Notes
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[1]
Le projet Innov’ing 2020. Les ingénieurs et l’innovation : nouveaux métiers, nouvelles formations consistait, dans le cadre d’un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR-14-CE30-0018) en 2015 et 2016, à réaliser une étude comparative à dimension internationale sur les reconfigurations des formations d’ingénieurs face aux nouvelles attentes en termes d’innovation.
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[2]
Le Maroc, avec la Chine et le Vietnam, est le pays où est le plus développée l’offre française d’enseignement supérieur, et en particulier les formations d’ingénieurs (d’après le Rapport L’enseignement supérieur français par-delà les frontières. L’urgence d’une stratégie, 2016).
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[3]
La CGE regroupe, hormis les écoles de commerce ou de management, 156 écoles d’ingénieurs, dont 146 françaises et 10 étrangères. Parmi ces 10 écoles à l’étranger, 4 sont au Maroc : l’EHTP, l’IAV Hassan II, l’INPT et l’ENIM.
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[4]
Les entretiens cités ont été réalisés par l’auteur à Casablanca et Rabat en avril 2015, avril 2016 et mai 2018. Voir plus loin pour de plus amples indications sur les entretiens.
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[5]
Du fait de l’adaptation du système des classes préparatoires marocaines à son homologue français, 3000 Marocains sont accueillis chaque année dans les écoles d’ingénieurs en France, ce qui a longtemps représenté le plus grand nombre d’étudiants étrangers dans les grandes écoles françaises (CGE 2011).
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[6]
En 2016, le nombre de lauréats était de 5174 ingénieurs, dont 2335 filles, soit 44 % des filles (d’après les chiffres officiels transmis par la Direction de l’enseignement supérieur et du développement pédagogique lors d’un entretien en mai 2018).
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[7]
D’après les chiffres de la note précédemment citée.
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[8]
Une visite de ce centre a été réalisée par l’auteur en mai 2018, avant son inauguration par le roi Mohammed VI.
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[9]
Les entretiens ont été réalisés par l’auteur sur les sites des écoles, dans le bureau des personnes interrogées, ou au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres, à Rabat. Ils ont été précédés d’une visite des écoles concernées. Ils ont été enregistrés puis retranscrits. Ils ont été réalisés en avril 2015, avril 2016 et mai 2018.
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[10]
Dans un entretien réalisé par l’auteur le 10 mai 2018, au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres.
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[11]
La Commission nationale de Coordination de l’Enseignement Supérieur (CNaCES) est l’organe chargé de réguler l’organisation de l’enseignement supérieur marocain, sous l’autorité du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres.
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[12]
Document fourni à l’auteur par le chef de division sur les formations d’ingénieurs, lors de l’entretien réalisé au ministère de l’Enseignement supérieur, à Rabat en mai 2018.
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[13]
Lors de l’entretien réalisé par l’auteur en mai 2018 au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres.
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[14]
Il ne s’agit donc pas ici de jeter la pierre aux acteurs éducatifs marocains mais de relever une réalité significative et qui n’est pas propre au contexte marocain (Christensen et al., 2012). Au contraire, le dynamisme et les nombreux dispositifs de réflexion observables dans les écoles d’ingénieurs marocaines témoignent de la grande vitalité de la formation des ingénieurs au Maroc.
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[15]
Il serait intéressant, afin de compléter cette première enquête, d’interroger les étudiants et d’assister de manière prolongée à ce qui se passe dans les classes.
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[16]
Au cours de l’entretien, un haut responsable de la Direction de l’Enseignement supérieur et du Développement pédagogique avouait qu’il était difficile d’impulser des changements du fait que, d’après lui, « l’enseignement supérieur est réfractaire au changement. On pourrait penser que les enseignants-chercheurs sont à l’avant-garde. Mais non, c’est une bataille de faire des changements ! Comme passer au numérique par exemple dans les pratiques pédagogiques. Les changements pédagogiques sont un véritable défi. »
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[17]
Lors d’un entretien en mai 2018.
1 Au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler, l’environnement social, économique et technique du Maroc s’est fortement modifié et ces changements se sont traduits par des injonctions et des défis différents pour les ingénieurs. La formation des ingénieurs a évolué depuis l’indépendance, où il y avait urgence à former des cadres destinés à tenir les rênes du pays, jusqu’à la période de massification de l’enseignement supérieur et des grands projets mis en place récemment, comme celui de former 15 000 ingénieurs par an (Mellakh, 2006). Au cœur des défis que se lance le pays, qui mise sur l’évolution vers une « économie basée sur la connaissance » et sur la montée en puissance du Maroc comme tête de pont entre l’Afrique et l’Europe, la formation des ingénieurs est affichée comme hautement stratégique.
2 C’est aux ingénieurs tels qu’on entend les former et tels qu’on conçoit leur rôle aujourd’hui au Maroc qu’est consacré cet article. Comment les offres curriculaires ont-elles évolué pour répondre aux attentes liées aux enjeux contemporains ? Des stratégies particulières sont-elles mises en œuvre ? Les établissements de formation, l’industrie et les sphères décisionnelles partagent-ils une idée commune de ce que doit être la formation d’un ingénieur aujourd’hui au Maroc ? À l’heure des délocalisations et du développement des services, œuvre-t-on à la production de cohortes d’ingénieurs mandatées pour être compétitifs dans ce secteur ? Vise-t-on à former de futurs innovateurs animés par l’ambition de créer de nouveaux produits technologiques ? Ou veut-on en premier lieu des ingénieurs au service des grands chantiers du pays (électricité, routes, etc.) ? Ou un autre type d’ingénieur encore ? Dans un contexte d’injonctions mondialisées (Elliot et al., 2011 ; Charlier et Croché, 2010), la question porte sur les évolutions des formations d’ingénieurs. Sont-elles influencées par des modèles curriculaires venant d’ailleurs ? À l’heure des grandes transformations économiques, sociales et culturelles (dues à la globalisation, à la révolution numérique, aux évolutions politiques), l’objectif est de contribuer à la compréhension des phénomènes de recomposition de l’enseignement supérieur et des mécanismes qui modifient les savoirs enseignés, les formes pédagogiques, les rapports entre les différents acteurs et les modèles identitaires décelables.
3 Cet article présente les résultats d’une enquête menée au Maroc, impulsée dans le cadre d’un projet de recherche sur l’adaptation des formations d’ingénieurs aux nouvelles formes d’innovation, en Europe et dans quelques pays émergents, dont le Maroc [1]. L’enquête repose sur trois démarches complémentaires : l’analyse des documents officiels (programmes d’enseignement, documents internes aux écoles, sites Internet, etc.) ; l’observation directe des écoles d’ingénieurs ; et une série d’entretiens réalisés avec un panel de responsables pédagogiques dans les établissements concernés et au niveau de la Direction de l’Enseignement supérieur et du Développement pédagogique, au sein du ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Ces entretiens semi-directifs portaient sur la formation des ingénieurs, depuis les politiques éducatives (leur conception, leur mise en place et leurs finalités) jusqu’aux pratiques pédagogiques sur le terrain. Dans le cadre du projet, les entretiens abordaient en particulier la question de l’innovation, les sens que recouvre ce terme pour nos interlocuteurs, ses finalités et les dispositifs pédagogiques mis en place, dédiés à la formation des ingénieurs à l’innovation. Nous avons également réalisé des entretiens avec un panel de professionnels dans des entreprises qui recrutent des ingénieurs (voir en annexe pour la liste des entretiens réalisés) et analysé leurs discours. Nous y ferons référence dans cet article tout en privilégiant les références aux entretiens menés auprès des acteurs pédagogiques et institutionnels.
4 Après un rapide aperçu socio-historique, nous analyserons les formations d’ingénieurs telles que nous les avons observées à travers les objectifs, leur organisation et leur mise en œuvre. Pour terminer cette analyse inscrite dans le courant de la sociologie du curriculum (Forquin, 2008), nous proposons d’interpréter les caractéristiques relevées en termes d’appropriation de grandes tendances observables à l’étranger, sur la formation à l’innovation, pour les formations d’ingénieurs marocaines. Nous verrons que les acteurs de l’enseignement supérieur semblent emprunter une voie originale pour répondre aux grands défis qui s’ouvrent au Maroc.
1. Des formations calquées sur le modèle français confrontées à l’internationalisation
5 Au moment où le Maroc passe du statut de protectorat à un pays indépendant, en 1956, la formation d’un grand nombre d’ingénieurs rapidement opérationnels a été vue comme une priorité. Si, au départ, quasiment toutes les écoles d’ingénieurs relevaient des ministères techniques, aujourd’hui les formations sont organisées au sein de cinq catégories d’établissements : les écoles d’ingénieurs relevant des universités (au nombre de 17), les écoles qui ne relèvent pas de l’université mais d’autres ministères (au nombre de 12) et d’autres établissements publics (8 facultés des sciences et techniques, 2 écoles normales supérieures des sciences et techniques et 1 institut supérieur consacré à l’audiovisuel et au cinéma). Il existe également des écoles d’ingénieurs privées (une vingtaine) et quelques écoles créées dans le cadre de partenariats internationaux (par exemple des antennes de grandes écoles françaises comme l’EIGSICA, l’ENSAM ou l’École Centrale de Casablanca [2]). Les écoles d’ingénieurs post-prépas (environ la moitié d’entre elles) sont organisées sur le modèle français. Certaines adhèrent à la CGE (Conférence des Grandes Écoles françaises [3]) et sont très attentives aux recommandations de la Commission française des titres d’Ingénieurs.
6 La fidélité au système français quant à la formation des ingénieurs, due à l’héritage historique et à la proximité culturelle, n’est pas dissimulée. « On a copié dès le départ le système français de formation des ingénieurs et on le copie encore actuellement », déclarait le directeur d’une des écoles d’ingénieurs les plus prestigieuses du Maroc [4]. Au niveau politique, la proximité avec la France s’explique aussi par la tradition de formation en France des élites marocaines (nombre de ministres, conseillers royaux, patrons d’office marocains sont formés en France et notamment à l’École nationale des Ponts et Chaussées) (Scarfo-Ghellab, 2012) [5]. Toutefois, même si la France joue le rôle d’un partenaire de premier plan, elle n’est pas un collaborateur unique, de grands projets étant également établis avec des universités espagnoles, américaines ou italiennes.
7 Les écoles d’ingénieurs marocaines bénéficient d’un soutien fort et d’une attention particulière de l’État. Les objectifs qualitatifs sont augmentés d’objectifs quantitatifs quant à la formation des ingénieurs. Ainsi, en 2007, est mis en place un programme national pour former 10 000 ingénieurs par an avant 2010. Même si aujourd’hui environ 5 000 diplômes d’ingénieurs sont délivrés chaque année [6], les effectifs d’étudiants-ingénieurs sont importants : 23 836 pour l’année universitaire 2016-2017 (dont 10 795 filles) [7]. De même, la priorité nationale est donnée au développement d’une « économie fondée sur la connaissance » et à l’industrie via un plan de développement de parcs industriels de nouvelle génération (Plan d’Urgence pour l’Éducation, Plan Émergence, Maroc Numeric 2013, Initiative Maroc innovation, réseau Maroc Incubation, réseau de Diffusion technologique...). Dans le Technopark de Casablanca, le Casanearshore et la Technopolis de Rabat sont implantées de grandes multinationales (Safran, Boeing, Motorola, EADS, Bombardier…) et sont développées des plateformes de formation de cadres. Le Centre de recherche, de développement et d’innovation en sciences de l’ingénieur, ouvert à Casablanca en 2018, fait figure de vitrine et d’épicentre de développement de la recherche. Bâtiment autonome énergétiquement grâce à ses panneaux photovoltaïques, il arbore des murs végétaux, des systèmes d’électricité, d’arrosage et de parking « intelligents », et abrite une centaine de doctorants de l’école d’ingénieurs voisine, l’ENSEM, travaillant sur des projets technologiques de pointe, que nous préciserons plus loin [8]. Il bénéficie de financements importants de la part de grandes entreprises implantées au Maroc (Altran, Safran Engineering Services, Association des entreprises du Technopark, Cosumar, Fiat…). Dans le cadre de ces projets ambitieux, la formation des ingénieurs est affichée à tous les niveaux et par tous les acteurs comme occupant une place centrale.
8 Ces projets interviennent dans un contexte fortement marqué par l’internationalisation et le développement d’un « marché » de l’enseignement supérieur où des pays comme le Maroc tiennent compte de la concurrence entre les établissements de formation et recherchent l’attractivité dans un espace devenu mondial (Leclerc-Olive et al., 2011). Du fait de l’adhésion au processus de Bologne en 2003, le système national d’enseignement supérieur subit l’influence, au niveau curriculaire, de multiples acteurs et dispositifs (Gardelle et al., 2016). C’est ce à quoi on assiste également au Maroc dans le domaine de la formation professionnelle, au centre des influences française, allemande, belge, voire canadienne (El Adnani et Verdier, 2008).
9 Nous nous intéressons dans cet article aux processus de transformation des curricula qui révèlent les principes idéologiques à l’œuvre et les tensions créées. Le curriculum sera considéré, dans la lignée de Forquin (1996, 2008), non pas comme un produit figé qui serait limité à un programme d’études qu’il suffirait de décrire, mais comme un processus couvrant la sélection, la structuration et la transmission des savoirs. La sociologie du curriculum, inscrite dans une sociologie de l’éducation qui cherche à étudier les enjeux sociaux et les types de transactions sociales à l’œuvre dans le champ éducatif, est ici mobilisée dans le but de distinguer, au travers des dispositifs pédagogiques mis en place, les savoirs sélectionnés, la construction des disciplines enseignées et les choix pédagogiques au sens large. Tout cela étant révélateur des finalités, idéologiques et politiques, dévolues à la formation des ingénieurs marocains.
10 L’analyse sociologique des curricula dans les formations d’ingénieurs est jusqu’à ce jour restée rare au niveau national français et international, la recherche sur les formations d’ingénieurs étant principalement tournée vers les pratiques pédagogiques comme en témoignent la revue European Journal of Engineering Education ou l’International Journal of Engineering Education. Si la question des inégalités d’accès aux grandes écoles et de la reproduction des élites est aussi un sujet étudié par les sociologues depuis les années 1970 (de Saint Martin, 2008 ; Dutercq, 2008), les savoirs, valeurs et identités produits et mis en forme dans les grandes écoles restent peu étudiés aujourd’hui. Citons toutefois les approches historiques, richement documentées, qui ont été menées, notamment en France, sous l’égide d’André Grelon. Sur les curricula, les travaux de Gilles Lazuech et Denis Lemaître font référence sur les formations d’ingénieurs, notamment le numéro de la revue Les Sciences de l’éducation où Denis Lemaître montrait comment se pense le lien entre les contenus d’enseignement, les pratiques pédagogiques et les enjeux épistémologiques et anthropologiques que recouvrent les choix éducatifs dans les écoles d’ingénieurs.
11 Notre approche du curriculum a pour ambition de « prendre comme objet d’un seul mouvement les acteurs de l’éducation et les curricula qu’ils mettent en œuvre » (Isambert-Jamati, 1995). Pour ce faire, nous avons interrogé les différents acteurs intervenants dans le champ de la formation des ingénieurs (enseignants, décideurs à différents niveaux, employeurs, etc..). Ils ont été traités par analyse des contenus. Nous avons enquêté particulièrement dans trois écoles publiques reconnues au niveau national qui forment des ingénieurs dans des secteurs différents : informatique et télécommunications pour la première, industrie minière pour la deuxième et électricité et mécanique pour la troisième (voir tableau en annexe pour plus de détails). Nous avons également eu l’opportunité d’interroger les trois plus hauts responsables au niveau national, pour ce qui touche à la formation d’ingénieurs, à la Direction nationale de l’enseignement supérieur et du développement pédagogique, à Rabat. En complément à cette enquête auprès des acteurs institutionnels, nous avons enquêté auprès d’industriels et recruteurs d’ingénieurs, dans des entreprises locales ou étrangères implantées au Maroc (voir en annexe).
12 En analysant les discours et les conceptions qu’ils véhiculent (les propos tenus lors des entretiens, mais également les documents internes et les textes et discours officiels), nous avons pu identifier les débats à l’œuvre et les grandes orientations et tensions idéologiques qui conditionnent les négociations curriculaires. Les entretiens semi-directifs réalisés [9] avaient pour objectif le recueil et l’analyse des propos des différents acteurs afin de saisir les références faites à des « mondes sociaux » et les usages que font les personnes de ces catégories (Dubar, 2010). Dans le cadre d’une sociologie compréhensive et analytique, par l’analyse des discours, ont pu être relevés les choix de langage, la manière dont les personnes agencent les mots, avec des catégories, et un argumentaire avec sa logique, pour mettre en avant ce qui fait sens pour elles et donc les cadres de référence mobilisés. Nos questions portaient sur les défis qui touchent les offres curriculaires d’ingénieurs et le type d’ingénieur que l’on souhaite former, et ce qui nous a intéressés particulièrement est le rapport à l’innovation. Former des ingénieurs innovants est-il un objectif ? Si oui, quel sens est donné à l’innovation ? Et comment cet objectif se traduit-il dans les curricula ?
2. Objectifs, organisation et transmission des savoirs
13 Notre analyse, dont l’approche s’inscrit dans la sociologie du curriculum, considère le curriculum comme un processus de sélection, de structuration et de transmission des savoirs. Nous avons cherché à identifier les manières dont les trois écoles retenues sélectionnent, structurent et transmettent les savoirs pour former leurs ingénieurs et, plus en amont, les orientations qui émanent de la Direction concernée au sein du ministère de l’Enseignement supérieur. Par là, nous avons pu relever ce qui fait débat dans les conceptions de ce que doivent être les ingénieurs et en particulier dans un contexte marqué par des injonctions à l’innovation et par des influences internationales (Gardelle, 2016). Après la mise en évidence des différents types de discours quant aux finalités de la formation des ingénieurs, nous identifierons les moyens mis en place pour y répondre, par la sélection des savoirs à transmettre, puis les méthodes pédagogiques mises en place.
Des orientations idéologiques et des modèles sociaux de références multiples
14 En nous intéressant à la sélection des savoirs réalisée dans les formations d’ingénieurs, nous mettons en évidence le choix des modèles professionnels et les types de compétences qui sont transmises aux futurs ingénieurs. Le curriculum est ainsi révélateur des tensions existant au sein des institutions, entre des assignations identitaires parfois divergentes (Fabre, 1994 ; Lemaître, 2015). Derrière des logiques différentes s’affirment les orientations idéologiques et les modèles sociaux de référence qui animent les acteurs. En ce sens, la production du curriculum peut être vue comme une activité politique sensible.
15 Le Royaume marocain mise sur le développement de « l’économie de la connaissance ». Notre enquête montre qu’un des objectifs des différents programmes mis en œuvre est de former des ingénieurs bien au fait des réalités du monde industriel, directement opérationnels à la sortie d’école, et qui sauront accompagner les développements technologiques en cours. Les propos relevés lors de nos enquêtes sont révélateurs de cette approche que l’on pourrait qualifier de néolibérale, qui veut que la formation serve en premier lieu les besoins et la productivité des entreprises. La nécessité d’établir un lien fort entre entreprises et établissements de formation est exprimée par tous les acteurs rencontrés, à la fois académiques et industriels. Parmi eux, deux nuances sont décelables. La première concerne une conception très pragmatiste de l’employabilité, qui vise à fournir aux entreprises les jeunes diplômés dont elle a besoin, dans le service notamment. Le but est alors de servir la compétitivité des technopoles dans un contexte où le Maroc entend se positionner comme une destination offshore prometteuse pour des entreprises étrangères qui voudraient développer des activités délocalisées. Les propos d’un directeur des études d’une école d’ingénieur formant des ingénieurs spécialisés en informatique et télécommunication sont révélateurs de ce positionnement : « Le Maroc est un pays qui offre des services. Il nous faut former des ingénieurs capables de s’adapter à ce besoin : le service. » Le directeur de l’Enseignement supérieur du Maroc, lui-même, déclarait lors de notre entretien : « Nous devons former des ingénieurs adaptés aux besoins des entreprises, sur le numérique par exemple ou les soft skills », tout en portant un regard critique sur le peu de possibilités de développement technologique offertes par le tissu industriel marocain : « L’industrie marocaine ne donne pas l’espace à nos ingénieurs pour développer la technique. » En effet, sites offshore pour la production de technologies conçues ailleurs dans le monde, les entreprises constituent en réalité des cadres d’exécution plus que des espaces d’innovation.
16 Notre enquête met aussi en évidence une autre conception, qui côtoie la première, prônant également la formation d’ingénieurs bien au fait du monde de l’entreprise, mais avec l’objectif d’y apporter un développement technologique et « l’innovation ». Pour les tenants de cette conception, innover est un impératif mondial et le Maroc doit se positionner sur cette scène au même titre que les autres pays, d’Europe et d’ailleurs. L’objectif est ici clairement de former des ingénieurs capables de créer de nouveaux produits technologiques, en compétition avec les innovateurs du monde entier. Le discours est alors du type : « Partout on doit innover, créer de nouvelles technologies. Le Maroc ne doit pas être en reste. » L’innovation est appelée de leurs vœux par des acteurs de l’enseignement supérieur et en particulier des enseignants.
17 Cependant, on remarque que des points de tension se font jour entre les conceptions technologistes, fortement influencées par le courant international qui prône l’innovation, et des conceptions plus locales et pragmatiques des finalités de la formation des ingénieurs. Nos enquêtes ciblées sur les sens que recouvre l’innovation ont révélé que si certains acteurs éducatifs se réapproprient les discours largement véhiculés en Europe (et ailleurs) sur la nécessité d’innover par la création de nouvelles technologies, d’autres responsables pédagogiques réagissaient en s’opposant à ces injonctions. Pour l’un des directeurs d’études rencontrés, les besoins se situent dans l’amélioration des réalités vécues au quotidien par la population marocaine : « Il faut que la formation de nos ingénieurs réponde à des besoins très concrets, c’est ça qui fait élever le pays, et non les rêves rocambolesques comme envoyer une sonde sur la planète Mars. Je veux le contraire de l’innovation, c’est-à-dire la maîtrise de ce qui est déjà là, faire ce qu’il y a à faire et dont nous ne nous préoccupons pas. » Ainsi, construire des routes, des infrastructures viables, des réseaux de télécommunication performants, une agriculture à bon rendement, voilà pour certains responsables pédagogiques la priorité à avoir en matière de formation d’ingénieurs. Les entretiens réalisés avec des hauts responsables au sein de la Direction de l’Enseignement supérieur soulignaient également la stratégie du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation professionnelle, de s’accorder avec d’autres ministères autour de grands projets structurants (sur le numérique par exemple, ou l’agriculture) afin de « favoriser une adéquation entre les besoins du pays et l’enseignement supérieur » et une « meilleure adaptation à notre temps »
18 Ces trois conceptions des priorités, mises en évidence par nos enquêtes, fournir des employés bien adaptés à des entreprises de services offshore, innover en faisant émerger des produits technologiques ou assurer les besoins de base du pays, se côtoient et s’emboîtent parfois. Ces conceptions se rejoignent dans l’approche néo-pragmatiste dévolue à la connaissance : les savoirs sont des outils au service de la productivité et de l’efficacité pratique (Lemaître, 2015). Cela ne va pas sans faire évoluer les offres curriculaires. Le savoir transmis que l’on pouvait qualifier de généraliste, au service de l’État, qui faisait de l’ingénieur une figure très valorisée, accédant à des postes de responsabilité, n’est-il pas en passe de se transformer en savoir productif et utilitariste, dont la visée serait purement instrumentale ?
19 Il est intéressant de relever qu’au Maroc existent aussi des discours plaçant les ingénieurs dans un rôle plus large, du type de celui-ci, recueilli auprès d’un directeur d’école de Rabat formant des ingénieurs dans des domaines polyvalents et l’industrie minière : « Le grand défi est de former des ingénieurs capables de créer, d’innover, de s’adapter à la difficulté des milieux, en étant baignés dans des environnements différents et selon les scénarii de développement des pays. » On voit que l’objectif est ici très ouvert et nous reviendrons plus loin sur cette conception socio-technique du rôle de l’ingénieur et du rapport particulier à l’innovation qui s’y rattache. Dans les grandes écoles marocaines, les curricula se négocient localement, mais sous l’influence de diverses idéologies dominantes et avec la pression des directives nationales, tout comme cela est le cas en Europe (Dutercq, 2001). Le directeur de l’Enseignement supérieur, qui souhaite que le Maroc forme des ingénieurs « adaptés aux besoins des entreprises » et « capables de répondre aux défis agricoles, industriels et environnementaux du Maroc » [10], donne des orientations en ce sens. Donc, au final, quatre conceptions émergent, comme le montre le tableau récapitulatif ci-dessous.
Tableau 1. Les différentes conceptions des finalités des formations d’ingénieurs relevées, moyens envisagés et freins
Finalités | Personnes qui ont exprimé cet objectif | Exemples de moyens envisagés pour atteindre cet objectif, du point de vue des personnes interrogées | Freins perçus par les personnes interrogées |
Former des ingénieurs bien adaptés aux attentes des entreprises (surtout de services offshore) | Recruteurs (entreprises) Directeur des études en école d’ingénieurs Haut responsable à la Direction de l’Enseignement supérieur et du Développement pédagogique | Développement des « soft skills » via les matières issues des SHS à vocation instrumentale (communication, gestion…) Développement de l’approche par compétences Développement des liens avec le monde du travail (stages, …) | Relations difficiles entre entreprises et enseignement supérieur Réticences à augmenter le nombre d’heures de SHS dans les écoles Frilosités face aux changements dans l’enseignement supérieur |
Former des ingénieurs qui vont porter des innovations techniques | Enseignants | Liens entre écoles et entreprises Formation à la recherche Accompagnement à l’entrepreneuriat Développement des liens avec le monde du travail (stages, …) | Relations difficiles entre entreprises et enseignement supérieur |
Former des ingénieurs qui maîtrisent les grands chantiers du Maroc (routes, infrastructures, …) | Directeur des études en école d’ingénieurs Recruteurs (entreprises) Haut responsable à la Direction de l’Enseignement supérieur et du développement pédagogique | Développement des liens avec le monde du travail (stages, …) | Relations difficiles entre entreprises et enseignement supérieur |
Former des ingénieurs-innovateurs qui auront une vision socio-technique et des responsabilités larges | Haut responsable à la Direction de l’Enseignement supérieur et du Développement pédagogique Directeur d’école d’ingénieur Recruteurs (entreprises) | Changements pédagogiques Multiculturalité Développement des SHS dans les formations d’ingénieurs | Frilosités face aux changements dans l’enseignement supérieur Réticences à augmenter le nombre d’heures de SHS dans les écoles Internationalisation (mobilité des étudiants, accueil d’étudiants et d’enseignants internationaux, …) |
Tableau 1. Les différentes conceptions des finalités des formations d’ingénieurs relevées, moyens envisagés et freins
20 Sur les moyens à employer pour former les ingénieurs attendus, si la plupart des acteurs éducatifs s’accordent à dire que les sciences humaines et sociales ont un rôle à jouer, les disciplines à mobiliser et les finalités précises des matières sélectionnées posent souvent problème. On verra que les orientations idéologiques à l’œuvre dans la formation des ingénieurs se révèlent grâce à l’observation des formes que prennent les SHS dans les curricula.
Une sélection des savoirs au service des entreprises
21 Dans la sociologie du curriculum, le processus de structuration des savoirs représente la manière dont les disciplines sont construites, désignées et hiérarchisées dans l’organisation générale de la formation. Il recouvre tout autant la constitution des programmes d’études que l’organisation de la vie de l’école ou de l’université, qui institue des valeurs et des manières de se représenter le monde (Lemaître, 2015).
22 Comme nous l’avons vu, avec le dessein général d’améliorer qualitativement la formation des ingénieurs, tout comme dans l’objectif de former des ingénieurs innovants, l’accroissement des liens entre formations d’ingénieurs et entreprises est considéré comme primordial au Maroc. Cependant, dans la réalité, l’interface entre le monde académique et celui des entreprises est encore à développer. Le directeur des Ressources humaines d’une grande entreprise française installée à Casablanca déplorait : « Les écoles ne nous demandent jamais quels sont nos besoins. Elles ont des liens avec nous dans un but utilitaire (trouver des stages pour leurs élèves) mais pas avec un objectif d’améliorer la qualité des formations. » D’après les discours recueillis au cours des entretiens, le manque d’échanges avec des professionnels, la réduction des stages à un minimum et les faibles liens avec l’entreprise au cours de la formation des ingénieurs sont la raison principale de la faible valorisation des diplômes marocains par rapport à ceux délivrés en Europe.
23 En ce qui concerne le contenu des programmes, les matières relevant (de près ou de loin) des SHS que l’on peut trouver dans les formations d’ingénieurs témoignent des conceptions à l’œuvre sur les finalités des formations. Depuis les années 2000, au Maroc, la formation des ingénieurs s’est ouverte à des disciplines comme le management et la communication. Dans le cahier des normes pédagogiques nationales du cycle ingénieur, qui est le référentiel adopté en 2014 par la CNaCES [11], il est demandé à ce que la formation des ingénieurs soit constituée : 1) d’un bloc de modules scientifiques et techniques de base et de spécialisation (qui doit représenter 60 à 80 % du volume horaire global), 2) d’un bloc de modules de management (qui représente 10 à 20 % du volume horaire global), et 3) d’un bloc consacré aux langues et à la communication, représentant 10 à 20 % du volume horaire global) [12]. On constate que l’amplitude est large, allant du simple au double, concernant les matières relevant plutôt des SHS et des langues. « Cela est dû au fait que les négociations étaient très tendues sur ce sujet et que nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord », précise le chef de division sur les formations d’ingénieurs lors de notre entretien, ce qui est révélateur des tensions et des débats autour de la formation non technique des ingénieurs.
24 Les entretiens révèlent que la dimension non technique du métier d’ingénieur est largement prise en considération (compétences à communiquer, à gérer des équipes, etc.). L’exploration menée par Denis Lemaître (2014) sur les sites Internet d’écoles d’ingénieurs au Maghreb montrait que les contenus enseignés se rapportaient le plus souvent à des intentions d’instrumentalisations des savoirs au service de la productivité. Notre étude empirique montre en effet que les enseignements non techniques relèvent généralement des sciences sociales appliquées ou de gestion, comme en témoignent les intitulés des cours : « outils du management », « gestion de production », « ressources humaines », « comptabilité », « marketing », et, plus rarement, « sociologie des organisations ». La visée est ici clairement de former des ingénieurs prêts à s’insérer efficacement dans le monde de l’entreprise. Les entretiens menés révélaient effectivement que l’objectif principal, en introduisant les SHS, était d’« améliorer l’employabilité des diplômés ». Sur la formation à l’innovation, les entretiens réalisés au sein des écoles révèlent peu de liens faits entre les SHS et le dessein de former de futurs innovateurs, ce qui peut sembler paradoxal, comme nous le verrons plus loin. Au ministère, néanmoins, le directeur de l’Enseignement supérieur déclarait : « Pour former des innovateurs, il ne faut pas avoir une vision techniciste et réductrice, il faut avoir une vision large, voire sociologique [13]. »
25 Les discours allant dans le sens d’une inscription large des formations par rapport aux besoins de la société (et non uniquement aux attentes des entreprises) existent au sein des écoles d’ingénieurs marocaines, mais on peut constater que les enseignements liés à cet objectif n’apparaissent pas dans les formations proposées. Autrement dit, les ambitions sont là mais les dispositifs mis en place pour y parvenir manquent. Nous pouvons citer l’exemple d’une école d’ingénieurs de Rabat, dont un document interne indiquait que l’objectif de formation est de permettre « une bonne intégration de l’ingénieur dans le marché de l’emploi mais aussi son intégration et son aptitude pour le développement au sein de sa société, dans sa configuration initiale ou dans une configuration corrigée ou revue par sa pensée créatrice ». Malgré ce projet très ambitieux, les enseignements relevant des SHS proposés dans cette école restent à visée instrumentale (comptabilité, marketing…), ne visent pas expressément le développement de compétences transversales, et ne concernent pas une réflexion sur les phénomènes contemporains, qui auraient supposé une approche réflexive et critique dans les contenus et auraient permis aux futurs ingénieurs de devenir les citoyens réfléchis et proactifs tant attendus. Notons toutefois que, hormis les grandes écoles parisiennes, rares sont les écoles d’ingénieurs en France ou ailleurs à offrir un éventail d’enseignements en sciences humaines et sociales couvrant à la fois la sphère universelle, via ce que l’on a appelé les « humanités » (par exemple philosophie, histoire de l’art), la sphère méso-sociale, c’est-à-dire les enseignements qui concernent l’environnement professionnel, et enfin la sphère individuelle, via les activités permettant le développement personnel (Lemaître, 2014) [14].
26 Toujours est-il que les enquêtes menées ont montré un grand dynamisme, au sein des écoles, en matière de réflexion sur les programmes, les cadres et les enseignants essayant de tirer le meilleur des exemples observables à l’étranger et tentant de l’adapter. Pour reprendre l’exemple du document interne à une école de Rabat, précédemment cité, il y est fait mention de la nécessité d’un travail de réflexion qui « prend comme base des travaux externes et des réflexions pédagogiques menées par des établissements étrangers afin de les comparer ». Et il est intéressant de noter que cette vitalité et ce bouillonnement intellectuel touchant à la formation des ingénieurs se retrouvent à tous les niveaux, des enseignants intervenant dans les classes et mettant en place les programmes, des directeurs des études, jusqu’au directeur de l’Enseignement supérieur et du développement pédagogique lui-même, participant régulièrement et activement à des séminaires et des travaux de réflexion et déclarant lors de notre entretien : « L’enseignement supérieur ne peut être conçu qu’à l’échelle internationale. » Dans ce contexte d’effervescence, dans les écoles, qu’est-ce qui est donc concrètement mis en place ?
Méthodes pédagogiques et transmissions des savoirs
27 Au cours des entretiens, des directeurs, des responsables pédagogiques et des enseignants exprimaient leur souci d’améliorer la formation de manière qualitative dans un contexte où ils avaient pour directive de former toujours plus d’étudiants. Nous avons cherché à explorer, via l’analyse des programmes, de documents internes et des sites web, quels changements ont été mis en place, au sein des écoles et quelles ont été les évolutions pédagogiques récentes [15]. L’objectif était notamment d’examiner quelle place est faite à la question de l’innovation dans ces formations, nous le décrirons dans la partie suivante.
28 Comme on l’a vu, certaines directions se montrent particulièrement dynamiques, multipliant les échanges de bonnes pratiques avec d’autres écoles, les enquêtes auprès des entreprises et les réunions de réflexion et d’orientation. Dans certaines écoles, on assiste à la redéfinition des curricula en utilisant l’approche par compétences. Au sein de l’école enquêtée à Casablanca, une équipe de chercheurs spécialement dédiée à la recherche sur l’amélioration des formations d’ingénieurs a été créée en 2014 et compte aujourd’hui 7 doctorants, encadrés par trois professeures, consacrant leur thèse à ces questions (approches par compétences, approche lean de la formation, adéquation formation-emploi, formation au développement durable…). Les labels, français (celui de la CTI), européens (EUR-ACE) ou les standards internationaux, comme le CDIO, sont présentés comme la base sur laquelle les programmes pédagogiques de ces écoles sont construits. L’intérêt pour une accréditation par l’agence américaine ABET (Accreditation Board to Engineering Training) augmente, même si actuellement une seule formation a bénéficié de cette accréditation. Dans la plupart des écoles, on cherche à professionnaliser l’enseignement des langues étrangères et à mettre en place, ou à améliorer, les cours dédiés aux techniques d’expression et de communication. Les réformes entraînées par l’adhésion au processus de Bologne ont entraîné une refonte des programmes, avec moins d’heures de cours en présentiel et davantage d’importance donnée au travail autonome et en groupe. Cela ne se fait pas sans mal puisque les élèves autant que les enseignants n’ont pas été préparés en amont à de tels changements pédagogiques. « À l’heure des nouvelles technologies de communication et d’information et des moteurs de recherche, les travaux d’étudiants se résument à des plagiats », déplorait un enseignant. Le chef de la Division sur les formations d’ingénieurs, interrogé en mai 2018, considère également que « le principal défi aujourd’hui est pédagogique. Avec le numérique, le rôle de l’enseignant n’est plus le même. » Toutes les personnes rencontrées au sein des écoles exprimaient des interrogations sur ces grandes manœuvres pédagogiques et beaucoup étaient dans la réflexion, le test de nouvelles méthodes et l’expérimentation.
29 Si les dispositifs techniques et les locaux permettent généralement dans les écoles d’ingénieurs marocaines un environnement propice au travail, avec des salles bien entretenues, d’agréables campus fleuris, et une connexion à l’Internet satisfaisante, le matériel pédagogique est souvent en quantité limitée, ce qui ne permet pas une importante quantité d’heures dévolues aux travaux dirigés. Le décalage se fait aussi sentir entre la formation technique et la formation humaine du fait du manque de TD, de suivis personnalisés, de cours relevant des SHS et de personnels titulaires en charge de la mise en place de ces cours.
30 Comme on l’a vu, les directions d’écoles d’ingénieurs rencontrées semblent avoir conscience des attentes des recruteurs, mais des freins demeurent : parfois un manque d’idée sur les manières d’atteindre ces objectifs, parfois des réticences à remplacer des heures de technique par des heures de matières non techniques, parfois des frilosités devant les changements [16]. Mais, globalement, dans le climat d’émulation et de rapide développement économique qui a cours au Maroc, domine chez nos interlocuteurs une volonté de s’adapter aux attentes des entreprises, en s’inspirant largement de ce qui peut se faire ailleurs. Alors, comment analyser ce qui fait l’originalité du paysage marocain de la formation des ingénieurs ?
3. Les particularités de la formation des ingénieurs au Maroc dans un contexte d’injonctions à l’innovation
31 Le gouvernement marocain met l’accent sur « l’économie fondée sur la connaissance » à travers des projets de grande ampleur qui comprennent tous une importante dimension en termes de formation, et en particulier de formation d’ingénieurs. Le dynamisme économique est nettement visible dans les grandes villes marocaines depuis quelques années. Et l’effervescence en ce qui concerne les formations d’ingénieurs est palpable dans la presse (déclarations et projets politiques liés à la formation des ingénieurs, actualités des écoles, etc.) mais aussi sur le terrain dans les écoles. Dans le même temps, dirigeants politiques et industriels appellent de leurs vœux « l’innovation ». Nos enquêtes montrent que se côtoient différentes visions du rôle de l’ingénieur dans la société et que ces conceptions découlent de conceptions différentes de ce que doit être « l’innovation ». Nous allons ici présenter le rapport à l’innovation tel que nous avons pu le recueillir empiriquement et nous verrons qu’émerge une particularité dans la manière de concevoir l’ingénieur comme porteur de progrès et d’innovation dans la société.
32 Comme on l’a mentionné, les discours des responsables politiques appelant de leurs vœux l’innovation sont très présents (Djeflat 2012). Notre enquête montre que, même si plusieurs faiblesses freinent la parfaite mise en place de toutes ces politiques, l’avancement est rapide et est perçu comme stimulant par les différents acteurs rencontrés.
33 Au-delà des discours conventionnels sur l’innovation, directement calqués sur ceux exprimés dans d’autres régions du monde, en Europe notamment, appelant de leurs vœux l’innovation technologique, notre enquête met en évidence que, sinon un consensus, mais en tout cas une conception largement partagée, émane des discours des différents acteurs interviewés, présentant une grande part du système d’innovation comme étant lié à la façon dont le Maroc peut tirer parti du stock de connaissances mondiales, se l’approprier et le diffuser en l’adaptant. C’est donc là une tout autre approche qui est exprimée de ce que représente « l’innovation ». Dans cette vision, il s’agirait d’adapter les services, les produits ou les méthodes venus d’ailleurs aux conditions du Maroc, voire de l’Afrique. Cette conception de ce que signifierait l’innovation pour le Maroc s’est retrouvée dans les entretiens réalisés avec différents interlocuteurs, à l’image des propos d’un ingénieur cadre d’une multinationale de la communication à Casablanca : « Le Maroc devrait innover en tant que porte d’entrée vers l’Afrique francophone. Innover, ce serait adapter les choses. Devenir un hub vers toute l’Afrique francophone. Ce serait un beau défi pour le Maroc. » Il s’agirait, dans cette perspective, d’innovation organisationnelle, ou liée aux usages, où l’innovation s’entendrait au sens d’appropriation et d’adaptation de l’existant que l’on doit ré-imaginer pour convenir au Maroc et plus largement à l’Afrique. Dans la formation des ingénieurs, les discours allant dans ce sens sont récurrents, le positionnement stratégique et le regard porté en direction de l’Afrique étant mis en relief à tous les niveaux. Au niveau macro, c’est ce message que mettent en avant les technopoles pour attirer les multinationales, à l’exemple de la Technopolis de Rabat qui encourage les entreprises à développer l’exportation de leurs produits et services vers l’Afrique. C’est ce qu’affichent également les campagnes de communication mises en place par le gouvernement dans la presse de différents pays d’Afrique francophone, à destination des entrepreneurs africains (du type : « Pour développer vos entreprises à l’international, installez-les au Maroc ! » ou « Entre l’Afrique et l’Europe, il y a le Maroc »). L’objectif de ce volontarisme étatique est de former des cadres au service de la mondialisation et de l’ouverture du marché (Mellakh, 2006). Et si les fenêtres donnent sur le monde, la porte, elle, est largement ouverte sur l’Afrique.
34 Cette volonté politique d’ouverture à l’Afrique se retrouve dans la formation des ingénieurs. Le Maroc est un des rares pays de la région Moyen-Orient Afrique du Nord à compter des établissements de formation qui intègrent la R & D à leurs objectifs principaux. Pour les établissements, il s’agit de gagner en légitimation par l’excellence et l’ouverture internationale (Mazzella, 2011). En se concentrant sur des niches, l’Université internationale de Rabat (UIR) a, par exemple, breveté trois appareils à énergie alternative pour produire de l’énergie à usage domestique (Djeflat, 2012). La demande existe pour de tels dispositifs au Maroc et partout en Afrique et l’UIR prévoit de jouer le rôle de catalyseur pour le développement régional et l’innovation, en étant « le centre d’une Silicon Valley d’Afrique du Nord » (ibid.). Visité en mai 2018, le Centre de recherche et d’innovation en sciences de l’ingénieur du Grand Casablanca, tout juste sorti de terre près des facultés et du Technopark, peut également être considéré comme un modèle de centre dédié au développement d’innovations technologiques adaptées à un contexte et un milieu spécifiques : valise solaire transportable (pour réaliser des opérations médicales en plein désert), drones de surveillance de lignes électriques en milieu hostile ou d’accès difficile, station de pompage énergétiquement frugale, machine permettant la gestion intelligente de l’eau (« le Maroc étant un des pays du monde avec la plus faible réserve en eau », précise la jeune chercheure travaillant sur le projet), etc. Aux manettes de tous ces projets, on trouve une centaine de doctorants de l’école d’ingénieurs voisine, l’ENSEM, décidés à compléter leurs études d’ingénieurs par une thèse sur ces technologies innovantes. D’après le directeur de l’ENSEM, « une grande partie des élèves-ingénieurs de l’école seront amenés à un moment ou à un autre de leur formation à travailler sur ces projets » [17].
35 Dans ce contexte ouvert sur le continent africain, l’ouverture internationale des écoles marocaines se fait aussi largement vers le sud, les établissements marocains accueillant de nombreux étudiants d’Afrique subsaharienne francophone (environ 6878 en 2015, d’après les chiffres de Campus France, 2016).
36 C’est une conception originale du rôle de l’ingénieur comme porteur d’une innovation « située » que l’on peut observer, au sens où elle se rapporte à un contexte national et à ses spécificités. Cette conception est précieuse, par sa particularité, par sa cohérence avec la situation géographique et le contexte social, culturel et économique, par la vision à la fois à court et à long termes qu’elle implique, et par sa considération globale de la société et du rapport à la technique. Aux côtés de celles relevées dans le cadre des autres enquêtes menées sur différents terrains (Cardona Gil et Lemaître, 2017), cette approche vient interroger ce que l’on attend des ingénieurs, de « l’innovation » ou plus simplement du progrès, dans nos sociétés. Elles appellent également à regarder plus finement ce que peuvent être les attentes, les contraintes, les défis contemporains dans différents endroits du monde, dans une perspective non euro-centrée. Ce regard est à la fois heuristique et essentiel. Il permet de reconsidérer la vision technologiste qui domine en Europe, remettant en question ce qui devient évident à force d’être rebattu. Il invite à envisager des perspectives plus englobantes du rôle de l’ingénieur comme porteur de progrès techniques qui font sens dans la société, comme certains l’ont déjà appelé de leurs vœux il y a plusieurs années (Lamirand, 1954 ; Bordogna et al., 1995 ; Akay, 2003) Cette démarche intellectuelle peut être à la source d’approches plus adaptées à la complexité du monde, plus respectueuses de l’humain ainsi que du social dans la diversité de ses configurations. Elle engage à revaloriser la dimension socio-technique du métier d’ingénieur.
Conclusion
37 Le Maroc est en pleine effervescence et le projet de développer une économie fondée sur la connaissance se concrétise à travers une multitude de programmes avec pour ambition le développement national et une ouverture vers l’international, en particulier vers l’Afrique. Dans le cadre de ces projets ambitieux, la formation des ingénieurs a une place centrale.
38 On mesure bien, à travers notre enquête, les efforts réalisés pour améliorer les formations d’ingénieurs avec des objectifs multiples : fournir aux entreprises les ingénieurs parfaitement opérationnels qu’elles attendent, modeler de futurs innovateurs qui vont porter des innovations technologiques attendues au Maroc aussi bien qu’ailleurs, préparer des ingénieurs capables d’assurer les besoins de base du Maroc en termes d’infrastructures et de télécommunications, et enfin former de futurs cadres dotés d’une vision large de l’innovation et d’une ouverture socio-technique leur permettant de relever les grands défis d’aujourd’hui.
39 Notre analyse des manières dont sont institués, au sein des formations d’ingénieurs marocaines, les savoirs, les valeurs et les identités à transmettre, peut participer à la compréhension des phénomènes socioculturels en cours. Les directions d’organismes de formation apparaissent ambitieuses, bien au fait de ce qui se fait ailleurs dans le monde et soucieuses de proposer une offre de formation « d’actualité » et de qualité. À l’articulation des influences internationales et nationales, la formation des ingénieurs marocaine suit un chemin particulier, d’inspiration française mais ouverte sur d’autres systèmes, dont elle s’approprie ce qui lui paraît bon, et avec des approches originales. Ainsi se dégagent des perspectives particulières quant à la formation des ingénieurs et au rôle qu’ils sont amenés à tenir dans la société. Une telle analyse invite à penser que ce n’est pas dans une logique toujours surplombante et descendante que les influences devraient se jouer, dans un éternel schéma Nord-Sud où ceux du Sud ne feraient qu’adopter – et auraient raison de le faire – des normes venues du Nord.
40 Si l’on compare cette démarche avec d’autres pays en voie de développement, on constate que comme ailleurs les influences des différentes finalités dévolues aux formations d’ingénieurs se côtoient, voire se concurrencent, et que dans ce domaine des mutations ont cours. Mais le cas du Maroc est particulièrement intéressant pour ce qui touche aux desseins des formations d’ingénieurs et au rapport à l’innovation.
41 En effet, les ambitions autour de l’innovation sont présentes, et sont considérées comme centrales, mais l’innovation y revêt des sens différents. Si certains enseignants appellent de leurs vœux l’innovation technologique, d’autres acteurs (au sein des entreprises notamment) entendent l’innovation au sens d’appropriation et d’adaptation de l’existant, venu d’ailleurs bien souvent, qui doit être ré-imaginé pour faire sens au Maroc et plus largement en Afrique. On peut se demander si la conception particulière et originale de concevoir ce que doit être l’ingénieur comme porteur de progrès dans la société, dans une approche plus englobante, ne gagnerait pas à influencer des visions plus réductrices que l’on peut trouver ailleurs.
42 Ceci étant, des responsables d’écoles d’ingénieurs ont présenté l’innovation comme quelque chose de secondaire, la priorité étant, pour eux, de former des ingénieurs capables de prendre en main l’amélioration du quotidien des Marocains (routes, infrastructures, télécommunications, etc.). Dans tous les cas, les acteurs politiques, éducatifs et économiques semblent s’accorder pour considérer, dans une logique volontariste, les questions de la formation des ingénieurs, et d’éducation en général, comme centrales. Les ingénieurs sont appelés, tout en s’accordant aux besoins présents des Marocains, à porter le Maroc vers les défis nationaux et internationaux qui s’ouvrent à lui.
Annexe. Liste des entretiens réalisés
École d’ingénieurs | Ville, date de création | Nombre d’étudiants formés/an | Personnes rencontrées |
Grande école formant des ingénieurs dans des domaines polyvalents et dans l’industrie minière (entrée post-prépa sur concours national commun) | Rabat, 1972 | Environ 250 | Directeur Directeur des études 2 enseignants |
Grande école formant des ingénieurs dans les télécommunications et l’informatique (entrée post-prépa sur concours national commun) | Rabat, 1961 | Environ 200 | Directeur des études 3 enseignants |
Grande école formant des ingénieurs dans la mécanique, l’informatique et l’électricité (entrée post-prépa sur concours national commun) | Casablanca, 1986 | Environ 250 | Directeur Directeur des études 1 enseignant |
Autres acteurs concernés par la formation des ingénieurs | Institution/Entreprise | Ville | Personnes rencontrées |
Acteurs institutionnels | Ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, et de la Recherche scientifique | Rabat | Directeur de l’Enseignement supérieur et du Développement pédagogique Chef de la Division sur les formations d’ingénieurs au Maroc Chef de Service au sein de la Division sur les formations d’ingénieurs au Maroc Chef de division des établissements d’enseignement supérieur ne relevant pas des universités |
Recruteurs d’ingénieurs (entreprise) | CISCO North, West, and Central Africa | Casablanca | Head of Collaboration Responsable formation et certification |
Recruteurs d’ingénieurs (entreprise) | Safran Engineering Systems, Morocco Business Unit | Casablanca | Responsable Recrutement et Relations Écoles Responsable des opérations |
Recruteur d’ingénieurs (entreprise) | Weenko | Rabat | PDG |
Recruteur d’ingénieurs (entreprise) | SNECMA | Casablanca | Responsable support et développement des Études |
Recruteurs d’ingénieurs (entreprise) | SCANIA Maroc | Casablanca | Directeur technique Ingénieur |
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : innovation, Maroc, internationalisation, formation d’ingénieurs
Date de mise en ligne : 11/07/2018.
https://doi.org/10.3917/savo.047.0069Notes
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[1]
Le projet Innov’ing 2020. Les ingénieurs et l’innovation : nouveaux métiers, nouvelles formations consistait, dans le cadre d’un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR-14-CE30-0018) en 2015 et 2016, à réaliser une étude comparative à dimension internationale sur les reconfigurations des formations d’ingénieurs face aux nouvelles attentes en termes d’innovation.
-
[2]
Le Maroc, avec la Chine et le Vietnam, est le pays où est le plus développée l’offre française d’enseignement supérieur, et en particulier les formations d’ingénieurs (d’après le Rapport L’enseignement supérieur français par-delà les frontières. L’urgence d’une stratégie, 2016).
-
[3]
La CGE regroupe, hormis les écoles de commerce ou de management, 156 écoles d’ingénieurs, dont 146 françaises et 10 étrangères. Parmi ces 10 écoles à l’étranger, 4 sont au Maroc : l’EHTP, l’IAV Hassan II, l’INPT et l’ENIM.
-
[4]
Les entretiens cités ont été réalisés par l’auteur à Casablanca et Rabat en avril 2015, avril 2016 et mai 2018. Voir plus loin pour de plus amples indications sur les entretiens.
-
[5]
Du fait de l’adaptation du système des classes préparatoires marocaines à son homologue français, 3000 Marocains sont accueillis chaque année dans les écoles d’ingénieurs en France, ce qui a longtemps représenté le plus grand nombre d’étudiants étrangers dans les grandes écoles françaises (CGE 2011).
-
[6]
En 2016, le nombre de lauréats était de 5174 ingénieurs, dont 2335 filles, soit 44 % des filles (d’après les chiffres officiels transmis par la Direction de l’enseignement supérieur et du développement pédagogique lors d’un entretien en mai 2018).
-
[7]
D’après les chiffres de la note précédemment citée.
-
[8]
Une visite de ce centre a été réalisée par l’auteur en mai 2018, avant son inauguration par le roi Mohammed VI.
-
[9]
Les entretiens ont été réalisés par l’auteur sur les sites des écoles, dans le bureau des personnes interrogées, ou au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres, à Rabat. Ils ont été précédés d’une visite des écoles concernées. Ils ont été enregistrés puis retranscrits. Ils ont été réalisés en avril 2015, avril 2016 et mai 2018.
-
[10]
Dans un entretien réalisé par l’auteur le 10 mai 2018, au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres.
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[11]
La Commission nationale de Coordination de l’Enseignement Supérieur (CNaCES) est l’organe chargé de réguler l’organisation de l’enseignement supérieur marocain, sous l’autorité du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres.
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[12]
Document fourni à l’auteur par le chef de division sur les formations d’ingénieurs, lors de l’entretien réalisé au ministère de l’Enseignement supérieur, à Rabat en mai 2018.
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[13]
Lors de l’entretien réalisé par l’auteur en mai 2018 au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres.
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[14]
Il ne s’agit donc pas ici de jeter la pierre aux acteurs éducatifs marocains mais de relever une réalité significative et qui n’est pas propre au contexte marocain (Christensen et al., 2012). Au contraire, le dynamisme et les nombreux dispositifs de réflexion observables dans les écoles d’ingénieurs marocaines témoignent de la grande vitalité de la formation des ingénieurs au Maroc.
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[15]
Il serait intéressant, afin de compléter cette première enquête, d’interroger les étudiants et d’assister de manière prolongée à ce qui se passe dans les classes.
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Au cours de l’entretien, un haut responsable de la Direction de l’Enseignement supérieur et du Développement pédagogique avouait qu’il était difficile d’impulser des changements du fait que, d’après lui, « l’enseignement supérieur est réfractaire au changement. On pourrait penser que les enseignants-chercheurs sont à l’avant-garde. Mais non, c’est une bataille de faire des changements ! Comme passer au numérique par exemple dans les pratiques pédagogiques. Les changements pédagogiques sont un véritable défi. »
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Lors d’un entretien en mai 2018.