs pourraient être envisagés. Mais tous devraient, à notre sens, contenir les ingrédients suivants : la notion de responsabilité partagée de la formation entre employé et employeur, de la transparence, l’explicitation des attentes, des demandes et des possibilités de chacun.

Conclusion

92 Notre étude a permis de montrer les différents types de pratiques organisationnelles que rencontrent les apprenants adultes en formation qui s’alignent avec les antécédents de la théorie du POS, les facteurs organisationnels favorisant le transfert, et le concept d’opportunité de carrière. Les apprenants apprécient ces différentes pratiques à la lumière de critères d’évaluation, dont leurs attentes personnelles en termes de soutien. Ainsi, ils construisent une perception globale et individuelle de soutien perçu à leur formation. L’étude a permis de montrer comment se construit cette perception, aux confins de données individuelles et environnementales, dans une approche constructiviste. Nous espérons que cette conceptualisation originale du POS-F ouvre des voies de recherche ayant à cœur aussi bien le bien-être des employés en formation que celui des entreprises, dans une perspective gagnant-gagnant.

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