1 Dans notre éditorial du numéro 34 de la revue Santé publique, nous interpellions le président de la république pour souligner l’importance d’une mobilisation forte sur les questions de santé publique (1). Au-delà des nécessaires questionnements sur la refondation de l’organisation de la santé publique nous insistions sur la nécessité de traiter en parallèle les aspects de la recherche, des métiers, des expertises et d’interventions de terrain en santé publique dans la perspective de les promouvoir en tant que paramètre d’intervention et d’évaluation de toutes les politiques publiques.
2 Dans cet esprit, nous nous réjouissons du lancement cet automne du volet Santé du Conseil de la refondation (CNR) par le ministre de la santé et de la prévention (2). Nous retiendrons la volonté du ministre de faire émerger « en mode projet » après une large concertation citoyenne et dans un processus de co-construction des propositions innovantes pour réduire les inégalités sociales de santé qui ne cessent de se creuser sur notre territoire. Les objectifs de cette mobilisation sont ambitieux car ils visent à identifier les nouveaux enjeux de santé publique et à améliorer l’accès à la santé pour tous les Français, développer la prévention à tous les âges et réparer l’hôpital public et les urgences.
3 Parmi les déclinaisons des sujets à traiter, la santé bucco-dentaire n’est pas oubliée. À l’automne dernier, François Braun, invité au dernier congrès de l’Association Dentaire Française, rappelait toute l’importance qu’il accordait à la prévention bucco-dentaire et qu’il souhaitait la voir se développer et s’amplifier particulièrement auprès des jeunes.
4 Dans un souci d’élaboration de propositions qui fassent consensus avec l’ensemble des sociétés savantes en santé orale (l’Association de Santé Publique Bucco-Dentaire, L’Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire et le Collège National des chirurgiens-dentistes Universitaire en Santé Publique), il nous semble important de positionner la question à traiter en investissant l’ensemble des contextes qui peuvent influencer le développement d’un enfant comme le suggère Bronfenbrenner (2).
5 Dit autrement, pour répondre de façon exhaustive à la question de la prévention en médecine bucco-dentaire auprès des jeunes, il faut tenir compte d’abord des habilités de toutes natures de l’enfant mais aussi des contextes personnels et professionnels de la famille au sein desquels il évolue. Il ne faut pas oublier également que l’enfant et sa famille évoluent au sein d’une société qui crée les conditions politiques, sociétales, culturelles et physiques plus ou moins favorables à leur bien-être et à celui de leurs familles (3).
Du Nutri-Score au Caries-Score
6 En termes de promotion de la santé en direction des adolescents et de leurs parents il est intéressant de souligner la notoriété acquise en 4 ans seulement par le Nutri-Score. Une enquête réalisée en octobre 2021 par Santé publique France, soulignait que 97 % des adolescents interrogés déclaraient avoir déjà vu ou entendu parler du Nutri-Score (4). Le logo et son algorithme sous-jacent ont fait l’objet de nombreuses études qui ont montré son efficacité pour guider les consommateurs vers des produits de meilleure qualité nutritionnelle (5, 6). L’impact de l’alimentation sur la carcinogénicité n’est plus à démontrer. Par exemple, chez les jeunes enfants, le contact prolongé du lactose avec les dents peut entraîner une forme sévère de la maladie carieuse. La prise de boissons acide ou d’aliments riches en sucre en dehors des repas favorise le développement du processus carieux. À noter que les substituts du sucre, les édulcorants peuvent être présents dans l’industrie alimentaire et pharmaceutique. Leurs intérêts résident dans leur pouvoir sucrant important avec un faible pouvoir cariogène (7). Des études ont objectivé que la caséine présente dans les produits laitiers inhibait la croissance bactérienne de Streptococcus mutants. Cette bactérie présente dans la salive est responsable de la création du biofilm sur l’émail (8). Dans ce contexte, nous pourrions imaginer un « Caries-Score » dont le logo et l’algorithme seraient à définir dans la mesure où les enfants sont à la fois des consommateurs et des acheteurs, et qu’ils sont susceptibles d’influencer fortement les décisions d’achats de leurs parents (8). De plus, les jeunes sont souvent la cible du marketing pour des produits dont la consommation est à limiter, alors qu’ils n’ont pas toujours des capacités de réactions critiques suffisamment développées (10). À notre connaissance, un carie score à l’image du nutriscore n’existe pas encore. Il reste donc à construire, en tenant compte de l’expérience accumulée lors de l’élaboration du nutriscore.
Former et fédérer les professionnels de la santé autour des facteurs de risques communs
7 De nombreux travaux pointent une formation insuffisante des médecins généralistes dans le domaine de la santé bucco-dentaire. De plus, 76,5 % à 92,5 % d’entre eux estiment avoir reçu une formation inadaptée (11-13). Il en est de même pour des pharmaciens, les sages-femmes, les infirmières et les aides-soignantes (13). Cette insuffisance de culture en santé orale primaire et secondaire est sûrement préjudiciable pour aller vers des actions communes de promotion de la santé et de prévention sous le spectre des déterminants communs de la santé. Réduire la consommation de tabac, améliorer l’alimentation contribue à réduire le risque cardio-vasculaire mais aussi à préserver la santé bucco-dentaire. Une bonne hygiène bucco-dentaire contribue aussi à « bien vieillir en santé » car elle fait partie des comportements protecteurs pour le corps et la santé. Ces messages à coconstruire en inter et en transdisciplinarité ont toute leur place dans les projets de soins et de santé des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou dans les maisons de santé. Dans cette perspective les assistantes de niveau 2, dont le décret d’application est imminent doivent devenir les auxiliaires indispensables au chirurgien-dentiste pour dispenser les messages de prévention auprès de la population. IL est aussi nécessaire que le « DES de santé publique bucco-dentaire » soit ouvert pour contribuer à créer les conditions structurelles au niveau des différentes agences de santé publique tant au niveau local, régional et national pour l’ancrage d’une politique de santé publique bucco-dentaire structurée et cohérente à l’interface de tous les enjeux de santé. Ces actions sont plus que nécessaires dans la mesure où seulement 54 % des français connaissent le lien entre santé bucco-dentaire et santé générale et que seulement 24 % d’entre eux se sont rendus chez leur dentiste dans l’année en cours (15).
La brosse à dents un vecteur de communication
8 Avec un volume de 100 millions de brosses à dents vendues en France par an pour une population de 67 millions d’habitants (16), il est facile de comprendre qu’il reste encore beaucoup à faire pour inciter les consommateurs à se brosser les dents et à renouveler leur brosse tous les 3 mois. Les industriels ont bien compris que la brosse à dents était est un vecteur d’image puissant qui permettait de mettre en avant le caractère innovant et la visibilité de la marque. Dans cet esprit, un narratif a été construit pour améliorer les techniques de brossage puis progressivement avec des objets de plus en plus ludiques et techniques. Ce narratif a évolué pour améliorer le brossage par rapport à un contexte. Bref, les brosses à dents « design (ées) » pour certaines d’entre elles par Philippe Strack sont devenues des produits de grandes technologies et de plus en plus onéreux. C’est sûrement une excellente stratégie marketing pour vendre des brosses à dents toujours plus chers mais c’est une bien piètre stratégie en termes de santé publique et du droit à la santé pour tous. Il est temps d’inverser ce paradigme dans la mesure ou comme le rappelle l’UFSBD désorganiser le bio film en se brossant les dents 2 min deux fois par jour avec un dentifrice fluoré reste le seul moyen de lutter efficacement contre les caries (16, 17). Cette évidence une fois rappelée, tout le reste devient secondaire que ce soit, le type, la forme et/ou la matière de la brosse à dents. Pour un message fort en direction de la santé orale des enfants créons les conditions d’une distribution massive et si possible, gratuite dans les écoles de brosses à dents à usage unique imprégnées de dentifrice fluoré pour que se « brosser les dents » devienne aussi élémentaire et évident que de se laver les mains pour les enfants et leurs parents. Dit autrement, créons les conditions politiques, sociétales, culturelles et physiques favorables à l’hygiène bucco-dentaire en démocratisant la brosse à dents auprès de tous les publics et en formant nos enseignants dans les écoles aux questions de la santé orale, sans omettre l’impact environnemental d’une telle mesure. Dans cette perspective, soulignons l’annonce du président de la république d’un accès gratuit aux préservatifs pour lutter contre le sida et les infections sexuellement transmissibles. C’est une révolution de prévention nécessaire. La prévention bucco-dentaire chez les jeunes enfants doit s’inscrire dans cette dynamique de mise à disposition de moyens. Avec 45 % de la population mondiale qui est touchée par des maladies bucco-dentaires et avec une hausse d’un milliard de cas de maladies enregistrée au cours des trente dernières années, cette révolution dans le champ de la santé orale est plus que nécessaire (17).
Conclusions
9 Dans une approche écosystémique la promotion de la santé bucco-auprès des enfants passe par une attention particulière à l’éducation à la santé orale dès la petite enfance. La création d’une politique de santé orale ambitieuse favorisant une prise de décision éclairée est nécessaire. En effet, l’éducation à la santé orale est extrêmement importante pendant l’enfance pour ancrer les bonnes pratiques d’hygiène et afin qu’ils puissent prendre soin de leur santé bucco-dentaire tout au long de la vie. Dans ce contexte, Il toujours utile de rappeler que se brosser les dents régulièrement et adopter une alimentation équilibrée contribuent à prévenir les maladies et à maintenir une bonne santé générale. Dans cet esprit ce message doit être véhiculé auprès d’un large public, mais aussi de tous les professionnels de santé dans la mesure où la santé bucco-dentaire n’est pas isolée du reste du corps et que cette question de santé ne peut pas être traitée à part, mais bien avec l’ensemble des professionnels de santé.
Bibliographie
Bibliogaphie
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