Savoirs 2004/1 n° 4

Couverture de SAVO_004

Article de revue

Que savons-nous sur cet adulte qui part en formation ?

Pages 9 à 49

Notes

  • [1]
    Cf. Intellectual Evolution from adolescence to Adulthood, Human Development, 1972, 15, 1-12.
  • [2]
    Aux éditions de Minuit.
  • [3]
    Cf. The Stages of Life. In J. Campbell, The Portable Jung (pp. 3-22). New York : Viking, 1933.
  • [4]
    Les trois grands stades de l’intimité ou de l’isolement, de la générativité ou de la stagnation, de l’intégrité ou du désespoir sont rappelés dans Adulthood : Essays. New York : Norton, 1978.
  • [5]
    Cf. The Course of Human Life as Psychological Problem. In W.R. Looft, Developmental Psychology, A Book of Readings. New York : Holt, Rinehart and Winston, 1972.
  • [6]
    Cf. Adult Personality : A Develomental View, Human Development, 1966, 9, 61-73.
  • [7]
    Cf. Human Development and Education. New York : Longmans, 1953.
  • [8]
    New York : Ballantine Books, 1978.
  • [9]
    Cf. The Adult’s Learning Projects. The Ontario Institute for Studies in Education, 1971.
  • [10]
    Cf. The Modern Practice of Adult Education. New York Association Press, 1972.
  • [11]
    Cf. Psychopédagogie de la vie adulte. Paris : PUF, 1973.
  • [12]
    Cf. respectivement :
    - G. Pineau & al. (1977). Éducation ou aliénation permanente. Paris : Bordas ;
    - M. Lesne (1977). Travail pédagogique et formation des adultes. Paris : PUF.
  • [13]
    Cf. de ces auteurs, Philosophical Fundations of Adult Education. New York : Robert E. Krieger, 1980 ; en traduction française, Penser l’éducation des adultes. Montréal : Guérin, 1983.
  • [14]
    La seule banque de données Francis recense, de 1994 à 1998, 11.694 publications ayant trait à la vie adulte, surtout des articles, contre seulement 2.892 publications dix ans plus tôt de 1984 à 1988.
  • [15]
    In La quête du présent (1990). Paris : Gallimard, 1991 (trad.), p. 20.
  • [16]
    Ou la fin de la croissance, ce que signifie le participe passé latin adultus, ayant cessé de croître.
  • [17]
    C’est un tel dilemme qui est au centre des cent témoignages d’adultes publiés dans Être adulte, 100 personnalités témoignent de leur expérience. Paris : Albin Michel, 1996.
  • [18]
    C’est une telle maturité adulte qui va être critiquée avec une certaine virulence par G. Lapassade dès 1963 dans L’entrée dans la vie, essai sur l’inachèvement de l’homme. Paris : Les éditions de Minuit.
  • [19]
    L’Encyclopédie ou le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers dans son édition de 1778 n’entrevoyait que deux entrées à l’âge, celles de l’enfance et de la vieillesse.
  • [20]
    Dans Democracy and Education (1916, Macmillan Publishing), J. Dewey écrit que l’expérience est surtout une affaire active-passive : elle éprouve et elle subit ; faire l’expérience d’une chose c’est agir sur elle et en subir les conséquences.
  • [21]
    Cf. L’expérience intérieure. Paris : Gallimard, 1943.
  • [22]
    Cf. Le futur passé, ouvrage publié en allemand en 1979 et traduit en français en 1990 aux Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences sociales.
  • [23]
    Avec homo, les Latins entretiennent la même confusion que nous avec homme alors que les Grecs prennent soin de distinguer anthropos d’anêr, c’est-à-dire la condition humaine de l’homme viril.
  • [24]
    « Adulte » aux 18e et au 19e siècle définissait une autre catégorie d’âge, celle de l’adolescence, puis de la post-adolescence. La signification conférée au terme adulte va se déplacer en première moitié du 20e siècle vers l’âge mûr, mais seulement celui de l’homme : adulte caractérise d’abord le genre masculin pour désigner l’homme en maturité.
  • [25]
    Le verbe latin adolescere qui signifie « croître » avec son participe passé adultus « qui a cessé de croître » est un verbe à forte connotation biologique.
  • [26]
    Voir Le sentiment de maturité chez l’adulte, Enfance, 1969, 1-2, 1-44.
  • [27]
    Cf. entre autres le symposium consacré aux Modèles de la personnalité en psychologie. Paris : PUF, 1965.
  • [28]
    Cf. L’entrée dans la vie, essai sur l’inachèvement de l’homme, op. cit.
  • [29]
    Sur ces témoignages récents d’adultes, cf. Être adulte, op. cit.
  • [30]
    Cet ouvrage paru en 1961 a été traduit en français, publié chez Dunod en 1968, et constamment réédité depuis.
  • [31]
    G. Lapassade, op. cit. La réédition date de 1997 aux éditions Économica.
  • [32]
    In Making vocational Choices, a theory of careers (Prentice Hall Englewood Cliffs, 1973). Le concept de vocation est introduit dans les milieux de l’orientation d’abord scolaire aux U.S.A. par F. Parsons dès 1909 ; cf. Chosing a Vocation (Agathon Press, 1967). Il sera repris à partir des années 1950 par des auteurs comme E. Ginzberg et D. Super pour conférer aux choix de vie une signification volontariste et stratégique.
  • [33]
    In On Death and Dying. New York : The Macmilan Company, 1969.
  • [34]
    Op. cit.
  • [35]
    In Outsiders, 1963, ouvrage traduit en français chez Métaillé en 1985. Voir aussi :
    - D.E. Super (1957). Psychology of Careers. New-York : Harper ;
    - S.H. Osipow (1968). Theories of Career Development. New-York : Appleton Century Crafts ;
    - J.L. Holland (1973). Making vocational Choices, a theory of Careers. Prentice Hall Englewood Cliff.
  • [36]
    Les tout premiers travaux sur le coping remontent à R. Lazarus (1966), Psychological stress and the Coping Process. New York : McGraw-Hill.
  • [37]
    In The Culture of Narcissism, en traduction française, Le complexe de Narcissisme. Paris : R. Laffont, 1981.
  • [38]
    Bruxelles : Dessart, 1966.
  • [39]
    Cf. L’identité au travail. Presses de la Fondation des Sciences politiques, 1977.
  • [40]
    Cf. L’acteur et le système. Paris : Le Seuil, 1977.
  • [41]
    Ce terme en langue française comporte un synonyme qui lui aussi se trouve actuellement largement sollicité, celui de métamorphose. Cf. entre autres, A. Gorz (1988) et R. Castel (1995).
  • [42]
    Cf. Transformations. New York : Simon and Schuter, 1978.
  • [43]
    Cf. Sciences humaines, 106, 200.
  • [44]
    Cf. Les passages de la vie, les crises prévisibles à l’âge adulte. Montréal : Press Select, 1976.
  • [45]
    Introduction à l’analyse transitionnelle. In Crise, rupture et dépassement. Paris : Dunod, 1979.
English version

1À chaque siècle de cultiver son utopie éducative et son âge préféré. Si le 19e siècle finissant fut celui de l’école obligatoire associée au culte de l’enfance et de la jeunesse, le 20e siècle déclinant va développer une nouvelle utopie, celle de l’éducation permanente en mettant en scène sans doute pour la première fois de façon aussi spectaculaire la vie adulte. Les adultes de l’ère post-industrielle sont de fait immergés dans la formation. C’est dire que le chemin qui va de la famille au travail passe désormais souvent par l’instance de la formation pour y faire des haltes plus ou moins longues, devenues familières pour un nombre croissant d’adultes et ce depuis déjà deux générations. Mais à courtiser ainsi assidûment les lieux de formation pour bon nombre d’entre eux, à redouter et à éviter ces lieux pour certains autres refroidis dans leurs ardeurs par des déconvenues scolaires antérieures, qui sont donc ces adultes ? Que cherchent-ils ? Quelle(s) figure(s) d’adultes véhiculent-ils qui puisse(nt) dire quelque chose de la société au sein de laquelle ils évoluent ? À force de s’interroger sur la formation, ses chances et ses handicaps, on en a oublié qu’elle s’adressait à une catégorie d’âge bien spécifique aux attentes elles-mêmes spécifiques, les adultes. C’est pourtant l’un des grands mérites de la formation que d’avoir posé la question de la vie adulte, d’abord furtivement puis de façon de plus en plus lancinante. Que savons-nous donc de cette catégorie d’âge, qu’avons-nous accumulé en guise de connaissances depuis un quart de siècle de pratiques intensives de la formation, sur la vie adulte ? Ces connaissances ici répertoriées vont nous permettre de mieux comprendre la vie adulte dans la variété de ses visages comme dans ce qui fait sa spécificité actuelle et ses évolutions tendancielles.

Une question de méthode

2Pour camper la vie adulte dans le champ des connaissances qu’elle a organisé, nous allons essayer de faire le point sur la littérature en sciences sociales et en sciences de l’éducation produite sur la vie adulte depuis les années 1980, ne remontant que très exceptionnellement avant cette date. Les années 1980 en effet constituent à plus d’un titre pour nous une époque charnière pour une réflexion sur la vie adulte :

3- J. Piaget meurt en 1981 et avec lui les tenants psychologues nombreux qui considéraient sous son emprise le développement psychologique comme terminé à l’adolescence ; les travaux de J. Piaget restent remarquables dans leur façon d’appréhender le développement tant du nourrisson gravissant les différents degrés du stade sensori-moteur, que de l’enfant apprenant à accéder au stade préopératoire puis à celui des opérations concrètes ; ces travaux font culminer le développement psychologique chez l’adolescent avec la maîtrise des opérations formelles. Il est significatif dans ce contexte de constater que Piaget n’a, à notre connaissance, consacré qu’un seul article d’une douzaine de pages à la vie adulte parmi les milliers qu’il a pu écrire [1] ; comble de l’insolite, cet article est écrit par lui, écrivain francophone, en anglais.

4- En 1980, nous commençons à ressentir les effets de la crise culturelle liée à une civilisation du progrès remise en cause (Taguieff, 2004), crise issue du premier choc pétrolier ; cette crise est contemporaine de notre entrée en postmodernité avec l’ouvrage phare de J.-F. Lyotard, Condition de l’homme postmoderne, paru en 1979 [2] ; cette entrée se traduit entre autres par un changement de nature dans le rapport au savoir, changement initié par l’avènement d’une civilisation communicationnelle ; elle se traduit aussi par une vie adulte de plus en plus bousculée et chaotique dans un environnement fait de flexibilité et de mobilité.

5- 1980 voit s’effacer l’aura des chercheurs qui furent les pionniers des études sur la vie adulte, C.G. Jung est mort déjà depuis une génération, lui qui a diffusé ses travaux sur le cycle de vie qu’il assimile au déroulement d’une journée [3]. E.H. Erikson qui s’éteint en 1994 ne publiera guère d’ouvrages importants, au-delà de 1980, consacrant ses travaux de maturité à l’étude des stades psychosociaux de la vie adulte [4]. De son côté Ch. Bühler, fondatrice de l’analyse biographique, a déjà publié l’essentiel de son œuvre, qui recourt à la métaphore de la montagne pour penser le développement de la vie adulte à travers ascension, sommet et descente [5]. Comme autre pionnière, citons B. Neugarten soucieuse d’identifier les changements développementaux chez l’adulte notamment ceux liés à la maîtrise tant de l’intériorité que de l’environnement, ceux aussi associés à l’expérience et au temps avec son déterminant que serait notamment selon elle l’horloge sociale [6]. Or Neugarten a publié ses principaux ouvrages avant 1980 comme d’ailleurs son contemporain R.J. Havighurst qui approche le cycle de vie adulte à travers les trois phases du jeune adulte, de l’adulte du mitan de la vie, de l’adulte avancé en âge [7]. Cette trilogie dans le découpage des âges adultes sera reprise par son contemporain mais benjamin D. Levinson dont l’ouvrage phare, The seasons of life, paraîtra en 1979 [8]. Levinson pour rendre compte du développement adulte délaisse les métaphores de la journée et de la montagne pour prendre celle des saisons. La notoriété attachée à son travail contribuera à susciter à partir des années 1980 une prolifération de travaux sur la vie adulte, cette abondance tentant de combler le retard pris par rapport aux travaux initiés autour de l’enfant, de l’adolescence et de la vieillesse.

6- 1980 constitue par ailleurs une étape suggestive dans une première réflexion sur la vie adulte issue des initiatives et pratiques désordonnées prises et développées dans le domaine de la formation pour adultes. Au début des années 1970, A. Tough pense que la méthodologie des projets, alors très peu développée, the learning Projects, est une caractéristique fondatrice des apprentissages adultes, pour lui des apprentissages pragmatiques, s’il en est [9]. Dans la même veine pragmatique, M. Knowles [10] en initiant le concept d’andragogie pose à la même période la question d’une spécificité des apprentissages adultes au regard des apprentissages enfantins, notamment sous le double point de vue de la constitution de l’expérience et de l’orientation temporelle. Ce lien timide entre formation et adultes va être développé par des auteurs comme A. Léon, toujours dans ces mêmes années [11]. Vers la fin des années 1970, pendant que G. Pineau, en commençant sa carrière, s’interroge sur les risques qui feraient d’une éducation permanente une éducation aliénante, M. Lesne, sur le point de terminer la sienne, définit les conditions à partir desquelles la formation pour adultes peut être émancipatrice [12]. Enfin la décennie 1970-1980 se termine par les travaux de J.L. Elias et de S. Merriam cherchant ensemble à expliciter les différents soubassements théoriques à une éducation des adultes [13].
Aussi dans ce qui va suivre, en termes de procédures et au risque de schématiser, les quelques références que nous jugerons essentielles remontant avant le millésime 1980, nous les mentionnerons en notes de bas de page, comme nous venons de le faire et considèrerons qu’elles constituent les référents théoriques sur lesquels s’appuie la présente étude. Les références de 1980 et après, à partir desquelles est bâtie la présente note de synthèse, seront toutes mentionnées dans le cours du texte et donneront lieu à renvoi aux références bibliographiques en fin de texte. En nous donnant à titre heuristique la borne du millésime 1979-1980, comme symbolisant une ligne de partage à propos des préoccupations développées autour de la vie adulte, nous chercherons ainsi à élucider les tendances significatives qui se dégagent d’une littérature protéiforme ; cette littérature, est-il besoin de le signaler, rendant difficile et embarrassant le fait de devoir choisir et de mettre en relief certaines références au détriment d’autres [14].
En interrogeant les savoirs constitués au cours de ces dernières décennies, dans leurs variétés mais aussi leurs clivages caractéristiques, il nous appartiendra de dégager des clefs d’intelligibilité sur ce que peut signifier être adulte aujourd’hui dans notre civilisation communicationnelle. Il nous faudra par le fait même essayer de comprendre ce propos déroutant d’O. Paz, prononcé lors de son discours de réception du Prix Nobel, voici déjà une quinzaine d’années : « J’ai accepté l’inacceptable : je suis devenu adulte. Ainsi a commencé mon expulsion du présent » [15]. Propos certes déroutant, qui pourtant dans nos environnements chaotiques garde toute son actualité.

De l’usage d’une métaphore à un double questionnement emblématique

7S’intéresser à la vie adulte, bien nous en prenne ! Ce n’est en définitive que disserter autour d’une métaphore, comme le souligne opportunément O. Reboul (1984) : le terme adulte n’a de sens propre qu’en biologie où il désigne la maturité organique [16], laquelle ne garantit rien de son transfert dans le domaine psychologique. Aussi appliqué au sujet humain, le terme adulte n’a de valeur que d’image. Un tel usage dans nos échanges conversationnels ou savants initie finalement une conception rhétorique de ce sujet humain : celle-ci avoisine la pétition de principe en convenant que l’adulte dont on parle a acquis du fait de son avancée en âge, une maturité psychologique par analogie à sa maturité biologique.

8La mollesse du qualificatif adulte qui en toute orthodoxie grammaticale doit être accompagné dans ses usages d’un substantif, contraste fort dans son imprécision avec les autres catégories d’âge ; une telle imprécision concerne l’empan des années d’existence que ce qualificatif couvre, un empan qui ne fait que s’agrandir au fur et à mesure que s’allongent nos espérances de vie. Au contraire nourrisson, enfant, adolescent, vieillard renvoient à des catégories d’âge typées, les unes et les autres bien identifiées pour chacune avec son substantif déterminé. Si avec P. Bourdieu (1980) nous reconnaissons que l’âge obéit à une manipulation symbolique dans son découpage mythico-rituel, alors l’actualité conférée à cette nouvelle catégorie d’âge qu’est la vie adulte et dans le sens que nous lui donnons actuellement, doit être entrevue comme l’expression de l’une de ces manipulations dont il s’agit de déjouer les significations sous-jacentes.

S’intéresser à la vie adulte, un curieux paradoxe

9Disserter sur la vie adulte est l’occasion d’affronter un curieux paradoxe susceptible de se transformer, si on n’y prend garde, en dilemme [17]. D’un côté on donne l’impression de s’intéresser à la clef de voûte de tout système intergénérationnel, l’univers des grandes personnes, ces figures idéalisées par l’enfant et par le vieillard sur le mode de l’aspiration et du désir d’imitation pour l’un ou de la nostalgie et de la résignation pour l’autre. De telles figures-repères sont situées aux avant-gardes de la société pour en assurer la maintenance et la croissance dans une logique d’économie productive et de développement. Elles constituent autant de modèles destinés à inspirer les orientations des jeunes. D’un autre côté, traiter de la vie adulte, c’est appréhender une réalité bien banale et d’une grande généralité incarnée dans l’une ou l’autre forme de normalité continuellement rencontrée, une normalité faite de maturité propre à dissoudre les problèmes, une maturité quelque peu ennuyeuse qui ôte à l’existence bien de ses piments familiers [18]. Le père et la mère de famille tout comme l’enseignant et l’éducateur préfèrent se laisser percevoir aujourd’hui d’abord comme des adultes avant d’être appelés par leur statut spécifique. On semble recourir de plus en plus souvent actuellement à ce statut générique d’adulte, peut-être parce qu’il est moins fort dans l’ordre des transmissions que celui de parent ou d’enseignant. Nous aurons l’occasion de l’évoquer plus loin, la vie adulte devient l’âge d’assumer des responsabilités, autant dans le sens d’être responsable que d’avoir des responsabilités ; elle n’est plus ou de moins en moins l’âge de transmettre ou d’éduquer : c’est là une mutation significative. Ainsi cette catégorie d’âge dans nos environnements postmodernes semble avoir acquis un regain d’actualité au fur et à mesure que s’effaçaient les cadres familiaux et professionnels.

10L’effacement des transmissions peut être associé au brouillage des âges qui fait de l’enfance un âge de plus en plus autonome au sein d’une société informationnelle dans laquelle il montre son agilité, et de la vie adulte une catégorie d’âge bien souvent infantilisante, l’adulte se trouvant perdu dans ce monde de l’incertitude et de la complexité. De façon quelque peu provocante G. Harrus-Révidi (2001) parle à ce sujet de parents immatures et d’enfants adultes. De leur côté certains auteurs comme M. Giral (2002) identifient l’adulte à l’homo adulescens, un prolongement interminable de l’adolescence déjà souligné par T. Anatrella (1988).

11C’est dire que la situation actuelle tout à la fois désigne un statut et un processus. Statutairement être adulte c’est être capable de répondre de, en fonction de l’autonomie qui nous est laissée, celle du moins octroyée par notre majorité : nous sommes, comme nous le rappelle le juriste, des majeur(e)s responsables. Du point de vue du processus, nous nous trouvons embarqués dans une vie adulte qui pérégrine de plus en plus longtemps sur plusieurs décennies d’âge, amenant avec elle une suite de transformations, métamorphosant au cours des années le jeune adulte en adulte accompli, soit selon les propres termes de Levinson (1980), l’Early Adulthood en Late Adulhood en passant par le Middle Adulthood.
Alors que la sociologie des âges encore au 18e siècle était située par rapport aux deux catégories d’âges liminales qu’étaient à l’époque l’enfance et la vieillesse [19], aujourd’hui, comme le remarque M. Bessin (1993), la sociologie des âges est recentrée et souvent située par rapport à un statut d’adulte intégré et socialisé.

La question d’une expérience adulte à parfaire avec l’avancée en âge

12Si la vie adulte se caractérise d’abord par l’avancée en âge, c’est-à-dire par l’expérience du temps et la prise de conscience progressive de cette expérience, ce que souligne J.-Y. Robin dans ses récits biographiques lorsqu’il écrit que l’âge c’est d’abord l’expérience, nous devons alors reconnaître que cette vie accumule à travers les vicissitudes des événements vécus les épreuves et donc organise une mémoire expérientielle. Comme l’a bien montré M. Fabre (1994), tout un ensemble de travaux sont à situer tant dans la mouvance du Pragmatisme américain que du Romantisme allemand pour spécifier deux dimensions de l’expérience adulte qui apparaissaient avec l’âge, ou mieux deux façons de traiter l’expérience adulte, d’une part la capacité à résoudre des problèmes, d’autre part le souci de donner sens à une épreuve. Ces deux dimensions considérées par M. Finger (1984) comme irréconciliables sont plutôt à entrevoir comme les deux faces incontournables de toute pratique adulte soucieuse de son élucidation et de ce fait assimilable à une figure de Janus, telle qu’a pu l’esquisser H. Gadamer (1990) lorsqu’il oppose l’Erlebnis, cette expérience vécue porteuse d’une signification durable à élucider et l’Erfahrung, cette expérience empirique objectivée dans des observations particulières.

13L’expérience adulte entrevue comme pratique se manifeste donc sous une double face ; l’une d’entre elles, l’Erfahrung, la face pragmatique est en elle-même composée simultanément d’éléments actifs et d’éléments passifs agencés de manière particulière : cette expérience adulte en effet éprouve en même temps qu’elle subit, comme l’a déjà montré J. Dewey [20]. C’est dire qu’elle constitue autant un obstacle qu’un levier, relevant simultanément de l’habitus actif et de l’habitus passif, ce que P. Bourdieu (1980) formalise dans l’opposition entre les structures structurantes et les structures structurées. Les travaux autour de cet adulte praticien vont chercher à comprendre comment se constitue la mémoire expérientielle au travers des essais et des épreuves. Ils vont montrer en quoi l’adulte se montre vite encombré dans la constitution de son expérience dont une bonne partie va tomber dans le domaine de l’implicite, de l’anonymat et du subconscient. La verbalisation de l’expérience ou mieux son explicitation (Vermersch, 1984) va redonner vie et sens à ces matériaux anonymes enregistrés passivement en mémoire. L’expérience activement ré-évoquée est susceptible de nous conduire sur l’autre face, celle du temps vécu réapproprié, l’Erlebnis, pour engendrer des significations inédites. Ce nouveau savoir ainsi créé à partir d’un travail de ré-évocation vise à une transformation de l’expérience, source d’apprentissage et de développement, ce sur quoi insiste Kolb (1984), d’où la place et le rôle essentiels de la formation lorsqu’elle travaille sur cette explicitation. C’est à un travail voisin de l’explicitation que nous convie D. Schön (1983), dans la tradition pragmatique lorsqu’il invite le professionnel adulte à développer une épistémologie du savoir caché dans l’agir professionnel, cet agir professionnel ne pouvant se réduire à résoudre des problèmes mais devant repérer dans les situations vécues des évènements uniques porteurs d’incertitude, de désordre et d’indétermination.
De métamorphose en métamorphose, d’habitus actif en habitus passif, d’un obstacle remis en cause pour en faire un levier, l’expérience adulte est à constamment réactiver dans les pratiques momentanées. Il s’agit d’une tâche interminable permettant à l’adulte d’aller au cours de son itinéraire, de construction en reconstruction, ce que les philosophes allemands appellent Bildung, ce que G. Bataille [21] nommait, parlant de l’expérience intérieure, ce voyage au bout du possible. Cette tâche interminable, nous le rappelle R. Kosselleck [22], ne saurait se suffire à elle-même ; en effet elle constitue le passé présent d’un espace d’expérience fait d’évènements incorporés ; elle doit s’ouvrir sur un horizon d’attente et de projets en tension avec l’expérience.

La question d’une vie adulte capable d’intégrer deux formes d’humanité

14Il y a bien une signification à donner aujourd’hui à l’actualité de l’expression vie adulte dans notre société ; cette signification est liée à la remise en cause du machisme dans les sociétés occidentales industrialisées qui jusqu’ici assimilaient les acteurs placés aux avant-postes de commande de notre société aux seuls hommes. Le terme homme chargé d’équivocité renvoie à la catégorie homme dans son sens anthropologique générique, mais dans le même temps entretient une secrète connivence sexiste avec le genre homme. Or une telle connivence propre aux Latins, que ne connaissent pas les Grecs [23], est désormais considérée comme obsolète. Des usages désuets n’en sont pas moins persistants. Comment comprendre autrement les récents ouvrages de B. Lahire (1998), L’homme pluriel et de Ch. Melman (2002), L’homme sans gravité où manifestement ici le substantif de chacun des deux titres est utilisé pour décrire la position de l’adulte postmoderne, indifféremment homme ou femme ? Le recours actuel au concept d’adulte entend signifier que les femmes autant que les hommes constituent les uns et les autres la société des adultes, une société qui nous est désormais donnée comme biface, même si l’une des faces selon les circonstances cherche à assurer sa prééminence sur l’autre. Au sein de la société des adultes, la lutte des pouvoirs entre genres s’est d’autant plus facilement installée qu’a disparu la prééminence de droit imprescriptible de la figure de l’homme.

15Le machisme ambiant reste néanmoins d’autant plus tenace que la société moderne était une société à dominante masculine qui cultivait cette forme de temporalité au sein de laquelle tendent à se reconnaître les hommes, celle de la monochronie. En postmodernité, les femmes manifestent leur avantage en étant plus en accord avec la polychronie des temps sociaux (Bessin, 1998). En parlant de deux humanités à propos de cette cohabitation de femmes et d’hommes au sein de la même société des adultes, Alberoni (1987) évoque ces deux temporalités sociales contrastées incarnées par chacune de ces deux humanités, temporalités accentuées ou atténuées par les environnements culturels, temporalités de la discontinuité et du fragment pour l’adulte homme, temporalités de la continuité et de la progression pour l’adulte femme (Alberoni, 1987). Nous pourrions ajouter dans un souci de nuance, des temporalités de la discontinuité malgré une apparence de continuité pour les hommes, des temporalités de la continuité malgré une apparence de discontinuité pour les femmes.

16C. Gilligan (1982) insiste de son côté sur la grande différence entre le masculin et le féminin, différence conduisant selon elle à deux types psychologiques bien distincts : d’un côté une éthique de la sollicitude et de l’attachement, autre façon de parler de continuité, de l’autre une éthique de la séparation et du travail propre à la discontinuité. D.J. Leavinson quant à lui situe cette différence en termes de clivages (gender splitting) : clivage entre sphère intérieure et domestique pour les femmes et sphère sociale et publique pour les hommes, reformulant ainsi la division du travail traditionnelle entre travail féminin et travail masculin.

17En fait avec ces convergences et contrastes, il faudrait mieux parler, à la suite de C. Louveau (1996), de paradoxes dans l’évolution des rôles masculins et féminins au sein de notre société, malgré une homogénéisation apparente croissante des comportements masculins et féminins. J. Laufer et al. (2001) vont même jusqu’à évoquer des contradictions face aux transformations sociales massives et complexes concernant les changements qui ont affecté le statut des femmes au cours de ces cinquante dernières années. C’est dans le même sens que s’oriente M. Duru-Bellat (1990) à propos de la scolarisation massive des filles et de leur orientation, lorsqu’elle constate une orientation des filles tout à fait conforme aux stéréotypes culturels de leur sexe, des stéréotypes qui valorisent les activités langagières et de relation, ce qui explique une moins grande diversification des choix que chez les garçons. De son côté N. Mosconi (1994), toujours à propos de cette scolarisation massive des filles qui a marqué ces dernières décennies, note qu’elles sont plus usufruitières du savoir qu’héritières de plein droit, ce qui leur interdit dans bon nombre de cas les itinéraires professionnels les plus prestigieux réservés aux garçons. Quant à J. Commaille (1993), il met en évidence chez les femmes les deux logiques contradictoires du familialisme et du féminisme.
Dans les relations évolutives et mouvantes entre femmes et hommes adultes, on pourrait ici ranger la littérature produite succinctement en quatre modèles émergents :

  • un machisme résiduel, souvent dissimulé, laissant aux hommes la prééminence de certains rôles ou avantages, entre autres le salaire, et aux femmes le travail imposé, invisible et peu reconnu, notamment le travail domestique (A. Dussuet, 1997) ;
  • une androgynie latente manifestant un déni du genre avec indifférenciation voire interchangeabilité des rôles familiaux, professionnels, sociaux ; cette androgynie s’exprime entre autres dans une homogénéité de certains modes d’être comme les tenues vestimentaires ; une telle androgynie est bien soulignée par des auteurs comme E.P. Cook (1985) ou F. Lorenzi-Cioldi (1994). L’androgynie, observe F. Lorenzi-Cioldi, se déploie sur fond de féminisation de nos environnements postmodernes et s’appuie sur un double déni :
    • celui d’une spécificité possible liée au sexe et au genre, exprimée dans la formule l’un est l’autre (Badinter, 1986) ;
    • celui d’une différenciation occulte persistante, cachée par une indifférenciation apparente de certains rôles (Lipovetsky, 1997) ;
  • un féminisme conquérant dont certaines valeurs rejoignent celles de la société communicationnelle qui est en même temps une société de services, ce que soulignent chacune de leur côté D. Méda (2001) et P. Molinier (2003) ; ces valeurs tendent à privilégier notamment les temporalités de l’alternance, la dimension relationnelle d’un nombre croissant d’activités professionnelles ; le féminisme lui-même n’est pas homogène ; il peut prendre différentes formes, depuis le militantisme jusqu’à l’imposition sereine des modes d’être féminins, tels qu’ils se manifestent dans la féminisation croissante de certaines professions ; mais à travers le partage difficile entre vie familiale et vie professionnelle, cette féminisation peut s’accompagner de culpabilisation (Giampino, 2000) ;
  • une paternité dépressive liée à une crise de l’autorité paternelle. F. Hurstel (1996) parle à ce sujet de déchirure paternelle associée à une déconstruction de la paternité. Cette déchirure est à mettre en lien avec une remise en cause de la virilité, virilité assimilée depuis longtemps à des formes d’autorité faisant fonction de domination vis-à-vis des femmes. L’activité professionnelle à laquelle se sont identifiés les hommes durant toute la période de l’industrialisation, a perdu la légitimation qu’elle avait ; elle prend désormais des formes diversifiées et de plus en plus alternatives. Paternité et travail cessent d’être des déterminants essentiels de l’identité masculine (Dejours, 1998 ; Molinier, 2003). Cette nouvelle identité que l’on pourrait appeler avec Dejours masculinité se manifeste dans toute sa fragilité, surtout lorsque les pères invalidés deviennent les auxiliaires des mères (Lebrun, 1997) ; elle tâtonne à se redéfinir au-delà des anciens cadres de la virilité.

Trois modèles de vie adulte en cohabitation postmoderne

18La généalogie du concept d’adulte depuis une cinquantaine d’années, c’est-à-dire depuis que ses significations actuelles se sont stabilisées [24], fait vite apparaître dans ses manifestations éditoriales la succession de trois modèles typés qui chacun à leur tour furent dominants (Boutinet, 1998) : l’adulte en maturité, l’adulte en maturation, l’adulte immature. On peut par hypothèse considérer que ces trois modèles produits par la littérature scientifique sont dans une large mesure le reflet des situations et pratiques empiriques. Aujourd’hui ces modèles semblent cohabiter ensemble, parfois se compénétrer chez le même adulte, lui conférant ce contour flou que nous lui reconnaissons actuellement.

L’adulte mature ou structural

19Pendant longtemps nous nous sommes donné de la vie adulte une conception statique associée à un profil structurant susceptible d’être définitivement acquis à l’issue de la post-adolescence. Une telle conception s’origine, nous l’avons vu, dans le modèle biologique de la maturité : être adulte signifie l’état d’achèvement d’un processus développemental que l’on nomme maturation, c’est-à-dire l’atteinte d’un équilibre biologique entre croissance et déclin [25]. La maturité peut se faire vocationnelle, voire occupationnelle (vocational maturity, occupational maturity) pour désigner la capacité à accomplir des tâches comportant des niveaux de difficultés croissantes (Botteman, 1999). La maturité renvoie aussi sur le plan strictement psychologique à un équilibre entre différentes formes d’autonomie à l’instar de l’équilibre biologique ; mais l’équilibre psychologique, perçu comme plus fragile que l’équilibre biologique est vécu en même temps comme un idéal, ce qu’a bien montré B. Zazzo [26] en son temps, un idéal pour l’enfant et l’adolescent qui faiblit lorsque l’on devient adulte : la confrontation avec autrui comme la confrontation avec soi est en effet l’occasion d’une mise en cause du sentiment de maturité. Toujours est-il qu’au cours des décennies passées le profil d’un type psychologique idéal pouvait alors entrer dans l’une ou l’autre des typologies de personnalité élaborées par les psychologues. Il exprimait ce que l’on peut nommer une variante dans les formes diversifiées de maturité [27].

20Par un glissement sémantique digne d’attention, lorsqu’il se donne comme structural, l’adulte est identifié à l’une ou l’autre forme de personnalité. Les études sur la personnalité ont pour la grande majorité d’entre elles développé une approche classificatoire. Certes ces études caractéristiques d’une époque de la modernité où cette personnalité marquée par la stabilité de la maturité se déroulait dans un environnement lui-même plus stable que le nôtre, appréhendaient la vie adulte sous l’angle de grandes régularités. J. Garneau et M. Larivey (1983) placent ces régularités au niveau de la croissance personnelle, identifiant différentes étapes caractéristiques de cette croissance, depuis l’émergence de l’expérience subjective jusqu’à l’action unifiante. De son côté Huteau (1985) entrevoit la personnalité cognitive comme unité stable et individualisée d’un ensemble de conduites faites d’invariants susceptibles de rendre compte de la cohérence de ces conduites. P.C. Morin et S. Bouchard (1993) quant à eux passant en revue les théories de la personnalité s’essaient à la constitution d’une typologie des conceptions forgées autour de la notion de personnalité : ils distinguent les modèles issus de la psychanalyse de ceux provenant de la psychologie humaniste, eux-mêmes différenciés des approches béhavioristes et des perspectives factorialistes centrées sur la mise en évidence des traits de personnalité. En ce qui le concerne, Y. St. Arnaud (1982), à travers un essai de compréhension de la personne qui s’actualise, envisage la personnalité comme processus de biosynthèse mais il ne peut s’empêcher de cadrer au préalable la personnalité au travers de cinq critères structuraux qui vont du potentiel bioénergétique à l’actualisation de la personne en passant par le soi intégré et le soi menacé.
C’est dire que l’approche psychologique de la personnalité a été le vecteur jusque vers les années 1980 d’une conception stable de la personne adulte, faite de maturité, d’indicateurs, de repères. La substitution du concept de vie adulte à celui de personnalité marquera d’ailleurs un changement de perspective et notamment une remise en cause de la stabilité bien formulée dans l’expression : formation/éducation des adultes. Toutefois des travaux récents comme ceux de C. Vandenplas-Holper (1998), bien que recourant au concept de développement, demeurent dans la problématique de la stabilité, cherchant à associer personne et vie adulte dans la perspective de la régularité et du contrôle, un contrôle qui se relâche toutefois, selon l’auteure, avec l’avancée dans le vieillissement. Ce contrôle associé au développement de la vie adulte est abordé de son côté par J. Heckhausen (1999) qui appréhende le développement des régulations au cours de la vie adulte à travers un double contrôle, un primary control exercé sur son environnement pour faciliter les adaptations fonctionnelles, un secondary control orienté vers le monde intérieur du self en vue d’optimiser les ressources motivationnelles nécessaires à la réalisation du premier contrôle. En fait chez ces deux auteures dans leur mouvance théorique béhaviorale, le concept de développement, peut-être trop facilement sollicité, prend un sens tout à fait particulier, celui, comme elles l’indiquent d’ailleurs, de développement régulationnel que nous préférons qualifié d’homéostasique, nous ramenant justement aux paradigmes de la stabilité et de la structure.
Cette compréhension structurale de la vie adulte qui valorise la maturité est proche de ce que Svendsen (2003) dénomme l’ennui, à moins qu’elle ne donne lieu à transgression, l’ennui né de cette incapacité à se situer dans le temps. C’est un tel ennui associé à une vie adulte stable qui sera en son temps dénoncé par G. Lapassade [28] et par ailleurs souvent remis en cause dans les témoignages d’adultes refusant justement de se reconnaître comme adultes à travers cette image d’une stabilité imposée [29]. Une telle conception de la vie adulte va être battue en brèche par les tenants du constructivisme, laissant à la posture structurale, une place désormais modeste.

L’adulte développemental ou en maturation

21Cette conception stable de la personnalité à laquelle différents courants théoriques y compris psychanalytiques vont contribuer, sera malmenée par les changements sociaux induits par la modernisation de notre société industrielle des années 1960 et le déroulement des Trente glorieuses pour reprendre la terminologie du sociologue J. Fourastié. Un nouveau modèle de vie adulte s’organise justement autour des changements extérieurs qui bousculent cet adulte, donnant toute son importance à la perspective constructiviste. Ce modèle, dynamique et résolument optimiste, sera tellement prégnant qu’il hante encore les temps actuels qui voient pourtant l’adulte se débattre dans un tout autre contexte certainement plus morose. En effet deux ouvrages caractéristiques de ce modèle développemental vont donner lieu l’un à rééditions successives, l’autre à une réédition toute récente : les ouvrages de C. Rogers, Le développement de la personne[30] et de G. Lapassade, L’entrée dans la vie, essai sur l’inachèvement de l’homme[31].

L’adulte entre développement vocationnel et constructivisme expérientiel

22Avec l’école humaniste nord-américaine, le paradigme du développement vocationnel dans les études sur la vie adulte a acquis une place de choix. Mais ce paradigme en quelque sorte n’était que le reflet de la nouvelle position de l’adulte dans une société industrielle avancée où l’activité de conseil, l’activité de formation continue, le développement des relations humaines constituaient comme autant d’instances médiatrices susceptibles d’encadrer un nouveau profil de vie adulte, celui de l’adulte en perspective. Un tel modèle de vie adulte se décline à travers le développement vocationnel, si par vocation on entend cette perspective dynamique de prise de décision, d’adaptation professionnelle, d’adoption de nouveaux rôles, d’acceptation positive de l’incertitude menant à la réalisation de soi, comme nous le suggèrent Y. Forner et O. Dosnon, à la suite de J.-L. Holland [32]. L’approche développementale est assimilée à une croissance pourvoyeuse de nouveau potentiel, une poussée (a thrust) directionnelle irréversible. G. Bocknek (1980) parle à ce propos de developmental imperative. Chez certains auteurs comme S.K. Whitbourne et C.S. Weinstock ce développement est fait d’alternance entre changement et stabilité, une alternance qui amène à une progressive différenciation par l’expérience.

23Abordons une question très délicate, objet de débats au sein même du modèle constructiviste : celle de l’adulte semblable ou différent de l’enfant. Si Bocnek se représente l’adulte développemental comme en rupture qualitative avec l’adolescence, d’autres auteurs comme C.A. Colarusso et R.A. Nemiroff dans leur théorie psychodynamique considèrent que la nature du processus développemental est la même chez l’enfant et chez l’adulte ; l’adulte serait en continuelle maturation, passant par des étapes successives de transition et de crise, cette dernière elle-même résolue au sein d’une transition ultérieure, comme l’ont illustré chacun de leur côté D. Levinson (1980) distinguant le jeune adulte, l’adulte du mitan de la vie, le dernier adulte, et B. Neugarten (1985) précisant les changements significatifs auxquels l’adulte doit faire face (Bédard, 1983). De son côté J. Mezirow (2001) assimile le développement de l’adulte à un accroissement progressif de son aptitude à valider son acquis antérieur grâce au dialogue réflexif. C’est cette même idée de maturation continuelle de soi que l’on retrouve chez R. L’Ecuyer traçant le développement du concept de soi de l’enfance à la vieillesse, faisant du soi un ensemble composite de soi personnel, soi adaptatif, soi social, à l’instar de D.C. Kimmel (1990) qui défend une approche plurielle du self à travers ses quatre dimensions : experiencing, awareness, feeling, thinking.

24Une autre façon d’envisager le développement, celle-là plus conflictuelle, est de le situer dans le prolongement des travaux de J. Bowlby (1980), comme une alternance entre attachements et pertes, certains auteurs valorisant davantage les vertus de l’attachement (West & Sheldon-Keller, 1994 ; Limoges, 2000), d’autres insistant sur les renoncements nécessaires (Viorst, 1986) comme incontournables dans la structuration d’une vie adulte. Ces renoncements pourront s’exprimer à travers telle ou telle forme de lâcher prise (Finley, 1994) qui nous introduit par l’idée de perte à une psychologie du deuil initiée par E. Kubler-Ross [33], reprise entre autres par B.L. Mishara et R.G. Riedel (1985) ; cette expérience de deuil sous quelque forme qu’elle se présente, s’avère constituer un passage obligé pour l’adulte confronté à devoir assumer des situations variées de renoncements.
À côté de l’option développementale, associée à la maturation propre à l’avancée en âge, une place est à faire à l’autre option, celle de l’approche constructiviste, solidaire de l’expérience, une expérience, comme l’indique Mezirow, qui amène un changement de perspective en apportant des significations nouvelles qui viennent donner sens, grâce à la diversité des acquisitions antérieures. Cette expérience va ainsi être constitutive de significations durables dans ce qui la caractérise comme acte de s’outrepasser soi-même à travers un jeu dialectique du même et de l’autre, de la conscience de soi et de l’autre (Fabre, 1994). La structuration de l’expérience comme mémoire ne saurait être dissociable des phénomènes d’attente et donc d’anticipation qu’elle génère, ce que R. Kosselleck [34] a bien mis en évidence dans la tension créatrice qui s’instaure entre une expérience et des attentes. C’est ainsi que l’on peut parler à propos de cette tension créatrice, avec M. Finger (1994), d’une formation par les expériences de la vie, perspective alternative et complémentaire à l’option développementale.

Limites du paradigme développemental, limites de la construction expérientielle

25Le développement de la vie adulte avec l’avancée en âge est traditionnellement entrevu à travers une capitalisation d’expériences. Il constitue donc dans le meilleur des cas un acquis incontournable du temps vécu. Les différents modèles de développement vocationnel d’un côté, comme ceux de la théorisation de l’expérience de l’autre, l’ont bien mis en évidence. Mais ils l’ont fait au regard de contextes existentiels marqués somme toute par des repères assurant des formes de stabilité, au regard desquels évoluaient les adultes. Cet acquis développemental en fonction de l’âge, toutefois loin d’être généralisable aux situations actuelles, devient même hypothétique face à la turbulence croissante de nos environnements et à l’effacement des repères jadis structurants, qu’ils soient familiaux, professionnels, idéologiques ou encore initiatiques. Le développement semble alors laisser souvent la place à l’une ou l’autre forme d’immaturité exprimant un déficit : déficit identitaire associé à un manque de reconnaissance, déficit d’activité faute d’engagement professionnel, déficit de lien social par repli narcissique.

26C’est dire que le concept de développement relève de l’analogique dans son habileté à glisser sans encombres d’un registre épistémologique à l’autre, du développement biologique au développement psychologique pour aller vers le développement social, voire culturel et économique. Ce concept appliqué à la vie adulte présente, malgré ses zones d’ombre et ses approximations, un caractère incontournable : le développement est cette expérience en cours de constitution qui va révéler les potentialités jusqu’ici cachées de la personne ; par le fait même il y aura avec le temps de l’expérience démultiplication des compétences. Mais la caractéristique de ce développement est de tendre vers ses propres limites, lorsque les acquisitions maturationnelles et les révélations de potentialités sont réalisées, lorsque le vieillissement avec le temps se transforme inéluctablement en vieillesse, amenant alors à un processus d’inversion ou de régression. De ce point de vue la relation analogique entre le développement biologique et le développement psychologique en associant expansion et régression au sein du même processus vital pourrait être de bon conseil. Mais souvent dans ses significations, ce développement se trouve marqué par l’idéologie du progrès et c’est là une première limite à pointer dans l’usage du concept psychologique de développement, lorsque ce dernier appliqué à la vie adulte l’est de façon trop progressiste.

27Dans le cours du 20e siècle, spécialement dans sa deuxième moitié, le développement a pris le relais du concept de progrès en épousant ses caractéristiques linéaires et optimistes. Ce sont de telles caractéristiques qui ont marqué les modèles de développement vocationnel chez l’adulte. D’ailleurs quand R. Houde (1998) parle du développement psychosocial de l’adulte, elle se réfère explicitement à l’idéologie du progrès qu’elle associe à la croissance, à l’actualisation du plus-être. Elle reconnaît que l’universalité du processus développemental pose plus de questions que de certitudes, que cette universalité reste difficilement compatible avec la singularité des parcours individuels de même qu’avec les changements de société qui malmènent aujourd’hui cette universalité. Ch. Bujold et M. Gingras (2000) en ce qui les concerne, tout en se référant au concept de développement de carrière restent plus modestes en refusant d’associer développement et progrès : pour eux le développement exprime la façon par laquelle les adultes sont continuellement en devenir. Ceci nous permet d’évoquer deux autres limites au concept de développement psychologique.
Mener une expérience n’est pas automatiquement source de développement, comme pourtant ont semblé l’affirmer des auteurs comme D.A. Kolb (1984) voyant dans l’expérience The source of learning and development ; si l’expérience avoisine le péril, l’épreuve, comme nous le rappelle son origine étymologique perior, peritus, certains adultes peuvent parvenir à surmonter l’épreuve quand d’autres y succombent et se laissent emporter par l’un ou l’autre péril associé à l’installation de telle ou telle nouvelle dépendance dans leur espace de vie. C’est dire qu’une expérience frustrante sera souvent davantage source de régression que de progression, exprimant là une limite de l’idée de développement. Par ailleurs toutes les expériences ne se valent pas. Alors que certaines sont structurantes, d’autres se laissent aménager en conditionnements, ces routines qui de toute façon tôt ou tard menacent toute expérience. De ce point de vue, comme aimait le rappeler J. Dewey, l’expérience n’est pas ce qui vous arrive mais ce que vous faites de ce qui vous arrive de par sa double nature évoquée plus haut. Cette double nature d’activité et de passivité est constamment soulignée par nombre de théoriciens de l’expérience. Le développement de la vie adulte est donc autant fait de mise en place de conditionnements, voire de scléroses que de capacités d’action et compétences. C’est une autre de ses limites.

Les logiques développementales remises en cause par les environnements postmodernes

28Le modèle de l’adulte en perspective se trouve par ailleurs confronté aux limites imposées par les nouvelles conditions environnementales au sein desquelles évoluent les adultes postmodernes. Le développement de la vie adulte vers plus d’autonomie, l’affirmation de soi dans ses potentialités sont mis à mal par la donne culturelle actuelle qui en imposant le nouveau paradigme communicationnel, déplace la problématique développementale adossée jusqu’ici à des temporalités de la durée vers l’immédiateté des informations, rendant chaotique la constitution d’expériences sur le moyen ou le long terme. L’effacement des cadres de référence à partir desquels pouvait se constituer une expérience amène plutôt l’adulte à vivre des formes d’immaturité qu’à développer de nouvelles compétences, ces immaturités que l’on peut justement concevoir comme autant de blocages dans les processus de développement, blocages liés à des environnements trop contraignants : contraintes de devoir décider de tout (Ehrenberg, 1998), contraintes de devoir assumer seul des situations limites frustrantes (Fisher, 1994), contraintes liées à un déficit de reconnaissance (Honneth, 1992), à une privation d’activité (Dubar, 2000), contraintes de devoir gérer des systèmes d’information de plus en plus complexes et contradictoires (Rifkin, 2000). Cet inconfort, semble-t-il grandissant, de la vie adulte, va générer un troisième modèle de vie adulte que nous allons maintenant tenter d’identifier.

L’adulte immature du chaos vocationnel

29Pour toutes ces raisons et observations une littérature composite de coloration plus pessimiste s’est constituée ces dernières décennies autour de la vie adulte au moment où les contours postmodernes de nos environnements transformaient les anciens décors modernes ; cette littérature s’est organisée de préférence autour de l’adulte de l’immaturité et du chaos vocationnel. Nous sommes là en présence d’un changement de métaphore, voire d’une inversion : le vide chaotique se substitue à la plénitude vocationnelle. Certes la postmodernité n’a pas l’exclusivité des formes d’immaturité, même si elle en recèle un grand nombre. Ainsi chaque adulte arrive quelque peu blessé par son enfance, ce qu’a bien montré A. Miller (1990) dans ses travaux. Mais cette blessure prend de nouvelles résonances lorsque le contexte n’aide pas à la cicatrisation.

Vie et mort de la carrière

30Parler de carrière pour évoquer un chemin existentiel est une belle métaphore que la modernité tardive va réduire au seul chemin professionnel ; la carrière est l’expression d’un subtil équilibre ou compromis. Essentiellement moderne dans son usage, le diminutif de carriérisme n’apparaissant par exemple qu’au début du 20e siècle, elle présuppose pour être rendue possible suffisamment de mobilité, ce que justement vont permettre les environnements modernes ; H.S. Becker [35] pour la définir parle à ce sujet de la suite des passages d’une position à une autre accomplie par un travailleur dans un système professionnel ; cette suite de passages dans sa double dimension objective et subjective peut donner lieu à ce qu’il appelle des accidents de carrière ; mais trop de mobilité, comme c’est le cas dans les espaces postmodernes, va tuer la carrière. Nous passons alors de l’accident de carrière occasionnel à la carrière éclatée, sur laquelle revient assez souvent la littérature actuelle. Alors que pour Boltansky et Capello (1999), il n’y a plus de carrière mais seulement un passage d’un projet à un autre projet, L. Cardinal (1999) évoque l’éclatement de la carrière, quand Ch.H. Amherdt parle de chaos de carrière. Ch. Bujold et M. Gingras (2000), de leur côté vont porter le coup de grâce à la carrière en annonçant sa mort avec la fin d’une certaine forme de travail concrétisée jusqu’ici dans des emplois et métiers doués de permanence ; désormais ce sont de multiples facteurs circonstanciels qui vont influencer des trajectoires professionnelles de plus en plus atypiques.

L’effacement des repères

31La notion de chaos empruntée aux physiciens et à leur théorie du chaos pour manifester la non-dépendance sensitive d’un phénomène observé à ses conditions initiales d’apparition nous place face à l’imprévisibilité, à l’instabilité et à la turbulence ; si le chaos de carrière semble approprié pour décrire la situation de l’adulte en contexte postmoderne, comme veulent l’indiquer D. Riverin-Simard (1996) et Ch.H. Amerdt, c’est pour signifier que les conditions initiales d’éducation demeurent maintenant insuffisantes pour rendre compte des aléas des itinéraires. M. Bessin (1993) le remarquait déjà, nos trajectoires biographiques sont marquées par leur déritualisation, l’arasement des seuils d’âge et la désinstitutionnalisation du cours de la vie, une désinstitutionnalisation déjà bien mise en évidence par M. Kholi (1986). Ceci ne peut que conduire à une fragilisation du statut d’adulte ; cette fragilisation est liée à une plasticité croissante de nos organisations temporelles, aux calendriers atypiques et à un défaut d’horizon temporel prospectif (Boutinet, 2004).

32Le chaos de carrière ou le chaos vocationnel signifie que les appuis traditionnels, ces étayages que sont la famille, l’école, la profession, la référence à un système d’idéal ne sont plus suffisamment structurants pour organiser ou anticiper des parcours biographiques bien identifiables. Avec l’avènement des environnements postmodernes le « moi » de l’adulte, un moi déstabilisé, insécure et obsédé par ses problèmes personnels, constamment branché sur un présent, sans projet, s’est transformé pour Boisvert (1996) en un miroir vide et fragile. De son côté P. Boulte (1995) décrit ces individus en friche que nous serions tous plus ou moins devenus, confrontés aux mêmes fragilités identitaires. De son côté A. Ehrenberg (1995) affirme que nous sommes entrés dans l’âge de l’individu incertain ; ce dernier semble avoir de moins en moins d’attaches collectives et éprouve un sentiment d’impuissance dans la gouvernance de ses projets.

L’épreuve à affronter

33Le chaos vocationnel avec ses fragilisations, ses crises, ses imprévus place l’adulte face à des situations qui peuvent être limites, voire extrêmes, mettant dangereusement en jeu l’existence de l’adulte dans son intégrité, nécessitant de la part de l’adulte des capacités de résilience modélisées entre autres par W.R. Beardslee (1989), ce que G.N. Fisher (1994) appelle le ressort invisible et qui implique une mobilisation des énergies de l’individu au-delà de l’imaginable pour qu’il développe des stratégies d’ajustement et de substitution. Il est à noter que c’est avec la fragilisation croissante de la vie adulte, fragilisation qui ne peut plus s’appuyer sur l’un ou l’autre modèle développemental, que va proliférer toute une littérature autour de la résilience et du coping ainsi que des stratégies d’adaptation à mettre en branle face à l’épreuve, ainsi que de la résilience et ce à partir des années 1980-1990 [36] : dans des situations de plus en plus contraignantes à tous points de vue, comment l’adulte va-t-il trouver la force de survivre, comment va-t-il réagir à l’impensable ? Ce ressort invisible, cette résilience entendent métamorphoser l’adulte en le rendant quelque part invincible, comme le note Fisher, ce qui fait écrire à H. Maldiney (1991) que dans la crise, le soi est mis en demeure de disparaître dans la déchirure ou de renaître dans le bond au prix d’une transformation qui consiste à devenir autre.

34L’épreuve à affronter, concerne aussi toutes les formes de stress à juguler (Gotlib, Wheaton, 1997) à commencer par le harcèlement moral que décrit bien M.-F. Hirigoyen (1998). Dans une culture obsédée par la productivité, les moindres coûts et le culte de la qualité, le harcèlement moral sur fond de retour du moralisme prend des proportions importantes et participe de l’usure de l’adulte au travail.

L’épuisement sous ses différentes manifestations

35Cette usure de l’adulte et l’épuisement qui en découle se mesurent entre autres dans les espaces professionnels à différentes formes d’impuissance : impuissance dans l’accessibilité à un emploi en situation de reconversion professionnelle, impuissance face à l’une ou l’autre forme de surmenage et donc de lassitude exprimée par ce fameux burn-out (Freudenberger, 1987), impuissance au regard d’idéaux projetés devenus inaccessibles, ou dans la confrontation aux pressions accrues de productivité (Roberge, 1990). Comme le souligne de son côté R. Sennett (1998), nous sommes entrés dans des temporalités de l’urgence et du court terme amenant bien souvent à une permanente sollicitation qui engendre une corrosion du caractère, une perturbation des capacités relationnelles et personnelles.

36À travers le recours de plus en plus fréquent au terme « individu », on constate donc une déqualification de l’adulte, ce qui apparemment semble en opposition avec le sentiment de responsabilité constamment sollicité pour cet individu, mais un sentiment qui va participer lui aussi à l’épuisement de ses énergies. Ehrenberg à ce propos indique que nous sommes devenus responsables de nous-mêmes à un point jamais égalé dans l’histoire des sociétés modernes. Cet adulte du chaos vocationnel doit donc être entrevu en même temps, curieux paradoxe, comme un adulte responsable, ce qui d’un certain côté pourrait conforter son autonomie, ce qui de fait augmente sa dépendance par le poids des responsabilités que l’on fait peser sur lui, cette charge mentale contraignante soulignée par R. Kegan (1996). La responsabilité devient la norme qui se substitue à l’ancienne culpabilité (Ehrenberg, 1998). C’est ainsi qu’E. Morin (2000, pp. 71-72) s’interrogeant sur lui-même et essayant de répondre à la question qu’il se pose Suis-je adulte ? affirme : « Adulte, je ne le suis pas tellement. Être adulte c’est avoir des responsabilités ».
Cette dépression de soi que met en scène le modèle du chaos vocationnel peut alterner avec des formes d’exaltation de soi. Sur ce registre, N. Branden (1985) insiste sur l’importance à accorder à l’estime de soi et à l’autonomie personnelle comme conditions d’existence humaine, le jugement le plus important étant celui que nous portons sur nous-mêmes ; ce jugement rejoint le centre de notre existence. Une telle valorisation de l’estime de soi dans une société à la fois consumériste et assistantielle va engendrer cette forme limite de l’estime de soi qu’est l’attitude narcissique, cette sorte de complaisance vis-à-vis de soi-même. Des auteurs comme Ch. Lash [37] ou Johnson (1987) vont souligner cette tendance qui place l’accomplissement et l’épanouissement comme premier impératif.

Vers un adulte pluriel, un espace composite à occuper

37Adulte structural, adulte développemental, adulte immature constituent trois modèles contrastés de vie adulte, chacun révélateur dans notre histoire immédiate de périodes caractéristiques dont la sensibilité ambiante s’est retrouvée dans le modèle correspondant ; si le premier de ces modèles, celui de l’adulte structural s’apparente aux environnements ruraux et traditionnels, ainsi qu’aux premières formes de modernité, le second modèle caractérise davantage les espaces industriels dans leur dynamique d’expansion ainsi que les formes de modernité tardive. Quant au dernier modèle qui nous est contemporain, il semble façonné à plus d’un titre par la nouvelle civilisation communicationnelle dont il constitue sans doute l’un des effets les plus spectaculaires. Affubler ces modèles d’une vision normative serait certainement une erreur ; chacun possède en effet sa grandeur et ses faiblesses ; si le premier modèle est plus affirmé mais refermé sur lui-même et porteur d’une charge d’ennui, le second introduit une dynamique qui peut néanmoins s’apparenter à une fuite en avant grosse d’illusions ; quant au troisième sa fragilité même lui permet de laisser les jeux très ouverts et vigilants sur un travail de continuelle reconstruction.

Trois composantes de vie adulte à faire cohabiter

38Nous pouvons considérer les modèles que nous venons de mettre en évidence comme trois pôles incontournables susceptibles d’organiser toute vie adulte. Toujours est-il qu’avec ces modèles, nous avons là un instrument de classification de la plupart des théories actuellement développées autour de la vie adulte, qui peuvent se regrouper autour de l’un ou l’autre d’entre eux. Mais, fait plus remarquable, ces trois modèles cohabitent la plupart du temps au sein du même adulte postmoderne qui simultanément ou alternativement reçoit les injonctions de devoir décliner ses compétences les plus caractéristiques, de se faire apprenant pour acquérir de nouvelles compétences, d’identifier ses déficits en vue d’y remédier. Compétences, apprentissages, déficits contribuent aujourd’hui à structurer l’espace adulte.

L’adulte compétent

39Un certain nombre de travaux théoriques relayant les pratiques professionnelles des centres dits de bilan de compétences ont cherché à rendre compte de maturités adultes, acquises par l’un ou l’autre des trois moyens suivants : la formation initiale, la formation permanente, l’expérience, faisant de ces maturités ou compétences la clef de l’employabilité. L. Boltanski et E. Capello identifient notamment une dualité de compétences aujourd’hui dominantes dans les espaces professionnels, celles du manager orientées vers les ressources humaines, celles de l’expert centrées sur les techniques. Le recours aux compétences tant personnelles que professionnelles, comme le souligne G. Le Boterf (1997) nous situe de plain-pied au niveau de l’adulte pluriel que nous venons d’évoquer : il implique en effet de faire référence à un modèle combinatoire de ressources identifiées.
L’adulte compétent définit un modèle de stabilité de la vie adulte, si en effet avec M. de Montmollin (1994) on entrevoit les compétences comme un ensemble stabilisé de savoirs et de savoir-faire, de conduites-type, de procédures standards. Mais ces compétences acquises peuvent se montrer en décalage par rapport aux compétences exigées par l’environnement changeant ; elles deviennent alors vite obsolètes : le modèle de stabilité est donc insuffisant, voire doublement insuffisant ; il l’est d’abord pour penser des compétences nécessairement évolutives au niveau de la demande sociale. Il l’est ensuite pour rendre compte d’un point de vue psychologique de compétences qui ont besoin d’être continuellement réactivées, si elles ne veulent pas se scléroser ; le travail d’explicitation auquel nous convie Vermersch (1994), nous pouvons ainsi le comprendre comme visant à conférer des significations renouvelées, en fonction de l’expérience, aux compétences déjà acquises pour les empêcher de se rigidifier et donc de s’appauvrir.

L’adulte apprenant

40L’apprentissage adulte qui connaît aujourd’hui un regain d’intérêt va façonner cette société pédagogique décrite par J. Beillerot (1982) pour permettre à l’adulte d’évoluer dans ses compétences, en lui donnant l’occasion d’effectuer de nouvelles maturations : qu’il s’agisse d’apprentissages formels ou d’apprentissages expérientiels ; les premiers précèdent l’action en mettant en place des savoirs et des savoir-faire susceptibles de la guider (Argyris, 1993) ; les seconds sont postérieurs à l’action et consistent en un travail réflexif sur l’expérience réalisée (Schön, 1983). Ce regain d’apprentissage entend être une réplique à l’actuelle question des transmissions.

41Certes le paradigme de l’adulte apprenant est un lieu polémique comme l’ont bien montré E. Bourgeois et J. Nizet (1997), selon que l’on reconnaisse une spécificité (Danis & Tremblay, 1985) ou non (Gagnon, 1988) aux apprentissages adultes, l’âge adulte ne constituant pas lui-même un bloc monolithique. Dépassant la distinction enfant/adulte, Ph. Carré (1997) préfère quant à lui parler de sujet apprenant devant aménager un espace d’apprentissage entre lui-même, le dispositif de formation et l’environnement.

L’adulte déficitaire

42L’immaturité, appliquée entre autres à l’adulte, est un concept récent. Absent de l’Encyclopédie de Diderot, le terme apparaît dans le Grand dictionnaire universel Larousse du 19e siècle (1865). La psychiatrie contemporaine va y recourir pour décrire les troubles affectifs. Son utilisation très actuelle nous renvoie à des préoccupations liées au blocage de la maturation de par des conditions environnementales défavorables ou trop coercitives. Pour une part ces conditions sont résumées dans le récent travail de J. Palmade (2003), L’incertitude comme norme : la place grandissante de l’incertitude dans les environnements postmodernes expose l’adulte dans son travail, dans sa vie familiale ou sociale, le contraignant à un repli défensif lié à une perte de repères et à un effondrement des étayages. En civilisation communicationnelle, l’incertitude pose un continuel défi d’existence, malgré les apparences d’une société hédoniste de la consommation ou à cause de ces apparences ; ce défi trouvera l’une de ses expressions dans l’exacerbation de différentes formes d’individualisation, laissant bien souvent l’adulte seul face à lui-même, à son isolement et à la nécessité, en l’absence d’étayages, de devoir décider de tout par lui-même dans un contexte volontariste. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’essai de G. Harrus-Révidi sur les parents immatures.

43L’adulte déficitaire devient donc une composante incontournable de la vie adulte, qui est à gérer au même titre que les deux composantes précédentes ; cette gestion implique de la part de cet adulte, la prise en compte de trois éléments essentiels, l’identification des déficits en cause, la mise au point de stratégies de contournement pour certains de ces déficits, la mise en place de stratégies de compensation pour d’autres déficits, que ce soit par l’entremise d’apprentissages formels, associée à telle ou telle formation, que ce soit grâce à des apprentissages informels en lien avec une mise en situation expérientielle.

De l’ubiquité adulte aux identités plurielles

44Parler d’espace à occuper c’est évoquer la mobilité propre à nos environnements postmodernes qui contraint l’adulte à devoir toujours changer, à se déplacer continuellement pour être dans une pluralité d’espaces. C’est pour une part une mobilité spatiale l’obligeant à être dans plusieurs lieux à la fois, dans plusieurs lieux professionnels lorsque cet adulte s’adonne à la pluriactivité, dans plusieurs lieux familiaux ou associatifs. La pluriactivité implique en même temps de se faire présent tout à la fois à sa famille ou à ses familles, à sa profession ou à ses employeurs, à son engagement associatif ou à ses groupes d’appartenance. Pour une autre part c’est une mobilité cognitive requérant de l’adulte de se penser en chemin quelque part entre ses compétences à valoriser, ses apprentissages à développer, ses déficits à gérer. Une telle ubiquité ne peut pas ne pas altérer, transformer l’image de soi, le sentiment identitaire.
Un tel constat nous montre que l’identité ne saurait désormais être appréhendée à travers une essence singulière. L’adulte ne cherche plus à affirmer une identité octroyée cohérente et unifiée telle qu’on pouvait la rencontrer incarnée dans tel ou tel type d’adultes du modèle structural de la stabilité, en vigueur au sein d’une culture traditionnelle ou des premières cultures modernes. Une telle ambition se retrouvait encore dans la perspective moderniste mais sous son mode volontariste. Ce mode est bien illustré par l’approche de P. Osterrieth dans son ouvrage Faire des adultes[38] soucieux de promouvoir un volontarisme éducatif. Il l’est aussi dans la contribution remarquée à l’époque de R. Sainsaulieu qui conférait un rôle essentiel au travail dans la construction identitaire [39]. L’éducation et le travail étaient alors conçus chacun comme deux grands lieux de fabrique des adultes. Une telle ambition a cédé la place en postmodernité à des perspectives plus modestes et composites de carence, de recomposition et de transformation identitaires.

Vers des identités composites

45L’identité comme instance unitaire autonome cède la place à une gamme de potentialités variées et concurrentes. Le résultat, nous l’indique K. Gergen (1991), c’est une personnalité multiphrénique qui évolue au milieu de courants mouvants et contradictoires. Gergen associe conscience postmoderne et fragmentation de l’identité décomposée en plusieurs identités partielles plus ou moins autonomes, familiale, professionnelle, sociale, dissolvant le moi qui se métamorphose en pure relation. D’autres auteurs vont dans le sens de R.J. Lifton qui parle à ce sujet de protean self, un self protéiforme dans un âge de fragmentation. À travers ces identités plurielles et la culture communicationnelle du cyberespace, S. Turkle (1995) entrevoit un syndrome des personnalités multiples. Ces identités, tantôt malmenées, tantôt en reconstruction, tantôt en voie de dissolution, définissent ce nouvel adulte pluriel qu’a tenté d’esquisser B. Lahire (1998), décrivant cette pluralité de mondes et d’expériences s’incorporant désormais au sein de chaque individu, ce dernier n’existant en tant qu’acteur qu’à travers une multi-appartenance, ce que P. Alheit (1995) dénomme l’adulte patchworker. D’ailleurs la substitution à l’aube de notre postmodernité du concept d’acteur à celui de personne, dont la publication de l’ouvrage-phare de M. Crozier et E. Friedberg [40] est le révélateur, traduit bien cet adulte de la multi-appartenance, l’acteur n’existant que par le rôle qu’il tient, sa capacité étant de changer de rôle pour en assumer une pluralité.

Identités en transformation

46Ces identités plurielles se donnent à voir les unes et les autres en demi-teinte, oscillant comme le soulignait déjà I. Théry (1993) entre le plus tout à fait et le pas encore : elles sont l’objet d’un discours contradictoire : simultanément un discours défaitiste sur la perte inexorable des repères conduisant à des crises et un tout autre discours revendicatif visant à ne pas enfermer la vie adulte dans des modèles bien établis pour sauvegarder une recherche d’authenticité. En tout état de cause elles relèvent de la multi-appartenance, une multi-appartenance faite de combinaisons instables produisant des identités incertaines.

47Pour caractériser ces changements identitaires un même terme revient fréquemment dans la littérature, qui mérite que l’on s’y attarde, celui de transformation [41]. Ce dernier pourrait même être hissé au rang de paradigme, tellement il apparaît fréquemment, se donnant comme un attribut de la postmodernité qui n’exige plus de fonder un nouvel ordre mais de transformer ce qui existe déjà. R.L. Gould [42] voit dans l’avancée en âge et le passage d’une décennie à l’autre une suite de transformations. En écho, quelques années plus tard, J.-F. Lyotard (1990) indique qu’il n’y a plus de moi substantiel ; pour lui il n’y a pas d’identités, juste des transformations. Cette idée de transformation a déjà été avancée par M. Foucault (2001) dès les années 1980, à propos de la transformation de soi, travail qu’il considère proche de l’expérience esthétique : le sujet doit se modifier, se transformer, se déplacer. De leur côté Mezirow et O’Sullivan voient l’apprentissage adulte et l’éducation comme des activités de transformation.

48Avec cette idée de transformation, nous sommes en présence d’une dialectique du même et du différent ; quelque chose du même qui existait avant la transformation perdure et quelque chose de différent survient à l’issue de tel ou tel événement biographique, de telle ou telle transition expérientielle, conduisant à une transformation manifestant un changement, faisant alliance avec le même : une sorte de cohabitation plus ou moins sereine s’installe entre l’ancienne forme et la nouvelle forme. Serions-nous alors avec ce paradigme de la transformation face à une nouvelle épistémologie des sciences de l’éducation qui devraient désormais s’intéresser aux discours tenus non sur la formation mais sur la transformation de l’adulte, nouvelle épistémologie associée à une nouvelle praxéologie cherchant dans les situations concrètes, non plus à former mais à transformer, c’est-à-dire à tenter l’aventure de toujours aller au-delà de la forme actuelle, à moins que ce paradigme soit tout simplement un effet de mode, auquel cas alors, il faudrait lui résister.

Remédiassions dans le travail de reconstruction identitaire

49Parler de praxéologie c’est s’intéresser aux pratiques, ici initiées pour aider l’adulte à assumer sa condition plurielle, voire fragmentée. Dans le travail d’affirmation identitaire caractéristique de la modernité tardive, la militance et les stratégies de revendication apparaissaient souvent comme les réponses les plus appropriées de la part d’un adulte ayant épousé le modèle développemental de l’adulte en perspective, désirant donc faire entendre sa capacité à être autonome. Ces démarches pouvaient laisser la place de temps à autre à des actions de formation et, lorsqu’il y avait crise identitaire, à des démarches d’aide thérapeutique. Dans les situations de reconstruction identitaire liées aux fragilités évoquées plus haut, propres au chaos vocationnel, sont mises en place d’autres formes d’aide, plus personnalisées et plus diversifiées que l’on peut qualifier de remédiassions. Ces formes d’aide, on ne sait jamais très bien quelle est leur fonction : conforter une identité menacée, encadrer une identité qui se délite pour éviter une plus grande désorganisation, servir de placebo, faute de mieux ? Ainsi en est-il par exemple de l’accompagnement étudié par J. Aubret dans le cadre de la pratique des bilans de compétence (1999) ou par P. Fustier (2000) sous l’angle des transactions sociales en jeu. Cet accompagnement semble être rendu d’autant plus nécessaire que dans les sociétés éclatées, l’individu n’a plus de statut déterminé (de Gauléjac, 1999) ; il est voué à sacrifier à la déesse mobilité (Gauchet, 2002) : dans les années 1990, 2 hommes sur 3 et 3 femmes sur 4 quittent leur milieu d’origine contre 1 sur 2 dans les années 1950 [43], faisant penser à un nouveau nomadisme. Cette mobilité, comme le soulignait déjà U. Beck (1986) complexifie les trajectoires et les conditions d’existence. Mais comme médiation possible entre un environnement perturbateur et un adulte déstabilisé, l’accompagnement, si répandu soit-il, ne représente qu’une forme possible d’aide parmi d’autres. Des auteurs comme R. Houde (1996) préfèreront à l’accompagnement le mentorat, faisant du mentor un passeur, une figure à la fois d’identification et de transition.

Des questions qui restent sans réponse

50Recourir au concept de vie adulte pour évoquer entre autres l’avancée en âge et les relations entre genres différents pose finalement plus de questions que cela n’apporte de réponses. Pour le moins trois questions lancinantes restent ouvertes, qui prennent un relief particulier dans nos espaces postmodernes :

  • dans un environnement de mobilité, la question de l’aménagement de transitions, sans que ces dernières soient orientées par des polarités bien identifiables ;
  • les relations entre générations au sein d’environnements communicationnels qui amènent à appréhender tout autrement le problème de la transmission ;
  • les entrées de plus en plus décalées dans la vie adulte des jeunes générations conduisent à se poser la question de savoir si une société vieillissante ne va pas chercher à aménager des sorties de vie adulte, elles-mêmes en décalages les unes avec les autres.

Un chemin à tracer qui ne conduise pas à une impasse, sans bien savoir où il mène

51Les métamorphoses récentes de la vie adulte nous ont obligé à passer tant au niveau insertion qu’intégration, d’une logique de la place à occuper, pourvoyeuse de stabilité, à celle d’un itinéraire à construire, porteur de changement : une telle mutation est la rançon imposée de la mobilité (Riverin-Simard, 1993) ; c’est aussi la condition d’une transformation de soi et d’un double travail de personnalisation et de socialisation (Baubyon-Broye, 1998). Cette construction d’itinéraire va être coûteuse et comporter une vulnérabilité accrue aussi bien à travers des expériences pénibles que des passages périlleux, comme le soulignait déjà W. Bridges (1980). Ces passages la plupart du temps s’identifieront à des crises (Sheehy [44]). Passages et crises vont s’organiser autour d’une variété de transitions qui accompagneront le vieillissement décrit par J.-L. Hétu (1992). Ces transitions prendront des formes variées, les unes maîtrisées et progressives, d’autres brutales et subites, certaines prévues, d’autres imprévues ou imposées ; à cette gamme de transitions N.K. Schlosseberg (1984) a rajouté la distinction essentielle entre transitions anticipées et transitions non anticipées : comment donc aménager ce paradoxe propre à toute transition, bien mis en évidence par B. Almudever (1998) de la continuité et de la rupture ? Mais un tel paradoxe, au moment où commençait à pointer l’actualité des espaces transitionnels avait déjà été souligné par K. Kaes à la fin des années 1970 lorsqu’il cherchait à élucider l’aménagement risqué d’une expérience de rupture dans une continuité, aménagement, écrivait-il, risqué dans la mesure où la capacité d’inventer un espace potentiel et un temps transitionnel peut se voir supplantée par l’apparition d’un espace vide et d’un temps de rien, celui du transit, ou encore par l’émergence d’un espace objectivé et réifié en temps trop plein: double impasse dans ce travail délicat d’aménagement transitionnel que Kaes [45] définit en termes de ruptures et de sutures.

L’adulte face au défi des transmissions : vers une possible société des aînés

52Parmi les remédiassions décrites plus haut pour encadrer les reconstructions identitaires, nous avons mentionné l’accompagnement et le mentorat : reconnaître aujourd’hui leur importance, c’est d’une certaine façon donner toute leur valeur à ces deux substituts de la transmission qui placent l’adulte non plus en position d’ancien doté de l’autorité d’une tradition à transmettre mais d’aîné(e) faisant part à des plus jeunes de son expérience, ce que J. Carette formule dans le droit d’aînesse (2002). Dans une culture communicationnelle qui voit déferler une débauche de savoirs vite pris au piège de l’obsolescence mais qui n’en banalisent pas moins les autres savoirs plus normatifs et pérennes que sont ces savoirs éducatifs transmis d’une génération à l’autre, l’adulte ne sait plus quoi transmettre et le jeune ne sait plus toujours très bien quoi apprendre, quels savoirs hiérarchiser par rapport à quels autres. Nous assistons à un brouillage intergénérationnel des âges qui bouscule l’ordre de la transmission en inversant parfois les rôles entre enfants et adultes, par exemple lorsque l’enfant en vient à tyranniser ses parents (Purper-Ouakil, 2004).

53Ainsi se posent au grand jour les quatre questions formulées par J. Candau (1998) à propos de la transmission : que conserver ?, comment conserver ?, pour qui conserver ?, comment transmettre ? L’adulte en société communicationnelle se voit doublé dans l’acte de transmettre par les media qui véhiculent une transmission profuse, mais une transmission plus mémorielle qu’historique. Il est doublé par ailleurs par ses benjamins qui eux aussi transmettent ce qu’ils ont appris de façon plus ou moins diffuse : les effets de mode sont investis par les jeunes de même que cette capacité ludique à rebondir d’un logiciel à l’autre. Que reste-t-il donc à cet adulte en guise de transmission : se réfugier dans la mémoire à travers la commémoration et l’archivage, partout présent ? Mais qu’en est-il de l’histoire ? Une transmission mémorielle peut-elle suffire ?

Caprices dans les entrées et sorties de vie adulte

54Cet adulte immature à l’épreuve du vide existentiel qui bien souvent l’entoure, face, nous l’avons vu, à une désinstitutionnalisation du cours de sa vie, est un adulte qui ne sait jamais très bien où il se trouve, s’il est entré en entier dans la vie adulte, s’il peut s’y sentir de plain-pied ou s’il en est relégué ; il ne sait pas non plus si à certains moments il ne se sent pas poussé en dehors de cette vie adulte dans l’une ou l’autre forme de dépendance ou de mise plus ou moins forcée en cession d’activité : en un mot l’étudiant(e) post-baccalauréat peut-il, peut-elle être considéré(e) comme adulte ? En quoi et sous quel angle ? Le ou la retraité(e) fait-il, fait-elle toujours partie de la société des adultes ? Pourquoi et jusqu’à quand ?

55C’est dire qu’à travers ces interrogations il n’y a plus une seule entrée bien identifiable dans le monde des adultes, par un seuil d’âge unique ; il n’y a pas non plus de sortie généralisée de la vie adulte qui serait confondue avec l’âge de la retraite ou de l’irruption de telle ou telle dépendance mais une pluralité d’entrées et de sorties partielles et différées les unes par rapport aux autres. Doivent-elles rester juxtaposées et sauvages, doivent-elles être aménagées ? À quelles conditions ?

De la métaphore au paradigme : un changement de sémantique

56En indiquant que la notion d’adulte était l’analyseur de la dimension idéologique de la représentation de soi, P. Dominicé (1990) posait la question du champ sémantique qui gravite autour de la vie adulte, faisant que le terme adulte dans ses emplois tend à se substituer concurremment à l’un ou l’autre aimant de ce champ magnétique ; pour le moins, s’il s’agit de désigner quelqu’un, huit aimants plus ou moins puissants occupent un tel champ et y exercent des forces de gravitation concurremment à l’attracteur adulte : homme de préférence à femme en société machiste, sujet, individu, acteur, agent, auteur, soi, personne. Bon nombre de ces aimants conceptuels ont émaillé d’ailleurs au cours des pages précédentes le présent propos comme autant de substituts ou de concurrents au substantif adulte ; ils renvoient, pourrions-nous dire, à des significations partielles incluses dans le terme adulte. Par exemple M. Foucault (2001) dans ses cours au Collège de France des années 1981-82, évoquant le souci de soi, le situe à l’âge adulte ; il fait constamment alterner vie adulte et souci de soi-même. Dans nos façons de parler, quel avantage y a-t-il donc à recourir à l’attracteur adulte plutôt qu’aux aimants conceptuels de son champ sémantique ?
Au-delà de ses premières significations, le terme adulte peut finalement être considéré comme une lente conquête sémantique d’un siècle d’évolutions de nos valeurs culturelles associées pour le moins à l’âge, au genre, au sentiment de maturité, à notre lien social. Cette conquête a été opérée par rapport à quatre formes majeures de discrimination dont nos sociétés ont beaucoup de difficulté à se débarrasser : l’âgisme, le sexisme, la stigmatisation du handicap, le rejet de la marginalité. Ce terme d’adulte amène au sein d’un même concept à une pluralité de significations intégrées, faisant du concept un véritable paradigme dont les aimants mentionnés plus haut ne sont en définitive que des réducteurs. S’intéresser à la vie adulte, parler d’un adulte, c’est donc poser simultanément quatre questions irréductibles l’une à l’autre : une question d’âge, une question de genre, une question de maturités et donc de déficits et d’apprentissages, une question d’appartenances multiples. Ces quatre questions se trouvent reliées entre elles par la même interrogation : que fait l’adulte de son âge, de son genre, de ses appartenances, de ses maturités et déficits ? Est-il déterminé par ces questions ou se détermine-t-il lui-même pour une part à travers elles ? Tenter dans chaque cas de répondre à une telle question c’est verser dans l’un ou l’autre de ces deux modèles incontournables d’adultes qu’il nous faut maintenant expliciter : celui du héros tragique qui accomplit avec une constance exemplaire un destin décidé par les dieux ou un dessein dicté par l’une ou l’autre forme de devoir, celui du héros de roman qui obéit à la loi du changement, suit un itinéraire jalonné d’obstacles ou de conflits qui le transforment, oscillant continuellement au gré de son désir et des contraintes qui lui sont imposées. La revue que nous venons de faire de la littérature actuellement produite sur la vie adulte semble manifestement opter pour le personnage de roman de préférence au héros tragique.

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Date de mise en ligne : 01/09/2010

https://doi.org/10.3917/savo.004.0009

Notes

  • [1]
    Cf. Intellectual Evolution from adolescence to Adulthood, Human Development, 1972, 15, 1-12.
  • [2]
    Aux éditions de Minuit.
  • [3]
    Cf. The Stages of Life. In J. Campbell, The Portable Jung (pp. 3-22). New York : Viking, 1933.
  • [4]
    Les trois grands stades de l’intimité ou de l’isolement, de la générativité ou de la stagnation, de l’intégrité ou du désespoir sont rappelés dans Adulthood : Essays. New York : Norton, 1978.
  • [5]
    Cf. The Course of Human Life as Psychological Problem. In W.R. Looft, Developmental Psychology, A Book of Readings. New York : Holt, Rinehart and Winston, 1972.
  • [6]
    Cf. Adult Personality : A Develomental View, Human Development, 1966, 9, 61-73.
  • [7]
    Cf. Human Development and Education. New York : Longmans, 1953.
  • [8]
    New York : Ballantine Books, 1978.
  • [9]
    Cf. The Adult’s Learning Projects. The Ontario Institute for Studies in Education, 1971.
  • [10]
    Cf. The Modern Practice of Adult Education. New York Association Press, 1972.
  • [11]
    Cf. Psychopédagogie de la vie adulte. Paris : PUF, 1973.
  • [12]
    Cf. respectivement :
    - G. Pineau & al. (1977). Éducation ou aliénation permanente. Paris : Bordas ;
    - M. Lesne (1977). Travail pédagogique et formation des adultes. Paris : PUF.
  • [13]
    Cf. de ces auteurs, Philosophical Fundations of Adult Education. New York : Robert E. Krieger, 1980 ; en traduction française, Penser l’éducation des adultes. Montréal : Guérin, 1983.
  • [14]
    La seule banque de données Francis recense, de 1994 à 1998, 11.694 publications ayant trait à la vie adulte, surtout des articles, contre seulement 2.892 publications dix ans plus tôt de 1984 à 1988.
  • [15]
    In La quête du présent (1990). Paris : Gallimard, 1991 (trad.), p. 20.
  • [16]
    Ou la fin de la croissance, ce que signifie le participe passé latin adultus, ayant cessé de croître.
  • [17]
    C’est un tel dilemme qui est au centre des cent témoignages d’adultes publiés dans Être adulte, 100 personnalités témoignent de leur expérience. Paris : Albin Michel, 1996.
  • [18]
    C’est une telle maturité adulte qui va être critiquée avec une certaine virulence par G. Lapassade dès 1963 dans L’entrée dans la vie, essai sur l’inachèvement de l’homme. Paris : Les éditions de Minuit.
  • [19]
    L’Encyclopédie ou le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers dans son édition de 1778 n’entrevoyait que deux entrées à l’âge, celles de l’enfance et de la vieillesse.
  • [20]
    Dans Democracy and Education (1916, Macmillan Publishing), J. Dewey écrit que l’expérience est surtout une affaire active-passive : elle éprouve et elle subit ; faire l’expérience d’une chose c’est agir sur elle et en subir les conséquences.
  • [21]
    Cf. L’expérience intérieure. Paris : Gallimard, 1943.
  • [22]
    Cf. Le futur passé, ouvrage publié en allemand en 1979 et traduit en français en 1990 aux Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences sociales.
  • [23]
    Avec homo, les Latins entretiennent la même confusion que nous avec homme alors que les Grecs prennent soin de distinguer anthropos d’anêr, c’est-à-dire la condition humaine de l’homme viril.
  • [24]
    « Adulte » aux 18e et au 19e siècle définissait une autre catégorie d’âge, celle de l’adolescence, puis de la post-adolescence. La signification conférée au terme adulte va se déplacer en première moitié du 20e siècle vers l’âge mûr, mais seulement celui de l’homme : adulte caractérise d’abord le genre masculin pour désigner l’homme en maturité.
  • [25]
    Le verbe latin adolescere qui signifie « croître » avec son participe passé adultus « qui a cessé de croître » est un verbe à forte connotation biologique.
  • [26]
    Voir Le sentiment de maturité chez l’adulte, Enfance, 1969, 1-2, 1-44.
  • [27]
    Cf. entre autres le symposium consacré aux Modèles de la personnalité en psychologie. Paris : PUF, 1965.
  • [28]
    Cf. L’entrée dans la vie, essai sur l’inachèvement de l’homme, op. cit.
  • [29]
    Sur ces témoignages récents d’adultes, cf. Être adulte, op. cit.
  • [30]
    Cet ouvrage paru en 1961 a été traduit en français, publié chez Dunod en 1968, et constamment réédité depuis.
  • [31]
    G. Lapassade, op. cit. La réédition date de 1997 aux éditions Économica.
  • [32]
    In Making vocational Choices, a theory of careers (Prentice Hall Englewood Cliffs, 1973). Le concept de vocation est introduit dans les milieux de l’orientation d’abord scolaire aux U.S.A. par F. Parsons dès 1909 ; cf. Chosing a Vocation (Agathon Press, 1967). Il sera repris à partir des années 1950 par des auteurs comme E. Ginzberg et D. Super pour conférer aux choix de vie une signification volontariste et stratégique.
  • [33]
    In On Death and Dying. New York : The Macmilan Company, 1969.
  • [34]
    Op. cit.
  • [35]
    In Outsiders, 1963, ouvrage traduit en français chez Métaillé en 1985. Voir aussi :
    - D.E. Super (1957). Psychology of Careers. New-York : Harper ;
    - S.H. Osipow (1968). Theories of Career Development. New-York : Appleton Century Crafts ;
    - J.L. Holland (1973). Making vocational Choices, a theory of Careers. Prentice Hall Englewood Cliff.
  • [36]
    Les tout premiers travaux sur le coping remontent à R. Lazarus (1966), Psychological stress and the Coping Process. New York : McGraw-Hill.
  • [37]
    In The Culture of Narcissism, en traduction française, Le complexe de Narcissisme. Paris : R. Laffont, 1981.
  • [38]
    Bruxelles : Dessart, 1966.
  • [39]
    Cf. L’identité au travail. Presses de la Fondation des Sciences politiques, 1977.
  • [40]
    Cf. L’acteur et le système. Paris : Le Seuil, 1977.
  • [41]
    Ce terme en langue française comporte un synonyme qui lui aussi se trouve actuellement largement sollicité, celui de métamorphose. Cf. entre autres, A. Gorz (1988) et R. Castel (1995).
  • [42]
    Cf. Transformations. New York : Simon and Schuter, 1978.
  • [43]
    Cf. Sciences humaines, 106, 200.
  • [44]
    Cf. Les passages de la vie, les crises prévisibles à l’âge adulte. Montréal : Press Select, 1976.
  • [45]
    Introduction à l’analyse transitionnelle. In Crise, rupture et dépassement. Paris : Dunod, 1979.

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