Couverture de SAVA_041

Article de revue

Un dialogue fort avec le passé

Pages 65 à 76

Notes

  • [1]
    Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion
    publique au XVIII e siècle, Paris, Le Seuil, 1992.
  • [2]
    Arlette Farge, Essai pour une histoire des voix au XVIII e siècle, Paris, Bayard, 2009.
  • [3]
    Arlette Farge & Michel Foucault, Le Désordre des familles. Lettres de cachet des archives de la Bastille, Paris, Gallimard/ Julliard, 1982.
  • [4]
    Le Désordre des familles était paru dans la collection « Archives », qui proposait des choix d’archives commentées.
  • [5]
    Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris, Fayard, 1981.
  • [6]
    Arlette Farge, La Révolte de madame Montjean, Paris, Albin Michel, 2016.
  • [7]
    Arlette Farge & Jacques Revel, Logiques de la foule. L’affaire des enlèvements d’enfants. Paris 1750, Paris, Hachette, 1988.
  • [8]
    Arlette Farge, La Chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv, Paris, Le Seuil, 2000.
  • [9]
    Arlette Farge & Valérie Du Chéné, La Capucine s’adonne aux premiers venus. Récits, suppliques, chagrins au XVIII e siècle, Droue sur Drouette, La Pionnière, 2014.
  • [10]
    Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Paris, Le Seuil, 1989.
  • [11]
    Arlette Farge, La Vie fragile. Violences, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIII e siècle, Paris, Hachette, 1986.
  • [12]
    Arlette Farge, La Nuit blanche, Paris, Le Seuil, 2002.
  • [13]
    Arlette Farge, Le Peuple et les choses. Paris au XVIII e siècle, Paris, Bayard, 2015.
  • [14]
    Arlette Farge & Cécile Dauphin (dir.),Séduction et sociétés : approches historiques, Paris, Seuil, 2001.
  • [15]
    Arlette Farge & Cécile Dauphin (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997.
  • [16]
    Arlette Farge & Nathalie Zemon Davis (dir.),Histoire des femmes, Tome 3 : XVI e siècle-XVIII e siècle, Paris, Plon, 1991.

1 Savoir/Agir : Comment en êtes-vous venue à une carrière d’historienne ? Est-ce le produit d’une « vocation » ?

2 Arlette Farge : À vrai dire je n’ai eu aucune « vocation » d’historienne. Ma famille ne désirait pas que je fasse des études. Par défaut de vocation, j’ai suivi des études de droit à Paris. J’ai donc fait un DES d’histoire du droit. Pourquoi ? Sans doute parce que j’aimais bien l’enseignante. Ça ne me passionnait pas tellement, et à la fin de mon DEA, elle est venue me voir pour me dire que je n’étais pas faite pour le droit, mais que sans doute je devrais faire de l’histoire. Un ami m’a alors conduit vers son professeur, qui était directeur d’études à l’EHESS. C’était Robert Mandrou [1921-1984], disciple et ami de Lucien Febvre, et moderniste très reconnu. Mandrou réunissait à l’époque un séminaire assez original, qui comptait des gens qui travaillaient sur des sujets transgressifs et nouveaux (comme Jean-Paul Aron ou Jean-Pierre Peter). Le séminaire se divisait en deux parties : d’abord, une présentation de recherches ; puis un deuxième partie consacrée à la critique de livres d’historiens. Dans cette séquence, Mandrou pouvait être très critique, caustique – et c’est là que j’ai appris qu’on pouvait critiquer ses collègues. C’était passionnant. Après, on allait tous déjeuner ensemble au restaurant, et échanger. C’était une espèce de communauté intellectuelle. Un jour, Mandrou m’a dit qu’existaient des archives de police qui n’avaient quasiment jamais été ouvertes. Il m’a proposé de faire une thèse sous sa direction, sur la criminalité – puisque je venais du droit. J’ai pris soin de ne travailler que sur un tout petit sujet : le vol d’aliments à Paris au XVIIIe siècle. Robert Mandrou m’a accompagnée dans cette démarche et introduite aux Archives nationales. J’ai ouvert ces archives… et je ne les ai jamais plus quittées.

3 Savoir/Agir : Ces archives de police, sur lesquelles vous allez travailler toute votre vie, en quoi consistent-elles concrètement ? Et qu’y trouviez-vous ?

4 Arlette Farge : Ce qui m’a frappée d’abord, c’est que les magasiniers, quand ils parlaient de ces archives,parlaient en kilomètres (7 km de travées !). Elles étaient à l’époque mal conservées, sans trop de précautions. En ce qui concerne leur contenu, les archives de police portent surtout sur la petite délinquance. Par exemple : si votre concubin vous a frappée, ou s’il y a une rixe dans un cabaret, vous allez chez le commissaire pour porter plainte. Et en général, vous y allez avec des témoins. Et là, il y a un interrogatoire du plaignant : nom, profession, famille, domicile, ce qu’il s’est passé… Mais on consigne aussi des choses très fines : couleur des vêtements, son de la voix… Et les témoins racontent, donnent souvent beaucoup d’indications, de détails. On a donc des procès-verbaux, des interrogatoires, qui donnent des informations sur un vol dans la rue, une dispute conjugale, une morsure de chien, un cheval qui écrase un petit enfant… Bien sûr, il y a aussi de la grande criminalité dans ces archives. On y voit fonctionner l’institution judiciaire : les commissaires, les inspecteurs qui les assistent, le lieutenant général de police (qui voit le roi chaque semaine). On est à une époque où la police est en train d’essayer de se structurer, où se manifeste une envie de contrôle (qui ne va pas réussir tout de suite), où les autorités tentent d’établir un semblant d’ordre sécuritaire dans le grand désordre parisien. Mais ce qu’on trouve surtout, dans ces archives, c’est un flot d’informations sur la vie quotidienne, et c’est ce qui m’a tout de suite attirée. J’étais intéressée par la sociologie. Tout ce qui concernait les relations sociales – et notamment les milieux populaires – représentait pour moi un thème fort. Et, sur ce sujet, les archives des commissaires – qu’on appelait « les archives de peu » – ouvraient un large éventail. Avec elles, j’allais pouvoir travailler sur des objets qui n’avaient jamais été travaillés – ou très peu. Par exemple sur l’opinion publique populaire, à partir des « mauvais propos » relevés dans la rue par la police et ses informateurs, qu’on appelle alors les « mouches » [1] ; ou sur le rapport aux enfants ; ou même sur les sons et les voix [2]. Les archives de police ont cet immense avantage de pouvoir renseigner sur beaucoup d’éléments de la vie quotidienne.

5 Savoir/Agir : On vous présente communément comme une « historienne du peuple de Paris au XVIIIe siècle ». Là-dedans, quel serait votre objet principal : le XVIIIe ? le peuple ? la ville ? Avez-vous un objet central auquel tout vous ramènerait ?

6 Arlette Farge : Si je travaille sur le XVIIIe siècle, c’est d’abord parce que Mandrou me dit : « Les archives du XVIIIe sont inconnues, allez-y ». Donc, par hasard. Paris, c’est ma ville, que j’adore. Mais je n’ai pas « choisi » Paris : les archives que j’avais à disposition étaient celles de Paris. Mon objet principal, sans aucun doute, est de travailler sur ce que l’on appelle le « peuple », c’est-à-dire l’ensemble des milieux défavorisés. On ne sait pas grand-chose sur eux au XVIIIe siècle puisqu’ils n’ont pas écrit, et n’ont guère laissé de traces que dans les archives de police. Les Lumières et l’esprit philosophique, l’art, les troubles révolutionnaires étant très étudiés, ainsi que les rouages du système monarchique, mon intérêt s’estporté sur la manière dont le peuple vit cette époque, à la fois dans ses formes de travail ou de misère et dans ses sentiments affectifs. Faire l’histoire du peuple au XVIIIe siècle, c’est construire un questionnement à la fois sur des groupes sociaux (artisans, marchands, vendeurs ambulants) et des modes singuliers de vivre. À travers l’histoire du peuple dans les archives de police (témoignages, rapports de police etc.), je cherche à rendre visibles conflits et solidarités, ainsi qu’à décrire des hommes et femmes « singuliers » aux prises avec leurs communautés.

7 Savoir/Agir : Alors, à quoi ressemble-t-il, ce peuple parisien que vous avez longuement étudié et décrit ?

8 Arlette Farge : Il est extrêmement hiérarchisé. Ce n’est pas une masse informe, mais un milieu divers qui va du mendiant au maître artisan, en passant par tous les petits métiers. C’est une population extrêmement mobile, mouvante, sensuelle, vivant dehors. Très au courant de l’information politique et monarchique, de ce qui se passe dans le royaume. D’autant qu’elle reçoit une quantité considérable de migrants, à cause de l’exode rural. Ce qui fait que la ville est, sinon cosmopolite, en tout cas remplie de gens très différents, avec une multitude de patois (ce qui oblige la police à avoir des interprètes). C’est surtout un peuple qui a une pensée, qui discute, donne son avis, fait des reproches, écrit des lettres anonymes marquant son opposition à la politique monarchique…

9 Savoir/Agir : Vous avez parlé de Robert Mandrou. D’autres figures intellectuelles importantes ont jalonné votre trajectoire d’historienne. Vous avez notamment travaillé avec Michel Foucault.

10 Arlette Farge : Oui. C’est une histoire tout à fait improbable. Rien ne me prédestinait à travailler avec lui. A la sortie de Surveiller et punir, j’avais été très impressionnée, comme tout le monde, mais je n’assistais pas à ses séminaires, ni à son cours du Collège de France – sans doute parce que j’étais intimidée par sa haute personnalité, son intelligence. Un jour, un ami me dit : « Tu sais que ta thèse sur le vol d’aliments est citée par Foucault dans Surveiller et punir ? ». Foucault citait peu, et je n’avais pas fait attention. Et un jour, j’ai reçu un coup de téléphone de Foucault me demandant si je voulais bien travailler avec lui à un livre qu’il préparait sur les demandes d’enfermement à la Bastille faites par les familles [3]. J’étais assommée. Sur le moment, j’ai pensé : « Je n’en suis pas capable ». Il y avait entre nous une telle différence – d’âge, de formation, de stature intellectuelle… J’ai longtemps hésité. J’ai recueilli quelques avis d’amis, et puis j’ai accepté. J’ai encore du mal à en parler, parce que ça reste stupéfiant pour moi. Je suis arrivée intimidée chez lui, dans son appartement empli de tableaux. Et il était si courtois, si drôle, que le premier entretien s’est fait très facilement. J’étais allée chez lui en me disant : « De toute façon, tu n’es pas au niveau, donc tu verras bien ». Mais il vous apprenait à être intelligent. Quand il a fallu écrire, nous nous sommes répartis les thèmes et les chapitres. Mais c’est ensemble,après avoir beaucoup discuté, que nous avons rédigé l’introduction.

11 Savoir/Agir : Comment s’est passée cette collaboration ? Vos différences de formation et de statut se sont-elles manifestées dans le travail, ou bien étiez-vous sur la même ligne ?

12 Arlette Farge : Foucault se savait assez peu aimé des historiens. Il était mal accepté à l’EHESS, et n’y avait jamais assuré ni séminaire ni conférence. Sans doute est-ce pour cela qu’il a fait appel à une historienne comme moi. La différence entre l’historienne et le philosophe se manifestait, je crois, dans notre rapport aux archives. Je lui disais : « Vous voulez mettre trop de textes, il faudrait contextualiser davantage les archives que nous publions » [4]. Mais lui avait un rapport quasiment esthétique à ces textes. Il ne voulait pas, il me disait : « Mais l’archive suffit. Les gens qui liront cela seront transformés ». À chaque fois qu’il fallait retirer un texte, il était déchiré. Il était très impressionné par l’archive : ces demandes d’enfermement de famille révélaient tant de choses qu’il disait être très touché et ressentir une vraie « vibration physique » quand il les lisait.

13 Savoir/Agir : Dans quelle mesure cette collaboration a-t-elle marqué votre parcours ? Il me semble que la parenté, entre Foucault et vous, n’est pas si nette. Dans le fond, vous n’avez pas le même objet de recherche que lui : vous ne travaillez pas vraiment sur les peines, sur l’appareil judiciaire ; vous n’abordez la question du pouvoir que de biais… Alors, que vous a apporté Foucault ?

14 Arlette Farge : Du point de vue de ma carrière, le livre n’a pas eu un grand effet. Le livre n’a eu aucun succès, et n’a pas fait l’objet de comptes rendus dans les journaux – si ce n’est un article, assez critique, d’Olivier Todd. Ce qui m’a marquée dans ce travail commun, ce sont d’abord les conversations avec Foucault. Son exemple, sa façon d’être : une causticité, une vraie critique de la société, un attachement à certaines causes, à la vie intellectuelle… Ce que je retiens, c’est plutôt un éthos intellectuel, une manière de penser qui obligeait à s’éloigner des problématiques habituelles. Si le pouvoir n’est pas mon objet central, travailler avec Foucault me conduisait à réinterroger mes propres problématiques sur la relation du « peuple » avec le pouvoir. De lui, j’ai aussi retenu une « écriture », qui cherchait à allier la rigueur philosophique, le dérangement de la pensée, et une forme de lyrisme.

15 Savoir/Agir : Une autre référence revient régulièrement dans vos livres : Jacques Rancière.

16 Arlette Farge : Je n’ai pas eu avec Jacques Rancière une proximité intellectuelle aussi grande qu’avec Michel Foucault. Il m’a demandé, à la fin des années 1970, de rejoindre sa revue, Les Révoltes Logiques, pour y représenter, avec Geneviève Fraisse, l’histoire des femmes, encore neuve à l’époque. Aussi ai-je assisté aux réunions très régulièrement, et publié un ou deux articles dans la revue de Rancière. Mais j’ai surtout été marquée par la lecture de son livre, La Nuit des Prolétaires[5]. Dans ce livre, entièrement consacré « à la recherche de l’autonomie d’une parole et d’une pratique ouvrières », Rancière montre (et prouve) comment se déploie la pensée de « ceux qui ne sont pas destinés à penser ». J’ai été interpellée par cet énorme travail, qui insistait sur l’émancipation ouvrière, les aspirations intellectuelles et poétiques des prolétaires, leur temps volé. Jacques Rancière, travaillant sur cette pensée ouvrière si mal reconnue, ouvre une brèche immense, s’attaquant notamment à la sociologie et à Pierre Bourdieu dont les ouvrages lui semblent fixer chacun à sa place, la hiérarchie sociale se reproduisant constamment… Ce « pari » sur la possible émancipation populaire m’a beaucoup apporté dans mes recherches en archives : à chaque fois que je travaillais sur un cas, une personne singulière, je m’attachais à comprendre, entendre, son désir inarticulé de « rêve ». Tâche peu simple…

17 Savoir/Agir : Mais votre proximité avec Jacques Rancière ne vous empêche pas de lire et citer Bourdieu…

18 Arlette Farge : J’ai lu ses ouvrages, depuis les premiers jusqu’aux Méditations Pascaliennes (1997), et suivi certains de ses séminaires et colloques. J’ai notamment été marquée par l’ouvrage collectif dirigé par Bourdieu, La Misère du Monde. Même si les interviews menées dans ce livre ont pu être critiquées dans leur forme, le contenu des réponses de dizaines de personnes sur leur vie de travail et de famille, faisait écho à ce que je pouvais rencontrer dans les archives du XVIIIe siècle. Mais je n’ai été confrontée directement à Bourdieu que lorsqu’il publia, en 1998,La Domination masculine. Je dirigeais alors le Groupe d’Histoire des Femmes à l’EHESS, et ce livre a été très violemment critiqué par les féministes. Pour des raisons que je ne saurais expliquer, j’avais, moi, aimé ce livre et m’étais particulièrement attachée au « lâcher-prise » de sa fin, c’est-à-dire au moment où Bourdieu s’exprime sur « l’arrivée de l’amour », qu’il se refuse à analyser sociologiquement ou philosophiquement. J’admirais qu’à cet endroit précis, le style se casse, devienne plus lyrique et abandonne une rationalité complexe dont il était le maître. J’ai essayé en vain de défendre ce livre auprès de mes amies féministes. Et, quand Roger Chartier m’a invitée à une émission des Lundis de l’Histoire, sur France Culture, pour discuter avec Bourdieu de son livre, j’ai maintenu ma position.

19 Savoir/Agir : Vous parvenez donc à négocier une position qui emprunte à la fois à Foucault, Bourdieu et Rancière ?

20 Arlette Farge : Je croise des thèmes qui se rattachent aux uns et aux autres. Par exemple, La Révolte de Mme Montjean[6] est l’histoire d’une tentative d’émancipation, mais d’émancipation ratée. On peut y voir à la fois un écho à Rancière et à Bourdieu. Mais en réalité, je ne suis pas sûre que le problème se pose en ces termes. Pourquoi envisager qu’un(e) intellectuel (le) ne soit influencé(e) que par un auteur ou un écrivain ? Michel Foucault parlaittoujours de « boîte à outils ». Aucun penseur n’impose sa pensée, et tout lecteur s’approprie ce qui semble faire écho à ses interrogations. Il est bien sûr des exceptions : on ne peut pas s’accorder avec tout le monde, ni mélanger les théories de tous les penseurs. Mais le travail d’un intellectuel est aussi de travailler sur des thèmes qui se rattachent les uns aux autres, ou de faire jouer les contradictions pour trouver matière à de nouvelles recherches. Quantité d’auteurs m’influencent. J’aime par exemple citer Walter Benjamin et son texte Sur le concept d’histoire, rédigé en 1940. La douceur et la force de ses textes emportent l’historienne. « N’est-ce pas autour de nous-mêmes que plane un peu de l’air respiré jadis par les défunts ? N’est-ce pas la voix de nos amis que hante parfois un écho des voix de ceux qui nous ont précédé sur terre ? » demande Benjamin. Autant que des théories, de simples phrases comme celles-là m’ont beaucoup portée.

21 Savoir/Agir : Foucault, Rancière, Bourdieu, Benjamin… Il est significatif que vous ne citiez pas d’historien. N’y en a-t-il pas qui compte pour vous ?

22 Arlette Farge : Si, bien sûr. Par exemple Nathalie Zemon Davis, Roger Chartier, ou Jacques Revel, avec qui j’ai écrit Logiques de la foule[7]. Et aussi Pierre Laborie, grand historien de l’opinion publique sous Vichy, qui vient de mourir, et avec qui j’ai fait sept années de séminaire sur « l’événement ». Dans ce séminaire, nous avons travaillé ensemble, semaine après semaine, entraînant avec nous de nombreux étudiants, sur le thème de l’opinion publique, de la réception de l’événement. Pierre Laborie travaillait sur la période de Vichy et de l’Occupation, et moi sur le Siècle des Lumières, mais nous parvenions à élaborer une recherche et une réflexion communes sur des thèmes comme la pensée sur l’événement, les significations du silence face un événement, l’indifférence montrée et ses pièges, le « penser-double » et les contradictions que l’on peut percevoir dans une attitude commune. C’est une expérience qui a vraiment marqué mon parcours d’historienne.

23 Savoir/Agir : Vous faites de l’histoire sociale, mais d’une manière singulière. Vous ne pratiquez guère la grande synthèse, vous mobilisez peu d’éléments quantitatifs. Vous aimez travailler par cas, sur des personnages, de petits événements… (À ce propos, vous aimez citer le mot de Michel de Certeau : « l’historien est le poète du détail »). Quand vous procédez ainsi, qu’est-ce qui vous amène à choisir telle archive, telle histoire, tel cas plutôt que tel autre ? S’agit-il d’« illustrer », de chercher un exemple « parlant » ? Et, dans ce cas, le danger n’est-il pas de reconstruire le réel autour de cas pittoresques, mais peu représentatifs ?

24 Arlette Farge : C’est vrai que je n’étais pas fanatique de l’engouement pour la démographie historique, pour les grandes synthèses… Je suis plus attachée à l’invisible, à l’inachevé, à tout ce qui est en dessous de ce qui se voit. J’aime le reliquat. C’est un goût personnel, mais c’est aussi un moyen de découvrir de nombreux éléments cachés de la vie populaire parisienne. Pour ce qui est des cas que je traite, je prends le cas qui illustre le mieux… ou plutôt celui qui me permet d’aller le plus loin possible. Par exemple, je viens de trouver une pétition de 1725, envoyée à la police. Voilà 200 personnes qui s’insurgent contre les perruquiers, parce qu’ils utilisent trop de farine pour les perruques des aristocrates. Il se trouve que 1725 est une année de disette bien connue des historiens ; elle succède à la famine mortifère de 1709. Le pain et la farine sont des trésors, mais comment imaginer aujourd’hui que des personnes (qui peuvent se faire arrêter pour avoir écrit cela) pensent aux perruques, emplies de farine, de la société dirigeante ? Est-ce déjà détestation des aristocrates ? Rien n’est moins sûr. Est-ce pragmatisme ? Est-ce sous la menace de la faim ? Il y a tant à dire, sur un tel cas. On voit que ce n’est pas un fait « pittoresque », « exotique », mais un morceau d’histoire, à partir duquel je commence à chercher, et qui va me permettre de tracer quelque chose que je ne connais pas…

25 Savoir/Agir : Il y a, dans votre œuvre, des traits qui rappellent Michelet : l’attention portée à l’écriture, le choc de l’archive, l’empathie de l’historien avec son objet… Et surtout, votre effort pour retrouver – et, dans une certaine mesure, pour réhabiliter – le petit peuple. Quand on veut parler du peuple, et avec empathie, ne risque-t-on pas de tomber dans l’illusion lyrique – dans une forme de « populisme », d’héroïsation ?

26 Arlette Farge : Mandrou adorait Michelet. Mais Michelet était en perte de vitesse chez les historiens, quand j’ai commencé mon travail. Michelet, pour moi c’est une grande figure. Mais suis-je pour autant michelétienne ? Je ne sais pas. Quant à l’empathie, il n’y a aucun historien qui n’ait un lien personnel (positif ou négatif) avec son objet ; un lien qui lui a donné l’idée de faire une recherche structurée. Avoir de l’empathie avec son sujet est chose normale. Mais les choses ne sont pas univoques. Pour moi, travailler sur le peuple du XVIIIe siècle fait découvrir deux sentiments simultanés : une familiarité avec ces hommes et ces femmes qui ont vécu et n’ont laissé leurs noms nulle part, ni leurs itinéraires ; mais en même temps un profond dépaysement devant un tout autre monde. De plus, je crois qu’il m’est facile d’éviter l’idéalisation du peuple : il y a, entre les gens que j’étudie, tant de disputes, tant de désaccords, de heurts. Ils peuvent faire preuve d’indifférence les uns envers les autres, ils s’affrontent durement, frappent les apprentis. La violence conjugale est très forte, les viols fréquents… Cela m’interdit d’avoir un rapport idyllique avec mon objet. Mais cela n’efface pas la vie, les solidarités – bien réelles – et la pensée du peuple.

27 Savoir/Agir : Bien sûr. Mais vouloir montrer que le peuple pense, et pense par lui-même, peut conduire à minimiser les mécanismes de dépossession…

28 Arlette Farge : Je ne nie pas les effets de dépossession. Mais les gens du peuple ne sont pas passifs, démunis, dociles. Ils sont beaucoup plus influencés qu’on ne le croit par les Lumières. Deux sur trois ne savent pas bien écrire, lire. Mais il y a les nouvelles à la main, les pamphlets,des écrits multiples, et avec ça une envie de culture, de savoir, de texte… Les artisans, les maîtres artisans ont des livres, les colporteurs font circuler des textes que les gens se lisent les uns les autres, souvent dans la rue… C’est un peuple très moqueur, persifleur, qui cherche les nouvelles – et pas les nouvelles officielles.

29 Savoir/Agir : Un autre trait singulier de votre travail, c’est l’idée que l’archive historique ne suffit pas, qu’il est bon de la confronter à autre chose. A des photos contemporaines, par exemple, dans La Chambre à deux lits et le cordonnier de Tel Aviv… Pourquoi ces rapprochements, ces collisions provoquées ?

30 Arlette Farge : Il se trouve que j’aime beaucoup la photographie et qu’en allant voir des expositions de photos, je me sens happée par ce qui n’existe plus. La photo donne à voir ce qui s’est enfui. Dans une photo il me semble apercevoir ce qui exista hier ; j’y lis les marques du passé. Aussi ai-je eu envie, à partir de photographies aimées, d’allier regard sur la photo et voyage autour de figures ou des paysages du lointain XVIIIe siècle. Une photo actuelle ou récente m’emmenait vers des horizons que j’avais aperçus au XVIIIe siècle. J’ai donc écrit un ouvrage, La Chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv, dans la collection de Denis Roche, Fiction & Cie [8]. Je savais que je n’écrivais pas un livre d’histoire, d’où le sous-titre : essai. Je savais seulement que l’histoire à partir des archives des comportements populaires à Paris au XVIIIe siècle me permettait d’avoir une vision intense, forte et subjective, de la réalité du présent. Ce livre n’a été commenté par aucun historien, ce qui est normal : il ne prétendait avancer aucune hypothèse de recherche. Il s’agissait d’un voyage particulier. Bien après la sortie de ce livre, j’ai été, à ma grande surprise, sollicitée par des artistes ; les uns, photographes, les autres, peintres. Valérie Jouve m’a demandé de travailler avec elle sur ses photos d’habitants de la ville. Puis la plasticienne Valérie Du Chéné m’a demandé de venir avec moi aux Archives de l’Arsenal, et nous avons décidé de faire un livre toutes les deux, en publiant ensemble archives, commentaires de l’historienne et illustrations de l’artiste [9]. Toutes ces rencontres (il y en a eu d’autres) ne m’ont jamais semblé me faire dévier de mon travail d’historienne, mais m’ont paru au contraire l’enrichir. Ces rapprochements, ces collisions sont des moyens de ne pas se laisser entraîner par des habitudes intellectuelles forgées et formatées depuis longtemps.

31 Savoir/Agir : Vous allez souvent aux limites du genre historique, en introduisant le « je » ( Le Goût de l’archive [10] ), en frôlant la fiction (au début de La Vie fragile [11] , ou dans la pièce de théâtre La Nuit blanche [12] ). Qu’est-ce qui, alors, séparevotre travail de celui de l’écrivain – d’un Pierre Michon et de ses Vies minuscules, par exemple ?

32 Arlette Farge : J’ai introduit le « je », c’est vrai – mais pas souvent car je savais que c’était interdit. Quant à faire de la fiction… On m’a souvent demandé pourquoi je n’écrivais pas de romans. Cela ne m’a jamais effleurée, puisque mon but est de transmettre ce qui fut, avec la plus grande véridicité possible. En ce sens, je crois être dans une position différente de celle de l’écrivain. Pour prendre l’exemple que vous évoquez : les Vies Minuscules de Pierre Michon sont un livre magnifique, très impressionnant par son écriture. Fiction et biographie mélangées, c’est un ouvrage admirable. Et Pierre Michon est un écrivain de la plus grande importance, auquel me rattachent beaucoup de choses (le XVIIIe siècle, mais aussi les engagements politiques), et avec qui j’ai beaucoup discuté. Mais l’historien n’écrit pas ainsi, car il doit apporter des preuves aux hypothèses qu’il a mises en exergue de son ouvrage. Nous ne faisons pas le même travail, même si nous pouvons être habités par des désirs communs de transmission.

33 Savoir/Agir : Que pensez-vous du brouillage des frontières entre histoire et littérature, assez en vogue aujourd’hui ?

34 Arlette Farge : Il est évident qu’en ce moment, un débat s’est installé sur la relation entre l’histoire et la littérature. Plusieurs écrivains ont choisi l’histoire comme objet de leur travail, tandis que certains historiens se sont sentis attirés par les formes du roman pour accomplir leur travail. À cet égard, je reste sceptique, même si je comprends les désirs et tentatives des uns et des autres. Pour ma part, je préfère réfléchir aux formes de l’écriture de l’histoire permettant une transmission nouvelle. La « subjectivité » ou l’émotion peuvent et doivent habiter le texte historien, mais dans la mesure seulement où la rigueur, la preuve, les problématiques sont présentes. De grands auteurs, philosophes ou historiens (je pense à Michel Foucault, Michel de Certeau, Georges Duby, Mona Ozouf…) ont, je crois, réussi à travailler leur écriture de manière à lui donner beauté, force, originalité, parfois lyrisme – sans sacrifier le raisonnement.

35 Savoir/Agir : Quelques mots sur la dimension politique de votre œuvre. Vous travaillez sur le XVIIIe siècle, mais vous n’abordez que de biais les objets politiques les plus nettement constitués, les mieux identifiés au XVIIIe siècle : les Lumières et la Révolution. Pourquoi cet évitement ?

36 Arlette Farge : Ne pas avoir travaillé sur la Révolution fut l’objet d’un choix méthodologique affirmé. J’ai fait ce choix après avoir entendu plusieurs fois Paul Ricoeur dire que les historiens, connaissant forcément la fin de l’histoire qu’ils tentaient de travailler, ne se rendaient pas compte qu’il leur arrivait de déformer le résultat. Je donne un exemple : combien d’historiens ayant étudié des émeutes (1725, 1750, 1775) n’ont-ils pas affirmé qu’elles « annonçaient » la Révolution. C’était faire une histoire continuiste, sans tenir compte des brisures, des ressacs. Aussi ai-je pris le parti (le pari, car c’en est un) de m’imposer l’idée que je ne savais pas, en lisant mes sources, que 1789 seraitune année révolutionnaire. Cette attitude mentale (et utopique, certes) m’a beaucoup appris : examinant faits et événements, mouvements d’opinion publique, j’apprenais à les travailler pour ce qu’ils étaient au moment même où ils se passaient. 1725 par exemple n’est pas la guerre des farines de 1775. En ce qui concerne les Lumières, j’ai sans doute eu l’impression que tout le monde les connaissait, ou qu’elles appartenaient aux philosophes, aux théoriciens, et qu’il fallait que j’éclaire des objets moins connus. Mais il me semble que je les retrouve tout de même, indirectement, dans mon travail : les Lumières font partie de la vie populaire et policière tant elles englobent l’ensemble du paysage social, ne serait-ce que par l’influence des pamphlets et des gazettes, lus à haute voix à tous ceux qui ne savaient pas lire.

37 Savoir/Agir : Alors, une fois évacués ces deux objets majeurs, que reste-t-il de politique dans « votre » XVIII e siècle ?

38 Arlette Farge : Aucune œuvre historienne ne doit imposer un discours politique, même si on la sait influencée par des éléments appartenant au politique. Par exemple, il est bien évident que faire l’histoire des femmes ou travailler sur le genre, comme j’ai pu le faire, avait une dimension politique. Au tout début de ces travaux existait bien une part de militantisme. Mais je ne cherche pas à faire passer un « message ». Ce qu’il y a de politique dans mon travail réside sans doute dans le choix des sujets : parler du peuple, de la sédition, ou des grandes périodes de résignation face au pouvoir, c’est parler politique. Plus généralement, je m’efforce de parler de ce que les gens ne veulent pas voir, pour susciter des échos avec le présent, pour pousser le lecteur à réfléchir. J’y vois un geste politique. Un exemple : mon livreLe Peuple et les choses[13], qui à première vue peut sembler « descriptif », parle de l’urbanisme, de la place des objets, de la façon dont ils nous fabriquent ou nous détériorent, du rapport à l’autre, de la manière dont les classes sociales s’approprient différemment les objets et la ville, de la façon dont ils se les disputent, de leur accès à la beauté, etc. Pour moi, ce livre n’est pas un simple inventaire des objets de Paris. Je n’ai pas parlé de la nature en ville, des animaux, des fontaines, etc. juste pour décrire Paris au XVIIIe siècle. Si je parle, par exemple, de l’eau dans la cité, de la Seine et de ses rives, c’est parce que ce sont des lieux de conflit, de travail, de peine physique, de libertinage, qui, sans qu’on y prête attention, disent beaucoup d’une société. Et j’aurais voulu que cela incite les gens à faire la même réflexion au présent : car je pense que les bords de la Seine aujourd’hui disent beaucoup de choses aussi sur notre société…

39 Savoir/Agir : Vous venez d’évoquer une autre part de votre travail : vos recherches d’histoire des femmes. Quelle place occupez-vous dans ce champ d’études, qui fut longtemps marginal ?

40 Arlette Farge : Fréquentant Cornell University (Ithaca, USA) à la fin des années 1960, j’avais découvert à la fois la lutte pour l’avortement, l’influence des Black Panthers, et les premiers débats féministes. Dès mon retour desÉtats-Unis, j’ai participé à l’Université Paris VII, aux côtés de Michel Perrot, aux réunions féministes, entre historiennes. Ce petit groupe réfléchissait à faire entrer les femmes dans l’histoire. Cela a débuté doucement, par des biographies de femmes, pour se poursuivre par des recherches sur la condition des femmes, ou sur certains métiers féminins (blanchisseuses, couturières). S’est alors formé le projet de constituer, dans l’université, des études séparées sur les femmes (licence, doctorat). Pour ma part, avec d’autres, je m’y suis opposée, pour que ces études sur les femmes ne deviennent pas des « ghettos », vite ignorés par les hommes. Puis, entrée au CNRS, j’ai pris part au Groupe d’Histoire des Femmes dirigé d’abord par Michelle Perrot, puis par Christiane Klapisch et moi-même. J’ai finalement dirigé seule ce groupe de 15 femmes, qui réunissait littéraires, philosophes, historiennes et sociologues. Le groupe se réunissait tous les mois. Une des innovations qu’il a apportée, dans les études sur les femmes, c’est, je crois, de prendre pour objet des thèmes alors tabous : nous avons effectué et publié un travail en commun sur la séduction féminine [14] (dont on ne parlait d’habitude jamais), puis un autre sur la violence des femmes [15]. C’était la première fois qu’on abordait pleinement ce thème, car le concept de « domination masculine » ne pouvait admettre l’idée selon laquelle les femmes pouvaient être violentes. Il y a eu d’ailleurs quelques contestations féministes, puis le thème est devenu un vaste champ d’études. À cette même époque, les éditions Laterza en Italie, puis Plon en France, ont demandé à Georges Duby et à Michelle Perrot de mettre en chantier une Histoire des femmes de l’Antiquité à nos jours. Cinq gros volumes ont paru. J’ai dirigé, avec Nathalie Zemon Davis, celui qui porte sur l’époque moderne [16]. Ces ouvrages collectifs, vite parus en poche, ont eu un grand retentissement, à la fois universitaire et public. J’ai donc traité à plusieurs reprises des femmes et de leur histoire. Mais, dans mon travail personnel à propos des comportements populaires au XVIIIe siècle, je n’ai jamais eu le désir d’écrire un livre qui ne concernerait que les femmes. Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est l’histoire des relations entre hommes et femmes. Quand la notion de « genre » est arrivée des Etats-Unis, il m’a fallu me l’approprier, mais cela ne m’a pas fait changer ma méthode, qui consiste à lier, dans leurs conflits comme dans leurs ententes, les hommes et les femmes. J’ai toujours associé les hommes et les femmes, je ne vois pas pourquoi je les séparerais dans mes livres. Mais pour moi, le féminisme est toujours à l’ordre du jour.

41 Savoir/Agir : Pour finir, un jugement d’ensemble sur votre parcours. Vous avez souvent suivi une voie singulière. Diriez-vous que vous avez été marginale dans le monde des historiens ?

42 Arlette Farge : Je ne peux employer le mot de « marginale », car étant auCNRS depuis 1976, dans le Laboratoire du Centre de recherches Historiques (CRH) de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, j’ai participé complètement à la vie du laboratoire, à son conseil, tout en dirigeant le groupe d’histoires des femmes. J’ai même partagé la direction du CRH avec Roger Chartier pendant deux ans. Pendant ce temps, j’ai accompli ma carrière en donnant un séminaire avec Jacques Revel, alors directeur de l’EHESS, puis un autre avec Pierre Laborie, et enfin, seule, avant que je n’arrive à l’âge de la retraite. Il n’en est pas moins vrai que les livres que j’ai écrits représentent un mode particulier de faire de l’histoire, pas forcément reconnu par tous les historiens. Peut-être aussi parce que contrairement à mes collègues, j’ai préféré publier des livres plutôt que d’écrire des articles. Ce qui ne m’a pas empêchée d’être invitée à de nombreux colloques, donc d’avoir publié beaucoup d’articles. Pourquoi préférer « le livre » ? Par souci de transmission, et d’échange, notamment avec celles et ceux qui n’ont pas facilement accès aux sciences humaines. Un de mes grands soucis (et celui-ci est politique) a été de donner à lire l’immense champ des possibles du quotidien dans la société des Lumières, plus connue pour son apparat et pour sa Révolution que par les aléas qu’ont connus, ceux qui, singulièrement et collectivement, ont fabriqué ce siècle. L’écriture par article ou revue est réservée aux collègues historiens de formation, et implique un phrasé, une dynamique, un raisonnement particulier. Le livre, lui, permet, sans renoncer à la rigueur historienne (à laquelle je tiens tant), à la valeur logique, aux hypothèses, à la possibilité de prouver (bref, à la véridicité), de produire un énoncé qui emprunte au rythme, aux sonorités, aux brusqueries de l’époque, et permet au lecteur d’être « compagnon » du texte, et non un étranger. Cette démarche est sûrement singulière ; elle est sûrement imprégnée de littérature. Mon but, en procédant ainsi, est d’engager le lecteur dans un dialogue fort avec le passé, qui lui permet de réfléchir. ⏹

Notes

  • [1]
    Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion
    publique au XVIII e siècle, Paris, Le Seuil, 1992.
  • [2]
    Arlette Farge, Essai pour une histoire des voix au XVIII e siècle, Paris, Bayard, 2009.
  • [3]
    Arlette Farge & Michel Foucault, Le Désordre des familles. Lettres de cachet des archives de la Bastille, Paris, Gallimard/ Julliard, 1982.
  • [4]
    Le Désordre des familles était paru dans la collection « Archives », qui proposait des choix d’archives commentées.
  • [5]
    Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris, Fayard, 1981.
  • [6]
    Arlette Farge, La Révolte de madame Montjean, Paris, Albin Michel, 2016.
  • [7]
    Arlette Farge & Jacques Revel, Logiques de la foule. L’affaire des enlèvements d’enfants. Paris 1750, Paris, Hachette, 1988.
  • [8]
    Arlette Farge, La Chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv, Paris, Le Seuil, 2000.
  • [9]
    Arlette Farge & Valérie Du Chéné, La Capucine s’adonne aux premiers venus. Récits, suppliques, chagrins au XVIII e siècle, Droue sur Drouette, La Pionnière, 2014.
  • [10]
    Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Paris, Le Seuil, 1989.
  • [11]
    Arlette Farge, La Vie fragile. Violences, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIII e siècle, Paris, Hachette, 1986.
  • [12]
    Arlette Farge, La Nuit blanche, Paris, Le Seuil, 2002.
  • [13]
    Arlette Farge, Le Peuple et les choses. Paris au XVIII e siècle, Paris, Bayard, 2015.
  • [14]
    Arlette Farge & Cécile Dauphin (dir.),Séduction et sociétés : approches historiques, Paris, Seuil, 2001.
  • [15]
    Arlette Farge & Cécile Dauphin (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997.
  • [16]
    Arlette Farge & Nathalie Zemon Davis (dir.),Histoire des femmes, Tome 3 : XVI e siècle-XVIII e siècle, Paris, Plon, 1991.
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